compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
M. Bruno Gilles,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à deux organismes extraparlementaires
Mme la présidente. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.
La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a fait connaître qu’elle propose les candidatures de M. Philippe Paul, pour siéger en qualité de membre titulaire au sein du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, de M. Christophe-André Frassa, pour siéger en qualité de membre titulaire au sein du conseil d’administration de l’Agence française d’expertise technique internationale, et de M. Michel Delebarre, pour siéger en qualité de membre suppléant de ce même organisme.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Conventions internationales
Adoption en procédure d'examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord avec le gouvernement du canada sur la sécurité sociale
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada sur la sécurité sociale (ensemble un accord d'application), signé à Ottawa le 14 mars 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada sur la sécurité sociale (projet n° 676 [2013-2014], texte de la commission n° 290, rapport n° 289).
(Le projet de loi est adopté.)
accord avec l’organisation européenne pour la recherche nucléaire (cern) sur l’exonération de droits d’enregistrement des acquisitions immobilières destinées à être utilisées par le cern en tant que locaux officiels
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) sur l'exonération de droits d'enregistrement des acquisitions immobilières destinées à être utilisées par le CERN en tant que locaux officiels, signé à Genève le 11 avril 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, ou CERN, sur l’exonération de droits d’enregistrement des acquisitions immobilières destinées à être utilisées par le CERN en tant que locaux officiels (projet n° 674 [2013-2014], texte de la commission n° 286, rapport n° 285).
(Le projet de loi est adopté.)
4
Convention fiscale avec Andorre
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu (projet n° 240, résultat des travaux de la commission n° 288, rapport n° 287).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de convention fiscale entre la France et Andorre, signé le 2 avril 2013, est aujourd’hui de nouveau soumis au Sénat en nouvelle lecture.
Je tiens à profiter de l’occasion de cette nouvelle lecture pour rappeler l’importance, pour les personnes et les entreprises qui vivent et travaillent en lien avec Andorre, et tout particulièrement pour nos compatriotes Français de l’étranger, de disposer d’un cadre fiscal simple et sécurisé.
Au terme des débats de votre assemblée, chacun aura pu mesurer les progrès d’Andorre en matière de transparence, question à laquelle les stipulations essentielles de cet accord sont liées.
Lors du premier débat très approfondi qui s’est tenu à la fin de l’année dernière, la Haute Assemblée, tout en constatant la nécessité et l’apport important que représente cette convention, l’a néanmoins rejetée le 18 décembre dernier.
Le Gouvernement considère toutefois que les raisons qui ont motivé ce rejet, explicitées en détail lors du débat, ne sont plus justifiées.
En effet, c’est une clause, au point d du 1. de l’article 25, indiquant que la France conserve la possibilité d’imposer ses nationaux résidents d’Andorre, qui a fondé ce rejet.
Comme cela a été rappelé par le Gouvernement à l’occasion de la précédente lecture, il s’agit là d’une disposition qui répond aux circonstances d’une négociation passée. À l’époque, en raison de l’absence de fiscalité directe à Andorre, il était apparu nécessaire de prendre toutes les sortes possibles de garantie.
De plus, cette clause ne concerne que la convention franco-andorrane. En elle-même, elle ne pourrait toucher aucun autre pays, et notre intention n’est pas de la reproduire pour d’autres traités, puisque les conventions négociées postérieurement, et pour certaines déjà ratifiées par vous, ne contiennent pas de telle clause.
Je voudrais également souligner que cette disposition est absolument sans effet sur le plan fiscal. Une telle disposition, dans une convention, n’institue en rien une imposition. La seule voie pour mettre en place un impôt, quel qu’il soit, est de passer par une loi votée par le Parlement, c’est-à-dire par vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs.
En rejetant cette convention, on pénaliserait donc les entreprises et les particuliers qui attendent de bénéficier de la convention, et notamment nos compatriotes Français de l’étranger.
À Andorre, comme vous le savez, le Parlement a ratifié à l’unanimité l’an dernier ce projet de convention. Cet État est maintenant dans l’attente que nous lui confirmions notre ratification, ce qui autorisera l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
Dans ces conditions, un échec de la ratification en France nous conduirait à engager un nouveau processus de négociation et de signature qui repousserait l’entrée en vigueur de la convention pour un délai très long. Ce serait contraire à l’objectif, que nous partageons, de simplifier la vie des particuliers et des entreprises concernées et de renforcer nos relations avec Andorre, tout en luttant contre la fraude et l’évasion fiscales.
