M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Hervé Maurey. Quant au volet institutionnel, sa mise en œuvre semble à ce stade suspendue à la fin des violences.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par notre vote aujourd’hui, nous n’exprimerons pas seulement notre approbation à cet accord, nous manifesterons aussi notre volonté que la France poursuive ses efforts avec la plus grande détermination afin de faire émerger une solution politique durable. Nous manifesterons notre volonté que l’Ukraine retrouve une situation pacifiée et stabilisée. Nous manifesterons notre volonté de renforcer les liens d’amitié et de solidarité entre l’Ukraine et l’Europe.
Cela nécessitera, nous le savons, un dialogue constant et constructif, mais aussi de la fermeté, avec l’ensemble des parties prenantes et bien entendu la Russie.
Soyez certain, monsieur le secrétaire d’État, que nous serons très attentifs aux initiatives qui seront prises par le Gouvernement sur ce point dans les prochains jours et les prochaines semaines.
Vous pourrez compter sur notre engagement dans le dialogue parlementaire entre nos deux pays. Notre groupe d’amitié ira d’ailleurs dans les prochaines semaines en Ukraine pour se rendre compte par lui-même de la situation dans le pays. Il poursuivra ainsi les efforts engagés par le président du Sénat, qui est très attaché au rôle de la diplomatie parlementaire, pour une coopération concrète en matière de décentralisation, cela afin d’accompagner la mise en œuvre du volet institutionnel des accords de Minsk.
Cette volonté du président du Sénat m’a conduit à me rendre à Kiev, voilà quelques semaines, afin de remettre un message de sa part au président de la Rada et lui faire part de l’engagement du Sénat dans ce domaine.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai ce projet de loi avec enthousiasme et conviction, et je vous invite à en faire autant. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, comme les orateurs qui m’ont précédé, à saluer chaleureusement la présence dans notre tribune d’honneur de représentants de la Rada, venus spécialement à Paris pour suivre nos débats.
Il faut le rappeler, c’est dans un contexte géopolitique qui reste extrêmement tendu que nous débattons aujourd’hui de ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.
Le groupe écologiste votera évidemment en faveur de ce texte. En effet, nous croyons sincèrement que cet accord constitue une base pertinente sur laquelle nous pouvons consolider nos relations avec l’Ukraine. Nous estimons que ce serait une grave erreur que d’ignorer le choix libre d’un peuple européen de se rapprocher de valeurs si chères à l’Union européenne que sont la démocratie, l’état de droit et le respect des libertés fondamentales. Nous saluons donc ce texte, qui s’attèle à renforcer le dialogue politique et les relations commerciales avec l’Ukraine.
En ce qui concerne le volet relatif à l’accord de libre-échange complet et approfondi, les réserves que nous pourrions avoir sur certains points spécifiques ne doivent pas nous empêcher de considérer que, dans le contexte si particulier du moment, une telle intégration économique constitue globalement une réponse adaptée aux impacts provoqués par les embargos russes sur l’économie ukrainienne.
Cet accord prévoit également une coopération en matière de nucléaire civil. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que pour nous, écologistes, il ne s’agit pas là d’une source d’énergie que nous considérons comme propre ou sûre.
M. Robert del Picchia. Évidemment ! (Sourires.)
M. André Gattolin. Mais, faute de mieux, il faut reconnaître que cette disposition permettra a minima de réduire les risques, vu le caractère vieillissant du parc nucléaire ukrainien.
M. Christian Cambon. C’est plein de bon sens !
M. André Gattolin. Ce volet permettra aussi de desserrer le lien de dépendance à l’égard de la Russie en matière d’entretien des centrales nucléaires, en particulier du site de Tchernobyl.
Je relève également que la sécurisation du réseau ukrainien de transit de gaz naturel permettra à l’Union européenne de sécuriser son propre approvisionnement énergétique.
Dans cette période de transition que traverse l’Ukraine, l’Union européenne peut devenir un véritable élément stabilisateur, en accompagnant le processus de réformes. Il existe aujourd’hui, en effet, une réelle volonté politique ukrainienne de mener de grandes réformes. Certains de ces chantiers ont ainsi déjà débuté, et c’est là un signal fort encourageant. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Bien sûr, le processus de réformes encore à engager pour consolider la démocratisation du pays prendra du temps. La France comme l’Union européenne se refusent, pour l’instant, à envisager la possibilité d’une intégration pleine et entière de l’Ukraine au sein de l’Union européenne.
