M. Robert del Picchia. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est avec regret que nous avons constaté l’échec de la commission mixte paritaire réunie sur ce texte, CMP que j’ai présidée le 15 janvier dernier. Les travaux du Sénat ont en effet donné lieu à des échanges d’une grande qualité, avec des arguments recevables des deux côtés. Toutefois, nous estimons que c’est l’esprit de responsabilité qui doit finir par l’emporter. C'est pourquoi le groupe socialiste, hormis quatre de nos collègues, votera en faveur de l’approbation de la convention fiscale franco-andorrane du 2 avril 2013.
Rappelons ce qui s’est passé : cet accord signé avec Andorre, qui n’est contesté par personne en tant que tel, s’est retrouvé pris en otage dans le cadre d’un débat franco-français, celui de l’impôt sur la nationalité. Le d du 1. de l’article 25, objet de toutes les attentions, donne en effet à la France la possibilité d’imposer directement ses ressortissants résidant en Andorre dans l’hypothèse où ceux-ci n’y seraient pas soumis à l’impôt sur le revenu.
La présence de cette clause de précaution s’explique aisément : en 2011, au début des négociations, la Principauté ne disposait tout simplement pas de système d’imposition directe des revenus ! Mais Andorre a depuis réformé en profondeur son système fiscal afin de le rendre comparable à celui de ses voisins de l’Union européenne. Ainsi – et plusieurs d’entre vous l’ont rappelé –, depuis le 1er janvier 2015, Andorre dispose pour la première fois de son histoire d’un impôt sur le revenu, qui viendra s’ajouter à la TVA, à l’impôt sur les sociétés et à l’impôt sur les plus-values, eux aussi récemment créés. Le pays a par ailleurs signé de nombreux accords de coopération fiscale et s’est engagé à mettre en œuvre l’échange automatique d’informations d’ici à 2018. Le temps de son inscription sur la liste des paradis fiscaux est donc révolu.
La Principauté s’est beaucoup impliquée dans les négociations qui ont conduit à cet accord. Ce dernier a du reste été ratifié à l’unanimité par son parlement – je le connais bien, pour avoir souvent côtoyé ses membres dans le cadre de l’Assemblée parlementaire de la francophonie –, ce qui le rend impossible à amender. Il ne serait pas correct de manquer ainsi à la parole donnée et de faire de la Principauté d’Andorre la victime collatérale de nos débats internes.
J’ajouterai que la comparaison de cette convention avec celle qui nous lie depuis 1963 avec Monaco est infondée. L’accord franco-monégasque prévoit en effet une imposition en France de certains résidents français domiciliés à Monaco sous certaines conditions, d’ailleurs restrictives. Mais ce texte est d’application directe, alors que la clause dont nous parlons n’est pas applicable en l’absence d’une modification du code général des impôts.
Alors, nous vous avons entendus : vous réclamez un débat national. Mais vous l’auriez forcément si cette hypothèse devait prospérer, car le Parlement serait alors appelé à se prononcer.
Rejeter l’accord entre la France et Andorre, c’est donc faire un faux procès à une mauvaise cible. Nous avons un devoir de responsabilité, et la majorité du groupe socialiste compte bien s’y conformer en votant en faveur de ce texte, monsieur le secrétaire d'État.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après avoir étudié ce texte en décembre dernier et l’avoir rejeté, le Sénat doit ce matin réexaminer cette convention fiscale dont le contenu est parfaitement identique à celui proposé en première lecture.
C’est donc sans étonnement que, dans ce « match retour France-Andorre » (Sourires.), le groupe écologiste au Sénat, comme il y a deux mois, n’approuvera pas ce texte et choisira de s’abstenir.
J’ai eu l’occasion de le dire à l’époque, cette abstention traduit plus une forme de bienveillance diplomatique de notre part que notre sentiment de fond à l’égard de cette convention, sentiment qui nous ferait plus volontiers pencher en faveur d’un rejet pur et simple.
Certains événements qui se sont déroulés depuis décembre n’atténuent en rien, bien au contraire, notre méfiance à l’égard de ce type de convention signée avec tel ou tel micro-État au régime fiscal des plus discutables.
Les écologistes ne sont pas les seuls à s’en méfier, même si les raisons de leur défiance diffèrent de celles qui ont conduit la majorité de cette assemblée à voter contre cette convention.
