M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, sur l'article.
M. Marc Daunis. Cet article mérite d’être examiné de près : l’aéroport de Nice est le deuxième aéroport national pour le trafic de voyageurs, celui de Lyon le quatrième.
Il a été rappelé que les plateformes aéroportuaires touchent aux intérêts essentiels de la nation et présentent une grande importance pour les territoires.
Le développement, par exemple, dans les Alpes-Maritimes de l’aéroport de Nice est intimement lié à l’activité touristique, ainsi qu’au technopôle de Sofia Antipolis pour lequel la présence de cet aéroport a été un outil majeur.
Je ne m’appesantirai pas sur le contexte de l’aéroport de Toulouse. Monsieur le ministre, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’opération n’a pas été menée de main de maître. Néanmoins, elle a servi à une chose : montrer combien il est important de bien encadrer ce genre d’opérations.
En ce qui concerne la société Aéroports de la Côte d’Azur, j’ai pu observer un certain nombre de postures et de déclarations enflammées. J’ai d’ailleurs trouvé assez piquant que certains qui avaient œuvré activement à la grande braderie des autoroutes s’insurgent aujourd’hui avec véhémence de l’éventuelle incidence de cette cession de parts, gesticulation référendaire en prime. Pourtant, la privatisation des autoroutes a eu et continue à avoir une tout autre incidence pour les Azuréens usagers de l’autoroute.
Sur le fond, j’ai une appétence très modérée pour le transfert d’une maîtrise publique vers un opérateur privé. Cependant, dès lors que l’État doit intervenir et mener des politiques industrielles – et je ne fais même pas référence à l’ampleur du déficit qui a été rappelé –, nous devons nous poser clairement la question des moyens dont il dispose : n’est-il pas judicieux de pouvoir en réorienter certains ?
Si on fait cette analyse, nous devons trouver les moyens d’encadrer une telle cession. C’est la démarche que j’ai personnellement suivie et que je vous propose, mes chers collègues, à travers trois amendements qui visent à garantir une concertation approfondie avec les élus et les organismes socio-professionnels du territoire, à garantir et à consolider les liens avec les acteurs locaux, et enfin, dans une perspective plus éthique, à empêcher qu’une entité domiciliée dans un paradis fiscal puisse présenter sa candidature.
Avant de passer à l’examen des amendements, je tiens à dire à Mme la rapporteur que son intervention sur l’article 49 m’a paru assez inhabituelle et ambiguë : parlait-elle en tant que rapporteur ou en tant qu’élue des territoires azuréens ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En tant que rapporteur, bien sûr !
M. Marc Daunis. Je retiens surtout votre proposition de ne pas faire durer ce débat sur dix ou quinze ans. Vous dites que vous avez déposé deux amendements en ce sens. J’en suis particulièrement ravi, puisque la rédaction de l’amendement n° 1738, déposé tardivement, reprend de façon quasi identique les termes de mon amendement n° 356 rectifié. Avec cette volonté de rassemblement qui est la vôtre, au-delà de toute querelle politicienne, vous émettrez très certainement un avis favorable sur ce dernier amendement. J’aurai d’ailleurs l’occasion de soulever deux problèmes relatifs à la rédaction et à la portée de votre amendement n° 1738.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 53 est présenté par Mme Assassi, MM. Foucaud et Bocquet, Mmes Beaufils, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 159 rectifié est présenté par Mmes Lienemann et Claireaux, MM. Aubey et Raynal et Mme Jourda.
L'amendement n° 765 est présenté par MM. Ravier et Rachline.
L'amendement n° 943 rectifié est présenté par MM. Collombat et Bertrand et Mme Malherbe.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l’amendement n° 53.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. À travers l’article 49, le Gouvernement prévoit de privatiser les sociétés de gestion des aéroports de Lyon et de Nice, sans autre justification que la recherche de nouvelles recettes.
Vous l’aurez compris, cela nous préoccupe particulièrement, car cette perspective de privatisation ne prend nullement en compte les enjeux d’aménagement du territoire liés à ces infrastructures aéroportuaires. Elle se fait de surcroît à l’écart des collectivités territoriales et autres organismes publics, eux-mêmes actionnaires, qui ont pourtant en charge le développement économique de leur territoire. Ainsi, un levier très important de leur capacité de maîtrise de leur développement économique leur échappe. Par là même, l’État perdra toute possibilité d’intervention et de maîtrise en termes de développement économique et d’aménagement du territoire de tout le Grand Sud-Est de notre pays.
