M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, sur l'article.
M. Jean-Pierre Bosino. Dans la suite des interventions de Brigitte Gonthier-Maurin et Michel Billout, je tiens à intervenir sur cet article 47, qui vise à fusionner l’entreprise nationale d’armement Nexter avec l’entreprise allemande KMW.
L’État et cette entreprise familiale allemande, qui connaît d’ailleurs quelques soucis, seraient ainsi associés et détiendraient à parts égales 50 % d’une nouvelle entreprise appelé NEWCO.
Notre crainte est de voir Nexter abandonner son rôle initial, qui était de répondre aux besoins spécifiques de défense de notre pays, pour s’aligner sur le marché international des exportations d’armes.
Alors que l’État ne sera plus majoritaire, à l’issue de la fusion, comment pourra-t-il exercer pleinement un contrôle sur les exportations d’armes ? Cette privatisation et cette fusion ne précèdent-elles pas l’entrée de nouvelles entreprises dans cette alliance industrielle ? Dans ce cas, si l’État est affaibli, comment pourra-t-il s’assurer que nos armes ne tombent pas dans de mauvaises mains, sous la pression de considérations financières ? Les armes sont tout de même loin d’être des marchandises comme les autres !
Un autre sujet d’inquiétude tient à la similitude entre les gammes de produits de KMW et de Nexter. Les deux gammes peuvent quasiment être calquées l’une sur l’autre. Dans le segment des chars lourds, Nexter a le Leclerc, KMW, le Leopard ; dans le domaine des véhicules d’accompagnement pour l’infanterie, le VBCI de Nexter est en concurrence avec le Boxer de KMW ; dans le domaine des véhicules plus légers et fortement protégés, l’Aravis de Nexter fait face au Dingo de KMW.
Cette opposition frontale entre les matériels phare des deux entreprises met en péril les emplois et les sites.
Il paraît clair qu’il faudra choisir entre ces produits pour éviter de dupliquer les frais liés aux développements complémentaires et aux traitements de l’obsolescence des matériels. Quelles seront alors les conséquences pour les activités des bureaux d’études et de fabrication ? Comment seront partagés les futurs programmes ?
Cette fusion aura également des impacts significatifs pour les fournisseurs et les sous-traitants.
Les fournisseurs français risquent, en effet, plus gros que leurs homologues allemands, car ces derniers sont avantagés en termes de volume : on sait combien les entreprises allemandes soignent leurs entreprises industrielles. Ainsi, KraussMaffei a écoulé plus de 4 000 chars lourds Leopard, à comparer aux 600 Leclerc.
De plus, les fournisseurs pourraient être mis plus systématiquement en concurrence. Typiquement, Renault Trucks Defense et Mercedes sont les deux sources pour les véhicules porteurs du canon Caesar de Nexter Systems. Demain, il n’y en aura peut-être plus qu’un…
C’est donc en raison des menaces claires et dangereuses sur l’emploi et parce que nous sommes opposés à la privatisation de notre industrie de défense, qui fait partie de notre souveraineté, que nous nous opposons à la fusion entre Nexter et KMW.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 51 est présenté par Mmes Assassi, Demessine et Cukierman, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 776 est présenté par MM. Rachline et Ravier.
L'amendement n° 940 est présenté par M. Forissier.
L'amendement n° 966 est présenté par M. Pointereau.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Annie David, pour présenter l'amendement n° 51.
Mme Annie David. Cet article vise à permettre la création d’un champion européen de l’armement terrestre capable de résister à la concurrence de pays d’autres continents. Pour cela, il serait donc nécessaire de céder au secteur privé la majorité du capital public du GIAT.
Nous estimons pourtant que cette privatisation comporte un certain nombre de risques et qu’elle pourrait avoir des effets négatifs dans plusieurs domaines.
Avec ce premier amendement, j’évoquerai d’abord l’abandon probable d’un élément constitutif de notre politique de défense nationale.
En effet, réduire l’influence de l’État sur la fabrication de nos armements terrestres, c’est courir le risque de ne plus pouvoir exercer notre pleine souveraineté sur ce secteur de pointe, hautement stratégique.
C’est d’autant plus risqué que l’objectif affiché de constituer ce champion européen de l’industrie de défense s’inscrit dans un cadre extrêmement flou.