Certains collègues s’inquiètent en effet de la portée de l’une des clauses de l’article 25, celle qui rend possible une imposition fondée sur la nationalité et non sur la résidence. Cette clause ouvrirait, selon eux, la porte à une imposition systématique par le fisc de notre pays des 2,5 millions de Français établis hors de France.
Nous découvrons par ailleurs, à la suite de la première visite officielle d’un président du Gouvernement espagnol dans la Principauté, que l’Espagne a approuvé le 8 janvier dernier la signature d’une convention presque en tout point similaire, à l’exception du fait que celle-ci n’envisage aucunement d’imposer les ressortissants espagnols résidant en Andorre sur la base de leur nationalité. J’ai bien conscience, en disant cela, que les mêmes collègues y verront une raison de plus de rejeter cette convention !
Personnellement, je ne pense pas que cette exception au droit fiscal français trahisse une volonté de l’État d’élargir le principe d’imposition selon la nationalité à l’ensemble des Français résidant hors de France. En effet, c’est bien la situation d’Andorre à l’égard de la France qui fait exception, et, reconnaissons-le, ce ne sont pas les quelques mesures d’imposition que le Gouvernement andorran a récemment prises sous la pression qui changent fondamentalement la donne.
Il faut rappeler que la population d’Andorre a tout simplement décuplé en cinquante ans, en dépit d’un très faible taux de natalité. Les non Andorrans représentent près des deux tiers de la population résidante. Les Espagnols et les Portugais en fournissent les principaux contingents.
Si les Français sont moins nombreux, leur nombre s’est fortement accru au fil du temps. Mais c’est surtout le nombre de touristes français dans la Principauté qui a explosé au cours des dernières décennies. Disons-le clairement, ces derniers sont moins attirés par la qualité de l’air et le charmant folklore local que par le différentiel croissant de fiscalité sur les tabacs, les alcools et l’économie touristique entre Andorre et la France !
L’impact touristique de cette fiscalité est, en revanche, moins flagrant avec l’Espagne, où les produits précédemment cités sont bien moins taxés qu’en France. On comprend alors mieux la volonté de nos pouvoirs publics de se « refaire » un peu, si j’ose dire, en imposant nos concitoyens résidant dans ce micro-État.
Mais c’est bien là que cette convention nous gêne ! Certes, le gouvernement andorran est puissant et doté de redoutables négociateurs... Mais les contreparties pour la France aux droits d’exception qui leur sont accordés paraissent quand même bien faibles ! C’est bien connu : vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà !
Et l’erreur de fond, dans tout cela, c’est la nature même de ce type de conventions fiscales que l’on démultiplie à l’envi avec des États-confettis ou quelques îlots inclus dans l’espace européen ou aux bordures de celui-ci, entérinant de fait des pratiques des plus douteuses en matière fiscale, à l’heure où la lutte contre l’optimisation et la fraude devrait être de mise.
Au passage, je rappelle que c’est grâce à la duplication de conventions fiscales bilatérales passées avec des États complices ou trop bienveillants que certains paradis fiscaux avérés ont été officiellement retirés de la liste grise de l’OCDE.
Le récent scandale de l’affaire Swiss Leaks est là aussi pour nous rappeler que la convention passée par la France avec la Suisse – maintes fois révisée – pour éviter les doubles impositions et prévenir la fraude et l’évasion fiscales n’a jamais été d’une très grande efficacité, sinon pour redorer le blason terni de la Confédération helvétique.
En juin dernier, le Conseil d’analyse économique plaidait en faveur d’une harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, reprenant en cela la proposition faite en janvier 2014 par le président François Hollande de lancer « une harmonisation avec nos plus grands voisins européens à l’horizon 2020 ».
Cela fait des décennies que nous parlons de convergence fiscale au sein de l'Union européenne… Mais qu’avons-nous fait ? Rien, sinon repousser sans cesse cette question à demain : nous procrastinons ! Pis, alors que nous nous sommes fixé des règles drastiques en matière de redressement des comptes publics, alors que la Commission devient chaque jour plus directive concernant les bonnes politiques à mener en matière économique, nous constatons avec le développement sauvage du tax ruling – le système du rescrit fiscal – et autres patent box – ou « boîte à brevets » britannique – que nous divergeons toujours davantage sur le plan fiscal au sein de l’Union !
