M. Alain Joyandet. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Madame la ministre, le régime social des indépendants, le RSI, connaît de grandes difficultés. Le temps d’agir est venu. Depuis sa création, le recouvrement des cotisations auprès des travailleurs indépendants est effectué – je le rappelle parce qu’on ne le sait pas toujours – par le réseau des URSSAF.
Ce système particulièrement complexe a connu de graves défaillances techniques, qui ont affecté un grand nombre de cotisants : difficultés d’affiliation, erreurs dans les appels de cotisations, blocage des mises à jour des dossiers, taxation d’office, versement tardif des prestations, etc. Ces graves difficultés ont d’ailleurs été relevées par la Cour des comptes.
Je ne reviens pas sur les rappels de cotisations portant sur des sommes considérables, signifiés parfois de manière surprenante, pour ne pas dire brutale, à des travailleurs indépendants.
Si des efforts ont indéniablement été effectués par le RSl, les problèmes ne sont pas réglés pour autant.
Plusieurs mesures doivent être rapidement envisagées.
Tout d’abord, il est impératif que les cotisations provisionnelles des travailleurs indépendants soient calculées sur le fondement du revenu estimé de l’année en cours, et non sur celui des revenus de plusieurs années, compte tenu de la très grande variation des revenus des intéressés.
Ensuite, même si je n’oublie pas que le RSI a été créé en 2006, le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, a pris des mesures sur lesquelles il me semble nécessaire de revenir : déplafonnement des cotisations maladie, maternité et vieillesse, instauration d’une cotisation minimale forfaitaire, suppression de la déduction forfaitaire pour frais professionnels et élargissement de l’assujettissement des dividendes.
Ces mesures, inopportunes en période de crise économique, ont sensiblement augmenté les charges pesant sur les travailleurs indépendants, dont l’activité représente des millions d’emplois en France.
Enfin, eu égard au niveau des prélèvements, qui tend à s’aligner sur celui du régime général, alors que le RSI sert des prestations moindres, le temps n’est-il pas venu, pour faire suite aux propos tenus par le Premier ministre le 31 mars dernier dans différents médias, de laisser le choix aux travailleurs indépendants de rejoindre ou non le régime général ?
Telles sont les questions auxquelles, madame la ministre, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir répondre devant la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le sénateur, il est vrai que le régime social des indépendants a connu, et connaît encore, mais dans une moindre mesure, de très grandes difficultés.
Puisque vous avez évoqué le rapport de la Cour des comptes, permettez-moi de préciser que celle-ci a qualifié de « catastrophe industrielle » la réforme mise en place en 2008 par la majorité de l’époque ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Rappels de cotisations, impossibilité de joindre les services du RSI : toutes les difficultés que vous avez mentionnées ont découlé de cette réforme mal pensée, mal préparée et mal mise en œuvre.
Des mesures visant à remédier à cet état de choses ont été mises en place. Je veux saluer ici la très forte mobilisation des agents du RSI et des URSSAF. Un rapport remis l’an dernier par deux de vos collègues a montré que la situation s’est améliorée de manière très significative, même si cela demeure insuffisant.
Le Gouvernement a réduit les cotisations de 70 % des artisans, jusqu’à concurrence de 400 euros pour ceux dont le revenu s’établit à environ 20 000 euros par an.
Le régime de la micro-entreprise permettra également des progrès, mais il nous faut aller plus loin. Aussi le Gouvernement a-t-il demandé à deux députés, Mme Bulteau et M. Verdier, de formuler à échéance rapprochée des propositions pour faire évoluer ce régime afin de mieux répondre aux attentes des artisans.
Permettez-moi de dire, en conclusion, que les difficultés rencontrées par des artisans ne sauraient en aucun cas légitimer les appels à la désaffiliation à la sécurité sociale lancés de manière inconsidérée et irresponsable par certains. La sécurité sociale est garante de la solidarité de tous. (M. Alain Joyandet proteste.) Je sais, monsieur Joyandet, que vous n’avez pas, pour votre part, appelé à la désaffiliation, mais certains l’ont fait, profitant de la situation difficile que connaît une minorité d’artisans. C’est le plus mauvais des services à rendre à la sécurité sociale, en particulier au régime des artisans. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
budget de la culture
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour le groupe socialiste.