Il faut se rendre à l’évidence : ce que certains appellent de leurs vœux et nomment « défense européenne », voire « Europe de la défense », n’existe pas. Du fait de la diversité des intérêts nationaux et de l’absence de vision partagée, il n’existe pas encore en Europe de politique commune de sécurité et de défense.
En outre, les conceptions française et allemande en matière de politique de défense et d’exportation d’armement sont profondément différentes.
Dès lors, quels peuvent être les fondements, autres que financiers, d’une telle alliance industrielle ?
Avec cette privatisation, les choses sont donc dangereusement prises à l’envers. Avant même que n’existe cette Europe, on dérégule, c’est-à-dire qu’on livre aux intérêts privés un secteur ultra-sensible, qui dépend heureusement encore étroitement des politiques de défense nationale menées dans chaque pays.
Ici, il ne s’agit pas simplement de libérer l’activité économique, de favoriser la croissance et de trouver de l’argent pour financer la dette publique. Il s’agit de notre politique de défense, c’est-à-dire de la défense des intérêts fondamentaux du pays.
Le sujet est donc trop important, il soulève trop de questions non résolues pour faire l’objet d’un article noyé parmi autant de mesures très diverses. Ces questions mériteraient à elles seules un débat.
C'est la raison pour laquelle nous vous proposons la suppression de l’article 47.
M. le président. Les amendements nos 776, 940 et 966 ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 51 ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. La commission a un avis défavorable sur l'amendement n° 51 et sur tous les autres amendements portant sur l’article 47.
Le rapprochement entre les deux sociétés Nexter et KMW paraît plus que bénéfique pour Nexter, dans un contexte de réduction des budgets militaires et de concurrence accrue dans le secteur des armements terrestres.
En outre, ce rapprochement se fera très progressivement et portera d’abord sur la recherche et développement et l’action commerciale. Les deux entreprises apparaissent très complémentaires et l’opération ne devrait pas se faire au détriment de l’une ou de l’autre.
J’ajoute que nous avons entendu les inquiétudes légitimes de certains de nos collègues, notamment Rémy Pointereau, quant à la sauvegarde des emplois, particulièrement d’ingénieur et d’ouvrier qualifié, mais aussi de maintien des sites, notamment dans le département du Cher.
Au nom de la commission spéciale, j’ai auditionné le PDG de Nexter : il voit dans le rapprochement une véritable chance pour l’entreprise et estime qu’il comporte d’importants avantages. Tout sera mis en œuvre pour maintenir les emplois sur nos territoires et, bien évidemment, préserver les sites.
L’avis est donc défavorable, car nous souhaitons que cette opération de rapprochement puisse être réalisée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. J’aimerais expliquer l’objectif de cette opération et répondre aux différents orateurs, ce qui me conduira à donner un avis défavorable sur tous les amendements portant sur cet article.
Le groupe GIAT a deux entités : la Société nationale des poudres et des explosifs, ou SNPE, qui a déjà été privatisée depuis plusieurs années, et Nexter. Nexter a aujourd’hui un sujet de taille critique : plus de 50 % de son chiffre d’affaires est aujourd’hui réalisé à l’export. Les perspectives des commandes publiques françaises ne lui permettent pas d’avoir un plan d’expansion satisfaisant. L’avenir de Nexter, comme d’ailleurs de nombre de ces entreprises, est à l’export. Il faut s’en féliciter.
Le groupe allemand KMW, dont la détention capitalistique est familiale, a une problématique comparable.
Depuis plusieurs années, les deux entreprises souhaitent se rapprocher et ont engagé des discussions, interrompues plusieurs fois, puis reprises. Ce rapprochement a une pertinence industrielle.
