Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il n’y a pas de débat !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … en témoigne le vote prochain d’une résolution cruciale du Parlement européen, mais qui a été reporté ce matin même à la demande de la conférence des présidents.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quelle honte !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Pourtant, depuis deux années, il est difficile de se faire une idée précise des avancées concrètes des négociations.
M. Bruno Sido. Eh oui !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. En effet, il n’existe pas de document directement accessible présentant les résultats de la négociation en l’état.
M. Bruno Sido. Voilà !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. On constate de ce fait des fuites çà et là, y compris sur WikiLeaks. Or, en la matière, le flou entretient la suspicion.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il faut y mettre fin.
Pourquoi sommes-nous dans une telle situation aujourd’hui ? Les négociations sont en cours et, comme dans chaque négociation, « aucun chapitre n’est fermé tant que tous les chapitres ne sont pas fermés » ; sans compter que le rythme d’avancée des discussions dépend des thèmes. Chaque négociateur défend ses intérêts et la France veille à ce que ses demandes fondamentales, qui apparaissent dans le mandat, désormais public, soient prises en compte par la Commission. Lorsqu’elles ne sont pas respectées par les États-Unis, la discussion s’arrête. Tel est l’objet d’un mandat de négociation : distinguer ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas.
Il est donc nécessaire, à ce stade, d’insister sur un point fondamental : il n’y a pas d’accord « secret » qui serait tenu hors de vue du public. Les négociateurs négocient des éléments d’un accord final, qui sont susceptibles d’évolutions permanentes jusqu’à cet accord.
Est-ce à dire que la négociation, qui, je le rappelle, est menée par la Commission européenne, et non par les Gouvernements des États membres, est elle-même suffisamment transparente ? La réponse est non ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. Bruno Sido. Bien !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. La transparence est toujours insuffisante, malgré nos demandes répétées. Des efforts ont été consentis par la Commission européenne et Cecilia Malmström semble sincèrement engagée dans cette démarche.
M. Daniel Raoul. Enfin !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Peut mieux faire !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. La France a ainsi demandé, de manière répétée, avec d’autres États membres, la publication du mandat de négociation de l’Union européenne pour le TTIP ; ce mandat est public depuis octobre dernier. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Cette publication a aussi été obtenue, depuis mars, pour la négociation plurilatérale portant sur les services, le TISA.
Les parlementaires européens ont quant à eux accès aux documents marqués « restreint » de l’Union européenne qui concernent les négociations, par des canaux sécurisés de transmission de ces données qui ont été spécialement créés. Nous faisons le maximum pour transmettre ces informations en temps réel.
Monsieur Raoul, je partage votre avis, qui est aussi celui de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, par exemple : nous devons aller plus loin en matière de transparence, notamment pour mieux connaître l’état d’avancement des négociations sectorielles.
Pour répondre à votre question, monsieur Gattolin, sachez que nous refusons l’offre qui a été faite par les États-Unis d’accéder aux documents consolidés de la négociation depuis les ambassades américaines dans les différents pays européens. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger, rappelle cette position chaque fois que l’occasion lui en est donnée : nous voulons que cet accès se fasse dans les administrations nationales. Sur ce sujet, la Commission européenne n’a pas encore convaincu les États-Unis.
L’accès aux documents n’est par ailleurs qu’une facette de la transparence : les échanges avec le Parlement et la société civile sont également indispensables. Dans cet esprit, Matthias Fekl a élargi la composition du comité de suivi stratégique mis en place au niveau national, qui était initialement composé des seuls parlementaires, à la société civile : ONG, fédérations professionnelles, syndicats. Ce comité se réunit tous les trimestres. La prochaine réunion aura d’ailleurs lieu le 30 juin. Il est l’occasion d’échanges riches entre les parties prenantes et contribue à la construction des positions du gouvernement français. Le secrétaire d’État a par ailleurs souhaité que ce comité soit complété par des groupes de travail thématiques rassemblant les membres du comité intéressés par un même sujet. Ces groupes se constituent progressivement depuis le mois d’avril, et un calendrier précis de réunions de travail a été défini.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, la transparence des négociations du TTIP est un combat qui mobilise pleinement le Gouvernement. Ce n’est pas une bataille gagnée d’avance, mais nous la menons avec détermination. Les progrès enregistrés nous encouragent à persévérer, d’une part, pour le principe, au nom de l’exigence démocratique, et, d’autre part, parce que nous souhaitons que les négociations aboutissent. La transparence en est certainement un facteur.
