M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’industrie nucléaire française est le résultat de choix courageux réalisés par l’État dans les années cinquante dans le domaine militaire, puis dans les années soixante dans le domaine civil. Notre réseau de centrales nucléaires nous permet d’équilibrer nos besoins énergétiques en alimentant la demande continue d’énergie sur l’ensemble de notre territoire. Depuis soixante ans, le nucléaire fait partie de notre quotidien. C’est un héritage à entretenir et à transmettre, faute d’alternatives équivalentes, pour garantir à terme une véritable transition énergétique.
Toutefois, si cette technologie, assurant une part de l’indépendance énergétique de notre pays, est une réponse adaptée aux besoins des Français, elle présente des risques.
Depuis les événements de Fukushima, nous savons à quel point nos sociétés sont exposées au risque naturel, dont les conséquences, nous le savons également, peuvent être extrêmement graves sur un site nucléaire. Le risque n’est plus seulement lié à des défaillances techniques et humaines, comme ce fut le cas lors de la catastrophe de Tchernobyl ; il peut se présenter sous d’autres formes, que nous devons également prendre en considération.
À la suite des orientations historiques de sa politique énergétique, la France est devenue le pays le plus équipé. Elle est par conséquent particulièrement exposée.
À cet égard, l’Autorité de sûreté nucléaire applique de nouvelles normes afin de renforcer la sécurité de nos centrales. Toutefois, les questions sécuritaires demeurent face à de nouvelles menaces. Ainsi, nous devons rester en alerte au regard de l’activisme et du terrorisme, véritables défis. Nous savons à quel point notre pays est exposé à des attaques de natures diverses. Nous ne pouvons pas exclure le risque d’intrusion au cœur d’une centrale nucléaire, dont les conséquences pourraient provoquer des dommages à la fois irrémédiables et d’une ampleur sans précédent pour notre territoire.
Le risque nucléaire est imprévisible. Il peut prendre d’innombrables formes : la volonté de nuire, l’erreur humaine, la défaillance technique, une catastrophe géologique ou climatique. Il suffit qu’il se réalise une fois pour créer des dommages irréparables. Dès lors, tout doit être mis en œuvre pour faire face à cette menace et éviter le pire.
La proposition de loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires vise à sanctionner les auteurs d’actes présentant des risques identifiés, connus, prévisibles, en l’occurrence de malveillances intentionnelles, d’intrusions indésirables et d’infractions.
Il en va ainsi des survols de drones, phénomène nouveau. Près de soixante-sept survols, aux origines et intentions inconnues, nous conduisent à nous interroger. Personne ne peut dire qui sont les auteurs de ces actes : plaisantins en mal d’adrénaline, militants écologistes, industriels testant leur matériel, espions ou terroristes potentiels ? De même, la recrudescence d’intrusions de militants antinucléaires force à faire évoluer les dispositions applicables à la sécurité des sites.
Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il est urgent de résoudre le problème des incursions dans les centrales et du survol de celles-ci par des drones. En effet, si de tels agissements avaient des motivations plus dangereuses que celles qui sont constatées actuellement, la situation deviendrait critique. Protéger les centrales nucléaires est un enjeu de sécurité nationale.
Du côté des pouvoirs publics, le Livre blanc a bien mis en évidence que le nucléaire était un secteur vital pour notre pays, mais sensible au regard de l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité et l’approvisionnement énergétique. Notre droit positif, notamment le droit pénal, restait cependant désarmé face à cette nouvelle génération de risques.
Nous devons lever cette incertitude, en apportant à nos concitoyens des éléments de réponse aux craintes d’un attentat nucléaire sur notre sol. Il est nécessaire de préparer l’avenir et de parer les carences de notre système répressif en la matière. Face à cette nouvelle menace, l’inadaptation du droit pénal – cela a été rappelé – conduit le juge à retenir des qualifications sous-dimensionnées et inadaptées ; je pense notamment à la violation de domicile, prévue par l’article 226-4 du code pénal et punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Notre droit doit évoluer.
