Croissance, activité et égalité des chances économiques
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements portant article additionnel après l’article 30.
Articles additionnels après l’article 30 (suite)
Mme la présidente. L’amendement n° 1667, présenté par MM. Delattre, Calvet, Vasselle, Gilles et Commeinhes, Mme Cayeux, MM. Kennel, Reichardt, Pellevat, Longuet et Trillard, Mme Lamure, MM. Laufoaulu et Mandelli, Mme Duchêne, M. Bignon, Mme Deromedi, MM. Laménie, Buffet, Houel, G. Bailly, B. Fournier, Savin et Doligé, Mme Primas et M. Husson, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Aux 1°, 2° et 4° de l’article L. 212-7 du code du cinéma et de l’image animée, le nombre : « 300 » est remplacé par le nombre : « 600 ».
La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Cet amendement vise à permettre la réinstallation de salles de spectacle destinées à accueillir des cinémas dans les centres-villes. Les villes moyennes souffrent en effet d’une désaffection profonde de leurs salles et équipements anciens, au profit de grands centres installés en périphérie.
À l’image de la loi Royer, qui visait à limiter le développement des grandes surfaces commerciales, il y a quarante ans, un dispositif a été adopté, il y a vingt ans, pour faire en sorte que les salles de cinéma restent en centre-ville.
On a donc durci la réglementation pour gêner les implantations, mais les installations récentes de grande capacité sont installées, pour l’essentiel, à la périphérie des grandes villes. Les villes moyennes qui souhaitent réimplanter une salle de cinéma dans un centre-ville ayant besoin d’animation doivent se soumettre à une procédure qui s’apparenterait presque à un parcours du combattant ; si vous souhaitez plus de précisions, monsieur le ministre, je vous les donnerai volontiers.
Actuellement, les salles de spectacle sont soumises à des seuils, comme la grande distribution est soumise à un seuil de mille mètres carrés par magasin. Seules les ouvertures de cinémas de moins de 300 places ne sont pas soumises à autorisation d’une commission.
En réalité, dans beaucoup de villes moyennes, il ne reste qu’un seul cinéma de moins de 300 places et, peut-être, une petite salle d’art et d’essai. Notre dispositif est donc désuet et ne permet plus de répondre, notamment, aux attentes des jeunes, parce qu’il ne permet plus d’offrir une certaine diversité dans la programmation ni d’avoir un hall d’accueil suffisamment spacieux pour y attendre des amis.
Il n’y a aucune raison que l’on reste bloqué dans des procédures qui s’apparentent à une « machine à dire non » : si l’on veut créer une salle de plus de 300 sièges, on est soumis aux mêmes obligations que pour construire un complexe de plusieurs milliers de places.
En effet, la commission départementale devrait s’occuper des installations d’intérêt départemental, mais le Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, y est représenté et tout est fait pour que la commission fonctionne comme une commission nationale.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Francis Delattre. Déjà ! J’espère que le PSG gagne, parce que vous me cueillez à froid, madame la présidente ! (Sourires.) Je n’en étais qu’à l’échauffement.
J’aurai sûrement l’occasion de répondre à Mme la corapporteur ou à M. le ministre. En tout cas, je ne vais pas lâcher, comme on dit !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. La commission spéciale a décidé d’émettre un avis favorable sur l’amendement de M. Francis Delattre.
M. Bruno Sido. Ah !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En effet, elle considère que la réglementation a souvent changé, c’est le moins que l’on puisse dire ! Le relèvement de 300 places à 600 places du seuil à partir duquel l’ouverture d’une salle de spectacle est soumise à autorisation lui paraît une bonne chose, mais il serait souhaitable que la réglementation soit stabilisée dans le temps, pour donner à l’ensemble des professionnels du secteur une meilleure visibilité.
Lors de la réunion de la commission spéciale, M. Alain Richard et d’autres collègues avaient souhaité que ce relèvement du seuil puisse également s’appliquer à l’extension des salles existantes.
M. Charles Revet. Très bonne idée !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Après vérification, il apparaît que, en visant les 1°, 2° et 4° de l’article L. 212-7 du code du cinéma et de l’image animée, les auteurs de l’amendement n° 1667 ont tout à fait pris en compte les cas d’extension.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Le sujet n’est pas nouveau. Les seuils de passage devant la commission départementale d’aménagement commercial, la CDAC, ont été définis, pour les cinémas comme pour les centres commerciaux, afin de protéger les centres-ville et les salles de petit format.
