Mme Laurence Cohen. Nous souhaitions modifier l’intitulé de la proposition de loi pour faire référence à l’accompagnement des personnes prostituées, mais cela paraît vain dès lors que le texte a été dépecé et vidé de son sens par le Sénat avec la réintroduction du délit de racolage et le refus de la pénalisation des clients de la prostitution…
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour présenter l'amendement n° 20 rectifié bis.
Mme Maryvonne Blondin. Il est également retiré, pour la même raison.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Dans la mesure où la pénalisation du client a été rejetée, on ne peut plus parler de « système prostitutionnel ». Ces amendements n’avaient donc plus lieu d’être.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je regrette que, ce soir, le statu quo ait prévalu sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel. Cela étant, je tiens à remercier l’ensemble des participants à ce débat, tout en déplorant que nous ne disposions plus des outils nécessaires pour lutter contre le système prostitutionnel, pour aider les personnes prostituées à sortir de leur situation de violence et de contrainte. Les Françaises et les Français jugeront !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Je demande une brève suspension de séance, monsieur le président.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente-cinq.)
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Le groupe du RDSE regrette que le bon équilibre trouvé par la commission spéciale n’ait pas été respecté.
À la suite de mon collègue et ami Guillaume Arnell, je rappellerai les éléments sur lesquels nous fondons notre opposition tant au délit de racolage passif qu’à la pénalisation du client.
Le bilan de l’institution du délit de racolage passif est désastreux. Douze ans après la mise en place de ce délit, les problèmes auxquels elle était censée répondre se posent toujours et elle a, au contraire, produit des effets pervers tels que l’aggravation de la précarité des personnes prostituées et le renforcement des réseaux mafieux.
Ceux qui souhaitaient maintenir ce délit auraient été bien inspirés de retravailler sur sa définition. En effet, aujourd’hui, l’absence de définition précise du racolage passif permet l’arrestation de n’importe quelle personne sur la seule base de sa tenue vestimentaire ! Comme cela a été rappelé, cette double peine – double, car elle s’applique à une personne qui est déjà victime en se livrant à la prostitution – favorise la stigmatisation des prostitués.
La réduction des chiffres de la prostitution ne figure même pas parmi les bienfaits attendus de la création de cette infraction.
De plus, le nombre de personnes mises en cause pour racolage par la police nationale n’a cessé de baisser depuis 2003 : il est passé de 3 290 en 2004 à 1 800 en 2008, puis à 1 340 en 2009. À Paris, le taux de défèrement, qui était de 38 % en 2005, a été nul en 2009.
Le phénomène de la prostitution n’a pas disparu ; il est seulement caché par l’éloignement des prostitués hors des centres urbains. Les nuisances urbaines ont certes diminué. Mais à quel prix ! Celui de la santé et de la sécurité des prostitués, qui sont susceptibles d’être victimes d’agressions et d’attaques, ou encore de chantage de la part d’individus mal intentionnés.
La logique répressive est un contresens. Il est impossible de rétablir le délit de racolage passif en créant dans le même temps l’accompagnement social et sanitaire des prostitués, auxquels on confère le statut de « délinquants ».
Nous regrettons donc que le Sénat ait rétabli d’une voix, par 162 voix contre 161, le délit de racolage passif, qui a fait la preuve de son inefficacité. Il s’agit d’une pure mesure d’affichage, aux effets pervers avérés.
Nous saluons, a contrario, le maintien de la suppression de la pénalisation des clients. On l’a dit, l’initiative qui a été prise par la Suède en 1999 n’a pas été suivie des effets miraculeux espérés. Une professeur d’université a même écrit un article intitulé : « Prostitution : Stockholm, la ville où le client est invisible. »
Le raisonnement des abolitionnistes est simple : tarir la demande, c’est abolir la prostitution. Si nous souscrivons à l’objectif, le bon sens et la prise en compte de la réalité nous interdisent de partager ce raisonnement : la prostitution ne sera pas abolie par ce biais ; la situation des prostitués sera seulement rendue encore plus précaire.