Mme Maryvonne Blondin. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication.
« La Culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité », disait le prix Nobel de littérature de 2000, Gao Xingjian.
Le Premier ministre vient d’affirmer haut et fort la sanctuarisation du budget de la culture jusqu’à la fin du quinquennat, qui était tant attendue par le monde de la culture, et l’attachement du Gouvernement à la culture.
Il s’agit là, il faut le souligner, d’un engagement tout à fait exceptionnel, d’un acte de confiance et de reconnaissance envers un secteur fragilisé en cette période difficile d’effort collectif pour redresser l’économie de notre pays. Le budget de la culture a pris sa part à cet effort, la baisse de ses crédits portant essentiellement sur les grands opérateurs de l’État, plutôt que sur la création, la production et la diffusion culturelle et l’éducation artistique.
Favoriser le développement de la création, des pratiques culturelles, lutter contre les inégalités, permettre à tous d’accéder à la culture est dans l’ADN de la gauche. L’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’UNESCO, qui érige les droits culturels en droits fondamentaux, ne dit d’ailleurs pas autre chose.
M. Jean-Pierre Raffarin. Les droits de l’homme, c’est républicain !
Mme Maryvonne Blondin. Je me réjouis donc de cette nouvelle étape, qui réaffirme la place essentielle de la culture dans notre société et l’importance de son apport au lien social et à l’économie de nos territoires.
Néanmoins, force est de constater que ce secteur a fait l’objet de coupes claires dans les derniers budgets des collectivités territoriales, alors que celles-ci en sont certes les principaux financeurs, mais aussi les principaux bénéficiaires.
C’est pourquoi je me félicite, madame la ministre, que vous ayez proposé la conclusion de « pactes » prévoyant le maintien des crédits de l’État destinés aux territoires pour les trois prochaines années, à condition que les collectivités territoriales acceptent, elles aussi, de stabiliser leurs financements du secteur culturel. Hier, à Matignon, plus d’une trentaine d’élus, de droite comme de gauche, qui tous croient en la culture, ont signé de tels pactes.
Madame la ministre, quels moyens allez-vous mettre en œuvre pour permettre la généralisation et la pérennisation de ces politiques culturelles conjointes de l’État et des collectivités, d’une part, et pour assurer une progression durable des moyens de votre ministère, d’autre part ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, des choix courageux ont été faits en 2012 pour redresser nos comptes publics. Le budget de la culture a pris une part importante à cet effort, mais jamais les marqueurs auxquels nous sommes attachés n’ont été affectés : la création, la diffusion culturelle, l’éducation artistique et culturelle ont été protégées dans tous les budgets depuis 2012.
Pour autant, est-ce suffisant ? Bien sûr que non, et je comprends que le monde de la culture manifeste des signes d’impatience. Madame la sénatrice, nous ouvrons actuellement une page nouvelle du quinquennat en matière culturelle.
Ce n’est pas qu’une question budgétaire, un budget n’étant jamais qu’un moyen au service d’un projet, et un arbitrage budgétaire une décision prise sur la base de celui-ci ; c’est une offensive culturelle globale que je souhaite lancer.
Cette offensive culturelle consiste d’abord à signer dans toute la France des pactes culturels qui engagent l’État pour trois ans aux côtés des villes et des agglomérations faisant le choix de préserver leur budget de la culture. Ainsi, trente-cinq villes ont signé hier un tel pacte avec l’État, en présence du Premier ministre. Avant l’été, une soixantaine auront répondu à cet appel. Compte tenu de la réforme territoriale en cours, il faut amplifier et approfondir cette démarche partenariale.