Sur le fond, et sans revenir en détail sur les explications nombreuses qui ont pu être données, je voudrais rappeler brièvement les raisons pour lesquelles la signature avec Andorre d’une convention fiscale visant à éviter les doubles impositions est désormais possible et nécessaire.
Jusqu’en 2010, Andorre n’appliquait aucune fiscalité directe, ni sur le revenu des personnes physiques ni sur les bénéfices commerciaux. Ce n’est que depuis lors qu’elle s’est dotée d’un tel cadre fiscal, postérieurement à la négociation de cet accord. Andorre a ainsi introduit, à la fin de l’année 2010, une imposition touchant les bénéfices des sociétés, les revenus des activités économiques et ceux des non-résidents. Celle-ci est appliquée à compter du 1er janvier 2012.
En outre, un impôt sur les revenus des personnes physiques a été adopté le 24 avril 2014. Il s’applique au 1er janvier 2015, et une taxe sur la valeur ajoutée, prévoyant un taux de 4,5 %, est entrée en vigueur le 1er janvier 2013.
Parallèlement, Andorre a connu des évolutions décisives en matière de transparence et de coopération fiscale. C’était pour le Gouvernement une condition sine qua non pour envisager la signature d’une convention.
C’est dans ce contexte que la convention fiscale entre la France et Andorre permettra aux deux États, compte tenu de leur proximité, de disposer d’un cadre adapté pour éviter les doubles impositions, afin que ces dernières n’entravent pas les relations économiques et ne pénalisent pas les entreprises et les particuliers dans des situations transfrontalières.
À cet égard, les stipulations de la convention reprennent de manière générale les principes de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, avec les adaptations rendues nécessaires par les particularités des législations de chaque État. Elles permettent de clarifier, par des règles précises agréées par les deux parties, la répartition des droits d’imposer entre les deux États ainsi que les mécanismes d’élimination des doubles impositions.
Enfin, au cas où un contribuable se trouverait en situation de double imposition, la convention prévoit la mise en œuvre d’une procédure amiable bilatérale de règlement du différend.
Si la nouvelle convention fiscale franco-andorrane vise à éviter les doubles impositions, elle comporte aussi un arsenal particulièrement complet de stipulations visant à empêcher qu’elle puisse permettre des montages d’évasion fiscale et des situations d’absence d’impôt.
La France, comme vous le savez, est en pointe dans les travaux internationaux sur ces sujets, et c’est une priorité pour le Gouvernement que de lutter contre les abus de ce type. Les clauses conventionnelles sur ce sujet, qui sont généralement inspirées du modèle de l’OCDE, sont adaptées pour tenir compte du système fiscal de chaque partenaire. Tel est également le cas avec Andorre.
Je voudrais pour finir revenir sur une particularité de cette convention. Comme vous l’avez relevé, la clause sur l’échange de renseignements y est remplacée par une référence à l’accord franco-andorran du 22 septembre 2009.
Cet accord se fonde sur un modèle défini en 2002 sur le plan international dans le cadre des travaux du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations. Il est dédié au seul volet de l’assistance administrative sur demande. Dans ce domaine, il permet une coopération fiscale identique au standard de l’OCDE, en excluant explicitement le secret bancaire.
Les deux parties ont fait ce choix pragmatique de conserver le mécanisme déjà en place, par souci de simplicité. D’une façon générale, le développement mondial de l’échange automatique d’informations financières est une priorité pour le Gouvernement, qui s’emploie à l’encourager très activement au niveau international et dans l’Union européenne.
Cet aspect n’est pas couvert par l’accord de 2009. C’est donc dans le cadre de la convention multilatérale de l’OCDE, signée par Andorre le 5 novembre 2013, que l’échange automatique avec la France a vocation à se mettre en place. Les autorités andorranes s’impliquent pleinement dans les travaux conduits actuellement au niveau international, afin d’appliquer le nouveau standard dès 2018.
Au total, et même s’il ne figure pas dans la convention fiscale elle-même, le cadre juridique de l’échange d’informations entre la France et Andorre est conforme aux principes de l’OCDE, et il a vocation à prendre en compte l’échange automatique d’informations en cohérence avec les évolutions en cours au niveau mondial.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, la convention fiscale qui vous est soumise répond aux avancées indéniables d’Andorre en matière de fiscalité et de transparence.