Je vous rappelle que 80 % des villes de plus de 20 000 habitants ont un cinéma et que beaucoup de ces cinémas comptent moins de 600 places. La problématique à laquelle vous êtes confronté, monsieur le sénateur, est celle des communes de la grande couronne, où des salles d’un format légèrement supérieur à 300 places veulent s’installer et sont bloquées.
Le dossier qui m’a été préparé m’engageait à émettre un avis défavorable sur votre amendement. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je pense malgré tout qu’un débat doit s’ouvrir au sein de la Haute Assemblée, parce que certains d’entre vous ont peut-être des raisons de protéger les plus petites salles de cinéma. Je dois avouer que le Gouvernement ne sait pas nécessairement quelle est la meilleure solution.
Puisque vous exprimez une préoccupation dont je constate qu’elle est récurrente, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. Francis Delattre. Merci, monsieur le ministre !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Je vais plaider contre cet amendement et pour les communes, qui ne sont pas rurales, mais qui ne sont pas vraiment urbaines non plus, et qui ont réussi à sauver des cinémas grâce à l’action de la collectivité et des associations.
Mon intercommunalité compte deux cinémas : l’un est intercommunal, l’autre associatif. Ils ont réussi à se coordonner avec trois autres et, dans leur secteur, qui va loin – jusqu’à Sainte-Menehould –, ils arrivent à obtenir des sorties nationales : les films les plus récents sont donc distribués dans nos cinémas grâce à cette mutualisation. Nous nous battons aujourd’hui pour éviter que des salles ne s’installent dans des complexes commerciaux situés à proximité, dans le département de la Moselle pour tout dire. Ces grandes salles sont malheureusement en train de récupérer une partie de la clientèle. Or, chez nous, si les petites salles disparaissent, certaines personnes ne pourront plus aller au cinéma.
Je plaide donc en faveur du maintien de la réglementation actuelle. En outre, les commissions sont responsables et savent prendre en compte des circonstances locales particulières ; il faut cesser de leur intenter des procès en permanence !
Mes chers collègues, si vous relevez ce seuil, vous signez la mort de nos petits cinémas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Je voudrais intervenir dans le même sens que notre collègue Évelyne Didier. En effet, il serait bon de conserver le seuil de 300 places.
L’agglomération toulousaine a vécu tous les cas de figure, et le problème a été résolu par une étude, dans le cadre du schéma de cohérence territoriale, le SCOT, des implantations cinématographiques. Les autorisations d’ouverture ont été accordées quand elles étaient nécessaires, de même que les petites salles ont été protégées.
Quoi qu’il en soit, il me semble qu’il faut conserver le système de l’autorisation pour les salles de plus de 300 places, parce que ce seuil est tout à fait convenable et qu’il me semble dangereux de le relever. Tout en comprenant l’esprit dans lequel ont travaillé les auteurs de l’amendement, il me semble que nous pouvons harmoniser les situations à l’échelle des territoires et trouver des solutions dans le cadre du droit existant.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je suis pour l’amendement de notre collègue Francis Delattre, parce que je considère qu’il faut respecter la liberté d’entreprendre.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Pour ouvrir ces petits complexes, il faut constituer des dossiers, réaliser des études d’impact, des études de marché. Les grands groupes ont les moyens d’effectuer ce travail, qui est infaisable pour un petit entrepreneur privé.
J’estime donc qu’il faut laisser jouer la liberté du commerce, afin que chaque ville puisse avoir son Cinema paradiso ! (Sourires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas comme cela qu’elles l’auront !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1667.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 147 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 190 |
Contre | 146 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 30.
L'amendement n° 139 rectifié, présenté par MM. de Montgolfier, Revet, Husson, Perrin, G. Bailly et Delattre, Mme Deseyne, M. de Nicolaÿ, Mme Troendlé, MM. Longuet, Pierre, Paul, Karoutchi, Calvet, Raison et Commeinhes, Mme Des Esgaulx, MM. Danesi et César, Mme Lopez, M. Leleux, Mmes Deromedi, Micouleau, Primas et Duchêne, MM. Doligé, Mandelli, Bignon et D. Robert, Mme Imbert, MM. Mayet, B. Fournier, Lefèvre, Darnaud, Morisset, Genest et Milon, Mme Lamure, MM. P. Leroy, Charon, Gremillet, Laménie et Grand et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En cas d’appel ou de pourvoi contre une décision d’une juridiction relative à une déclaration d’utilité publique ou un arrêté de cessibilité, la juridiction saisie se prononce dans un délai de dix mois à compter de l’enregistrement du recours au greffe de la juridiction saisie.