Cette offensive culturelle exige ensuite d’écouter ce qui remonte des territoires, concernant par exemple les conservatoires de musique. J’ai ainsi décidé de réengager l’État auprès des conservatoires, pour en faire de véritables instruments de démocratisation. Il faut faire évoluer les pratiques pédagogiques, mettre l’accent sur les cours collectifs, faire entrer de nouvelles esthétiques dans les conservatoires, les ouvrir aux adultes.
Cette offensive culturelle consiste également à sécuriser et à pérenniser le statut des intermittents dans le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, porté par François Rebsamen. Sans les intermittents, il n’y aurait pas de singularité culturelle française, pas de culture au sens où nous l’entendons.
Cette offensive culturelle se concrétisera enfin par la présentation en conseil des ministres, dans le courant du mois de juin, d’un projet de loi ambitieux en faveur de la liberté de création, de l’architecture et du patrimoine. Ce texte, qui rappellera l’attachement de la nation à la création artistique, sera bâti sur le triptyque liberté, protection et partage.
Madame la sénatrice, vous avez cité Gao Xingjian ; c’est vrai, la culture n’est pas un luxe, elle est une nécessité. Les budgets de la culture seront en hausse en 2016 et en 2017. Ils soutiendront cette offensive culturelle à laquelle je vous invite à participer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
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Pouvoirs de police à Paris
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police, présentée par MM. Yves Pozzo di Borgo et plusieurs de ses collègues (proposition n° 391, texte de la commission n° 434, rapport n° 433)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, auteur de la proposition de loi.
M. Yves Pozzo di Borgo, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée représentant les collectivités territoriales, il nous incombe à nous, sénateurs, de les accompagner dans leur évolution et d’œuvrer pour moderniser leur gouvernance et leur bonne gestion.
C’est dans cet esprit que je vous propose de faire évoluer le statut de Paris, en étendant les pouvoirs de police du maire de Paris.
Cette proposition, cosignée par mes collègues Pierre Charon et Philippe Dominati, comme moi sénateurs de Paris, s’inscrit du reste dans la continuité d’un long processus de « normalisation » du statut de Paris, qui a commencé avec un premier texte en 1975, qui a induit l’élection d’un maire à Paris en 1977 et qui s’est poursuivi jusqu’en 2002, lorsque nous avons adopté, « petitement », l’élargissement des pouvoirs de police du maire de Paris à la police du stationnement et à la police de circulation.
C’est donc non une rupture radicale que je vous propose, mais la poursuite d’une modernisation, qui, il faut le dire, part de très loin.
En effet, si Paris est la seule municipalité en France dont le maire ne détient pas le pouvoir de police, c’est que l’Histoire a pu le justifier.
Oui, mes chers collègues, Paris est historiquement une des villes les plus denses du monde : en 1800, on comptait déjà 700 000 Parisiens répartis sur 3,4 kilomètres carrés, ce qui représente une densité proche de celle que nous connaissons aujourd’hui, avec 2,1 millions d’habitants sur 10 kilomètres carrés. Mais cette concentration humaine a souvent défié le pouvoir de l’État.
Louis XIV s’installa à Versailles pour fuir Paris, où menaçait la Fronde ! Un peu plus d’un siècle plus tard, la population parisienne, en pleine Révolution, ramenait la famille royale à Paris pour la juger. On peut penser que la défiance des Parisiens contre l’État a pu inciter Napoléon Bonaparte – il avait une certaine expérience à cet égard puisque, en 1795, il avait arrêté l’insurrection royaliste rue Saint-Honoré, devant l’église Saint-Roch, en faisant tirer au canon sur les partisans de la monarchie qui manifestaient, dont 300 furent tout de même tués : les moyens de l’époque avaient des effets beaucoup plus dévastateurs que les grenades lacrymogènes ! –, au lendemain de son coup d’État, à rattacher au pouvoir central les attributions de police générale qui dépendaient de la commune de Paris ; c’est le fameux arrêté du 12 messidor an VIII – c'est-à-dire le 1er juillet 1800 –, qui confie au préfet, représentant de l’État, les pouvoirs de police afin d’assurer le maintien de l’ordre public dans une capitale en proie aux soulèvements. C’est cet arrêté qui marque et structure encore aujourd’hui la police parisienne.