Néanmoins, et devant l’ampleur d’un défi qui n’est rien moins que la mise en œuvre d’un processus réel de désoviétisation – ou de « dé-post-soviétisation » – du pays, nous croyons que l’Union européenne et ses États membres ne doivent pas avoir peur de voir plus loin, d’aller plus loin, en ouvrant le plus rapidement possible le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. C’est la seule mesure à même d’assurer un cadre et un calendrier appropriés aux indispensables réformes que nous attendons.
Enfin – et cela dépasse naturellement le strict cadre du présent projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association –, l’Union européenne et ses États membres doivent à très court terme relever un autre type de défi : celui qui consiste à contrer les campagnes de désinformation massives actuellement menées par la Russie.
L’Union européenne est d’ailleurs très préoccupée par cette manipulation de l’information. Federica Mogherini, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, élabore en ce moment, et en prévision du prochain Conseil européen de juin, un important plan d’action sur la communication stratégique à avoir.
À l’échelle des citoyens, je veux profiter de mon intervention pour saluer la belle et très sérieuse initiative de plateforme collaborative des étudiants de l’école de journalisme de Mohyla à Kiev, qui s’attèle depuis plus d’un an, au jour le jour, à déconstruire et contrer la désinformation russe.
L’usage intensif des outils numériques et des réseaux sociaux par le Kremlin pour diffuser sa propagande dans les médias crée en effet un véritable désordre. Je partage pleinement l’avis du rapporteur, M. Daniel Reiner, quand il affirme qu’il faut absolument démentir ce qui est infondé et met de l’huile sur le feu.
Ainsi, il est faux d’affirmer que la ratification de cet accord avec l’Union européenne ait pour conséquence d’empêcher tout autre partenariat commercial de l’Ukraine, par exemple avec la Russie ou encore l’Union eurasiatique.
Il est également faux d’affirmer que l’Union européenne négocie sans tenir compte de la position russe, alors que celle-ci a accepté en particulier de reporter au 1er janvier 2016 l’entrée en vigueur du volet commercial de l’accord.
Des consultations trilatérales sont ainsi organisées pour identifier les problèmes posés à la Russie. De ce point de vue, la nouvelle demande des autorités russes de reporter au 1er janvier 2017 l’entrée en vigueur de l’accord semble surtout démontrer que les autorités russes rencontrent quelques difficultés à identifier leurs propres problèmes.
Pour conclure et pour resituer une dernière fois l’importance de l’enjeu ukrainien pour l’Europe, je me référerai à l’étymologie même du mot « Ukraine », qui, en ukrainien comme en russe, signifie « région située à la frontière ». Cela ne peut en aucun cas constituer un alibi pour estimer que l’Ukraine serait condamnée à rester entre deux mondes, ce qui serait une manière commode de nier la vassalisation de fait qu’implique cette perspective.
Au cours des dix-huit derniers mois, les Ukrainiens ont démontré la force et la détermination de leur choix en faveur de la démocratie, de l’État de droit et de la participation au projet européen. Leur combat est un magnifique combat, et je crois sincèrement qu’il doit être aussi le nôtre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur la ratification d’un accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine signé par le gouvernement ukrainien les 21 mars et 27 juin 2014, puis ratifié par la Rada le 16 septembre 2014.
Je rappelle ces dates et ces faits, parce qu’il faut connaître le processus de l’accord pour en comprendre la portée et les enjeux. Le refus par un gouvernement pro-russe de le signer a été à l’origine de la guerre civile et de la quasi-partition du pays en 2013. Aujourd’hui encore, c’est au cœur de l’actualité politique de la région.
La ratification de cet accord interviendrait donc dans le contexte très sensible du conflit de haute intensité qui se déroule depuis un an dans l’est de l’Ukraine, au moment où les récents accords dits de « Minsk II », dont notre pays est l’un des garants, s’efforcent avec difficulté de mettre en œuvre des solutions politiques pour y mettre fin.