Et, comble de l’absurde, nous légalisons en Europe l’existence de paradis fiscaux toujours plus nombreux qui, grâce à notre mansuétude, n’en porteront plus officiellement le nom !
Ratifier ce type de convention fiscale bilatérale, comme on nous le demande aujourd’hui, c’est refuser de prendre une partie du problème européen à bras le corps !
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je le dis simplement : on nous Andorre ! (Sourires. – Murmures admiratifs.) Il est donc temps, enfin, de nous réveiller ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC. – Mme Hélène Conway-Mouret applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans l’attente de la mise en œuvre du standard international que prône désormais l’OCDE, à savoir l’échange automatique d’informations, il nous faut encore gérer quelque temps certaines questions fiscales par les conventions bilatérales. Or l’actualité récente nous montre bien à quel point cet objectif de transmission automatique devient crucial et urgent.
Nous voici donc réunis ce matin pour examiner à nouveau la convention fiscale entre la République française et la Principauté d’Andorre. Le Président de la République, pour des raisons historiques, se trouve d’ailleurs en être le co-prince, avec Son Excellence, l’évêque d’Urgell depuis 2003. Cet héritage de la féodalité – le Président de la République est en effet considéré comme le successeur du comte de Foix, premier co-prince français de la Principauté – est peut-être bien le seul qui résiste encore et toujours à l’usure du temps !
La convention fiscale dont nous débattons marque précisément l’entrée du droit fiscal andorran dans une certaine forme de modernité, caractérisée, entre autres choses, par la mise en place d’un nouveau système de fiscalité indirecte comportant une TVA aux taux sensiblement plus faibles que ceux pratiqués sur le territoire de la zone euro, d’un véritable impôt sur les sociétés et, surtout, d’un impôt sur le revenu dont 2015 marque la première année de recouvrement.
Un impôt sur le revenu qui ne semble pas vraiment excessif pour les contribuables andorrans, attendu qu’il est notamment assorti d’une franchise de 24 000 euros, et l’application de deux taux, l’un de 5 % et l’autre de 10 %, ce dernier n’intervenant qu’à concurrence de 40 000 euros de revenus déclarés.
Rappelons qu’en France un revenu de 24 000 euros est pour l’essentiel soumis à un taux de 14 % et qu’un taux de 30 % s’applique aux revenus compris entre 26 764 et 40 000 euros.
De fait, même avec cette « modernisation » du droit fiscal andorran, qui ne sera plus concentré de manière quasi exclusive sur la seule perception de droits de douane, le fait de résider dans la Principauté restera relativement enviable sur le plan fiscal et celle-ci ne perdra son caractère de « paradis fiscal » que de manière somme toute marginale.
Disons qu’Andorre fait un premier pas, timide, dans la bonne direction.
La Principauté a connu un vigoureux développement économique, qui l’a fait passer d’environ 20 000 habitants en 1970 à plus de 85 000 au début des années 2010, avant que la détérioration de la situation économique ne conduise à une réduction de la population résidente, qui comptait 70 000 personnes environ en 2014.
À l’instar de la Principauté de Monaco, toutes choses égales par ailleurs, Andorre compte un grand nombre de résidents de nationalité étrangère, avec notamment près d’un quart d’Espagnols, un septième de Portugais et, selon les estimations de l’équivalent andorran de l’INSEE, un peu plus de 2 600 résidents français.
L’Espagne se positionne largement en tête pour les investissements directs étrangers dans la Principauté, très loin – faut-il le souligner ? – devant la France, et ce alors même que les activités commerciales et touristiques constituent le fer de lance de l’économie locale et que nous disposons, en ces matières, de quelque expertise.
Le sens de cette convention fiscale, qui vise à éviter les processus de double imposition inhérents à l’absence d’accords de cette nature, est aussi de nous permettre de rivaliser véritablement avec l’Espagne sur des projets économiques porteurs dans la Principauté.
Bien entendu, il y a la question du contenu de la convention, et notamment de son fameux article 25, dans lequel certains de nos collègues ont cru voir planer l’ombre d’une sorte de FATCA, ForeignAccount Tax Compliance Act, à la française. Je me permets à ce stade de souligner la pertinence du débat sur le principe de nationalité en matière fiscale, que l’administration américaine a d’ailleurs choisi. Une discussion de fond s’imposera au Parlement dans les meilleurs délais – c’est du moins le souhait que je formule ici.
