Sommaire
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
Secrétaires :
MM. Bruno Gilles, Claude Haut.
2. Décès de deux anciens sénateurs
3. Communications du Conseil constitutionnel
4. Organismes extraparlementaires
6. Décisions du Conseil constitutionnel relatives à trois questions prioritaires de constitutionnalité
7. Candidature à un groupe de travail
8. Adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel. – Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption définitive du projet de loi.
9. Métropole de Lyon. – Adoption en procédure accélérée de deux projets de loi dans les textes de deux commissions
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission.
10. Organisme extraparlementaire
11. Nomination d’un membre d’un groupe de travail
Suspension et reprise de la séance
12. Transition énergétique. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques ; Mme la présidente
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 491 de M. Jean-Pierre Bosino. – Rejet.
Amendement n° 492 de M. Jean-Pierre Bosino. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. Bruno Gilles,
M. Claude Haut.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 5 février a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès de deux anciens sénateurs
Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Jacques Machet, qui fut sénateur de la Marne de 1983 à 2001, et Lucien Lanier, qui fut sénateur du Val-de-Marne de 1988 à 2004.
3
Communications du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Par lettres en date du 6 février 2015, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat deux décisions rendues le 6 février 2015 par lesquelles le Conseil constitutionnel, d’une part, a rejeté une requête relative aux opérations électorales qui ont eu lieu le 28 septembre 2014 à Saint-Martin et, d’autre part, a annulé les opérations électorales qui ont lieu le même jour en Polynésie française pour la désignation de deux sénateurs.
Acte est donné de ces communications.
4
Organismes extraparlementaires
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation :
- d’un sénateur appelé à siéger au conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ;
- de quatre sénateurs appelés à siéger au sein du Comité des finances locales ;
- de deux sénateurs appelés à siéger au sein du comité de surveillance de la Caisse d’amortissement de la dette sociale ;
- d’un sénateur appelé à siéger au sein du comité de surveillance du Fonds de solidarité vieillesse ;
- d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’orientation stratégique de l’Institut français ;
- et de deux sénateurs appelés à siéger, l’un comme titulaire et l’autre comme suppléant, au sein de l’Observatoire national du service public de l’électricité et du gaz.
Conformément à l’article 9 du règlement, les commissions de la culture, des affaires sociales, des finances et des lois ont été invitées à présenter des candidats.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
5
Commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
6
Décisions du Conseil constitutionnel relatives à trois questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 6 février 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
-l’effet du plan de redressement judiciaire à l’égard des cautions (n° 2014-447 QPC) ;
-l’agression sexuelle commise avec une contrainte morale (n° 2014-448 QPC) ;
-le transfert d’office du portefeuille de contrats d’assurance (n° 2014-449 QPC).
Acte est donné de ces communications.
7
Candidature à un groupe de travail
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un Mouvement Populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger au groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité, en remplacement de M. Jérôme Bignon, démissionnaire.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
8
Adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel
Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (texte de la commission n° 230, rapport n° 229).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel, examiné en première lecture en décembre dernier par notre assemblée, transpose en droit français trois directives communautaires.
La première, en date du 27 septembre 2011, tirant les conséquences de l’allongement de la durée de vie des artistes, porte de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins, c’est-à-dire ceux des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique.
La deuxième directive, en date du 25 octobre 2012, crée un régime spécifique d’exploitation des œuvres orphelines, c'est-à-dire des œuvres divulguées et protégées par des droits d’auteurs ou des droits voisins dont il est impossible d’identifier ou de trouver les titulaires.
Enfin, la directive du 15 mai 2014 concerne la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre. Elle allonge les délais qui encadrent les différentes étapes de la procédure et élargit la portée de la protection à tous les biens culturels reconnus trésors nationaux, dont elle donne une définition plus précise.
Déposé en octobre dernier à l’Assemblée nationale, ce texte a fait l’objet d’un examen très rapide. Il y avait en effet urgence à agir : la directive du 27 septembre 2011 a vu s’éteindre son délai de transposition au 1er novembre 2013, tandis que celui de la directive relative aux œuvres orphelines a expiré le 29 octobre dernier.
Afin de pallier le retard pris dans la transposition de ces directives, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. En conséquence, une commission mixte paritaire a été convoquée après une lecture dans chaque assemblée. Il s’agissait, pour cette commission mixte, de parvenir à un accord sur les articles 2 et 4, qui avaient été modifiés par le Sénat.
À l’article 2, relatif aux droits voisins du droit d’auteur, le Sénat avait apporté deux modifications.
Il avait ainsi supprimé des dispositions non conformes au considérant 13 de la directive, qui exclut explicitement de l’assiette servant à calculer la rémunération annuelle supplémentaire versée aux artistes-interprètes les recettes issues de la location de phonogrammes.
Notre assemblée avait également adopté un amendement offrant à la société de perception et de répartition des droits, la SPRD, agissant pour le compte de l’artiste-interprète, la possibilité de demander au producteur un état des recettes provenant de l’exploitation du phonogramme. Notre souci était de permettre une mise en œuvre effective de la rémunération annuelle supplémentaire prévue par la directive et d’en faciliter le calcul.
Je ne peux que me féliciter que les députés membres de la commission mixte paritaire aient d’emblée approuvé ces modifications, qui allaient dans le sens d’une plus grande fidélité aux dispositions de la directive et d’une plus grande efficacité dans leur mise en œuvre.
En revanche, à l’article 4 du projet de loi, qui transpose la directive relative à l’exploitation des œuvres orphelines, une véritable divergence s’est fait jour entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Celle-ci avait adopté, en première lecture, un amendement visant à limiter à cinq ans la durée pendant laquelle les organismes exploitant les œuvres orphelines peuvent répercuter sur les utilisateurs les frais liés à la numérisation et à la mise à la disposition du public de ces œuvres.
Pour des raisons tant de forme que de fond, notre assemblée avait supprimé cette disposition. Outre la rédaction ambiguë du texte adopté par l’Assemblée nationale, qui pouvait laisser penser que le régime des œuvres orphelines n’était applicable que pour cinq ans, je craignais que cette disposition ne se révèle contre-productive, en introduisant une rigidité supplémentaire, et ce au sein d’un dispositif déjà si contraint qu’on peut redouter qu’il ne demeure inopérant. Surtout, une telle disposition risquait d’amener les organismes concernés à augmenter sensiblement le montant des participations financières qu’ils seraient conduits à demander aux utilisateurs afin de couvrir les frais engagés dans le délai de cinq ans.
Ce point a fait l’objet d’un débat franc et constructif en commission mixte paritaire, avant que nous ne parvenions à une rédaction de compromis. S’il nous est apparu raisonnable de borner dans le temps la durée pendant laquelle les exploitants d’œuvres orphelines peuvent répercuter leurs frais sur les utilisateurs, ainsi que le souhaitaient nos collègues députés, nous avons obtenu un allongement de la durée d’amortissement à sept ans, au lieu de cinq, ainsi qu’une nouvelle rédaction dépourvue d’ambiguïté.
Je regrette simplement le peu d’informations données par le Gouvernement quant à la portée réelle des dispositifs créés par le présent projet de loi. Peut-être obtiendrons-nous des informations plus précises dans un proche avenir.
Enfin, ce texte a apporté la preuve, s’il en fallait encore une, de la plus-value de son examen par le Sénat. Les amendements que nous avons adoptés ont permis une amélioration substantielle du projet de loi. Le dialogue fécond qui s’est engagé avec l’Assemblée nationale a permis d’aboutir à un texte satisfaisant à tous points de vue. Les acteurs du secteur culturel sauront apprécier la richesse de notre bicamérisme !
En conséquence, mes chers collègues, je vous appelle à adopter sans réserve ce projet de loi, afin de mettre notre droit en conformité avec celui de l’Union européenne. Sachons saluer le fait que la conception française selon laquelle la culture doit être encadrée pour être protégée y trouve un écho.
Vous me permettrez, madame la ministre, d’ajouter un mot à ce sujet. Lors de la première lecture, nous avions tous regretté de devoir légiférer dans l’urgence, sans pour autant pouvoir éviter d’accepter des dispositions rétroactives. Efforçons-nous, à l’avenir, de ne pas nous placer dans cette fâcheuse posture.
La Commission européenne s’est engagée sur la voie, hasardeuse à mes yeux, de la révision de la directive sur les droits d’auteur, au prétexte qu’elle constituerait une entrave à la circulation des œuvres. Nous en sommes encore aux premières étapes de ce processus, mais je crois utile que nous soyons tous, dès à présent, très vigilants. Dans le cadre du traité de libre-échange transatlantique, nous nous sommes mobilisés afin de faire prévaloir le principe de diversité culturelle. Nous risquons d’être très rapidement confrontés à un nouveau défi, et je souhaite que le Sénat soit associé à ce processus le plus en amont possible. Madame la ministre, vous pouvez compter sur notre détermination ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de ce projet de loi visant à transposer trois directives importantes pour le monde artistique et littéraire arrive au terme de son parcours législatif.
Permettez-moi de saluer à cette tribune le travail réalisé par les commissions de la culture de la Haute Assemblée et de l’Assemblée nationale. Malgré la procédure accélérée, le Parlement a pris le temps nécessaire d’enrichir le texte.
À cet égard, je tiens à remercier Mme Colette Mélot, rapporteur du texte en première lecture, dont le travail très constructif a permis d’améliorer ce projet de loi et d’en préciser la rédaction sur bien des points. Madame la rapporteur, au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, vous avez su faire en sorte que le texte soit fidèle aux directives et apporter à sa rédaction les améliorations qui étaient nécessaires.
Les débats en commission mixte paritaire reflètent parfaitement le travail consensuel qui a prévalu sur ce texte.
À ce stade du processus législatif, vous me permettrez, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être concise : en vérité, le travail est derrière nous.
Deux articles restaient en discussion : l’article 2, qui porte sur les droits voisins, et l’article 4, qui a trait aux œuvres orphelines.
Concernant l’article 2, le Sénat avait, à juste titre, supprimé une mention non conforme à la directive incluant les recettes issues de la location des œuvres dans l’assiette de la rémunération annuelle supplémentaire des artistes-interprètes.
Il avait également ouvert la possibilité, pour les sociétés de perception et de répartition des droits agissant pour le compte des artistes-interprètes, de demander au producteur l’état des recettes provenant de l’exploitation du phonogramme, confortant ainsi les droits des artistes-interprètes.
Ces modifications étaient utiles et méritaient d’être retenues.
À l’article 4, le Sénat avait entendu, malgré les réserves exprimées par le Gouvernement, revenir sur l’adoption, par l’Assemblée nationale, d’un amendement de la députée Isabelle Attard. Cet amendement visait à restreindre à cinq ans la durée pendant laquelle les organismes exploitant les œuvres orphelines pourraient répercuter leurs frais sur les utilisateurs.
J’avais appelé de mes vœux un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat ; Il a été trouvé en commission mixte paritaire : les deux assemblées sont parvenues à une solution raisonnable, en limitant la durée de compensation des frais à sept ans, au lieu de cinq.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est en parfait accord avec le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, et il souhaite donc que celui-ci soit adopté en l’état.
Je conclurai mon intervention en formulant une réflexion.
En adoptant, jeudi dernier, à l’unanimité, la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, un texte de transposition important, la Haute Assemblée a démontré, une fois encore, qu’elle savait être à la hauteur de ses responsabilités, notamment lorsqu’il s’agit de la culture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici au terme de la procédure législative visant à transposer trois directives concernant la propriété littéraire et artistique ainsi que le patrimoine culturel.
Comme l’a rappelé Mme la rapporteur, seuls deux articles adoptés en termes différents par les deux assemblées parlementaires étaient soumis à l’examen de la commission mixte paritaire.
L’article 2 a trait au dispositif garantissant aux artistes-interprètes de pouvoir exploiter les phonogrammes et de pouvoir percevoir leur rémunération durant la période additionnelle de protection de leurs droits. La commission mixte paritaire a maintenu, sur ce point, le texte adopté par le Sénat.
S’agissant de l’article 4, relatif au regroupement dans un nouveau chapitre du code de la propriété intellectuelle des dispositions s’appliquant aux œuvres orphelines, la CMP a modifié l’article L.135-2, qui précise les utilisations des œuvres orphelines pouvant être faites par les organismes bénéficiaires, conformément aux termes de la directive.
Ce faisant, elle a fait œuvre de compromis en fixant à sept ans la période durant laquelle les organismes peuvent percevoir des recettes et en précisant que ces recettes ne peuvent couvrir que les frais « découlant directement » de la numérisation et de la mise à disposition du public des œuvres orphelines qu’ils utilisent.
C’est pourquoi nous sommes, me semble-t-il, parvenus à un texte équilibré, qui remplit correctement les objectifs que nous nous étions fixés, à savoir améliorer les situations particulières, reconnaître des droits supplémentaires et lutter contre les importations illicites de trésors nationaux au sein de l’Union européenne.
Concernant la première directive, je me félicite de l’allongement de la durée de protection des droits patrimoniaux des « parents pauvres » que sont les artistes-interprètes, lesquels appartiennent, rappelons-le, à la catégorie de titulaires de droits voisins la moins bien rémunérée.
À cet égard, je rappelle de nouveau une évidence : les artistes-interprètes jouent un rôle primordial dans l’accès au succès de l’œuvre d’un auteur. Sans interprétation d’une œuvre musicale, celle-ci est vouée à tomber dans l’oubli, et son auteur aura alors peu de chances de toucher une quelconque rémunération au titre du droit d’auteur.
L’extinction de plus en plus fréquente des droits patrimoniaux du vivant des artistes-interprètes, à un moment où ils n’ont généralement plus d’activité professionnelle et où leurs revenus tendent à décroître, crée des situations très difficiles, dont la presse se fait d’ailleurs régulièrement l’écho. Aussi, il me semble légitime de faire en sorte que les titulaires de droits voisins concernés perçoivent des revenus durant l’intégralité de leur vie.
J’en viens à la question des œuvres orphelines. Je rappelle qu’il s’agit d’une cause qui, au Sénat, nous tient particulièrement à cœur.
L’article L.113-10 du code de propriété intellectuelle dispose, grâce à l’adoption d’un amendement déposé par les sénateurs socialistes lors de l’examen du texte devenu la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe°siècle : « L’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses. Lorsqu’une œuvre a plus d’un titulaire de droits et que l’un de ces titulaires a été identifié et retrouvé, elle n’est pas considérée comme orpheline. »
Il est remarquable que le présent projet de loi précise la portée de cet article. Ainsi que je le disais à l’instant, fixer à sept années la période durant laquelle les organismes peuvent percevoir des recettes entendues comme celles qui couvrent les frais « découlant directement » de la numérisation et de la mise à disposition du public des œuvres orphelines qu’ils utilisent, est un bon compromis, et je me réjouis qu’il ait été trouvé.
En revanche, j’émettrai de nouveau un petit regret : le champ de la directive et donc, désormais, le droit français n’appréhendent, au titre des œuvres orphelines qui seront maintenant protégées, ni les photos ni les images fixes, pourtant souvent accompagnées de la mention « DR », droits réservés.
Permettez-moi maintenant de dire quelques mots sur la dernière directive, dont la transposition a été adoptée sans modification par le Sénat et n’a donc pas été soumise à la CMP.
Cette directive vise les conditions de restitution des trésors nationaux sortis illicitement d’un État membre. Il importe de préciser que les trésors nationaux qui pourraient être concernés par le champ de la future loi sont ceux qui ont été illicitement acquis par la France et les autres États membres. En aucun cas, les collections de peintures et de sculptures acquises régulièrement pour des collections royales ne seront concernées. Quant aux œuvres « rapportées » par Napoléon à l’occasion de ses campagnes, elles appartenaient à des États non membres de l’Union européenne et n’entreront donc pas dans le champ d’application du texte transposé.
Les trois directives dont il est question cet après-midi offrent de belles avancées dans le secteur culturel et artistique. Il est en effet essentiel de régler de la meilleure manière possible tant les situations individuelles injustes que les questions aux retombées diplomatiques importantes. Aussi, avec les sénateurs socialistes, j’apporterai mon entier soutien à ce projet de loi de transposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.
Ce texte permettra de garantir la conformité du droit français au droit européen au travers de dispositions certes très techniques, mais ayant pour objet de favoriser et d’encourager l’accès le plus large possible à la culture, ce que nous saluons.
En effet, les écologistes sont attentifs aux avancées relatives à la création, la fluidité et la démocratisation de la culture.
La première directive porte de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits – droits d’auteur et certains droits voisins – des artistes-interprètes et des producteurs de disques, en reconnaissant leurs contributions créatrices et artistiques.
Il est juste que les auteurs et les artistes-interprètes, souvent oubliés, soient dotés d’une protection juridique pour leur œuvre créative et artistique et que soient préservés leurs revenus. En revanche, conserver le monopole d’exploitation sur des œuvres anciennes particulièrement populaires aujourd’hui, afin d’en faire une rente très lucrative pour les producteurs, est moins sympathique.
Comme notre collègue Corinne Bouchoux l’avait expliqué en première lecture, le droit public sur la création est ici différé : vingt ans d’exploitation de plus, c’est tout de même, si je puis dire, vingt ans de pris sur le domaine public.
J’en viens à la deuxième directive, relative à certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines, c'est-à-dire des œuvres n’étant pas encore tombées dans le domaine public, mais dont il n’est pas possible d’identifier ou de trouver les auteurs ou les ayants droit. Cette directive constitue une avancée en matière d’accessibilité de la culture.
Désormais, bibliothèques, musées et établissements d’enseignement pourront reproduire des œuvres orphelines et mettre celles-ci à la disposition du public dans un but exclusivement non lucratif. La numérisation de ces œuvres permettra une diffusion simple et rapide dans un cadre culturel, éducatif ou de recherche.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat était revenue sur une mesure qui, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, tendait à instaurer une durée maximale de cinq ans pour que l’organisme exploitant une œuvre orpheline puisse répercuter les coûts engendrés par sa numérisation ainsi que sa mise à la disposition du public.
Nous sommes satisfaits que la commission mixte paritaire ait relevé le bien-fondé de l’amendement initialement proposé par Isabelle Attard, et nous saluons le fait qu’un compromis sur une durée de sept ans, comme l’a indiqué Mme la rapporteur, ait été retenu concernant la possibilité pour les organismes bénéficiaires comme les bibliothèques d’exploiter financièrement les œuvres orphelines en vue de couvrir les coûts de numérisation.
Enfin, le projet de loi prévoit de transposer la directive de 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre après le 1er janvier 1993.
Cet instrument tend à garantir la restitution de tout bien culturel considéré comme un « trésor national de valeur artistique, historique ou archéologique » et devrait contribuer à la prévention du trafic illicite de biens culturels et à la lutte contre ce phénomène.
Nous voterons ce projet de loi, qui, d’une certaine manière, témoigne de l’émergence d’une politique culturelle en Europe. D’ailleurs, je profite de l’occasion de cette discussion pour appeler de mes vœux le grand texte sur la création culturelle et le patrimoine, en souhaitant qu’il donne lieu à un débat aussi serein que celui que nous avons eu sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen a pour objet de transposer en droit français trois directives européennes dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.
Nous ne rappellerons jamais assez que le patrimoine européen est l’un des éléments structurants de notre construction politique et sociale. Aussi doit-il être protégé et préservé des logiques purement économiques et commerciales. Toute perte de la mémoire européenne est une atteinte à l’humanité.
Plus largement, le pillage par l’État islamique de la bibliothèque de Mossoul, qui possédait des œuvres datant pour certaines de plus de 5 000 ans avant Jésus-Christ, et l’autodafé qui a suivi sont des atteintes à l’humanité tout entière.
En matière culturelle, l’Union européenne mène une politique active et efficace, qui prend forme dans plusieurs initiatives bienvenues.
L’harmonisation des pratiques est un aspect essentiel de la protection des œuvres d’art.
La révolution numérique, qui touche l’ensemble du secteur culturel, a largement lésé les artistes. L’allongement de la durée des droits voisins dans le domaine musical, mis en œuvre par la directive 2011/77/UE, est donc une mesure opportune, au vu des considérations actuelles. Elle implique notamment un complément de rémunération qui doit revenir en partie à l’artiste, corollaire de l’allongement de la durée de la vie des artistes-interprètes, qui entraîne souvent la perte du bénéfice des droits voisins avant leur décès. Nous ne pouvons que regretter que les plus petits producteurs soient exemptés de verser un complément de rémunération, car les artistes-interprètes concernés continueront d’être lésés.
Dans l’architecture européenne, la directive du 25 octobre 2012 prend également toute sa place. Au début des années 2000, a été lancée la Bibliothèque numérique européenne, vaste projet de numérisation et de mise en ligne d’un ensemble d’œuvres représentatives du patrimoine européen. Cette directive, qui définit un cadre juridique pour les œuvres orphelines, qui sont protégées et divulguées mais dont les titulaires de droits ne peuvent être identifiés ou retrouvés malgré des recherches diligentes, s’inscrit dans la stratégie « Europe 2020 ».
En se limitant au secteur du livre en France, on peut évaluer que, de 1900 à 2010, sur un stock total cumulé de plus de 1 400 000 œuvres publiées, le nombre d’œuvres orphelines ou épuisées s’élève à près de 820 000, soit 57 % du total.
Comme toujours en matière de propriété intellectuelle, l’équilibre doit être trouvé entre les droits des auteurs, qui constituent le fondement de l’innovation créative, et le droit à l’information. Le projet de loi nous semble avoir trouvé ce compromis. Les institutions ayant une mission de service public, comme les musées et les bibliothèques, seront les seules bénéficiaires du régime dérogatoire mis en place. Les œuvres ne pourront être utilisées hors des « missions culturelles, éducatives et de recherche et à condition de ne poursuivre aucun but lucratif ». Cependant, si un ou plusieurs titulaires de droits se manifestent, l’œuvre cessera d’être orpheline et relèvera alors du droit commun de la propriété intellectuelle. L’exigence de recherches diligentes, avérées et sérieuses, sera également un sérieux garde-fou. Le dispositif est certes contraint, mais nous pensons que cela est nécessaire.
Sur la question des frais de numérisation de ces œuvres, nous pensons que la durée de sept années, fruit d’un compromis avec l’Assemblée nationale, permettra à la fois d’amortir le coût d’une telle opération et de limiter l’exploitation commerciale de ces œuvres.
La protection du patrimoine européen, c’est aussi celle des trésors nationaux, objet de la troisième directive transposée. Les trésors nationaux constituent une exception au sein de l’Europe, puisqu’ils échappent au principe de libre circulation des marchandises. En 2006, la question de la sortie du territoire français du tableau de Nicolas Poussin, La Fuite en Égypte, avait déclenché de vives réactions dans l’opinion.
De longue date, l’Union européenne encourage la coopération entre les États membres en vue de protéger le patrimoine culturel. En une vingtaine d’années, le dispositif mis en place par la directive 93/7/CEE a montré ses limites.
La pratique a, par exemple, mis en lumière les difficultés relatives aux délais fixés et ces derniers ont été allongés à plusieurs égards. Ainsi, le délai permettant aux autorités de l’État requérant de vérifier la nature du bien culturel retrouvé dans un autre État passe de deux à six mois. Le délai pour exercer l’action en restitution est étendu de un à trois ans.
Une seconde difficulté était liée à la notion même de trésor national. La transposition de la directive 2014/60/UE permet un élargissement de la notion à tous les biens culturels reconnus « trésors nationaux » par la législation des États membres, notamment par la suppression de l’annexe contenant une liste limitative des catégories de biens culturels.
Le droit de la propriété intellectuelle est sans cesse partagé entre une logique économique et la volonté de diffuser les œuvres culturelles à une grande échelle. Il nous semble ici que la logique spécifique à la protection de la création artistique l’a emporté.
Le groupe RDSE votera donc ce projet de loi qui est au service de notre patrimoine artistique et culturel, patrimoine vivant, dont nous sommes tous dépositaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la particulière technicité du présent texte ne doit pas masquer son intérêt et ses enjeux. Ce projet de loi a pour objectif de faciliter l’accès à la culture du plus grand nombre. Le groupe UDI-UC ne peut que souscrire à un tel objectif et votera donc ce projet de loi, qui adapte à notre législation des directives européennes dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.
Soulignons par ailleurs que ce texte est examiné dans un cadre particulièrement contraint. Tout d’abord, l’adaptation au droit européen implique une retranscription fidèle et précise de dispositions que le législateur national ne peut pas modifier substantiellement. Ensuite, la procédure d’adaptation de notre droit interne au droit européen impose au législateur national de répondre à des délais précis.
La procédure d’urgence selon laquelle s’est déroulé l’examen de ce texte est motivée par plusieurs retards de transposition : les dates butoirs de deux des trois directives étant dépassées. Ainsi, le délai de transposition de la directive relative à la durée de protection du droit d’auteur s’est éteint au 1er novembre 2013, tandis que celui de la directive relative aux œuvres orphelines expirait le 29 octobre dernier. Nous déplorons les conséquences de ce retard, notamment au regard de la sécurité juridique ; certaines mesures seront rétroactives pour la période courant entre le 1er novembre 2013 et la date de la promulgation de la loi.
Cependant, le consensus qui s’est dégagé en commission paritaire mixte ne laisse guère de doute quant à l’adoption du présent texte. La transposition de ce texte sera donc bientôt effective, et c’est une bonne chose.
Le présent projet de loi vise à transposer trois directives.
La première est la directive du 27 septembre 2011 modifiant la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins. Notre groupe tient à saluer les apports importants de ce projet de loi qui renforce notamment la défense des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique.
Le principal objet de la directive est de porter de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins. Il s’agit de ceux des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique, le but étant de prendre en compte leur plus grande longévité, reflet de l’allongement général de la durée de la vie. Les droits dont ils sont titulaires arrivent à l’échéance de plus en plus souvent de leur vivant. Nous ne pouvons que soutenir la transposition fidèle ici faite de cette directive.
La deuxième la directive est celle du 25 octobre 2012, relative à certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines.
Le texte permet à un certain nombre d’organismes, dont les bibliothèques accessibles au public, de numériser et de mettre à la disposition du public des œuvres appartenant à leurs collections et considérées comme orphelines, c’est-à-dire dont les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins n’ont pu, malgré des recherches diligentes, être retrouvés. Cette faculté, qui doit s’exercer dans un cadre non lucratif, est également ouverte aux musées, aux services d’archives, aux institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, aux établissements d’enseignement et aux organismes publics de radiodiffusion.
Nous nous réjouissons de l’accord trouvé avec l’Assemblée nationale sur l’article 2, relatif aux droits voisins, grâce à l’excellent travail de Mme la rapporteur et de Mme la présidente de la commission de la culture. Le Sénat a en effet, supprimé une mention non conforme à la directive, incluant les recettes issues de la location des œuvres dans l’assiette de la rémunération annuelle supplémentaire des artistes-interprètes et ouvert la possibilité pour les sociétés de perception et de répartition des droits agissant pour le compte des artistes-interprètes de demander au producteur l’état des recettes provenant de l’exploitation du phonogramme, confortant ainsi les droits des artistes-interprètes.
Des discussions tout aussi constructives ont eu lieu sur l’article 4, relatif aux conditions de mise à disposition au public des œuvres orphelines après leur numérisation. Notre assemblée avait supprimé la limitation à cinq ans du droit à des aides pour la numérisation des œuvres orphelines. L’objectif de cette modification était de lisser l’impact de l’amortissement sur une longue période. Nous sommes satisfaits du compromis retenu en commission mixte paritaire, qui fait passer la durée d’amortissement de cinq à sept ans. La rédaction finale est plus fidèle à l’esprit de la directive et nous saluons cette avancée.
Le projet de loi transpose, enfin, la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre. L’objet de ce texte est de garantir la restitution, au profit d’un autre État membre, de tout bien culturel considéré comme un « trésor national de valeur artistique, historique ou archéologique » ayant quitté illicitement son territoire après le 1er janvier 1993. Cette rédaction apparaît conforme aux objectifs assignés par la directive.
Par ailleurs, nous saluons les efforts entrepris en matière d’intelligibilité et de lisibilité du texte, notamment à travers un travail d’actualisation des différentes terminologies existantes et surtout d’adaptation du vocabulaire issu de la directive aux terminologies de droit interne.
En conclusion, nous ne voyons pas de raison de nous opposer à ce projet de loi, qui reste fidèle aux textes communautaires, tout en regrettant le dépôt tardif de ce projet de loi, retard qui, entre autres conséquences négatives, interdit au Parlement de travailler comme il le devrait. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez.
Mme Vivette Lopez. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je souhaite souligner, comme je l’avais fait en première lecture, le retard pris par le Gouvernement pour assurer cette transposition de directives, ce qui l’a conduit à recourir à la procédure accélérée. Je me permets de rappeler que, la semaine dernière, nous avons également examiné en procédure accélérée une proposition de loi dont un volet concernait l’Agence France Presse. Il s’agissait, cette fois, de mettre notre droit en conformité avec les recommandations de l’Union européenne en matière de concurrence.
Ce manque de réactivité du Gouvernement aux prescriptions européennes nous oblige finalement à étudier des textes très techniques dans des délais restreints, ce qui n’est guère respectueux du travail parlementaire. (Mme Claudine Lepage s’exclame.)
De plus, pour le présent texte, une telle négligence, outre qu’elle peut à juste titre donner le sentiment aux artistes-interprètes que l’on fait peu de cas de leurs attentes, a eu de véritables conséquences en matière de sécurité juridique puisqu’il a un effet rétroactif pour la période courant entre le 1er novembre 2013 et la date de promulgation de la loi.
Cela étant, les rapporteurs, celui du Sénat comme celui de l’Assemblée nationale, ont travaillé rapidement et ont pu trouver une rédaction commune pour la quasi-totalité du texte. Seuls deux articles ont fait l’objet de divergences et ont provoqué la réunion d’une commission mixte paritaire.
Le premier d’entre eux, l’article 2, concerne la prolongation de la durée des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs du secteur de la musique, dans le cadre d’une directive de 2011, avec une durée de protection qui passe de cinquante à soixante-dix ans. Pour calculer la rémunération annuelle supplémentaire, le texte initial avait inclus dans l’assiette les recettes perçues grâce à la location de phonogrammes. Notre rapporteur, Colette Mélot, s’est inquiétée de la non-conformité de cette mention avec la directive, qui exclut expressément le louage. La commission mixte paritaire a conservé la rédaction du Sénat sur ce point.
A également été maintenue une disposition que nous avions adoptée et aux termes de laquelle les sociétés de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes peuvent demander au producteur un état des recettes réalisées grâce à l’exploitation de l’œuvre. Il s’agit d’inscrire dans la loi l’obligation d’information pesant sur les producteurs et de permettre aux artistes interprètes de se reposer sur l’intervention d’une SPRD.
Dans ce domaine aussi, le Sénat a apporté sa valeur ajoutée, au service d’une meilleure protection des artistes-interprètes, dont la situation financière est souvent fragile lorsqu’ils achèvent leur carrière.
La commission mixte paritaire a également examiné la question de l’exploitation des œuvres orphelines par certains organismes ayant une mission d’intérêt public, tels que les bibliothèques, les établissements d’enseignement ou les musées. Le projet de loi doit permettre à ces organismes sans but lucratif de rendre accessibles des textes dont on ne peut retrouver l’auteur ; cet objectif s’inscrit dans le cadre de la stratégie numérique pour l’Europe développée par la Commission européenne.
Le projet de loi instaure, pour la mise à disposition du public de ces œuvres – par un procédé de numérisation, par exemple –, une procédure que l’organisme devra respecter, afin de s’assurer que le titulaire des droits est réellement introuvable. Comme une telle recherche s’avère coûteuse, il a été prévu que les organismes exploitant les œuvres orphelines pourraient répercuter leurs frais sur les utilisateurs, du moins en ce qui concerne les frais de numérisation et de mise à disposition du public.
La question restant à trancher était la durée pendant laquelle cette répercussion des frais pourrait avoir lieu. L’Assemblée nationale l’avait restreinte à cinq ans, mais notre rapporteur avait craint que cette mesure ne fût contre-productive, les bibliothèques étant incitées à répercuter fortement leurs frais sur les premières années de mise à disposition des œuvres.
La commission mixte paritaire est parvenue à une solution de compromis : vu que l’organisme ne peut répercuter éternellement les coûts réalisés, mais que ces coûts peuvent avoir un effet fortement dissuasif en raison de leurs conséquences financières, elle a porté de cinq à sept années leur durée d’amortissement.
En ce qui concerne le dernier volet du projet de loi, la lutte contre le trafic des biens culturels, le texte adopté par l’Assemblée nationale a été entériné sans modification, le Sénat ayant approuvé la dérogation créée en matière de charge de la preuve afin de renforcer le dispositif.
Mes chers collègues, le texte qui ressort de la procédure parlementaire est équilibré, respectueux des objectifs fixés par les directives européennes et porteur d’avancées sur les trois sujets traités. Le groupe UMP le votera bien évidemment. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel
Titre Ier
Dispositions relatives à l’allongement de la durée de protection de certains droits voisins
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Article 2
(Texte de la commission mixte paritaire)
Après l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, sont insérés des articles L. 212-3-1 à L. 212-3-4 ainsi rédigés :
« Art. L. 212-3-1. – I. – Au-delà des cinquante premières années du délai de soixante-dix ans prévu au 2° du I de l’article L. 211-4, l’artiste-interprète peut notifier son intention de résilier l’autorisation donnée en application de l’article L. 212-3 à un producteur de phonogrammes lorsque celui-ci n’offre pas à la vente des exemplaires du phonogramme en quantité suffisante ou ne le met pas à la disposition du public de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative.
« II. – Si au cours des douze mois suivant la notification prévue au I, le producteur de phonogrammes n’offre pas à la vente des exemplaires du phonogramme en quantité suffisante et ne le met pas à la disposition du public de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative, l’artiste-interprète peut exercer son droit de résiliation de l’autorisation. L’artiste-interprète ne peut renoncer à ce droit.
« III. – Les modalités d’exercice du droit de résiliation sont définies par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 212-3-2. – Lorsqu’un phonogramme contient la fixation des prestations de plusieurs artistes-interprètes, ceux-ci exercent le droit de résiliation mentionné à l’article L. 212-3-1 d’un commun accord.
« En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.
« Art. L. 212-3-3. – I. – Si l’autorisation donnée en application de l’article L. 212-3 prévoit une rémunération forfaitaire, le producteur de phonogrammes verse à l’artiste-interprète, en contrepartie de l’exploitation du phonogramme contenant la fixation autorisée, une rémunération annuelle supplémentaire pour chaque année complète au-delà des cinquante premières années du délai de soixante-dix ans prévu au 2° du I de l’article L. 211-4. L’artiste-interprète ne peut renoncer à ce droit.