Par ailleurs, la sanction est d’autant moins dissuasive qu’elle ne s’applique que si l’effraction est constatée. Elle est répressive, mais elle ne dissuade ni le terroriste ni le militant antinucléaire.
Dans le prolongement des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique, la présente proposition de loi vise à instituer une infraction et des sanctions afin de protéger du risque d’intrusion les installations civiles abritant des matières nucléaires.
Le texte initialement déposé prévoyait de renforcer les conditions d’accès aux installations nucléaires civiles en classant celles-ci parmi les « zones de défense hautement sensibles ». Ce classement permet de dégager des militaires des pelotons spécialisés de protection de ces sites de toute responsabilité pénale et de les autoriser à faire usage de la force armée, si nécessaire, après avoir suivi un protocole bien établi.
Ce dispositif a profondément évolué lors de l’examen de la présente proposition de loi par l’Assemblée nationale. L’article 1er crée désormais un dispositif pénal spécifique au délit d’intrusion dans les installations civiles abritant des matières nucléaires. Il permet ainsi de graduer la gravité de l’effraction ; il prévoit un système de peines complémentaires et trois niveaux de circonstances aggravantes, pouvant porter les condamnations à plus de sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende.
Cette orientation nous paraît plus adaptée à une logique de dissuasion des incursions sauvages par le droit. L’Assemblée nationale nous a fourni un texte respectueux des libertés publiques et qui apporte des garanties à notre État de droit. Chacun demeure libre d’exprimer ses opinions et ses engagements politiques, mais dans la stricte voie de la légalité et dans le respect de la sécurité de tous. Les militants antinucléaires ne sont donc pas lésés.
Personne ne gagne à répandre la peur au sein de notre société. La peur elle-même n’est pas propice au débat démocratique. La question de la sûreté nucléaire est trop lourde de conséquences pour être traitée sous le coup de la panique et de l’angoisse des incursions militantes.
Cela étant, un équilibre normatif ressort du texte. C’est pourquoi, fort de ces avancées, le rapporteur et la commission ont fait le choix de ne pas modifier la présente proposition de loi et de se prononcer en faveur d’un vote conforme, afin d’en accélérer la promulgation.
Je tiens à saluer tout particulièrement la grande qualité du travail de Xavier Pintat, spécialiste reconnu de ces questions. En tant que rapporteur, il a sagement complété l’information mise à disposition par l’Assemblée nationale, tout en respectant la qualité du texte.
Aussi, compte tenu de l’urgence à prendre des mesures efficaces, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur du renforcement de la sécurité des sites nucléaires, tel que prévu dans la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, nous examinons ce soir un texte qui fait largement consensus. Mon intervention sera donc en parfaite cohérence, pour ne pas dire redondante, avec celles des orateurs précédents.
Il s’agit, par cette proposition de loi, de renforcer la protection des sites nucléaires civils. Dans un contexte de risques accrus, dont les attentats du mois de janvier ont été un tragique révélateur, il est évident que ces sites hautement stratégiques et déterminants pour l’indépendance énergétique de notre pays doivent bénéficier d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics.
Néanmoins, la problématique est ancienne et aurait dû obtenir depuis longtemps une réponse de l’État. En effet, depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont connu près d’une quinzaine d’intrusions, ou tentatives d’intrusion, illégales. Il s’agissait certes d’actions militantes à visée contestataire menées par des activistes antinucléaires, donc a priori sans conséquence sur la sécurité des sites.
Il n’en reste pas moins que ces intrusions sont préoccupantes. Ces groupes d’activistes sont souvent multinationaux ; ils peuvent être infiltrés par des éléments non pacifiques, et le risque de voir de faux militants se mêler à ces organisations ne peut être totalement écarté. Par ailleurs, si un militant pacifique est capable de pénétrer dans ces sites, comment un terroriste, disposant de beaucoup plus de moyens et mal intentionné qu’il est, pourrait-il en être empêché ?
