M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l’article.

M. Michel Le Scouarnec. Comme le précise le rapport du Sénat intitulé « Le droit en soute : le dumping social dans les transports européens » et publié en avril 2014, la marine marchande est un laboratoire en matière de dumping social. De nombreux outils sont à la disposition des entreprises pour échapper à l’application des normes sociales les plus élémentaires. Selon le rapport précité, « le recours aux pavillons de complaisance, désormais utilisés par certains États membres de l’Union européenne, ainsi qu’aux sociétés de main-d’œuvre, le manning, contribue à généraliser ce dumping social. »

Vous avez souligné, monsieur le ministre, que les conditions de travail et de vie de beaucoup de ces marins étaient souvent difficiles, mais, au lieu de remédier à cette situation, vous l’aggravez ! Vous nous dites qu’il faut apporter des améliorations au droit en vigueur et, dans le même temps, vous confortez l’environnement juridique qui contribue à cette concurrence déloyale, à savoir la possibilité de recourir aux sociétés de manning.

De plus, vous revenez sur tous les engagements pris par le Gouvernement. Pourtant, il y a peu, monsieur le ministre, au cours de ce même débat, vous nous parliez de l’importance du respect de la parole de l’État. Vous comprendrez que nous ne soyons pas partisans du « deux poids deux mesures » ! En effet, M. Frédéric Cuvillier, lorsqu’il était en charge des transports, s’était engagé au nom du Gouvernement, à adopter deux mesures phares.

La première consistait dans l’obligation, pour l’armateur, quelle que soit la nationalité du pavillon, de conclure avec le marin un contrat d’engagement maritime de droit français, et non pas seulement traduit en français ! Dans le secteur de la navigation, le respect de ce principe interdit le recours aux sociétés de manning et, par conséquent, interdit la mise à disposition du marin étranger avec le statut de travailleur détaché.

La deuxième mesure devait être la mise en place d’une nouvelle législation en 2014. Elle n’a jamais vu le jour ! Elle était pourtant censée garantir, notamment, le respect de l’obligation républicaine du contrat de travail de droit français, renforçant ainsi l’ensemble des conditions sociales appliquées aux salariés engagés sur tous les navires exerçant des activités régulières dans les eaux territoriales françaises et basés dans les ports français.

Au lieu de quoi, cet article, introduit par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, conforte les sociétés de manning au nom de la compétitivité, comme vous l’avez souligné devant nos collègues députés. Vous acceptez tout simplement d’accroître la précarité et d’ouvrir la possibilité d’embaucher sous le statut de travailleur détaché des marins qui travaillent pourtant au pays des droits de l’homme !

Vous nous dites que nous courons le risque de licenciements en masse. Malheureusement, ils se produisent déjà ! Nous refusons d’appauvrir les travailleurs en prenant pour prétexte le maintien de l’emploi : cela ne fonctionne pas ! Et, dans le même temps, de nombreux cadeaux ont été faits, sans contreparties obligatoires en matière d’emploi, aux armateurs français...

Comment pouvez-vous penser qu’introduire plus de libéralisation et de déréglementation dans la marine marchande préservera et relancera l’emploi de navigants français ?

Selon nous, c’est la concurrence déloyale qu’il faut combattre, et non la protection sociale !

M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Assassi, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Après l’intervention très complète de mon ami Michel Le Scouarnec, j’insisterai, pour ma part, sur le fait que les marins pêcheurs vivent une situation professionnelle très complexe.

Je rappelle que l’article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 consacrait la disparition de la Caisse maritime d’allocations familiales et le transfert de ses missions à l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM. Cette mesure était justifiée par un seul argument : de potentielles économies !

Nous pensions quant à nous – et nous le pensons toujours – que le transfert de la gestion des dossiers à des personnes non averties des spécificités du milieu maritime présentait un risque important. Le recouvrement des cotisations et le versement des prestations familiales par des connaisseurs du milieu maritime sont en effet, à nos yeux, un gage du bon fonctionnement du service et de la qualité de la gestion des affiliés.

La Caisse maritime d’allocations familiales est un organisme du régime général, qui mène une action en direction des familles du monde maritime, et non un organisme lié par convention. Elle poursuit son développement et inscrit de nouveaux allocataires - leur nombre a crû de 3 % entre 2010 et 2012 – et de nouveaux cotisants, ce qui contredit l’image d’une caisse en perte de vitesse.