Dans un contexte d’étroite proximité avec la France, elle a vocation à constituer à l’avenir un cadre essentiel pour les relations économiques et pour tous les particuliers et entreprises qui sont en relation avec cet État, notamment les Français de l’étranger qui ont fait le choix de s’y installer.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est convaincu que l’entrée en vigueur rapide de cette convention fiscale relève de l’intérêt des deux États, et vous appelle à ratifier cette convention.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Longuet, en remplacement de M. Philippe Dominati, rapporteur de la commission des finances. Madame le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remplace à cet instant M. Philippe Dominati, et je vous prie de pardonner ma compétence médiocre sur le sujet qui nous rassemble. Je m’efforcerai cependant de défendre avec conviction le point de vue de mon collègue, qui représente celui de la commission des finances à laquelle j’ai l’honneur de participer, et aux délibérations de laquelle j’ai été associé.
Nous examinons donc, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, la convention fiscale du 2 avril 2013, conclue entre la France et la Principauté d’Andorre. Ce parcours est assez original pour une convention fiscale. Les conventions fiscales sont en général adoptées dans l’enthousiasme, ou du moins dans la sérénité et l’unanimité. Or ce texte, adopté le 8 décembre dernier par l’Assemblée nationale, a été rejeté le 18 décembre par notre assemblée, conduisant ainsi à l’échec de la commission mixte paritaire du 15 janvier dernier. Voilà pourquoi nous avons à nouveau à examiner ce texte ce matin en séance.
J’évoquais tout à l’heure le fait que, en général, les conventions fiscales sont adoptées en faisant confiance à ceux qui les ont préparées, c’est-à-dire aux hauts fonctionnaires de Bercy. La commission des finances a estimé qu’il fallait aller un peu plus loin. Non pas qu’il ne faille pas adopter une convention fiscale entre Andorre et la France, et non pas qu’il faille contester la bonne volonté de la Principauté à instaurer enfin un système fiscal moderne : un impôt sur le revenu est en effet entré en vigueur à compter du 1er janvier 2015.
La commission des finances ne remet pas non plus en cause, pour l’essentiel, le contenu de la convention fiscale. En effet, les modalités prévues pour l’élimination des doubles impositions, qui est l’objet essentiel de la plupart des conventions de ce type, correspondent aux derniers standards de l’OCDE et forment un dispositif parfaitement satisfaisant. En outre, l’accord est renforcé par une série de clauses anti-abus que nous trouvons bienvenues, destinées à prévenir le contournement de la convention à des fins d’optimisation fiscale.
À ce propos, je dois dire que ma position personnelle est un peu plus nuancée : j’estime que l’ingéniosité des contribuables n’a d’égale que la rapacité des pouvoirs publics, et qu’il se joue entre eux une dialectique permanente qui est un peu celle de l’épée et du bouclier. Quoi qu’il en soit, il est bon que la convention comporte des stipulations visant à éviter son contournement au moyen de l’optimisation fiscale.
Où donc est le problème ? Il réside tout entier dans le d du 1. de l’article 25 de la convention, aux termes duquel « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente convention n’existait pas ».
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur un risque que ceux d’entre nous qui représentent les Français de l’étranger, particulièrement compétents sur ces questions, n’ont pas manqué de remarquer : cette stipulation permet à la France d’instituer, pour la première fois, une imposition des personnes physiques fondée non pas sur leur résidence ou sur l’origine de leurs revenus, mais sur leur nationalité. Or cette innovation est parfaitement dérogatoire à notre droit interne, aux standards internationaux et aux autres conventions signées par la France.
Il y a bien un pays qui impose les personnes à raison de leur nationalité, quel que soit leur lieu de résidence : les États-Unis. Par ailleurs, le débat sur le principe de l’évolution de notre système fiscal a été ouvert, et il devra se développer. Simplement, la commission des finances considère qu’il doit s’agir d’un débat national, et non d’une discussion au détour de l’examen d’un projet de loi visant à approuver une convention fiscale, fût-ce avec cet héritage médiéval que constitue la Principauté d’Andorre.
La commission des finances a bien entendu les assurances données par le Gouvernement : cette clause, négociée dans un contexte particulier – que je ne connais pas –, n’aurait absolument pas vocation à s’appliquer. La chose est un peu insolite, mais c’est ainsi : selon le représentant du Gouvernement qui s’est exprimé devant l’Assemblée nationale en première lecture, la stipulation en cause est aujourd’hui « sans effet juridique », et « aucun projet […] n’existe » visant à instaurer un impôt fondé sur la nationalité. À entendre le Gouvernement, on croirait presque à une coquille !