La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Cet amendement, qui vise les délais imposés aux juges, est dans la veine de ceux qui ont été retirés tout à l’heure. Nous le retirons donc également.
M. François Pillet, corapporteur. Très bien !
Mme la présidente. L'amendement n° 139 rectifié est retiré.
L'amendement n° 1081, présenté par Mme Assassi, M. Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 35 du code des postes et communications électroniques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Ces obligations de service public sont fixées par le ministre chargé des communications électroniques qui établit, en concertation avec les collectivités territoriales, un plan de développement stratégique du numérique sur tout le territoire, respectant les obligations de service public définies aux quatre premiers alinéas, qui s’impose à tous les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès internet.
« En l’absence de respect de ces obligations, le ministre chargé des communications électroniques étudie la pertinence de la création d’un opérateur de réseau unique, ainsi que les modalités de son financement par les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès internet. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre amendement tend à s’insérer dans l’article 35 du chapitre 3 du code des postes et télécommunications, qui est relatif aux obligations de service public.
En effet, force est de constater que l’ouverture au privé du secteur des télécommunications ne permet pas la réalisation optimale de la couverture téléphonique et numérique de tout le territoire.
Pourtant, l’article 35 dispose que les obligations de service public doivent se faire dans le respect du principe d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et évoque un service universel des communications électroniques dont le détail est fait à l’article 35-1. Cela suppose, à notre sens, l’absence de zones blanches ou grises, qui pourtant existent bel et bien, avec près de 400 communes concernées par une absence de réseau ou un mauvais réseau.
Nous proposons donc de réaffirmer le rôle stratégique de l’État, en précisant que les obligations de service public mentionnées à l’article 35 sont fixées par le ministre chargé des communications électroniques et que ce dernier établit, en concertation avec les collectivités territoriales, un plan de développement stratégique du numérique sur tout le territoire, qui s’impose à tous les opérateurs de téléphonie et aux fournisseurs d’accès à internet.
Nous proposons que, en l’absence de respect de ces obligations, le ministre chargé des communications électroniques envisage la possibilité de la création d’un opérateur de réseau unique sous responsabilité publique.
Si certaines zones sont actuellement délaissées, c’est parce qu’elles ne sont pas rentables pour les opérateurs. Or c’est bien le rôle de l’État que de garantir l’existence d’un service sur le territoire, malgré l’absence de rentabilité de cette activité, simplement parce qu’il est indispensable à la vie en société.
Il faut d’ailleurs souligner que ce sont aujourd’hui les collectivités qui financent les investissements que les opérateurs privés refusent de faire pour les attirer sur leur territoire, aboutissant à une situation pour le moins paradoxale et étonnante : le financement d’entreprises privées par de l’argent public de collectivités exsangues, pour que ces entreprises acceptent de s’acquitter d’obligations qui normalement leur incombent, puisqu’elles relèvent du service universel définit par la loi.
Aujourd'hui, compte tenu de l’importance du numérique, plus aucune zone ne doit être dans ce désert. Nous souhaitons donc renforcer le rôle de l’État dans l’obligation de couverture de l’ensemble du territoire, ce que les opérateurs privés ont échoué à faire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Sur la forme, nous ne pouvons accueillir, au sein d’un projet loi ne portant pas directement sur le numérique, un tel bouleversement du service public des communications électroniques. Madame David, les dispositions de votre amendement pourraient davantage trouver sa place dans le futur projet de loi numérique.
Sur le fond, l’adoption de votre amendement, au caractère excessivement ambitieux, voire utopique, poserait certaines difficultés financières et juridiques, dont l’approfondissement ne semble pas opportun.
Enfin, nous examinerons tout à l’heure un amendement n° 1761 ayant pour objet la couverture des zones blanches. Son adoption donnerait pour partie satisfaction aux auteurs de l’amendement n° 1081.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Je ne reviendrai pas sur les arguments juridiques qui ont été évoqués par Mme la corapporteur.
Pour sa part, l’État ne reste pas inactif pour garantir la bonne couverture des territoires, bien au contraire. Concernant l’accès au très haut débit fixe, le Gouvernement est conscient que les débits accessibles dans certaines zones, en particulier les régions rurales de campagne, ne sont pas pleinement satisfaisants.
Le plan France Très Haut Débit, lancé en 2013, vise à garantir, pour tous, l’accès à un très haut débit de qualité d’ici à 2022. En effet, nous ne pouvons accepter que certaines zones bénéficient d’une moindre qualité d’accès par rapport à d’autres, qu’elles ne soient équipées que par du cuivre ou de simples câbles. Notre ambition est de faire accéder tous les foyers à un débit de 3 ou 4 mégabits.