En réalité, cette privatisation cache mal son orientation libérale pour répondre aux exigences bruxelloises, comme cela a également été souligné.
Ce faisant, après l’ouverture du capital d’Aéroports de Paris, avec la vente de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, ce sont les trois premiers aéroports régionaux qui seront ainsi cédés au secteur privé.
En réalité, la proposition qui nous est faite est assez démonstrative de ce qui se cache systématiquement derrière le changement de statut de certains organismes, passant d’établissement public en société par actions : à chaque fois, ces modifications sont présentées comme de simples mesures pour en améliorer la gestion, mais à chaque fois cela se termine par l’entrée de capitaux privés pouvant aller, comme c’est le cas aujourd’hui, jusqu’à une prise de contrôle majoritaire.
Tout cela continue de se faire contre l’intérêt général. Vous ne serez donc pas étonnés que notre amendement n° 53 vise à la suppression de l’article 49.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 159 rectifié.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement, signé par un certain nombre de mes collègues du groupe socialiste, vise aussi à supprimer l’article 49. Nous pensons que ces aéroports, plus particulièrement ceux de grande dimension, constituent des éléments majeurs d’aménagement du territoire, ainsi que des outils et des atouts de développement économique. Il est important que la puissance publique dans sa diversité, y compris les collectivités locales et autres acteurs, reste maître du jeu pour penser l’avenir et gérer le présent.
Ces aéroports sont-ils mal gérés ? Coûtent-ils cher à l’État et à la puissance publique ? Non ! Ils sont bien gérés, ils se développent et ils réalisent plutôt des bénéfices. D’ailleurs, s’ils étaient déficitaires, personne ne voudrait les acheter !
En l’état actuel, la puissance publique y est majoritaire et elle en retire des bénéfices. Pourquoi déciderait-elle de se priver d’un outil qui marche, qui ne coûte pas cher et qui rapporte ? Quelle est la logique de cette affaire ? Est-ce que cela empêche pour autant de nouer des partenariats avec des compagnies aériennes, avec d’autres acteurs pour développer des activités ? Absolument pas ! Des partenariats existent déjà et se développent.
La seule raison est de nature budgétaire et financière. J’ose espérer qu’elle n’est pas idéologique. Si elle est financière et budgétaire, réfléchissons. Je prendrai l’exemple de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac qui a été vendue, me semble-t-il, pour 400 millions d’euros.
Mme Nicole Bricq. Non, 308 millions d’euros !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Encore mieux ! Une telle somme est inférieure à la somme que l’État verse tous les ans au titre du CICE à deux ou trois grands groupes de la distribution. Chacun sait que cet argent reversé à ces groupes n’a ni amélioré les exportations, ni créé des emplois, ni même favorisé l’investissement.
Oui, il y a des choix publics à faire ! Il était à mon avis plus important de garder la maîtrise publique des grands aéroports plutôt que de verser des sommes au titre du CICE sans contrepartie ni ciblage dans certains secteurs qui n’en ont pas besoin !
Si l’on veut réfléchir au déficit public, réfléchissons-y, mais ne nous privons pas d’un patrimoine, d’un outil de développement, d’un actif qui rapporte, parce que cela reviendrait à vendre les bijoux de famille.
Or, c’est ce que notre Nation fait depuis des années : elle cède son patrimoine public, sans pour autant le développer, ce qui n’améliore pas la situation des finances publiques, tout au contraire : dans bien des cas, nous avons vendu des actifs qui rapportaient et des secteurs industriels.
Contrairement à vous qui êtes beaucoup plus jeune, monsieur le ministre, j’ai vécu la privatisation de Renault. On disait, à l’époque, que l’État n’avait rien à faire dans l’automobile ! Or, aujourd’hui, vous rachetez des actions qu’on aurait bien fait de ne pas vendre, même si je ne dis pas que le capital devait rester à 100 % public.