Avec cet article, nous souhaitons pouvoir ouvrir le capital de Nexter, non pas pour céder des actions – je veux être très précis, l’État ne gagnera pas de liquidités –, mais pour permettre le rapprochement de ces deux entités à parité. Ces deux groupes sont en effet comparables, avec environ 6 000 salariés et 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
J’entends les propositions de procéder à un rapprochement avec Renault Trucks ou avec Thalès. Des diligences en ce sens ont été faites par l’entreprise, mais, dans le domaine industriel, autant il est possible de bloquer un mariage, autant on ne peut pas le forcer. Ajoutons qu’il y a très peu de complémentarité entre ces acteurs, qui appartiennent certes au même secteur d’activité, mais qui ne seraient pas plus forts si on les mariait, surtout contre leur volonté. De tels mariages ne seraient pas pertinents. Je vous invite d’ailleurs à interroger les connaisseurs du secteur et les dirigeants de ces entreprises : ils vous diront eux-mêmes qu’il n’y a pas d’attentes à cet égard. Le rapprochement pertinent, c’est celui entre Nexter et KMW.
Nous entendons, par cette opération, assurer la pérennité de l’industrie de l’armement terrestre, de ses emplois, de sa recherche et développement, et en favoriser l’expansion, aujourd’hui difficile.
Quels seront nos droits ? L’État co-contrôlera la société commune et détiendra une action spécifique dans Nexter-Industries, conformément au vote exprimé par la Haute Assemblée il y a quelques instants, et non pas dans la holding de tête.
Comment sera structurée cette entité commune ? Comme l’a dit Mme la rapporteur, Nexter et KMW conserveront leur autonomie industrielle les premières années, les synergies concernant surtout le développement à l’international et celui de nouveaux projets. Ils seront rapprochés au sein d’une entité de tête dans laquelle l’État français détiendra 50 % du capital et la famille Wegmann 50 % également. Telle est l’organisation d’ensemble. Cette entité de tête serait en effet installée aux Pays-Bas, comme l’est, à titre de comparaison, l’entité faîtière de Renault-Nissan. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq. Et celle d’EADS !
M. Emmanuel Macron, ministre. En effet.
Pour autant, les deux entités conserveront leurs activités industrielles et leurs bases fiscales dans chacun des deux pays. Par conséquent, ce montage n’aboutira en aucun cas à un détournement de base fiscale. Je vous invite au demeurant à considérer, à cet égard, l’exemple de l’alliance entre Renault et Nissan, qui n’a pas permis à ces deux entreprises de détourner de la base fiscale.
Il ne s’agit donc ni d’un schéma d’optimisation fiscale ni d’un schéma de fusion accélérée. Il s’agit d’un schéma de rapprochement, que je vous expose en toute transparence et en détail, afin que l’on ne puisse nous soupçonner de mettre en œuvre un plan caché.
Sur le plan industriel, plus de 50 % du chiffre d’affaires de Nexter est réalisé à l’export. KMW est également un acteur important à l’export, mais on se trompe en annonçant une cannibalisation.
Pour reprendre l’exemple du VBCI de Nexter et du Boxer de KMW, les appels d’offres montrent qu’il existe une complémentarité parfaite. Tel est d’ailleurs le constat dressé par les industriels : il est rare que deux entreprises se rapprochent dans le but de se concurrencer l’une l’autre.
Ainsi, KMW n’a pas répondu aux appels d’offres, lancés par les Émirats arabes unis, le Danemark, le Qatar et, précédemment, le Canada, au titre desquels le VBCI a été sélectionné. Il y a une complémentarité entre le Boxer et le VBCI parce que l’usage n’est pas le même. Ces deux matériels militaires, en effet, ne recourent pas aux mêmes modes de traction, ne sont pas utilisés par les mêmes armées ni sur les mêmes terrains d’intervention. L’Allemagne privilégie l’artillerie chenillée, la France l’artillerie à roues. Deux modèles classiques d’intervention ont conduit au développement de ces deux formes d’industrie, qui présentent des synergies à l’échelon des sous-traitants et une véritable complémentarité en termes d’offre industrielle. Cela renforce à nos yeux la pertinence de ce rapprochement.
Les actionnaires ne pourront céder leurs parts qu’après un délai de cinq ans. L’État n’a de toute façon aucunement l’intention de céder les siennes au-delà de cette échéance, comme en témoigne la politique qu’il suit dans ce secteur.