Pour cela, outre le déploiement de réseaux mutualisés de fibre optique, le plan prévoit l’usage de différentes technologies selon les situations, comme le satellite, convenant davantage aux zones peu accessibles. Il nous faut maintenir un niveau maximal d’exigence. Je veux que l’on aille plus vite et que l’on simplifie les choses.
Concernant la téléphonie mobile, je veux rappeler un chiffre : aujourd’hui, quelque 99,9 % de la population française bénéficient de la couverture mobile sur leur lieu d’habitation.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Emmanuel Macron, ministre. Toutefois, il est vrai qu’il existe des zones, y compris des centres-bourgs, des zones d’activités ou de passage non couvertes par la téléphonie mobile. Vous avez raison, cette situation est insupportable pour ceux de nos concitoyens qui y sont confrontés. Nous devons réagir.
À ce sujet, le Premier ministre a fait des annonces très claires, il y a quelques semaines. Le Gouvernement a ainsi fait de la couverture du territoire en téléphonie mobile l’une de ses priorités. J’y reviendrai dans quelques instants, en défendant un amendement du Gouvernement très complet sur ce sujet.
Ma volonté est de vous confirmer l’engagement du Gouvernement et des opérateurs. Leur investissement, en particulier dans le haut débit fixe, est notre priorité. En effet, si Orange suit à peu près ses engagements, les autres opérateurs sont aujourd’hui en retard. Je les réunirai dans quelques semaines, afin qu’ils participent à l’effort d’investissement en très haut débit fixe. Nous y reviendrons plus en détail lors de l’examen de l’article 33 septies.
M. Roland Courteau. Il y a urgence !
M. Emmanuel Macron, ministre. Par conséquent, je resterai très vigilant sur toutes les opérations de concentration qu’il pourrait y avoir dans ce secteur. L’État remplira, avec les collectivités, son rôle d’accompagnement, mais les opérateurs doivent également jouer le jeu. Sur le mobile, nous devons être plus exigeants.
À la lumière de ces explications, madame David, je vous invite donc à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. J’entends bien vos arguments, monsieur le ministre, et je serais tentée de retirer cet amendement, pour revenir sur le sujet lors de la discussion lors de l’amendement que vous défendrez.
Toutefois, pour ma part, je suis membre de l’instance de concertation en matière de téléphonie mobile de mon département. Elle est constituée de quatre collèges réunissant les élus, l’État, les opérateurs, mais aussi les associations.
Or je puis vous garantir que, à chacune des réunions de cette instance de concertation, pourtant régulières, aussi bien les élus que les associations font part du manque de couverture des réseaux et des difficultés que ce problème suscite.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Annie David. Vous nous donnez les chiffres du ministère sur la couverture du réseau, mais dans mon département, dans une zone montagnarde comme l’Oisans, qui représente un peu plus de 5 % du territoire, la couverture n’en est pas encore à la 2G !
Il faut faire vite, monsieur le ministre. Il y a urgence. Si nous voulons le développement de nos territoires ruraux, il est nécessaire de permettre que cette technologie soit disponible partout.
Par ailleurs, vous avez fait valoir, madame la corapporteur, que le numérique n’était pas le sujet de ce projet de loi. Soit ! On peut considérer que cet amendement est un peu cavalier. Néanmoins, il me semble que, depuis le début de l’examen de ce texte, nombre de cavaliers ont été débattus.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Je vous l’accorde !
Mme Annie David. Certains d’entre eux, ayant eu les faveurs de la commission, ont d’ailleurs été adoptés ! Ainsi, l’argument de l’amendement cavalier, dans un texte comme celui-ci, ne me semble pas tout à fait recevable.
Quoi qu'il en soit, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 1081 est retiré.
L’amendement n° 1080, présenté par Mme Assassi, MM. Bocquet, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement présente dans les six mois un rapport sur les conséquences pour la société française de la privatisation de France Télécom.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Le projet de loi dont nous discutons aborde, d’une part, l’économie numérique et la téléphonie, et, d’autre part, la question des privatisations.
Face au développement considérable de ce secteur fortement soumis aux vicissitudes de l’économie de marché, les membres du groupe CRC ont jugé utile de faire un point sur les conséquences de la privatisation de France Télécom sur la société française.
À votre vision dogmatique, monsieur le ministre, d’un secteur privé supérieur par nature au secteur public – je vous rassure, vous n’êtes pas le seul à défendre cette vision ! –, nous opposons une démarche qui place en son cœur l’intérêt général.