« Toutefois, le producteur de phonogrammes qui occupe moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas deux millions d’euros n’est pas tenu, pour l’exercice en question, au versement de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent I dans l’hypothèse où les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec le montant de la rémunération à verser.
« II. – Le montant global de la rémunération annuelle supplémentaire mentionnée au I du présent article est fixé à 20 % de l’ensemble des recettes perçues par le producteur de phonogrammes au cours de l’année précédant celle du paiement de ladite rémunération annuelle pour la reproduction, la mise à la disposition du public par la vente ou l’échange, ou la mise à disposition du phonogramme de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative, à l’exclusion des rémunérations prévues aux articles L. 214-1 et L. 311-1.
« III. – Le producteur de phonogrammes fournit, à la demande de l’artiste-interprète ou d’une société de perception et de répartition des droits mentionnée au IV et chargée de percevoir la rémunération annuelle supplémentaire de l’artiste-interprète, un état des recettes provenant de l’exploitation du phonogramme selon chaque mode d’exploitation mentionné au II.
« Il fournit, dans les mêmes conditions, toute justification propre à établir l’exactitude des comptes.
« IV. – La rémunération annuelle supplémentaire prévue aux I et II est perçue par une ou plusieurs sociétés de perception et de répartition des droits régies par le titre II du livre III et agréées à cet effet par le ministre chargé de la culture.
« L’agrément prévu au premier alinéa du présent IV est délivré en considération :
« 1° De la qualification professionnelle des dirigeants des sociétés ;
« 2° Des moyens humains et matériels que ces sociétés proposent de mettre en œuvre pour assurer la perception et la répartition de la rémunération prévue aux I et II, tant auprès de leurs membres qu’auprès des artistes-interprètes qui ne sont pas leurs membres ;
« 3° De l’importance de leur répertoire et de la représentation des artistes-interprètes bénéficiaires de la rémunération prévue aux I et II au sein des organes dirigeants ;
« 4° De leur respect des obligations prévues au titre II du livre III.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de délivrance et de retrait de cet agrément.
« Art. L. 212-3-4. – Si l’autorisation donnée en application de l’article L. 212-3 prévoit une rémunération proportionnelle, le producteur de phonogrammes ne peut retrancher les avances ou les déductions définies contractuellement de la rémunération due à l’artiste-interprète en contrepartie de l’exploitation du phonogramme contenant la fixation autorisée après les cinquante premières années du délai de soixante-dix ans prévu au 2° du I de l’article L. 211-4. »
Titre II
Dispositions relatives à l’exploitation de certaines œuvres orphelines
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Article 4
(Texte de la commission mixte paritaire)
Le titre III du livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un chapitre V ainsi rédigé :
« Chapitre V
« Dispositions particulières relatives à certaines utilisations d’œuvres orphelines
« Art. L. 135-1. – Sont soumises au présent chapitre :
« 1° Les œuvres orphelines, au sens de l’article L. 113-10, qui ont été initialement publiées ou radiodiffusées dans un État membre de l’Union européenne et qui appartiennent à l’une des catégories suivantes :
« a) Les œuvres publiées sous la forme de livres, revues, journaux, magazines ou autres écrits faisant partie des collections des bibliothèques accessibles au public, des musées, des services d’archives, des institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore ou des établissements d’enseignement, à l’exception des photographies et des images fixes qui existent en tant qu’œuvres indépendantes ;
« b) Les œuvres audiovisuelles ou sonores faisant partie de ces collections ou qui ont été produites par des organismes de radiodiffusion de service public avant le 1er janvier 2003 et qui font partie de leurs archives.
« Le fait pour un organisme mentionné aux a et b de rendre une œuvre accessible au public, avec l’accord des titulaires de droits, est assimilé à la publication ou à la radiodiffusion mentionnées au premier alinéa du présent 1°, sous réserve qu’il soit raisonnable de supposer que les titulaires de droits ne s’opposeraient pas aux utilisations de l’œuvre orpheline prévues à l’article L. 135-2 ;
« 2° Toute œuvre considérée comme orpheline dans un autre État membre en application de l’article 2 de la directive 2012/28/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines.
« Art. L. 135-2. – Les organismes mentionnés au 1° de l’article L. 135-1 ne peuvent utiliser les œuvres mentionnées à ce même article que dans le cadre de leurs missions culturelles, éducatives et de recherche et à condition de ne poursuivre aucun but lucratif et de ne percevoir, le cas échéant et pour une durée ne pouvant excéder sept ans, que les recettes couvrant les frais découlant directement de la numérisation et de la mise à la disposition du public des œuvres orphelines qu’ils utilisent. Ils mentionnent le nom des titulaires de droits identifiés, respectent le droit moral de ces derniers et communiquent les informations prévues au 2° de l’article L. 135-3 ou à l’article L. 135-4. Cette utilisation est faite selon les modalités suivantes :
« 1° Mise à la disposition du public d’une œuvre orpheline de manière que chacun puisse y avoir accès de sa propre initiative ;
« 2° Reproduction d’une œuvre orpheline à des fins de numérisation, de mise à disposition, d’indexation, de catalogage, de préservation ou de restauration.
« Art. L. 135-3. – Un organisme mentionné au 1° de l’article L. 135-1 ne peut faire application de l’article L. 135-2 qu’après avoir :
« 1° Procédé à des recherches diligentes, avérées et sérieuses des titulaires de droits, en application du premier alinéa de l’article L. 113-10, dans l’État membre de l’Union européenne où a eu lieu la première publication ou, à défaut de celle-ci, la première radiodiffusion de l’œuvre. Ces recherches comportent la consultation des sources appropriées pour chaque catégorie d’œuvres. Lorsque l’œuvre n’a fait l’objet ni d’une publication, ni d’une radiodiffusion mais a été rendue accessible au public dans les conditions définies au dernier alinéa du 1° de l’article L. 135-1, ces recherches sont effectuées dans l’État membre où est établi l’organisme qui a rendu l’œuvre accessible au public. Pour les œuvres audiovisuelles, les recherches sont effectuées dans l’État membre où le producteur a son siège ou sa résidence habituelle ;
« 2° Communiqué le résultat des recherches mentionnées au 1°, ainsi que l’utilisation envisagée de l’œuvre orpheline, au ministre chargé de la culture, ou à l’organisme désigné à cette fin par celui-ci, qui le transmet sans délai à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur mentionné au paragraphe 6 de l’article 3 de la directive 2012/28/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines, aux fins de l’inscription de ces informations dans la base de données établie par cet office à cet effet.
« Art. L. 135-4. – Lorsqu’une œuvre orpheline est déjà inscrite dans la base de données mentionnée au 2° de l’article L. 135-3, l’organisme n’est pas tenu de procéder aux recherches mentionnées au même article. Il doit indiquer, dans les conditions prévues audit article, l’utilisation de l’œuvre orpheline qu’il envisage.
« Art. L. 135-5. – Lorsque les recherches diligentes, avérées et sérieuses mentionnées à l’article L. 135-3 ont permis d’identifier et de retrouver le ou les titulaires des droits sur une œuvre, celle-ci cesse d’être orpheline.
« Lorsqu’une œuvre a plus d’un titulaire de droits et que tous ses titulaires n’ont pu être identifiés et retrouvés, l’utilisation de l’œuvre prévue à l’article L. 135-2 est subordonnée à l’autorisation du ou des titulaires identifiés et retrouvés.
« Art. L. 135-6. – Lorsqu’un titulaire de droits sur une œuvre orpheline justifie de ses droits auprès d’un organisme mentionné à l’article L. 135-3, ce dernier ne peut poursuivre l’utilisation de l’œuvre qu’avec l’autorisation du titulaire de droits.
« L’organisme verse au titulaire de droits une compensation équitable du préjudice que celui-ci a subi du fait de cette utilisation. Cette compensation est fixée par accord entre l’organisme et le titulaire de droits. Elle peut tenir compte, lorsqu’ils existent, des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.
« Le titulaire de droits peut se faire connaître à tout moment, nonobstant toute stipulation contraire.
« L’organisme auprès duquel le titulaire de droits justifie de ses droits informe sans délai le ministre chargé de la culture, ou l’organisme désigné à cette fin par celui-ci, qui transmet cette information à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur mentionné au 2° de l’article L. 135-3.
« Art. L. 135-7. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent chapitre, notamment les sources d’informations appropriées pour chaque catégorie d’œuvres qui doivent être consultées au titre des recherches prévues au 1° de l’article L. 135-3. »
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Titre III
Dispositions relatives à la restitution de biens culturels sortis illicitement du territoire d’un État membre de l’Union européenne
Titre IV
Dispositions transitoires et dispositions relatives à l’outre-mer
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Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. Patrick Abate, pour explication de vote.
M. Patrick Abate. Ce projet de loi va dans le sens d’une plus grande protection des auteurs et des biens culturels, et favorise le rayonnement et l’accessibilité des œuvres ; d’une manière générale, il convient tout à fait au groupe CRC.
Il harmonise notre législation avec celle des autres États de l’Union européenne en portant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits d’auteur et des droits voisins dans le secteur musical, confronté à des défis particuliers liés au développement de nouveaux usages numériques et au téléchargement illégal.
Par ailleurs, il crée une exception ou une limitation au droit d’auteur et aux droits voisins pour les œuvres orphelines écrites, cinématographiques, audiovisuelles ou sonores. Il s’agit de permettre aux bibliothèques, aux musées, aux services d’archive et aux établissements d’enseignement de numériser leur collection et de mettre à disposition du public des œuvres orphelines dans le cadre de missions culturelles, éducatives et de recherche sans but commercial ou économique.
Enfin, le projet de loi renforce les mécanismes de restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre de l’Union européenne.
Disons-le honnêtement, on ne peut pas considérer que l’engagement de la procédure accélérée ait empêché le Parlement de travailler sérieusement, d’enrichir le projet de loi et d’aboutir à un compromis.
En revanche, nous tenons à réaffirmer notre attachement à une grande loi sur la création culturelle et le patrimoine ; promise par le Gouvernement, mais trop souvent reportée, elle permettrait de traiter de ces questions dans le cadre d’un texte consacré à la culture.
Pour l’heure, nous voterons le présent projet de loi.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
Mme la présidente. Je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
9
Métropole de Lyon
Adoption en procédure accélérée de deux projets de loi dans les textes de deux commissions
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon (projet n° 223, texte de la commission n° 273, rapport n° 272) et du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon (projet n° 222, texte de la commission n° 275, rapport n° 274).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Marylise Lebranchu.
Afin de faire des grandes agglomérations de France les moteurs d’un développement équilibré et solidaire, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la loi MAPTAM, a créé le statut de métropole. Pour les trois principales d’entre elles, Paris, Lyon et Marseille, elle a mis en place des organisations institutionnelles particulières, adaptées aux spécificités de ces trois aires urbaines et propres à en faire des vecteurs de rayonnement et de cohésion pour notre pays.
La création de la métropole de Lyon au 1er janvier 2015, résultat d’un important travail mené par les acteurs locaux sous la conduite de Gérard Colomb et Michel Mercier, constitue une innovation majeure. En effet, sur le territoire de cette toute nouvelle métropole, une seule collectivité territoriale de plein exercice remplace désormais le conseil général du Rhône et la communauté urbaine de Lyon. Cette fusion permet aujourd’hui la mise en œuvre d’une action publique plus intégrée et plus efficace, au bénéfice de tous les citoyens de la métropole et du département.
Cette fusion signifie, par exemple, des synergies plus fortes dans des domaines tels que le logement, le handicap ou la petite enfance, mais aussi des services publics répondant mieux aux besoins de nos concitoyens et une puissance publique qui les accompagne plus efficacement au quotidien.
Il a fallu moins d’un an après la promulgation de la loi du 27 janvier 2014 pour que cette métropole voie le jour, grâce au travail préparatoire accompli conjointement par le conseil général du Rhône, les communes du territoire, les services de l’État, en particulier la chambre régionale des comptes, et la future métropole de Lyon. L’ampleur de leur mobilisation, qu’il convient de saluer, a assuré le caractère rapidement opérationnel de la nouvelle métropole.
Ce caractère opérationnel, nous devons aujourd’hui continuer d’y œuvrer. Tel est l’objet des ordonnances dont nous allons débattre cet après-midi.
La loi MAPTAM a habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des dispositions destinées à faciliter la création de cette collectivité territoriale à statut particulier sur les plans financier, comptable et institutionnel. En vertu de cette habilitation, le Gouvernement a pris deux ordonnances, que les présents projets de loi visent à ratifier.
Il s’agit de prendre certaines mesures nécessaires au bon fonctionnement de la métropole de Lyon et d’entériner certaines évolutions nécessaires en ce qui la concerne.
L’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 vise à adapter et à modifier le code général des collectivités territoriales et le code général des impôts pour garantir le volet budgétaire et fiscal, ainsi que financier et comptable, de la création de la métropole. En particulier, elle comporte des mesures destinées à rendre applicables à la métropole de Lyon les législations budgétaires et comptables en vigueur. Elle prévoit également des adaptations utiles au regard des intérêts propres de cette collectivité territoriale et de sa situation spécifique.
Il s’agit aussi de préciser un certain nombre de règles dans le domaine fiscal, notamment en matière d’assiette des impositions perçues, de modalités de liquidation, de fixation de taux, d’exonération et de partage de certaines allocations et dotations.
L’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 assure l’adaptation du cadre institutionnel en vue de garantir la continuité de l’action publique et le bon fonctionnement de la nouvelle métropole.
À cette fin, elle prévoit l’application à la métropole de Lyon de l’intégralité de la législation applicable à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et de l’intégralité de la législation applicable à un conseil départemental. Ainsi, la métropole de Lyon se substitue, à l’intérieur de son périmètre, au département du Rhône et à la communauté urbaine de Lyon dans toutes les procédures et conventions en cours auxquelles ces collectivités territoriales étaient parties.
De plus, afin de garantir la cohérence avec les objectifs de la réforme territoriale – mutualisation, clarté, lisibilité –, cette ordonnance introduit des dispositions spécifiques destinées à prévenir la recréation de doublons. Ainsi, elle fixe des règles de fonctionnement pour les institutions communes à la métropole de Lyon et au département du Rhône ; je pense en particulier à la maison départementale métropolitaine des personnes handicapées, au service départemental d’archives du Rhône et au service départemental métropolitain d’incendie et de secours du Rhône.
Enfin, cette ordonnance énonce explicitement que les circonscriptions territoriales de l’État demeurent inchangées à la suite de l’évolution des collectivités territoriales.
Ce nouveau cadre institutionnel, qui représente une première dans notre pays, est un gage de cohérence pour notre action publique. Le Gouvernement espère que, une fois débattu et adopté par le Parlement, il deviendra une référence, transposable en tant que de besoin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les deux ordonnances que ces projets de loi visent à ratifier sont le fruit d’un travail approfondi mené pendant près d’une année par les services de l’État et les collectivités territoriales concernées. Elles sont la clé pour achever le processus de création de la métropole de Lyon, une métropole innovante et solidaire qui améliorera le quotidien des citoyens.
Elles sont surtout une pierre de plus vers la nouvelle organisation territoriale de notre République : une organisation clarifiée qui valorise la diversité des territoires de France afin d’en faire une véritable force, une organisation mieux adaptée au quotidien de nos concitoyens, fondée sur plus de coopération et plus de solidarité. Faisons en sorte qu’elles soient ratifiées au plus vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené, rapporteur.
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a tout juste un an, le Parlement a définitivement adopté le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
L’article 26 de la loi du 27 janvier 2014 prévoit la mise en place au 1er janvier 2015 d’une nouvelle collectivité territoriale, la métropole de Lyon, résultant de la fusion de la communauté urbaine de Lyon et de la portion du département du Rhône recoupant le périmètre métropolitain. Cette nouvelle collectivité territoriale n’est ni un département ni un établissement public de coopération intercommunale, c’est une collectivité sui generis.
Ce statut particulier emporte naturellement de nombreuses conséquences et nécessite d’ajuster la législation en vigueur en matière de fiscalité locale, de concours financiers de l’État, de fonds de péréquation et de règles budgétaires et comptables.
En raison du caractère technique de ces questions, le Gouvernement a souhaité légiférer par voie d’ordonnance. L’habilitation votée par le Parlement l’autorisait notamment à « préciser et compléter les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables », ainsi que les règles relatives aux concours financiers de l’État, applicables à la métropole de Lyon et aux communes qui en sont membres.
En matière fiscale, elle autorisait en particulier la répartition du produit de certaines impositions départementales et le partage des compensations d’exonérations de fiscalité locale, ainsi que des compensations de la réforme de la taxe professionnelle.
En matière de concours financiers, elle permettait notamment de définir les modalités de partage de la dotation de compensation de la dotation globale de fonctionnement – DGF – entre la métropole de Lyon et le département du Rhône ainsi que les modalités de calcul du potentiel fiscal et financier de la métropole de Lyon.
C’est sur le fondement de cette habilitation qu’a été prise l’ordonnance du 6 novembre 2014.
Le seul dépôt du projet de loi de ratification dans le délai prescrit par l’habilitation permet d’éviter la caducité de l’ordonnance. Sa ratification, en revanche, a pour effet de la transformer rétroactivement en texte de valeur législative.
J’en viens maintenant aux dispositions de l’ordonnance, en commençant par celles qui ont trait à la fiscalité locale.
En matière de fiscalité, la principale difficulté posée par la création de la métropole de Lyon réside dans le fait qu’elle n’est ni un établissement public de coopération intercommunale – EPCI – ni un département. Dès lors, les dispositions qui s’appliquent aux métropoles et aux départements ne lui sont pas applicables par défaut.
Les articles 1er à 22 visent donc à adapter le droit existant en matière de fiscalité locale à ce statut particulier.
Sont ainsi concernés : les règles de liaison des taux ; les commissions départementales des impôts et des valeurs locatives ; la perception de diverses taxes locales, dans la mesure où des mesures de coordination étaient nécessaires ; la répartition des produits perçus en compensation de différents transferts de compétences, des allocations compensatrices d’exonérations d’impositions directes locales et des compensations de la réforme de la taxe professionnelle. Ce dernier partage s’est fait en fonction des bases fiscales ou selon une clé de répartition définie par la commission locale chargée de l’évaluation des charges et des ressources.
Au total, la métropole de Lyon percevra entre 70 % et 80 % des principales ressources fiscales de l’ancien département du Rhône et un peu moins de 60 % des compensations de la réforme de la taxe professionnelle.
Concernant ces articles, on notera deux points en particulier.
Tout d’abord, l’article 7 prévoit une période transitoire pour la perception de la part départementale de la taxe d’aménagement par la métropole de Lyon : pour les exercices 2015 et 2016, ce produit continuera à être perçu par le département du Rhône, mais sera pris en compte dans le calcul de la dotation de compensation métropolitaine. Cela s’explique par des difficultés d’ordre informatique.
Par ailleurs, l’article 9 étendait à la métropole de Lyon les dispositions applicables aux EPCI à fiscalité propre en matière de taxe de séjour. Ces dispositions ont néanmoins déjà été presque entièrement réécrites par la loi de finances pour 2015.
J’en arrive aux dispositions relatives aux concours financiers.
La métropole de Lyon est éligible à l’ensemble des concours financiers et dispositifs de péréquation dont bénéficient les départements et les communautés urbaines. Toutefois, il n’est pas toujours possible de calculer le montant de chaque dotation que la métropole de Lyon pourra désormais percevoir. Il est, par conséquent, nécessaire de définir une répartition pérenne de la dotation jusqu’alors perçue par le seul département du Rhône.
Dans certains cas, cette répartition a été prévue par la loi MAPTAM. Ainsi, la DGF du département du Rhône est répartie entre les deux collectivités territoriales en fonction de leurs populations respectives. Dans d’autres cas, la clé de répartition est fixée par l’ordonnance ; il en va ainsi, par exemple, de la dotation départementale d’équipement des collèges, répartie proportionnellement à la surface respective des collèges sur chaque territoire.
Par ailleurs, la loi MAPTAM a prévu que les transferts de compétence entre le département du Rhône et la métropole de Lyon étaient compensés grâce à une dotation de compensation métropolitaine. Pour calculer cette dotation, l’ensemble des recettes réelles de fonctionnement perçues en 2013 par le département du Rhône a été réparti fictivement entre la métropole de Lyon et le département du Rhône. Certains concours ne pouvant être territorialisés a priori, l’ordonnance a prévu des critères de répartition de ces recettes pour le calcul de la dotation de compensation métropolitaine.
En application de ces critères, la commission locale chargée de l’évaluation des ressources et des charges, créée par la loi MAPTAM, a déterminé précisément les clés de répartition.
La dotation de compensation métropolitaine permet, à l’issue de ce travail de répartition, d’égaliser les taux d’épargne du département du Rhône et de la métropole de Lyon après transferts des compétences. En application de ces dispositions, la métropole de Lyon versera une dotation de compensation métropolitaine annuelle de 75 millions d’euros au département du Rhône.
Enfin, dans certains cas, la métropole de Lyon ne peut être éligible à un concours dans les conditions de droit commun dès sa création, dans la mesure où il est versé en fonction de critères non disponibles, notamment parce qu’ils ne peuvent être territorialisés. C’est le cas, par exemple, des concours versés par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie – CNSA – ou du Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion – FMDI.
L’ordonnance prévoit donc un régime transitoire – de deux ans au maximum – pendant lequel le département du Rhône, dans ses limites territoriales antérieures à la création de la métropole de Lyon, continue de percevoir les concours de la CNSA et du FMDI. Ces concours sont ensuite répartis entre les deux collectivités territoriales selon des critères fixés par l’ordonnance.
Enfin, s’agissant de la péréquation, il est nécessaire de préciser les modalités de calcul du potentiel financier des deux nouvelles collectivités territoriales. Il convient notamment d’isoler les ressources départementales de la métropole de Lyon de ses ressources intercommunales et de prendre en compte la dotation de compensation métropolitaine.
Je tiens à souligner que la démarche consistant à créer la métropole de Lyon – soit un « département » particulièrement urbain – et d’un département du « Rhône rural », ainsi privé de son territoire métropolitain, pourrait, si elle était généralisée, bouleverser les mécanismes de péréquation départementaux. Il deviendrait de plus en plus difficile de comparer entre eux des départements devenus très hétérogènes ; selon moi, une remise à plat de la péréquation au niveau départemental devrait alors être envisagée.
La commission des finances s’est déclarée favorable à la ratification de l’ordonnance n° 2014-1335 et a complété le projet de loi par un article 2 comportant plusieurs mesures rédactionnelles ou de précision. Elle vous propose d’adopter le projet de loi de ratification dans la rédaction issue de ses travaux. (M. le président de la commission des lois, M. Gérard Collomb et M. Michel Mercier applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au 1er janvier 2015, douze métropoles ont été mises en place sur le territoire national. Celle de Lyon se distingue par son statut spécifique, les autres constituant des intercommunalités.
Créée par la désormais célèbre loi MAPTAM du 27 janvier 2014, la métropole de Lyon est une collectivité territoriale à statut particulier. Elle est issue de la fusion de la communauté urbaine de Lyon, EPCI à fiscalité propre, et du département du Rhône dans les limites du périmètre intercommunal.
La métropole de Lyon exerce en conséquence, sur son territoire, les attributions du département et celles anciennement exercées par la communauté urbaine, désormais alignées sur les compétences communales transférées aux métropoles.
Ainsi, sur l’aire métropolitaine, ne subsistent aujourd’hui que deux échelons de collectivités – la métropole et les communes –, tandis que le département du Rhône subsiste hors ce territoire.
Le législateur a élaboré un statut spécifique à cette nouvelle collectivité territoriale, unique à ce jour dans notre organisation territoriale. Il a également accordé au Gouvernement une habilitation législative destinée à adapter le droit en vigueur à cette création. Trois ordonnances ont été prises sur ce fondement.
Le Sénat est appelé aujourd’hui à en ratifier deux : celle du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole et celle du 6 novembre 2014 relative aux règles budgétaires et financières, sur laquelle notre collègue et ami Charles Guené vient de s’exprimer au nom de la commission des finances. Ces deux ordonnances sont entrées en vigueur le jour de la création de la métropole.
La ratification de la troisième ordonnance, relative aux modalités d’élection des conseillers métropolitains, n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour parlementaire. Ses dispositions entreront en vigueur à l’occasion du prochain renouvellement général des conseils municipaux, soit en 2020. Le Parlement aura donc tout loisir pour en discuter.
L’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 comporte un ensemble de dispositions de nature et de conséquence très diverses. Un certain nombre d’entre elles sont de simples adaptations de l’organisation territoriale à la création de la métropole ; d’autres prévoient des dispositions dérogatoires du droit commun ; certaines, enfin, sont de portée générale pour assurer un fonctionnement harmonieux de la nouvelle collectivité. Je ne reviendrai pas sur la présentation de ces dispositions, Mme la secrétaire d'État s’étant déjà livrée à cet exercice il y a quelques instants.
Pour la commission des lois, le champ de l’habilitation a été respecté. On peut certes considérer que certaines dispositions sont aux limites de l’habilitation stricto sensu, c'est-à-dire aux limites de l’habilitation telle qu’elle a été définie par le Parlement. Il faut néanmoins convenir que la création inédite de cette collectivité territoriale a nécessité des adaptations dont le législateur ne pouvait prévoir l’intégralité lors du débat parlementaire et que ces adaptations se bornent à transposer les principes généraux de la décentralisation établis au fil des lois depuis plus de trente ans.
L’ordonnance explicite les dispositions applicables à cette collectivité hybride, en particulier pour sa fonction intercommunale, pour l’exercice en lieu et place des compétences des communes situées sur son périmètre. La loi MAPTAM a expressément intégré la métropole de Lyon dans le régime départemental. En revanche, l’application du droit des EPCI à fiscalité propre, lorsqu’elles exercent des compétences communales, découle implicitement du dispositif de transfert de compétences communales. La commission des lois approuve donc la clarification ainsi opérée comme celle qui a été effectuée par analogie pour les groupements et syndicats mixtes. Des incertitudes sur la règle applicable – et, partant, certains contentieux – pourront ainsi être évitées.
Dans le même esprit, l’article 9 de l’ordonnance précise les modalités de transfert de la voirie départementale et intercommunale dans le domaine public routier de la métropole. Ce faisant, il introduit le principe d’un transfert en pleine propriété à titre gratuit, ce que la loi n’avait pas mentionné. Ce mécanisme est destiné à éviter des difficultés d’interprétation. Il transpose les règles générales régissant le sort de biens en cas de transfert de compétence d’une collectivité à une autre. En l’espèce, le cas est particulier puisque, si la communauté urbaine est « dissoute » dans la métropole, le département du Rhône abandonne la portion de voirie sur la partie de son ancien territoire désormais couverte par la métropole et sur lequel il n’a plus d’autorité.
Les précisions apportées au pouvoir de police de la circulation du président du conseil de la métropole complètent le dispositif défini par la loi du 27 janvier 2014 dans l’esprit qui a présidé à son adoption.
Pour le reste, il s’agit prendre en compte la nouvelle collectivité territoriale dans la législation en vigueur : c’est le cas des adaptations au statut de la fonction publique territoriale ou encore de l’élargissement de la composition de commissions administratives aux représentants de la métropole.
Par ailleurs, je considère que la dérogation prévue à l’article 17, suivant laquelle l’EPAGE – établissement public d'aménagement et de gestion des eaux – dont fait partie la métropole de Lyon peut intégrer un EPTB – établissement public territorial de bassin –, mériterait d’être généralisée à l’ensemble du territoire en raison de la faculté d’adaptation aux spécificités locales qu’une telle mesure apporte.
Je souhaiterais maintenant aborder la question de l’organisation territoriale des services de l’État. Les articles 1er et 2 de l’ordonnance prévoient le maintien de la circonscription de l’État sur le périmètre de l’ancien département du Rhône. La commission des lois approuve ce choix, qui évite de multiplier les structures déconcentrées. Elle regrette toutefois que ce principe n’ait pas été mis en œuvre pour la totalité des institutions de l’État. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la carte judiciaire. Celle-ci n’a pas été adaptée à la situation nouvelle résultant de la création de la métropole de Lyon.
Notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits affectés à la justice judiciaire et à l’accès au droit, a examiné cette question lors d’un déplacement, le 18 novembre dernier, au tribunal de grande instance de Lyon. Il a estimé que plusieurs scénarios étaient envisageables, dont celui qui consisterait à « expérimenter, à l’échelle du territoire du département du Rhône, le tribunal de première instance […]. [Installé à Lyon, ce tribunal] compterait un site détaché, celui de l’actuel TGI de Villefranche-sur-Saône », sous réserve de garantir au site détaché une activité contentieuse suffisante.
Une réflexion analogue devrait, selon la commission des lois, être conduite pour décider de l’évolution du ressort territorial des tribunaux de commerce de Lyon et de Villefranche-sur-Saône. Notre commission regrette le statu quo privilégié à ce jour par le Gouvernement sur cette question.
Sous réserve des observations qui précèdent, la commission des lois a adopté le projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2014-1543 assorti de trois amendements de précision. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Gérard Collomb et Michel Mercier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux projets de loi tendant à ratifier deux ordonnances relatives à la métropole de Lyon visent à acter les conséquences de l’adoption de la loi MAPTAM.
Il ne me paraît pas utile de rouvrir, cet après-midi, le débat sur la création d’une nouvelle collectivité et la partition du département du Rhône. Je rappellerai simplement que notre groupe avait voté contre.
Cette nouvelle collectivité, la métropole de Lyon, cumulera des compétences jusque-là dévolues soit au département, soit à la communauté urbaine. Les deux ordonnances qui sont aujourd'hui soumises à notre approbation sont évidemment nécessaires, principalement pour adapter le code général des collectivités territoriales, mais aussi pour assurer les ressources de la nouvelle collectivité en question.
Vous avez évoqué, madame la secrétaire d’État, la volonté de mieux organiser le territoire, afin de clarifier les compétences des différentes collectivités territoriales. Permettez-moi de douter du résultat. En effet, la population du territoire qui nous intéresse, celui de la métropole, ne sera plus représentée par une assemblée départementale, à la différence de tous les autres citoyens, et cela alors même que les services déconcentrés de l’État demeureront à l’échelle du département dans sa dimension actuelle.
Par ailleurs, tout le monde se réjouit de la création de la nouvelle collectivité, mais tout le monde sait aussi que les questions financières risquent de fragiliser beaucoup les politiques qui seront menées dans ce que certains appellent déjà le « petit Rhône », et qu’il convient plutôt de nommer le « nouveau Rhône », ce qui permet au passage d’éviter toute confusion avec le bras du delta du fleuve. En effet, les mécanismes de péréquation et de solidarité financière qui pouvaient jusqu’à présent être mis en œuvre par l’ancien conseil général du Rhône ne pourront plus jouer avec la même ampleur, malgré la redevance que la métropole de Lyon versera au département. On voit d’ailleurs par là que la clarification censément apportée par la nouvelle organisation n’est pas franchement évidente…
Je ne suis donc pas sûre que cette nouvelle organisation clarifie le paysage administratif, mais ce dont je suis certaine, en revanche, c’est qu’elle réduira les coûts, pour rendre plus efficaces les politiques publiques, conformément à l’objectif annoncé. Or nous ne partageons pas cet objectif de réduction de la dépense publique. Nous souhaitons au contraire renforcer celle-ci pour répondre, plus que jamais en cette année 2015, aux besoins des populations les plus fragilisées. Je pense bien entendu aux différents quartiers bénéficiant de la politique de la ville, nombreux au sein de la métropole. Je pense aussi à la paupérisation, qui progresse dans plusieurs des communes rurales relevant du « nouveau Rhône ».
Qu’il me soit permis de souligner que cette construction résulte d’un accord entre deux hommes, ici présents. Dévoilant leur œuvre dans la presse, ils ont témoigné d’un bel unanimisme, derrière lequel la grande majorité se range. Pourtant, quelques-uns regrettent que les décisions concernant un projet si « novateur », si « ambitieux » – on ne s’est pas privé d’employer les qualificatifs les plus flatteurs ! – aient été prises en comité restreint et que la consultation des populations ait été systématiquement écartée, notamment à l’occasion du rejet des amendements tendant à organiser une telle consultation que nous avions défendus lors du débat sur la loi MAPTAM.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas la ratification de ces deux ordonnances. Certes, nous pourrions nous soumettre au principe de réalité : la métropole étant créée, il faut permettre aux politiques de se mettre en place et donc affecter des moyens. Cependant, le vote de ces deux projets de loi constitue en quelque sorte le parachèvement d’une construction à laquelle nous sommes opposés depuis le début, non pas par principe, mais parce que nous doutons fortement que la volonté affichée d’une réduction de la dépense publique permette de répondre, demain, aux enjeux impliquant les populations de la métropole et du département du « nouveau Rhône ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1792, la Convention a voulu écraser Lyon, la contre-révolutionnaire. Un petit rappel historique peut toujours être utile, monsieur Mercier ! À cette occasion, Lyon perdait la moitié de son département, puisque la Convention décida de scinder le département de Rhône-et-Loire en créant, d’une part, un département du Rhône à la superficie bien inférieure à la moyenne et, d’autre part, un département de la Loire. Lyon n’a pas oublié !
À la suite de l’adoption de la loi du 27 janvier 2014, dite MAPTAM, la communauté urbaine de Lyon a fait place à la métropole de Lyon.
Fruit d’un consensus entre des élus locaux, sinon de tous bords, du moins de différents bords politiques – je ne veux pas faire de peine à Mme Cukierman ! –, particulièrement entre deux d’entre eux, qui siègent parmi nous et que nous saluons. Cela témoigne du fait que l’intérêt général transcende parfois les intérêts particuliers.
La nouvelle collectivité réunit les champs d’action du département et de la communauté urbaine pour les 59 communes qui composent le territoire du Grand Lyon. Le département du Rhône continue, pour sa part, d’exercer ses compétences pour les 228 autres communes.
Nous avions, lors de la discussion de la loi MAPTAM, approuvé cette innovation institutionnelle. Bien que la plupart des élus de notre groupe représentent des territoires ruraux, ils étaient conscients de la nécessité d’une telle évolution, emblématique d’une modernisation de l’action locale.
Sur les conseils avisés des deux grands élus auxquels je viens de faire allusion, le législateur a effectué un travail de dentellière, à rebours du dogme de l’uniformité institutionnelle.
Le premier volet de l’ordonnance du 19 décembre 2014 concerne plus spécifiquement l’adaptation du droit en vigueur à cette nouvelle collectivité.
