compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Secrétaires :

M. Christian Cambon,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du vendredi 17 avril 2015 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Démission et remplacement d’un sénateur

M. le président. M. le président du Sénat a reçu une lettre de M. Jean-René Lecerf, par laquelle celui-ci s’est démis de son mandat de sénateur du Nord, à compter du mardi 21 avril 2015, à minuit.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par M. Patrick Masclet, dont le mandat de sénateur du Nord a commencé le mercredi 22 avril 2015, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

3

Élection de deux sénateurs

M. le président. En application de l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre de l’intérieur une communication de laquelle il résulte que, à la suite des opérations électorales du dimanche 3 mai 2015, M. Nuihau Laurey et Mme Lana Tetuanui ont été proclamés élus sénateurs de Polynésie française.

Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite la plus cordiale bienvenue.

4

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Par lettre en date du 22 avril 2015, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat une décision rendue le même jour, par laquelle le Conseil constitutionnel a rejeté une requête concernant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 28 septembre 2014, pour l’élection d’un sénateur dans le département du Territoire de Belfort.

Acte est donné de cette communication.

5

Organismes extraparlementaires

M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de sénateurs appelés à siéger au sein :

- du Conseil supérieur de l’énergie ; conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter un candidat ;

- de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, comme membre titulaire ; la commission des finances a été invitée à présenter un candidat ;

- du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, en remplacement de M. Alain Milon ; la commission des affaires sociales a été invitée à présenter un candidat.

Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

6

Dépôt d’un rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales et à la commission des finances.

7

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de trois projets de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :

- du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 22 avril 2015 ;

- du projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer, déposé sur le bureau du Sénat le 29 avril 2015 ;

- et du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 8 avril 2015.

8

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Jean-René Lecerf, démissionnaire de son mandat de sénateur.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

9

Décisions du Conseil constitutionnel relatives à deux questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 24 avril 2015, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- la mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction militaire en temps de paix (n° 2015-461 QPC) ;

- et la composition de la formation restreinte du conseil académique (n° 2015-465 QPC).

Acte est donné de ces communications.

10

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 30 avril 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 208 C du code général des impôts (impôts sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales, 2015-474 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

11

Article additionnel après l'article 54 (priorité) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 71 (priorité) (Texte non modifié par la commission)

Croissance, activité et égalité des chances économiques

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet n° 300, texte de la commission n° 371, rapport n° 370, tomes I, II et III).

Nous poursuivons la discussion du texte de la commission spéciale.

À la demande de la commission spéciale, nous allons examiner par priorité, au sein du chapitre Ier du titre III, les articles 71 à 82 bis relatifs aux exceptions au repos dominical et en soirée.

TITRE III

Travailler

Chapitre Ier

Exceptions au repos dominical et en soirée

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 72 (priorité)

Article 71 (priorité)

(Non modifié)

I. – L’intitulé du paragraphe 3 de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier de la troisième partie du code du travail est ainsi rédigé : « Autres dérogations au repos dominical ».

II. – L’article L. 3132-21 du même code est ainsi rétabli :

« Art. L. 3132-21. – Les autorisations prévues à l’article L. 3132-20 sont accordées pour une durée qui ne peut excéder trois ans, après avis du conseil municipal et, le cas échéant, de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune est membre, de la chambre de commerce et d’industrie, de la chambre de métiers et de l’artisanat, ainsi que des organisations professionnelles d’employeurs et des organisations syndicales de salariés intéressées de la commune.

« En cas d’urgence dûment justifiée et lorsque le nombre de dimanches pour lesquels l’autorisation prévue à l’article L. 3132-20 n’excède pas trois, les avis préalables mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas requis. »

M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l’article.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons les dispositions du chapitre Ier du titre III du présent projet de loi, qui portent sur les « exceptions au repos dominical et en soirée ».

Depuis 1906 et la loi Sarrien, une loi républicaine, humaniste et laïque sur le repos dominical, de nombreuses modifications ont été apportées à ce droit, souvent de manière peu ordonnée, du reste, jusqu’à la loi de 2009, dite « loi Mallié », dont chacun ici a connaissance.