En ce qui concerne le fond des négociations, avant de dresser un panorama des résultats de la session d’avril et du contexte de la session de juillet à venir, permettez-moi plus généralement d’exposer la manière dont la France aborde la négociation. Le Président de la République a très clairement rappelé qu’il souhaite le succès de ce partenariat transatlantique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le succès ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Quelles seraient les conditions d’un tel succès ?
La négociation doit être abordée sereinement par l’Union européenne. Nous entendons souvent – je l’ai encore entendu dans cet hémicycle – que la machine américaine va écraser notre économie, que nous ne sommes pas de taille, voire que les négociateurs américains sont meilleurs que les nôtres. Or l’objectif de cet accord est clair : offrir des débouchés commerciaux aux entreprises européennes, et ce afin de stimuler la croissance en visant un objectif et un seul, à savoir la création d’emplois.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Que les choses soient claires : l’Europe ne doit pas aborder cette négociation en s’excusant. Nous sommes la première puissance commerciale mondiale, avec une industrie très diversifiée, une agriculture puissante, un niveau d’éducation élevé. Nous sommes un continent d’innovations, nous sommes présents dans tous les secteurs. Nous n’avons à rougir ni de nos valeurs ni de nos ambitions, qui sont réelles dans cette négociation. L’Union européenne et, naturellement, la France ont des intérêts offensifs évidents.
La France a également clairement identifié des éléments qui seraient inacceptables, des lignes rouges à ne pas franchir. À charge pour les négociateurs de respecter nos demandes, pour le Gouvernement de suivre avec attention chaque étape de la négociation.
Quels sont les éléments que nous ne saurions accepter ? Ils apparaissent très explicitement dans le mandat de la Commission : défense des préférences collectives – application de la législation européenne sur les OGM ou interdiction des poulets chlorés, par exemple –, exclusion de certains secteurs – rappelez-vous cette belle et grande bataille pour exclure l’audiovisuel au nom de la défense de la promotion de la diversité culturelle – et, enfin, protection des données personnelles.
M. Bruno Sido. Voilà !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. De même, conformément à la position qu’elle a toujours défendue, l’Union européenne a pour ligne de négociation de préserver sa capacité de créer et de maintenir des services publics partout en Europe. Le mandat précise ainsi en son point n° 20 que les services publics sont exclus des négociations.
M. Martial Bourquin. Très bien !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. À cet égard, je tiens à le souligner, messieurs Bocquet et Marie, je ne suis pas inquiète : c’est la position historique de la France, c’est celle de l’Union européenne dans les négociations de tous ces accords de libre-échange qui couvrent les services sociaux, la justice, l’éducation, les crèches, les hôpitaux. Bref, tous les services publics pourront être protégés par une réserve horizontale en plus de listes hybrides positives et négatives. Sur ce sujet, la France est très vigilante.
La négociation du TTIP prévoit un volet de convergence réglementaire. Ce volet suscite des inquiétudes, souvent légitimes. Réduire les obstacles inutiles ne doit pas signifier un nivellement des normes par le bas : c’est tout l’enjeu de la défense des préférences collectives, sur lesquelles nous serons intraitables. Il ne sera pas acceptable de voir les lois nationales et européennes examinées a priori par les États-Unis. Je le répète, cet accord ne se fera pas à n’importe quel prix.
M. Martial Bourquin. Très bien !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il est essentiel que l’Union européenne et les États membres conservent leur autonomie normative. Là encore, le mandat est explicite : la négociation ne devra pas porter atteinte au niveau de protection garanti par les lois et règlements européens et nationaux.
Voici un exemple : dans le secteur de l’énergie, le TTIP a pour objectif de permettre la diversification des sources d’approvisionnement de l’Union européenne, mais il ne s’agit pas de se prononcer sur les modes de production tels qu’ils ont été choisis par les Américains – par exemple, le gaz de schiste. Faute de quoi, cela impliquerait à l’inverse que les Américains exigent d’avoir leur mot à dire sur notre droit à réguler, ce que naturellement nous refusons.