La loi a ainsi créé une collectivité à statut particulier, la métropole de Lyon, conformément à ce que permet l’article 72 de la Constitution. Elle diffère très profondément des métropoles de Marseille-Aix-en-Provence et de Paris, qui constituent des EPCI.
De manière symbolique, cette collectivité, qui repose sur une structure intercommunale, pourra mettre en symbiose la plupart des politiques publiques locales : développement et aménagement économique, social et culturel ; aménagement de l’espace métropolitain ; politique locale de l’habitat ; politique de la ville ; gestion des services d’intérêt collectif ; protection et mise en valeur de l’environnement. Elle devient de plein droit délégataire de l’État en matière de politique de logement, se substituant au département pour l’exercice de ces compétences. Ce choix d’un partage aménagé des compétences départementales, notamment en matière de mineurs étrangers isolés, d’espaces, sites et itinéraires sportifs, et de tourisme, est judicieux.
L’article 9 de cette ordonnance précise les modalités de transfert des voies départementales et intercommunales au domaine public routier de la métropole de Lyon. Alors que nous examinerons bientôt en deuxième lecture le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit NOTRe, nous ne pouvons manquer de souligner l’originalité ou l’ironie qu’il y a à justifier ce transfert de compétence par le rôle « départemental » joué à certains titres par la métropole… L’absence de cohérence de certaines politiques nationales ou de certains projets de loi nous apparaît ainsi clairement !
La métropole de Lyon ne veut pas de la tutelle du futur conseil régional Rhône-Alpes, en particulier dans le domaine économique, et elle a parfaitement raison.
Nous le savons, cette fusion emporte également de nombreuses conséquences en matière de fiscalité locale, de concours financiers de l’État et de fonds de péréquation. Ces difficultés techniques seront réglées au moins provisoirement par la ratification, par le Parlement, de cette ordonnance.
Dans ce grand projet, qui dépasse la seule métropole de Lyon, il faut que la solidarité et la coopération soient les maîtres mots. La concurrence entre territoires ne pourrait se faire qu’au détriment de ceux qui, parmi eux, sont les plus fragiles. La création d’une métropole, dotée des armes institutionnelles et financières, constitue une avancée par rapport à l’hypertrophie francilienne, mais il faut que cela s’équilibre par rapport aux autres territoires qui l’entourent.
Pour pouvoir redistribuer, mes chers collègues, il est d’abord nécessaire de produire. Équiper institutionnellement les métropoles pour les aider à résoudre les problèmes qui se posent à elles en unifiant leur gouvernance constitue une solution, à la condition toutefois que des mécanismes de péréquation soient le réacteur d’un projet de développement équitable et équilibré des territoires, et d’une coopération renforcée.
Monsieur le président de la métropole de Lyon, il ne faudra pas oublier les territoires ruraux de Rhône-Alpes. Nous sommes prêts à partager le bien des autres ! (M. Gérard Collomb rit.)
Un sénateur du groupe UMP. Comme c’est bien dit ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Le nouveau cadre budgétaire et comptable a fait l’objet d’une concertation approfondie, engagée dès 2013. À partir de 2015, la métropole de Lyon sera éligible, dans les conditions de droit commun, aux concours financiers de l’État et aux dispositifs de péréquation des départements. Comme l’a souligné Charles Guené, la création d’un département particulièrement urbain, aux ressources multiples et au développement florissant, et d’un département privé de son territoire métropolitain pourrait, si ce modèle était généralisé, mettre à mal les mécanismes de péréquation départementaux. Une « remise à plat » de la péréquation au niveau départemental devrait alors être envisagée.
Nous voterons, bien sûr, ces deux textes. Nous sommes toujours convaincus de la pertinence de la création de cette métropole. Nous souhaitons simplement que l’on puisse avancer avec plus de force dans le domaine de la péréquation, pour que chacun puisse y trouver son compte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Michel Mercier et Gérard Collomb applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la métropole de Lyon est née le 1er janvier 2015, comme la loi l’avait prévu. Les ordonnances ont été prises à peu près à temps, en tout cas avant le 31 décembre 2014, puisque c’est la date à laquelle cessait l’habilitation du Gouvernement. Nous sommes aujourd'hui ici, en vertu de la réforme constitutionnelle de 2008, pour ratifier ces ordonnances de manière expresse.
Je voterai, bien sûr, ces deux projets de loi de ratification, mais je voudrais formuler quelques brèves remarques.
Tout d’abord, comme cela a été rappelé, un accord avait été conclu localement pour créer cette métropole. À défaut d’un tel accord local, rien ne se serait probablement passé. En tout cas, si cet accord a pu voir le jour, nous en avons parfaitement conscience, c’est parce que la situation locale était particulière : la métropole de Lyon existait intellectuellement, elle existait sur le plan scientifique, sur le plan humain, sur le plan économique, mais elle n’existait pas sur le plan juridique. Il fallait donc lui donner cette existence juridique. Pour ce faire, pour que la métropole puisse voir le jour, il fallait que le département disparaisse sur le territoire de la métropole de Lyon.
J’étais, naturellement, très attaché au département, mais je savais aussi que cet attachement n’avait pas de sens en lui-même et qu’il faut toujours rechercher l’utilité des institutions. Or, sur le territoire de la métropole de Lyon, l’utilité du département, c’était de disparaître !
Je suis encore, pour quelques semaines, le plus ancien conseiller général du Rhône, élu depuis fort longtemps – je me garderai d’indiquer aucune date, car personne ici ne s’en trouverait rajeuni ! (Sourires.) – d’un canton très éloigné de Lyon. Néanmoins, mon attachement au département n’a jamais été aveugle, sachant bien qu’il fallait faire bouger les choses, que nos concitoyens étaient prêts autant que nous, voire davantage, au changement.
Aussi Gérard Collomb et moi-même avons-nous pris tous deux des initiatives, et nous les assumons pleinement, car, si nous n’avions rien fait, rien n’aurait bougé.
Madame la secrétaire d’État, la métropole de Lyon est la seule vraie métropole qui ait été créée par la loi. C’est aussi la seule qui ne coûte rien à l’État : la vérité oblige à dire que vous avez largement distribué les crédits à ceux qui n’ont rien fait. La seule métropole qui n’a obtenu aucune nouvelle dotation particulière, c’est la métropole de Lyon ! Toutes les autres ont bénéficié peu ou prou de largesses gouvernementales. Vous pourriez évidemment trouver dans cette situation une justification à la diminution des crédits ! Mais il faut se méfier de ce qui est un peu trop logique…
S’agissant des ordonnances, je tiens à souligner l’énorme travail qui a été accompli tant au niveau local qu’au niveau national. Localement, nous nous sommes réunis régulièrement, chaque semaine ou tous les quinze jours, suivant les périodes, sous la houlette de Mme de Kersauson, présidente de la chambre régionale des comptes. Les fonctionnaires de la communauté urbaine et ceux du département ont examiné, trié, affecté plus de 600 000 mandats.
Nous avons dialogué en permanence avec la direction générale des collectivités locales, qui, se sentant parfois dépossédée de son droit de « faire » la loi, nous rappelait régulièrement que cette tâche lui incombait à elle, et non pas à nous. C’est sans doute pourquoi, de temps en temps, juste pour nous montrer que c’est elle qui disposait du pouvoir, elle écrivait précisément le contraire de ce que nous lui proposions ! (Sourires.)
Eh oui, chacun doit se sentir heureux dans la vie ! (Mêmes mouvements.)
Ce travail, long, a été bien mené. Il a eu pour principal avantage de démontrer ce que nous savions tous : que la métropole de Lyon était viable, qu’elle avait des potentialités énormes. Il a aussi démontré que le département du Rhône était lui aussi viable et qu’il était non pas un « sous-département », mais un vrai département, de 440 000 habitants – un peu plus que la Savoie –, disposant de ressources et abritant plus de 35 000 entreprises.
Je voudrais maintenant faire quelques remarques sur le mode d’organisation retenu par l’État pour ses propres services.
On pourrait dire que, celui-ci ayant décidé de faire des économies, sa réponse consiste à ne rien changer. Or, en ne changeant rien, en réalité, il change tout ! Depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, madame la secrétaire d’État, l’organisation territoriale de l’État repose sur un système simple : certaines collectivités territoriales sont aussi les collectivités d’action de l’État et le représentant de l’État, c’est le préfet.
Or vous avez décidé de faire exactement le contraire, sans le dire et sans voir toutes les conséquences de cette profonde innovation. La loi du 28 pluviôse an VIII est-elle toujours en vigueur ? On n’en sait rien ! À la lecture de l’article 1er de l’ordonnance, on peut supposer qu’elle ne l’est plus.
Sur le plan de l’organisation juridictionnelle, le département du Rhône compte un tribunal de commerce dont le ressort s’étend sur une très petite partie du territoire de celui-ci, le tribunal de commerce de Lyon étant compétent sur le reste du département.
L’organisation est identique s’agissant des tribunaux de grande instance.
Je le rappelle, il n’est désormais plus possible de parler d’arrondissement puisque l’État en est venu à transformer le département du Rhône en un arrondissement, comme cela est indiqué au Journal officiel. Il a d’ailleurs fait la même chose pour la métropole. On ne peut pas à la fois dire de cette métropole qu’elle est la meilleure de toutes et la transformer en un arrondissement comme celui de Largentière ! Or c’est ce que vous avez fait sur le plan juridique, madame la secrétaire d'État. Vous venez d’ailleurs de nommer un sous-préfet chargé de la métropole et un sous-préfet chargé du département.
Madame la secrétaire d'État, il faut que vous nous disiez clairement les choses : comment l’État va-t-il s’organiser ? Y aura-t-il un inspecteur d’académie pour les deux collectivités ? Appliquera-t-on, dans la métropole et dans le nouveau département les mêmes règles que dans le département de l’Ain et dans celui de la Loire, qui relèvent du même recteur ? On ne sait pas !
Nous avons besoin que l’État clarifie véritablement son rôle. Il donne le sentiment que, mécontent que la réforme des collectivités locales ait réussi à se faire, il boude et refuse de s’adapter !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Mercier. En ce qui concerne l’organisation juridictionnelle, il y a tout de même eu une décision : vous avez prévu qu’il y aurait à Lyon une cour d’assises, et cela à titre dérogatoire puisque les jurés doivent être désignés au sein des cantons et qu’il n’y a pas de cantons…
Quoi qu'il en soit, nos collectivités sont prêtes, elles ont bien travaillé et la métropole va prendre son envol. Plus celle-ci sera prospère et se développera, plus le département en profitera. Il n’y a donc pas d’opposition entre les deux collectivités, qui, au contraire, sont pleinement associées. (M. Gérard Collomb opine.)
Je le répète : nous ne sommes pas là pour dire aux autres de faire comme nous ; nous demandons simplement qu’on nous laisse faire, qu’on nous laisse libres. Nous ne demandons rien de plus à l’État, nous ne demandons aucun crédit particulier. Ainsi, le projet de loi NOTRe, par exemple, ne doit pas remettre en cause la loi MAPTAM. Je le dis aussi pour Mme Cukierman, qui a bien vu toutes les possibilités qu’offrent ces nouveaux textes.
C’est une belle aventure qui commence et je remercie le Parlement, en particulier le Sénat, de nous avoir permis de la vivre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Gérard Collomb applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Collomb.
M. Gérard Collomb. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Michel Mercier vient de le dire, c’est une belle aventure que la création de la métropole de Lyon.
Dans cette aventure, nous nous sommes lancés, Michel Mercier et moi, au nom d’une conception que je vais m’efforcer d’expliciter, mais qui a très vite rencontré un large écho, ne serait-ce que dans notre assemblée puisque, je le rappelle, la création de cette métropole de Lyon y a recueilli une quasi-unanimité, le groupe CRC faisant seul exception.
Aujourd’hui, le vote de ces deux projets de loi de ratification des ordonnances relatives aux aspects institutionnels et financiers de la métropole doit permettre à celle-ci de vivre cette vie commencée le 1er janvier dernier.
Pourquoi avons-nous voulu créer cette métropole de Lyon ? Vous permettrez au président de l’ancienne communauté urbaine de Lyon que je suis de vous exposer sa vision.
Nos métropoles constituent largement l’armature d’une France urbaine. Aujourd’hui, c’est pour une très grande part dans les métropoles de notre pays que se fait la création de richesse. Un économiste comme Laurent Davezies montre, à partir de l’exemple de l’Île-de-France, comment cette région permet de créer de la richesse et comment cette richesse est ensuite redistribuée sur le reste des territoires grâce à des mécanismes de péréquation.
Par conséquent, il n’y a pas, d’un côté, les métropoles et, de l’autre, le reste du territoire ; il faut penser dans un ensemble à la fois les métropoles, les régions et les territoires ruraux.
Pour ce qui concerne la métropole de Lyon, il fallait lui permettre de rester un territoire dynamique sur le plan économique, un territoire où l’on continuerait à créer de l’emploi, où de grands projets urbains pourraient continuer à germer.
Il fallait cependant lui donner une autre dimension. Au sein de la communauté urbaine, nous promouvions une dynamique économique et d’aménagement urbain, mais c’était le conseil général qui avait en charge les politiques en direction des personnes, en particulier les plus fragiles : le département, c’étaient le revenu de solidarité active, les personnes âgées, l’enfance et l’adolescence en difficulté. Bref, le département intervenait là où notre société présentait des failles.
Les grandes métropoles – c’est vrai dans toutes les métropoles du monde – ont une face brillante, parce qu’elles créent de la richesse et qu’elles attirent les compétences, mais ont aussi une face sombre, celle de la pauvreté. Il faut donc pouvoir à la fois mener de grandes politiques économiques, de grandes politiques urbaines, et prendre en charge les plus fragiles dans notre société, en particulier ceux qui sont éloignés de l’emploi.
Si l’agglomération lyonnaise peut sembler, quand on observe les choses de loin, extrêmement riche et prospère, elle compte sur son territoire, je le rappelle, 46 000 bénéficiaires du RSA. Aussi, faire travailler ensemble ceux qui pensaient le développement économique et le développement urbain, et ceux qui étaient chargés de l’insertion sociale et professionnelle, cela avait évidemment du sens.
C’est ce que nous avons commencé à faire le 1er janvier dernier. Nous avons réuni l’ensemble des services de manière à apporter un meilleur service à nos concitoyens, tout en nous efforçant de mutualiser les moyens.
En effet, nous le savons, nous sommes dans une période de grande disette financière. Madame la secrétaire d'État, je vous l’avais dit lorsque vous êtes venue à Lyon : sur les six prochaines années, le cumul de la baisse des dotations de l’État et de l’augmentation de notre contribution au fonds de péréquation représentera pour nous 1 milliard d’euros en moins sur un budget annuel de la métropole de 3 milliards d’euros. Le choc est tout de même considérable !
Voilà pourquoi il est important de rechercher les mutualisations possibles tout en continuant à offrir plus de services au public. C’est d’autant plus nécessaire que, si le conseil général et l’ancienne communauté urbaine menaient parfois des actions complémentaires, il arrivait aussi que l’un et l’autre exercent des compétences identiques et déploient en conséquence des services de même type. Il faut donc repenser le cadre de l’action publique.
J’en viens à un autre point qui me semble fondamental et sur lequel Michel Mercier et moi-même avons beaucoup travaillé ensemble : l’opposition, souvent invoquée, entre l’urbain et le rural.
D’aucuns se demandent si la métropole de Lyon ne va pas se construire au détriment du département. Je réponds par la négative, car nous avons voulu accompagner le processus d’une dotation de compensation, de telle sorte que, chaque année, la métropole verse au département 75 millions d’euros. Au départ, nous n’avions pas prévu d’égaliser l’autofinancement, mais nous nous sommes rendu compte que la nouvelle organisation allait entraîner pour le département du Rhône une perte d’environ 40 millions d’euros en capacité d’autofinancement. Cette égalisation a donc eu pour objet de faire partir chacun avec les mêmes chances au moment de la création de la métropole.
Enfin, nous n’avons pas voulu tout séparer : il n’y a pas de « mur de Berlin » entre la métropole et le nouveau département du Rhône ! Nous avons entendu garder un certain nombre de services en commun : le service départemental d'incendie et de secours ou la maison départementale des personnes handicapées, par exemple.
Nous avons même voulu élargir le champ de nos compétences exercées en commun, en instaurant une autorité compétente en matière de transports qui soit celle non pas simplement de l’agglomération, mais de l’ensemble constitué par le département et la métropole. D’ailleurs, monsieur Patriat, vous qui êtes un président de région soucieux des complémentarités, sachez que nous avons formé un syndicat métropolitain des transports avec la nouvelle autorité compétente au sein de l’agglomération et du département, mais également avec la région, afin de mettre en œuvre une mobilité sur la grande aire urbaine de Lyon.
Voilà, mesdames, messieurs, ce que nous avons essayé de réaliser et qui va véritablement entrer dans la loi grâce à ces deux ratifications. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne referons pas cet après-midi le débat que nous avons eu à l’occasion de l’examen de ce projet de loi sur la mise en place des métropoles, j’allais dire de « la métropole », puisque la communauté urbaine de Lyon, qui était un EPCI à fiscalité propre, est devenue, à l’issue de la promulgation de la loi le 27 janvier 2014, une collectivité locale de plein exercice au 1er janvier 2015.
Il s’agit d’une évolution institutionnelle importante, et je suis de ceux qui ont défendu cette évolution, puis voté le texte permettant de la mettre en œuvre. Il n’en demeure pas moins que quelques difficultés persistent s’agissant notamment des limites territoriales de cette métropole, par exemple pour son aéroport international implanté en dehors de son territoire.
Par ailleurs, la prise de compétences nouvelles qui nous étaient étrangères au sein de la communauté urbaine – singulièrement les dépenses sociales – constitue pour nous à la fois une découverte et une dépense importante. Or il s’agit d’une dépense de guichet, ce qui implique, pour la nouvelle collectivité locale, d’avoir une vision financière très différente de celle d’un EPCI, susceptible de produire un effet de levier extrêmement important en termes d’aménagement du territoire. Nous sommes devenus une collectivité locale presque « classique », qui va devoir faire face à l’ensemble de ces demandes. Toutes les annonces de mutualisation de moyens et d’économies ne sont pas, de mon point de vue, à l’ordre du jour.
Cela étant, l’article 39 de la loi du 27 janvier 2014 prévoyait que le Gouvernement pouvait, dans un délai d’un an, à la faveur d’ordonnances, régler un certain nombre de problèmes.
Trois ordonnances ont ainsi été élaborées : une ordonnance à caractère financier, que notre collègue Charles Guené a commentée tout à l’heure et sur laquelle je ne reviendrai pas ; une ordonnance d’organisation institutionnelle, sur laquelle je formulerai deux observations ; enfin, une ordonnance concernant les questions électorales, prise également au mois de décembre, mais qui, pour l’instant, n’a pas encore fait l’objet du dépôt d’un projet de loi de ratification.
Concernant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014, je ferai miens les propos de M. le rapporteur Jean-Patrick Courtois et de Michel Mercier : quid de la difficulté, pour l’État, de ne pas avoir suivi le rythme de cette évolution institutionnelle, singulièrement dans son organisation propre, et plus particulièrement son organisation judiciaire ?
Force est de constater que les inquiétudes ont été immenses, par exemple au sujet de la cour d’assises : la question s’est posée de savoir comment nos magistrats allaient pouvoir rendre la justice, notamment dans le département du Rhône. Sur ce point extrêmement important, les solutions qu’a retenues le Gouvernement ne sont pas réellement satisfaisantes.
Se pose également la question du tribunal de commerce, vrai sujet pour notre territoire compte tenu à la fois de l’importance du tribunal de commerce de Lyon, mais également de l’activité non négligeable que connaît Villefranche-sur-Saône. Nous nous trouvons actuellement dans une situation délicate, et l’on peut regretter que le Gouvernement n’en ait pas mesuré les effets, qu’il soit objectivement à la traîne. Madame la secrétaire d’État, vous devez agir rapidement pour trouver des solutions.
J’évoquerai maintenant l’article 6 de l’ordonnance précitée. Il y est fait état de la mise en place d’une commission permanente au sein de la métropole. Sur le principe, dont acte ! En revanche, la composition de cette commission est problématique puisque, au moment où je vous parle, elle n’est pas constituée à parité, ce qui soulève des difficultés au regard de deux textes.
Le premier est le code général des collectivités territoriales. Un article introduit par la loi du 17 mai 2013 dispose que, dans un département, la commission permanente doit être impérativement constituée à parité.
Le Conseil constitutionnel, se prononçant sur la loi MAPTAM, a par ailleurs indiqué très clairement, dans une décision du 23 janvier 2014, d'une part, que le président de la métropole devait être assimilé au président d’un conseil départemental, d'autre part, que l’article 1er de la Constitution affirmait le principe de parité.
Si le président de la métropole est l’équivalent de ce qu’était le président du département, l’organisation de cette métropole, et singulièrement de sa commission permanente, doit relever des règles qui s’appliquaient pour le département.
Comment peut-on avancer de manière cohérente que cette collectivité territoriale est sui generis et, dans le même temps, que, en vertu de la décision du Conseil constitutionnel, le président de la métropole est l’équivalent, en tout cas structurellement, du président du département.
Telles sont mes observations au sujet de l’ordonnance du 19 décembre 2014.
Mais le plus délicat est à venir puisqu’il concerne la troisième ordonnance, celle qui organise les élections, dont les premières se dérouleront en 2020, mettant en jeu les conférences territoriales. Tout cela a été réglé dans la plus grande précipitation.
Au demeurant, j’ai bien compris l’astuce juridique qui a été révélée tout à l’heure par Charles Guené : le dépôt de l’ordonnance dans le délai imparti, c’est-à-dire avant le 31 décembre, quel que soit son contenu, évite la caducité de ladite ordonnance. La loi d’habilitation qui sera votée ultérieurement permettra en outre de donner à cette mesure un effet rétroactif. Les moindres détails ont été prévus !
S’agissant de cette troisième ordonnance dont la ratification ne nous est pas encore soumise, nous avons été consultés localement par les représentants de l’État. En ce qui me concerne, cela a duré quelque vingt minutes, et j’ai reçu une lettre très courtoise prenant acte de cet entretien. Toutefois, madame la secrétaire d'État, vous ne devez pas oublier que 43 communes, sur un total de 59, sont hostiles à cette ordonnance et à son contenu, et ce pour deux raisons.
La première me paraît fondamentale. En effet, dans la loi MAPTAM, il est bien précisé qu’il appartient à l’assemblée délibérante de déterminer elle-même les limites de ces conférences territoriales, qui existaient déjà au sein de la communauté urbaine de Lyon et qui sont aujourd'hui consacrées par la loi. C’est parce que la détermination des limites de ces conférences territoriales incombe à l’assemblée communautaire qu’elles peuvent ensuite servir de base électorale pour l’élection de 2020.
En l’occurrence, le fait que l’État ait voulu imposer, sans discussion possible, un mode électoral sur la base de conférences territoriales qui n’ont pas d’existence légale aujourd’hui, puisqu’elles sont anciennes et que la métropole n’a pas délibéré de nouveau sur ce sujet, alors que la loi le prévoit explicitement, ce fait soulève une réelle difficulté. Le Gouvernement a dessaisi l’assemblée délibérante de la métropole de ses compétences.
La seconde raison tient au problème de la représentation des territoires. Dans cette ordonnance, il apparaît clairement qu’un certain nombre de communes vont « disparaître de la circulation » au regard de leur représentation au sein de la métropole. Le Gouvernement a choisi de privilégier la représentation de la population au détriment des territoires. C’est un choix ! Cependant, je le rappelle, un débat s’est engagé au Sénat la semaine dernière sur une proposition de loi constitutionnelle de MM. Gérard Larcher et Philippe Bas tendant à inscrire dans la Constitution la nécessité de prendre en compte, outre la représentation des habitants en fonction de leur nombre, celle des territoires, proposition de loi qui a été adoptée par notre assemblée.
Dès lors, il me paraîtrait judicieux que ce problème ne soit pas réglé par voie d’ordonnance, celle-ci étant ensuite ratifiée au terme de débats très brefs. Qu’on laisse au Parlement la possibilité de débattre sérieusement sur ce point et qu’on prenne en considération la position des élus locaux concernés !
Sans doute le président de la métropole de Lyon va-t-il s’empresser de vous expliquer, madame la secrétaire d'État, que ce que je dis n’est pas exact. Je pense que mon propos est, au contraire, respectueux à la fois des élus de notre métropole et de la légalité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai bien entendu ce qui vient d’être dit à l’instant, mais je pense qu’il faut engager la discussion sur un autre terrain.
Il convient tout d’abord de reconnaître l’importance de ce à quoi nous assistons : la création de la métropole lyonnaise, qu’on l’approuve ou non, est l’innovation territoriale la plus remarquable de ces dernières années.
Nous connaissions la fusion de communes ; nous allons connaître la fusion de régions. Là, nous assistons à une invention territoriale unique, la fusion d’une communauté urbaine avec le morceau de département qui correspond à son territoire. C’est un moment rare qui appellera, je le pense, de nombreuses réflexions.
Les métropoles existent depuis un certain temps. Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, elles constituent sans doute la forme la plus aboutie de l’intercommunalité. La première fut celle de Nice, et dix autres métropoles de droit commun ont été créées au 1er janvier 2015, parmi lesquelles je citerai la métropole bordelaise, à laquelle, je le sais, Mme la secrétaire d’État est très attachée. (Mme la secrétaire d’État opine.)
Ces dix métropoles ne jouent pas – pour prendre une image sportive – dans la même division que la métropole lyonnaise. Cette dernière est – c’est rare dans notre histoire administrative – une nouvelle collectivité territoriale à statut particulier, au sens de l’article 72, premier alinéa, de la Constitution.
Il s’agit d’un événement administratif doublé d’un événement politique, puisque cette métropole s’administre librement grâce à son conseil métropolitain.
J’ajouterai, pour réagir aux propos de François-Noël Buffet, que cette création peut étonner, c’est vrai. Le Conseil constitutionnel a même dû se prononcer sur cette question. Toutefois, sa décision du 23 janvier 2014 est sans appel : elle rejette tous les moyens dirigés contre les dispositions relatives à la métropole lyonnaise et constate la conformité de ces dernières à la Constitution.
Notre collègue regrettait que la parité n’ait pas cours au sein de la métropole. Nous sommes d’accord, mais nous n’y pouvons rien ! Le conseil métropolitain est composé des maires de la communauté urbaine de Lyon ; si cet ensemble ne respecte les règles de parité, la métropole n’a d’autre choix que d’en faire le constat. Cette situation résulte non pas d’une quelconque volonté politique, mais de la réalité de la composition des conseils municipaux.
J’aurais aimé, dans le peu de temps qu’il me reste, évoquer les compétences de la métropole et son mode de fonctionnement, objet des ordonnances dont nous discutons aujourd’hui.
Je vais pourtant développer un autre aspect du sujet, en posant une question que, d’ailleurs, chacun a en tête : l’exemple lyonnais peut-il faire école ? S’agit-il d’une expérimentation spécifique ou bien de la préfiguration d’un modèle ? Autant vous le dire tout de suite, mes chers collègues, je n’ai pas la réponse. Je constate seulement que la métropole lyonnaise n’a pu naître qu’à deux conditions.
La première condition, c’est l’existence d’un consensus local profond. C’est d’ailleurs une bonne leçon pour l’État : on n’impose pas ce genre de choses ; on ne peut que constater, après un long travail, que le dossier est mûr, qu’il est sur la table. Il faut donc féliciter tous les hommes de ce consensus : Michel Mercier et Gérard Collomb, bien sûr, ainsi que les autres élus du département et de la communauté urbaine.
Il convient aussi de saluer les autres acteurs de ce succès : le Parlement, qui a su se dégager de ses divisions pour défendre une vision plus générale et généreuse, mais aussi le Gouvernement, qui a participé à l’entreprise.
La seconde condition, c’est la coopération. J’ai beaucoup apprécié ce que Gérard Collomb a déclaré à ce sujet, il y a un instant. La métropole ne peut faire s’opposer machine urbaine et désert rural : il faut créer la richesse, puis la partager.
Au bénéfice de ces observations, mes chers collègues, le groupe socialiste votera avec ferveur,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. De la ferveur, il en faut !
M. Alain Anziani. … mais aussi avec attention, ces deux projets de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi ratifiant une ordonnance qui, pour l’essentiel, donne un cadre financier et fiscal à la métropole de Lyon, collectivité à statut particulier créée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM ».
Qu’une loi, ou en l’espèce une ordonnance, puisse prendre en compte des accords locaux – c’est ici le cas avec la métropole de Lyon et le département du Rhône – est en soi une très bonne chose. Que cet accord local puisse servir de cadre à une généralisation de la relation entre départements et métropoles de droit commun est une perspective à laquelle, en revanche, je ne puis adhérer.
Le statut particulier de la métropole lyonnaise prévoit que cette dernière reprend sur son territoire les compétences précédemment exercées par le conseil général du Rhône. Cette organisation territoriale singulière, au-delà des hommes qui l’ont promue, doit beaucoup à l’histoire déjà longue de la communauté urbaine du Grand Lyon, comme sans doute, Michel Mercier l’a rappelé, à l’indéniable prospérité de l’ensemble du département, qui excède donc le seul territoire métropolitain.
Ce statut particulier, je le redis, ne peut en aucune façon servir de modèle pour les territoires où sont situées les métropoles de droit commun, car ils sont généralement caractérisés par la coexistence de villes centrales créatrices de richesses et de zones périurbaines et rurales très fragiles.
Pour les départements ayant la chance de profiter de la force d’une métropole sur leur territoire, une séparation aurait des conséquences désastreuses. En effet, si l’on peut imaginer un système de compensation financière à la date de la séparation, les créations de richesses dans le temps n’évolueraient plus au même rythme. Année après année, les capacités de soutien du département en faveur des communes rurales et périurbaines se réduiraient inexorablement.
Aujourd’hui, seuls les départements, par leur capacité de redistribution, sont à même de préserver, voire de renforcer, des services publics de qualité sur l’ensemble de leur territoire ; c’est bien l’essentiel pour nos concitoyens.
En effet, il n’y a pas d’un côté des métropolitains et, de l’autre, des habitants de la ruralité. Chacun a son parcours de vie : périurbain à la naissance, métropolitain dans sa vie professionnelle, rural après la retraite, par exemple. Une seule chose est sûre : où qu’il habite, chacun s’attend, non pas à un service public identique, mais à un service public adapté et de qualité. Sans solidarité entre métropole et reste du département, celui-ci pourrait être largement mis à mal.
Par ailleurs, on pourrait s’interroger sur l’importance pour les métropoles de récupérer les compétences aujourd’hui correctement exercées par les conseils généraux. En quoi l’aide sociale, les collèges, les transports scolaires, participent-ils à la réalisation des objectifs de la métropole ? En quoi ces compétences départementales font-elles des villes des espaces plus attractifs, plus innovants, plus créateurs de richesse ?
Ces transferts ne sont en réalité générateurs d’aucune plus-value. Le Sénat a d’ailleurs fait cette analyse en remaniant profondément l’article 23 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.
Alors que la loi MAPTAM instituant les métropoles transmettait uniquement, et de plein droit, la voirie départementale, elle renvoyait à des conventionnements d’éventuels transferts de compétences supplémentaires. On peut les imaginer en matière de politique de la ville, par exemple.
Avant modification par notre assemblée, la loi NOTRe prévoyait, quant à elle, le transfert obligatoire de trois des sept groupes de compétences du département visés par la loi MAPTAM. En cas de désaccord, la totalité d’entre eux était transférée de plein droit à la métropole.
C’est en cela que la loi NOTRe pourrait sembler préfigurer une extension de la solution lyonnaise à l’ensemble des métropoles de droit commun. C’est pour cette raison, madame la secrétaire d’État, que je profite de nos discussions d’aujourd’hui pour vous demander de faire de la métropole lyonnaise et du conseil départemental du Rhône non pas un modèle, mais un cas unique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La discussion générale commune est close.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de lyon
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon.
Article 1er
I. – L’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon est ratifiée.
II (nouveau). – Au premier alinéa et à la première phrase du second alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 précitée, après les mots : « aux communes » sont insérés les mots : « situées sur son territoire ».
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Au III de l’article L. 3642-2 du code général des collectivités territoriales, la référence : « L. 511-1 » est remplacée par la référence : « L. 511-2 ». – (Adopté.)
Article 3 (nouveau)
À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 3651-2 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « des infrastructures routières » sont insérés les mots : « situées sur son territoire ». – (Adopté.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de lyon
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon.
Article 1er
L’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon est ratifiée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 1615-2, après le mot : « communes », est inséré le signe : « , » ;
2° À la première phrase de l’article L. 3662-8, le mot : « tiennent » est remplacé par le mot : « tient ».
II. – À la troisième phrase du sixième alinéa du 1.2.4.1 de l’article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, après les mots : « en 2015 », sont insérés les mots : « par la métropole de Lyon ». – (Adopté.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
10
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de quatre sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence française d’expertise technique internationale.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des lois ont été invitées à présenter chacune une candidature.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
11
Nomination d’un membre d’un groupe de travail
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour le groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Didier Mandelli membre du groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité, en remplacement de M. Jérôme Bignon, démissionnaire.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
12
Transition énergétique
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (projet n° 16, texte de la commission n° 264 rectifié, rapports nos 263, 236, 237 et 244).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que j’ai l’honneur de vous présenter et de soumettre à votre discussion, porte une haute ambition pour la France.
Il met en place des outils concrets, pragmatiques et accessibles à chacun, afin de réussir, ensemble, à faire de notre pays une puissance écologique performante qui améliore la vie quotidienne de tous les Français et crée des emplois, tout en contribuant plus efficacement à la lutte contre le dérèglement climatique, dont les menaces n’épargnent aucun continent.
Je tiens à remercier les présidents et les membres des commissions des affaires économiques, du développement durable, de la culture et des finances de la qualité de leur engagement dans la préparation du débat qui s’ouvre aujourd’hui. Je salue évidemment aussi les rapporteurs des différentes commissions, ainsi que les orateurs et chefs de file des groupes, notamment MM. Jean-Pierre Bosino, Jacques Mézard, Didier Guillaume et Ronan Dantec, qui se sont très attentivement penchés sur ce texte.
Vous le savez, le 14 octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté à une large majorité le projet de loi dont vous êtes saisis.
J’attends beaucoup des travaux de la Haute Assemblée pour enrichir les acquis de cette première lecture, au regard des territoires que vous représentez. Nous devons bâtir ensemble les convergences les plus constructives autour d’objectifs d’intérêt général que je crois dignes de nous rassembler en cette année cruciale pour le climat.
Ce projet de loi vise à atteindre cinq objectifs.