Seulement voilà : on lit dans l’exposé des motifs du projet de loi que cette clause « permettrait » – notez le conditionnel ! – « de mettre en œuvre une éventuelle évolution future du champ de la fiscalité française ». La porte est donc entrouverte.
Or, monsieur le secrétaire d’État, si l’engagement du gouvernement auquel vous appartenez vaut pour le présent, la convention fiscale, quant à elle, restera en vigueur pendant plusieurs dizaines d’années, peut-être. Remarquez que nous ne soupçonnons pas le Gouvernement de pouvoir changer d’avis – encore que, pour avoir participé à plusieurs gouvernements, je sache que cela arrive – : nous constatons simplement que la convention devrait s’appliquer pendant des décennies, ce qui ne sera peut-être pas le cas du Gouvernement, en dépit de la volonté légitime de toute entité de persévérer dans son être. Les gouvernements passent, les textes demeurent ! De là l’inquiétude qui nous étreint, nous oppresse… Car les craintes de nos compatriotes de l’étranger ne paraissent pas sans fondement. D’ailleurs, elles pourraient bientôt trouver un écho du côté de nos autres partenaires avec lesquels nous négocions actuellement de nouvelles conventions fiscales.
Si vraiment cette clause n’a pas vocation à s’appliquer, le mieux est de la retirer de la convention ! Un avenant, de fait, serait préférable à un engagement verbal. Andorre, paraît-il, n’y verrait pas d’inconvénient, la clause ayant été introduite à la demande de la partie française, ce que l’on conçoit aisément.
Notre volonté est non pas de compliquer les choses, mais au contraire de les simplifier et de les stabiliser pour l’avenir.
Le Parlement est pleinement dans son rôle en examinant ce projet de loi selon la procédure ordinaire. Débattre de l’approbation d’une convention fiscale n’est pas un exercice purement formel ! Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement nous invite, volontairement ou non, à débattre d’un vrai problème de fond : la fiscalité fondée sur la nationalité ou sur la résidence. Ce débat mérite une ampleur, une transparence et un écho autres que cette convention et son codicille.
C’est pourquoi la commission des finances, fidèle à la position qu’elle a adoptée en première lecture, recommande au Sénat de rejeter le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale, cette dernière étant excellente dans son principe général mais entachée par le d du 1. de son article 25. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est inscrite depuis 2009 à l’agenda des grands rendez-vous internationaux. Elle est aussi devenue une priorité pour certaines organisations internationales ; ainsi, l’OCDE a mis au point une convention fiscale multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, en cours de ratification par de nombreux pays. Parallèlement, au cours des dernières années, la France a conclu de nombreux accords bilatéraux.
Cette prise de conscience s’explique principalement par le coût de cette fraude, évalué à 1 000 milliards d’euros chaque année pour les seuls États membres de l’Union européenne.
Sur le front européen aussi, la mobilisation prend forme : la lutte contre la fraude fiscale a figuré à l’ordre du jour du Conseil européen du 22 mai 2013.
Les révélations récentes ont mis en lumière l’ampleur de ce fléau, ainsi que la complicité de certains États et établissements bancaires pour permettre à des revenus d’échapper partiellement ou totalement à l’impôt.
Les évolutions nécessaires n’ont évidemment pas épargné l’enclave pyrénéenne d’Andorre. Nos concitoyens, au moins ceux qui vivent dans le Sud-Ouest, connaissent les attraits de cette principauté : ses domaines skiables fortement enneigés, ses sources d’eau thermale, ses supermarchés où l’on trouve alcool et cigarettes à bas prix. (Sourires.) Dans ce territoire à l’histoire ancienne, les hivers seraient aussi rudes que la fiscalité est douce : voilà pour la carte postale ! (Nouveaux sourires.)
Quant aux mieux renseignés, ils savent que ce petit territoire abritait à nos portes un paradis bancaire et fiscal. De fait, à l’issue du sommet du G20 de Londres, en avril 2009, l’OCDE a placé Andorre sur la liste grise des États et territoires insuffisamment coopératifs.
Sous la pression internationale, et du fait aussi des importantes difficultés auxquelles elle est confrontée depuis 2008 à la suite de l’éclatement de la crise économique et du ralentissement de l’activité en Espagne, la Principauté a entrepris une série de réformes pour diversifier son économie et normaliser son système fiscal. Ainsi, Andorre a instauré une TVA, un impôt sur les sociétés et même un impôt sur le revenu, entré en vigueur le 1er janvier dernier.