Dès lors, en quoi peut consister cette convergence réglementaire ? Il existe des normes et des règles dont la complexité empêche en pratique les échanges, sans que la protection des consommateurs ou de l’environnement soit mieux assurée. Comment décemment justifier que la France ne peut pas, par exemple, exporter de pommes…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Mangez des pommes ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … ou de produits laitiers vers les États-Unis ? Il faut aborder avec ambition ce périmètre où convergence ne signifie pas nivellement par le bas. Il faut faire disparaître les contrôles en double, les incohérences réglementaires, les coûts et délais abusifs, qui, rappelons-le, nuisent aux entreprises européennes qui veulent exporter vers les États-Unis et s’y implanter. Des avancées pour certaines filières françaises donc sont possibles.
Je souhaite également évoquer une question qui m’est chère, celle du numérique dans le TTIP.
Les enjeux numériques font partie des négociations. Il y a un décalage patent entre la rapidité du développement du commerce numérique et la lenteur de l’adaptation du droit international à cette nouvelle économie.
Sur le plan international, nous sommes face à un vide juridique : il n’existe de traité international ni en matière de commerce international ni pour définir ce que serait par exemple un bien commun de l’internet, comme c’est le cas pour l’Antarctique ou pour l’espace. Il n’existe pas de lex mercatoria en ce domaine qui fournirait un socle jurisprudentiel.
Les règles applicables au numérique datent de 1994, autant dire la préhistoire de l’internet ! Il faut donc que nous mûrissions la construction d’un cadre européen sur le plan juridique en même temps que nous négocions avec les États-Unis. Cela nécessite donc de préserver nos marges de manœuvre pour l’avenir dans le traité. À cet égard, il n’est pas question que le TTIP aborde le sujet de la protection des données personnelles. À l’évidence, la protection de la vie privée et la sécurisation des données personnelles doivent guider notre action en la matière. Nous suivons en cela les recommandations du Conseil national du numérique, qui demande la plus grande prudence et la plus grande vigilance.
Dans le même temps, nous abordons cette négociation de manière offensive en proposant des règles de concurrence qui soient applicables à l’industrie du numérique. Celles-ci sont indispensables à l’émergence de nouveaux champions européens pour que notre continent ne soit pas un continent de consommateurs passifs dans la bataille du numérique à l’international. Ici comme ailleurs, la concurrence internationale doit avoir ses règles.
Le Gouvernement est particulièrement attentif au respect de ces exigences par la Commission. Il l’est tout autant s’agissant d’autres sujets : je pense en premier lieu à l’ouverture des marchés publics américains. Il s’agit de rééquilibrer une situation inacceptable pour l’Europe : les marchés publics européens sont ouverts à 95 %, contre 47 % aux États-Unis, soit presque le double ! Nous devons obtenir des concessions, y compris sur l’ouverture des marchés des cinquante États américains. On ne peut raisonnablement pas envisager un accord au terme duquel l’Union européenne et ses États membres ouvriraient totalement leurs frontières, alors qu’outre-Atlantique seul le niveau fédéral serait concerné.
La négociation du partenariat transatlantique est aussi l’occasion de renforcer la protection de nos indications géographiques et appellations d’origine. Vous avez raison de le souligner, monsieur Bizet. C’est un véritable combat que mènent actuellement les partisans des indications géographiques, qui, comme la France, défendent dans les négociations internationales les savoir-faire locaux, les traditions d’excellence et de promotion des territoires face aux tenants des marques commerciales pour qui le lien entre un territoire et une appellation n’a pas lieu d’être. D’ailleurs, les consommateurs demandent de plus en plus, surtout lorsqu’ils achètent en ligne, à connaître l’origine des produits pour ne pas être trompés.
Les indications géographiques sont un élément clé pour augmenter la valeur ajoutée de nos exportations, notamment agroalimentaires, mais aussi pour améliorer l’insertion des pays en voie de développement dans le commerce international. Dans ce combat, la France a enregistré en mai une victoire importante avec la révision de l’arrangement de Lisbonne, qui étend le concept d’indications géographiques dans vingt-huit pays.
Nos intérêts offensifs ne se limitent naturellement pas à ces sujets ; ils incluent aussi les services financiers ou la réduction des droits de douane sur un certain nombre de produits.
En ce qui concerne les tarifs douaniers, la France porte une attention toute particulière aux négociations sur les quotas de produits agroalimentaires. M. Lenoir a souligné la situation actuelle. La fragmentation du commerce mondial par la multiplication des négociations bilatérales, qui n’est que le résultat des difficultés enregistrées dans les cycles de négociations de l’OMC, ne doit pas conduire à considérer que les concessions tarifaires qui auraient pu être consenties dans les accords bilatéraux antérieurs doivent créer un précédent pour les accords en négociation.