Premièrement, réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour reprendre en main notre destin climatique.
Deuxièmement, mieux garantir notre indépendance et notre souveraineté énergétiques en préparant l’après-pétrole et en réduisant le coût de nos importations, qui grèvent lourdement et structurellement notre balance commerciale.
Troisièmement, saisir la chance de la croissance verte pour stimuler l’innovation, améliorer la compétitivité de nos entreprises, développer des activités nouvelles et des filières d’avenir créatrices d’emplois non délocalisables.
Quatrièmement, protéger le pouvoir d’achat et la santé des Français en améliorant leur bien-être ; je pense aux transports propres.
Cinquièmement, et enfin, doter notre pays d’une législation qui serait l’une des plus avancées du monde, car elle serait la plus complète.
Vous le savez, la France se mobilise pour la Conférence Paris Climat 2015, qu’elle accueillera au mois de décembre prochain. Elle doit donc être exemplaire chez elle pour convaincre et entraîner les autres pays. L’ambition de ce projet de loi est de nous en donner les moyens.
Vous allez légiférer dans un domaine où tout se tient et dont les enjeux sont étroitement imbriqués : l’économie et l’écologie, dont le texte qui vous est soumis organise la réconciliation, le changement climatique et la biodiversité, le temps présent et les temps à venir, le local et le global…
Dans ce domaine passionnant, ceux qui réussiront seront ceux qui auront su accélérer à temps ; ceux qui garderont la main sur le frein seront les grands perdants d’une mutation déjà en marche qui se fera sans eux. Mais j’ai confiance dans notre capacité à faire les choix justes. Je vois tous les jours combien le mouvement pour une croissance verte gagne du terrain et combien l’intelligence collective des territoires multiplie les réalisations innovantes et probantes.
Permettez-moi de rappeler brièvement ici dans quelle histoire au long cours s’inscrit le projet de loi dont nous allons débattre. En effet, depuis un siècle, la modernisation de la France a été indissociable des grands choix énergétiques.
Ce fut le cas après la Première Guerre mondiale – il fallait en réparer les ravages –, avec la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique. Cette « houille blanche », comme l’on disait alors, est aujourd’hui encore la première de nos énergies renouvelables.
Ce fut le cas à la Libération, quand le pays était à reconstruire au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le Conseil national de la Résistance avait alors fait de l’énergie la clef d’un nouveau développement économique et du rétablissement de notre souveraineté nationale. Les lois de 1946 en apportèrent les moyens, dans le contexte de l’époque, avec la création de puissantes entreprises nationales pour le charbon, le gaz et l’électricité.
C’est avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier que l’Europe a commencé à se construire. Dans les années soixante-dix, quand le premier choc pétrolier révéla la vulnérabilité liée à notre dépendance aux énergies fossiles, la France lança un programme nucléaire d’une rapidité et d’une ampleur inégalées dans le monde.
L’association du Parlement à ces grandes décisions fut, reconnaissons-le, très marginale.
Le projet de loi qui vous est présenté rend à la nation la maîtrise de son destin énergétique. Il met dans vos mains la définition de notre politique de l’énergie jusqu’en 2020, 2030 et 2050, avec des programmations pluriannuelles de l’énergie pragmatiques et révisables. Surtout, il associe les territoires, les entreprises et les citoyens, qui auront ainsi la base juridique stable pour voir clair et s’engager.
Durant les dernières décennies, le Parlement a plus souvent légiféré sur les questions d’énergie. Il a de plus en plus intégré la dimension environnementale, qui en est indissociable.
Je tiens à saluer l’action de tous mes prédécesseurs, dont Mme Chantal Jouanno, qui siège au sein de la Haute Assemblée. Quelles qu’aient été leurs sensibilités politiques, toutes et tous ont tracé le sillon. Le travail du Parlement l’a montré, bien des objectifs peuvent être partagés en ces domaines, sans sectarisme, ni considérations étroitement partisanes. Bien des efforts peuvent converger, et l’unité prévaloir.
À cet égard, le Grenelle de l’environnement, qui a été si ardemment voulu par Nicolas Hulot et piloté avec conviction par Jean-Louis Borloo, a été un moment d’une vraie richesse ; l’œuvre qui nous rassemble aujourd'hui s’inscrit dans cette perspective.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien de le reconnaître !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est grâce à Nicolas Sarkozy !
Mme Ségolène Royal, ministre. Il en va de même du débat national sur la transition énergétique. Le présent projet de loi marque une nouvelle étape. Pour le construire, je me suis appuyée sur toutes les parties prenantes de la transition énergétique et sur ce qui se fait de mieux dans nos entreprises et dans nos territoires.
Le 29 janvier dernier, je participais aux Assises de l’énergie à Bordeaux. J’ai constaté la mobilisation des villes, des territoires et de leurs élus de tous bords, ainsi que leur intelligence partagée des enjeux énergétiques et climatiques, leur envie d’agir et d’entraîner le pays tout entier. M. le maire de Bordeaux m’a remis, au nom des acteurs concernés, l’appel des collectivités pour agir vite dans la transition énergétique.
Hier, j’ai rendu publics les noms des 218 lauréats de l’appel à projets « territoires à énergie positive pour la croissance verte ». Je l’avais lancé au mois de septembre 2014 pour aider les initiatives les plus innovantes mettant en pratique et combinant sur le terrain différentes orientations du présent projet de loi : économies d’énergie dans les logements, les bâtiments et l’espace publics ; transports propres ; gestion durable des déchets et économie circulaire ; production locale d’énergies renouvelables ; préservation de la biodiversité et des paysages ; urbanisme durable ; bâtiments à énergie positive, développement de l’éducation à l’environnement et de l’écocitoyenneté.
Je l’avoue, j’ai moi-même été agréablement surprise par le nombre des candidatures reçues : plus de 500 territoires, émanant de 21 000 collectivités et groupements de collectivités de toutes tailles, se sont positionnés.
Ces projets multidimensionnels, localement très fédérateurs, bénéficieront d’un appui renforcé et de financements dédiés, issus notamment du Fonds de financement de la transition énergétique.
Preuve également de cette mise en mouvement dynamique et créative, les 58 lauréats de l’appel à projets « territoires zéro gaspillage, zéro déchet » ou encore les 162 dossiers qui seront accompagnés par les services du ministère de l’écologie dans le cadre des contrats régionaux de la transition énergétique.
Bref, le mouvement est lancé. Notre pays et toutes ses forces vives font preuve d’une belle réactivité. Mesdames, messieurs les sénateurs, les territoires dont vous êtes les représentants me trouveront toujours à leurs côtés pour aller de l’avant. Mais ils attendent une impulsion ; c’est le rôle de la loi que nous sommes en train de coconstruire.
Comment agir efficacement en articulant les enjeux globaux, ceux du changement climatique et de la raréfaction des ressources, et les enjeux locaux, ceux de l’emploi et de la qualité de vie au quotidien ? D’abord en traçant d’abord un cap clair et en donnant au pays un horizon stable pour agir dès maintenant.
C’est pourquoi le projet qui vous est soumis fixe des objectifs à moyen terme. Premièrement, réduire de 50 % notre consommation énergétique finale en 2050 par rapport à 2012. Deuxièmement, baisser notre consommation d’énergies fossiles de 30 %. Troisièmement, réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et les diviser par quatre en 2050. Quatrièmement, rééquilibrer notre modèle énergétique en portant la part des énergies renouvelables à 32 % de notre consommation énergétique en 2030 et en réduisant la part du nucléaire dans la production d’électricité.
Je me réjouis de l’important travail réalisé par les commissions du Sénat en la matière, notamment sur la réduction de notre consommation d’énergie et le rééquilibrage de notre mix énergétique. Je souhaite évidemment une convergence sur les objectifs fondamentaux de ce texte.
Les titres II à IV créent de puissants outils pour économiser l’énergie dans les bâtiments, dans les transports et par le développement de l’économie circulaire.
La rénovation énergétique des bâtiments est prévue au titre II. C’est un levier majeur de créations d’emplois dans un secteur aujourd’hui fragilisé, qui attend impatiemment la mise en œuvre de cette loi. C’est aussi un gain de pouvoir d’achat pour les ménages : un logement bien isolé, ce sont des factures qui baissent ! C’est enfin, avec des bâtiments et des espaces publics moins énergivores, une source d’économies pour les budgets des collectivités locales.
Le développement des transports propres, objet du titre III, est indispensable pour réduire notre consommation d’énergies fossiles, améliorer la qualité de l’air, donc mieux protéger la santé de tous. Le projet de loi prévoit notamment l’acquisition d’au minimum un véhicule électrique ou hybride rechargeable sur deux lors du renouvellement des parcs de voitures dans le secteur public et l’implantation de 7 millions de points de charge d’ici à 2030, avec un objectif de 10 % d’énergies renouvelables dans tous les modes de transport en 2020.
Le titre IV vise à renforcer la lutte contre toutes les formes de gaspillage : il y a là un gisement d’économies dont nous ne mesurons souvent pas l’ampleur.
Dans cet esprit, tous les ministères se doteront dès cette année d’un plan « administration exemplaire », avec un objectif de diminution de la consommation énergétique de 20 % à 30 %.
Le projet de loi consacre l’entrée dans notre droit positif de la notion d’économie circulaire, qui va de l’écoconception des produits à leur recyclage, notamment dans le cadre de complémentarités entre les entreprises, pour faire des déchets des unes la matière première des autres.
Il vise notamment la diminution de moitié, à l’horizon 2025, des déchets mis en décharge et la valorisation de 70 % des déchets du bâtiment, comme c’est déjà le cas en Allemagne. Il affirme le principe de proximité : le traitement des déchets doit s’effectuer aussi près que possible de leur lieu de production.
Le titre V organise la montée en puissance des énergies renouvelables. Éolien, solaire, hydroélectricité, biomasse, géothermie, énergies marines, dont l’énergie thermique des mers qui est actuellement expérimentée dans nos outre-mer : toutes les ressources de nos territoires doivent être valorisées pour diversifier notre bouquet énergétique et créer des emplois non délocalisables.
La France doit devenir un leader de la production d’électricité en mer, en particulier de l’éolien offshore, filière très prometteuse pour notre pays, qui a déjà lancé six grands chantiers en réponse à des appels d’offres du ministère de l’écologie. Nous disposons d’industriels technologiquement très en pointe, et le secteur représente un potentiel, avec à court terme de nombreux emplois directs et indirects ancrés dans les territoires.
Le projet de loi vise à moderniser les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et à améliorer les procédures d’appels d’offres pour accélérer le mouvement et développer des filières industrielles compétitives dans une perspective d’intégration progressive au marché et d’offensive à l’exportation, où la compétition fait rage. Il tend à renforcer la conditionnalité de l’aide financière apportée aux énergies vertes et à faciliter l’implication des communes et de leurs groupements dans la production locale d’énergies renouvelables, ainsi que le financement coopératif, afin de faire vivre, dans les territoires, une nouvelle citoyenneté énergétique.
Nous aurons des débats sur la question des cultures énergétiques dédiées à la méthanisation. Vos commissions ont souhaité, par exemple, retenir une rédaction plus souple que celle de l’Assemblée nationale, ce qui me semble opportun, au moins à titre transitoire, compte tenu des difficultés économiques que connaît cette filière.
Le texte qui vous est soumis rénove également, ce qui était attendu par de nombreux élus, le régime des concessions hydrauliques, en l’harmonisant à l’échelle des grandes vallées et en créant des sociétés d’économie mixte qui permettront de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des usages de l’eau.
Le titre VI, dont vous avez validé les orientations, renforce la sûreté nucléaire, la transparence et l’obligation d’information des riverains, et plus largement des citoyens. Il prévoit, notamment, que le démantèlement d’une installation interviendra le plus tôt possible après l’arrêt de celle-ci et vise à renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Pour accélérer le tournant de la croissance verte, le titre VII clarifie et simplifie les procédures, afin de gagner en efficacité et en compétitivité. Il complète le dispositif du marché de capacité et rend plus transparente la méthode de construction des tarifs règlementés de vente de l’électricité et les règles d’utilisation des réseaux publics d’électricité, pour inciter aux investissements nécessaires et à l’amélioration de la qualité du service. Enfin, il tient compte des spécificités des entreprises électro-intensives, afin de mieux protéger leur compétitivité. Ces sujets feront débat entre nous.
Je crois toutefois possible que nous parvenions à un bon compromis sur la question des implantations d’éoliennes, par exemple, en permettant d’associer efficacement les territoires à leur développement sans ralentir le rythme des projets, tout en protégeant le patrimoine architectural et paysager de notre pays.
Pour donner aux citoyens, aux collectivités et à l’État le pouvoir d’agir ensemble dans la même direction, le titre VIII crée de nouveaux instruments de programmation cohérente de l’énergie et de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, à l’échelle locale et nationale : budgets carbone, stratégie nationale bas carbone et programmation pluriannuelle de l’énergie.
Le projet de loi améliore la gouvernance de la contribution au service public de l’électricité, afin de mieux en maîtriser les charges et de faciliter le contrôle du Parlement. Votre commission des finances soulève sur cette contribution des questions légitimes, auxquelles je m’efforcerai de répondre lors de la discussion des articles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis renforce les instruments de pilotage du nouveau modèle électrique dont dispose l’État, en plafonnant à son niveau actuel notre capacité de production nucléaire et en instaurant pour tout exploitant produisant plus du tiers de la production électrique nationale un plan stratégique précisant les actions qu’il s’engage à mettre en œuvre pour respecter les objectifs de diversification de la production électrique inscrits dans notre programmation pluriannuelle de l’énergie, dont vous maîtriserez la montée en charge.
Si le niveau et le rythme du plafonnement ne font pas consensus encore entre nous, son principe n’est toutefois pas mis en cause. Nous disposons là d’une bonne base pour discuter ensemble et échanger nos idées.
Plusieurs articles renforcent le rôle des territoires dans la transition énergétique et reconnaissent un droit à l’expérimentation de boucles locales fédérant les producteurs et les consommateurs dans le cadre d’une production décentralisée de l’énergie, ainsi que la possibilité d’un déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents, dans une perspective de développement de l’autoconsommation ou de construction de villes et de quartiers intelligents, avec tous les savoir-faire que la France doit pouvoir développer.
Ce titre prévoit également la création d’un « chèque énergie » traitant équitablement l’ensemble des énergies pour lutter contre la précarité énergétique. Je salue d'ailleurs les améliorations apportées par la commission des affaires économiques du Sénat à ce dispositif qui est très attendu.
Enfin, le projet de loi reconnaît pleinement la spécificité et le potentiel des outre-mer : les difficultés résultant de la non-interconnexion nous poussent à innover et peuvent se transformer en avantages pour que les territoires ultra-marins deviennent l’avant-garde de la transition énergétique et mettent le cap sur une autonomie énergétique fondée sur leurs propres sources renouvelables. Dans ces territoires où le chômage frappe durement, puisqu’il atteint 40 %, voire 50 % des jeunes, ces nouvelles filières constituent évidemment des atouts majeurs en termes de création d’activités et d’emplois non délocalisables.
Dans cette perspective, il s’agit non plus, pour les outre-mer, de « rattraper » un modèle à bout de souffle, mais, au contraire, d’anticiper et même de devancer, grâce à la valorisation de leurs atouts, le changement de modèle dont la croissance verte doit être le moteur dans tout le pays.
Dans des territoires où un jeune sur deux est aujourd’hui sans activité, je crois profondément qu’un tel changement de regard et d’approche permettra de créer des activités nouvelles, des emplois durables et un nouvel espoir.
J’en viens aux moyens que le Gouvernement entend consacrer à ces priorités. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
On me dit parfois que la transition énergétique coûterait trop cher. Il me semble que c’est plutôt l’inaction qui serait onéreuse ! Souvenez-vous, par exemple, des inondations qui ont touché notre pays et qui ont fait plusieurs victimes dans nos régions, y compris dans la mienne, en Poitou-Charentes-Pays de la Loire, une région qui a payé un lourd tribut au dérèglement climatique.
Dans le monde entier, d’ailleurs, les acteurs économiques commencent à prendre pleinement conscience de la difficulté. Je participais en septembre dernier au sommet mondial de l’Organisation des Nations unies, à New York, et j’ai été frappée de voir avec quelle énergie – si j’ose dire ! – des pans entiers du monde industriel et des affaires américains s’engagent désormais dans l’économie verte, où ils pèseront de tout leur poids. Nous ne pouvons pas être en retard sur ce mouvement.
En réalité, ils ont fait leurs comptes et ont compris que l’inaction a et aura un coût infiniment supérieur à celui de la transition énergétique. Le dérèglement climatique et la multiplication des événements météorologiques extrêmes menacent les infrastructures côtières et risquent de causer des pertes considérables.
Les acteurs économiques sont de plus en plus nombreux à comprendre que la croissance verte, qui réconcilie économie et écologie, devient un gisement d’innovations technologiques et de production de richesse. Le cinquième apport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou le rapport sur la nouvelle économie climatique de Lord Stern et Felipe Calderón, l’ancien président mexicain, disent la même chose.
J’entends aussi, parfois, que les moyens ne seraient pas au rendez-vous. Eh bien si, les moyens sont là ! À nous de nous en saisir.
Pour les particuliers, le Gouvernement a créé, et vous avez voté, un crédit d’impôt pour la transition énergétique, simplifié, renforcé et élargi par la loi de finances pour 2015, qui permet de financer jusqu’à 30 % du montant des travaux d’isolation.
Par ailleurs, nous avons prévu la simplification et le déblocage de l’écoprêt à taux zéro, qui pourra bénéficier à 100 000 opérations de rénovation pour cette année. Le financement de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, a été complété. La mise en place, pour ceux qui ne peuvent faire l’avance du financement des travaux, du tiers financement, à partir du vote de cette loi et de l’expérience des régions pionnières, permettra aux particuliers d’engager leurs travaux.
Pour les entreprises, la Banque publique d’investissement assumera pleinement ses responsabilités de banque de la transition énergétique, notamment avec les prêts verts aux entreprises qui ont des projets de réduction de leur consommation d’énergie.
Pour les collectivités territoriales, les prêts « transition énergétique et croissance verte » de la Caisse des dépôts et consignations sont disponibles depuis le 1er août dernier, avec une enveloppe de 5 milliards d’euros pour des prêts à un taux de 1,75 %, sans apport des collectivités et remboursables en quarante ans.
La Banque européenne d’investissement, dont j’ai pu apprécier l’efficacité comme partenaire des projets de la région Poitou-Charentes, mobilise également un milliard d’euros pour les travaux de rénovation énergétique dans les collèges, en soutien des départements.
Enfin, le fonds de financement de la transition énergétique est aujourd’hui opérationnel. Logé à la Caisse des dépôts et consignations, il est doté de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, une somme issue des certificats d’économies d’énergie, du programme des investissements d’avenir et des dividendes du secteur de l’énergie.
Ce fonds financera directement dans les territoires les actions des lauréats des appels à projets et permettra l’engagement rapide des travaux, au bénéfice de la filière bâtiment, des entreprises et des artisans du secteur, qui attendent avec impatience l’ouverture des marchés publics pour les travaux sur les bâtiments publics, les bâtiments privés, les logements sociaux et les logements des particuliers. Les moyens existent donc et certains sont déjà mis en place. Il était très important qu’ils soient stabilisés au moment où le Sénat examine ce texte.
Ce projet de loi, je tiens à le souligner, est l’aboutissement d’un dialogue renforcé avec les élus que vous êtes, mais aussi avec les associations, les scientifiques, les entrepreneurs et les artisans des filières de la croissance verte, ainsi que les membres des organismes consultatifs, en particulier le Conseil national de la transition écologique et le Conseil économique, social et environnemental.
Je souhaite que vos travaux et les propositions de vos rapporteurs, avec lesquels nous avons noué de fructueuses relations de travail au cours des dernières semaines,…
M. Charles Revet. Ils ont beaucoup travaillé !
Mme Ségolène Royal, ministre. … permettent d’améliorer encore ce texte et de lui donner toute sa portée opérationnelle, pour accélérer et approfondir la mobilisation d’ores et déjà déclenchée.
Au cours de ces mois de travail intense, dont j’ai eu la responsabilité, j’ai veillé à prendre en compte nombre de recommandations de toutes les parties prenantes de la transition énergétique.
J’ai tenu à être à l’écoute de tous les points de vue, et je continuerai à l’être tout au long des débats ; je serai attentive à tout ce qui permet de les rapprocher, dans le respect des convictions de chacun, sans gommer artificiellement les différences d’approche, mais avec le souci de trouver des points de convergence et des équilibres positifs au service de tous les Français.
Tel est l’état d’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte et dans lequel j’aborde ce débat au Sénat.
Je sais que cet état d’esprit est partagé par vos commissions, dont je tiens à saluer la mobilisation exceptionnelle : cent vingt-sept auditions ont été conduites par la commission des affaires économiques ou par son rapporteur, qui ont indiqué leur intention de « conforter » le projet de loi ; cinquante-cinq heures de réunion ont été consacrées par la commission du développement durable, qui a vu dans ce texte un « Grenelle III », un « projet global » à aborder « avec pragmatisme et sans idéologie ».
M. Charles Revet. Il faut les écouter !
Mme Ségolène Royal, ministre. J’y vois, pour ma part, une attitude particulièrement constructive, qui place nos débats sous d’excellents auspices.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que je vous propose n’accumule pas des contraintes supplémentaires. Il met à la portée de chaque acteur de la croissance verte des moyens concrets de s’impliquer. Il incarne une écologie positive qui lève les freins, libère les initiatives et accroît la liberté d’entreprendre pour apporter dès aujourd’hui des bénéfices concrets, notamment en termes d’emplois.
Ce projet de loi n’oppose pas les énergies les unes aux autres ; il organise leur complémentarité dans la perspective d’un nouveau modèle énergétique, évolutif et plus diversifié.
C’est un texte d’équilibre, qui vise à permettre à la France de tirer le meilleur parti des nombreux atouts qui sont les siens ; les atouts que notre histoire nous a légués et qui sécurisent notre transition énergétique ; les atouts qui nous permettent de devenir une puissance environnementale de premier plan, grâce à ces énergies renouvelables très diverses dont dispose notre pays, y compris outre-mer.
La France possède aussi le deuxième domaine maritime mondial. Elle a le premier potentiel agricole – d’où l’importance de la biomasse, sur laquelle vous avez d'ailleurs mis l’accent au cours de vos travaux – et le troisième potentiel forestier européen.
Ensuite, ces atouts, nous les devons à l’excellence de nos chercheurs et de nos ingénieurs, aux talents et aux savoir-faire de nos grands groupes, mais aussi de nos PME et de nos artisans. Nous les devons à la capacité d’initiative et à l’envie de participer des citoyens, à la motivation et à l’engagement de tous les élus de nos territoires, au-delà des clivages politiques, comme je le constatais encore hier, je le répète, en félicitant les lauréats des territoires à énergie positive pour la croissance verte.
Nous débattons aujourd’hui du projet de loi sur la transition énergétique. Nous débattrons bientôt du projet de loi sur la biodiversité. Ils sont, l’un et l’autre, complémentaires, car leurs enjeux sont intimement liés.
On le sait, le dérèglement climatique aggrave l’érosion de la biodiversité, fragilise les écosystèmes qui nous rendent pourtant des services vitaux – j’y insiste –, les espèces végétales et animales n’ayant plus le temps de s’adapter – en quarante ans, quelque 52 % des espèces vertébrées ont disparu de la planète –, menace les forêts, les mers, les récifs coralliens, les terres qui nous nourrissent, l’eau sans laquelle il n’est pas de vie possible et pour laquelle, déjà, bien des conflits se dessinent.
Néanmoins, de cela peut aussi sortir le meilleur, car une biodiversité intelligemment préservée et valorisée limite les émissions de gaz à effet de serre et les pollutions, atténue la dérive climatique et protège mieux de ses conséquences. C’est vrai, entre autres, des forêts côtières et des mangroves, qui ralentissent le déferlement des inondations, des apports de l’agro-écologie et du génie écologique ou du retour de la nature en ville, où, par exemple, l’effet rafraîchissant des arbres protège des canicules urbaines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le premier sommet de la Terre proclamait en 1972 : « Tout être humain a deux patries, la sienne et la planète ». Le projet de loi qui vous est présenté doit nous permettre de prendre efficacement soin de l’une et de l’autre, de donner aux Français l’espoir et les moyens de vivre mieux, en créant les emplois qui les y aideront, dans un pays qui reprend en main son destin énergétique et qui, plus largement, peut à nouveau inventer son avenir.
Vous le voyez bien dans les territoires dont vous êtes les élus, parce que vous êtes actifs et que vous vous engagez,…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !
Mme Ségolène Royal, ministre. … la transition énergétique est en marche. Il nous faut donc consolider, généraliser et approfondir cette dynamique ; tel est l’objectif du présent projet de loi, avec, à la clef, la possibilité de créer des emplois.
Comme le bon cognac du Poitou-Charentes, qui doit passer deux fois par l’alambic avant d’entamer la lente maturation qui lui conférera son arôme définitif (Sourires. – M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis, s’exclame.), la lecture de ce texte par le Sénat, que nous entamons aujourd’hui, après celle qu’en a faite l'Assemblée nationale, permettra, je l’espère, de donner à notre pays l’outil législatif mûrement réfléchi et soigneusement élaboré dont il a besoin pour réussir pleinement sa transition énergétique et faire de la croissance verte notre commune nouvelle frontière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a été saisie au fond de l’ensemble du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, à l’exception de ses dispositions relatives aux transports, ainsi qu’à la lutte contre les gaspillages et à l’économie circulaire, dont l’examen a été délégué à la commission du développement durable.
Tout au long de ses travaux, notre commission a été guidée par un principe cardinal : mettre notre politique énergétique au service d’un modèle de croissance à la fois durable – économe en ressources et protecteur de l’environnement –, riche en emplois et garant de la compétitivité de nos entreprises.
Pour y parvenir, elle a opté pour une démarche constructive consistant à conforter, chaque fois que c’était possible, et à équilibrer, lorsque c’était nécessaire, les dispositions du projet de loi.
Conforter, tout d’abord, car l’urgence climatique n’est plus à démontrer, et il nous faut tout faire pour limiter l’élévation des températures sous les deux degrés centigrades. Au fil de ses rapports, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, démontre, avec chaque fois plus de force, les effets dramatiques auxquels le réchauffement climatique pourrait conduire dans les prochaines décennies si nous n’agissons pas dès maintenant.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Alors que la France s’apprête à accueillir, à la fin de l’année, la prochaine Conférence des parties sur le climat, la COP 21, avec pour objectif de parvenir à un accord international ambitieux, notre pays doit être exemplaire, mais il ne doit pas avancer seul pour autant.
C’est la raison pour laquelle il convient tout particulièrement d’œuvrer, avec nos partenaires européens, à la création d’une véritable Union européenne de l’énergie, comme les présidents Gérard Larcher et Jean-Claude Juncker en sont convenus lors de leur entrevue il y a quelques jours.
Aussi les propositions de notre commission ont-elles visé, en particulier, à favoriser la rénovation thermique des bâtiments, à soutenir les énergies renouvelables, à lutter contre la précarité énergétique et à soutenir nos entreprises, notamment électro-intensives.
La seconde priorité est d’équilibrer, car si la quasi-totalité des objectifs visés a fait consensus, deux d’entre eux méritaient, à notre sens, d’être révisés.
Tout d’abord, la division par deux de la consommation énergétique finale en 2050 pose question, au regard tant du manque de réalisme d’une telle prévision à un horizon si lointain que de sa compatibilité avec la nécessité pour notre pays de renouer avec une croissance économique forte, indispensable pour résorber le chômage de masse.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Nous n’avons pas le droit de parier sur la décroissance, mes chers collègues.
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Très juste !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Si l’efficacité et la sobriété énergétique doivent engendrer des gains importants, il est à craindre que cet objectif entre en contradiction, par exemple avec celui, tout aussi essentiel, d’une réindustrialisation de notre pays, ainsi qu’avec son évolution démographique.
En conséquence, notre commission est revenue, à l’horizon 2030, à l’objectif de rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique prévu dans le texte initial et a visé, de façon plus réaliste, la « poursuite » d’un tel objectif en 2050, plutôt que sa réalisation certaine.
M. Charles Revet. C’est plus sérieux !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Il est bon en effet de guider l’action publique et les comportements des acteurs économiques par des signaux de long terme, mais encore faut-il qu’ils soient réalistes, sous peine de discréditer encore la parole publique,…
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Eh oui !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. … voire de favoriser les extrêmes, mes chers collègues ! (M. Daniel Dubois applaudit.)
Le second objectif qui ne fait pas consensus est la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % dès 2025, c'est-à-dire dès demain.
M. Bruno Sido. C’est impossible !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. À cet objectif est par ailleurs adjoint un plafonnement de la capacité de production à son niveau actuel, qui condamnera deux réacteurs à la mise en service de l’EPR de Flamanville, attendue pour 2017.
M. Ronan Dantec. C’est juste !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Cet objectif et ce plafonnement nous ont semblé inacceptables, car tout simplement contraires à l’intérêt de notre pays.
En fixant, dans la loi, un tel couperet, l’on risquerait en effet de priver la France de l’un de ses principaux atouts : atout de souveraineté, qui lui a permis d’assurer son indépendance énergétique ; atout économique, lui garantissant une énergie parmi les moins chères d’Europe, qui préserve le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises ; atout industriel, doté de perspectives à l’export favorables et qui fait vivre et se développer, dans le sillage de nos champions nationaux, EDF, Areva et GDF-Suez, un grand nombre de PME et d’entreprises de taille intermédiaire ; atout social, puisque le seul renouvellement des effectifs permettra de recruter 110 000 personnes d’ici à 2020 ; atout territorial, enfin, qui participe du développement économique de nos territoires.
Il n’est qu’à voir, pour s’en convaincre, les conséquences désastreuses qu’aurait la fermeture de Fessenheim sur ce bassin de vie : 2 000 emplois directs ou indirects perdus, plus de 5 000 personnes concernées et près de 50 millions d’euros d’impôts et taxes locales qui disparaîtraient. Au total, la fermeture anticipée de cette centrale, qui fournit 80 % de l’électricité alsacienne, pourrait induire un coût pour la collectivité de près de 5 milliards d’euros, dont 4 milliards d’euros au titre de la seule indemnisation de l’exploitant !
M. Ronan Dantec. C’est faux !
M. Bruno Sido. Et nous n’avons pas cet argent !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Au-delà du cas, emblématique, de Fessenheim, cet objectif conduirait, dans l’hypothèse d’une stagnation de la consommation électrique, à la fermeture d’une vingtaine de réacteurs en moins de dix ans, soit près de deux par an.
M. Bruno Sido. C’est impensable !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, afin que le Parlement se prononce en toute connaissance de cause, et pour éclairer nos concitoyens, vous avez le devoir de nous indiquer quelles seraient les centrales concernées et selon quels critères elles seraient sélectionnées. Il est plus que temps de faire toute la vérité sur les conséquences d’une telle orientation !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Eh oui !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Surtout, madame la ministre, vous le savez, le nucléaire est un allié objectif de la transition énergétique en raison de son caractère totalement décarboné.
C’est en effet grâce au nucléaire, et au développement de l’hydroélectricité, que notre pays est déjà l’un des plus faibles émetteurs au monde de gaz à effet de serre par habitant. Aussi serait-il paradoxal de se priver d’une énergie non émettrice de gaz à effet de serre au moment même où tout doit être mis en œuvre pour limiter le réchauffement climatique.
Pour autant, s’il nous a semblé indispensable que notre pays conserve un socle fort d’électricité nucléaire, il n’a pas été question pour nous de nier que le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres, du point de vue tant de la sûreté des installations que de la gestion des déchets.
C’est pourquoi notre commission a choisi la voie d’une diversification progressive et maîtrisée de notre mix électrique, ne serait-ce que pour éviter une trop forte dépendance à l’égard d’une seule filière, qui combine énergie nucléaire, développement de toutes les énergies renouvelables – j’y insiste, car il ne faudrait pas oublier, aux côtés de l’éolien et du photovoltaïque, la biomasse et la géothermie, qui ont l’avantage de ne pas être intermittentes –, et même un volet d’énergies fossiles, indispensable pour faire face aux pointes de consommation et s’appuyant sur des centrales à gaz moins émettrices de gaz à effet de serre.
Notre commission a donc retenu, non pas la suppression de l’objectif nucléaire, mais son encadrement : il s’agit de ne pas mettre en péril l’indépendance énergétique de la France, de ne pas revenir sur le caractère à la fois compétitif et peu carboné de notre électricité et, surtout, de profiter, de façon pragmatique, de la fin de vie des installations actuelles.
Ensuite, s’ouvrira le débat sur une réduction progressive de la part du nucléaire ou sur le remplacement des centrales actuelles par la nouvelle génération des centrales nucléaires, choix qui semble avoir votre préférence, madame la ministre, si je vous ai bien entendu voilà une dizaine de jours.
La position ainsi définie par notre commission me semble être une voie médiane, qui préserve l’objectif, souhaitable, de l’évolution du mix électrique, tout en prévoyant sa mise en œuvre de façon raisonnée et responsable et sur laquelle, je l’espère, les uns et les autres pourront s’accorder en ces temps d’unité nationale. Par cohérence, notre commission a également relevé le plafond de capacité de production nucléaire, pour y inclure l’EPR de Flamanville.
Ce projet de loi soulève une autre question, celle de son financement, dont les contours restent encore flous,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. … comme tous nos interlocuteurs nous l’ont confirmé.
La contrainte budgétaire y est sans doute pour quelque chose, mais je souhaiterais rappeler que d’autres choix étaient possibles.
M. Didier Guillaume. Supprimer le nucléaire !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Ainsi, l’Allemagne a retenu un modèle de financement unique, simple et très efficace, dans lequel la banque publique de développement, la KfW, joue un rôle central.
M. Didier Guillaume. Charbon et lignite ! Ce n’est pas le bon modèle.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. En matière de rénovation des bâtiments, les aides octroyées obéissent par exemple à trois principes : une exigence de performance des rénovations, une progressivité des aides en fonction de l’ambition du projet, le contrôle par un expert des travaux réalisés. Vous noterez au passage, mes chers collègues, que les aides sont attribuées sans condition de ressources, ce qui explique une bonne partie de leur efficacité...
Nous avons fait un choix différent et préféré multiplier les dispositifs de financement des travaux de rénovation : écoprêt à taux zéro – éco-PTZ –, crédit d’impôt pour la transition énergétique, taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation ou encore aides de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, dans le cadre du programme « Habiter mieux ». Le projet de loi y ajoute deux nouveaux outils : sociétés de tiers financement et fonds de garantie de la rénovation énergétique dont les ressources affectées restent à définir.