En conclusion, à mon sens, rien ne légitime qu’on ouvre le capital de ces grands aéroports ; voilà pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Les amendements nos 765 et 943 rectifié ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 53 et 159 rectifié ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 53 et 159 rectifié. Les amendements que je présenterai dans quelques instants visent à apporter des garanties au territoire dans le cadre d’une éventuelle opération de cession.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques. Je répondrai aux différentes interventions tout en explicitant la position du Gouvernement.
Pour la première fois depuis le début de notre discussion sur les participations publiques, nous parlons de privatisations à proprement parler. En effet, juridiquement, dans le cas de Nexter Group, il s’agissait d’autoriser l’ouverture du capital en vue d’un rapprochement, et non pour toucher de l’argent.
Permettez-moi quelques truismes, qui, dans le contexte, me semblent nécessaires : lorsque l’on privatise, c’est pour toucher de l’argent ; et c’est mieux de le faire avec une société qui marche qu’avec une société qui ne marche pas ; à l’inverse, quand on essaie de privatiser une société qui ne marche pas, étonnamment, elle ne rapporte pas d’argent ! (Exclamations.)
M. Jean-Pierre Bosino. On ne peut pas la privatiser, d’ailleurs !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je voudrais rappeler certains points.
Premier point, nombre d’entre vous ont dit que certaines sociétés avaient de bons résultats. Oui, et c’est précisément pour cette raison qu’on se permet de les privatiser, car c’est plutôt une opération qui, sur le plan financier et même patrimonial, est intelligente pour l’État.
L’exemple de Toulouse est là pour le montrer. Nous reviendrons sur les modalités de cette cession. En tout cas, comme vous l’avez dit, cette opération représente 308 millions d’euros et les dividendes versés 1,5 million d’euros par an. Quand on compare ces deux montants, on voit que la rentabilité est très bonne.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
M. Emmanuel Macron, ministre. C’est donc un choix patrimonialement pertinent.
À quoi sert cet argent ? C’est le second point que je souhaitais clarifier pour répondre en particulier aux remarques de Mme la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann.
Le produit des cessions d’actifs ne sert pas à réduire le déficit public et n’est donc pas comparable au CICE. Ne s’agissant pas de revenus récurrents, ce n’est pas maastrichien au sens du déficit. Cela ne peut pas servir à financer des dépenses budgétaires. À quoi peut-il servir ? Soit à se désendetter, soit à réinvestir. D’ailleurs, sur ce point, nos priorités ont été claires.
Les privatisations qui seront conduites par ce gouvernement serviront donc au désendettement – la loi de finances pour 2015 porte 4 milliards d’euros de désendettement par voie de privatisations – et au réinvestissement : c’est ce qui a été fait avec PSA l’année dernière, c’est ce que nous faisons pour l’AFD, avec la réinjection de 800 millions d’euros, c’est ce qui sera fait pour le logement intermédiaire, puisque nous avons budgété près de 1 milliard d’euros, et c’est ce que nous serons sans doute conduits à faire dans le cas de Alstom : ce sont des recapitalisations qui passent par un réinvestissement de l’État et qui supposent par là même que l’État se désengage d’autres participations moins utiles.
Troisième point, pourquoi choisir ces sociétés de gestion aéroportuaires ? Ce n’est en effet pas ainsi que l’État exerce le bon contrôle sur ces infrastructures, et ce à deux égards : d’une part, ce n’est pas le bon moyen de les contrôler, et d’autre part, l’État, historiquement, a plutôt été un mauvais actionnaire.
C’est la grande différence avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes et, à cet égard, je souhaiterais dissiper une confusion récurrente : lorsque l’opération sur les autoroutes a été réalisée, il y avait des sociétés privées concessionnaires qui géraient le domaine public ; on a donc décidé d’un transfert pour une durée donnée, en contrepartie d’une valeur, à des sociétés privées concessionnaires du domaine public. Dans ce cas, il y a un transfert de valeur, c’est encadré dans le temps, mais on maîtrise mal – et cela a été toute la difficulté des dix dernières années – la régulation financière de l’opération – péages, travaux, équilibre économique du contrat… Le dispositif dont nous avons discuté voilà quelques jours et qui a été adopté devrait nous permettre de mieux encadrer cet équilibre.
Mais le principe est clair : on transfère pour un temps donné – long – à un opérateur privé non seulement l’infrastructure, mais aussi sa gestion et l’ensemble de son équation économique.