L’Histoire donna raison à Bonaparte. Lors de la révolution ouvrière de 1848, Ledru-Rollin disait des barricades qu’elles sont « la passion héréditaire de la population parisienne ».
Plus tard, pendant la Commune, en 1871, le chef du gouvernement, Adolphe Thiers, fit cette déclaration fracassante : « Paris sera soumis à la puissance de l’État, comme un hameau de cent habitants ! »
Paris l’insoumise, Paris qui défiait l’autorité de l’État devait être surveillée de près par la police nationale.
Une métropole aussi dense nécessitait par ailleurs une attention particulière en matière de lutte contre l’insalubrité : ce fut l’objet de la mission de police confiée en 1859 au préfet Hausmann.
Bref, en regardant l’histoire de Paris, on comprend que l’État ait voulu assurer l’ordre public et la salubrité à Paris, mater les révoltes, avec des moyens qu’il contrôle : une police nationale, sous l’autorité d’un préfet aux ordres du ministre de l’intérieur. D’ailleurs, jusqu’en 1975, Paris n’avait pas de maire, mais était gouvernée par un préfet. Et aujourd’hui encore, les pouvoirs de police du maire sont, à Paris, largement concentrés entre les mains du préfet, qui assiste à chaque conseil de Paris. Je le remercie d’ailleurs d’être présent aujourd'hui au Sénat.
La question que je pose avec mes collègues Pierre Charon et Philippe Dominati est la suivante : la confiscation des pouvoirs de police du maire de Paris par le préfet, héritée de Napoléon Bonaparte – un insulaire comme moi, à défaut d’être un modèle de démocratie ! – n’est-elle pas devenue obsolète ? Le temps des révolutions n’est plus, d’autres formes de contestation ayant désormais pris le relais, et si les réformes de 1975, de 1982 et de 2002 ont permis un élargissement progressif des pouvoirs de police du maire de Paris, ce dernier n’a toujours pas les moyens opérationnels d’exécuter ses propres décisions.
Un exemple : la maire de Paris peut bien décider de multiplier par trois le prix du stationnement, comme elle l’a fait récemment, les Parisiens savent que ni la verbalisation ni le recouvrement des contraventions ne sont une priorité pour la préfecture de police. Du coup, 85 % des Parisiens ne paient pas le stationnement, privant la ville d’une recette substantielle ! La loi peut bien confier au maire de Paris la responsabilité de fixer le montant des amendes, la Ville n’a pas les moyens humains d’en assurer le recouvrement !
En effet, les 1 848 agents de surveillance de Paris, les ASP, chargés d’assurer le respect de la police du stationnement – ce sont eux, chers collègues de province, qui mettent des contraventions –, comme les 4 127 agents administratifs de la Ville de Paris chargés de délivrer les licences de taxi et de gérer les formalités administratives sur les polices spéciales, ne sont pas placés sous l’autorité du maire, mais sous celle du préfet.
Or la Ville finance tout ce personnel : chaque année, 300 millions d’euros prélevés sur le budget de la Ville servent à financer ces 5 975 agents aux ordres du seul préfet !
Mes chers collègues, la mairie de Paris finance 41,8 % du budget total d’une police qu’elle ne contrôle pas ! Qui d’entre vous accepterait une telle situation ?
La maire actuelle, Mme Anne Hidalgo, parle de « coproduction » entre la mairie et la préfecture de police. Voilà un concept surprenant : vous payez, et vous n’avez aucune autorité sur les gens que vous payez.
Quel est le maire de France, le président de conseil général – le Conseil de Paris est aussi conseil général – ou le président de région qui accepterait une telle situation ?