Pénaliser les clients, c’est exposer les prostitués à leur violence. Il en va d’ailleurs de même du délit de racolage passif, qui a fait long feu. Toutes les associations féministes le répètent. Élisabeth Badinter ainsi que l’ancien garde des sceaux et sénateur Robert Badinter l’ont également souligné devant la commission spéciale, et ils ne peuvent ni l’une ni l’autre être soupçonnés de complaisance envers les réseaux mafieux, non plus que de naïveté quant à la condition sociale et sanitaire des personnes prostituées.
La pénalisation du client est très clairement une fausse bonne solution. Cela ne marchera pas ! On ne décrète pas la fin de la prostitution en prenant une décision légale. Il faut engager une politique de prévention, en accompagnant le mieux possible les personnes recourant à la prostitution, c'est-à-dire aussi bien les prostitués que les clients. Il faut que la puissance publique protège et soutienne ces femmes et ces hommes qui souhaitent en sortir.
Le groupe du RDSE salue les avancées d’ordre sanitaire et social, certes de portée inégale et sans doute insuffisantes, ainsi que les mesures de prévention prévues par ce texte. Mais, à l’heure où la prostitution n’est qu’un maillon d’une longue chaîne et où la proportion de personnes prostituées étrangères sur la voie publique atteint 90 %, la traite humaine ne peut être abolie que si des efforts sont réalisés en matière de coopération européenne et internationale pour tarir les filons, très lucratifs, de la misère exploités par les réseaux mafieux.
Enfin, j’exprimerai un regret. Nous avons peu parlé de la prostitution des mineurs, qui prend des proportions inquiétantes et évidemment inacceptables. Ce problème requiert un traitement spécifique et adapté.
Opposé tout à la fois au délit de racolage passif et à la pénalisation du client, soucieux d’une politique active en matière d’aide et de soutien aux prostitués, le groupe du RDSE, dans sa grande majorité, s’abstiendra sur le texte issu de nos travaux en séance publique.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je suis au regret de dire que le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, qui a été totalement dénaturée, ainsi que je l’ai déjà relevé.
En effet, les quatre piliers du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale ont disparu. Je les rappelle : la protection et l’accompagnement des prostituées ; la prévention destinée à éviter que des personnes entrent dans le système prostitutionnel ; la lutte contre les réseaux ; la pénalisation de l’acte tarifé, induisant la responsabilisation du client.
Il s’agit donc d’un rendez-vous manqué.
Il n’est pas acceptable que le Sénat, comme l’a fort justement indiqué Mme la secrétaire d’État, entérine un statu quo alors que nous avons dû attendre si longtemps pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de nos travaux.
C’est d’autant plus dommageable que les associations féministes et abolitionnistes ont permis, par leur engagement, de franchir de nouvelles étapes. Ainsi, la prostitution est aujourd'hui considérée comme un problème non plus individuel, mais véritablement social, sociétal et politique.
En opérant un retour de dix ans en arrière, avec la réintroduction – à une voix près ! – de la pénalisation des prostituées, en les criminalisant, nous avons raté le rendez-vous parlementaire : avec le délit de racolage passif, elles sont en effet considérées comme des criminelles.
Par ailleurs, nous avons refusé de pénaliser l’acte sexuel tarifé, qui reste, selon moi, un moyen de responsabiliser le client, même si, à lui seul, il n’est pas suffisant.
Je suis particulièrement choquée par les blocages que suscite cette responsabilisation du client, par l’entêtement de certains à considérer que ce dernier n’est pas acteur du système prostitutionnel et à ne pas voir que la prostitution est en fait une violence extrême infligée aux femmes. Les prostituées, dans leur majorité, sont entre les mains de réseaux terriblement violents, qui drainent énormément d’argent – la prostitution est un marché juteux, au même titre que les armes et la drogue.
Le Sénat n’a pas été à la hauteur : il n’a pas pris la mesure de cette violence, il n’a pas envoyé le message qui s’imposait, et que les prostituées, dans leur majorité, attendaient.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de loi, alors que nous avions apporté notre soutien au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, qui avait l’approbation du Gouvernement.