La situation est très différente pour les sociétés de gestion aéroportuaires. On ne transfère en rien l’infrastructure et la propriété solide : les infrastructures et les abords restent dans le domaine public, la régulation économique est assurée par un contrat de régulation économique – généralement pour une durée quinquennale – conclu avec l’État prévoyant l’évolution annuelle des tarifs. Par ailleurs, les éléments les plus structurants de l’activité d’un aéroport et de sa société de gestion, à savoir les ouvertures de ligne, sont décidés par la Direction générale de l’aviation civile, la DGAC.
Les sociétés de gestion aéroportuaires s’occupent des négociations avec les compagnies aériennes et de l’optimisation de l’espace qu’elles ont à gérer – commerces, gestion du trafic… Mais l’infrastructure critique reste publique, et sa régulation se fait par le contrat de régulation économique et la DGAC.
Les préoccupations des élus concernés par les transactions en cours – qu’il s’agisse de Nice ou de Lyon – portent d’ailleurs non pas sur la société de gestion, mais sur la capacité à ouvrir de nouvelles lignes, sur la capacité à créer du nouveau trafic avec d’autres compagnies aériennes – souvent originaires du Golfe – afin de développer ces aéroports.
Le vrai débat du développement de ces aéroports réside dans le paradoxe constant entre la préservation nécessaire de notre compagnie aérienne nationale – Air France – et l’intérêt de ces aéroports régionaux qui ont besoin, pour se développer, de s’affranchir du hub unique Roissy-Charles de Gaulle-Orly. (M. Marc Daunis acquiesce.)
Pourquoi la DGAC refuse-t-elle la plupart du temps les ouvertures de lignes à des compagnies tierces, ce qui permettrait pourtant d’assurer un meilleur développement régional ? Parce que cela reviendrait à pénaliser Air France ! (Mme Nicole Bricq acquiesce.)
Cela ne changera pas, en tout cas par ce biais-là. C’est en effet un autre débat qu’il faudrait avoir. Or, on a souvent confondu ces deux débats. Et c’est pourquoi l’État est un mauvais actionnaire de ces sociétés de gestion : il est en conflit d’intérêts permanent. Contrairement aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’État est à la fois le régulateur – à travers le contrat de régulation économique et les autorisations d’ouverture de lignes – et l’un des actionnaires de la principale compagnie aérienne nationale.
M. Gérard Longuet. Et accessoirement de la SNCF !
M. Emmanuel Macron, ministre. Et accessoirement de la SNCF… Il a donc en permanence deux intérêts contradictoires à ménager.
L’État n’est pas un bon actionnaire de ces sociétés de gestion, dans lesquelles il n’a jamais réinvesti, pour deux raisons : d’une part, ce n’est pas là qu’est le contrôle critique et stratégique de ces infrastructures ; d’autre part, il se trouve en conflit d’intérêts permanent, et son rôle est avant tout de réguler, et, davantage, d’être présent à travers la DGAC et le contrat de régulation économique.
C’est pourquoi je suis convaincu que libérer du capital en sortant de ces sociétés de gestion, compte tenu de leur valorisation – l’exemple de Toulouse l‘a démontré –, est une opération rationnelle, dans le contexte actuel. Cet argent pourra être utilisé au désendettement, d’une part, et au réinvestissement, d’autre part.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question des coactionnaires aux côtés de l’État, en particulier des collectivités territoriales et des CCI. Et il a été dit, à juste raison, qu’il faut assurer les coactionnaires du fait que leurs intérêts sont pris en compte. Je salue le pragmatisme dont vous avez fait preuve, madame la rapporteur, dans votre façon de gérer les travaux sur le sujet. Nous y reviendrons, mais je partage vos propos.
Monsieur le sénateur Daunis, l’amendement que vous avez déposé va en ce sens et permet de bien circonscrire la prise en compte de ces intérêts locaux. Ma remarque vaut également pour M. le sénateur Collomb, qui a déposé l’amendement n° 994, et j’imagine que M. le sénateur Raynal voudra également intervenir sur le sujet.
Il est important de prendre en compte la sensibilité des collectivités territoriales coactionnaires. Je pense que le texte mérite d’être amélioré sur ce point. Il me semble que ce serait tout à fait faisable, à la condition d’établir un distinguo : dès lors que les coactionnaires participent à la définition du cahier des charges, ils ne peuvent s’engager dans une opération de reprise. Je dirai qu’il faut en quelque sorte choisir sa place.