Et c’est sans compter que, en plus de ces 300 millions d’euros versés à la préfecture, la Ville finance déjà ses propres agents municipaux : 650 inspecteurs de sécurité, 900 agents d’accueil et de surveillance et 96 inspecteurs de salubrité, qui forment un embryon de police municipale fort de 1 646 agents. Pour créer une police municipale à Paris, il suffirait d’intégrer à cette équipe d’agents municipaux les 1 848 agents de surveillance de Paris. On aurait ainsi, sans que l’État ait à débourser le moindre centime, un effectif total de 3 494 agents, ce qui n’est pas négligeable ! Et cela peut se faire à budget constant puisque la mairie assure déjà le financement de ces agents.
Vous l’aurez compris, le statut actuel n’est pas cohérent en termes d’organisation, et il ne l’est pas non plus en termes d’efficacité !
Il n’est pas en phase avec l’évolution des usages et des mentalités.
En outre, cette dilution des responsabilités en matière de police pose un vrai problème en termes politiques. Nous avons voté il y a trois mois, au Conseil de Paris, un contrat parisien de prévention et de sécurité pour la période 2015-2020 : voilà 160 pages d’objectifs qui, comme ceux du précédent plan quinquennal, ne seront pas atteints. Pourquoi ? Parce que la maire de Paris n’est pas responsable devant les électeurs de l’exercice du pouvoir de police !
Quand on l’interroge sur les résultats, elle répond : « Ce n’est pas à moi, mais au préfet de rendre des comptes ! » Et le préfet n’a que faire de l’atteinte de ces objectifs, car lui n’est pas responsable politiquement ! Quant aux vingt maires d’arrondissement, qui recueillent quotidiennement les inquiétudes et les plaintes de leurs administrés, ils ne peuvent rien faire non plus ! Heureusement, les bonnes relations qu’entretient le préfet de police avec les commissaires de quartier permettent de régler quelques problèmes…
Ce petit jeu où personne n’est responsable a, au fond, toujours arrangé les maires de Paris, de droite comme de gauche, car la sécurité est un piège électoral pour le maire en place, surtout dans la capitale.
Par ailleurs, les ministres de l’intérieur successifs ont naturellement préféré conserver un pouvoir étendu sur la capitale. Voilà pourquoi les différentes propositions de réforme des pouvoirs de police du maire de Paris sont toujours restées lettres mortes : je pense aux propositions de loi de Pierre-Christian Taittinger et Dominique Pado en 1986, de Raymond Bourgine en 1990, de Laurent Dominati, Gilbert Gantier et Claude Goasguen en 1999, et à la mienne en 2012.
La chance souriant aux audacieux, la présente proposition sera peut-être la bonne ! Aujourd’hui, alors que la maire de Paris et le ministre de l’intérieur sont de la même couleur politique, j’espère que le Gouvernement profitera de notre initiative sénatoriale pour amorcer un dialogue avec la mairie de Paris, afin de réformer le statut archaïque de Paris en matière de police municipale.
Hélas, j’en doute, car il semble que le Gouvernement ne fasse pas franchement confiance à la capacité d’action de la maire de Paris. C’est du moins ce qu’a laissé entendre le Gouvernement lorsqu’il a émis un avis défavorable sur un amendement de mon collègue Olivier Cadic au projet de loi Macron prévoyant que le Conseil de Paris détermine le nombre de « dimanches du maire » pour l’ouverture des commerces le dimanche.
M. Macron a invoqué le fait que la dérogation au repos dominical relevait de « l’ordre public », dont le préfet de police est le gardien, pour priver la maire de Paris, seul maire de France dans ce cas, d’un pouvoir de décision sur ce point. En réalité, l’État est réticent à confier à la maire de Paris des décisions aussi importantes en matière d’ouverture de commerce comme il l’est en matière de police. On peut s’interroger sur les relations qui existent entre le Gouvernement et la maire de Paris, pourtant du même bord !
M. Roger Karoutchi. Ça, ça ne veut rien dire… (Sourires.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Et pourtant, mes chers collègues, quelle que soit la compétence de la maire, l’absence totale de pouvoir de police de la municipalité parisienne en matière de sécurité est déstabilisante pour Paris ! Au-delà du stationnement, le climat d’insécurité à Paris est bien présent. Les incivilités quotidiennes sont devenues banales, les détritus laissés sur les trottoirs font partie du paysage parisien, une certaine mendicité qui pourrait être délictueuse a littéralement explosé.