Nous sommes donc particulièrement concernés. Nos actes auront inévitablement des répercussions sur l’évolution de la situation dans la région.
Il faut aussi avoir à l’esprit que, en arrière-plan du premier sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine, qui s’est tenu à Kiev le 27 avril, figurait la mise en œuvre de cet accord d’association, vital pour le maintien au pouvoir du gouvernement ukrainien.
Force est de constater que les représentants européens se sont montrés particulièrement prudents. Ils ont demandé des résultats effectifs sur les réformes promises par l’exécutif ukrainien.
Malgré cela, la seule véritable annonce du sommet a été la réaffirmation que l’accord d’association entrerait bien en vigueur le 1er janvier 2016, son application concrète dépendant des consultations trilatérales avec la Russie.
C’est cette prudence de l’Union européenne qui explique la prise en compte assez large, pendant le sommet, des préoccupations des Russes en termes aussi bien d’approvisionnements gaziers que d’application du processus de paix dans le Donbass.
Cela explique également que l’appel du Président ukrainien au déploiement d’une force européenne de maintien de la paix n’ait pas été suivi d’effets.
En revanche, l’Union européenne a exigé des Ukrainiens des engagements substantiels en faveur des accords de Minsk, et ce malgré les violations du cessez-le-feu qui s’intensifient dans le Donbass.
Dans un tel contexte, où le gouvernement ukrainien joue manifestement un rôle ambigu, est-il opportun de ratifier si rapidement cet accord ? La procédure accélérée a été engagée sur ce projet de loi, ce qui est assez inhabituel pour les accords internationaux de ce type. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette ratification par le Parlement français contribuera, ou non, à trouver une solution politique à la crise actuelle.
De plus, le contenu même de l’accord d’association avec l’Ukraine nous paraît critiquable. Il entre, nous le savons, dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne, dite de politique de voisinage. Or cette stratégie, au lieu de mettre en place chez nos voisins des politiques de coopération sur une base d’égalité et de réciprocité, vise en réalité à étendre la zone d’influence de l’Union européenne par le biais d’une libéralisation économique, afin d’instaurer une économie de marché dans les pays concernés.
En Ukraine, cette politique, en démantelant progressivement la structure étatique de l’économie et en favorisant la mise en coupe réglée des principaux secteurs stratégiques de l’industrie par des oligarques qui se sont partagé le pouvoir, a pris en otage la population, lui faisant subir des réformes ultralibérales dévastatrices !
Les Russes, de leur côté, ont perçu cette stratégie, qui vise de fait à instaurer un rapport de force, comme une menace directe contre les pays membres de l’Union eurasiatique.
N’entrons donc pas dans ce jeu, où l’Ukraine tient le rôle de tête de pont de l’économie libérale !
Notre pays gagnerait à ne pas s’inscrire dans une telle stratégie, qui veut isoler la Russie, sur fond de sanctions économiques et de surenchères militaires auxquelles la Pologne et les États-Unis poussent en permanence.
À la suite du sommet de Kiev, Angela Merkel, François Hollande, Petro Porochenko et Vladimir Poutine ont affirmé ensemble que l’apaisement sur le terrain était la « priorité absolue. » Nous y souscrivons pleinement.
Or les événements récents nous ont montré que le rapprochement économico-institutionnel avec l’Union européenne n’était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser la situation dans cette région.
Compte tenu de ces considérations et des tensions actuelles entre le gouvernement ukrainien, les éléments pro-russes de l’est de l’Ukraine et la Russie, la ratification de l’accord par notre pays nous semble prématurée. Nous ne pensons pas qu’elle apparaîtra comme un signe d’apaisement et qu’elle contribuera à aider un processus de paix.
Telles sont les raisons pour lesquelles la majorité du groupe CRC a décidé de voter aujourd’hui contre le présent projet de loi de ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue les membres de la délégation ukrainienne.
L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental, lancé pour donner une dynamique nouvelle à la politique de voisinage avec les pays de l’Est, plus particulièrement avec six d’entre eux : la Moldavie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Conçue pour favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans l’environnement immédiat de l’Union européenne, cette politique est bien évidemment souhaitable.