Tels sont les principaux points dont je tenais à vous faire part à ce stade du débat afin de préciser le pourquoi et le comment de cette opération.
Pour conclure, je précise que si Aéroports de Paris est traité différemment de Nice, de Lyon ou de Toulouse, c’est que, contrairement à ces derniers, le foncier est dans la main de la société. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours tenu à garder une majorité (M. Jean Desessard marque son approbation.). Tant qu’il n’y aura pas de restructuration de l’organisation d’ADP, cette situation, profondément différente de celles que j’ai pu évoquer, n’évoluera pas.
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Monsieur le ministre, je vais être au regret de vous dire ce soir que, sur ce point, je ne partage pas votre position.
Je vous ai bien entendu, mais je n’ai trouvé aucun élément de réponse de nature à me rassurer. Comme vous le savez, j’ai bien suivi le dossier de Toulouse et j’ai beaucoup travaillé à cette question. Je vous le dis très clairement : je maintiendrai mon opposition et ma demande de suppression de cet article.
La question de l’Agence de participation de l’État, l’APE, ne me pose aucune difficulté. La gestion de ces participations doit se faire au mieux des intérêts de l’État. Ce dernier, c’est une évidence, a besoin d’argent pour investir dans le capital d’autres entreprises ; pourquoi, dès lors, ne pas trouver cet argent auprès de ces sociétés concessionnaires ? Moi, je n’ai pas d’états d’âme avec l’idée que vous autorisiez par décret la vente de ce dont vous n’avez pas besoin, à savoir 49,9 % des actions.
De quoi parle-t-on en fait ? D’un gain d’environ 1,5 milliard d’euros. Si l’on compte 300 millions d’euros pour Toulouse, je veux bien croire que c’est davantage pour les autres aéroports, qui sont plus importants. Partons de ce chiffre : entre le décret autorisant la vente de 49,9 % des actions que vous pouvez prendre aujourd’hui et votre projet de céder 60 % du capital de ces sociétés, la différence est de 16 %, soit 200 millions d’euros.
Sur ce dossier – je parle bien des trois aéroports –, nos discussions portent sur 200 millions d’euros seulement. Que vous vendiez pour 1,3 milliard d’euros de participations ne pose aucun problème. Vous pouvez d’ailleurs encore le faire en cet instant.
Si vous en passez par la loi, c’est que vous voulez céder plus de 50 % du capital de ces sociétés. Pourquoi faut-il que l’État vende 60 % de ces actions alors qu’avec ces 10 % en sus des CCI et des participations des départements, régions et métropoles nous pourrions conserver le contrôle public de la structure ? C’est d’ailleurs tout ce que je demande : que l’État garde ce contrôle à travers 50,01 % des actions.
Un autre de vos arguments me convient encore moins. Vous avez salué la vente de l’aéroport de Toulouse pour 308 millions d’euros en soulignant qu’il rapportait 1,5 million d’euros par an, soit 45 millions sur les trente ans de la concession.
Mais dans ces conditions, comment l’acheteur va-t-il rentabiliser son investissement ? Il va devoir modifier sensiblement l’exploitation de l’aéroport, notamment à travers l’ouverture de lignes supplémentaires. Pour un simple retour sur investissement, le concessionnaire va devoir faire passer la rentabilité de l’aéroport de 1,5 million d’euros par an à quelque 10 millions d’euros par an – une paille ! –, et donc la multiplier par six ou sept, sans parler même des gains à réaliser.
Les aéroports vont donc ouvrir de nouvelles lignes. Nous savons que Etihad Airways et Emirates sont demandeuses depuis longtemps, et que des compagnies chinoises désireuses de se développer sur nos plateformes régionales sont également intéressées. Pourquoi pas ?
Toutefois, cela signifie qu’il va falloir arbitrer entre, d’une part, la défense du pavillon Air France que vous évoquiez à l’instant – c’est-à-dire continuer de privilégier le hub de Roissy – et, d’autre part, le développement de hubs régionaux pour ces compagnies-là.
Vous dites que l’arbitrage sera fait par la DGAC. Mais cette dernière sera-t-elle vraiment en mesure de trancher ? L’État, après avoir vendu si cher – 308 millions d’euros pour l’aéroport de Toulouse –, pourra difficilement s’opposer à l’ouverture de nouvelles lignes.