Elle participe d’ores et déjà à la démarche d’optimisation des coûts de fonctionnement imposée par l’évolution des finances publiques.

Là encore, la méthode employée, qui consiste à regarder uniquement le coût de gestion des dossiers des allocataires, sans tenir compte de la complexité des situations, ne nous semble pas pertinente.

Comme l’ensemble de ce texte, cet article 22 ter nous donne le sentiment d’une libéralisation menée à toute vitesse de tous les secteurs de la vie économique et sociale.

Je voulais me faire ici l’écho des craintes des marins pêcheurs – particulièrement nombreux dans le Morbihan, département cher à Michel Le Scouarnec –, qui, après avoir perdu une caisse spécifique et adaptée d’allocations familiales, vont subir la concurrence des sociétés privées de placement.

Plutôt que d’amélioration, il faut parler de détérioration pour un secteur économique qui représente, en Bretagne, 7 217 emplois en mer, 4 379 actifs travaillant dans les entreprises de transformation et 301 millions d’euros de produits de la mer commercialisés en criée.

M. le président. L’amendement n° 1631, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 18

Rédiger ainsi cet alinéa :

« VI. – Tout ressortissant légalement établi dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen et habilité par les autorités de cet État à exercer l’une des activités mentionnées au I peut exercer cette activité de façon temporaire et occasionnelle en France après en avoir fait la déclaration préalable à l’autorité chargée de la gestion du registre mentionné au II, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. » ;

II. - Alinéa 48

Remplacer les mots :

ces conventions ne s'appliquent pas

par les mots :

cette convention ne s'applique pas

La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit d’un amendement de clarification visant à assurer la conformité de la nouvelle rédaction de l’article L. 5546-1-1 du code des transports avec le droit européen, dans le but d’appliquer la convention de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, sur le travail maritime.

Je souhaite rappeler le cadre dans lequel s’inscrit cette question, à laquelle je suis sensible, croyez-le bien, madame Assassi.

Les navires exerçant leur activité régulièrement dans les eaux françaises, et ce quel que soit le pavillon, sont soumis à un encadrement juridique. Le Gouvernement a adopté un dispositif dit « de l’État d’accueil », qui impose sur douze points essentiels le droit du travail français. Je ne peux donc pas laisser dire ici qu’il y aurait du dumping dans ce domaine.

Par ailleurs, les sociétés dites de manning, qui recrutent des gens de mer pour les mettre à disposition des armateurs, embauchent et rémunèrent leurs salariés de manière régulière. Leur encadrement juridique a été largement renforcé par la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, laquelle loi a permis de transposer les normes sociales de l’OIT.

L’objet de l’amendement gouvernemental qui a été déposé à l’Assemblée nationale était de rectifier certaines dispositions du code des transports issues de cette loi qui se sont révélées insuffisamment précises pour être correctement mises en œuvre. Il s’agit de l’article L. 5542-32-1 dudit code, qui contraint l’armateur à garantir financièrement ses obligations de soins et de rapatriement des marins embarqués, dont un texte réglementaire précise les modalités d’application au secteur de la pêche, et de neuf articles relatifs au service privé de recrutement et de placement.

Nous avons donc précisé et corrigé les éléments de la loi du 16 juillet 2013 qui, à l’usage des faits, n’étaient pas satisfaisants.

Je voulais replacer dans son contexte la démarche du Gouvernement. Il fallait clarifier les dispositions applicables aux sociétés de manning, dont l’encadrement a été précisé en 2013. Car, vous le savez, ces sociétés existent et elles emploient des centaines, voire des milliers de salariés !

Cette démarche est poursuivie au travers de l’amendement n° 1631.

C’est sous le bénéfice de ces explications que, à défaut d’un retrait de l’amendement n° 17, j’émettrai un avis défavorable sur celui-ci.

M. le président. L’amendement n° 1701, présenté par Mme Estrosi Sassone, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 27

Après le mot :

ou

insérer le mot :

toute

La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 17 et 1631.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. L’amendement n° 1701 de la commission spéciale est rédactionnel.