Paris a besoin d’une police de proximité qui puisse accompagner les sans-abris et les Roms dans les structures d’accueil d’urgence, les toxicomanes dans les centres d’accueil, et œuvrer à la réduction des phénomènes de dépendance dans les quartiers.
À l’inverse, en l’absence d’une police de proximité, les vendeurs à la sauvette se sont installés dans de nombreux quartiers – Tour Eiffel, Château Rouge, Barbès, La Chapelle – et ne sont que partiellement combattus, car la police nationale, malgré toutes ses qualités et la bonne volonté de ses agents, est débordée par le quotidien de ses missions nationales. (M. Roger Karoutchi manifeste son approbation.)
C’est la raison pour laquelle nous proposons de renforcer les compétences et les responsabilités du maire de Paris, en alignant le régime de police de la capitale sur celui des communes à police d’État.
Il est indispensable, aujourd’hui, de lui permettre d’assurer, outre la salubrité publique et la résolution des troubles de voisinage, le bon ordre, la sûreté et la sécurité publique. En retrouvant une autorité sur les 1 848 agents de surveillance de Paris qu’elle paie déjà, auxquels on peut ajouter ses 1 646 agents municipaux, la maire de Paris pourra choisir d’affecter ces quelque 3 500 agents au contrôle du stationnement, à la lutte contre les incivilités ou encore aux nuisances sur la voie publique, en fonction des contingences : lutte contre le vol près des grands magasins à Noël, gestion des relations entre les noctambules des parcs et terrasses et les riverains l’été, sécurité à la sortie des écoles, assistance aux sans-abris l’hiver, etc.
Cela permettra à la préfecture de police, dont je salue au passage l’excellence – c’est peut-être même l’une des meilleures du monde ! – de se concentrer sur ses missions régaliennes de police judiciaire. À l’heure où les formes de criminalité se complexifient – terrorisme, cambriolages, problèmes de cybersécurité, délits et crimes – et où le plan Vigipirate nécessite une mobilisation continue des effectifs, elle doit effectivement concentrer ses forces sur des missions de sécurité nationale qu’elle seule peut assumer.
Je ne comprends pas que le Gouvernement et le ministre de l’intérieur hésitent à transférer à une police municipale des missions qui hypothèquent ces missions nationales.
Bien entendu, aux termes de notre proposition de loi, la police nationale reste compétente pour assurer la protection et la surveillance des institutions nationales et internationales présentes à Paris, qui est tout de même la capitale de la France, et des quelque 7 000 manifestations de rue qui se déroulent sur son territoire chaque année. Ce sont des missions qui n’ont pas d’équivalent dans les autres villes françaises et qui doivent continuer à relever de la police nationale, non de la police municipale. C’est en effet la police nationale qui possède les compétences et les qualités requises.
De même, la préfecture de police doit conserver les pouvoirs de police spéciale. C’est là une contribution majeure de notre rapporteur Alain Marc, un Aveyronnais – il y a, à Paris beaucoup d’Aveyronnais, et ils seront à la fois fiers et satisfaits du travail qu’il a accompli –, que je remercie très chaleureusement.
Ce ne sont donc pas tous les pouvoirs de police que je propose de transférer au maire de Paris. Pour que cette réforme soit réalisable dans de bonnes conditions, je soutiens l’initiative du rapporteur de circonscrire sa portée au pouvoir de police générale et à la police spéciale du stationnement et de la circulation. Il me semble en effet nécessaire de consolider le transfert du pouvoir de police générale avant de transférer progressivement la cinquantaine de polices spéciales aujourd’hui gérées par la préfecture de police, comme la police des édifices menaçant ruine, le secours et la défense contre l’incendie ou encore la police funéraire.