Je veux le réaffirmer ici – il faut s’écouter les uns les autres, et c’est ce que j’ai essayé de faire ! –, la position que je défends ici, que ce soit en mon nom propre ou au nom du groupe CRC, n’est pas moralisatrice. Nous n’avons pas suffisamment pris en compte le fait que, comme le montrent de récentes études, le client de la prostitution, c’est M. Tout-le-Monde, lui-même victime d’un formatage social où la masculinité, la virilité passe par la domination.
Il faut que la société dise au client que le corps n’est pas une marchandise ; elle doit conduire ce client à se responsabiliser, voire à envisager son rapport aux autres d’une façon différente et, certainement, plus libératrice aussi pour lui.
Selon moi, la pénalisation du client serait un acte fondateur d’une nouvelle liberté pour les femmes et les hommes, en aidant à libérer les uns et les autres du système prostitutionnel, afin d’avancer sur le chemin d’une société d’émancipation humaine. On est donc bien loin d’une démarche moralisatrice !
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi telle qu’elle nous résulte des travaux du Sénat.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Ce texte, issu d’un long travail parlementaire entamé en septembre 2010 par les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, a donné lieu à de nombreux débats, où chacun a pu intervenir : les personnes prostituées, les associations spécialisées, les pouvoirs publics, la presse, les clients et l’ensemble de la population.
Le texte sur lequel nous devons maintenant nous prononcer n’a plus grand-chose à voir avec celui sur lequel nous avons travaillé.
Ce soir, les mots de François Hollande résonnent bien étrangement : « La prostitution est une des expressions les plus frappantes de ces inégalités et violences qui perdurent dans notre société et dans le monde. Si chacun est libre de disposer de son corps, les droits humains et la dignité humaine sont incompatibles avec le fait qu’une personne ait le droit de disposer librement du corps d’une autre personne parce qu’il a payé. »
En effet, notre assemblée a opéré un véritable rétropédalage : seule est coupable la personne prostituée, c’est-à-dire dans près de 90 % des cas une femme exploitée par un réseau international de proxénétisme. Le client, dont la demande est justement à l’origine de l’asservissement de cette femme est, lui, blanc comme neige. On marche sur la tête !
La prostitution n’est pas « le plus vieux métier du monde », comme le répètent certains. En revanche, c’est bien l’une des activités les plus violentes du monde, et l’expression de dominations multiples.
Or notre rôle de législateur est un moyen de pallier, autant que faire se peut, les inégalités et les rapports de domination. Je ne puis cautionner une entreprise d’avilissement de la personne humaine et d’exploitation commerciale de la précarité dans le cadre de rapports marchands fondés sur la domination.
Et je me refuse à assimiler la prostitution à une ultime liberté des femmes de disposer de leur corps, sordide cache-sexe bien utile à ceux qui ne souhaitent pas œuvrer à une société plus égalitaire et progressiste. Ne l’oublions pas, « dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter », pour reprendre les mots de Françoise Héritier
Je réfute tout autant l’accusation, si commode, d’être une « Mère la morale liberticide » : la sexualité de chacun, dans sa vie privée, a les meilleures raisons d’être multiple, variée, originale, dès lors qu’elle est libre et s’accompagne donc d’un désir partagé. Dans ce domaine aussi, nous avons droit à d’autres rapports que ceux qui sont guidés par la loi du plus fort.
Nous devions vivre un moment important, manifester la volonté du Sénat de répondre aux aspirations de la société. Vous avez pu lire, et encore hier, de nombreuses tribunes signées par des médecins, des associations d’aide aux victimes et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes qui témoignent de la violence intrinsèque de la prostitution, mais aussi des tribunes signées par des intellectuels, des jeunes, des mouvements syndicaux, plus de deux cents maires et conseillers municipaux, qui demandent une dépénalisation des prostituées et une responsabilisation des clients.
Le texte sur lequel nous devons maintenant nous prononcer est dénaturé et tourne le dos à la conception française abolitionniste, vieille de plus de cinquante ans. Les débats se sont focalisés sur la pénalisation du client, et voilà le navrant résultat !