Je rappelle que, dans un premier temps, nous avions lancé une discussion avec un État jusque-là dépourvu d’impôt sur le revenu. Or nous devons ratifier cette convention avec un État dont la fiscalité a été « mise à jour » peu de temps avant l’organisation d’une consultation électorale. En effet, le 1er mars prochain, quatre listes proposeront aux électeurs andorrans, et à eux seuls, de prolonger la vie politique de la Principauté, pour l’heure dominée par le parti des Demòcrates per Andorra.
Nous n’avons pas connaissance des rapports de forces politiques prévus lors de ce scrutin, même si le parti des démocrates semble en situation d’être reconduit aux affaires de la Principauté, selon une enquête publiée dans la presse locale.
Ce qui est en revanche certain, c’est que la Principauté, qui présente la particularité de ne pas être membre de l’Union européenne mais qui a fait de l’euro sa monnaie quotidienne – il y a en effet des euros andorrans –, entend clairement se rapprocher de la zone euro pour reprendre le fil de son développement économique.
Au-delà de l’adoption d’une convention fiscale pourvue des garde-fous nécessaires à sa mise en œuvre – le d du 1. de l’article 25 de la convention n’a pas vocation à être appliqué sans un vote du Parlement français –, la France doit être attentive aux évolutions de la vie économique et sociale de cet État pyrénéen, où les enjeux de développement durable sont loin d’être absents et où la transparence financière et fiscale est plus que jamais nécessaire.
Cette transparence est souhaitée, nécessaire et indispensable sur ce sujet sensible, comme sur tous les autres sujets sensibles : je pense notamment au choix du gouvernement andorran de réaliser avant peu l’ouverture d’un casino et de développer une offre de jeux en ligne, activité dont nous connaissons pertinemment les difficultés d’encadrement.
On mesure ainsi la nécessité de ratifier au plus tôt cette convention, ce que nous ne pouvons que recommander ici.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour une nouvelle lecture de ce projet de loi. Certains pourraient dire : bis repetita placent. En l’occurrence, tel n’est pas vraiment le cas, semble-t-il !
Ce texte constitue pourtant une avancée significative en matière de relations fiscales et de transparence entre nos deux États. Andorre a entrepris des efforts importants en matière fiscale ; la France se devait de l’accompagner, ce qu’elle a fait ; la convention en est le résultat, ce dont nous devons tous nous réjouir.
Il reste toutefois une ombre, un doute, une inquiétude : c’est le d du 1. de l’article 25 de la convention, soit une phrase, malheureuse de l’avis général, maladroite à en croire certains, inutile d’après le Gouvernement. Dès lors, qui croire ?
Que dit cette phrase ? « La France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre, comme si la présente convention n’existait pas. » Quel charabia ! Dix-neuf malheureux mots, que le Gouvernement, entre le 18 décembre et aujourd'hui, pouvait s’engager à faire retirer du texte, puisqu’ils seraient, selon les propos tenus par Mme Girardin au cours des débats à l’Assemblée nationale, « sans effet juridique » et que n’existerait aucun projet d’imposition sur la nationalité, selon M. Mandon qui s’exprimait ici même le 18 décembre dernier.
Le Gouvernement pouvait s’engager à faire retirer du texte ces dix-neuf mots ; il devait même le faire. C’était la seule voie pour rassurer sur les intentions réelles du Gouvernement à la fois les 3 millions de Français de l’étranger, dont près de 1,7 million sont inscrits au registre des Français établis hors de France, et la représentation nationale. Et cela aurait permis de réaffirmer l’absence d’effet juridique de la disposition et d’apporter la preuve qu’aucun projet d’impôt sur la nationalité n’était envisagé.
En revanche, en maintenant sa position, le gouvernement actuel, malgré toutes ses affirmations, n’engage que lui et lui seul. Ce gouvernement passera – rassurez-vous, je passerai aussi ! –, mais la convention restera. Cette disposition, mal rédigée, c’est un fait, peu explicite ou trop explicite, fera couler beaucoup d’encre, sera l’objet de nombreuses craintes et de nombreux débats.