Je pense aussi que, à terme, il faudra que le maire de Paris puisse déléguer aux maires d’arrondissement la gestion des effectifs de la police municipale, car ce sont les maires d’arrondissement qui connaissent le mieux les problématiques spécifiques à leurs quartiers. Cependant, allons-y progressivement, en consolidant chaque étape de cette grande réforme pour Paris.
Je ne serai pas plus long, mes chers collègues, car je pense que vous aurez aisément compris que la création d’une police municipale à Paris constitue une réponse évidente au statut archaïque de Paris en matière de police et une avancée sans précédent dans la modernisation de l’administration de notre capitale.
Faisons mentir Adolphe Thiers : Paris n’est pas « un hameau de cent habitants » ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de MM. Pozzo di Borgo, Charon et Dominati, qui vise à transférer au maire de Paris certaines compétences de police administrative aujourd’hui détenues par le préfet de police, soulève une question qui n’est pas récente. En effet, le 11 mai 1990, le Sénat adoptait en première lecture une proposition de loi comparable de Raymond Bourgine, mais ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
L’objectif de la présente proposition de loi n’est pas de remettre en cause la qualité du travail du préfet de police, que nous avons auditionné et dont je salue l’action en faveur de la sécurité des Parisiens ; il est d’aligner la répartition des pouvoirs de police à Paris sur le droit commun afin d’accroître les prérogatives et les responsabilités du maire de la capitale.
Je veux tout d’abord rappeler les spécificités de la police administrative à Paris.
À la différence de ce qui se passe dans les autres communes de France, c’est le préfet de police et non le maire qui détient le pouvoir de police générale. Le préfet de police est ainsi responsable du bon ordre, de la sûreté et de la sécurité publique. Il exerce également plus de cinquante polices spéciales en lieu et place du maire – la police des animaux dangereux et errants, par exemple – ou du préfet de département – l’admission en soins de personnes souffrant de troubles mentaux, par exemple. À Paris, le préfet de police cumule donc les pouvoirs d’un préfet de département et d’un maire.
Ce régime de police dérogatoire remonte à la création de la lieutenance de police, en 1667, et a été renforcé sous Napoléon Bonaparte par l’arrêté du 12 messidor an VIII. Certes, les compétences de police du maire de Paris ont été renforcées depuis plusieurs décennies : il est désormais responsable de la salubrité publique, du bon ordre dans les foires, des troubles de voisinage et d’une grande partie de la police de la circulation et du stationnement. Toutefois, ces compétences demeurent restreintes au regard de celles du préfet de police.
Le régime dérogatoire de police appliqué à Paris présente aujourd’hui deux types de limites, qui ont motivé le dépôt de cette proposition de loi : des limites institutionnelles, d’une part, et des limites opérationnelles, d’autre part.
D’un point de vue institutionnel, la police administrative est exercée à Paris par un préfet de police nommé par le Président de la République, et non, comme sur le reste du territoire, par une personne élue au suffrage universel. Il existe donc un paradoxe singulier à l’heure de la décentralisation : alors que des lois successives ont renforcé les attributions du maire de Paris pour aligner ses prérogatives sur celles du droit commun, les pouvoirs de police continuent de lui échapper. Cela pose une vraie question de responsabilité politique : comme l’a souligné Yves Pozzo di Borgo, le maire n’est pas responsable devant ses électeurs de l’exercice du pouvoir de police.
D’un point de vue opérationnel, le dispositif de police administrative mis en œuvre à Paris semble perfectible. La préfecture de police gère en effet des tâches de police municipale alors qu’elle a vocation à se concentrer sur des missions régaliennes de sécurité. Ce sont, par exemple, des policiers nationaux qui assurent le « barriérage » des routes lors du marathon de Paris ou fournissent un soutien aux personnes sans abri.
De même, c’est la préfecture de police qui contrôle le respect des règles de circulation et de stationnement par l’intermédiaire des agents de surveillance de Paris- ce qu’on appelait autrefois les « pervenches ». Or ce système ne semble pas satisfaisant en pratique : environ 85 % des Parisiens ne paient pas leur stationnement, car ils savent qu’ils n’ont que peu de risques de devoir régler une amende.