Nous avons clairement intérêt à développer un dialogue politique conduisant toutes ces républiques à mener les réformes indispensables en matière économique et institutionnelle ; je pense notamment à l’approfondissement de la démocratie. Les accords d’association vont en ce sens. Mais ce n’est pas exclusif. Il y a aussi des plans d’action et un outil financier, l’Instrument européen de voisinage, qui ont déjà produit des effets dans certaines des six républiques concernées.
Par ailleurs, des États membres de l’Union européenne entretiennent depuis plusieurs années des relations bilatérales avec ces pays. Ainsi, en Ukraine, les Alliances françaises sont très actives. La coopération décentralisée est également à l’œuvre, avec une quarantaine de jumelages entre villes françaises et ukrainiennes.
Pour autant, il reste encore beaucoup à faire pour que ces pays amis se hissent au niveau de nos standards européens, malgré les difficultés que nous connaissons.
Les membres du groupe du RDSE sont donc évidemment favorables au principe qui consiste à accompagner l’Ukraine dans son développement et son élan réformateur. Il faut encourager le développement économique de ce pays, qui dispose d’atouts et d’un formidable potentiel ; disant cela, je pense par exemple aux ressources minérales ou à l’agriculture. L’Ukraine offre à l’évidence des perspectives d’investissements et de commerce importantes pour ses voisins. Mais le climat des affaires devrait être plus serein pour que cela puisse se concrétiser.
Il faut le reconnaître, l’accord d’association comporte un certain nombre d’avancées en son titre III, qui concerne des points très importants : la justice, la liberté et la sécurité.
L’urgence paraît être à la consolidation des institutions judiciaires et de sécurité. L’Ukraine figure malheureusement en queue de peloton dans le classement sur la corruption de l’organisation Transparency international.
La Rada a adopté une stratégie anti-corruption pour 2014-2017, et les services de sécurité ont été largement réformés. Mais l’assassinat d’un député et d’un journaliste au mois d’avril dernier témoigne tragiquement des difficultés actuelles du pays, difficultés accentuées par la crise politique depuis 2013.
Ainsi que notre collègue rapporteur l’a indiqué, l’accord avec l’Ukraine intervient dans un contexte très sensible. Le conflit a fait plus de 6 000 morts. De nombreuses personnes ont été déplacées. Certes, les accords de Minsk des 11 et 12 février ont permis de contenir la situation, mais celle-ci reste instable, fragile, difficile.
Dans ces conditions, nous pouvons légitimement nous interroger sur la stratégie du Gouvernement visant à engager rapidement la procédure de ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine en vue du prochain sommet de Riga.
Comme vous le savez, nous pouvons tous ici souscrire aux objectifs de l’accord. Mais personne n’ignore le fond du sujet : sa portée politique à l’égard de la Russie, qui s’inquiète de la concurrence exercée par l’Union européenne au détriment de l’Union économique eurasiatique et d’une potentielle avancée de l’OTAN vers l’Est. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’esprit de nos amis russes, et il convient de le prendre en considération.
Notre diplomatie doit aussi se soucier de l’équilibre à trouver entre l’Europe, qui regarde légitimement vers l’Est, et la Russie, qui souhaite tout aussi légitimement conserver une aire d’influence, conformément à son histoire et à son poids sur la scène internationale. Il faut donc faire preuve de lucidité et d’honnêteté : des deux côtés, chacun peut avancer ses intérêts au regard de son passé et de son influence.
L’Ukraine constitue évidemment un point névralgique, pour les raisons géostratégiques, géopolitiques et historiques que nous connaissons tous. La Russie souhaite en faire une zone neutre, une zone tampon.
D’ailleurs, l’Ukraine est elle-même tiraillée entre Bruxelles et Moscou depuis 1991. La révolution de la place Maïdan en a été l’illustration. Si le pouvoir actuel est pro-occidental aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? Les liens historiques et culturels entre l’Ukraine et la Russie sont très forts !
Ainsi, le président ukrainien Leonid Koutchma déclarait que personne en Occident n’attendait l’Ukraine en 1996 et demandait l’intégration européenne en 1999.