Sans tomber dans la paranoïa excessive, même si, à ce jour, aucune de nos centrales n’a eu à subir d’attaque ou de sabotage, il n’est nul besoin de rappeler que le risque terroriste est bien présent et plus que jamais d’actualité. Des attaques ont d’ailleurs visé des installations énergétiques à l’étranger ces dernières années : en 2010 dans le Caucase russe, en 2013 en Algérie, au Pakistan et au Niger.
Rappelons par ailleurs que notre pays compte cinquante-huit réacteurs nucléaires, et que près de la moitié de la population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une centrale. Cette question constitue donc un enjeu de sécurité publique, au-delà même des personnels travaillant sur les sites.
Pourtant, la France restait l’un des rares pays occidentaux à ne s’être pas encore doté d’un arsenal juridique adapté et complet en matière de répression des intrusions sur ces sites hautement sensibles. Il est pour le moins étonnant de constater que l’envahissement d’une infrastructure protégée ne relevait d’aucun délit spécifique, les auteurs étant simplement poursuivis pour violation de domicile, ce qui est peu dissuasif et, en tout cas, pour le moins inadapté. En application de la législation actuellement en vigueur et en fonction de la nature des faits commis, les peines allaient de six mois à un an d’emprisonnement.
Par ailleurs, les infractions constatées ont toujours joui d’une relative clémence. Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Colmar à l’encontre des militants qui s’étaient introduits le 18 mars 2014 au sommet du dôme du réacteur de la centrale de Fessenheim, jugement qui s’est soldé par deux mois de prison avec sursis, atteste de cette évidente clémence. De telles réponses pénales ne sont pas à même d’être dissuasives ; elles sont inadaptées au contexte sécuritaire actuel et à l’importance stratégique, énergétique, économique des sites nucléaires civils.
La présente proposition de loi, qu’il faut saluer, a fait l’objet de nombreux échanges avec le Gouvernement. Elle comble heureusement un relatif vide juridique et crée un régime pénal spécifique en vue d’améliorer la sécurité des installations en cause. Le dispositif proposé prévoit une échelle de peines plus sévères en fonction de trois niveaux de circonstances aggravantes. De plus, les tentatives d’intrusion seront punies de la même manière que les délits effectivement accomplis.
D’aucuns se sont inquiétés – on peut le comprendre – de ces nouvelles dispositions, considérées comme une atteinte au droit de manifester et de contester des organisations militantes de nature pacifique. Qu’ils soient rassurés ; de fait, aucune liberté publique, aucun droit fondamental ne se trouve réduit ou menacé, puisqu’il reste tout à fait possible d’exercer son droit d’expression, légitime et inaliénable, à l’extérieur des sites sensibles.
Soulignons donc que le texte se contente de diminuer le risque d’actions malveillantes, en introduisant des sanctions réellement dissuasives.
Pour autant, cette proposition de loi représente une avancée certaine, mais encore quelque peu insuffisante. Renforcer la sécurité de sites aussi stratégiques et potentiellement fortement dangereux en cas de malveillances avérées ne peut pas se limiter à un alourdissement des peines encourues.
Certes, les sites nucléaires civils du groupe EDF sont protégés par une force militaire spécialisée, et ceux du CEA ou d’Areva, deux opérateurs majeurs du secteur, le sont par des forces civiles de protection. Mais est-ce suffisant dans le contexte actuel de risques exacerbés ?
À propos de la protection de l’espace aérien, qui relève de l’armée de l’air, je souhaite évoquer, comme d’autres avant moi, la menace potentielle que pourraient représenter les survols de drones au-dessus des centrales.
Sur ce point, les questions techniques et juridiques restent nombreuses ; M. le rapporteur y a fait référence. À ce stade, il n’a pas été possible d’apporter une réponse législative satisfaisante.
Je salue donc l’initiative du Premier ministre, qui, après le recensement de soixante-sept survols illégaux, a décidé de lancer une démarche interministérielle coordonnée avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, afin d’identifier les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises pour faire face à de tels phénomènes. Selon les informations dont nous disposons, la réflexion serait déjà bien avancée. On ne peut que s’en féliciter.