En complément, il est prévu, vous l’avez rappelé, madame la ministre, la constitution d’un fonds de la transition énergétique doté de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, et dont on ne sait pas aujourd’hui, là encore, comment il sera financé, tandis que les autres ressources évoquées consistent à réserver ou à flécher des enveloppes existantes vers la transition énergétique.
Madame la ministre, il faudra que vous nous éclairiez sur ce financement, car, en l’état, il est à craindre que les mesures proposées ne soient pas à la hauteur des ambitions affichées par le texte, et ce dans un contexte où chaque euro compte pour nos compatriotes.
Mes chers collègues, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles, mais je souhaiterais vous présenter, brièvement, les principaux apports de notre commission. J’ajoute au passage que nous avons, dans un souci de simplification partagé notamment par nos collègues de la délégation aux collectivités territoriales, cherché à limiter au strict nécessaire notre « créativité normative » : alors que le texte était passé, lors de son examen à l’Assemblée nationale, de 64 à 173 articles, nous avons contenu cette inflation à 186 articles.
Concernant le titre Ier relatif aux objectifs, outre les propositions déjà évoquées, nous avons précisé et encadré le relèvement progressif de la part carbone, pour ne viser que les énergies fossiles et prévoir sa stricte compensation par la baisse d’autres impôts ou taxes. Sur ce point, madame la ministre, nous avons suivi vos prescriptions : il faut que la fiscalité écologique soit incitative et non punitive !
Nous avons modulé la réduction des énergies fossiles en fonction de leurs émissions respectives de gaz à effet de serre et décliné l’objectif de développement des énergies renouvelables par grands secteurs, tout en ajoutant un objectif sur le gaz renouvelable.
Le titre II consacré aux bâtiments constitue un volet important du texte. Cette partie a été considérablement enrichie à l’Assemblée nationale, puisque le nombre d’articles y a été multiplié par cinq.
Le projet de loi fixe deux objectifs sur lesquels la commission n’est pas revenue : la rénovation de 500 000 logements par an à partir de 2017 et la rénovation, avant 2030, des bâtiments privés résidentiels consommant plus de 330 kilowattheures d’énergie primaire, soit les classes F et G.
L’obligation d’une isolation par l’extérieur des bâtiments et la possibilité de déroger aux règles d’urbanisme pour réaliser cette isolation, prévues aux articles 3 et 5, ont suscité de nombreuses inquiétudes chez les professionnels et les associations de défense du patrimoine que j’ai auditionnés. Notre commission a choisi de donner aux maires la possibilité d’accorder de telles dérogations. Elle a également souhaité ne pas imposer une technique particulière d’isolation lors d’un ravalement important de façade.
Nous avons, par ailleurs, précisé les missions et la composition du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique, voulu par le Gouvernement dès le mois de juin dernier.
Le texte prévoit aussi la création d’un carnet numérique de suivi et d’entretien du logement contenant toutes les informations utiles à la bonne utilisation, à l’entretien et à l’amélioration de la performance énergétique du logement. Notre commission a apporté des précisions sur ce carnet, qui contiendra des informations non seulement sur le logement, mais aussi sur les parties communes lorsque le logement est situé dans une copropriété. On y trouvera, par exemple, les différents diagnostics obligatoires que les particuliers doivent déjà réaliser, notamment le diagnostic de performance énergétique et l’état de l’installation intérieure d’électricité ou de gaz.
L’information des particuliers en matière de travaux de rénovation énergétique est également un point important.
Ainsi, le texte prévoit la mise en place des plateformes territoriales de la rénovation énergétique, chargées d’apporter des conseils gratuits et indépendants aux consommateurs sur la réglementation et sur les aides auxquelles ils peuvent prétendre. Notre commission a prévu qu’elles seraient prioritairement mises en œuvre à l’échelle intercommunale, ce qui permettra de s’appuyer sur des structures qui existent déjà, notamment à l’échelon départemental.
Nous avons encore précisé que, dans le cadre des contrats de prestation visant à améliorer la performance énergétique d’un bâtiment, le prestataire souhaitant s’engager devrait le faire sur un niveau de performance énergétique ou environnementale.
Plusieurs dispositions concernent les dispositifs d’individualisation des frais de chauffage et d’électricité. Notre commission a modifié directement le droit en vigueur pour instaurer un régime de sanctions administratives en cas de manquement à l’obligation d’installation de systèmes de comptage de la consommation de chaleur, d’électricité et de gaz.
La commission n’est pas revenue sur le dispositif de mise à disposition des consommateurs d’électricité et de gaz bénéficiant des tarifs sociaux des données de consommation au moyen d’un dispositif déporté d’affichage en temps réel, mais elle a précisé les modalités d’accès, pour le propriétaire ou le gestionnaire d’un immeuble qui réalise des travaux d’amélioration, aux données de consommation des occupants de l’immeuble.
En ce qui concerne la garantie décennale, nous avons supprimé la disposition prévoyant son application en cas de non-respect de la réglementation thermique et apporté quelques précisions sur la notion d’impropriété à la destination en matière de performance énergétique.
Le titre V vise, quant à lui, à favoriser le développement des énergies renouvelables : pour cela, toute une série de dispositifs, dont notre commission a approuvé la philosophie générale, est mise en place.
Ainsi, l’article 23 prévoit la création d’un nouveau mécanisme de soutien financier fondé sur la vente directe de l’électricité sur le marché assortie d’une prime, appelée « complément de rémunération ».
Sur ce point, notre commission a notamment clarifié la notion de puissance installée, prévu la prise en compte des frais des contrôles à la charge des producteurs dans les conditions d’achat et du complément de rémunération, réaffirmé le caractère transitoire de ce complément ou encore sécurisé la période transitoire avant l’entrée en vigueur effective du dispositif.
En matière d’investissement des collectivités dans les sociétés de production d’énergie renouvelable, nous avons étendu, à l’article 26, cette possibilité aux départements et aux régions et visé aussi les sociétés par actions simplifiées, et élargi, à l’article 27, le financement participatif des sociétés de projet au financement en dette.
Notre commission a, par ailleurs, supprimé l’article 27 ter, introduit à l’Assemblée nationale, qui prévoyait le doublement du plafond de rémunération du capital prêté aux coopératives de production d’énergie renouvelable, au motif que cette disposition est contraire au principe coopératif de lucrativité limitée.
Aux articles 27 quater et 27 quinquies, nous avons supprimé l’exclusion des activités de production photovoltaïque non subventionnées du bénéfice des réductions d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune au titre des investissements au capital des PME et étendu le principe de non-cumul entre avantage fiscal et aide publique aux activités bénéficiant d’un complément de rémunération.
À l’article 29, notre commission a complété la composition du comité de suivi de l’exécution de la concession et de la gestion des usages de l’eau et étendu les cas où sa création est de droit.
Les articles 28 et 29 apportent aussi deux nouveautés bienvenues sur l’économie générale desquelles notre commission n’a pas souhaité revenir : la possibilité de regrouper les concessions hydroélectriques par vallée, qui permettra d’optimiser l’exploitation des installations, et celle de créer des sociétés d’économie mixte hydroélectriques, grâce auxquelles les collectivités qui le souhaitent pourront être mieux associées à la gestion de la ressource.
Mes chers collègues, le titre VI vise à renforcer la sûreté nucléaire et l’information des citoyens. À l’article 32, qui encadre la cessation d’activité et le démantèlement d’une « installation nucléaire de base », notre commission a différencié le calendrier selon la complexité du site et amélioré l’information des acquéreurs de terrains ayant accueilli une telle installation.
Concernant le titre VII, notre commission était saisie au fond du chapitre II consacré à la régulation des réseaux et des marchés, qui comporte des mesures essentiellement techniques, mais importantes, telles que l’assouplissement des règles du marché de capacité ou la consécration de la méthode dite « économique » de calcul des tarifs réglementés de vente et du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, ou TURPE.
En la matière, notre commission a notamment encadré l’indemnité qui peut être due en cas de changement de fournisseur, soutenu le développement des solutions de stockage et notamment des stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP, en revenant sur leur double imposition au TURPE, ou encore renforcé les compétences du nouveau comité du système de distribution publique d’électricité introduit par l’Assemblée nationale.
Concernant l’article 43 qui prévoit la possibilité de moduler le TURPE en faveur des industriels électro-intensifs au profil de consommation stable ou anticyclique – une mesure essentielle pour maintenir la compétitivité de ces entreprises –, nous avons cherché à donner à la Commission de régulation de l’énergie une base juridique solide pour porter le niveau de réduction à la hauteur de celui qui est mis en œuvre en Allemagne.
Afin de renforcer encore la compétitivité de ces entreprises, nous avons par ailleurs demandé au Gouvernement, à l’article 44 ter, de réfléchir à la compensation des coûts indirects du CO2 en faveur des secteurs exposés à un risque significatif de fuite de carbone.
Aux articles 44 et 44 bis, qui permettent de moduler le TURPE pour favoriser la baisse des consommations à la pointe, notre commission a encore adapté le dispositif pour prendre en compte les spécificités du système gazier.
Enfin, le titre VIII met en place de nouveaux outils de gouvernance et de pilotage de la politique énergétique – stratégie bas carbone et programmation pluriannuelle de l’énergie –, qui sont pertinents au regard de la nécessité de disposer d’une vision à moyen et long termes dans un secteur fortement capitalistique où les décisions d’investissement engagent parfois pour des décennies.
S’agissant de la stratégie bas carbone, nous avons en particulier cherché à en renforcer certains aspects, tout en prévoyant la prise en compte de la spécificité du secteur agricole, au travers notamment de l’exclusion du méthane entérique.
En matière de contribution au service public de l’électricité, ou CSPE, nous sommes nombreux à avoir exprimé notre préoccupation à l’égard de l’évolution des charges qu’elle couvre – plus de 6 milliards d’euros aujourd’hui, sans compter la dette des années précédentes – et du poids qu’elle fait peser sur les consommateurs d’électricité.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. L’article 50 se contentant, dans sa rédaction initiale, de créer un comité de gestion, notre commission a adopté, sur la proposition de la commission des finances, une véritable réforme, qui permettra au Parlement de contrôler son évolution tout en sécurisant cette contribution.
Le titre VIII comporte encore plusieurs dispositions relatives à la lutte contre la précarité énergétique, notamment le remplacement des tarifs sociaux de l’énergie par le chèque énergie.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. En la matière, notre commission a conforté les orientations du texte en décidant l’interdiction des frais liés au rejet de paiement pour les bénéficiaires du chèque énergie.
Enfin, notre commission a approuvé les articles spécifiques aux territoires ultramarins.
Au total, ce résumé de nos travaux confirme, je le crois, l’état d’esprit avec lequel nous avons abordé ce projet de loi : nous avons cherché à en préserver, voire à en conforter, les qualités, tout en faisant valoir, sur certains points, nos convictions en faveur d’un mix énergétique équilibré, qui n’oppose pas les énergies les unes aux autres. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Excellente intervention !
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, rapporteur pour avis.
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le contexte dans lequel s’inscrit l’examen de ce projet de loi est alarmant.
M. Charles Revet. C'est vrai !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Le dernier rapport du GIEC, publié en octobre dernier, a montré que les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté cinq fois plus entre 2000 et 2010 qu’au cours des trente dernières années.
Elles sont la cause essentielle du problème numéro 1 de la planète et de ses habitants : le changement climatique. De façon encore plus préoccupante, cette urgence est loin d’être nouvelle. Au Sommet de Rio, en juin 2012, Jacques Chirac sonnait déjà le tocsin : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. »
M. Bruno Sido. Rien n’a changé depuis lors !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Aujourd’hui, en 2015, treize ans après, Ban Ki-moon nous le rappelle : « Il n’y a pas de plan B, parce qu’il n’y a pas de planète B. » Il y a urgence, nous n’avons plus le choix !
En tant que responsables, nous nous devons d’agir, pour nous, déjà, mais aussi pour les générations futures. Dans ce contexte, le projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, vise plusieurs objectifs.
Tout d’abord, il cherche une nouvelle approche pour notre modèle de croissance économique et de développement, parce que le changement climatique s’aggrave jour après jour.
Ensuite, il vise à favoriser une économie circulaire, parce que nos ressources s’épuisent. Par conséquent, nous devons nous adapter, changer nos comportements et aller vers une économie sobre.
Par ailleurs, il tend à engager une « révolution vers une mobilité propre », parce que les énergies fossiles sont la première menace pour la biosphère, mais aussi parce qu’elles mettent en danger la santé humaine et, in fine, alourdissent notre facture énergétique.
Il tend également à déterminer, au-delà du nucléaire, qui reste, à ce jour, le socle incontournable de notre puissance énergétique, un chemin innovant pour la compétitivité du futur de nos entreprises, afin que notre pays ne soit pas distancé par d’autres et que nous puissions être les leaders aussi sur les marchés de demain, ceux des énergies renouvelables et de la croissance verte.
Enfin, il nous incite à poursuivre sur la voie d’une très large concertation, car l’écologie et le développement durable sont aujourd’hui l’affaire de tous les citoyens.
Toutes ces orientations s’inscrivent dans une démarche à long terme déjà engagée par la France lors du Grenelle de l’environnement, un texte pour lequel j’avais déjà eu l’honneur d’être nommé rapporteur.
Madame la ministre, je suis heureux que ce projet de loi me rappelle cet épisode antérieur. C’est la preuve que notre pays, quelles que soient les majorités successives, a conscience du gigantesque défi auquel nous devons faire face.
Mes chers collègues, je souhaite que nous retrouvions tous l’enthousiasme que nous avions partagé à l’époque. Il y va de l’avenir de nos enfants ! Quelle terre allons-nous leur laisser ? C’est une vraie question.
Connaissant l’urgence du problème, notre responsabilité est d’aller le plus loin possible, tant qu’il est encore temps, de manière non pas dogmatique ou idéologique, mais réaliste et pragmatique, avec toujours, en ligne de mire, des résultats concrets plutôt que des discours à la Diafoirus…
Le projet de loi, que je pourrais qualifier de « Grenelle III », s’inscrit dans une démarche nationale positive. Cependant, trois points m’interpellent.
Le premier écueil est l’impression de complexité toute particulière que dégage le texte, en raison, notamment, du nombre d’objectifs et d’échéances fixés. J’ai compté que ce texte énonçait plus de dix objectifs ; en termes de lisibilité, c’est beaucoup !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Quant aux échéances, elles sont multiples : 2015, 2016, 2017, 2018, 2020, 2030, 2050 ! Dans cette avalanche de dates butoirs, trop nombreuses, trop diverses, il n’est pas facile, madame la ministre, de distinguer le principal de l’accessoire.
La complexité tient aussi à la lourdeur des procédures. Le curseur législatif du texte, qui a été considérablement avancé à l’Assemblée nationale, doit être placé au bon endroit. Il faut, certes, impulser une dynamique, mais sans décourager les acteurs. Or nous avons constaté, dans le projet de loi qui nous a été transmis, que le diable se nichait parfois dans les détails… (Exclamations.)
M. Bruno Sido. Comme toujours !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Un dispositif séduisant sur le papier peut être impossible à appliquer concrètement si l’on ne s’en donne pas les moyens, à l’image, par exemple, de l’article sur la durée de vie des produits. Bref, le mieux peut être l’ennemi du bien.
En conséquence, l’une de mes principales priorités, en tant que rapporteur pour avis, a été de chercher à faciliter l’action des acteurs, afin que ceux-ci puissent contribuer efficacement au développement économique et à la compétitivité de notre pays, mais dans le cadre d’une croissance verte.
Enfin, j’ai voulu rendre le cadre normatif de la transition énergétique prévue par le projet de loi aussi simple et lisible que possible. Simplifier, élaguer, alléger, mettre en cohérence : telle a été notre action continue. C’est d'ailleurs l’une des plus-values essentielles du travail du Sénat, et ce n’est pas le moindre avantage du bicamérisme que d’améliorer les textes qui deviendront, demain, la loi. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
J’ai veillé à ce que chaque article du texte soit pragmatique et opérationnel pour tous ceux qui veulent s’engager en faveur de cette transition, que ce soit au bénéfice de déplacements propres, plus économes et moins polluants, dans l’utilisation de sources d’énergie renouvelables, dans la lutte contre le gaspillage ou encore dans le développement de circuits économiques territoriaux plus pertinents.
J’ai également été attentif à ce que le cadre normatif que nous mettons en place soit en phase avec nos engagements européens et internationaux. Je rappelle que la France n’est pas isolée ! Elle évolue dans un monde ouvert, dans un cadre normatif européen, auquel nous contribuons directement, et dans le cadre d’une compétition économique mondiale.
Par exemple, les objectifs de l’article 1er sont importants pour qu’un cap soit fixé, pour que les acteurs économiques et filières industrielles puissent anticiper et s’adapter. Et ce cap doit, bien sûr, être à la hauteur des ambitions de notre pays, qui, je le rappelle, accueillera la COP 21 en fin d’année.
Au-delà même de l’enjeu du nucléaire, sur lequel certains ont voulu focaliser le texte, alors qu’il n’est pas au centre du débat, puisqu’il s’agit, en priorité, de la lutte contre le changement climatique, c’est la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles, qui constituent encore 80 % de notre mix énergétique, qui doit être notre priorité absolue.
Dans ce cadre, nous devons veiller, avec pragmatisme, à ce que les objectifs définis n’aient pas d’impact négatif sur notre compétitivité. Le dynamisme de la France et l’emploi sont aussi des facteurs à intégrer dans cette démarche.
Madame la ministre, l’objectif de baisser à terme 50 % la part du nucléaire dans un mix plus équilibré à terme est envisageable, mais il ne doit pas se traduire par une fragilisation de notre économie ou, pis, par des effets contreproductifs, à l’exemple de ceux de la politique allemande actuelle. Tout en veillant à améliorer cette filière industrielle d’excellence, nous devons aussi placer la France en leader sur le marché, d'ailleurs en forte croissance, des énergies renouvelables.
Le deuxième écueil réside, à mon sens, dans le manque de crédibilité, voire de robustesse, du financement prévu pour mettre en œuvre la transition énergétique. Nombre d’articles de ce texte sont déclaratoires. Ils ne vaudront que si les moyens suivent !
Vous avez annoncé des mesures d’accompagnement, notamment la création du Fonds national de la transition énergétique et de la croissance verte, doté de 1,5 milliard d’euros sur trois ans. Toutefois, chat échaudé craint l’eau froide ! Nous ne sommes pas rassurés quant à la pérennité de ce financement, au vu de la santé de l’économie globale et de nos difficultés à tenir certains de nos engagements – je pense, par exemple, à la loi de programmation militaire.
Beaucoup de questions restent en suspens, en particulier concernant la fiscalité écologique, qui n’est qu’effleurée dans ce projet de loi. À enveloppe égale, bien sûr, nous devons développer une politique volontariste de fixation d’un prix du carbone, qui permette de réorienter notre économie vers la transition énergétique souhaitée. C’est, à mon sens, l’une des conditions majeures de la réussite de celle-ci. Dès lors, son absence m’interpelle.
Troisième et dernier écueil : la mise en œuvre du projet de loi. Au-delà du texte, il faut passer aux actes. Nous n’avons plus le temps. Nous avons peut-être même déjà trop tardé…
Madame la ministre, je crois que vous vous êtes rendu compte de la volonté qui était la nôtre de défendre une position d’opposition constructive et de dépasser les clivages partisans et les polémiques stériles, au bénéfice, en priorité, de notre pays et de l’intérêt général, comme Ladislas Poniatowski l’a si bien rappelé tout à l'heure.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Cependant, c’est à vous qu’il revient de transformer l’essai, de nous apporter tous les éclairages et toutes les précisions nécessaires sur les mesures qui seront prises pour l’application du projet de loi, qui prévoit une multitude de textes réglementaires.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le calendrier d’application que vous prévoyez et, surtout, sur le contenu des décrets qui seront pris ? Bien souvent, en effet, ceux-ci conditionnent le sens et l’efficacité de telle ou telle mesure…
À ce sujet, je suis contraint de vous dire que, malgré une grande disponibilité de vos services, pratiquement aucun projet de texte réglementaire ne nous a été transmis. C’est regrettable, d’autant que certains décrets, comme celui sur la prime pour le remplacement des véhicules polluants, auraient pu être prêts depuis un moment déjà.
Pour faire suite à ces remarques, madame la ministre, je vous propose, de manière solennelle et peut-être innovante, de prendre la décision d’associer étroitement les rapporteurs au suivi de l’écriture des décrets, car, constitutionnellement, il appartient au Parlement de veiller à la bonne application de la loi.
J’en viens maintenant au contenu du texte. La commission du développement durable a eu la charge d’examiner 83 articles au fond – notamment l’intégralité des titres III et IV, relatifs à la mobilité propre et à l’économie circulaire –, articles dont l’examen lui a été délégué par la commission des affaires économiques.
J’ai souhaité, tout au long de mes travaux préparatoires en tant que rapporteur, me faire une idée sur chacun des articles de la façon la plus objective qui soit. J’ai voulu entendre le plus grand nombre d’acteurs possible. Je les ai écoutés attentivement. J’ai conduit plus de 55 heures d’auditions et rencontré plus de 180 personnes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. C’est du travail sérieux !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Je dois le reconnaître, madame la ministre : quasiment toutes ces personnes m’ont fait part de leur satisfaction globale sur l’orientation du texte. Cela fera plaisir aux sénateurs de votre sensibilité politique…
M. Jean-Louis Carrère. Vous nous en voyez ravis ! (Sourires.)
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. De fait, ce texte est attendu, par les acteurs économiques, par les filières industrielles, par les collectivités, par les élus, mais aussi, et surtout, par les Français.
Mes chers collègues, selon un récent sondage, les trois quarts des Français se sentent personnellement concernés par la transition énergétique, climat très favorable à la mise en application de cette préoccupation sur le terrain. La croissance verte est entrée dans la vie de nos concitoyens. Cette large prise de conscience est une bonne nouvelle pour l’avenir.
Au sein de la commission, nous avons travaillé dans un esprit constructif, soucieux, pour chaque sujet, de bâtir une solution et de ne jamais supprimer un dispositif bancal sans, d’abord, chercher à l’améliorer. Les débats furent longs, mais riches.
Je ne reviendrai pas sur tous les apports de notre commission, sur toutes les modifications que nous avons adoptées, mais je voudrais m’arrêter sur cinq exemples qui me semblent particulièrement révélateurs de l’esprit dans lequel nous avons travaillé : à chaque fois, nous avons tenté de dégager la solution la plus pertinente et la plus lisible possible.
Le premier de ces sujets est la question des véhicules propres et de leur définition. Qu’est-ce qu’un véhicule propre ? Où placer le curseur ? Une définition exacte reposerait sur un bilan dressé sur la totalité du cycle de vie du véhicule, sur la base d’une approche multicritères, considérant l’empreinte écologique du produit, de la fabrication au recyclage.
M. Bruno Sido. Batterie comprise !
M. Louis Nègre, au nom de la commission du développement durable. Après en avoir débattu en commission, nous avons inscrit cette approche dans le texte. En effet, je suis sûr que, demain, la question se posera en ces termes.
Cependant, nous devons être pragmatiques : nous ne savons pas, aujourd’hui, maîtriser une définition aussi large. À cet égard, la définition que nous avons choisi de retenir ne privilégie aucune technologie, aucune motorisation, ni aucune source d’énergie, mais se concentre sur un seul critère discriminant : les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques.
Nous avons longuement discuté, en commission, de la pertinence de mentionner explicitement tous les types de véhicules pouvant entrer dans la catégorie ainsi définie. Nous sommes finalement convenus qu’il n’était pas satisfaisant de dresser un inventaire à la Prévert dans la loi. Ce serait risquer de devoir être exhaustif, ce qui est forcément inadapté en la matière. Ce serait aussi risquer de brider l’innovation technologique.
Dans ces conditions, nous nous en sommes remis à l’option que nous vous proposons. En effet, ce qui importe, c’est le résultat, la fin, et non les moyens ! Avec notre définition, tous les systèmes sont placés sur un pied d’égalité.
Néanmoins, madame la ministre, certaines questions demeurent. Où placerez-vous le curseur ? Un diesel Euro 6, par exemple, sera-t-il considéré comme un véhicule propre ?
Le deuxième sujet pour lequel nous avons souhaité construire un dispositif efficace et pragmatique est celui des plans de mobilité, prévus par les articles 13 ter et 18. Là encore, notre objectif a été de trouver le juste équilibre, entre l’incitation et la contrainte, pour les entreprises, de manière à réduire les émissions dues à leurs activités de transport. Ainsi, nous avons souhaité en rester à une logique incitative, logique d’ailleurs renforcée par la possibilité d’élaborer des plans « interentreprises ».
Cependant, nous avons souhaité prévoir que la contrainte puisse être justifiée lorsque l’enjeu de la qualité de l’air, donc de la santé de nos concitoyens, est en cause. Dans ce cas, le préfet, qui est au contact des réalités du terrain, pourra, si nécessaire, rendre ces plans obligatoires, pour les entreprises de plus de 250 salariés. Nous avons donc prévu la fermeté dans la souplesse.
Mon troisième exemple a fait couler beaucoup d’encre : c’est celui de l’interdiction de la vaisselle jetable et des sacs en plastique. La problématique environnementale est réelle. Ces produits créent une pollution diffuse et persistante, contre laquelle il est urgent de réagir. L’homme a quand même réussi le triste exploit de créer un sixième continent de plastique à la dérive sur les océans !
À cet égard, je souscris aux objectifs du texte sur ces sujets. Pour autant, de même que pour le reste du projet de loi, mon souci a d'abord été de m’assurer que les mesures prises soient réalistes et, avant tout, applicables.
Cette préoccupation explique le compromis adopté en commission sur la vaisselle jetable : plutôt qu’une interdiction, qui n’a pas de sens quand il n’y a pas de produit de substitution disponible, nous avons préféré proposer une obligation de tri à la source pour les détenteurs de ces déchets, à compter de 2018, afin de coïncider avec la mise en place du tri de tous les plastiques.
Pour ce qui concerne les sacs en plastique, nous avons voulu sécuriser la mise en œuvre de leur interdiction en prévoyant un délai, fixé à 2018, pour les sacs autres que les sacs de caisse, c’est-à-dire les sacs légers utilisés pour l’emballage des marchandises. Il est important qu’une filière de solutions de rechange françaises ait le temps de se constituer sur le territoire, pour que la mesure ne se traduise pas par une hausse des importations de produits de substitution.
Le quatrième exemple de cette approche pragmatique et constructive porte sur l’obsolescence programmée et l’affichage de la durée de vie des produits, véritables sujets de préoccupation pour nos concitoyens.
Le texte, tel qu’il nous est parvenu de l’Assemblée nationale, faisait peser un risque juridique très grand sur nos entreprises. De plus, il manquait sa cible véritable. Nous avons donc essayé, en consultant le plus largement possible, d’aboutir à une position une fois encore équilibrée.
Nous avons proposé un consensus sur la base de la définition proposée en 2012 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, l’acteur public de référence dans ce domaine : l’obsolescence programmée se définira désormais par tout « stratagème » visant à réduire « sciemment » la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement.
De la même manière, sur la question très importante de l’affichage de la durée de vie des produits, nous avons souhaité privilégier, au vu de la situation existante, une approche libre et volontaire, avant de définir progressivement les indispensables normes pour mesurer objectivement la durée de vie.
J’en viens au cinquième et dernier exemple de l’esprit constructif dans lequel la commission du développement durable a mené ses travaux : la question de la hiérarchie dans l’utilisation des ressources.
Si l’on veut réduire progressivement la consommation de matières non renouvelables, il faut envoyer un signal fort. De même qu’il existe une hiérarchie des traitements des déchets, du plus au moins vertueux, il faut mettre en place une hiérarchie en amont dans le prélèvement des ressources. Concrètement, lorsqu’un prélèvement devra être effectué sur les ressources de la planète, il nous faudra d’abord privilégier les ressources recyclées ou issues de sources renouvelables, puis les ressources recyclables, et enfin, seulement, tous les autres types de ressources.
Il s’agit là, me semble-t-il, d’un objectif important, fixé aux acteurs économiques, pour l’avenir de notre planète, en même temps que d’une avancée conceptuelle que nous nous devons d’anticiper dans la loi.
Telle est la contribution que la commission du développement durable a souhaité apporter à ce processus de transition énergétique, qui est aussi un processus de transition écologique.
Innover, renforcer la place des énergies renouvelables, tout en étant réaliste quant aux moyens d’y parvenir : voilà ce que fut mon fil rouge tout au long de nos travaux. Et dans ce cadre, je le précise, j’ai pu m’appuyer sur une commission tout à fait allante, à l’image de son président !
Un tel équilibre n’est pas facile à faire émerger, mais nous pouvons y parvenir. En tout cas, nous en avons la responsabilité. Certes, c’est une grande responsabilité, mais elle est enthousiasmante. Madame la ministre, le Sénat s’est engagé et il sera au rendez-vous de l’avenir de la planète Terre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de Mme François Férat, rapporteur pour avis. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, notre commission de la culture s’est saisie du titre II de ce projet de loi, qui propose de « mieux rénover les bâtiments pour économiser l’énergie, faire baisser les factures et créer des emplois ». Notre rapporteur désignée, Françoise Férat, n’ayant pu, à la dernière minute, participer à cette discussion générale, j’interviendrai en son nom.
Nous avons examiné ce titre II sous l’angle de notre compétence « patrimoine », en nous posant un certain nombre de questions. Les règles proposées pour la rénovation énergétique sont-elles compatibles avec la conservation et la valorisation de notre patrimoine, auquel, vous en conviendrez, mes chers collègues, nous sommes très attachés ? En particulier, imposent-elles des charges qui pèseraient trop lourdement sur les propriétaires de ce patrimoine ou risqueraient de le dégrader ?
Nous sommes bien sûr favorables à l’objectif général de bâtiments plus sobres. C’est une impérieuse obligation, pour faire diminuer de moitié notre consommation énergétique à l’échéance de 2050. Un tournant s’impose, sans quoi nous n’aurons pas fait assez contre le réchauffement climatique, et c’est bien là que se situe l’enjeu !
Toutefois, comment s’assurer que la rénovation énergétique soit efficace et, dans le même temps, prenne en compte le bâti ancien, qui présente un intérêt patrimonial et paysager à des degrés divers ? Sous cet angle, et tout comme le ministère de la culture, madame la ministre, nous nous sommes particulièrement inquiétés des articles 3 et 5 du projet de loi.
Dans leur rédaction initiale, en effet, ces articles autorisaient les propriétaires à passer outre certaines règles locales d’urbanisme protectrices du patrimoine dès qu’ils avaient un projet d’isolation par l’extérieur, tout en leur faisant obligation de rénover par cette technique, c’est-à-dire en « enveloppant » la façade et le toit – sauf dans des zones protégées qui nous sont apparues bien étroitement circonscrites.
Le Gouvernement nous a assurés que son objectif n’était pas, bien sûr, d’« envelopper » les vieux bâtiments, par exemple les maisons à colombage, et il a volontiers reconnu que l’isolation par l’extérieur n’était pas adaptée aux bâtiments anciens, dont les murs doivent « respirer ».
Nous ne pouvions pas nous contenter de ce propos rassurant. D’une part, les erreurs en matière de patrimoine sont toujours très difficiles à rattraper. D’autre part, une certaine confusion règne en matière de rénovation énergétique : il suffirait que la loi évoque une obligation, même limitée, pour que, dans l’esprit de nos concitoyens, l’isolation par l’extérieur puisse devenir obligatoire pour tous les bâtiments, ce dont personne ne veut.
C’est pourquoi la commission de la culture a adopté plusieurs amendements tendant à écarter les zones d’intérêt patrimonial, mais aussi le bâti ancien dans son ensemble de toute obligation d’isolation par l’extérieur et de toute dérogation aux règles locales d’urbanisme.
La commission des affaires économiques a ensuite modifié la rédaction des articles 3 et 5, en leur donnant un sens nouveau.
Tout d’abord, le maire a été placé au centre de la procédure. La dérogation n’est plus automatique quand existe un projet d’isolation par l’extérieur, comme le prévoyait la rédaction initiale du projet de loi. Elle est délivrée par le maire, qui doit alors motiver sa décision.
En outre, à l’article 5, la nouvelle rédaction adoptée par la commission des affaires économiques retire tout caractère obligatoire à l’isolation par l’extérieur. Ce qui sera obligatoire, ce sera d’engager des travaux d’isolation chaque fois que l’on effectue des travaux importants, pour essayer d’atteindre des objectifs compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien. Toutefois, nuance de taille, il n’existe plus aucune obligation d’isoler par l’extérieur !
La décision de savoir si tel projet d’isolation par l’extérieur justifie de lever certaines règles reviendra donc à l’autorité ayant établi le plan local de l’urbanisme, c’est-à-dire à celle qui a déjà fait les choix architecturaux et urbains.
Par ailleurs, la loi ne mentionne plus aucune obligation d’isoler par l’extérieur. À cette double condition, notre crainte de voir le patrimoine être « enveloppé » plus que de raison n’a plus lieu d’être. Ce sont bien les élus portant le projet local qui sont en mesure d’apprécier le bien-fondé d’une dérogation et d’en répondre devant la population.
Faut-il écarter les « zones patrimoniales » et le bâti ancien de cette nouvelle rédaction ? Nous en débattrons lors de l’examen de l’article 3. Un supplément de précaution n’est peut-être pas inutile, mais il ne faudrait pas que le Sénat apparaisse comme se défiant des élus locaux. Je crois aussi qu’il ne faut pas perdre de vue l’objectif écologique du texte : nous devons améliorer l’efficacité énergétique du bâti ancien, y compris dans ces « zones patrimoniales ».
Un dernier mot sur l’implantation des éoliennes, qui ne tient pas assez compte de questions de patrimoine et de paysages. Des éoliennes ont été installées dans des paysages d’intérêt historique, en covisibilité de monuments remarquables, et cela en complète conformité avec la réglementation, cette dernière étant bien trop vague en la matière. Un amendement de la commission de la culture, avant l’article 38 bis, vous proposera d’y remédier et d’en débattre.
Madame la ministre, mes chers collègues, au bénéfice de ces remarques et de ses amendements, la commission de la culture a émis un avis favorable à l’adoption des articles dont elle s’est saisie. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis. (M. Bruno Sido applaudit.)
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’évolution du modèle énergétique français vers davantage de sobriété et moins d’émissions de dioxyde de carbone est un impératif écologique. Néanmoins, il s’agit aussi d’un enjeu majeur sur les plans social, économique et, pour tout dire, financier.