Viktor Ianoukovitch a développé le même syndrome du louvoiement, en suspendant les discussions sur l’accord d’association avec l’Union européenne, contre la promesse de Vladimir Poutine d’une aide économique importante.
C’est donc une situation d’équilibre. Il importe d’avoir un dialogue franc et clair à l’égard de tous les acteurs, y compris l’Ukraine, tant le poids de chacun est important.
À l’égard des républiques du Partenariat oriental, il faut rappeler – cela a été fait par M. le rapporteur – que les accords d’association ne constituent en rien un tremplin vers une adhésion future à l’Union européenne. À l’égard de la Russie, il sera opportun d’éviter les provocations telles que les entraînements militaires de l’OTAN à proximité des frontières russes.
Enfin, l’Union européenne doit définir collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre dans sa relation avec la Russie, afin d’éviter de bâtir des murs d’incompréhension qui obscurciraient l’avenir des peuples.
Dans la mesure où les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui et où le moment n’est pas le mieux choisi, les membres du RDSE ont décidé de s’abstenir sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue à mon tour les représentants de la Rada présents dans la tribune d’honneur du Sénat.
M. le rapporteur a parfaitement analysé l’ensemble des éléments de l’accord que nous étudions aujourd’hui, et je n’y reviendrai pas. Je centrerai mon propos sur le contexte dans lequel la France va signer cet accord.
L’accord a déjà eu une conséquence majeure : la très grave crise internationale déclenchée par la Russie, avec la volte-face de Viktor Ianoukovitch, la révolution du Maïdan, la fuite du président ukrainien, l’annexion de la Crimée, l’invasion déguisée de l’est de l’Ukraine par les troupes russes, les sanctions occidentales, la crise économique en Russie, tout cela en quelques mois !
Comment en est-on arrivé là ? Quelles sont les responsabilités ? Que faut-il faire aujourd’hui ?
Pour commencer, cet accord menace-t-il qui que ce soit ? Est-il élaboré contre qui que ce soit ? Comporte-t-il des clauses hostiles à qui que ce soit ? La réponse à toutes ces questions est évidemment « non ».
Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, cette convention n’est que la poursuite de celle de 1994, qui n’avait déclenché aucune réaction de la Russie. En gage de bonne volonté, nous avons même tendu la main, en créant des commissions tripartites incluant la Russie, pour examiner les points qui pourraient lui poser problème. Que fait la Russie ? Elle s’abstient soigneusement de répondre aux questions et fait traîner au maximum les discussions. Elle a déjà obtenu le report à 2016 de la mise en place de l’accord. Pendant ce temps, elle continue de saigner l’Ukraine, mois après mois.
Pour son malheur, l’Ukraine a fait partie pendant soixante-dix ans de l’Union soviétique. Elle est aujourd’hui touchée par les soubresauts de la décomposition de cet empire et menacée, comme la Géorgie, l’Azerbaïdjan, la Moldavie avant elle et peut-être demain les pays baltes, par la politique agressive de Vladimir Poutine, pour qui la chute de l’URSS est « la plus grande catastrophe du XXe siècle ».
Nous savons, nous, que la catastrophe ne fut pas la mort, mais la naissance de l’URSS. La Russie aura donc, hélas, manqué par trois fois l’occasion de partager la réussite de l’Europe : au XIXe siècle à cause de l’autocratie tsariste, au XXe siècle en raison de la dictature communiste et au XXIe siècle du fait d’un nouveau nationalisme impérialiste et revanchard condamné à l’échec.
Ce qui est étonnant, c’est que le Président russe passe encore souvent pour un stratège. Pendant des années, dans l’affaire syrienne, dans l’affaire iranienne, dans l’affaire géorgienne, on nous a rebattu les oreilles du génie de Poutine, de sa stratégie toujours gagnante contre une Europe impuissante et une Amérique démotivée. Ce prétendu génie n’était dû qu’au traditionnel retard des démocraties à réagir et à leur aversion aux conflits. Mais l’avantage des démocraties, c’est que, lorsqu’elles prennent conscience du danger, la puissance de leurs institutions et de leur économie entraîne des réponses qui font mal. Alors que nous sommes, avec les sanctions, au bas de l’échelle des réactions possibles, le tigre de papier russe s’est effondré en quelques mois : récession de 5 % en 2015, fuite des capitaux massive, baisse de 30 % des réserves de change, chute du rouble de 40 %, taux de crédit à 17 %.