Pour conclure, monsieur le ministre, je vous redis que j’aurais préféré que l’État garde le contrôle global de l’opération, car il doit mener de front trois objectifs : la défense du pavillon français à travers Air France, la défense des industriels – et notamment d’Airbus – liée à l’exploitation de nouvelles routes en raison de la pression des compagnies aériennes, et le développement des aéroports.
En accueillant des partenaires nouveaux dans chacun de ces aéroports, vous risquez de gripper un mécanisme qui doit rester sous la maîtrise de l’État, seul à même de concilier ces trois intérêts différents.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.
M. Philippe Dominati. Je suis quelque peu troublé par cette discussion : vous avez de bons arguments, monsieur le ministre, et je crois que vous avez globalement raison sur le fond.
En revanche, je vous donne tort sur la forme et le choix de la méthode, c’est-à-dire la brutalité de l’action du Gouvernement dans les deux aéroports concernés. J’ai été très sensible à la synthèse des actions locales qu’a exposée Mme la rapporteur, ainsi qu’aux propos de ma collègue Élisabeth Lamure concernant Lyon.
En région d’Île-de-France, nous avons l’habitude de la brutalité de l’État en matière de projets d’infrastructures de transport.
Mme Sophie Primas. C’est vrai !
M. Philippe Dominati. Cette brutalité, nous dit-on, est souvent justifiée par l’intérêt général, l’intérêt de la nation. Peut-être la représentation nationale ne regarde-t-elle pas suffisamment ce qui se passe en Île-de-France.
Voilà quelques jours, nous étions une dizaine de parlementaires à discuter de la liaison vers Roissy-Charles de Gaulle. Le chèque en blanc que nous avons signé au profit du Gouvernement représentera plusieurs dizaines de fois la privatisation de tel ou tel aéroport.
Or vous avez raison : l’État est en général un très mauvais actionnaire. Il faudrait appliquer ce principe à beaucoup d’infrastructures de transport, et notamment aux quatre sociétés d’État. Vous me direz qu’elles ne coûtent pas grand-chose, parce qu’elles rapportent très peu, surtout s’agissant du transport collectif en Île-de-France. Vous pourriez cependant évoquer le même principe qu’à l’article 3.
En réalité, il faudrait une doctrine nationale cohérente. Il faudrait appliquer aux aéroports internationaux de Nice, de Lyon et de Toulouse la même procédure que pour l’opération en cours sur un aéroport international d’Île-de-France, vital pour l’intérêt général.
J’aimerais savoir jusqu’où vous comptez aller dans votre logique. Car vous avez raison, c’est bien ainsi qu’il faut procéder. D’ailleurs, cela n’offusque personne lorsque Aéroports de Paris achète, pour se renforcer, des aéroports en Turquie, au Portugal ou ailleurs dans le monde. Cela correspond en effet à une nécessité, notamment pour nos compagnies aériennes et notre fabricant national, EADS.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’autorité de l’État n’est pas en cause, puisqu’une délégation de service public est prévue. Par ailleurs, partout dans le monde, on privatise les aéroports. Malheureusement, dans ce domaine, le Gouvernement manque un peu de pédagogie et, surtout, de contacts et de liens avec les élus locaux, comme en témoignent les deux cas particuliers que nous évoquons. Si les régions, les départements ou les collectivités locales avaient des fonds propres plus importants, elles pourraient investir directement.
Cela me conduit à vous rappeler ce que nous vous proposions pour la région d’Île-de-France. Premièrement, nous souhaitions, monsieur le ministre, que vous preniez en compte les collectivités régionales et départementales, notamment pour mettre en place une structure commune qui regrouperait les quatre sociétés d’État. Deuxièmement, pour ce qui concerne la liaison Roissy–Charles-de-Gaulle, vous feriez bien de mettre en œuvre le principe qui vous anime, puisque cela fait à peu près vingt ans que l’État essaie d’initier cette liaison. Comme il n’y est pas arrivé par la privatisation, il reprend aujourd'hui le manche. On le sait très bien, cet équipement sera financé par une taxe spéciale, ce qui se révélera nettement plus onéreux que la privatisation évoquée aujourd'hui.