La nécessité de changer nos modes de production et de consommation d’énergie dépasse largement le cadre de la France. C’est une préoccupation mondiale. L’année 2015 sera à cet égard déterminante, avec la vingt et unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dont l’enjeu, faut-il le rappeler, est de parvenir à un accord international sur le climat permettant de contenir le réchauffement global en deçà de 2°C.
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte s’inscrit dans cette perspective. Il affiche de grandes ambitions et entend marquer une inflexion dans la politique énergétique de notre pays. Toutefois, force est de constater qu’il présente plusieurs lacunes, sur lesquelles j’aimerais m’attarder quelques instants.
Tout d’abord, ce texte comporte une kyrielle d’objectifs à échéance variable et sans lien évident entre eux.
Si l’on examine l’article 1er du projet de loi initial, on se rend compte que celui-ci contient plusieurs propositions successives : il envisage une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à 1990 d’ici à 2030 et une division par quatre de ces émissions d’ici à 2050 ; il fixe ensuite l’objectif de réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050, par rapport, cette fois, à 2012, en visant un objectif intermédiaire de 20 % en 2030, tout en prévoyant une cible spécifique pour la réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles.
M. François Marc. Tout cela est très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il propose également de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % en 2030 ; enfin, il vise une réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon de 2025, échéance d’ailleurs supprimée, à juste titre, par la commission des affaires économiques.
Vous le voyez, mes chers collègues, les objectifs sont nombreux, concernent des dates multiples et n’ont aucun lien évident !
Une telle construction ne facilite pas la lecture et l’appréhension d’ensemble de ces objectifs, dont les implications concrètes, notamment en termes financiers, ne sont d’ailleurs pas précisées dans l’étude d’impact.
Je déplore particulièrement l’absence de chiffrage du coût induit par la réduction prévue de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Il s’agit pourtant d’une évolution majeure, qui implique effectivement des fermetures de centrales nucléaires et dont le coût – en particulier la part relative à l’indemnisation à verser à EDF – aurait dû faire l’objet d’une évaluation dans le projet de loi initial. Sans cette information essentielle, comment le travail parlementaire pourrait-il s’effectuer de manière éclairée ?
La commission des finances a donc adopté un amendement pour y voir plus clair sur ce point. Je l’ai à nouveau déposé à titre personnel, en tenant compte des modifications apportées au texte par la commission des affaires économiques.
Cet amendement vise à insérer, après l’article 1er du projet de loi, un article additionnel engageant le Gouvernement à remettre au Parlement, avant la fin de l’année, un rapport détaillant les conséquences, en termes de charges publiques, de l’objectif de réduction de la part du nucléaire précédemment évoqué.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est indispensable !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il s’agit d’avoir une vision claire du nombre de réacteurs, voire de centrales qu’il conviendrait de fermer et du montant de l’indemnisation qui en découlerait.
Par ailleurs, la compatibilité entre ces objectifs est pour le moins incertaine. Il me paraît notamment illusoire de vouloir concilier une réduction aussi importante de la production d’électricité d’origine nucléaire d’ici à dix ans avec les objectifs, tout aussi ambitieux, de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
On notera que la nouvelle stratégie de transition écologique vers un développement durable pour la période allant de 2015 à 2020, adoptée le 4 février dernier en conseil des ministres, ne donne pas non plus de vision claire sur la façon dont s’articuleront ces différents objectifs.
Le deuxième problème que pose le projet de loi, c’est qu’il tend à créer de nombreux outils ou structures dont les contours restent flous. Ce constat a d’ailleurs été très largement partagé au sein de la commission des finances lors de l’examen de mon rapport pour avis. Or, vous le savez, mes chers collègues, quand c’est flou…
M. Jean-Louis Carrère. C’est qu’il y a un loup ! (Sourires.)
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est par exemple le cas du fonds de garantie pour la rénovation énergétique dont l’article 5 quater précise qu’il « peut être abondé par toutes ressources dont il peut disposer en application des lois et règlements » et que ses modalités d’intervention sont fixées « par décret en Conseil d’État ». Or on ne connaît ni les ressources qui alimenteront ce fonds, ni son champ concret d’intervention, ni ses modalités de fonctionnement, sans parler de son articulation avec les autres dispositifs déjà mis en œuvre en matière de financement de la rénovation énergétique.
C’est le cas également du chèque énergie, créé à l’article 60. L’étude d’impact se borne à indiquer que le « calage final du dispositif sera arrêté ultérieurement, en particulier en termes de nombre de bénéficiaires cibles, de montant du chèque énergie, et d’identification et répartition des ressources contribuant à alimenter le dispositif ».
Le chèque énergie sera certainement plus équitable que les actuels tarifs de solidarité de l’électricité et du gaz, dans la mesure où il bénéficiera à tous les ménages, quelle que soit leur source d’énergie.
Toutefois, cette extension entraînera une charge supplémentaire pour les finances publiques, laquelle pourrait être comprise entre 200 et 600 millions d’euros selon le montant du chèque et le seuil d’éligibilité retenus. Une telle imprécision dans l’évaluation préalable de dispositifs pourtant coûteux met le Parlement dans l’incapacité d’apprécier objectivement les conséquences des mesures qu’il lui est demandé de voter.
La marge de manœuvre du pouvoir réglementaire est tellement importante que l’on peut affirmer, sans exagérer, que le Parlement est écarté d’arbitrages parfois lourds et qui n’ont visiblement pas encore été rendus. Il s’agit d’un décalage flagrant – et qui pose question – entre les faits et les récents propos du Président de la République, qui déclarait, lors de ses vœux aux corps constitués et aux bureaux des Assemblées, le 20 janvier dernier : « Mieux légiférer, c’est mieux travailler avec le Parlement […]. Il faut faire en sorte que les études d’impact puissent évaluer la réforme au moment du débat – et non à la suite – et il faut associer les parlementaires à la mise en œuvre des textes qu’ils auront […] à voter ».
On ne peut que constater l’écart entre ces principes et les conditions dans lesquelles, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur un certain nombre de dispositifs.
Enfin, et cela rejoint ma précédente observation, on ne trouve quasiment nulle part dans ce projet de loi ni dans l’étude d’impact d’éléments précisant les modalités de financement des mesures proposées.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout à fait !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Or la transition énergétique aura un coût, et l’absence de financements de ces mesures ne peut que mettre en cause la crédibilité des engagements annoncés.
J’en viens maintenant au travail réalisé par la commission des finances, qui s’est saisie pour avis de douze articles portant sur des dispositions fiscales ou ayant un impact sur les finances publiques. Elle a adopté douze amendements, dont la moitié ont été repris ou confirmés dans le texte établi par la commission des affaires économiques.
Sans entrer dans le détail de ces amendements, j’aimerais souligner quelques points qui me semblent importants.
Premièrement, à l’instar de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable, la commission des finances a décidé de supprimer certaines dispositions qui semblaient inopportunes ou floues.
Il s’agit notamment de l’article 5 bis C qui vise à donner aux départements la possibilité de moduler leurs droits de mutation à titre onéreux pour les immeubles satisfaisant à des critères de performance énergétique. On peut en effet douter de l’efficacité de cette mesure, laquelle s’ajouterait à une multitude de dispositifs fiscaux et financiers incitatifs et dont la mise en œuvre serait complexe.
Il s’agit également des articles 22 septies A et 22 septies, qui prévoient de modifier la répartition de la fraction « péréquation » de la dotation de solidarité rurale – la DSR – afin de récompenser les communes réduisant le volume de leur éclairage public, et donc leur consommation d’électricité. Là encore, l’objectif est louable, mais sa traduction législative aboutit à un dispositif non opérationnel et pénalisant, en particulier pour les communes ayant déjà fait des efforts de réduction.
Un sénateur du groupe UMP. Eh oui !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Deuxièmement, plusieurs propositions ont été formulées afin de mieux encadrer certaines des dispositions de ce projet de loi et de renforcer le contrôle du Parlement, notamment sur le vote des impositions de toutes natures.
Je me félicite tout particulièrement de l’adoption, par la commission des affaires économiques, avec le soutien de son rapporteur Ladislas Poniatowski, de l’amendement visant à la refonte de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE. Il s’agit de l’article 50 du texte qui nous est soumis.
Le montant de cette contribution s’élève actuellement à plus de 6 milliards d’euros, soit davantage que le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune. Aujourd’hui, la CSPE représente environ 15 % de la facture annuelle d’électricité des consommateurs, laquelle facture va encore s’alourdir puisque, selon la Cour des comptes, le montant de la CSPE devrait plus que doubler d’ici à 2020.
M. Bruno Sido. C’est insupportable !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Or, actuellement, la détermination du taux de cette imposition échappe complètement au Parlement : il est fixé par arrêté ministériel sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie. Cela n’est pas acceptable…
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. … au regard des sommes en jeu.
M. Bruno Sido. Des taxes en jeu !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Par ailleurs, sur le plan juridique, on peut se demander si le régime actuel de la CSPE ne soulève pas un problème de compatibilité avec le droit communautaire.
En effet, la directive du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise autorise les États membres à instaurer une imposition indirecte pesant sur la consommation d’électricité et n’ayant pas le caractère d’une accise uniquement lorsque celle-ci poursuit des « fins spécifiques ». Ce n’est pas – ou ce n’est plus – le cas de la CSPE, qui finance, outre les surcoûts liés aux dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, bien d’autres dépenses (M. Gérard Longuet s’exclame.) tels les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz ou le budget du médiateur de l’énergie.
L’amendement que j’ai proposé entend remédier à ces deux problèmes. D’une part, il conduit à resserrer le champ des charges que finance la contribution sur le seul surcoût dû à la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables afin de renforcer la solidité juridique du dispositif. Les autres charges ne seraient donc plus financées par la CSPE, mais par le budget de l’État. D’autre part, cet amendement vise à ce que le niveau de CSPE ainsi que le plafond du montant des charges compensées soient fixés par la loi. Pour ce faire, il instaure, par filières de production d’énergie renouvelable, un plafond annuel d’achats d’électricité pour lesquels le surcoût serait compensé par la CSPE.
Cet amendement ne vise bien évidemment pas à bloquer le développement des énergies renouvelables en France. Les niveaux proposés pour le taux de CSPE et les plafonds d’achats en 2016 correspondent au développement anticipé des filières sur la base des connaissances actuelles.
En revanche, il vise à faire en sorte que les choix opérés par le Parlement en matière d’énergies renouvelables puissent s’effectuer, à l’avenir, de façon transparente. Chaque année, en loi de finances, il reviendrait ainsi au Parlement de se prononcer sur le taux de CSPE et de contrôler le montant des charges qu’elle compense. Cela va dans le sens d’un approfondissement du contrôle démocratique de l’impôt, conformément à l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Par ailleurs, j’aimerais souligner que je souscris tout à fait à l’amendement adopté par la commission des affaires économiques qui modifie l’article 43 afin d’augmenter le montant de l’abattement du tarif d’utilisation du réseau public de transport d’électricité – le TURPE – pouvant être concédé aux entreprises électro-intensives. Il s’agit d’un enjeu majeur de compétitivité pour nos entreprises fortement consommatrices d’électricité et soumises à une concurrence internationale élevée.
Pour finir, j’aimerais revenir sur quelques amendements adoptés par la commission des finances, mais non repris par la commission saisie au fond, et qui ont été redéposés sur le texte pour être examinés en séance publique.
M. Bruno Sido. Ils seront tous refusés !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il s’agit notamment d’un amendement – que j’ai déjà mentionné – visant à instaurer un article additionnel après l’article 1er et portant sur le coût de l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % d’ici à 2025.
Même si l’horizon 2025 a été modifié, à juste titre, par la commission des affaires économiques, un retour au texte du projet de loi initial lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale est possible, pour ne pas dire probable. L’adoption de cet amendement, à titre de précaution, pourrait donc s’avérer utile pour éclairer le débat sur l’avenir du nucléaire et ouvrir le dialogue avec l’Assemblée nationale.
La commission des finances a en outre adopté d’autres amendements poursuivant le même objectif de simplification et de précision que j’évoquais précédemment.
L’un d’entre eux vise à supprimer la réduction d’impôt sur les sociétés pour les entreprises mettant gratuitement à disposition de leurs salariés une flotte de vélos, prévue à l’article 9 bis A. Il s’agit d’une nouvelle dépense fiscale (M. Bruno Sido s’exclame.) qui trouverait plus naturellement sa place dans une loi de finances et dont l’efficacité semble contestable.
S’agissant du complément de rémunération prévu à l’article 23, je propose de supprimer la possibilité, pour une installation de production d’énergies renouvelables, d’obtenir un tel contrat après avoir déjà bénéficié d’un contrat d’obligation d’achat, à condition de réaliser un nouveau programme d’investissement. Cette condition ne paraît pas suffisante pour écarter tout effet d’aubaine. Par ailleurs, je rappelle que le mécanisme d’obligation d’achat est dimensionné pour rentabiliser les installations qui en bénéficient sur la durée du contrat.
Enfin, la commission des finances a adopté un amendement à l’article 6 sur les sociétés de tiers-financement afin que ces dernières soient soumises à des ratios prudentiels comparables, sur le principe, aux ratios applicables aux banques. Ces sociétés de tiers-financement étant majoritairement détenues par des collectivités territoriales, il est indispensable qu’elles soient dotées de normes de gestion exigeantes afin d’éviter tout risque pour les finances publiques locales en cas d’impayés.
Plus généralement, nous ne devons pas affaiblir les législations mises en place depuis 2008 pour réguler la finance au prétexte que l’insuffisance de deniers publics doit être compensée par des ressources privées.
J’ai évoqué l’article 6, j’aurais également pu citer l’article 27 relatif au financement participatif, dont le cadre réglementaire vient tout juste d’être arrêté et pour lequel nous introduisons déjà des exceptions dans un sens plus permissif et moins protecteur des citoyens.
Les investissements en faveur de la transition énergétique sont certainement louables, mais ils peuvent aussi se révéler risqués. Dès lors, qu’il s’agisse d’argent investi par nos concitoyens ou par les collectivités territoriales, nous devons exercer notre devoir de vigilance si nous voulons éviter de cruelles déconvenues.
En conclusion, si l’ambition du texte mérite d’être saluée, je regrette que la question financière soit si peu présente au sein du projet de loi et de son étude d’impact.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Gérard Longuet. Elle est absente !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ce manque de clarté est dommageable pour l’adhésion des citoyens au projet de transition énergétique. Pour amener nos concitoyens et nos entreprises à être acteurs du changement attendu, il est impératif de leur proposer des objectifs concrets et précis.
En l’occurrence, on est plus dans le brouillard…
M. Bruno Sido. Le fog !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. … que dans une perspective clairement définie. J’espère donc que le débat qui s’annonce permettra d’aller vers davantage de précision et d’intelligibilité des dispositifs. Vous évoquez souvent, madame la ministre, la nécessité de mobiliser « l’intelligence collective » : beau défi, qu’il nous faut relever ensemble ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le débat national sur la transition énergétique, décliné sur l’ensemble du territoire, a suscité un réel un intérêt auprès de nos concitoyens, même si l’on peut regretter qu’il n’ait pas été fait plus pour une réelle participation citoyenne au-delà des seuls « experts ».
Ce débat a été révélateur non seulement des attentes, mais aussi des craintes que suscite la nécessité de changer de modèle de consommation, de modèle énergétique.
La transition énergétique, oui, mais pourquoi, pour qui, quand, comment, et à quel prix ?
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui était attendu.
Vous avez voulu, madame la ministre, répondre ou du moins ébaucher un début de réponse à ces questions complexes mais essentielles, tant elles touchent notre quotidien et seront déterminantes pour notre avenir.
Dès lors, nous ne pouvons que saluer les objectifs et les ambitions affichés dans ce projet de loi. En effet, notre pays doit passer à une économie durable et s’inscrire dans une politique de sobriété énergétique, dans une écologie de raison, tout en répondant d’abord aux besoins de nos concitoyens et du développement.
L’énergie, facteur déterminant de notre développement économique et industriel, doit faire l’objet d’une consommation raisonnée et raisonnable, tant l’urgence écologique est réelle, la course effrénée au profit ayant bouleversé un écosystème planétaire fragile. C’est là un constat indiscutable.
La transition dont notre pays a besoin passera avant tout par la réduction de notre consommation d’énergies fossiles, par la diminution des émissions de gaz à effet de serre, par la transparence tarifaire, et donc par la rénovation thermique des bâtiments, le renforcement du mix énergétique et par des transports plus propres comme le ferroviaire.
Ces objectifs doivent se retrouver dans des filières structurées, cohérentes et pérennes, ainsi que dans des investissements substantiels en faveur de la recherche, alors que nous sommes encore loin de l’objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche, tant publique que privée.
Ce projet de loi répond partiellement à cette urgence. Il en est ainsi des objectifs ambitieux de rénovation thermique et de renforcement du service public de la performance énergétique, du déploiement de véhicules propres, ou encore, comme le développera ma collègue Évelyne Didier, de la définition et du renforcement de l’économie circulaire.
En matière de lutte contre la précarité énergétique, qui touche plusieurs millions de nos concitoyens, l’harmonisation des dates de la trêve hivernale locative et de la trêve énergétique, la prise en compte de la performance énergétique dans le critère de décence du logement, la création d’un chèque énergie – qui ne doit pas être opposé aux tarifs sociaux –, le déploiement de compteurs communiquant sont des éléments allant dans le bon sens, même si de nombreuses questions restent posées.
Toutefois, madame la ministre, s’il faut faire mieux et plus avec moins de ressources, si tous les secteurs économiques, les entreprises comme les particuliers, doivent consommer moins d’énergie en la maîtrisant, cette réduction des consommations ne peut conduire à réduire le niveau de vie des ménages.
Ainsi, à notre sens, la sobriété énergétique consiste à consommer moins pour des usages identiques et à permettre à tous d’avoir accès à l’énergie au plus juste prix sur tout le territoire, avec une véritable péréquation.
Nous regrettons que les moyens dédiés à la transition énergétique ne soient pas plus précisément détaillés, ce qui masque leur faiblesse. Ainsi, même si le texte crée un fonds de garantie pour la rénovation énergétique doté de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, prévoit un allégement fiscal de 30 % pour les travaux de rénovation énergétiques engagés d’ici à la fin 2015 et la relance de l’éco-prêt à taux zéro, ou encore le renforcement des sociétés de tiers-financement, ces dispositions ne seront pas suffisantes pour atteindre l’objectif de 500 000 logements rénovés en 2017 ; le coût estimé de cette rénovation énergétique se chiffre en effet à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de salariés formés en nombre suffisant pour réaliser ce chantier de rénovation thermique. Cette proposition appelle donc un réel effort de formation et de structuration de filières dans l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et l’apprentissage ; en particulier, la filière diagnostique doit être créée et sécurisée. Cela passe par la mobilisation de moyens ; or, il faut bien le dire, le compte n’y est pas.
Le doublement du plafond du Livret A et du livret de développement durable n’est aujourd’hui plus à l’ordre du jour, ce que nous regrettons.
Enfin, madame la ministre, votre projet acte le retrait de l’État, la marchandisation de l’énergie et la mise en concurrence des territoires.
Or, en matière de modèle énergétique, nous ne pensons pas qu’une gestion décentralisée de l’énergie serait plus performante, ou que le marché soit un acteur pertinent de la transition énergétique. D’ailleurs, nous ne disposons toujours pas de bilan de la politique de déréglementation dans le secteur de l’énergie qui a été organisée ces dernières années.
Pourtant, c’est bien une telle déréglementation que prévoit ce projet de loi, que ce soit par l’instauration d’un complément de rémunération pour les énergies renouvelables, ou encore par la marchandisation des capacités d’effacement de consommation d’électricité qu’avait instituées la loi Brottes. Loin d’un service public de l’effacement, c’est un véritable monopole privé au profit de Voltalis qui est mis en place.
L’objectif de réduire la production d’électricité d’origine nucléaire d’un tiers d’ici à vingt-cinq ans ne peut être un objectif en soi. Nous voyons bien ce que signifie en Allemagne la réouverture des mines de lignite. L’électricité d’origine nucléaire n’est pas carbonée et la filière nucléaire, qui se développe partout dans le monde, représente en France 400 000 emplois. Pour autant, oui, il faut plus de recherche sur l’élimination des déchets, plus de transparence sur les questions de sûreté, et le retour à une maîtrise par l’opérateur historique sans sous-traitance source de risques pour les salariés et la société.
La privatisation de l’hydroélectricité qui ne porte pas son nom illustre ce double désengagement, financier et organisationnel. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles, puisque nous proposons de supprimer les dispositions qui tendent à privatiser des installations hydroélectriques : elles appartiennent en effet à notre patrimoine énergétique, et leur rôle stratégique est essentiel du point de vue tant industriel et agricole que social et environnemental.
Pourtant, les lois du marché, la concurrence libre et non faussée ont conduit à un alourdissement très net de la facture énergétique des ménages, fragilisant ainsi les plus modestes. Depuis juillet 2005, les tarifs du gaz naturel ont augmenté de 61 %, et ceux de l’électricité ont progressé de plus de 20 %, notamment en raison de la hausse de la CSPE, qui sert à financer les énergies renouvelables.
La mise en place de diverses formes de sociétés permettant de régionaliser la production ou la distribution risque de porter un coup fatal au service public national déjà mis à mal. Ce processus porte en germe la fin du système de péréquation tarifaire, des tarifs régulés et de l’égalité de traitement sur tout le territoire.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Bosino. Je termine, madame la présidente.
Nous avons besoin de grands investissements publics dans ces domaines, créateurs de centaines de milliers d’emplois. Il est nécessaire de rompre avec le modèle économique libéral et de répondre aux besoins de nos concitoyens.
Pour l’heure, nous craignons que ce projet de loi ne réponde pas à ces exigences. C’est pourquoi, madame la ministre, nous attendons beaucoup des débats qui vont suivre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la transition énergétique n’a pas commencé ces derniers mois. Les bouleversements intervenus dans la production de l’énergie depuis le XIXe siècle le démontrent et vous avez justement rappelé tout à l’heure, madame la ministre, la loi de 1919 sur l’énergie hydraulique – la « houille blanche », comme on disait alors. Qu’il serait difficile, aujourd’hui, de construire autant de barrages ! (Mme la ministre acquiesce.)
Cela n’enlève rien à l’utilité d’un texte législatif tirant le bilan de l’accélération des évolutions technologiques et des besoins de nos concitoyens, et donnant les grandes orientations d’une politique nationale qui doit être empreinte de pragmatisme plus que d’idéologie et qui doit aussi donner confiance aux Français quant à la capacité de la nation à assurer demain la production d’énergie par ses capacités technologiques et sa recherche.
Avant de rappeler les positions du RDSE souvent exprimées ici, en particulier en soutien à la filière nucléaire, et puisque nous sommes dans la discussion générale, je m’attacherai à ce qui est un enjeu fondamental de ces prochaines années : la synergie, plus encore, la symbiose entre les réseaux énergétiques et informatiques afin de produire ce dont nous considérons techniquement avoir besoin et pas davantage, ce qui implique donc de prévoir, de gérer et d’anticiper. Nous connaissons parfaitement la courbe quotidienne de consommation d’énergie.
Nous disposons d’un réseau de distribution. Aujourd’hui, nos entreprises et nos habitants sont consommateurs, il faut qu’ils deviennent de plus en plus des producteurs ; le réseau est distributeur, il convient qu’il devienne distributeur et collecteur. Nous devons aller à marche forcée vers un réseau intelligent, nous en avons les moyens techniques et intellectuels.
L’objectif est de faire coïncider demande et offre à chaque instant, ce qui requiert, nous le savons, de pouvoir stocker de l’énergie par divers procédés à développer : par des systèmes hydroélectriques comme ceux de la centrale de Montézic dans l’Aveyron, par les batteries, par les volants à inertie, par l’hydrogène… Sans nul doute, d’ailleurs, les véhicules électriques deviendront demain un moyen de stockage.
Dans ce contexte, il est bien évident que les énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire ont un intérêt manifeste pour s’adapter aux courbes de consommation.
Au-delà de cette vision – nécessaire et qui est celle de demain –, cette approche de cet objectif de complémentarité absolue entre réseaux énergétiques et informatiques, il m’appartient de rappeler nos positions sur quelques aspects fondamentaux de ce projet de loi.
Je commencerai par la filière nucléaire : le groupe RDSE a constamment souligné son attachement fort à cette filière qui est un atout pour la France et dont le savoir-faire en la matière est universellement reconnu. Je relève d’ailleurs avec intérêt que tous les gouvernements successifs se font une priorité, si ce n’est un devoir, de faciliter l’exportation de nos entreprises autour d’Areva ou d’EDF. Ce qui est bon pour l’étranger ne le serait-il point pour la France ?
Au moment où la lutte contre le réchauffement climatique est un impératif rappelé à juste titre par le Gouvernement et par vous-même, madame la ministre, quel atout que de disposer d’une telle filière ! Oui, nous considérons que le développement de la filière nucléaire ne doit se prêter à aucun marchandage électoral,… (M. Ronan Dantec rit.)
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Les écologistes n’y ont même pas pensé ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mézard. … que l’intérêt de la nation est de poursuivre dans cette voie et de faire le choix de la quatrième génération de réacteurs, dont les avantages sont connus,…
M. Ronan Dantec. Passons à la cinquième !
M. Jacques Mézard. … à commencer par le recyclage de certains éléments radioactifs. Et si cela ne fait pas plaisir à mon collègue Ronan Dantec, cela me fait plaisir de ne point lui faire plaisir ! (Rires. – MM. François Fortassin, Daniel Raoul et Jean-François Husson applaudissent.)
Si Superphénix a subi le sort politique que l’on connaît, Phénix a parfaitement fonctionné jusqu’à son arrêt programmé.
D’une manière générale, aidons la recherche, car un pays qui interdit la recherche fait fausse route, pour ne pas dire davantage.
Cela étant, soutenir la filière nucléaire n’est aucunement incompatible avec le développement des énergies renouvelables et nous y sommes favorables sans aucune réserve, contrairement à ceux qui les prônent sur le plan national et déposent des recours sur le plan local.
M. François Fortassin. Effectivement !
M. Jacques Mézard. Dans ces domaines, comme dans tant d’autres, la durée des procédures dans notre pays, qui à cet égard fait figure d’exception en Europe, est inacceptable. Que les tribunaux tranchent, mais dans des délais raisonnables, le législateur doit intervenir et le Gouvernement commence à le faire.
Madame la ministre, j’insiste sur le développement de la filière hydrogène : selon nous, elle doit être une des priorités d’avenir, eu égard à la diversité des méthodes de production, comme moyen évident de stockage et en raison de la compatibilité de cette énergie avec les véhicules électriques, puisqu’il suffit de substituer une pile à combustible à la batterie. Je crains que, sur ce terrain, nous ne prenions un retard pénalisant par rapport à d’autres pays, dont l’Allemagne et le Japon.
Nous n’oublions pas non plus la filière méthanisation dans ce rapide éventail.
Je ne pourrais conclure sans évoquer les économies d’énergie et le vaste chantier qu’elles constituent pour nos entreprises, en particulier dans le secteur du bâtiment, là encore couplés avec la domotique, qui va entraîner une révolution de l’habitat et du lien social. S’il est un secteur, mes chers collègues, où il ne faut point économiser les deniers de l’État et des collectivités locales, c’est bien celui des économies d’énergie.
S’il est une conclusion que l’on doit tirer de l’examen de ce projet de loi, c’est la confiance dans l’avenir : la France a les moyens, et même le devoir, de faire de cet enjeu une réussite. C’est ce que nous souhaitons, c’est ce que nous voulons, tout en veillant à ne pas fragiliser les points forts de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Daniel Raoul applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le sénat s’empare cet après-midi du débat sur la transition énergétique, essentiel pour nos enfants et pour notre planète.
La belle notion de transition de notre modèle énergétique fait partie de ces idées souvent avancées dans les programmes politiques, mais au fond jamais vraiment explorées. Je me réjouis donc que ce gouvernement choisisse de porter ce débat, conformément aux engagements du Président de la République. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Au lieu de transition énergétique, nous pourrions même parler de transition écologique, tant ce texte va au bout de cette réflexion (M. Bruno Sido s’esclaffe.),…
M. François Marc. C’est vrai !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Oh là !
M. Didier Guillaume. ... tant il a été enrichi au fil des débats.
M. François Marc. Effectivement !
M. Bruno Sido. Bravo ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Didier Guillaume. C’est la preuve que chacun comprend aujourd’hui les enjeux de la protection de l’environnement.
Dès 2012, François Hollande évoquait l’excellence environnementale comme priorité. Il appelait à la mobilisation sur cette thématique, de manière à engager une action en France, en Europe et dans le monde pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais, en 2012, les réactions n’étaient pas encore celles que l’on constate aujourd’hui. Certains le raillaient même, et parlaient de diversion.
Il a fallu travailler, travailler encore, consulter les associations et les partis afin de proposer un texte ambitieux qui engage la France dans l’excellence environnementale.
Je souhaite vous féliciter très chaleureusement, madame la ministre, au nom de notre groupe, pour le remarquable travail que vous avez accompli…
M. Didier Guillaume. … afin d’aboutir à ce projet de loi.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Marc. Il fallait le dire !
M. Didier Guillaume. Votre engagement a été entier et votre effort immense, pour parvenir à un texte dont la qualité est reconnue très largement, au-delà des rangs de la majorité.
M. François Marc. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. L’ouvrage va se poursuivre au Sénat, dans le dialogue et le respect qu’appelle la hauteur de l’enjeu.
Que ce texte nous soit proposé aujourd’hui, en février 2015 n’est pas anodin : 2015, c’est l’année du climat, l’année de la COP 21 à Paris, en décembre prochain. La France a déjà engagé des négociations approfondies avec tous les pays en vue d’un accord historique. Cela nous oblige à la responsabilité. La France doit être aujourd’hui à la pointe et donner l’exemple.
Nous devons montrer que nous prenons l’avenir de notre planète au sérieux. Certes, la France ne sauvera pas seule la planète, mais elle doit montrer la voie.
Le climat est notre grande cause nationale en 2015, il doit être la grande cause du monde entier en 2015 et dans les années qui viennent.
Les ressources s’épuisent, d’autres orateurs l’ont dit, les forêts reculent, les climats se transforment et le niveau des océans monte. Ce tableau noir, c’est celui de l’environnement de l’humanité en 2015.
Chacun sait aujourd’hui que les réfugiés climatiques se multiplient et que les conséquences qu’emportent sur la santé les dégradations de l’environnement augmentent. Il y a urgence !
Le projet de loi qui nous est présenté porte des objectifs ambitieux qui répondent à l’exigence que je viens de présenter.
Faut-il, dès lors, ergoter sur le fond et la forme ? Ce texte serait flou, annonçant une loi fourre-tout, son financement ne serait pas assuré… Mes chers collègues, les mêmes remarques ont été opposées au Grenelle 1 de l’environnement. Je ne les entends pas comme des éléments négatifs : lorsque l’on s’engage dans un texte de cette ampleur, il est logique d’y faire face. N’inversons toutefois pas la forme et le fond. Ce qui compte, c’est le fond. Le reste viendra ensuite, avec les grandes orientations.
Nous devons travailler sur un texte ambitieux, et il est donc nécessaire de fixer des termes. Sans ambition, jamais nous ne nous dépasserions pour atteindre le véritable objectif : préserver notre environnement pour que l’espèce humaine puisse continuer à vivre.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Didier Guillaume. Un des objectifs de ce texte fait particulièrement débat : celui qui concerne le nucléaire. Je souhaite m’y attarder un instant. La loi vise à faire passer de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique à l’horizon 2025.
M. Bruno Sido. C’est impossible !
M. Didier Guillaume. Votre amendement, madame la ministre, précise que la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité se fera « en accompagnement de la montée en puissance des énergies renouvelables, tout en préservant l’indépendance énergétique de la France » et en maintenant « un prix de l’électricité compétitif ». Cet amendement du Gouvernement est clair et nous agrée tout à fait.
Nous devons travailler sur ce nouveau mix énergétique, qui est indispensable. On peut affirmer que 2025, c’est trop tôt et qu’il faudrait choisir 2030. Aurions-nous avancé 2030, on aurait demandé 2035,…
M. Ronan Dantec. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. … et ainsi de suite. Ce n’est jamais le bon moment !
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. François Marc. Eh oui !
M. Didier Guillaume. Il faut se fixer des objectifs clairs et politiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.) Le Gouvernement l’a fait et nous devons tenir !
Pourquoi opposer la baisse du nucléaire de 75 % à 50 % à la baisse des émissions de gaz à effet de serre ? Ce n’est pas du tout pertinent, car il s’agit de deux sujets complètement différents ! Roland Courteau et Jean-Jacques Filleul évoqueront tout à l'heure les autres pistes envisagées dans ce texte.
En revanche, il n’est pas possible de réduire davantage la part du nucléaire, pour des raisons d’indépendance énergétique mais aussi industrielles. Le nucléaire est en effet essentiel à notre indépendance comme au niveau économique et social.
N’oublions jamais que, lorsque nous débattons du nucléaire, nous évoquons aussi les milliers de personnes qui travaillent dans ce secteur.
La réduction proposée par le Gouvernement a un sens : il s’agit de faire place au développement des énergies renouvelables, de toutes les énergies renouvelables, y compris la biomasse, la méthanisation ou la géothermie, tout en permettant le renouvellement du nucléaire français.
C’est la raison pour laquelle nous proposons de mettre l’innovation au cœur du développement du nucléaire. L’innovation et la recherche sont indispensables. Le rapport produit par l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques il y a deux ans, auquel nous sommes quelques-uns à avoir participé, montrait bien les difficultés auxquelles cette filière est confrontée : sous-traitance en cascade, intrusions, etc. (M. Bruno Sido s’exclame.) Il faut avancer.
Cessons de croire qu’il faut choisir entre ceux qui pensent que le nucléaire, c’est tout beau et tout rose et ceux qui pensent que c’est mauvais. La vérité est au milieu !
M. Jean-Yves Roux. Très bien !
M. Didier Guillaume. Le groupe socialiste est favorable à l’énergie nucléaire (M. Roland Courteau opine.), avec trois exigences : l’excellence industrielle, l’efficacité économique et la transparence totale. Voilà ce que nous souhaitons pour ce secteur, et c’est la direction dans laquelle il est indispensable d’avancer. (M. Bruno Sido s’exclame.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Didier Guillaume. Enfin, nous voulons une énergie nucléaire plus sûre, plus performante en termes de déchets. Prolonger ou non la durée de vie des centrales actuelles n’est pas un choix politique, la décision sera prise par l’Autorité de sûreté nucléaire,…
M. Jean-Jacques Filleul. Exactement !
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Didier Guillaume. … l’ASN, qui demeure le meilleur et le plus sérieux gendarme du nucléaire au monde.