Je conclurai en évoquant l’incidence de ce rapprochement sur l’emploi. L’intégration des deux entreprises sera progressive, deux entités étant maintenues. À moyen terme, des projets communs seront développés, pour déboucher sur de nouveaux produits. Par conséquent, les bases installées ne seront pas réduites, pour la raison très simple qu’il n’y a pas de superposition entre celles qui sont implantées dans chacun des deux pays. Cela étant, pour obtenir des volumes d’activité et préserver ces bases installées, il faudra continuer de gagner des marchés à l’international. Tel est le sens de ce rapprochement.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 51.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ma part, je voterai cet amendement de suppression, pour une raison simple : à mon sens, la politique d’armement procède de la souveraineté nationale. Je ne suis pas la seule à défendre ce point de vue, qui est partagé par des députés de tous bords, comme l’ont bien montré les débats à l’Assemblée nationale. On ne peut pas commencer à bâtir ainsi l’Europe de la défense alors que les événements récents témoignent que, en la matière, l’unité européenne ne relève pas de l’évidence, hélas : les intérêts, les visions de l’avenir et les priorités ne convergent pas nécessairement.
Par ailleurs, nous le savons bien, non seulement l’industrie de l’armement constitue un élément majeur de notre capacité de défense et d’intervention dans le monde, mais la force d’innovation de ses centres de recherche et développement représente un levier pour toute une série d’autres secteurs industriels. De ce point de vue, le modèle américain est d’ailleurs beaucoup plus avancé que le nôtre. Je le dis tout net : se priver de cet investissement de l’industrie de l’armement en faveur de la recherche qui irrigue d’autres secteurs, le noyer dans une grande entité, fût-elle paritaire dans un premier temps et, prétendument, ouverte à l’intervention de l’État se révélera néfaste dans la durée, car l’argent finira par primer sur la stratégie et le politique ne pourra plus peser sur les choix industriels.
Enfin, monsieur le ministre, vous nous avez dit hier qu’il fallait tout faire pour que les centres de décision des grandes entreprises restent en France. Bravo, mais alors pourquoi implanter aux Pays-Bas l’entité de tête de la nouvelle société ? (M. Jean Desessard rit.) Je connais le calcul des bases fiscales théoriques, mais regardez quelle part de ses impôts EADS acquitte aux Pays-Bas, alors que cette entreprise n’y produit quasiment rien ! En réalité, nous le savons bien, il s’agit de s’octroyer des libertés, parce que les lois néerlandaises imposent précisément moins de contrôle par la décision publique que les lois françaises et accordent en outre, au passage, quelques petits avantages fiscaux divers et variés.
Pour ma part, j’étais déjà hostile à l’installation de l’entité de tête d’EADS aux Pays-Bas ; je suis hostile à ce que l’on incorpore une grande entreprise française dans un grand magma dont les stratégies ne prendront pas réellement en compte les intérêts de notre pays, qui devraient pourtant être prioritaires !
À terme, où seront décidées les nouvelles implantations ? Cette question a beaucoup d’importance au regard de l’emploi et de la définition des nouveaux produits.
Je persiste à considérer que ces industries stratégiques doivent rester majoritairement, massivement françaises. Ma position n’a pas varié d’un iota. Je n’accepte pas la fusion de Nexter, qui doit rester publique, avec une entreprise étrangère.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. J’ai un point de divergence avec Mme Lienemann : il me semble que c’est avant-hier, et non hier, que M. le ministre a affirmé que les centres de décision devaient être maintenus en France… (Sourires.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ah, peut-être !
M. Jean Desessard. Quoi qu’il en soit, je confirme que le ministre nous a dit que tout devait être fait pour conserver les instances dirigeantes sur le territoire national.
Alors que nous tenons là une occasion de mettre ce principe en application, sans que cela coûte quoi que ce soit, il est décidé d’installer l’entité de tête de la nouvelle entreprise aux Pays-Bas, comme si la chose allait de soi… Peut-être nous fournira-t-on une explication ? Il serait tout de même intéressant de savoir pourquoi le centre de décision d’une entité résultant d’une fusion entre une entreprise française et une entreprise allemande est installé aux Pays-Bas.
S’agit-il de préparer l’émergence d’une armée européenne, à laquelle je suis favorable ? Ce choix traduirait alors une vision particulièrement optimiste, car la mise en œuvre de ce projet réclamera un peu de temps !