Monsieur Emorine, je vais vous donner un exemple concernant la filière française de production de viande. Dans l’accord avec le Canada, le porc et le bœuf sont traités comme des produits sensibles. On n’assiste donc pas à un abaissement généralisé des tarifs douaniers sur ces produits et on accorde un contingent à droit nul qui est exprimé en tonnes. Il s’agit bien sûr de viandes sans hormones. J’ajoute que ce qui a été négocié dans le cadre de cet accord avec le Canada ne doit en aucun cas servir de précédent avec les États-Unis ou avec tout autre pays d’ailleurs.
Les principales positions françaises étant exposées, que peut-on dire des négociations de la neuvième session, qui ont eu lieu en avril dernier, et quel est le contexte de la prochaine session en juillet ?
Force est de constater que la neuvième session n’a pas abouti à des résultats probants. En ce qui concerne l’accès au marché, qui regroupe les droits de douane et les marchés publics, aucun résultat tangible n’a été enregistré. Très concrètement, un nouvel échange d’offres en matière de droits de douane devra être conditionné à des concessions substantielles de la part des Américains, notamment pour les marchés publics subfédéraux et les indications géographiques, comme je l’ai mentionné. En matière de marchés publics, la couverture du niveau subfédéral n’est pas réglée, alors même qu’elle constitue une demande très claire et précise de la part de l’Union européenne.
Concernant la convergence réglementaire, plus spécifiquement le chapitre relatif aux produits sanitaires et phytosanitaires, qui couvre donc une partie des questions de protection du consommateur, les discussions se limitent pour le moment à un passage en revue des demandes des deux parties, sans avancée concrète.
La convergence réglementaire comporte aussi un volet institutionnel, dont l’objectif est de donner un cadre aux régulateurs de part et d’autre de l’Atlantique pour éviter l’apparition de normes redondantes à l’avenir. La création d’un conseil de coopération réglementaire est actuellement en discussion. En la matière, la position de la France est claire, monsieur Raoul : ce conseil devra se limiter à une instance de dialogue et d’échange, au sein de laquelle les États membres devront avoir leur mot à dire. Cet organe sera donc consultatif, non normatif et ne pourra en aucun cas édicter des normes qui s’imposeraient aux régulateurs nationaux. Nous refusons l’instauration d’un organe transatlantique supranational. Il n’est pas question de créer un grand marché transatlantique. L’idée, par cette convergence réglementaire, est d’habituer les Américains à tenir aussi compte des intérêts des entreprises européennes quand ils mettent en place des réglementations ayant un caractère extranational.
Vous ne serez pas non plus surpris, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sur les autres volets de la négociation, les progrès soient lents. En matière d’indications géographiques, par exemple, les États-Unis persistent à adopter une position fermée, alors que la coexistence entre ces indications et les marques sur un même territoire est tout à fait possible.
L’absence d’avancées concrètes ne signifie pas qu’une accélération des négociations est exclue. L’adoption prochaine de la trade promotion authority, la TPA, qui donnera mandat à l’administration Obama d’engager l’État fédéral dans les négociations constituera un signal fort. La TPA a reçu l’approbation du Sénat américain, mais elle doit encore être votée à la Chambre des représentants.
Dès lors, que peut-on attendre de la dixième session, qui se tiendra en juillet ? L’adoption de la TPA pouvant intervenir au mois de juin, cette session sera donc décisive pour clarifier le niveau d’engagement du négociateur américain. Nous attendons de celui-ci que le mandat que lui aura donné le Congrès conduise à une évolution de ses positions afin qu’un dialogue constructif puisse avoir lieu. Le calendrier ne doit pas l’emporter sur le contenu ! En tout état de cause, une accélération du calendrier par l’adoption de la TPA ne concernera pas tous les chapitres, puisque la protection des investissements ne sera abordée qu’à la session de septembre, voire à la suivante.
Je terminerai cette intervention en évoquant justement la question du mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs.
Les deux chambres du Parlement français ont pris position sur cette question et ont exprimé leurs vives réserves. Le Parlement européen a, aujourd’hui même, reporté ce débat et son vote. C’est le signe de la difficulté qu’il rencontre à trouver un accord majoritaire en son sein.