Ainsi, cohabitent actuellement, comme l’ont souligné les auteurs du rapport de la commission spéciale, des dérogations permanentes, lesquelles sont de droit, des dérogations conventionnelles, prises sur la base d’un accord d’entreprise, et des dérogations temporaires, accordées par le préfet ou le maire.

Néanmoins, les sénateurs communistes affirment que l’objectif visé reste d’actualité : garantir aux salariés et aux travailleurs le droit au repos et à la famille. L’enjeu est non pas de faire du dimanche un jour de repos en tant que tel, mais bien de garantir à tous nos concitoyens le droit de jouir d’un même jour chômé par semaine.

C’est pour nous, de même que pour une grande majorité des salariés, qui reste opposée au travail du dimanche, la garantie d’un temps commun pour soi, pour ses proches, pour la vie sociale, culturelle et sportive. Ce droit au repos dominical est d’ailleurs l’un des marqueurs de notre société, le dimanche étant devenu au fil du XXe siècle la journée consacrée à la famille, ainsi qu’à l’exercice des pratiques culturelles, sportives, touristiques et cultuelles.

Notre collègue Patricia Schillinger n’hésitait pas à dire, en 2011, lors de l’examen de la proposition de loi garantissant le droit au repos dominical déposée par le groupe CRC, et d’ailleurs adoptée par la Haute Assemblée, que « le travail du dimanche conduit à un délitement des liens humains et à une perte des valeurs, au seul bénéfice de la recherche du profit. » Elle ajoutait « qu’il ne représente en aucune façon une solution pour relancer la consommation » et qu’« il ne fait que fragiliser les petits commerces de proximité au profit des grandes surfaces ».

Pour autant, le principe du repos dominical a toujours été assorti de dérogations, je l’ai dit, qui se justifient soit par la nécessité d’assurer la continuité de nos services publics, soit par les contraintes techniques de certains secteurs industriels, qui doivent fonctionner en continu, soit pour répondre aux besoins de la clientèle, ainsi que le font certains des commerces de proximité.

À ce sujet, je précise bien qu’il n’a jamais été question pour nous de revenir sur ces dérogations, puisque, portant atteinte à la vie de ces salariés, à leur famille et à leur santé, elles sont strictement encadrées par le code du travail. Or cet encadrement permet de moins en moins aux salariés de profiter de contreparties en rapport avec leurs astreintes.

De plus, la loi Mallié a introduit des inégalités dans l’application de ces dérogations, en fonction de la zone dans laquelle travaillent les salariés concernés. Dès lors, ces salariés n’ont, de fait, pas les mêmes droits : selon qu’ils travaillent en zone touristique ou dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel, ou PUCE, leurs droits, ainsi que leurs compensations, sont différents. En zone touristique par exemple, les salariés ne peuvent prétendre ni au volontariat ni aux contreparties financières.

Du reste, même au sein d’un PUCE, les salariés sont soumis à des inégalités de traitement. En effet, si la loi Mallié a prévu des contreparties légales, celles-ci peuvent être inférieures à la loi en cas d’accord collectif.

Par les amendements que nous défendrons au cours de l’examen du présent chapitre, nous vous proposerons, mes chers collègues, de remédier à cette inégalité, sans pour autant renoncer aux valeurs qui nous sont chères, notamment le maintien du droit au repos dominical.

Nous ne pouvons vous suivre, monsieur le ministre, lorsque vous prétendez que ces dispositions reviennent justement sur les inégalités issues de la loi Mallié. Sur le fond, en effet, les arguments énoncés en 2011 restent criants de vérité.

Nous souhaitons non seulement « assurer une protection équivalente aux salariés employés dans ces deux catégories d’établissement », c’est-à-dire dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel et dans une zone touristique, ainsi que le préconise la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, instance de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, mais également garantir un véritable droit au repos dominical, ainsi qu’il a été voulu à l’origine par le législateur, afin de préserver tant la santé et la vie quotidienne des salariés que les valeurs qui nous sont chères, ici, à gauche de l’hémicycle !

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cet article, nous abordons le volet du projet de loi consacré à l’élargissement des conditions du recours au travail le dimanche.