Par ailleurs, il convient de saluer la disposition introduite à l’article 2 par nos collègues députés : le Gouvernement associera le Parlement à l’étude de cette question, avec obligation de lui soumettre un rapport avant la fin du mois de septembre prochain.
Par conséquent, et malgré les limites du texte, qui ont déjà été soulignées par M. le rapporteur, le groupe socialiste votera cette proposition de loi, afin que ses dispositions puissent entrer en application le plus rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il faut le reconnaître, la présente proposition de loi, même si elle ne fait pas consensus, a au moins le mérite de permettre au Parlement de s’exprimer enfin sur la sécurité des installations nucléaires en France. Il était temps !
Il semblerait que nous sortions enfin de l’angélisme, de l’aveuglement et du déni qui entouraient jusqu’à présent ce sujet. Mais, en réalité, il s’agit là d’une prise de conscience déguisée. Et c’est un sentiment de grande incompréhension et de stupéfaction qui domine au sein du groupe écologiste à lecture du texte qui nous est proposé. Admettez, chers collègues, que la sécurité des installations nucléaires et, par conséquent, la sécurité des français, sujets ô combien importants, méritaient un peu plus de sérieux et d’ambition.
À en juger l’intitulé de la proposition de loi, ce texte a pour objectif le renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires. Il s’agit là d’un impératif ! Depuis des années, les écologistes vous alertent sur la grande porosité de nos installations. Le contexte actuel faisant, la menace terroriste étant particulièrement accrue et les survols de drones se multipliant depuis plusieurs mois, nous avons ce débat aujourd'hui. En effet, une attaque terroriste sur nos installations serait dramatique, irréparable et apocalyptique !
Mais, à la lecture de l’article 1er, qui créé un régime pénal spécifique sanctionnant les intrusions illégales, force est de constater que le présent texte ne vise en réalité aucunement à renforcer la protection des installations nucléaires. Si tel avait été l’objectif, nous l’aurions partagé ! Or rien n’est prévu pour contrer les menaces réelles. Vous avez vous-même reconnu, mes chers collègues, que les peines prévues ne dissuaderaient pas les terroristes. Sur ce point, je ne puis que vous approuver ! Ces peines sont en effet inopérantes face à la détermination de tels individus. L’intitulé de la proposition de loi est donc, au mieux, inapproprié et, au pire, fallacieux !
En fait, le texte vise à sanctionner les actions militantes.
M. François Bonhomme. Délictuelles !
Mme Leila Aïchi. En somme, vous nous proposez un texte anti-activistes, anti-Greenpeace, anti-manifestants et anti-lanceurs d’alerte.
Or, monsieur le rapporteur, vous écrivez vous-même que ces intrusions ne représentent pas de « menace directe en termes de sécurité ». Malgré ce constat, il est prévu une gradation des peines allant jusqu’à 100 000 euros d’amende et sept ans d’emprisonnement.
Vous comprendrez donc la stupéfaction des écologistes, eu égard à un régime de sanctions aussi disproportionné qu’inefficace. En réalité, celui-ci n’a qu’une finalité : criminaliser des actions militantes pacifistes indispensables à nos sociétés démocratiques !
Que faut-il pénaliser le plus ? Des manifestants pacifiques qui tentent d’alerter l’opinion et qui risquent une amende à hauteur de 100 000 euros, comme vous le proposez, ou une fuite de matières radioactives dans l’environnement, accident pour lequel EDF a écopé d’une simple amende de 7 500 euros ?
Que faut-il pénaliser le plus ? Des lanceurs d’alerte qui cherchent à avertir les citoyens sur les dangers du nucléaire et qui risquent sept ans d’emprisonnement ou le déchargement illégal de gravats radioactifs, pour lequel EDF a dû payer une amende de 3 750 euros ?
Où est la justice ? Où est la logique ? Nous sommes bien loin du simple effet dissuasif !