De deux choses l’une : soit elle a vocation à s’appliquer et, dès lors, comme je l’ai dit lors du débat qui s’est tenu ici même le 18 décembre dernier, il faut un débat national, devant le Parlement, sur l’évolution de notre fiscalité ; soit elle n’a pas vocation à s’appliquer et, dans ce cas, elle n’a rien à faire dans le texte d’une convention, qui ne doit comporter que des dispositions ayant vocation à s’appliquer.
Sur ce point, j’aimerais apporter quelques petites précisions à Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Notre collègue a établi un parallèle entre la convention fiscale avec Andorre et celle que je connais bien pour l’éprouver dans ma chair et mes finances entre la France et Monaco.
M. Gérard Longuet, rapporteur. Vous n’avez pas l’air de souffrir ! (Sourires.)
M. Christophe-André Frassa. Dieu merci, je survis ! Comme me le répète mon père chaque année, quand on paye des impôts, c’est qu’on a les moyens d’en payer !
En 1963, une convention fiscale entre la France et Monaco a été discutée dans cet hémicycle. Certes, je n’étais pas encore né, mais j’ai lu le compte rendu des débats. Le rapporteur du texte au nom de la commission des finances, le sénateur Georges Portmann, avait obtenu du Gouvernement une précision d’importance : selon l’article 7 de la convention, les personnes physiques de nationalité française n’ayant pas leur résidence habituelle à Monaco depuis cinq ans à la date du 13 octobre 1962 seront considérées comme ayant transporté leur domicile fiscal en Principauté de Monaco et seront assujetties en France à l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France.
Il a fallu cinquante et un ans et un arrêt du Conseil d’État d’avril 2014 pour obtenir que les personnes nées à Monaco, ayant toujours travaillé à Monaco, sans jamais quitter la Principauté ne soient pas considérées comme « ayant transporté leur domicile fiscal » ! Saisissez-vous la nuance ? Ce texte était mal rédigé, trop ou trop peu explicite, tout comme ces dix-neuf malheureux mots qui ne veulent rien dire aujourd'hui, mais qui, demain, peuvent tout dire selon la définition qu’on leur donnera.
Une personne qui est née à Monaco ne transporte pas son domicile, dans la mesure où elle n’a pas de domicile avant de naître ! Or, pendant cinquante et un ans, on a considéré qu’une personne qui naissait à Monaco avait transporté son domicile fiscal et qu’elle était imposable en France comme quelqu’un qui s’installait à Monaco.
Aujourd'hui, ces dix-neuf malheureux mots, maladroitement insérés au d du 1. de l’article 25 de la convention, ne convainquent personne, malgré tout ce que vous et vos deux collègues avez pu dire tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, monsieur le secrétaire d’État.
En affirmant qu’il n’existe aucun projet d’impôt sur la nationalité, vous engagez ce gouvernement, mais non les suivants, qu’ils soient de gauche ou de droite. C’est la raison pour laquelle je me tourne vers la statue de Charlemagne, empereur qui, s’il a délivré les Andorrans, comme le chante la première strophe de l’hymne de la Principauté d’Andorre, ne nous a pas délivrés d’un doute profond concernant vos intentions avec cet article de la convention.
En conséquence, le groupe UMP votera contre le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale entre la France et Andorre, non pas contre tout ce qu’elle contient, à savoir de nombreuses avancées, mais parce qu’il est loin d’être convaincu que le d du 1. de l’article 25 est sans effet juridique et qu’il n’existe aucun projet à court, moyen ou long terme d’imposer les Français de l’étranger en fonction de leur nationalité et non de la territorialité.
M. François Fortassin. Charlemagne, où êtes-vous ? (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. J’espère que cette convention ne sera pas interprétée par l’un des membres de la Haute Assemblée comme une incitation à transporter son domicile d’Andorre à Monaco ! (Sourires.) Je veux vous inviter, monsieur Frassa, à suivre la devise de Charlemagne, qui était précisément de ne jamais céder à la peur.
D’une façon générale, de nombreux orateurs ont soulevé la question de l’introduction d’une fiscalité sur les personnes physiques de nationalité française résidant à Andorre, et plus généralement du principe de l’imposition des personnes physiques sur un critère de nationalité. Je voudrais donc répondre sur ce point.