Par ailleurs, la principauté a conclu depuis 2009 de nombreux accords relatifs à l’échange de renseignements en matière fiscale ; l’approbation de l’accord signé avec la France a été autorisée par notre assemblée.
J’en viens au contenu de la présente convention.
La première partie de la convention fixe les modalités d’élimination des doubles impositions. Reprenant le modèle de l’OCDE, elle fait consensus, s’agissant aussi bien de l’imposition des revenus immobiliers et des bénéfices des entreprises que de celle des revenus passifs et des salaires.
Les clauses anti-abus visant l’optimisation fiscale agressive, introduites à la demande de la France et dépassant le cadre du modèle de l’OCDE, constituent des avancées ; elles sont cependant insuffisantes, et nous attendons avec impatience la publication de la convention multilatérale de l’OCDE contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
En ce qui concerne l’échange d’informations, la présente convention n’apporte pas d’amélioration notable. Le Gouvernement a fait état des bonnes relations entretenues avec les autorités andorranes depuis l’accord de coopération fiscale du 22 septembre 2009. Reste qu’il aurait été préférable que l’échange automatique d’informations soit inscrit dans la convention, dans la mesure où la France est à la pointe du combat en faveur de sa généralisation et où Andorre s’est engagée à le mettre en œuvre à partir de 2018.
J’en arrive au point d’achoppement qui a entraîné le rejet du projet de loi par notre assemblée en première lecture : la clause, inscrite à l’article 25, prévoyant la possibilité d’une imposition à raison de la nationalité, qui est de nature à susciter l’inquiétude de certains de nos concitoyens expatriés. Cette inquiétude, nous pouvons la partager, compte tenu notamment de la rédaction choisie et du caractère inédit de cette stipulation.
Toutefois, le Gouvernement, que nous soutenons, a expliqué qu’il n’avait pas de projet caché au sujet d’un éventuel impôt fondé sur la nationalité, et que cette clause avait été prévue à l’époque où Andorre ne disposait pas d’une fiscalité directe sur les revenus. Nous lui faisons confiance. En outre, nous savons que les lourdeurs de procédure ne permettent pas de modifier aisément ce type d’accords internationaux.
À nos collègues de la majorité sénatoriale, qui voient dans cette clause un cheval de Troie fiscal, nous rappelons qu’une telle modification de notre droit fiscal nécessiterait des mesures législatives, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de sorte que le Parlement aurait forcément à se prononcer.
Compte tenu des garanties apportées par le Gouvernement, la très grande majorité des sénateurs du Rassemblement démocratique et social européen voteront, comme en première lecture, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention. Elle nous permettra également de renforcer nos liens avec ce petit État, avec lequel nous entretenons des échanges économiques faibles par rapport à ceux qu’il entretient avec l’Espagne.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est rare de voir un projet de loi autorisant l’approbation ou la ratification d’une convention internationale revenir au Sénat en nouvelle lecture. J’ai cru comprendre que les projets de loi de ce type étaient habituellement expédiés sans aucun débat, par un simple vote à main levée.
Nouveau sénateur élu en septembre dernier, je pèche peut-être par excès de naïveté, mais je ne comprends clairement pas pourquoi nous examinons ce matin le même projet de loi que celui qui a été rejeté par le Sénat en décembre dernier.
Je ne comprends pas qu’une simple convention fiscale, qui aurait dû être adoptée sans véritable débat en séance publique, puisse en réalité être un banc d’essai pour expérimenter l’idée de la taxation des Français résidant à l’étranger.
Je ne comprends pas non plus que le Gouvernement me réponde que le d du 1. de l’article 25 de la convention n’a pas vocation à être appliqué. Les gouvernements passent, les écrits restent !
Je ne comprends pas davantage, puisque seule la loi peut créer une imposition nouvelle aux termes de l’article 34 de la Constitution, que l’on prétende revenir au détour de cette convention sur l’un des principes les plus élémentaires du droit fiscal : la territorialité de l’impôt.
Je ne comprends pas, enfin, pourquoi il est de fait impossible à un parlementaire de faire réellement obstacle à ce qui apparaît comme un scandale démocratique.
Devant tant d’incompréhensions, le groupe UDI-UC a demandé, en décembre dernier, que ce projet de loi soit examiné par le Sénat selon la procédure ordinaire. Je remercie notre rapporteur, Philippe Dominati, qui a nourri notre analyse, ainsi que notre collègue Christophe-André Frassa, qui a appuyé notre démarche.