Certaines centrales sont déjà très anciennes. Faut-il prolonger leur activité encore quarante, cinquante ou soixante ans ? Au vu de ce qui se passe ici ou là, nous devons avertir du danger : l’excellence industrielle est indispensable.
En revanche, madame la ministre, il nous semble que le Gouvernement doit s’engager dans la construction de nouveaux réacteurs nucléaires…
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Didier Guillaume. … plus petits et plus performants, en remplacement des plus anciens, sur les mêmes sites. Il y va de notre indépendance industrielle et nucléaire.
Quel modèle de croissance voulons-nous ? Celui du mix énergétique, où chacun trouve sa place dans une énergie moins chère et moins polluante.
Alors que par le passé il n’était question que de protéger en se restreignant, il est aujourd’hui possible, selon nous, de se développer en préservant. Nous ne sommes pas favorables à une décroissance fatale, nous souhaitons une croissance durable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la loi sur la transition énergétique est enfin en débat au Sénat.
« Enfin », non pas tant parce qu’il aura fallu attendre près de trois ans dans le quinquennat de François Hollande pour que ce projet de loi soit présenté, mais surtout parce qu’il y a urgence ! Il faudrait d’ailleurs parler de loi d’urgence énergétique et climatique.
Urgence climatique, tout d’abord : si nous n’agissons pas radicalement, chacun à son niveau de responsabilité, alors nous enregistrerons au XXIe siècle une augmentation des températures supérieure à ce que la planète a connu entre l’ère glaciaire et nos jours. Nous savons tous, sauf à nous réfugier dans des incantations obscurantistes, que nos sociétés n’y survivront pas dans leurs modes d’organisation actuels, et que les crises, notamment alimentaires, auront raison des fragiles équilibres du monde.
La France doit donc assumer sa part de la responsabilité collective. Des objectifs précis de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont dans la loi, ils constituent un message essentiel à quelques mois de la conférence de Paris.
Urgence économique ensuite, car nous ne pouvons ignorer les grandes faiblesses de notre pays : importations d’énergie fossile grevant notre balance commerciale, production d’électricité nucléaire à un prix trop longtemps minoré, mais aujourd’hui clairement non compétitif.
Ces déséquilibres menacent la compétitivité de notre économie,…
M. Bruno Sido. Oh !
M. Ronan Dantec. … mais aussi les budgets des ménages, dans un pays où la précarité énergétique s’accroît.
M. Bruno Sido. Mais non !
M. Ronan Dantec. Je ne doute pas que certains affirmeront ici sur l’air des lampions électriques que le nucléaire reste la production la moins chère. (M. Bruno Sido s’exclame.) C’est faux, ainsi que plusieurs commissions parlementaires l’ont confirmé !
J’avance seulement un chiffre, le débat permettra d’y revenir : à Hinkley Point, en Grande-Bretagne, le réacteur EPR ne trouve son équilibre économique qu’à un prix garanti de 110 euros le mégawattheure pendant trente-cinq ans, alors que l’éolien terrestre est déjà à 70 euros avec un amortissement sur quinze ans (M. Bruno Sido s’exclame de nouveau.), et que le photovoltaïque sera bientôt à 40 euros, c’est-à-dire trois fois moins cher ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Bruno Sido. Mais il faut du vent et du soleil !
M. Ronan Dantec. Si nous ne rééquilibrons pas rapidement nos stratégies énergétiques en sortant du piège du tout-nucléaire, nos géants mondiaux de l’énergie, et en premier lieu l’opérateur public historique, courent au désastre économique.
Faut-il rappeler ici la situation d’Areva, ex-fleuron de l’industrie nationale ? Elle est plus que critique !
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Bruno Sido. Mais vous savez pourquoi !
M. Ronan Dantec. Le groupe doit dans l’urgence se délester de 1 milliard d’euros d’actifs, dont, peut-être, son activité de démantèlement de sites nucléaires. Ce serait tout bonnement insensé, car c’est le seul vrai marché d’avenir.
Laisser la France s’entêter dans le tout-nucléaire serait une folie. Nous devons diversifier rapidement notre mix énergétique, nous devons renforcer des filières industrielles fortes sur le renouvelable, ce qui n’est pas possible sans un marché intérieur dynamique.
Il nous faut donc affronter nos tabous, comme la fin de vie programmée des centrales. On préfère ici l’acharnement thérapeutique à une approche sereine de l’inéluctable. Une centrale nucléaire n’est pas immortelle. Ses tuyauteries s’usent avec le temps, il faut l’accepter. Les pics de mise en service se situant au début des années 1980, il est clair que nous ne pourrons pas prolonger tous ces réacteurs au-delà de quarante ans, en particulier, et cela n’a pas été rappelé, dans un contexte de surproduction européenne et d’effondrement des prix. Les coûts de prolongation sont estimés à près de 1,5 milliard d’euros par réacteur.
La loi fixe un objectif raisonnable de 50 % d’électricité nucléaire à l’horizon 2025. Pourquoi le contester, sauf à considérer que cet horizon est trop lointain et que 2022 serait plus conforme à la programmation pluriannuelle de l’énergie et à la pyramide des âges des centrales ? Si Ladislas Poniatowski propose de fixer la date à 2022, je le soutiendrai ! (Sourires.)
Une fois fait le deuil nécessaire du tout-nucléaire français, il reste à en enterrer les restes. C’est un vrai problème, auquel, par exemple, les Allemands sont aujourd’hui confrontés. Nous devons y apporter des réponses techniques et mettre en place des services : c’est un marché important ! Aussi, je l’ai dit, la stratégie d’Areva d’un éventuel désengagement de l’économie du démantèlement est une aberration totale.
Nous avons trop délégué trop longtemps à quelques-uns – grandes entreprises et grands corps de l’État – l’avenir énergétique de ce pays, et donc son avenir tout court. C’est bien la force de cette loi que d’avoir replacé la politique au cœur de ce sujet essentiel.
La discussion collective a rendu cela possible : le débat national sur la transition énergétique, qui s’est tenu entre fin 2012 et 2013, a montré qu’une véritable expertise citoyenne existait dans ce pays, qui débouchait sur des scénarios crédibles quand les scénarios fondés sur le maintien du tout-nucléaire ne permettent pas de tenir nos grands objectifs climatiques ! Tel est l’enseignement du débat national, qui a ainsi permis de légitimer cette loi !
Je voudrais donc saluer ici toutes celles et tous ceux qui s’y sont investis, ministres, élus, militants associatifs, représentants des syndicats et acteurs du monde économique. Par l’énergie qu’ils ont déployée dans ce débat, ils nous ont éclairé le chemin.
Ensuite, la loi redonne une maîtrise politique et une visibilité à la stratégie d’un État planificateur autour d’une programmation pluriannuelle de l’énergie de cinq plus cinq ans, discutée au Parlement, soumise à l’avis d’un comité d’experts et du Conseil national de la transition écologique. C’est un de ses points forts.
Enfin, la mobilisation des territoires constitue un autre enjeu politique.
En qualité de président du groupe de travail « gouvernance » du débat national sur la transition énergétique, je me réjouis notamment du renforcement du SRCAE, le schéma régional climat air énergie, outil essentiel de planification régionale, qui devrait devenir prescriptif en étant intégré au schéma régional d’aménagement du territoire, ainsi que du développement des plans climat air énergie territoriaux, dorénavant obligatoires dans toutes les intercommunalités.
C’est dans les territoires que se jouera vraiment la transition énergétique française. Des exemples concrets, à Nantes ou Grenoble, montrent que des politiques volontaristes et cohérentes permettent des réductions massives d’émissions de gaz à effet de serre. Certains territoires sont déjà parvenus à réduire de 30 % ou de 35 % leurs émissions par rapport à 1990. Ils montrent la voie à suivre.
L’ingénierie financière au service des territoires est ici centrale. Les fonds d’innovation, les fonds de garantie, les tiers investisseurs, la loi énumère de nombreux outils. Certes, ces outils peuvent encore être améliorés, mais, surtout, il nous faudra donner aux territoires l’envie de les utiliser.
En ce sens, nous ne pouvons que nous féliciter de la décision de « prioriser » le développement des plans climat dès 2015, une mesure prévue dans la feuille de route environnementale que vous avez présentée, la semaine dernière, madame la ministre, avec Manuel Valls, et qui reprend une proposition du rapport que j’ai rédigé avec Michel Delebarre. Les rapports parlementaires peuvent donc être utiles…
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette loi dense, qui traite aussi l’économie circulaire, la qualité de l’air ou les enjeux agricoles. Mon collègue Joël Labbé y reviendra dans quelques instants et nous en discuterons tout au long du débat.
Mais, surtout, au travers de cette loi, nous pourrons dire : enfin ! la France est en marche, soucieuse, au-delà des postures, de répondre aux enjeux de demain et prête à bousculer les conservatismes. Dans sa rédaction initiale, la loi est conforme aux engagements du Président de la République durant sa campagne électorale.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Ronan Dantec. Aussi, madame la ministre, vous pouvez compter sur la mobilisation et la vigilance des écologistes pour éviter qu’elle ne soit détricotée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un peu moins de six ans après le vote du Grenelle, nous nous retrouvons ici pour débattre des actions à mener face aux enjeux climatiques.
Si la répétition est la base de la conviction, alors il ne devrait plus rester dans cet hémicycle un seul climato-sceptique. Mes chers collègues, vous devriez a priori être tous enchantés par les éoliennes !
Si, par un malencontreux hasard, quelques-uns d’entre vous avaient encore quelques doutes, les collègues qui m’ont précédée ont à peu près listé tous les arguments plaidant en faveur de l’urgence climatique.
Pour ma part, je me bornerai à évoquer trois éléments.
Premièrement, j’aborderai la dimension économique.
Le coût de l’inaction est cinq fois supérieur au coût de l’action, comme l’a souligné Mme la ministre. Si nous ne faisons rien, le coût pour la France sera compris entre 100 milliards et 150 milliards d’euros en 2050, un ordre de grandeur globalement retenu dans le rapport Stern ou dans le rapport de la Banque mondiale, intitulé Turn Down the Heat ».
Deuxièmement, je parlerai du plan social.
Comme cela a été évoqué, la précarité énergétique est devenue un véritable fléau, particulièrement en Île-de-France, mais aussi dans les zones rurales : elle touche 11,3 millions de personnes. Aujourd'hui, un peu à l’image du tonneau des Danaïdes, on préfère régler le problème via des tarifs sociaux, plutôt que de le traiter à la source.
Troisièmement, enfin, j’évoquerai un élément que l’on oublie souvent à l’échelle internationale, je veux parler de la sécurité. Le Conseil de sécurité des Nations unies l’a traité une fois.
Les changements climatiques affecteront le plus les pays les plus pauvres et nombre de nos voisins. Selon les Nations unies, on comptait 50 millions de réfugiés climatiques ou de déplacés environnementaux en 2010 ; ils seront entre 200 millions et 250 millions en 2050. Il est donc dans notre intérêt d’aider ces pays à assurer leur transition énergétique et d’agir aujourd'hui non pas parce que nous nous plaçons sur le terrain de la morale ou de l’exemplarité – même si l’on aime que notre pays soit exemplaire ! –, mais parce qu’il s’agit d’un investissement rationnel, d’un intérêt presque cynique.
Madame la ministre, ne nous voilons pas la face, les grandes orientations de ce projet de loi s’inscrivent, il est vrai, dans celles qui ont été débattues dans la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « loi Grenelle 1 », et nous y sommes favorables. Bien sûr, on l’a vu, nous débattrons de certaines dates – 2020, 2025, 2030 ou 2040 –, mais un consensus semble se dégager sur les grandes orientations.
Fallait-il une nouvelle loi ? Fallait-il prévoir des mesures d’adaptation ?
Oui, il fallait prendre des mesures. Dans le domaine des énergies renouvelables, par exemple, des blocages ont été constatés, avec un effondrement du nombre de projets. Il en est de même dans le domaine de la rénovation des bâtiments. De nouvelles initiatives ont ainsi vu le jour dans l’économie circulaire.
Cette loi comporte donc de bonnes mesures, notamment concernant le tiers-financement, les budgets carbone ; elle prévoit des mesures concrètes au sujet de l’économie circulaire. Eu égard aux exigences portant sur les énergies renouvelables, des mesures devaient effectivement être prises.
Est-ce une loi d’adaptation ou une loi de transition ?
M. Bruno Sido. Une loi de transformation !
Mme Chantal Jouanno. Selon nous, il s’agit plutôt d’une loi d’adaptation. Une loi de transition porterait une nouvelle vision de la société. Or on ne s’intéresse pas ici à la consommation, ni à l’empreinte carbone de la France.
Au demeurant, permettez-nous d’avoir quelques doutes et des regrets.
Cela a été dit, on ne peut avoir que des doutes concernant les moyens. Depuis 2012 – en réalité, vous n’y êtes pour rien, madame la ministre ! –, le Gouvernement a diminué de 1,65 milliard d’euros le budget du ministère de l’écologie, soit presque 20 % de son budget, ce qui a entraîné une baisse du budget de l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
De plus, l’écotaxe poids lourds a été abandonnée ; le groupe UDI-UC tenait à cette mesure.
En outre, les objectifs fixés pour la troisième période des certificats d’économies d’énergie sont dérisoires.
Voilà pourquoi nous avons des doutes sur les moyens octroyés.
Du reste, nous n’aimons pas le discours sur l’écologie punitive. Selon nous, l’écologie, la vraie écologie, est systématiquement positive.
Quoi qu’il en soit, c’est dans un esprit plutôt bienveillant et d’ouverture que nous abordons ce débat. Nous sommes dans l’opposition constructive. D’ailleurs, en juin 2014, nous avions déposé une proposition de résolution sur la transition énergétique, mais nous n’avons jamais pu en discuter, ce que nous regrettons.
Cependant, nous restons ouverts, en défendant trois idées fortes, qui définiront notre position quant à notre vote.
Tout d’abord, ce texte est trop centralisateur à notre goût – nous ne partageons pas la vision de nos collègues du groupe CRC. Il ne fait pas assez confiance aux territoires.
Nous allons proposer la liberté d’expérimentation des collectivités dans tous les domaines permettant de répondre à l’objectif fixé à l’article 1er du projet de loi. À cet égard, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse.
Madame la ministre, vous affirmez souvent dans vos discours que les collectivités sont les plus efficaces et les mieux à même de porter la transition énergétique. Dès lors, pourquoi n’avez-vous pas d’abord présenté ce projet de loi devant le Sénat ?
M. Jacques Mézard. On veut le supprimer !
Mme Chantal Jouanno. C’est le Sénat qui représente les collectivités territoriales ! Nous l’avions fait pour le Grenelle 2, parce que nous faisions confiance au Sénat. Nous aurions aimé que vous fassiez de même.
Ensuite, la deuxième idée forte concerne la question de la réforme fiscale.
Selon nous, le système fiscal français est aujourd'hui un frein à la transition écologique et, plus globalement, à la croissance économique. En Europe, nous sommes les premiers en termes de taxation de l’emploi et des facteurs de production et les avant-derniers pour ce qui concerne la fiscalité écologique.
Nous proposons non pas une augmentation de la fiscalité écologique, mais un basculement de la fiscalité pesant sur la production vers la fiscalité écologique.
Si nous prenons l’exemple des meilleurs élèves européens que sont le Danemark ou la Suède, nous pourrions faire basculer de 30 milliards à 35 milliards d’euros. Nous défendrons des amendements en ce sens, et je ne doute pas qu’ils vont être accueillis avec enthousiasme dans l’ensemble de l’hémicycle. (Rires.)
Enfin, – c’est la troisième et dernière idée forte, même si celle-ci peut vous sembler plus anecdotique – nous devons adopter – c’est important ! – un plan de programmation de l’énergie. De même, nous devons adopter un plan de programmation des ressources stratégiques, afin d’avoir une vision prospective.
En 2025 – c’est demain ! –, la Chine captera 50 % des matières premières mondiales. Des tensions extrêmement fortes apparaîtront pour ce qui concerne des matières qui peuvent paraître très simples, très basiques, comme le zinc, l’aluminium ou encore le cuivre. De telles tensions apparaîtront également sur des matières dites mineures, mais stratégiques, telles que le tantale, le gallium, les terres rares. (M. Jean Desessard applaudit.) Ces ressources sont cruciales dans quatre secteurs d’activité : la chimie, l’automobile, l’aéronautique…
M. Marc Daunis. L’électronique et le numérique !
Mme Chantal Jouanno. … et la pharmacie. Or ces secteurs d’activité représentent un tiers de notre PIB. D’où l’intérêt de voter aussi un plan de programmation des ressources. J’insiste sur ce point, car elle est souvent la grande oubliée de nos débats relatifs à l’écologie.
Mes chers collègues, nous avons déposé quarante-trois amendements – vous le constatez, nous avons été très raisonnables ! –, soit presque un amendement par sénateur UDI-UC !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. Heureusement que vous n’êtes pas 150 !
Mme Chantal Jouanno. Si vous êtes gourmands, mes chers collègues, vous pourrez en adopter beaucoup plus, car j’en ai déposé soixante-cinq ! (Sourires.) Toutefois, il suffirait que vous adoptiez les trois orientations que j’ai évoquées à l’instant pour que nous ayons une vision extrêmement positive et optimiste du texte qui nous est ici proposé. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, pour une meilleure organisation de nos débats, la commission souhaite que l’amendement n° 79 soit disjoint des amendements en discussion commune et examiné séparément, car il réécrit l’article 5, dans son ensemble, un article important relatif à l’amélioration de la performance énergétique et environnementale des bâtiments.
Mme la présidente. Je suis saisie par la commission d’une demande d’examen séparé de l’amendement n° 79 portant rédaction globale de l’article 5.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les présidents de commission, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, ce projet de loi sur la transition énergétique vise à graver dans le marbre des objectifs qui relèvent plus de l’acte de foi que du réalisme. Cela est particulièrement vrai pour la part du nucléaire dans la production d’énergie électrique.
En effet, le projet de loi initial prévoit dans l’article 1er de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 », et dans l’article 55 de plafonner la capacité de la production d’électricité d’origine nucléaire à 63,2 gigawatts.
Ces objectifs gouvernementaux sont irréalistes. Le volume de la consommation électrique dépend d’un ensemble de facteurs et, en premier lieu, de la croissance économique, qu’il serait suicidaire de vouloir brider de facto.
Étrange idée également que de vouloir plafonner la capacité de production d’électricité d’origine nucléaire à son niveau actuel, c’est-à-dire de fermer en 2017 au moins deux réacteurs en parfait état de marche, au simple motif de la mise en service de l’EPR de Flamanville.
Ces objectifs sont surtout dangereux pour notre économie, et pour la qualité de vie de nos concitoyens.
Défendre lesdits objectifs, c’est ignorer que le nucléaire assure la base de notre production électrique, soit 77 % de la production en 2013, et que l’hydraulique et les centrales thermiques ne font que l’appoint.
C’est ignorer que cette production électrique est la moins chère d’Europe, à raison de 54,4 euros par mégawatt selon la Cour des comptes, ce qui donne un avantage compétitif aux entreprises françaises – et c’est bien le seul que l’État leur donne actuellement.
C’est ignorer le poids des entreprises françaises, telles Areva et EDF, dans le secteur nucléaire mondial.
C’est ignorer que le plafonnement de la production électrique supprimerait des milliers d’emplois dans les territoires concernés par l’arrêt des réacteurs.
C’est ignorer que l’objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre est contradictoire avec la réduction de la part du nucléaire, dont le bilan carbone est nul.
C’est ignorer, enfin, que les autres formes de production d’électricité, dites « renouvelables », ne sont pas en mesure de remplacer rapidement le nucléaire dans les délais fixés. Un tel « mix énergétique » est d’ailleurs infaisable sans investissements massifs sur le réseau de transport de l’électricité,…
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. René Danesi. … avec la création de lignes de 400 000 volts, ce qui nous promet des occupations de zones à défendre par les Zadistes.
Élu Alsacien, j’en viens plus précisément au problème de la centrale de Fessenheim, qui illustre parfaitement les problèmes posés par une promesse électorale hâtive.
De quoi accuse-t-on la centrale de Fessenheim ? D’être la plus âgée ! Certes, elle a été raccordée au réseau en 1977. Mais elle est parfaitement entretenue et sa sûreté n’est absolument pas en cause : 400 millions d’euros viennent d’y être investis à cet effet. Elle répond parfaitement aux exigences post-Fukushima, et elle a obtenu en 2013, de la part de l’Autorité de sûreté nucléaire, une nouvelle autorisation décennale d’exploitation.
Vouloir fermer cette centrale, c’est oublier qu’EDF n’en est pas la seule propriétaire, et qu’elle doit partager la production d’électricité avec trois compagnies privées suisses – en l’occurrence Alpiq, Axpo et BKW – et avec la compagnie allemande EnBW, propriété du Land de Bade-Wurtemberg. L’indemnisation de ces quatre compagnies, dont le droit de tirage sur la production d’électricité de Fessenheim est de 32,5 %, est chiffrée à 1,5 milliard d’euros. On n’en parle jamais !
Et c’est bien évidemment oublier qu’il n’y a pas de solution de remplacement valable pour alimenter l’Alsace en électricité, avec une réelle garantie de fiabilité.
Nos commissions nous proposent un texte heureusement amendé qui relève le plafond des capacités de production électrique nucléaire à 64,85 gigawatts, qui conditionne l’objectif de réduction de 50 % du nucléaire dans la production d’électricité au maintien de l’indépendance énergétique de la France, au maintien d’un prix compétitif de l’électricité, et à l’absence d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, comme c’est actuellement le cas en Allemagne, devenue grande consommatrice de charbon et de lignite.
En conclusion, le vert et vertueux projet de loi présenté par le Gouvernement oublie que la fermeture accélérée des centrales nucléaires aura un coût exorbitant. L’Allemagne est en train de le constater. Mais elle peut s’offrir ce changement accéléré. On me permettra de douter que la France, elle, en ait les moyens financiers. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Annick Billon et M. Daniel Dubois applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’aménagement et de l’équipement du territoire a été saisie au fond de plus de la moitié des articles du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Tout d’abord, l’article 1er pose les orientations et les objectifs de la politique énergétique. Nous les partageons globalement, qu’il s’agisse de renforcer l’indépendance énergétique de la France ou de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les moyens pour y parvenir ont été portés eux-mêmes au rang d’objectifs, à savoir diminuer notre dépendance aux énergies fossiles et augmenter la part des énergies renouvelables dans la production énergétique. Par ailleurs, diminuer la part du nucléaire est un objectif destiné à réduire une production d’énergie à haut risque, surtout lorsqu’elle est entre les mains du marché – faut-il le dire ?
Le projet de loi décline ensuite les moyens à mettre en œuvre afin de répondre à l’urgence climatique. La commission du développement durable a ainsi travaillé sur les propositions relatives aux transports et au développement de formes de mobilité propre, et sur celles qui concernent la qualité de l’air. Elle a examiné le titre IV, relatif à l’économie circulaire et à la politique de gestion des déchets, ainsi que les dispositions ayant trait à la gestion du risque nucléaire, et les mesures en faveur des énergies renouvelables et des territoires à énergie positive.
En premier lieu, le projet de loi comporte des mesures intéressantes dans le secteur des transports, dont nous savons qu’il est le plus fort émetteur de CO2. Nous regrettons cependant la faiblesse normative de certaines dispositions. Ainsi, le chapitre Ier A, qui entend donner la priorité aux modes de transports les moins polluants « encourage » seulement les expérimentations de logistique urbaine afin de réduire les impacts environnementaux en ville des « derniers kilomètres de livraison ». L’article 9 B sur le report modal du transport routier par véhicule individuel reste de l’ordre du déclaratoire.
Le projet de loi entend également renforcer l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables dans les transports. L’exemplarité des personnes publiques et des entreprises est à ce titre indispensable. Lors du renouvellement d’un parc de véhicules, la part de véhicules propres doit répondre à un objectif de 50 % pour l’État et ses établissements publics, et de 20 % pour les collectivités territoriales et leurs groupements. C’est une mesure qui a priori va dans le bon sens. Cependant, il faudra tenir compte de la taille et des moyens des collectivités. Dans certaines collectivités, il n’y a qu’un véhicule !
Nous partageons, ensuite, le dispositif de l’article 9 bis qui définit une stratégie nationale pour le développement des véhicules propres et leur alimentation. Il s’agit là de réduire nos importations de pétrole et nos émissions de gaz à effet de serre. La commission du développement durable a inclus dans ce dispositif les questions de diminution de la consommation des véhicules, avec la nécessité d’agir sur les reports modaux. Nous regrettons que ne soient pas abordées la question du fret ferroviaire, celle de la fermeture des lignes secondaires, l’autorisation de circulation des 44 tonnes et les questions d’urbanisme avec l’étalement urbain. Mais nous y reviendrons lors de l’examen du titre III.
Pour conclure provisoirement sur les transports, force est de constater que certaines mesures répondent à des problématiques très urbaines. Je pense en particulier à l’article 9 bis A qui prévoit la mise à disposition gratuite pour les salariés d’une flotte de vélos. Des efforts restent à faire pour que soit assurée sur l’ensemble du territoire, y compris en zone rurale, la mobilité durable, en évitant par exemple d’éloigner les salariés de leur lieu de travail.
En second lieu, concernant la pollution de l’air, et particulièrement l’exposition aux particules, nous partageons les propositions du projet de loi qui renforcent les réglementations. Ainsi, l’article 17 inscrit dans la loi la planification sur la pollution atmosphérique. Nous proposerons d’ailleurs dans ce sens un amendement visant à agir sur l’exposition des travailleurs et des usagers aux particules fines dans les transports.
Enfin, je voudrais aborder le titre IV, qui entend lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire. La question de la prévention et de la réduction des déchets est au cœur de ce titre. Il est important, selon nous, que l’économie circulaire soit clairement définie comme une économie de proximité, ancrée dans les territoires et garantissant des emplois pérennes. C’est dans ce sens que nous avons défendu le respect du principe de proximité, désormais inscrit dans le projet de loi. Il faut engager des actions sur l’organisation de la production, l’éco-conception, le cycle de vie des produits. L’inscription de la lutte contre l’obsolescence programmée est un premier pas.
S’agissant de la politique de gestion des déchets ménagers et assimilés, il nous faut conforter le service public en ce domaine et faire confiance aux collectivités territoriales, qui mettent en œuvre, en tenant compte de leurs problématiques locales, les projets les plus adaptés à leur territoire.
Pour conclure, sur les articles délégués au fond à la commission du développement durable, madame la ministre, nous partageons globalement les objectifs du projet de transition énergétique et de croissance verte.
Comme vous, nous sommes convaincus qu’il faut agir vite et fort. Pour cela, non seulement la transition énergétique a besoin de financements importants, mais il faut également repenser globalement les échanges économiques et agir pour consommer moins et distribuer mieux afin de répondre à l’urgence sociale et environnementale. Il n’est pas sûr que ce projet de loi réponde à lui seul à ces attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, tout a déjà été dit, ou presque… Ce projet de loi est très bon, excellent même – surtout dans ses ambitions ! (Sourires.)
Mettre en place un nouveau modèle énergétique français, plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif, créateur de richesses, d’emplois durables et de progrès, voilà assurément une bonne perspective, nécessaire à notre pays ; j’en accepte volontiers l’augure.
À titre personnel, je dois dire que je n’ai jamais cru au Grenelle de l’environnement. Je me suis, bien sûr, félicité des intentions exprimées dans ce cadre ; seulement, sur les centaines de mesures annoncées, il y en avait deux tout au plus qui étaient financées… Comme disait mon excellent ami Georges Frêche, recevant à Montpellier le non moins excellent M. Borloo : Borloo, il promet beaucoup, mais il donne peu ! (Sourires.) En tout cas, il faut éviter cet écueil.
Heureusement, madame la ministre, vous avez eu le souci louable de fournir aux territoires une boîte à outils, contenant plusieurs mesures et des appels à projets. Voilà qui change considérablement du Grenelle de l’environnement !
Reste que ce projet de loi est trop technique. Il faut s’imaginer qu’on s’adresse aux élus, et même à tous les Français, qui, en théorie, devraient l’adopter. Or il comprend un très grand nombre d’articles, traitant de sujets aussi complexes que le développement des énergies renouvelables, la promotion de la mobilité durable, l’économie circulaire, la lutte contre la précarité énergétique et la rénovation thermique. Cette complexité, je la regrette, même si je sais qu’il est très difficile de l’éviter. Le fait est que le projet de loi est technique et lourd, en plus d’être gigantesque.
M. Gérard Longuet. En effet !
M. Alain Bertrand. En vérité, connaissez-vous un Français, exception faite des passionnés, de nos collègues du groupe écologiste et de certains autres parlementaires, qui le lira entièrement ? (Sourires.)
M. Roland Courteau. Nous l’avons bien lu !
M. Alain Bertrand. J’oubliais, il est vrai, M. Courteau et les Audois : après avoir bu un excellent Corbières, ils pourraient arriver à le lire ! (Nouveaux sourires.)
Je rêvais, moi, d’un projet de loi qui simplifie les procédures, tout en fixant un cadre financier plus précis pour les décideurs, citoyens, entreprises et collectivités territoriales. Sur le terrain, nous avons des idées ! Seulement, un cadre financier est nécessaire à leur développement.
J’ai vu que les appels à projets avaient suscité de nombreuses réponses, par exemple dans les domaines de la méthanisation, de l’éolien et du photovoltaïque, mais aussi de la petite hydroélectricité. Moi qui suis président de fédération de pêche, je suis favorable à une génération nouvelle de petite hydroélectricité, sans nuisances et acceptable.
Je le répète : le projet de loi manque de précision et de clarté.
Si certaines dispositions, comme l’extension de l’expérimentation ou l’autorisation unique dans le domaine énergétique, vont dans le bon sens, l’ensemble du cadre administratif et réglementaire reste trop lourd, parfois trop contraignant, toujours trop compliqué, pour les entreprises et pour les collectivités territoriales, donc pour les citoyens.
Voilà dix ans que, en Lozère, j’essaie de développer un parc d’éoliennes participatif. Tout le monde conteste, manifeste : bref, c’est un foutoir complet ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. C’est le parcours du combattant !
M. Alain Bertrand. J’avais pensé : je trouverai dans le projet de loi de Mme Royal les réponses dont j’ai besoin. Or je ne vois rien, à l’article 38 bis du projet de loi, qui me permette d’espérer que mon parc éolien participatif verra le jour !
En ce qui concerne la méthanisation, le projet de loi se borne à ajouter un article au code de l’environnement. En Lozère, un article est paru sur ce sujet : aussitôt, 250 manifestations se sont produites, alors que personne ne sait ce qu’est la méthanisation ! (Sourires.) En Allemagne, pourtant,…
M. Gérard Longuet. Il y en a partout !
M. Alain Bertrand. … cette technique est utilisée partout : toutes les fermes neuves disposent d’une cloche à méthanisation, et aussi de panneaux photovoltaïques. Or les Allemands et les autres Européens, ce sont des gens comme nous ! (Rires.)
Je crois donc, madame la ministre, qu’on peut encore apporter du « punch » à votre projet de loi.
Je suis attaché au problème de la cogénération car, à Mende, nous disposons d’un réseau de cogénération biomasse qui est, je crois, le plus grand de France. Or, sur ce sujet aussi, le projet de loi reste un peu vague, même si le texte de la commission prévoit un plan stratégique national destiné notamment à « développer des synergies avec la production électrique par le déploiement et l’optimisation de la cogénération à haut rendement ». Dans quelles proportions, à quel coût, avec quelles aides ? Toutes précisions qui manquent, même si nous savons que, outre l’État, de nombreux acteurs peuvent collaborer : l’Union européenne, l’ADEME et les régions.
Je crois que les territoires et les collectivités territoriales ont de fait un rôle fondamental de moteur à jouer dans la mise en œuvre de la transition énergétique. De ce point de vue, madame la ministre, on peut dire que vos appels à projets visent le cœur du sujet.
Tous les maires savent d’expérience que les bâtiments communaux comme les écoles, les centres sociaux, les édifices institutionnels ou les gymnases et méga-gymnases sont de véritables passoires thermiques.
M. Alain Bertrand. Si leur rénovation était financée, ou si du moins on engageait un processus permettant aux élus, notamment aux présidents de communauté de communes, d’entrevoir les modalités d’un cofinancement de ce chantier, nous savons tous qu’une étape importante serait franchie, car là réside la première source d’économies énergétiques pour notre pays.
Cet exemple illustre, à mon sens, la nécessité d’une vraie stratégie financière. Je sais bien, madame la ministre, que les temps sont difficiles ; mais il faut savoir s’il s’agit d’une priorité ou non. Je crois que c’en est une pour vous, et que vous avez l’oreille du Premier ministre et du Président de la République.
Bien que le projet de loi soit bon, il manque, sur ce sujet comme sur d’autres, de pragmatisme et de bon sens. Le pragmatisme et le bon sens sont pourtant la clé de la compréhension des mesures par les élus et par les citoyens. Or, si elles sont comprises, elles susciteront un effet d’entraînement politique, qui se répandra dans tout le pays.
Prévoir, planifier au niveau local, aider financièrement, favoriser les mesures de bon sens et fixer des objectifs clairs par moyens de production : tels sont les principes que nous devons avoir à l’esprit.
Quand un élu sollicite le préfet ou le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement au sujet d’un projet de développement éolien, il s’entend répondre : mon pauvre, le schéma régional de développement éolien ne prévoit rien de tel ! Sans compter que la moitié des élus du département sont contre le projet pour satisfaire leur électorat. Et puis, il en va de ces projets comme des autoroutes : il suffit que le tracé passe par le terrain du cousin d’un conseiller municipal pour que tout soit bloqué !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Bertrand. Madame la ministre, vous auriez dû fixer des objectifs de production par secteur : tant pour la méthanisation, tant pour l’éolien et tant pour la petite hydroélectricité. Ainsi, vous auriez favorisé la transition entre le nucléaire, un secteur qui nous est cher à tous et dans lequel nous devons maintenir notre avantage, et les énergies renouvelables, que nous souhaitons tous développer.
M. le président. Concluez, monsieur Bertrand !
M. Alain Bertrand. En définitive, je suis de l’avis de Jacques Mézard et de Didier Guillaume – qui n’ont pas des points de vue tellement opposés, pour une fois (Sourires.) – : ce projet de loi est très positif et ambitieux, mais veillez, madame la ministre, avec le concours du Sénat, à l’améliorer encore, en vue d’une plus grande simplicité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Nous allons nous y employer !