D’abord, ce principe n’existe pas dans notre droit interne. Ensuite, si notre législation devait évoluer, et si une initiative était prise en ce sens, elle serait soumise au vote du Parlement. Enfin, le Gouvernement français n’a aucun projet en la matière.
L’introduction de cette clause est liée, je l’ai rappelé, au contexte andorran de l’époque. En rejetant cette convention pour un motif aussi virtuel, le Sénat priverait les résidents des deux États des dispositions bénéfiques de la convention, que chacun a rappelées et reconnaît.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi initial.
projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la principauté d'andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.
Article unique
Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole), signée à Paris le 2 avril 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je regrette sincèrement que le Gouvernement n’ait pas opté pour la voie de la sagesse en retirant ce texte. Le Parlement n’a pas vocation à apporter un cachet démocratique aux idées les plus farfelues de l’administration ; son rôle est de contrôler l’action du Gouvernement et de voter la loi selon sa propre expertise, et cela dans le respect de la séparation des pouvoirs.
Il est inopportun d’ouvrir ainsi la porte à l’idée d’imposer nos compatriotes en raison de leur nationalité ; il est inopportun de laisser à ce point l’administration fiscale piétiner les droits du Parlement. Qui est élu au suffrage universel ? Les fonctionnaires de Bercy ou nous ? Nous, évidemment ! À ce titre, le Sénat sera dans son rôle en rejetant une fois de plus le projet de loi autorisant l’approbation de cette convention qui inclut une disposition non conforme à notre droit fiscal. Nous devons dissuader nos technocrates de Bercy de chercher à remettre en cause les principes les plus élémentaires de notre droit fiscal dans le dos des parlementaires.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai contre ce projet de loi. Je vous invite à faire de même afin de manifester votre attachement à notre tradition fiscale. Les sénateurs du groupe UDI-UC me suivront et voteront également contre, à l’exception de l’un de nos collègues, qui s’abstiendra.
Je veux dire aux Français établis hors de France, en particulier à ceux d’Andorre : patience ! Si ce texte est rejeté une nouvelle fois par le Sénat et néanmoins voté par l’Assemblée nationale, alors, soyez-en certains, dès qu’une nouvelle majorité sera élue, elle cherchera à amender cette convention.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Le Sénat, en décembre dernier, avait déjà eu le courage de ne pas adopter le projet de loi autorisant l’approbation de la nouvelle convention fiscale entre la Principauté d’Andorre et la République française proposée par le Gouvernement, suivant ainsi l’esprit et les contributions diverses des membres de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, présidée et rapportée en 2012 respectivement par nos collègues Philippe Dominati et Éric Bocquet.
Membre de cette commission d’enquête et auteur d’un amendement voté à l’unanimité, je voudrais rappeler aujourd’hui que la raison pour laquelle nous nous interrogions déjà sur la pertinence, l’opportunité et la légalité de la présence de l’article 25 de cette convention fiscale tenait à l’imposition des personnes physiques de nationalité française résidant en Andorre, comme si la présente convention n’existait pas. C’est une première dans la législation fiscale française, comme l’ont fort bien souligné dans leurs interventions respectives nos collègues Gérard Longuet, Olivier Cadic et Christophe-André Frassa. Cela revient de facto à ajouter au principe d’imposition territoriale classifiant les contribuables en résidents et non-résidents, celui – nouveau – de nationalité, en vigueur d’ailleurs dans les pays anglo-saxons.
Les experts en la matière sont pourtant unanimes : l’ajout de la nationalité au principe de territorialité modifierait substantiellement les rapports entretenus par les pouvoirs publics français en ouvrant, à terme, auprès des Français installés à l’étranger une jurisprudence contraire à l’esprit jusqu’alors consensuel du code général des impôts. Beaucoup de nos compatriotes expatriés pourraient ainsi être amenés à devoir renoncer à la nationalité française, une grande partie d’entre eux étant binationaux.
Le Gouvernement nous rappelle sans arrêt que cet article de la convention, qualifié à l’instant de « virtuel » par M. le secrétaire d’État, n’a finalement pas d’importance réelle. Alors qu’il s’engage à le faire supprimer ! Puisqu’il ne l’est pas à ce jour, je ne voterai pas le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale entre la France et Andorre.