La France considère que ce mécanisme n’est ni utile ni nécessaire dans le cadre des négociations du TTIP. Elle l’a dit dès l’origine et continue de le clamer à Bruxelles. En effet, nous le savons, une vérité s’impose en ce domaine : on constate une érosion lente mais certaine du droit des États au profit du droit des investisseurs. (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La pratique des instances de règlements des différends entre investisseurs privés et États a, dans certains cas, évolué vers une remise en cause des décisions de politique publique légitimes des États.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Au-delà du coût financier induit pour ces États, la symbolique est forte : ce sont des intérêts privés qui l’emportent sur l’intérêt général poursuivi par des gouvernements et des parlements démocratiques. La consultation publique qu’a menée la Commission l’a montré : le mécanisme tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas acceptable. Il faut donc inventer quelque chose de nouveau.
Face à ces dérives, la France, par l’intermédiaire de Matthias Fekl, a mené des consultations avec plusieurs ministres européens. Des lignes directrices ont été identifiées en février, notamment concernant la préservation du droit à réguler des États, l’éthique applicable aux arbitres, la transparence et l’instauration d’une possibilité d’appel.
La Commission, quant à elle, a présenté au début du mois de mai plusieurs propositions, qui témoignent de la prise de conscience de l’importance des enjeux. Le 2 juin, donc tout récemment, la France a officiellement adressé à la Commission européenne ses propositions relatives au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. L’objectif est simple : restaurer la puissance publique dans ses droits et bâtir un système plus favorable aux États qu’auparavant.
À ce stade, la Commission a affirmé avoir accueilli avec intérêt les positions françaises et indiqué qu’elle allait travailler sur ce sujet. Néanmoins, monsieur Collin, c’est un travail de longue haleine, de conviction, qui doit permettre d’aider les entreprises européennes susceptibles de se trouver en situation de contentieux avec l’État américain. Nous avons commencé à construire une coalition, notamment avec les Allemands. Ce travail doit continuer, mais je peux déjà vous dire que le vent tourne.
Les propositions françaises visent à mettre fin au « flou » qui entoure les concepts juridiques des instances de règlement des différends. Ainsi, un changement législatif ne doit pas être un motif suffisant pour attaquer un État, en se fondant par exemple sur les attentes légitimes des investisseurs ou la notion d’expropriation indirecte. Cette clarification juridique urgente garantit la capacité des États à mettre en œuvre souverainement des politiques publiques légitimes sans risquer que celles-ci soient attaquées. Il s’agit aussi de redonner aux seuls États la capacité d’interpréter les clauses du traité lorsqu’une incertitude se fait jour. Les États doivent également pouvoir restructurer et rééchelonner les dettes publiques sans risque de devoir se justifier devant un tribunal – on en connaît l’importance depuis la crise financière de 2008.
L’innovation est également institutionnelle puisque, pour la première fois, est clairement fixée l’ambition de créer une cour permanente intervenant dans le cadre des futurs traités de l’Union européenne. C’est également le souhait de certains d’entre vous, notamment MM. Daniel Raoul et Yvon Collin.
Publique, cette cour aura en charge la gestion des professionnels qui se prononcent en premier ressort en cas de différends entre État et investisseur. Elle sera garante du respect d’un code de déontologie des arbitres inséré dans le texte des traités. Celui-ci prévoira une période de quarantaine stricte qui devra empêcher la survenance de tout conflit d’intérêts.
Permanente, cette cour interviendra pour tous les litiges nés de l’application des futurs traités de l’Union européenne. En réexaminant l’ensemble des décisions en premier ressort, elle contribuera à la définition d’une jurisprudence structurée, prévisible, indispensable à la légitimité du système.
Respectueuse du droit international, cette cour constituera l’ossature d’une future cour permanente multilatérale par son application progressive à d’autres traités. La France est ainsi fidèle à ses traditions, à ses convictions, à son histoire et à sa diplomatie favorable au multilatéralisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les négociations relatives au partenariat transatlantique sont l’occasion d’exprimer clairement notre vision du commerce international : un commerce fondé sur des règles, qui respecte les peuples et les États. Le Gouvernement est engagé dans cette voie. Pour cela, il a besoin de votre confiance pour promouvoir avec audace les intérêts des entreprises françaises et européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L'avancée des négociations du traité transatlantique à la suite du 9e cycle de négociations du 20 au 24 avril et en vue du 10e cycle du 13 au 17 juillet ».
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.