Par son adoption nous enverrions un message des plus rétrogrades à toutes les prostituées et à nos voisins européens, y compris ceux qui ont fait le choix de la réglementation et en dressent aujourd’hui le désastreux bilan en termes de développement des réseaux et de précarisation des prostituées.
La mise en place du parcours de sortie de la prostitution et la volonté réitérée de lutter contre les réseaux conduiront cependant la majorité du groupe socialiste à s’abstenir. À titre personnel, néanmoins, je voterai contre le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. M’exprimant en cet instant à titre personnel, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous cacherai pas que j’éprouve, moi aussi, de l’amertume à l’issue de nos travaux en séance publique.
Lors de la discussion générale, je me réjouissais du vote à venir sur une question qui est certes difficile, mais qui met en jeu l’égalité entre les femmes et les hommes. La proposition de loi était équilibrée et portait un message clair et précis, à la fois pour les réseaux et les proxénètes, pour les personnes prostituées et pour les clients. Hélas ! après les votes qui ont eu lieu, il n’en est plus rien. Je suis déçue et même profondément attristée. Plutôt qu’un statu quo je vois maintenant dans le texte une régression, un retour à l’esprit qui avait prévalu en 2003.
Ce sentiment d’amertume me conduira à voter contre ce texte.
Toutefois, je tiens à être positive et constructive ; je me dis que cette proposition de loi va poursuivre son cheminement législatif et que tout n’est pas perdu. Je veux croire que nos collègues députés lui restitueront son esprit originel, avec notre concours, monsieur le président de la commission spéciale, car je pense que nous ne baisserons pas les bras : d’une manière ou d’une autre, nous retrouverons des terrains d’entente pour faire progresser ce texte dans le sens de l’intérêt général, et surtout en faveur des personnes prostituées.
Il reste que, pour l’heure, au regard de nos votes, je suis sceptique quant à la possibilité de mettre en œuvre les mesures que nous avons décidées concernant l’accompagnement et la protection des personnes prostituées. C’est aussi en cela que le texte issu de nos débats ne reflète pas du tout le travail effectué ces derniers mois. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup ont exprimé leur déception face à l’aboutissement de nos échanges.
Je rejoins en partie, même si je sais que mon groupe aura une appréciation différente, ce qu’a exprimé Mme Meunier.
Durant les débats, qu’il s’agisse du rétablissement du délit de racolage ou de la pénalisation du client, de multiples points de vue ont été avancés, montrant que, de toute évidence, malgré le travail important effectué par la commission spéciale, les positions restaient très différentes. Pour autant, je ne parlerai pas d’affrontement, car, nous l’avons vu, sur bien des points, y compris des points essentiels, nous nous rejoignons : nous sommes tous d’accord pour dire que, à défaut d’éradiquer, il faut s’engager résolument dans la lutte contre les réseaux. Cela signifie que nous avons encore du travail devant nous.
Oui, nous avons rétabli le délit de racolage passif. Dès lors, j’ai quelque mal à entendre que nous faisons des prostituées des criminelles.
Mme Laurence Cohen. Il faut assumer vos positions ! Moi, j’assume mes propos !
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. Mais les mots ont un sens, ma chère collègue : en matière pénale, est un criminel celui qui commet un crime. Que je sache, le délit de racolage est un délit ! Il faut donner aux mots le sens qu’ils ont, surtout quand on parle de délit et de crime.
Mme Maryvonne Blondin. Donc, vous en faites bien des délinquantes !
M. Jean-Pierre Vial, président de la commission spéciale. Les échanges ont été de bonne qualité. Je vous le dis très franchement, madame la secrétaire d’État, des oppositions se sont manifestées, mais elles portaient non pas tant sur le fond des mesures en cause que sur leur portée attendue.
Cela étant, on l’a dit, nous ne sommes pas dans le cadre d’une procédure accélérée : cette proposition de loi pourra bénéficier d’un aller et retour entre le Sénat et l’Assemblée nationale. J’espère que, sur beaucoup des points abordés, il sera porté remède aux insuffisances ou faiblesses qui demeurent.