Aujourd’hui, l’État ne conserve plus que 26,7 % du capital de France Télécom, contre 60 % avant 1997 et 51 % en 1997.
Ce sont les tristement célèbres fonds de pension qui détiennent aujourd’hui 65 % du capital de cette entreprise, qui ne s’appelle d’ailleurs plus France Télécom. Il ne faut pas faire preuve de beaucoup de bon sens pour comprendre, d’emblée, que la mainmise de ces institutions financières n’a qu’un seul but : le profit financier.
Dès la perte de la majorité du capital par la puissance publique, Thierry Breton et Didier Lombard, qui ont dirigé successivement l’entreprise, ont insufflé l’esprit de concurrence et décidé la commercialisation de produits et services sous la marque Orange. Peu à peu, l’usager d’un service public est devenu le client d’un groupe privé géré à l’américaine, mais employant encore, de manière paradoxale, quelque 80 000 fonctionnaires.
Nous reviendrons dans un instant sur la conséquence la plus connue et la plus visible de la privatisation : le mal-être et la surcharge de travail, qui poussent de nombreux salariés à des gestes désespérés.
France Télécom était un service public performant, qui, devenu une entreprise privée, officiellement dénommée Orange dans sa totalité depuis le 1er juillet 2013, a comme objectif non plus l’intérêt social, mais de grandes logiques de rentabilité. Un bilan doit être dressé plus de dix ans après la privatisation définitive de France Télécom : bilan humain pour les salariés, bien sûr, mais aussi bilan économique.
L’abandon du nom France Télécom symbolise en outre, selon nous, le déracinement par rapport aux territoires. Avec cette décision, le choix a été fait de sortir d’une logique nationale pour imposer une marque – une dérive marchande.
Quel est le bilan de la réduction de l’implication de l’État ? Est-il vrai que nous sommes en retard en matière de modernisation des réseaux et de prestations ? Ne convient-il pas de constater, monsieur le ministre, que des pays comme le Japon ou la Corée du Sud, où l’État est fortement impliqué dans le secteur des télécommunications, prennent de l’avance ?
C’est tout le sens, mes chers collègues, du bilan dont nous vous proposons d’adopter le principe.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Cet amendement vise la remise d’un rapport sur la privatisation de France Télécom. Vous m’accorderez, ma chère collègue, que cette dernière est de l’histoire ancienne ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Ils ne l’ont toujours pas digérée !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En effet, vous l’avez rappelé, voilà dix-sept ans que France Télécom, aujourd’hui dénommée Orange, est devenue une société à capitaux partiellement publics.
L’avis de la commission spéciale est donc bien sûr défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Je souhaite répondre aux propos du ministre, tenus à l’occasion de l’examen de l’amendement n° 1081, sur la politique du Gouvernement en matière de numérique.
Je ferai, moi aussi, quelques rappels, car ce sujet a toujours beaucoup mobilisé le Sénat. Nous avons ainsi adopté un certain nombre de textes sur ce sujet, notamment sur l’initiative de Bruno Retailleau.
Nous avons aussi adopté, à la quasi-unanimité, le 14 février 2012, une proposition de loi visant à assurer l’aménagement numérique du territoire. Elle avait été rejetée à l’Assemblée nationale à la demande du gouvernement de l’époque, qui était de gauche, alors qu’ici, au Sénat, nous avions été soutenus par le groupe socialiste. Le Sénat est donc très attaché à ce sujet.
Premier rappel, en matière de déploiement du très haut débit, des choix ont été faits avant l’arrivée aux responsabilités de l’actuel gouvernement et l’élection de François Hollande à la présidence de la République. Ces choix ont consisté à laisser les opérateurs privés faire ce qu’ils voulaient. Ceux-ci décident donc où et quand ils vont déployer leur réseau. Quant au reste, cela retombe sur les collectivités, qui sont obligées d’investir à grands frais.
À l’époque, mes collègues socialistes étaient tout à fait hostiles à ce modèle, mais vous l’avez pourtant conservé, monsieur le ministre, lorsque vous êtes arrivé aux affaires. Aujourd’hui, force est de constater que les collectivités locales ont beaucoup de mal à déployer ce réseau, qui coûte très cher et qui est d’autant plus difficile à financer que les dotations sont en baisse.
Dans le même temps, les opérateurs ne subissent aucune contrainte et, alors même que l’on déploie le très haut débit sur certains territoires, notamment en milieu urbain, c’est-à-dire là où c’est rentable, des zones rurales sont totalement privées de débit. C’est cela, la réalité de la France, monsieur le ministre !