M. Christophe-André Frassa. Merci, mon cher collègue !
M. Olivier Cadic. Nous répétons au Gouvernement que les stipulations de cette convention sont globalement bienvenues et que tout le monde s’en félicite ; je remercie notre collègue Gérard Longuet de l’avoir rappelé tout à l’heure. Seul pose problème le d du 1. de l’article 25, dont je me permets de vous redonner lecture : « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente convention n’existait pas ».
Cette clause suggère que l’administration fiscale, qui a préparé la convention, anticipe le fait que le champ d’application de la loi fiscale pourrait procéder non plus de la territorialité, mais de la nationalité. En d’autres termes, l’impôt serait payé au titre du sang et non plus au titre de « l’entretien de la force publique », selon les dispositions bien connues de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Dans sa sagesse, le Sénat a refusé que l’on introduise pareille brèche dans un édifice législatif vieux de plus de deux siècles au détour d’une obscure stipulation conventionnelle.
Comme l’a rappelé récemment le président du Sénat, M. Gérard Larcher, 70 % des textes sont adoptés en termes identiques par les deux chambres à l’issue du vote par le Sénat, dont les amendements sont ainsi pris en compte. Une convention fiscale ne pouvant être amendée, nous attendions de la part du Gouvernement qu’il fasse modifier la convention fiscale par l’administration avant de la présenter à nouveau au Parlement.
Le Gouvernement a préféré s’orienter vers une commission mixte paritaire. Depuis 1959, malgré les alternances politiques, deux commissions mixtes paritaires sur trois ont abouti à un accord. Nous étions donc confiants, car le Gouvernement avait reconnu lui-même que l’alinéa dont nous demandions la suppression n’avait pas vocation à s’appliquer.
Or cette commission fut une véritable mascarade ! Les députés de votre majorité, monsieur le secrétaire d'État, nous ont clairement fait comprendre que la Constitution leur donnerait le dernier mot. Pour mémoire, seuls 10 % des textes sont votés par l’Assemblée nationale après échec de la commission mixte paritaire. Alors, pourquoi exiger le maintien d’une clause prévoyant l’impôt sur la nationalité pour nos compatriotes si le Gouvernement clame lui-même qu’elle n’a pas vocation à s’appliquer ? Le Gouvernement répond qu’il est impossible de remettre ce texte sur la table des négociations diplomatiques, ou qu’il est trop tard pour le faire.
On ne peut pas, dans un État de droit digne de ce nom, prendre le contribuable en otage au nom de faux arguments diplomatiques. Vouloir faire passer ce texte en force n’est pas une méthode digne d’un gouvernement démocratique.
Pour l’AGEFI, le quotidien de l’agence économique et financière de Genève, il n’y a pas de doute : la convention France-Andorre apparaît comme un banc d’essai pour avancer vers une taxation des Français de l’étranger. Monsieur le secrétaire d'État, on pense en Suisse que le gouvernement auquel vous appartenez a la taxation honteuse...
Alors je vous le dis : si vous souhaitez taxer nos compatriotes établis hors de France, qui paient d’ailleurs déjà des impôts dans leur pays de résidence, parlons-en franchement lors d’un projet de loi de finances, comme vient de l’indiquer notre collègue Gérard Longuet.
Mais, monsieur le secrétaire d'État, si vous n’avez pas la taxation honteuse, si vous êtes de bonne foi, que pensez-vous, étant entendu que, selon le Gouvernement, la disposition contestée par le Sénat n’a pas vocation à s’appliquer, que pensez-vous, disais-je, de l’idée de ne soumettre au Parlement que des textes ayant vocation à s’appliquer ? Cela présenterait l’avantage de ne plus finir par proposer la suppression des textes inutiles.
En décidant de maintenir coûte que coûte le d du 1. de l’article 25, vous ridiculisez non pas seulement l’action parlementaire, mais aussi l’action politique. Quelle peut-être la crédibilité d’un gouvernement qui clame haut et fort qu’un texte proposé n’a pas vocation à s’appliquer ? Vous avez entendu l’avis négatif de la commission émis par la voix de notre collègue Gérard Longuet…
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, je vous demande respectueusement de bien vouloir avoir la sagesse de retirer cette convention qu’il nous est interdit d’amender, et ce afin d’éviter au Gouvernement le risque d’être à nouveau désavoué, ce matin, par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)