Devant des démocraties qui ne tremblent plus, devant des alliés comme le Kazakhstan et la Biélorussie qui renâclent, car ils ont compris qu’ils risquaient d’être les prochaines victimes, la seule porte de sortie qu’a trouvée le génial Poutine est de se jeter dans les bras de la Chine, dix fois plus peuplée et trois fois plus riche, où Xi Jinping l’a accueilli à bras ouverts et s’est empressé de lui acheter à prix bradé tout le pétrole et le gaz disponible. Génial stratège, et pauvre Russie !
Mon deuxième sujet d’étonnement est que cette politique puisse trouver des soutiens chez nous. N’importe quel observateur objectif ne peut qu’être choqué par l’invraisemblable litanie des violations du droit international et du droit tout court opérées depuis quelques années par la Russie : intervention en Géorgie, soutien aux sécessions de l’Ossétie, de l’Abkhazie, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie, annexion de la Crimée, invasion quasi ouverte de l’est de l’Ukraine, pressions sur la Moldavie et les pays baltes, violation des espaces aériens norvégiens, finlandais et portugais, envoi de sous-marins dans les eaux territoriales suédoises, menaces contre des navires danois, affirmation publique par Poutine qu’il a envisagé l’utilisation d’armes nucléaires tactiques, augmentation de 30 % du budget militaire, propagande anti-occidentale massive, chasse aux ONG, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines, emprisonnement de Navalny et de bien d’autres, exil forcé pour Khodorkovski, Kasparov et tant d’autres, assassinat d’Anna Politkovskaïa, de Litvinenko, de Markelov, d’Anastasia Babourova, de Sergueï Magnitski, de Boris Beresovski, de Boris Nemtsov, plus récemment. Et la liste n’est pas exhaustive !
Pourtant, certains continuent de nier l’évidence. Les plus ardents soutiens de l’autocrate ne surprennent pas. Les extrémistes de droite et de gauche ont un flair infaillible pour renifler les dictateurs et leur faire la courte échelle. De Le Pen à Mélenchon, de Orban à Tsipras, qui gouverne à Athènes avec l’extrême droite et qui recueille les applaudissements du Front national français, c’est à qui gagnera le concours de courbettes. Alors que les troupes russes sont en Crimée et dans le Donbass, ils nous disent que les responsables de la situation sont les Américains. Les autres responsables à leurs yeux sont les dirigeants européens, cette Europe qu’ils haïssent et qu’ils veulent abattre ; cette Europe dont la politique de voisinage propose exactement ce que Poutine, tout comme eux, ne peut supporter : la démocratie, le respect de la loi et des droits de l’homme, le développement économique et la solidarité entre les États membres.
Ce qui est navrant, en revanche, c’est le soutien incompréhensible de personnalités appartenant à des formations démocratiques, les petits groupes de parlementaires invités au Kremlin ou chaque semaine à l’ambassade de Russie à Paris, les libres opinions dans les journaux expliquant que la Crimée est russe, comme l’est de l’Ukraine, qu’il faut se dissocier des Américains qui sont des va-t-en-guerre, les pétitions que nous avons tous reçues visant à faire revenir le Président français sur sa décision de ne pas participer le 9 mai prochain aux cérémonies de Moscou. Toutes ces actions derrière lesquelles la patte de l’ours russe n’est que trop visible me choquent profondément.
Les arguments utilisés sont la transcription au mot près de la propagande russe, qui nous explique que « les Ukrainiens sont des fascistes, la nation ukrainienne n’existe pas, l’Ukraine fait partie de la sphère d’influence de la Russie, la Crimée a choisi volontairement son annexion par la Russie, la Russie a été humiliée pendant des années depuis la chute du mur de Berlin et il faut la comprendre ». Je remarque au passage que personne ne semble s’émouvoir de l’humiliation durant des décennies, ô combien plus grave, des Polonais, des Tchèques, des Hongrois et de toutes les autres victimes de l’occupation soviétique, à commencer par les Ukrainiens.