Pour expliquer ce dysfonctionnement, l’une des hypothèses est que le contrôle de la circulation et du stationnement ne fait pas partie des priorités opérationnelles de la préfecture de police, ce qui semble logique au vu de l’étendue de ses compétences, parmi lesquelles la priorité est donnée aux missions régaliennes. En outre, la préfecture de police n’a aucune incitation financière à agir, à la différence de la Ville de Paris, qui perçoit une partie des recettes des procès-verbaux et pourra, à partir de 2016, fixer le montant de la redevance appelée à les remplacer dans le cadre de la dépénalisation du stationnement payant.
La dernière difficulté opérationnelle concerne la complexité du dispositif mis en œuvre pour prévenir et réprimer les petites incivilités à Paris. Outre les ASP et les policiers nationaux gérés par la préfecture de police, la mairie a recours à ses propres personnels de sécurité : les inspecteurs de sécurité et les agents d’accueil et de surveillance.
Il est difficile pour les Parisiens de comprendre les rôles et les responsabilités de chacun, d’autant que les différentes forces ne collaborent pas suffisamment : elles patrouillent sur des sites identiques mais ne coordonnent pas leurs actions et n’échangent que rarement des informations.
Face aux limites du système actuel, les auteurs de la proposition de loi souhaitent que le pouvoir de police générale soit transféré du préfet de police au maire. Ce dernier serait désormais compétent pour le bon ordre, la sûreté et la sécurité publique. Il disposerait ainsi d’un levier d’action supplémentaire pour traiter des problématiques intéressant le quotidien de ses administrés et devrait répondre de sa politique devant ses électeurs. Le maire de Paris pourrait, par exemple, interdire la consommation d’alcool sur la voie publique ou encore des spectacles causant un trouble à l’ordre public, alors qu’il ne peut pas le faire aujourd’hui. Les policiers nationaux exécuteraient directement les arrêtés du maire au titre de l’article L. 2214-3 du code des collectivités territoriales.
Pour assumer ses nouvelles compétences, le maire de Paris retrouverait sous son autorité les ASP, qui sont aujourd’hui mis à disposition de la préfecture de police, mais rémunérés par la mairie. Un vieil adage dit que qui paie commande ; or, en l’occurrence, ce n’est pas le cas ! Le maire de Paris pourrait confier aux ASP une mission identique à celle qu’ils exercent aujourd’hui – le contrôle du stationnement – ou profiter de la dépénalisation du stationnement payant pour confier cette mission à un prestataire extérieur et réorienter l’action des ASP vers la prévention et la répression des petites incivilités ; leur statut le permet déjà, mais, dans les faits, ces missions leur échappent actuellement.
La proposition de loi prévoit enfin une réforme en profondeur de la préfecture de police. Elle continuerait à assurer la coordination des forces de police nationale, mais ses compétences seraient réduites par rapport au droit en vigueur pour devenir comparables à celles des préfectures dans les villes à police étatisée. La préfecture de police pourrait ainsi se concentrer sur des tâches à caractère régalien, comme la protection des institutions de la République.
La commission des lois a souscrit à l’objectif du présent texte, car il lui a semblé nécessaire de renforcer les pouvoirs de police et donc les responsabilités du maire de Paris. Il s’agit de poursuivre la démarche entamée depuis 1975, afin d’aligner le droit applicable à Paris sur celui qui s’applique aux autres communes de France.
La commission a toutefois souhaité circonscrire précisément le champ de la proposition de loi à la police générale et à la police spéciale du stationnement et de la circulation, alors que sa rédaction initiale ouvrait la voie au transfert de certaines polices spéciales du code général des collectivités territoriales, comme la police des funérailles. La commission a en effet jugé préférable d’adopter une démarche progressive, consistant à confier d’abord, par cette proposition de loi, un pouvoir de police générale au maire, avant d’envisager, dans un second temps, un transfert de polices spéciales.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous invite à adopter le texte dans la rédaction qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)