Vous le savez, nous sommes opposés à ces dispositions. Nous considérons en effet que le travail du dimanche doit demeurer une exception. Nous ne souhaitons donc pas que plus de salariés travaillent ce jour-là. Je rappelle en effet qu’ils étaient déjà plus de 6,5 millions à le faire en 2011, selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, et que le travail du dimanche est une mesure dérogatoire au code du travail.

Il y a donc, selon nous, une certaine hypocrisie à affirmer que le travail dominical doit demeurer une exception et à ouvrir dans le même temps cette possibilité à près d’un quart des dimanches de l’année, soit un dimanche par mois, voire à tous les dimanches de l’année et à une partie de la soirée pour les futures zones d’intérêt touristique.

Le repos dominical est un acquis social essentiel, un vecteur de cohésion sociale qui ne peut être mis sur le même plan qu’un hypothétique « droit à consommer » – hypothétique, oui, car il n’a échappé à personne que le pouvoir d’achat de nombre de nos concitoyens est en berne, y compris celui des salariés qui acceptent de travailler le dimanche pour améliorer leur salaire, actuellement très bas. Or ce pouvoir d’achat, nous le savons tous, ne deviendra pas extensible par la seule ouverture des commerces le dimanche !

Pour justifier cette banalisation du travail du dimanche, on argue que les consommateurs seraient en quelque sorte avides de faire les magasins le dimanche, lesquels deviendraient alors un lieu de promenade. On prétend également que les touristes étrangers fortunés seraient empêchés d’arpenter le dimanche les grands magasins du boulevard Haussmann ou les boutiques du boulevard Saint-Germain ou des Champs-Élysées.

On parle peu, en revanche, des salariés qui se verront privés de leur repos dominical. Les rapports des commissions spéciales de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont d’ailleurs très peu penchés sur les conséquences de ces dispositions en matière d’organisation sociale et familiale.

Or une note de la DARES sur le travail du dimanche, parue en 2012, le souligne : « Travailler le dimanche va presque toujours de pair avec le travail du samedi, et souvent avec des horaires tardifs ou variables d’une semaine à l’autre ».

Les femmes, très présentes dans le secteur du commerce de détail, secteur où le temps partiel subi est très développé, seront donc particulièrement concernées. Or, nous le savons, les charges des familles monoparentales, lesquelles sont de plus en plus nombreuses – c’est un fait de société –, sont majoritairement assumées par des femmes, qui auront donc des difficultés pour faire garder leurs enfants.

Vous me direz, monsieur le ministre, que votre texte prévoit désormais que « l’accord fixe les contreparties mises en œuvre par l’employeur pour compenser les charges induites par la garde des enfants pour les salariés privés du repos dominical ». Encore faudra-t-il que ces salariés réussissent à trouver un mode de garde ce jour-là, une gageure compte tenu du manque de places de garde en France, singulièrement en Île-de-France.

Je ne partage pas non plus l’optimisme de Mme Anne Perrot, la présidente de la commission d’étude des effets de la loi pour la croissance et l’activité, pour qui – je cite les propos qu’elle a tenus lors de son audition devant la commission spéciale du Sénat – « on peut […] imaginer que cette mesure, contrairement à ce qu’on a beaucoup entendu ici et là, puisse être favorable au travail féminin et aux personnes qui n’ont qu’un emploi à temps partiel, celui-ci pouvant être complété ».

Le travail du dimanche comme remède à la précarité du travail des femmes, admettez, mes chers collègues, que c’est un comble ! Au travail du dimanche, nous préférons, nous, l’égalité salariale et la fin du temps partiel imposé.

Vous le voyez, monsieur le ministre, nous ne partageons pas votre vision idéalisée de ce texte, qui serait selon vous vecteur de progrès. Il revient en effet, au final, à ce que des salariés, employés dans un secteur déjà mal rémunéré et peu considéré, aient pour seul horizon, s’ils veulent voir progresser leur pouvoir d’achat, le travail du dimanche.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, nous voici en troisième semaine ! (Sourires.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Et en pleine forme !