Les thuriféraires de Poutine ne se donnent même pas l’élégance d’habiller, au moins en façade, la propagande russe. Un exemple : ils ne parlent pas de russophones en Ukraine, mais de « Russes ethniques ». Personne n’a réagi à cette expression nouvelle, qui fait désormais florès, et qui est une transcription directe des chargés de propagande de Moscou. Des Russes ethniques, mais qu’est-ce que c’est ? Imaginez les réactions si un homme politique français utilisait l’expression de « Français ethniques ». Il y a donc une ethnie russe, il y aurait donc une ethnie française, ou anglaise, ou allemande ? Renan doit se retourner dans sa tombe. Et pourtant, cela ne semble gêner personne ! Je n’arrive pas à comprendre comment on peut oublier aussi rapidement les leçons de l’histoire. En 1938, les nazis expliquaient que la nation autrichienne n’existait pas, comme Poutine explique aujourd’hui que la nation ukrainienne est une fiction. Les nazis disaient vouloir défendre les minorités allemandes dans les Sudètes comme Poutine prétend vouloir défendre les « Russes ethniques » en dehors de la Russie.
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il convient de soutenir l’action diplomatique menée aujourd’hui par la France et par ses partenaires européens. Les sanctions sont une décision délicate ; elles ont un coût pour nous-mêmes. Pourtant, il fallait les décider, et il faut s’y tenir sans écouter les sirènes qui nous disent qu’elles n’ont aucun effet alors qu’à l’évidence leur effet est majeur. L’arrêt désormais assumé de la vente des Mistral est un acte courageux, qu’il faut soutenir. Le fait que nous n’ayons jamais autant engrangé de contrats d’armement est d’ailleurs le meilleur démenti aux porte-voix de Poutine qui martelaient l’argument selon lequel notre crédibilité commerciale était en jeu et que nous allions perdre tous les marchés militaires.
L’Ukraine est devenue un piège pour Poutine. Ses propres erreurs lui ont déjà infligé trois défaites. La première, qu’il n’avait pas prévue, fut la chute de Ianoukovitch et le printemps de Maïdan. La deuxième défaite fut que l’Ukraine soit très largement unie et capable de se battre, ce qu’il n’avait pas prévu non plus. Et la troisième défaite, encore moins prévue tellement est grand son mépris pour les Européens, fut que l’Europe soit capable de réagir.
Il faut donc aider l’Ukraine, et l’aider bien au-delà de l’accord que nous examinons aujourd’hui ! Il faut aider l’Ukraine diplomatiquement. Cela suppose d’abord, et c’est difficile, que l’Europe reste unie, et unie avec les États-Unis. Il faut tenir sur la ligne adoptée jusqu’ici : fermeté et dialogue. Il faut continuer la politique qui consiste à maintenir les sanctions tant que les accords de Minsk ne sont pas totalement mis en œuvre, et nous savons qu’un point dans ces accords est un véritable trou noir : l’impossibilité de contrôler la frontière russo-ukrainienne par où passent chaque jour – c’est un secret de Polichinelle – de nouveaux soldats et de nouvelles armes russes en prévision d’éventuels combats, à Marioupol par exemple. La France et l’Allemagne, donc l’Europe, doivent tenir bon sur le respect des accords de Minsk.
Il faut aider l’Ukraine financièrement, et je me félicite que le Fonds monétaire international ait décidé d’augmenter son aide pour compenser le retard des paiements de la dette, pour payer les achats de gaz et pour renforcer les réserves de change de la banque centrale.
Il faut examiner les propositions de transformation des obligations en euros par des obligations à plus long terme garanties par les États-Unis et l’Europe ou encore la participation à la réorganisation indispensable de l’entreprise publique Naftogaz, qui constitue un véritable trou dans le budget de l’État.
Il faut inciter la Banque mondiale à appuyer les projets de développement que l’Ukraine ne peut réussir seule.
Enfin, il faut aider l’Ukraine en ratifiant l’accord de partenariat que nous examinons aujourd’hui ; c’est l’un des signaux qu’attendent les Ukrainiens pour être assurés que, dans l’épreuve terrible qu’ils traversent, l’Europe ne les oublie pas. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP du Sénat votera en faveur de cet accord. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)