Sur l’amendement n° 17, la commission a émis un avis défavorable. En effet, l’article 22 ter du projet de loi ne renforce pas les sociétés de manning, pas plus qu’elle ne les légalise. Il semble peu judicieux de vouloir combattre le manning en supprimant un article qui, précisément, encadre le recours à ce type de contrat.

J’ajoute que cet article est unanimement attendu par la profession et qu’il a été validé par le Conseil supérieur des gens de mer. Il répond, de surcroît, à une obligation de transposition d’une directive européenne.

La commission est favorable, en revanche, à l’amendement n° 1631 du Gouvernement, qui apporte une clarification souhaitable au régime juridique des entreprises de recrutement et de placement des gens de mer installées dans les autres États membres de l’Union européenne.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1631.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1701.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 22 ter, modifié.

(L'article 22 ter est adopté.)

Chapitre V

Urbanisme

Article 22 ter
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 23 (Texte non modifié par la commission)

Article additionnel avant l'article 23

M. le président. L’amendement n° 1371, présenté par Mme Assassi, M. Le Scouarnec et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 23

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 313-1 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° Le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « dix » ;

2° Le taux : « 0,45 % » est remplacé par le taux : « 1 % ».

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Aujourd’hui, il n’existe que trois moyens pour relancer la construction de logements sociaux : augmenter les dotations de l’État, revenir sur la banalisation du livret A, notamment par une centralisation de la ressource – nous avons déposé un amendement en ce sens – et, enfin, augmenter la quotité de la participation des entreprises à l’effort de construction. C’est à la mise en œuvre de ce dernier outil que tend le présent amendement.

Vous nous direz certainement, monsieur le ministre, que les employeurs cotisent d’ores et déjà à hauteur de 0,45 % des rémunérations, au titre de la participation des entreprises à l’effort de construction, et au Fonds national d’aide au logement, le FNAL, à hauteur de 0,50 % de la part des rémunérations sous plafond, que la part contributive des employeurs au titre du logement s’élève ainsi à environ 1 %, que l’exonération de cotisation des entreprises de dix à vingt salariés a été compensée et que, donc, l’effort des entreprises en faveur du logement est maintenu.

Nous vous rétorquerons qu’une situation exceptionnelle appelle des mesures exceptionnelles. Notre pays traverse une crise du logement qui n’est plus à démontrer dans cet hémicycle. On ne pourra y répondre que par la construction massive de logements sociaux.

Nous le savons tous, on est passé en quelques décennies d’une logique de financement du logement par l’État et de contribution des entreprises à une logique incitative, fondée sur des exonérations fiscales de toutes sortes. Ce système est aujourd’hui à bout de souffle, et tous les acteurs publics sont dans des situations financières qui ne leur permettent plus d’assumer ces transferts de compétences.

L’instauration d’une participation des entreprises à l’effort de construction dès lors qu’elles emploient au moins dix salariés apporterait une grande bouffée d’oxygène et, surtout, offrirait un levier efficace pour relancer le secteur du bâtiment et faire reculer la crise.

Voilà une proposition utile pour changer la donne ! Il convient, en effet, de reconquérir au plus vite les 30 000 emplois perdus dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Relancer la construction sociale permettrait d’engager à nouveau la bataille pour l’emploi, de lutter contre le chômage massif et de longue durée.

Nous pensons que ce type de mesure a totalement sa place dans un projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Cet amendement tend à imposer la cotisation au titre du 1 % logement à toutes les entreprises de plus de dix salariés – et non plus de vingt salariés – et de porter le taux de cotisation de 0,45 % à 1 % de la masse salariale.

Même si l’on peut comprendre, ma chère collègue, votre souhait de voir augmenter les fonds destinés au logement pour renforcer l’effort de construction, qui est absolument indispensable, il ne paraît toutefois pas souhaitable de majorer cette contribution, car cela pourrait peser lourdement sur les comptes des entreprises de moins de vingt salariés, a fortiori en l’absence de discussion préalable avec les partenaires sociaux.

L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1371.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 23
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Articles additionnels après l’article 23

Article 23

(Non modifié)

L’article L. 101-1 du code de la construction et de l’habitation est complété par des 6° et 7° ainsi rédigés :

« 6° Des données sur le traitement des demandes de mutation et sur les parcours résidentiels des locataires des logements sociaux ;

« 7° (Supprimé) »

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l’article.