Personnellement, je ne voterai pas en faveur de cet article. Monsieur le ministre, il me semble avoir compris que l’État ne tirerait aucune recette de cette opération : pouvez-vous le confirmer ? (M. le ministre acquiesce.) Il s’agit donc seulement d’un regroupement d’entreprises en vue d’obtenir des synergies et d’atteindre une taille plus importante.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il y a d’autres méthodes !
M. Jean Desessard. Mais le capital reste, pour l’heure, sous contrôle public.
Mme Annie David. À 50% !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour cinq ans !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Ces combats d’arrière-garde m’étonnent (Protestations sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.), à l’heure où nous bâtissons l’Europe. La construction d’une industrie de défense européenne est une cause qui doit tous nous réunir. Nous n’atteignons pas la taille critique pour concevoir les systèmes d’armes de demain. Par conséquent, ce rapprochement entre deux entreprises très complémentaires est une excellente chose. L’Europe se construit, l’Europe de la défense doit se faire. Il convient de mutualiser les coûts de recherche et développement.
Nous devrions nous féliciter de cette opération. Je ne comprends pas ce réflexe de se cramponner à l’idée que cette société doit rester nationale, franco-française. Ce n’est pas réaliste ! Nous sommes au XXIe siècle, on a changé de millénaire ! Regardez-vous !
M. Jean-Pierre Bosino. L’arrière-garde n’est pas là où vous le croyez !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Cette opération ne conduira pas à une fuite des cadres aux Pays-Bas. Je vous invite à considérer l’exemple d’EADS : le rapprochement franco-allemand a conduit à la relocalisation à Toulouse du siège productif du groupe ! La France y a gagné. En effet, trois des quatre centres productifs du groupe se situent aujourd’hui en France. La production de valeur d’EADS aux Pays-Bas est quasiment nulle !
La vie en commun, c’est parfois difficile. En l’occurrence, il s’agit d’une fusion entre égaux, d’un mariage à parité entre deux entreprises réalisant le même chiffre d’affaires et comptant autant de salariés. L’État, qui détient 100 % du capital de Nexter, recevra donc 50 % du capital de la nouvelle entité. Pour opérer un tel rapprochement, l’intervention de la loi est nécessaire. L’État ne tirera aucune recette de cette opération, monsieur Desessard, parce qu’il ne cède pas les actions de Nexter qu’il possède aujourd’hui.
Qui va diriger la nouvelle entité ? Comment s’organisera-t-on ? Où seront situés les actifs ? Pour l’heure, chacun conservera ses entités productives dans chaque pays. On verra comment cela fonctionne, mais il faut une entité de tête. Celle-ci sera située aux Pays-Bas pour quatre raisons : ce pays ne compte aucun concurrent de la nouvelle entreprise ; il est situé en Europe ; il appartient à l’OTAN ; les règles d’enregistrement et les conditions de gouvernance y sont les plus simples, ce qui explique que les centres de décision de nombreuses entreprises ou joint ventures y soient localisés.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh bien, mettons toutes les entreprises là-bas, alors !
M. Emmanuel Macron, ministre. Madame la sénatrice, les cadres et les dirigeants de Nexter n’iront pas davantage s’installer aux Pays-Bas demain que les dirigeants d’Airbus ne l’ont fait il y a vingt ans ! Considérons au moins cette expérience in vivo ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Vous avez la conviction chevillée au corps, madame la sénatrice, que les choses vont forcément mal se passer, que nous sommes condamnés à nous faire avoir, que le mal est partout ! Je veux seulement appeler votre attention sur le précédent positif d’EADS, devenu Airbus. L’opération projetée, qui est soutenue par les industriels, a du sens. La France en sortira renforcée, car celles et ceux qui dirigent, produisent et recherchent chez Nexter resteront dans notre pays, où ils pourront embaucher d’autres personnes.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour combien de temps ?
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je crois pouvoir apporter quelques éléments de réflexion supplémentaires.