Le vote de ce soir est donc une étape. À cette occasion, le groupe UMP se prononcera favorablement sur ce texte. Formons le vœu que nous pourrons avancer ensemble au cours des débats futurs, y compris par un dialogue avec l’Assemblée nationale, car il s’agit d’un sujet fondamental puisqu’il est question de l’honneur de la condition humaine.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Ce texte s’est trompé de cible dès le début et il finit sous une forme prohibitionniste. C’était son sort !
Si nous voulons aider à l’émancipation des femmes, il faut leur donner la possibilité de s’émanciper, en s’attaquant par exemple avec vigueur aux réseaux, en investissant des fonds suffisants pour soutenir celles qui veulent sortir de la prostitution, en prévoyant en amont l’éducation des jeunes à l’égalité femmes-hommes, et surtout en faisant en sorte que l’inégalité sociale n’aboutisse pas à l’exercice de la prostitution.
Ni la répression ni la vertu, comme vous le savez, n’ont jamais réglé la question de la pauvreté ou de la misère.
Mon groupe ne votera pas ce texte détricoté.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. J’avais beaucoup d’espoir quand nous avons entamé ce débat, dont le ton a d’ailleurs été globalement très respectueux. Il me semblait que tout le monde partageait la même vision de la prostitution, telle qu’elle s’exerce aujourd’hui : chacun a expliqué, la main sur le cœur, qu’elle est le fait de personnes qui sont des victimes et non des coupables.
J’ai été plutôt consensuelle et constructive ; je ne le resterai pas très longtemps. Ce que j’éprouve à l’issue de ce débat, c’est une immense amertume et une profonde tristesse. Il s’agit vraiment d’une occasion ratée pour le Sénat, qui adresse un message à contre-courant à la fois de la société et de la réalité de la prostitution.
Les personnes prostituées sont toujours présumées coupables. Elles le sont à travers le délit de racolage ou encore, par exemple, du fait que l’autorisation de séjour dépend de la décision souveraine du préfet.
Les clients, toujours parés de leur vertu, ne sont présumés coupables de rien, pas même de complicité. On peut faire tout ce qu’on veut en termes d’éducation à l’égalité, mais, si on laisse se déployer ce message selon lequel la prostitution relève d’une fatalité à laquelle il faudrait se résoudre, on valide un message d’inégalité.
Quand je vois la banalisation dont fait aujourd'hui l’objet le développement de la prostitution, donnant lieu à une espèce de néoromantisme (Mme Esther Benbassa s’exclame.), je me dis que nous avons bien du chemin à faire !
Madame Benbassa, vous pouvez râler, mais vous me concéderez que, quand on met en scène la prostitution dans un défilé de mode, c’est un très mauvais message qu’on envoie à la société.
En tout cas, ce n’est pas de cette société que je veux pour la France, et je suis très déçue.
Au cours de ce vote, le groupe UDI-UC fera du « tricolore ». Pour ma part, je voterai contre ce texte. (Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Éliane Giraud applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je constate que, à l’issue de cette discussion, les personnes prostituées sont toujours délinquantes, le client est toujours roi et les réseaux ont de belles heures devant eux, malgré le travail acharné de nos forces de l’ordre et de nos magistrats.
Pour sa part, le Gouvernement continuera de travailler au côté des associations, que je tiens à saluer pour l’œuvre difficile qu’elles accomplissent auprès de personnes qui ont peur, qui se cachent et qui, parce que le statu quo a été entériné ce soir, ne pourront bénéficier ni des avancées les plus ambitieuses dont ce texte était porteur ni même de celles dont le Sénat l’a enrichi en matière d’accompagnement sur les plans sanitaire et social.
Permettez-moi de remercier la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, qui m’a prêté son concours, et de féliciter une nouvelle fois les associations qui accompagnent les personnes prostituées.
Je forme le vœu que la deuxième lecture de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale ouvre la voie à de nouvelles avancées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme la rapporteur applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l’accompagnement des personnes prostituées.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 209 |
Pour l’adoption | 165 |
Contre | 44 |
Le Sénat a adopté.