M. Michel Le Scouarnec. L’article 23 a trait à la mobilité dans le parc social.

Pour favoriser cette mobilité, il faudrait d’abord que nos concitoyens puissent accéder au logement social ! La situation, en effet, est bien souvent trop tendue.

Un peu moins de dix millions de personnes seraient touchées de près ou de loin par la crise du logement, qui constitue sans nul doute la face la plus visible et la plus criante de la crise économique et sociale que nous traversons.

M. André Trillard. C’est la faute de la loi ALUR !

M. Michel Le Scouarnec. Cette crise concentre les plus grandes inégalités et discriminations. Comment expliquer qu’il faille trois mois pour mesurer la moindre inflexion du PIB et plus de deux ans pour déterminer le nombre d’expulsions locatives ?

Il aura aussi fallu attendre onze ans pour que l’INSEE relance un recensement exhaustif du nombre des personnes sans domicile fixe, lequel a bondi de 50 % entre 2001 et 2012. Car ce sont près de 150 000 personnes qui sont aujourd’hui concernées, dont 35 000 enfants !

Les politiques du logement ségrégatives conduites par le passé ont éloigné les populations les unes des autres et organisé les « ghettos de la République », loin de toute mixité sociale, pourtant si essentielle : d’un côté, les cités HLM regroupant les plus modestes ; de l’autre, les quartiers qui accueillent les plus aisés.

Cette situation de pénurie de logements est une réalité cruelle pour beaucoup de nos concitoyens, dont le droit à un toit n’est pas du tout assuré. Trop nombreuses sont les familles considérées comme prioritaires au titre de la loi du 5 mars 2007, dite loi DALO, et auxquelles aucune solution concrète n’est proposée.

Cette situation insupportable n’aurait jamais dû exister dans notre pays. Il convient clairement d’accorder la priorité aux demandeurs de logement, et non aux investisseurs, car nous sommes dans une impasse absurde.

La montée du chômage accentue le phénomène du mal-logement. Pour avoir un travail, il faut un logement et pour avoir un logement, il faut un travail !

C’est pourquoi la relance de la construction et de la rénovation de logements sociaux ouverts à l’ensemble de la population est une nécessité et doit constituer la priorité des priorités.

Face à l’accroissement des situations dramatiques, il y a urgence à mettre en œuvre de nouvelles solutions en faveur du logement social.

Combien de rapports de la Fondation Abbé Pierre faudra-t-il pour que des mesures concrètes, efficaces et humaines soient enfin engagées ?

Le logement est un droit dont l’application relève de la responsabilité de l’État.

Quoi qu’en disent les études sur le prix médian des loyers, la part moyenne des ressources des ménages consacrée au logement a considérablement augmenté de 1980 à aujourd’hui ; elle a même doublé.

Étudier la mobilité locative est une bonne chose, mais cette étude, déjà prévue dans la loi, ne doit pas occulter les difficultés d’accès au logement social.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 23 modifie l’article L. 101-1 du code de la construction et de l’habitation, qui prévoit que le Gouvernement remet au Parlement tous les deux ans un certain nombre d’informations sur la situation du logement dans le pays, en exigeant un retour sur le traitement des mutations dans le parc social du logement, ainsi que le parcours résidentiel des occupants.

Si cette modification est intéressante à nos yeux, nous considérons qu’elle aurait pu aller encore plus loin. Nous défendrons d’ailleurs un amendement dans ce sens.

Aujourd’hui, comme ont pu le montrer certaines études de l’INSEE, les taux de rotation dans le parc social sont relativement faibles, de moins de 10 %. Cette stabilité, pour ne pas dire cette stagnation, est la conséquence d’une paupérisation de la population et d’une difficulté croissante pour accéder aux logements sociaux. Comment demander à un ménage de quitter son logement social, alors qu’il n’est pas certain qu’il en retrouvera un rapidement ? Comment lui proposer une accession à la propriété, alors que la situation économique de beaucoup de familles est si précaire ?

Dans la majeure partie des cas, les résidents du parc social préféreront rester dans leur logement social – et personne ne saurait les en blâmer –, qui leur offre une certaine sécurité, plutôt que de tenter de devenir propriétaires et de fragiliser leur position.