Ô combien aurait-il été plus pertinent de débattre de la responsabilité des opérateurs qui sont parties prenantes de la sécurité de nos installations nucléaires ! Plutôt que de renforcer la sécurité, vous vous attaquez honteusement à ceux qui en révèlent les failles et les faiblesses.
Mes chers collègues, soyons honnêtes : si les intrusions de militants se sont multipliées ces dernières années, c’est d’abord parce qu’elles ont été possibles ! C’est aussi parce que les protocoles de sécurité n’étaient pas adaptés ! Et c’est surtout parce que les militants n’ont pas été arrêtés avant de pénétrer dans les installations !
Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est bien parce que ces militants, ces lanceurs d’alerte pacifistes ont montré que les procédures prévues pour la protection de nos installations civiles étaient inefficaces, inadaptées et obsolètes.
Pénaliser de telles actions, c’est indirectement étouffer le débat, amoindrir sa vivacité et, in fine, encourager l’inertie en la matière.
Réduire la lutte contre les intrusions dans des installations abritant des matières nucléaires à une approche simplement normative, comme vous le faites, concourt à une vision tronquée et simpliste du problème.
Quid des moyens ? C’est la vraie, la seule question que nous devons nous poser. Pourtant, le présent texte, dans lequel sont proposées des mesures de façade, contourne le problème et entretient le mythe de l’infaillibilité des installations nucléaires. Nous remettons à plus tard les questions que nous devrions pourtant aborder aujourd’hui. Il s’agit avant tout d’un problème de moyens !
J’ai bien compris que nous ne débattions pas ce soir de l’avenir de l’énergie nucléaire en France. Mais, en qualité de parlementaire écologiste convaincue, permettez-moi une légère digression en guise de conclusion.
Finalement, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est aussi parce que l’approvisionnement énergétique de la France repose largement sur une énergie dangereuse et incontrôlable.
Alors que le Gouvernement estime que la filière nucléaire a un avenir, qu’elle constitue une force pour notre pays et qu’Areva, avec un déficit de 8 milliards d’euros, pâtit simplement de la conjoncture du marché mondial, je ne peux que regretter l’inconséquence, le dogmatisme et l’irrationalité des débats dès lors que l’on aborde le tabou du nucléaire ! Et c’est précisément ce même aveuglement irresponsable que nous retrouvons dans ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour à la demande du groupe UMP, avait été déposée au mois de septembre 2013 à l’Assemblée nationale, dans le contexte particulier de l’accident d’une centrale nucléaire japonaise.
À la suite de la catastrophe humanitaire, économique et écologique qu’a entraînée cet accident, l’Agence internationale de l’énergie et, en France, l’Autorité de sûreté nucléaire avaient fermement invité les opérateurs du secteur nucléaire à revoir drastiquement la sécurité de leurs installations. S’étaient ensuivis des réflexions et de nombreux débats sur le bien-fondé de l’utilisation de l’énergie nucléaire et la sûreté des installations qui la produisent.
Dans le même temps, le questionnement sur l’énergie nucléaire s’est élargi à la sécurité et à la protection des installations ; il a été tenté de trouver des solutions pour faire face à d’éventuels attentats terroristes et à la multiplication d’intrusions physiques illégales.
C’est, en définitive, sur ce dernier point, certes limité, que porte la présente proposition de loi. Il faut donc la considérer pour ce qu’elle est. Ce n’est ni un manuel de sécurité antiterroriste ni un vade-mecum d’amélioration des protocoles de sécurité de nos centrales nucléaires. Le texte part d’une réalité tangible : le grand nombre d’intrusions, par la force et l’utilisation, parfois, de moyens violents, dans l’intention de démontrer la vulnérabilité de certains sites abritant des matières nucléaires.
Depuis une dizaine d’années, les intrusions répétées dans au moins une dizaine de centrales nucléaires françaises, menées tout particulièrement par des militants antinucléaires, ont peut-être mis en lumière des failles de sécurité, au plan tant terrestre que, récemment, aérien. Mais ces intrusions, de plus en plus fréquentes, présentent des risques pour les salariés des centrales, pour les gendarmes de pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie, mais également, il faut le dire, pour les militants eux-mêmes. Ces événements sont aussi particulièrement préoccupants. Ils visent à mettre en doute par des moyens discutables la sécurité des centrales nucléaires et la fiabilité de leurs mesures de protection.