Le seul avion de transport dont disposent les forces armées françaises, pour les quarante années qui viennent, est un produit d’EADS, donc européen. Je rappelle d’ailleurs à certains de nos collègues qu’ils étaient membres du Gouvernement lorsque la décision de le construire a été prise. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
M. Michel Bouvard. Cela n’a pas été simple !
M. Alain Richard. Dans un domaine qui a tout de même plus d’importance stratégique que celui dont nous débattons aujourd’hui – il s’agit de projeter des forces n’importe où dans le monde, y compris dans les zones les plus tendues –, nous avons choisi un outil qui est le résultat d’une activité de recherche et développement et d’une activité industrielle réparties en Europe. J’indique, pour ceux qui ne sont pas familiers de ces questions, que le pôle principal de réalisation de l’avion de transport européen est situé à Séville, en Espagne.
Par ailleurs, depuis vingt ans, notre seul missile de croisière – l’arme stratégique par excellence, celle qui a la capacité de destruction, projetée à longue distance, la plus forte – est le produit d’une co-entreprise franco-britannique.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Alain Richard. Il s’agissait d’un choix des autorités britanniques de l’époque, conservatrices, et françaises, les deux pays étant les seuls, en dehors des États-Unis, à pouvoir construire un missile de croisière. On voit que la volonté d’autonomie à l’égard des Américains peut parfois émaner de puissances dont on ne l’attend pas forcément !
Enfin, s’il est indéniable qu’il y a de la technologie dans les équipements blindés terrestres, la densité d’électronique des systèmes de combat que l’on trouve dans un VBCI n’est tout de même pas tout à fait celle d’un avion de combat. Il faut garder le sens des proportions ; ce n’est pas là que se développera la compétition avec le Pentagone. (M. Jean Bizet applaudit.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 128 rectifié est présenté par M. Pointereau.
L’amendement n° 1174 rectifié est présenté par Mme Assassi, M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
N’est pas autorisé un transfert du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres qui s’inscrirait dans le cadre d’une opération de consolidation industrielle incluant une société sous le coup d’une procédure judiciaire pour des faits de corruption.
L’amendement n° 128 rectifié n’est pas soutenu.
La parole est à M. Michel Billout, pour présenter l’amendement n° 1174 rectifié.
M. Michel Billout. Les différents motifs qui nous font douter du bien-fondé du rapprochement, tel qu’il est envisagé, entre Nexter et KMW ont donné lieu à un débat intéressant.
Je voudrais évoquer un point qui n’a pas encore été abordé, celui des risques éthiques et d’insécurité juridique inhérents à ce projet.
En effet, il est de notoriété publique que KMW fait l’objet d’une procédure judiciaire pour corruption, dans le cadre de la vente à la Grèce de blindés lourds de type Léopard. Cette procédure en cours risque de nuire à la réputation de la future société et, par voie de conséquence, d’avoir un impact négatif sur ses résultats commerciaux.
Dans ce cas de figure, d’un strict point de vue financier, il est à craindre que notre apport de capitaux publics n’en pâtisse et que nos intérêts ne soient affectés.
En outre, cette procédure ne pourrait que ternir l’image internationale de notre pays, dont les efforts diplomatiques pour introduire des règles d’éthique dans les négociations sur la régulation des marchés de l’armement sont largement reconnus.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons, mes chers collègues, d’adopter cet amendement, qui tend à interdire tout transfert de capitaux dans le cadre d’une opération dont l’une des parties prenantes est une société sous le coup d’une procédure judiciaire pour faits de corruption.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Comme vous, monsieur le sénateur, j’ai lu la presse. Nous nous sommes préoccupés de cette affaire, qui fera d’ailleurs l’objet des vérifications effectuées au titre de la due diligence dans le cadre du rapprochement.
Cette procédure judiciaire qui serait en cours n’implique pas culpabilité. Je vous invite à considérer les conséquences de l’inscription dans la loi de dispositions visant à interdire toute opération de rapprochement impliquant une entreprise faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Si l’on veut complètement stériliser le tissu productif français, il faut adopter cet amendement !
Des vérifications exhaustives seront menées, je le répète. Ce rapprochement fait l’objet, en outre, de protections analogues à celles qui ont déjà pu être mises en œuvre en matière d’investissements étrangers en France. Nous aurons la possibilité de bloquer l’opération, pour cette raison ou pour d’autres, en vertu de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier.
En tout état de cause, je vous incite vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas introduire une telle disposition dans la loi, car elle est excessive à tous égards.
Je demande donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer. À défaut, je ne pourrai y être que défavorable.