Et c’est là que le bât blesse ! Pourquoi le Gouvernement s’entête-t-il à privilégier le logement intermédiaire par rapport au logement social ? Nombreux sont les éléments qui montrent les difficultés que crée cette démarche. Il est illusoire de penser que les ménages résidents du parc social vont, presque par magie, accéder à la propriété, alors que, pour certains, l’entretien même du logement social est problématique.

Pour mémoire, le coût moyen mensuel d’un logement intermédiaire, bien que légèrement plus faible que dans le parc privé, est plus élevé que les logements issus des PLAI, prêts locatifs aidés d’intégration, et des PLUS, prêts locatifs à usage social : 4,77 euros par mètre carré pour le PLAI, contre 5,02 euros pour le PLUS et 7,38 euros pour le logement intermédiaire.

Regardons les choses en face : les dispositifs d’aide à l’accès à la propriété, notamment le prêt à taux zéro, sont aujourd’hui insuffisants pour créer une réelle dynamique en la matière. Pour les ménages résidents du parc social, dont le revenu moyen se situe aux alentours de 1 800 euros, il paraît difficile de concevoir l’achat d’un logement.

Aussi refaire du logement social le fer de lance de la bataille contre la crise de l’habitat est-il une nécessité à nos yeux.

L’accès à la propriété est aujourd’hui une illusion, un rêve inaccessible pour la plus grande part de nos concitoyens.

De plus, si des efforts ont été menés pour la construction de logements sociaux en vue d’une accession à la propriété, cet essor s’est fait aux dépens du parc locatif. Rappelons tout de même que la construction doit s’accompagner de rénovations pour la majeure partie du parc locatif, construite avant 1980. Les dernières études révèlent en effet que près de 65 % du parc social a été construit avant cette date. (M. André Trillard s’exclame.)

Ainsi, l’instauration de ce rapport remis au Parlement par le Gouvernement tous les deux ans devrait nous permettre d’avoir des informations actualisées régulièrement. Certes, l’accès la propriété doit être soutenu, mais cela ne peut se faire au détriment du parc locatif social, seul garant d’un droit universel au logement.

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, sur l'article.

M. Michel Bouvard. Nous abordons, avec cet article, les dispositions relatives à l’urbanisme et au logement. Dans ce domaine, il faut distinguer ce qui relève de la loi, sur quoi nous pouvons intervenir par voie d’amendement, et ce qui relève du règlement.

Pour ma part, je tiens à évoquer de nouveau l’absurdité du classement en zones A, B1, B2 et C qui régit la construction de logements sociaux, l’enveloppe de prêts accordés et le plafond de loyers.

Cela fait trente ans que, en France, nous sommes confrontés à la même situation d’iniquité !

Une fois de plus, je vais parler de ce que je connais, au risque d’ennuyer mes collègues. (Protestations de dénégation amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Antoine Lefèvre. C’est un plaisir ! (Sourires sur les mêmes travées.)

Mme Nicole Bricq. Il n’est qu’une heure du matin !

M. Michel Bouvard. Monsieur le ministre, nous ne pouvons nous satisfaire de l’iniquité durable que connaît notre pays. De nombreux ministres du logement se sont succédé, mais aucun n’a été capable de régler ce problème, pas même mon compatriote savoyard Louis Besson, qui s’y est pourtant efforcé.

Comment accepter que le prix du foncier soit, dans certaines zones de montagne, parmi les plus élevés de France, que les jeunes ne puissent plus acquérir un bout de terrain pour y construire une maison, comme leurs parents l’ont fait avant eux, que toute une partie du foncier soit stérilisée par les mesures des plans de prévention des risques naturels, des plans de prévention des risques d’inondation et des secteurs protégés au titre de l’environnement ?

Dans ces territoires, en raison de la géographie et de l’altitude, les coûts de construction sont, en moyenne, 30 % à 35 % plus élevés qu’en plaine. Ce sont des villages de montagne, mais ce sont surtout les plus grandes stations de sports d’hiver du pays ! Les jeunes du pays ne peuvent plus devenir propriétaires, pas plus qu’ils ne peuvent accéder à des logements sociaux. Et pour cause, il n’y en a pas ! Mais le fond du problème, c’est que ces territoires ont été classés en zone C. Eh oui, nous sommes en zone C, comme le fin fond de la Lozère, alors que le prix du foncier y est le même que dans le XVIe arrondissement de Paris et que les coûts de construction y sont parmi les plus élevés du pays !