M. Jean Desessard. Ce n’est pas que je n’ai pas plaisir à discuter avec vous, monsieur le ministre de l’économie, mais on aurait pu penser que les dispositions que nous abordons, relatives au travail le dimanche, seraient examinées avec M. le ministre du travail.

M. Jean Desessard. Son absence aujourd'hui signifie qu’une partie importante du problème a été oubliée.

Au travers de ces articles 71 à 82 bis, le projet de loi prévoit de réformer les règles concernant le travail dominical et nocturne.

Concernant le travail dominical, le droit actuel comprend trois types de dispositions qui permettent déjà de déroger à la règle du repos le dimanche.

Je veux parler, tout d’abord, des dérogations permanentes, prévues à l’article R. 3132-5 du code de travail et valables pour les hôtels, les hôpitaux et les entreprises de transport ; cela paraît naturel.

Je songe, ensuite, aux dérogations conventionnelles, lesquelles requièrent un accord collectif, avec une majoration de rémunération d’au moins 50 % ; cela paraît également naturel.

Je pense, enfin, aux dérogations accordées par voie administrative, soit dans le cas des « dimanches du maire », soit dans le cas des PUCE à Paris, Lille et Marseille, soit par autorisation préfectorale.

Le Gouvernement souhaite créer trois nouvelles zones dans lesquelles le travail dominical serait permis sous conditions : les zones touristiques internationales, à Paris, Deauville, Cannes et Nice, bénéficiant d’un afflux de touristes étrangers ; les zones commerciales, remplaçant les PUCE de la loi Mallié et permettant leur généralisation sur le territoire ; les zones touristiques, regroupant les « communes d’intérêt touristique ou thermales » et les « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente ».

Il prévoit également d’augmenter de cinq à douze le nombre de « dimanches du maire », de fixer la durée des autorisations d’ouverture administratives à trois ans – nous y reviendrons – et d’autoriser l’ouverture toute la journée des commerces dans l’emprise des grandes gares.

En un mot, ce qui nous est proposé ici, c’est la diffusion et la généralisation du travail dominical sur le territoire. À quelle fin ? L’emploi, nous dit-on… On nous promet des milliers d’emplois créés, une « libération » des énergies et plus de « souplesse » – le mot revient souvent, à droite comme à gauche – donnée aux entreprises.

Toutefois, pour qu’il y ait de l’emploi, il faut qu’il y ait de la consommation ! Il faut des gens pour acheter et faire vivre les entreprises. Certes, je peux concevoir que des touristes chinois consomment dans les zones touristiques internationales ou que des touristes russes fassent des emplettes à Nice le dimanche !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Oui ! À Nice ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Pour le reste, si les commerces destinés aux consommateurs français sont désormais ouverts, les personnes qui achèteront un bien le dimanche ne l’achèteront pas en semaine. Il s’agit simplement d’un autre rythme de consommation.

Les écologistes sont pour la réduction du temps de travail. Travailler moins, c’est accorder plus de temps à ses proches ou à sa famille ; c’est avoir plus de temps pour s’occuper de l’éducation de ses enfants, pour s’instruire, pour aider les autres. Généraliser le travail du dimanche, c’est briser ces rythmes de vie communs, qui fondent notre société ! Où sera la vie commune quand les travailleurs récupéreront leurs jours travaillés le dimanche à travers toute la semaine ? Où seront les temps d’échange et de partage dans la famille ?

Vous vous plaignez d’un manque d’éducation au sein de certaines familles. Mais comment les personnes qui travailleront le dimanche pourront-elles éduquer leurs enfants sans les voir ? Soyez logiques ! Vous ne pouvez pas demander une chose et son contraire.

C’est le même esprit qui est à l’œuvre pour le travail nocturne. Aujourd’hui, celui-ci commence à vingt et une heures. Il nous est proposé de repousser le seuil à minuit dans les zones internationales, soit encore trois heures de moins pour soi, sa famille et ses amis !