Certes, jusqu’à présent, ces intrusions se sont toujours révélées sans menace directe et sans risque majeur pour la sécurité des populations et des installations, qui n’ont, pour l’instant, eu à subir ni attaque terroriste ni sabotage.
Toutefois, au lendemain des attentats meurtriers qui ont frappé notre pays, nous ne pouvons pas ignorer l’éventualité de ce type d’attaques, dont les conséquences seraient potentiellement désastreuses, alors que la moitié de la population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une centrale.
La présente proposition de loi tente ainsi de répondre à une telle situation sur le seul terrain juridique, en modifiant un dispositif pénal que l’on peut effectivement considérer comme devenu inadapté à ce type d’intrusions.
Il me semble nécessaire de trouver un dispositif pénal proportionné à la gravité de tels actes, dont il ne faut évidemment pas non plus surestimer les conséquences. C’est pourquoi il est créé, à juste titre, un délit spécifique applicable aux intrusions ou tentatives d’intrusion ; cela permet de les caractériser et de les distinguer d’une simple violation de domicile ou d’un acte terroriste.
Le dispositif prévoit en outre une adaptation de la sanction aux circonstances et permet également de sanctionner la personne morale instigatrice de telles actions.
Cela étant, je comprends que l’on puisse contester le nucléaire comme source d’énergie. Nous devrions néanmoins tous nous accorder pour l’amélioration de la sécurité des sites. De plus, je ne pense pas que de telles opérations, aussi médiatiques soient-elles, contribuent réellement au débat démocratique, sérieux et serein sur le nucléaire.
En conséquence, j’estime que les mesures contenues dans cette proposition de loi n’entravent pas la liberté d’expression de ceux qui contestent l’énergie nucléaire en tant que telle. Cette liberté peut toujours s’exercer partout en dehors de ces sites sensibles.
Toutefois, je suis bien consciente que ce nouveau délit ne peut pas être vraiment dissuasif à l’encontre de terroristes potentiels. Tout au plus permettra-t-il d’éviter que de tels individus ne s’infiltrent parmi les groupes pénétrant dans une installation.
Sur le fond, les questions relatives à la sécurité et à la protection de ces sites contre diverses menaces ne trouveront pas de réponse uniquement dans une loi. Légiférer sur ce point n’a de sens qu’en fonction de la légitimité démocratique que l’on veut attribuer à telle ou telle disposition technique.
Ainsi, il est maintenant nécessaire de réfléchir aux conditions dans lesquelles il faut protéger nos installations nucléaires contre la nouvelle menace que pourrait représenter le survol par des types d’avions sans pilote que sont les drones. Faudra-t-il légiférer ? Vraisemblablement. Mais attendons pour cela le rapport du Secrétariat général du Gouvernement, prévu à l’automne, sur l’évaluation des risques et les solutions techniques et capacitaires à apporter à cette problématique nouvelle.
À cet égard, la méthode qui figure à l’article 2 du présent texte est, à mes yeux, la bonne, à savoir une délibération sur le rapport du Parlement, qui en tirera éventuellement les conséquences législatives.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC voteront la proposition de loi dans le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, parce que la France possède le deuxième parc mondial d’installations nucléaires civiles, il est important que la sûreté et la sécurité nucléaires fassent toujours l’objet d’une attention soutenue et constante, de la part aussi bien des pouvoirs publics que des opérateurs.
Les accidents très importants, ou plus exactement les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, ont bien sûr frappé l’opinion publique. Pourtant, un sondage BVA de 2013 révélait que 67 % des Français étaient favorables à la production d’énergie par les centrales nucléaires, lesquelles – rappelons-le – produisent environ 75 % de nos besoins en électricité.