Voilà quelques années, à l’occasion de l’examen d’un autre texte, j’ai tenté d’obtenir que, dans les départements concernés, les préfets puissent établir, en accord avec les élus, des zonages prenant en compte la situation spécifique des stations de sports d’hiver, où les besoins de logements sociaux existent, comme partout ailleurs en France.

Cette situation n’est toujours pas réglée et nous ne pouvons y remédier par la loi : cela relève du domaine réglementaire. C’est pourquoi je lance de nouveau un appel.

Certaines dispositions relatives à l’urbanisme contenues dans ce texte sont positives, mais il faut penser aux conditions d’application sur le terrain. Si nous voulons favoriser la construction, redonner de la croissance et de l’activité, comme nous y invite ce projet de loi, il faut que les services des directions régionales de l’environnement et du logement laissent les élus faire leur travail et ne créent pas des contraintes allant au-delà de celles que prévoient les textes, qui gênent les projets de développement économique et nuisent à la compétitivité de nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je dois reconnaître que le diagnostic que vient de dresser Michel Bouvard est en partie exact. Les ministres du logement, quelle que soit leur couleur politique, ont toujours eu beaucoup de mal à faire changer les zonages,...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. ... et ce pour une raison simple : c’est que les zonages ne sont pas faits seulement pour les logements sociaux, ils ont aussi un lien avec les aides fiscales. N’ayons pas peur de la vérité : celles-ci étant de plus en plus importantes, c’est le ministère des finances qui jauge les zonages au regard de la dépense fiscale induite ; c’est rarement le ministre en charge du logement qui décide de cette classification.

À mon sens, une réforme structurelle du financement du logement social pourrait être engagée. Pour ma part, j’ai toujours plaidé en faveur d’un prêt à taux zéro dont la quotité dépendrait à la fois de la réalité du marché local, du prix du foncier et de la nature du logement : très social, moyennement social ou intermédiaire bas. Telle n’a pas été la volonté de la Caisse des dépôts et consignations, assez hostile à ce dispositif, car elle redoute que l’État ne compense pas l’écart entre le prêt à taux zéro et la dépense réelle qu’elle-même engage par l’intermédiaire du livret A. Néanmoins, elle vient d’accepter – ou elle pourrait le faire – de revoir ce dossier avec les collectivités locales.

Monsieur le ministre, vous affirmez vouloir vous attaquer aux rentes indues et redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens. Je partage totalement cet objectif. Nous sommes là au cœur du sujet ! C’est pourquoi je propose que l’on s’attaque aux rentes qui pénalisent le plus le pouvoir d’achat de nos concitoyens, à savoir la rente foncière et la rente immobilière.

En trente ans, le prix du foncier dans notre pays a augmenté de près de 700 %. Aucune autre valeur n’a connu cette évolution ! Certes, c’est une moyenne, mais, même dans des territoires qui ne sont pas du tout en tension, l’augmentation du foncier reste en fort décalage par rapport à la valeur des autres biens. Tous les rapports affirment que cela constitue aujourd’hui un handicap pour la compétitivité française.

Monsieur le ministre, je regrette que ce projet de loi ne propose aucune mesure visant à réguler sérieusement le prix du foncier. Or, pour nos concitoyens, les dépenses de logement représentent aujourd’hui en moyenne 25 % à 30 % de leur revenu et peuvent même atteindre jusqu’à 35 % ou 40 % pour ceux qui perçoivent de faibles revenus et qui sont logés dans le parc privé. Par ailleurs, dans la construction de logements, le poids du foncier est extrêmement élevé, notamment dans les zones tendues, et peut constituer 50 % du prix.

Par conséquent, pour relancer la compétitivité et redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens, la régulation de la rente foncière est un enjeu majeur. Il s’agit même d’un sujet crucial pour l’avenir du pays, bien plus, me semble-t-il, que la libéralisation du transport par autocar ou de la profession de notaire. J’ai toujours plaidé pour que le prix du foncier soit taxé sur la valeur déclarative vénale du bien, ce qui serait de nature à limiter ces dérapages, mais ce n’est pas le débat d’aujourd’hui.

Cela étant dit, j’aimerais convaincre mes collègues du groupe CRC que des dispositions en faveur du logement intermédiaire ne sont pas contradictoires avec des mesures en faveur du logement social.