Au demeurant, et cela a déjà été souligné, le travail de nuit comporte des risques réels et avérés pour la santé des travailleurs : troubles digestifs et déséquilibre nutritionnel, désadaptation et isolement social, risques cardiovasculaires accrus, probabilité plus élevée de cancers, notamment du sein et colorectal, et, chez les femmes enceintes, risque plus élevé de prématurité et fausses couches. Ce n’est pas moi qui le dis ; cela figure sur le site du ministère du travail. D’ailleurs, le ministre concerné n’est pas là, et de telles informations ne figurent naturellement pas sur le site du ministère de l’économie !

À nos yeux, inciter les salariés à se mettre en danger pour leur travail ne constitue pas une réponse satisfaisante au problème du chômage.

Dédier sa vie à la consommation, briser les rythmes partagés de travail et de repos, parfois au mépris de la santé des travailleurs, voilà ce qui nous est proposé dans ce chapitre du projet de loi. C'est pourquoi les écologistes demanderont la suppression de la plupart des articles qui le composent ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nos collègues Annie David, Dominique Watrin et Jean Desessard ont déjà avancé beaucoup d’arguments en défaveur de l’élargissement du travail du dimanche. L’opposition à cet élargissement est une vieille bataille de la gauche, une vieille bataille du monde du travail. Je ne reviens pas sur ces éléments. Simplement, j’en appelle à la fidélité et aux engagements que nous avons pris devant les Français !

Lorsque M. Sarkozy a voulu augmenter le nombre de dimanches travaillés, le parti socialiste, auquel j’appartiens, a réalisé un tract particulièrement explicite.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. On pouvait notamment y lire ceci : « Cette décision sera inefficace sur le plan économique, dangereuse pour les salariés et néfaste pour la vie sociale. » Les arguments étaient clairs : « un effet nul sur la croissance », « une fausse liberté pour les salariés », « une décision destructrice d’emplois », « un modèle de société inacceptable » ! Son titre était : « Pour une société plus juste, refusons la généralisation du travail le dimanche. »

Puis, lors des élections de 2012, le candidat François Hollande, interrogé sur ce sujet, avait expliqué qu’il ne voulait en aucune manière élargir le travail du dimanche, reprenant l’argumentaire historique de la gauche et du parti socialiste.

Enfin, le 11 avril dernier, Mme Martine Aubry, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Manuel Valls et l’ensemble des membres du Gouvernement qui militent au parti socialiste ont signé une motion qui porte le beau nom de Renouveau socialiste et dans laquelle on peut lire :

« Troisième exemple : le repos dominical. Nous sommes opposés à une nouvelle extension du travail du dimanche. C’est d’abord un choix de société : la consommation ne peut être l’alpha et l’oméga de nos vies. Le dimanche doit être d’abord un moment du vivre ensemble. C’est une question de protection des salariés les plus fragiles pour lesquels la liberté de choix n’existe pas réellement, de protection des petits commerces qui restent souvent les dernières activités présentes dans les quartiers en difficulté et dans les zones rurales désertifiées. »

Le texte dit bien : « Nous sommes opposés à une nouvelle extension du travail du dimanche. » Cela ne vous aura pas échappé, mes chers collègues, la loi dont nous discutons aujourd'hui n’est pas votée. Le travail du dimanche est donc régi par la loi actuellement en vigueur, et non par celle que nous sommes en train d’examiner.

Monsieur le ministre de l’économie – j’aurais souhaité que M. le ministre du travail soit présent aussi –, il faut faire preuve de cohérence : dès lors que M. Valls, le Premier ministre, et un grand nombre de membres du Gouvernement ont pris l’engagement de ne pas procéder à une nouvelle extension, êtes-vous prêt à supprimer les articles augmentant le nombre de dimanches travaillés ?

En plus d’être cohérente avec les textes signés par M. Valls, Mme Aubry et tant d’autres, une telle mesure serait, me semble-t-il, attendue par nos concitoyens, par les hommes et les femmes de gauche, et ce serait, effectivement, l’un des leviers du « renouveau socialiste » ! (M. Éric Bocquet applaudit.)

M. David Assouline. C’est bien de se faire applaudir par les communistes quand on évoque le congrès du parti socialiste !

Mme Nicole Bricq. Ça nous change !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 65 est présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 780 est présenté par MM. Rachline et Ravier.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 65.