Depuis longtemps, notre pays a fait le choix de l’indépendance énergétique. En attendant que la politique de transition énergétique produise tous ses effets, ce qui prendra certainement du temps, il est essentiel de maintenir un climat de confiance et de totale sécurité au sujet de notre potentiel de production électronucléaire. Pour cela, il faut apporter les bonnes réponses à chacun des enjeux de sécurité liés au nucléaire civil, qu’il s’agisse de la protection des populations en cas d’accident, de la sûreté, de la radioprotection ou de la lutte contre les actes de malveillance.
Il faut le reconnaître, le dispositif de sécurité du secteur de l’énergie nucléaire, profondément rénové depuis une dizaine d’années, est globalement satisfaisant. En outre, dès que cela est nécessaire, le législateur l’adapte aux nouvelles menaces, telles que celles qui sont liées au terrorisme ou à la cybercriminalité. Je pense, par exemple, à la loi de 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, qui contient des mesures visant à renforcer la sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance.
Cependant, comme les orateurs précédents l’ont rappelé, il arrive que des événements très médiatisés mettent en lumière des failles quant à l’accès aux centrales nucléaires. En effet, les installations françaises font l’objet d’intrusions plus ou moins spectaculaires, par voie terrestre ou aérienne.
Si la présence de militants antinucléaires à l’intérieur d’une centrale civile ne représente pas une menace directe, on ne peut pas laisser se poursuivre ces initiatives considérées comme de simples délits de violation de domicile !
En prévoyant une infraction et des sanctions adaptées au caractère sensible des sites nucléaires, l’article 1er du texte de nos collègues députés est opportun. Le groupe du RDSE est bien entendu favorable au dispositif proposé, qui fait d’ailleurs l’objet d’un large consensus.
À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler à ceux qui émettent des réserves, voire davantage, que manifester librement n’autorise pas dans le même temps à commettre un délit. Par exemple, rien n’interdit aux militants antinucléaires d’exprimer leurs convictions aux abords du site, à condition de ne pas y pénétrer par effraction, en toute illégalité ! En cas de non-respect de la loi, il doit y avoir sanction, en l’occurrence des sanctions pénales fortes.
En outre, ces actions posent problème aux pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie qui sont chargés de la protection des sites. Tant que ces personnels pensent que les intrusions sont le fait de militants pacifiques, tout va bien ; mais s’ils devaient soupçonner la présence de personnes vraiment malintentionnées ou infiltrées dans un groupe, quelle serait leur marge d’action pour être efficaces sans créer de dommages collatéraux importants ? Les forces de l’ordre ont besoin de clarté pour exercer sereinement leurs missions. La présente proposition de loi apporte une première réponse par la dissuasion, si je puis dire.
Je rappellerai, enfin, que l’Agence internationale de l’énergie atomique ainsi que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, ont recommandé un régime d’infractions et de sanctions adapté aux cas des installations civiles abritant des matières nucléaires.
Le second article du texte prévoit la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement avant le 30 septembre prochain sur la question des survols illégaux par des drones des sites abritant des activités nucléaires. Il est en effet urgent de traiter ce phénomène qui se développe et qui suscite des inquiétudes légitimes.
Au sein de l’OPECST, nous avons eu l’occasion de nous pencher sur cette question à la fin de l’année dernière. Il ressort des auditions, notamment de l’avis du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, que ces drones civils n’ont pas actuellement les capacités techniques de détériorer des installations nucléaires. Cependant, ils peuvent faire du repérage et du recueil d’informations dans un but malveillant. Dans la perspective de l’éventuelle amélioration capacitaire de ces aéronefs, il serait utile de compléter le cadre juridique de leur utilisation.
Mes chers collègues, que l’on soit pour ou contre le nucléaire, le fait est que la France possède cinquante-huit réacteurs sur son territoire. Par conséquent, il est de notre responsabilité en tant qu’élus d’améliorer leur sécurité. C’est pourquoi le groupe du RDSE approuvera à l’unanimité le présent texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP.)