M. le président. Veuillez vous efforcer, mes chers collègues, de respecter le temps de parole qui vous est imparti.
La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, alors que la France accueillera, à la fin de cette année, la conférence sur le climat, les enjeux énergétiques, au niveau tant national que mondial, sont plus que jamais au centre des attentions. Annoncé comme l’un des chantiers les plus importants du quinquennat, le projet de loi dont nous avons débuté l’examen cet après-midi était donc très attendu.
Il s’inscrit dans la continuité des deux Grenelles de l’environnement, brillamment menés par Jean-Louis Borloo, n’en déplaise à notre collègue Alain Bertrand. Aussi les sénateurs du groupe UDI-UC portent-ils un regard d’ensemble assez positif sur les intentions qui ont inspiré ce projet de loi. Force est pourtant de constater que son contenu n’est pas à la hauteur des attentes des professionnels et des élus.
Une nouvelle fois, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, alors que ce projet de loi mérite un examen approfondi : le nombre d’amendements déposés à l’Assemblée nationale comme au Sénat témoigne de l’importance des travaux à mener sur les enjeux énergétiques. Dans ces conditions, madame la ministre, pourquoi ne pas avoir laissé la procédure législative suivre son cours normal ? Il est, d’ailleurs, encore temps de le faire : vu que nous attendons ce projet de loi depuis le début du mandat du Président de la République, je ne crois pas que quelques semaines d’examen supplémentaires poseraient problème ; je pense au contraire qu’une deuxième lecture apporterait une plus-value évidente aux réflexions engagées.
Je commencerai par dire quelques mots de la forme du projet de loi.
Il conjugue des déclarations d’objectifs dénuées d’effet immédiatement identifiable avec une multitude de petits détails techniques, parfois à la limite du domaine réglementaire et dont la portée financière et technique est difficile à appréhender. Il manque également de cohérence sur les objectifs qu’il affiche : des objectifs bien trop ambitieux compte tenu des outils et des financements mis à la disposition des acteurs de la transition. En effet, aucune traduction financière des ambitions exposées n’est présentée !
De même, en ce qui concerne l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments, un domaine où des mesures étaient très attendues, le projet de loi ne prévoit aucun engagement financier d’envergure ni aucun chiffrage.
Certaines de ses dispositions aggravent même les contraintes administratives déjà très lourdes ; je pense en particulier au carnet numérique de suivi et d’entretien du logement, qui me semble totalement inapproprié pour le patrimoine immobilier déjà bâti. J’ai déposé sur ce sujet un amendement dont nous débattrons un jour prochain.
Nous attendons, en effet, des réponses concrètes aux dérives de la complexité normative. Madame la ministre, où est l’analyse coûts-avantages des nouvelles normes que vous souhaitez imposer ?
Près des deux tiers des 4 000 maires qui ont répondu au questionnaire sur la simplification lancé par le président Larcher à l’occasion du dernier congrès des maires ont désigné l’urbanisme, et un quart l’environnement, comme secteur prioritaire de la simplification des normes. C’est à cette attente, madame la ministre, que le Gouvernement et les parlementaires doivent répondre, en instaurant plus de souplesse et non plus de complexité.
Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de traiter de l’ensemble des mesures que le projet de loi comporte. Je souhaite seulement souligner l’intérêt que présentent certaines d’entre elles.
Je pense en particulier au développement du recyclage et du réemploi, ainsi qu’à la valorisation des déchets. À cet égard, l’interdiction des sacs plastiques à usage unique qui, ne se dégradant pas, provoquent une importante pollution constitue une avancée très positive. J’ai déposé un amendement visant à étendre cette interdiction aux emballages de journaux et de publicité destinés à l’envoi postal à compter de 2020, échéance qui permettra une transition progressive pour les acteurs de la filière.
Les dispositions relatives aux véhicules propres méritent également d’être soutenues. En effet, la stratégie nationale pour le développement de ces véhicules constitue, à mon sens, un point fort du projet de loi. Seulement, madame la ministre, pourquoi n’avoir traité du transport que sous ce seul aspect ? De fait, les autres modes de transport sont totalement passés sous silence, ce qui est assez décevant.
Enfin, j’appuie également les mesures visant à mieux informer le public sur la filière nucléaire, filière d’excellence et outil de compétitivité auxquels le groupe centriste est très attaché. À ce propos, nous regrettons que les arbitrages financiers qui s’imposent entre le soutien à cette filière et les investissements nécessaires au développement des énergies renouvelables, qui sont considérables comme le montre la contribution au service public de l’électricité, ne soient pas inscrits dans le projet de loi.
En vérité, des choix financiers lucides devraient aujourd’hui être opérés : soutenons le mix énergétique à partir des énergies renouvelables rentables qui font leurs preuves, et laissons de côté celles qui constituent aujourd’hui un gouffre financier !
Madame la ministre, votre projet de loi est trop national et trop centralisateur.
En effet, la transition énergétique que vous proposez ne réserve aucune place aux enjeux européens. Comme nos collègues centristes de l’Assemblée nationale, nous pensons que ce n’est pas ce projet de loi qui insufflera l’élan nécessaire en faveur d’une ligne européenne forte et commune ; de ce point de vue, il représente un vrai rendez-vous manqué. Au vrai, sur quels sujets nous sommes-nous concertés avec nos voisins européens en termes de recherche, de coordination et d’échange dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’accès aux matières premières nécessaires à notre industrie ?
Le projet de loi est également trop centralisateur et contraignant pour les acteurs locaux. Or notre groupe est convaincu que la transition énergétique se fera par les territoires : c’est pourquoi il aurait fallu donner aux collectivités territoriales une réelle compétence énergétique et intégrer au projet de loi des mesures en ce sens. À cet égard, je soutiens la démarche de ma collègue Chantal Jouanno, qui a déposé un amendement visant à faire confiance au terrain et aux collectivités territoriales en donnant à ces dernières la possibilité de procéder à des expérimentations dans l’ensemble de leur champ de compétence, afin de participer à la réalisation des objectifs fixés.
Il conviendrait aussi de desserrer l’étau imposé par la baisse des dotations de l’État, qui empêche les collectivités territoriales d’investir, faute de capacités de financement suffisantes.
En définitive, il me semble que ce projet de loi aux multiples mesures et objectifs n’est pas de nature à entraîner une réelle transition ni à lancer une dynamique permettant à la France de se fixer un cap national et de s’imposer au niveau international comme moteur incontournable d’un modèle énergétique novateur. Les sénateurs du groupe UDI-UC réservent leur vote : ils se détermineront en fonction de la discussion des amendements et des avancées qui en résulteront. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. René Danesi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trois rapporteurs de l’UMP se sont exprimés au début de la discussion générale. Ces rapporteurs, madame la ministre, ont été très bienveillants à l’égard de votre texte. Méfiez-vous cependant : leur bienveillance a des jalons, peut-être même des limites.
Louis Nègre s'est exprimé avec passion, avec amour même lorsqu’il s'agit des voitures, des transports et des maisons, mais il a appelé notre attention collective sur un sujet majeur : la complexité réglementaire et administrative susceptible de découler de cet excellent catalogue d’intentions qui risquent de souffrir à l’épreuve des faits.
Ladislas Poniatowski, pour sa part, était un rapporteur apaisé, et il a voulu – avec raison – situer votre texte dans la ligne des textes précédents de votre majorité et aussi de la nôtre – au fond, une tendance commune s'est dessinée depuis « Grenelle » –, mais il est resté très ferme sur l’article 1er, ne comprenant pas la rapidité avec laquelle vous pensez pouvoir – j’ai presque envie de dire : vous prétendez pouvoir – mettre en œuvre le plafond de 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité totale.
Quant à Jean-François Husson, je le cite parce c'est un rapporteur très avisé. Il vient de la commission des finances, il a regardé les chiffres et il s'est rendu compte que tout cela revenait très cher, et qu’il y avait au moins un sujet sur lequel il était bon que le Parlement reprenne la main, c’était l’importance de la CSPE.
Madame la ministre, vous le voyez, vous n’avez pas d’adversaires, mais vous avez des partenaires qui sont exigeants.
Sur un point, vous avez cependant un adversaire : moi-même. En effet, et mon intervention concernera ce seul point, je suis résolument opposé à l’article 1er, alinéa 28, et à l’article 55, alinéa 18, dispositions plafonnant respectivement la part du nucléaire dans la production électrique nationale, et d’une façon générale le volume de la production d’électricité d’origine nucléaire dans notre pays. Pourquoi cette opposition ?
Je m'exprimerai, madame la ministre, avec des sentiments très personnels. Le nucléaire, c'est une belle histoire française. Au début, il y a le général de Gaulle et un savant communiste, qui s'entendent pour créer le CEA (M. Michel Le Scouarnec opine.), le Commissariat à l’énergie atomique, puis on assistera tout au long de la IVe et de la Ve République, malgré les alternances, à une continuité dans cet effort qui sur le plan militaire comme sur le plan civil donnera à la France les éléments de son indépendance.
J’ai moi-même vécu beaucoup d’alternances depuis que je suis parlementaire : sur l’essentiel en matière de nucléaire, nous avons gardé la ligne. Cette continuité, je l’ai vécue comme ministre de l’industrie, pour avoir eu la responsabilité de mettre en œuvre la loi de 1991 – le texte en avait été proposé par le député Christian Bataille dont je salue la fille, qui siège dans cet hémicycle –, dont personne ne voulait. Il a fallu non seulement un ministre de droite pour la mettre en œuvre, mais aussi deux départements modérés pour accueillir le seul site, ce qui prouve que le nucléaire, tout le monde est pour, à condition de ne pas toujours en assumer la responsabilité…
Or c'est exactement, madame la ministre, ce que vous allez casser à travers ce signal fort de contestation, de refus et, au fond, de rejet implicite du nucléaire ainsi donné au pays. Vous n’allez pas plus loin que 50 %, mais on plafonne inutilement au moins cela.
Les parlementaires et les sénateurs en particulier ont regardé l’excellent document de décembre 2011 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ce n’est pas un rapport de maniaque du nucléaire, c'est un rapport ouvert, qui dit qu’en effet après Fukushima, compte tenu de la sensibilité de l’opinion et parce que les technologies évoluent, on peut, à côté du nucléaire, chercher une relève. Toutefois, ce rapport propose une date – 2050, on est loin de 2025 –, retient un pourcentage ouvert – 50 % à 60 % – et, surtout, in fine n’encadre pas la production électrique.
Vous, vous avez en même temps l’idée de plafonner la part du nucléaire, de plafonner la production et, si j’ai bien compris – mais avec les 650 pages de chacun des rapports, c'est assez lourd à comprendre –, de plafonner, et si possible de réduire, la production électrique, en incitant les industriels à ne pas l’utiliser. Vous me direz, au rythme auquel ferment les usines, il risque de ne plus y avoir d’électro-intensifs en France dans quelques années. (M. Bruno Retailleau sourit.)
Je reviens à un aspect plus sérieux. Vous avez donc un système contraignant qui ne peut être mis en œuvre qu’au prix de fermetures d’unités de production, ce que le rapporteur Ladislas Poniatowski a d'ailleurs évoqué d’une façon très précise avec Flamanville – mais il y a d’autres centrales concernées, je pense à Penly un jour. Si vous voulez retirer un tiers des capacités électriques, comme il y a cinquante-huit réacteurs, cela fait, à la louche, dix-neuf réacteurs à supprimer en dix ans. Faites le calcul, c'est simplement absurde. Je suis sûr, madame la ministre, que vous m'apporterez des apaisements.
On peut assurer une relève du nucléaire, mais certainement pas en organisant une débandade et, pourquoi ne pas le dire, une « casse » des installations existantes.
La mise en œuvre de ces dispositions prévues aux articles 1er et 55 n’est ni possible ni souhaitable. C'est impossible à cause du coût financier (M. le président de la commission des affaires économiques acquiesce.) Notre collègue René Danesi l’a dit avec beaucoup de raison : sur Fessenheim, il ne se passe rien. Pourquoi ? Parce que chacun mesure qu’une fermeture serait inutile et ruineuse.
Chaque centrale que vous voudrez fermer avancera les mêmes arguments, qu’il s’agisse des arguments économiques ou des arguments d’impact social sur l’emploi localement, et vous serez dans l’impossibilité d’agir.
En outre, – ce point a d'ailleurs été également évoqué – la substitution n’est pas au rendez-vous. On le voit très bien outre-Rhin, où les Allemands, suivant une tradition de discipline, d’organisation et d’efficacité, ont abandonné le nucléaire comme un seul homme : l’Allemagne est devenue le pays du lignite, du charbon, c'est-à-dire le pays de l’énergie carbonée – la plus condamnable de votre point de vue.
Vous parviendriez donc à faire exactement le contraire de ce que vous souhaitez si vous poursuiviez ce projet absurde d’encadrer pour 2025 la production nucléaire et, en fait, de démanteler un certain nombre de réacteurs dont on ne connaît ni la localisation ni le nombre exact.
Pourquoi la mise en œuvre de telles dispositions n’est-elle pas souhaitable ? Là, mon propos se fera plus grave. La France, c'est 1 % de la population mondiale. Nous avons une économie qui représente 3 % à 4 % de la production mondiale et un commerce extérieur aujourd'hui déficitaire, avec des parts de marché qui diminuent. Or nous avons manqué, ces dix dernières années, – à l’exception de la Grande-Bretagne – la plupart des grandes exportations de réacteurs nucléaires, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, parce l’État n’a pas fait son devoir d’actionnaire. C'est tout de même extraordinaire ! On veut du dirigisme, du volontarisme, et voilà un secteur dominé par l’État – pour EDF, pour Areva, pour la science avec le CEA – et qui arrive en désordre dans des négociations internationales où l’on estime en général que le pouvoir politique a un rôle à jouer. Mais le nucléaire, ce sont des dizaines de milliers d’emplois, le grand carénage, ce sont 100 000 emplois directs et indirects qui pourraient être mobilisés extrêmement rapidement…
Ou bien l’on choisit le chômage (M. Joël Labbé s'exclame.) et la poursuite de préoccupations de type idéologique, ou bien l’on choisit le travail. Si on choisit le travail, on choisit le nucléaire, car il y a des demandes immédiates, des besoins immédiats, des capacités immédiates ainsi qu’un savoir-faire qui doit être entretenu.
Comment croyez-vous que l’on puisse vendre des centrales nucléaires à l’étranger ? Et d’ailleurs, quelles centrales ? Il faut en effet diversifier l’offre, ce qui suppose d’investir et de soutenir avec le marché national les centrales que l’on pourrait vendre à l’extérieur.
M. Didier Guillaume. C'est ainsi que l’on a perdu Abou Dhabi !
M. Gérard Longuet. Cette diversification, nous ne l’avons pas faite, l’État ne l’a pas faite – c'est du moins ce que je constate. Mais si nous annonçons la fin du nucléaire dans notre pays,…
M. Roland Courteau. Qui l’a annoncé ? C'est vous qui le dites !
M. Didier Guillaume. Personne ne dit cela, en effet !
M. Gérard Longuet. … il est évident que l’abandon du nucléaire ne nous rendra plus crédibles à l’extérieur.
Je voudrais terminer en évoquant l’idée de justice, cher collège Didier Guillaume ! Dans les années quatre-vingt, le frère du milliardaire Jimmy Goldsmith – qui était à l’époque propriétaire de l’Express et qui est décédé depuis – fut l’un des pionniers de l’écologie en Grande-Bretagne et dans le monde. Son frère en France mena une croisade fondée sur le prix excessif de l’électricité nucléaire payée par les Français. De fait, entre 1970 et 1990, les Français ont payé l’électricité plutôt plus cher que ceux qui – comme les Allemands – fonctionnaient à l’énergie thermique, parce qu’ils investissaient.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. C'est exact.
M. Gérard Longuet. Aujourd'hui, au moment où les consommateurs pourraient récupérer les fruits d’un investissement qu’ils ont financé par le biais de leurs factures – l’État n’a rien apporté –, on va leur en retirer le bénéfice pour satisfaire des préoccupations politiques (M. Ronan Dantec le conteste.), cher collègue Ronan Dantec, qui n’ont pas le moindre fondement logique, rationnel, technique, scientifique ou économique !
Voilà les raisons pour lesquelles, madame la ministre, avec conviction – et dans la limite des sept minutes qui m'étaient imparties –, je ne peux en aucun cas voter les articles 1er et 55 tels qu’ils avaient été adoptés par l’Assemblée nationale, et sans doute tels que vous aurez à cœur de les défendre, ce qui créera alors un fossé entre nous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires économiques et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une chose me paraît certaine : le XXIe siècle ne saurait être la répétition du précédent, au cours duquel la consommation d’énergie a été multipliée par deux avec abondance d’émissions de gaz à effet de serre.
Alors, parce que notre pays fait face à des défis climatiques et énergétiques sans précédent, parce que la lutte contre le réchauffement climatique est non seulement une cause planétaire, européenne, nationale, mais peut être aussi un nouveau levier de sortie de crise et de croissance durable et solidaire, je tiens à saluer, d’emblée, l’esprit ambitieux de ce texte, son audace et sa force.
C'est une belle opportunité historique de s'orienter vers un autre modèle énergétique, plus participatif, plus sobre, plus équilibré. C'est aussi une belle opportunité de lutte contre l’écolo-scepticisme qui se développe depuis le sommet de Copenhague, en réaffirmant que non, l’environnement, ça ne commence pas à bien faire...
Oui, la transition énergétique est à la fois une nécessité et une formidable opportunité pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, réduire nos importations d’énergies fossiles ainsi que cette facture énergétique de quelque 69 milliards d’euros. Ne vaut-il pas mieux consacrer des dizaines de milliards à nos territoires plutôt qu’aux pays producteurs d’hydrocarbures ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Roland Courteau. Oui, c’est une belle opportunité d’améliorer notre compétitivité, de créer des emplois non délocalisables et des filières nouvelles, d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages et de lutter contre la précarité énergétique qui frappe huit millions de nos compatriotes.
Oui, madame la ministre, ce texte est de première importance, et je vous en félicite, car il nous donne, d’une certaine manière, rendez-vous avec l’histoire. La France doit avoir pour ambition de devenir une grande puissance écologique, un modèle et une référence.
Ce texte le permet en conciliant économie et écologie. Il peut aussi, dans le même temps, porter la transition énergétique comme un projet de relance de la dynamique de construction européenne. Bref, la France, par son exemplarité en ce domaine, peut contribuer à assurer le succès de l’ordre de mobilisation mondiale des nations contre le changement climatique qui doit être signé à Paris.
Mes chers collègues, est-ce si exagéré de considérer que le sort du monde se joue en partie dans la capacité des pays à se mobiliser dans la lutte contre le changement climatique ? Qui n’a déjà constaté que les catastrophes climatiques survenues partout sur la planète démontrent largement la vulnérabilité des sociétés humaines devant la force de la nature, lorsque ces sociétés sont construites dans le déni de l’environnement ?
M. Jacques-Bernard Magner. Il a raison !
M. Roland Courteau. Oui, les sirènes de l’urgence climatique sont de plus en plus stridentes ! On dit que la planète terre est en danger… Non, la Terre, elle en a vu d’autres depuis quatre milliards et demi d’années. En fait, ce qui est en danger, c’est la biodiversité, et peut-être même l’humanité. Voilà pourquoi nous devons passer d’une société fondée sur une consommation abondante d’énergies fossiles à une société plus sobre et écologiquement plus responsable.
M. Jacques-Bernard Magner. Bravo !
M. Roland Courteau. Il n’y a pas de meilleure réponse à la raréfaction des ressources naturelles ! Il n’y a pas de meilleure réponse dans cet environnement mondial tourmenté au plan climatique ! Il n’y a pas de meilleure réponse dans ce monde plein d’incertitudes géopolitiques – je pense notamment au Moyen-Orient et à l’Ukraine ! Il n’y a pas de meilleure réponse, enfin, face à cette précarité énergétique qui touche 13 % des Françaises et des Français !
Car une politique sociale-écologique consiste à articuler enjeux sociaux et défis environnementaux.
Oui, il y a bien urgence climatique, comme on l’a dit avant moi, il y a bien urgence sociale, et il y a bien urgence économique !
L’article 60 crée le chèque énergie, qui profitera à tous les consommateurs d’énergie en situation de précarité énergétique – y compris ceux qui se chauffent au fioul ou au bois, qui avaient été oubliés. C’est une avancée importante. Toutefois, nous proposerons, par voie d’amendement, d’en améliorer l’application.
Cela dit, je crois fortement en l’idée selon laquelle la plus grande marge de manœuvre que nous ayons pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages et lutter contre la précarité énergétique se situe dans les économies d’énergie, et donc dans la rénovation thermique des millions de logements passoires. (M. Jacques-Bernard Magner opine.)
Force est de le constater, nous avons en France un immense gisement d’énergie. Je veux parler du gisement des économies d’énergie.
Je reste persuadé que, dans ce domaine, nous disposons d’énormes marges de progression, car, en matière d’efficacité énergétique, nous sortons depuis peu de la préhistoire. Je vous félicite, madame la ministre, d’avoir fait de la rénovation thermique des bâtiments une priorité. Il y a là vraiment une urgence écologique, économique et sociale. Je pense à la lutte contre les logements passoires, à la crise du bâtiment, au droit de chacun à un logement décent. Les outils pour atteindre ces objectifs sont bien là, démultipliés.
Toutefois, il m’est arrivé d’entendre dire que l’objectif d’une réduction de 50 % de la consommation d’énergie d’ici à 2050 serait susceptible de nuire à la compétitivité et à la croissance. C’est tout simplement le contraire, car il ne s’agit en aucun cas de restrictions, mais bien d’efficacité énergétique et de maîtrise de l’énergie.
L’efficacité énergétique, c’est consommer mieux, en consommant moins et en produisant autant ou plus.
Même préoccupation en ce qui concerne les gaz à effet de serre ou la réduction de la consommation des énergies fossiles. Le secteur transports sera notamment traité par mon collègue Jean-Jacques Filleul.
« L’avenir de l’automobile, c’est l’électricité », affirmait Thomas Edison. Il s’adressait à un certain Henry Ford, que nous connaissons bien. Ainsi, quatre-vingt-cinq ans plus tard, nous lui donnons raison !
Vous avez eu raison de le souligner, le système linéaire de notre économie, qui consiste à extraire, fabriquer, consommer puis jeter, a atteint ses limites. Voilà pourquoi il était temps de promouvoir l’économie circulaire.
Mes chers collègues, permettez-moi de revenir sur un point qui a fait débat en commission des affaires économiques et qui fera débat ici même, à savoir l’objectif affiché par le texte initial, qui fixe la part du nucléaire dans le bouquet énergétique à 50 % à l’horizon 2025. C’est un objectif ambitieux et mobilisateur, qui doit requérir l’action des acteurs publics.
En revanche, je ne suis pas certain que l’objectif de ramener la part du nucléaire à 50 % « à terme », c'est-à-dire aux calendes grecques, soit particulièrement mobilisateur. Pourtant, le texte issu des travaux de la commission reconnaît d’une certaine manière qu’un rééquilibrage à 50 % est souhaitable.
La volonté de réduire la part du nucléaire à 50 % en 2025 est motivée par la nécessité d’amorcer sa décroissance, afin de rééquilibrer plus rapidement le bouquet énergétique.
Notre groupe considère que notre modèle de transition est celui d’une complémentarité entre le nucléaire, d’une part, et les énergies renouvelables, d’autre part.
En fait, il s’agit d’étaler dans le temps les investissements, nécessaires mais colossaux, dans les centrales, tout en encourageant les recours aux énergies renouvelables. En effet, même si l’on prolonge la vie des centrales jusqu’à 40, 50 ou 60 ans, il faudra bien les changer un jour ! Nous aurons moins de difficultés si nous sommes dépendants du nucléaire à 50 % plutôt qu’à 78 %.
Une telle volonté n’est pas contradictoire avec celle de maintenir l’excellence de la filière nucléaire,…
M. Gérard Longuet. Mais si !
M. Roland Courteau. … en achevant Flamanville, en soutenant les exportations, ou en travaillant, comme le fait le CEA, pour la quatrième génération, celle des réacteurs à neutrons rapides.
À cet égard, l’amendement présenté par le Gouvernement nous satisfait. Il répond à la crainte que la baisse de la part du nucléaire ne puisse être compensée par les seules énergies renouvelables. Il précise que la baisse du nucléaire accompagne la montée en puissance des énergies renouvelables et il rétablit l’horizon de 2025, qui fixe un cap ambitieux pour mobiliser l’ensemble des acteurs. Nous le soutiendrons.
L’objectif de 50 % à l’horizon 2025 est-il possible ou impossible ? Nelson Mandela disait : « Cela paraît toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait. » Justement, ce texte vise à renforcer le soutien aux énergies renouvelables, victimes par le passé de « vents contraires », à savoir l’absence d’un cadre prévisible et stable ou la multiplication des recours juridiques de ses opposants, vent debout contre les éoliennes, notamment.
J’en suis convaincu, les énergies renouvelables et les nouvelles technologies de l’énergie offrent l’opportunité d’une nouvelle révolution industrielle et sociétale. La première révolution industrielle s’est appuyée sur le charbon ; la deuxième, c’est l’alliance de la communication électrique avec le moteur fonctionnant au pétrole. Nul doute que la troisième révolution industrielle alliera la technologie d’internet et les énergies renouvelables.
M. Gérard Longuet. Et les énergies tout court !
M. Roland Courteau. Or ce texte lève bien des freins au développement des énergies renouvelables, libère les initiatives en faveur des nouvelles technologies de l’énergie, et favorise le financement participatif des collectivités et des habitants, pour donner à ces énergies un véritable essor.
Mes chers collègues, évitons que les débats conflictuels sur le nucléaire ou les gaz de schiste occultent l’existence d’énergies vraiment consensuelles à portée de main. Avant d’aller chercher des gaz de schiste à 1 000 ou 2 000 mètres sous terre, commençons par valoriser les énergies dont on connaît l’existence, là, sur terre, à portée de main, qui se trouvent dans une matière organique abondante et accessible.
Alors n’hésitons pas, en ce domaine, « à faire feu de tout bois » !
M. Gérard Longuet. C’est le cas de le dire !
M. Roland Courteau. Et je ne pense pas seulement à la biomasse, énergie stockable et non intermittente, ou à la forêt, véritable puits de carbone, qui séquestre 12% des 540 millions de tonnes de CO2 que nous produisons chaque année.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Roland Courteau. Avant de terminer, je voudrais simplement vous poser une question, madame la ministre.
Aujourd’hui, les producteurs d’énergies renouvelables intermittentes sont les seuls à ne pas appliquer le statut national des industries électriques et gazières, qui constitue la réglementation sociale des producteurs d’électricité.
M. Gérard Longuet. Heureusement, sinon ils seraient ruinés !
M. Roland Courteau. Or le programme éolien offshore va donner une dimension industrielle à ce type d’énergie.
Pouvez-vous m’indiquer s’il est dans les intentions du Gouvernement de veiller à ce que ce statut soit appliqué aux personnels travaillant pour l’exploitation des éoliennes offshore ?
M. le président. Merci, monsieur Courteau !
M. Roland Courteau. J’en termine.
Certes, la transition énergétique aura un coût, mais ne rien faire coûterait mille fois plus à nos sociétés. Cette législation est d’avant-garde. Ce texte créera un élan, celui d’une écologie positive.
« Le futur n’attend pas », ai-je pu lire quelque part. Alors, mes chers collègues, inventons-le maintenant, avec vous, madame la ministre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la transition énergétique fera date dans l’histoire de notre pays. Évidemment, nous aurons l’éternelle querelle entre les partisans du tout-nucléaire et ceux qui souhaitent le réduire, voire en sortir. Je sais que nous resterons sur un désaccord sur ce sujet. Heureusement, beaucoup de points de convergence se font jour par ailleurs s’agissant de ce projet de loi.
Le point clé de cette transition énergétique, ce sont les économies d’énergies. L’électricité la moins chère, c’est celle que l’on ne consomme pas,…
M. Ronan Dantec. C’est vrai !
M. Joël Labbé. … on le dit souvent, et il faut le redire encore.
J’ajouterai simplement quelques mots, pour compléter l’excellente présentation, par mon collègue Ronan Dantec, des positionnements écologiques de notre groupe.
Nous avons de grands défis à relever, notamment dans le domaine du bâtiment, avec 500 000 logements par an à construire et autant à rénover d’ici à 2017.
Ce chantier est immense. Outre le fait d’être vertueux pour le climat, il doit permettre une véritable relance durable de l’activité du bâtiment, avec le maintien et la création d’emplois associés, durables et non délocalisables.
J’évoquerai une fois encore l’activité agricole. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) L’agriculture intensive est aujourd’hui responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre :…
M. Rémy Pointereau. Ça, c’est vrai !
M. Joël Labbé. … engrais et intrants chimiques, surlabours, monoculture, tassement et stérilisation des sols, concentration d’élevages intensifs, importation de soja à 80 % transgénique d’Amérique du Sud… autant de pratiques qui contribuent au dérèglement climatique.
Par effet « boomerang », l’agriculture sera évidemment une des principales activités à subir les conséquences des changements climatiques, s’il n’y a pas de transition agricole.
À l’inverse, des activités agricoles adaptées, qui protègent la vie des sols en en reconstituant l’humus, qui préservent des prairies permanentes, qui pratiquent la polyculture, permettent aux sols et aux productions agricoles d’être de formidables puits de carbone.
À l’échelle mondiale, on estime par exemple qu’une augmentation relative des stocks de carbone des sols de 4 ‰ par an permettrait de compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète. C’est un levier formidable, que nous devons mesurer et dont nous devons tirer parti.
Aussi, l’agriculture familiale, en France comme partout dans le monde, doit être préservée comme garante des sols vivants,…
Mme Pascale Gruny. On n’aura plus à manger !
M. Joël Labbé. Je regrette, cette agriculture peut et doit nourrir la planète !
L’agriculture familiale joue un triple rôle : elle produit une alimentation de qualité, respecte la biodiversité et préserve les équilibres climatiques.
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Joël Labbé. Il faudra nécessairement reconnaître et rémunérer les services environnementaux rendus par une agriculture respectueuse de la planète.
M. Gérard Longuet. Il n’y a pas d’argent !
M. Joël Labbé. Ce que vous dites est irresponsable !
J’évoquerai brièvement d’autres amendements que je défendrai au cours de la discussion de ce texte.
L’un d’entre eux concerne la transition vers les agrocarburants dits « avancés » de deuxième génération, qui visent à remplacer ceux de première génération. Alors que 800 millions d’êtres humains ne mangent pas à leur faim, il est insensé de sacrifier des millions d’hectares de terre nourricière, en particulier dans les pays du sud, pour faire rouler nos voitures. (M. Gérard Longuet s’exclame. – Mme Marie-Noëlle Lienemann ainsi que MM. Thani Mohamed Soilihi et Ronan Dantec applaudissent.)
Mme Cécile Cukierman. Il a raison !
M. Joël Labbé. S’agissant de la méthanisation, il convient selon nous d’interdire l’utilisation de cultures dédiées pour alimenter les digesteurs, et ce pour les mêmes raisons.
Enfin, nous voulons interdire les pesticides sur les voiries des collectivités territoriales, afin de compléter la loi portant mon nom, qui ne concerne que les espaces naturels. Certaines collectivités l’ont déjà fait, notamment des départements alors qu’ils gèrent des milliers de kilomètres de routes. En effet, interdire le traitement des espaces naturels et autoriser le traitement des espaces imperméabilisés que sont les voiries, cela ne tient pas !
Nous accueillerons à Paris à la fin de l’année la conférence mondiale sur le climat. La France doit montrer l’exemple dans ce domaine (M. Gérard Longuet s’exclame.), et dégager des pistes originales pour maintenir un équilibre atmosphérique vivable pour nos enfants et les générations futures. Madame la ministre, vous avez un rôle essentiel à jouer dans ce cap de la fin de l’année 2015 aux yeux de la France et du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du président Larcher, le bureau du Sénat a confié en novembre 2014 à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation une mission d’évaluation et de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Le bureau a ainsi voulu que, sans empiéter sur l’examen au fond effectué par les commissions permanentes, nous formulions une réponse concrète et efficace à l’exaspération des élus locaux à l’égard d’un phénomène étouffant pour l’initiative locale, à savoir la prolifération dans notre ordonnancement juridique de normes inapplicables, inextricables ou inabordables, autrement dit la complexité administrative.
M. Didier Guillaume. Cela fait longtemps que ça dure !
M. Rémy Pointereau. Notre première saisine porte sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est une excellente entrée en matière, l’énergie étant un champ de compétence traditionnel et important des collectivités territoriales. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation monte donc au créneau de la simplification, avec l’actif concours de mon excellent collègue des Deux-Sèvres, M. Philippe Mouiller.
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. Il ne s’agit pas de vider de toute sa substance ce texte ni de remettre en cause l’excellent travail de nos deux rapporteurs, Ladislas Poniatowski et Louis Nègre ; il s’agit d’être réaliste et pragmatique.
Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est question d’un texte « qui opte pour la clarté, la simplicité et la stabilité des règles », d’un projet de loi « d’incitation qui préfère lever des obstacles plutôt qu’alourdir des contraintes ». La lecture du projet de loi, tout du moins de ses dispositions applicables aux collectivités territoriales, montre malheureusement tout le contraire de ce qui est inscrit dans l’exposé des motifs : elle atteste une complexité non maîtrisée impliquant tout de suite et plus encore à terme une augmentation significative du niveau des contraintes de tous ordres qui pèsent sur les collectivités territoriales.
Votre texte, madame la ministre, associe en effet à des déclarations d’objectifs dont la portée juridique est floue un semis de petites dispositions modificatrices dont l’impact technique et financier est tout aussi difficile à appréhender. D’ailleurs, le Conseil national d’évaluation des normes vous a transmis la même analyse.
Ce faisant, le projet de loi surajoute des obligations nouvelles à d’autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien, mais compliquant tout. La majesté des grands énoncés juxtaposée à l’empilement lilliputien des dispositifs : voilà le premier marqueur du projet de loi !
Je disais que ce projet de loi complique ; j’ajoute qu’il renchérit. Largement indifférent à l’analyse coûts-avantages des normes qu’il crée, il est en effet emblématique du comportement assez schizophrénique d’un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours.
Ajoutons que le projet de loi est emblématique d’une autre cause majeure de la complexité, qui est l’uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d’isolation imposées apparemment de manière identique d’un bout à l’autre du territoire sans que, comme il semble à la lecture du texte, la profonde diversité des climats soit prise en compte ?
On ne peut en rester là. On ne le peut d’autant moins que les élus locaux nous adressent sur l’inflation et la complexité normatives des messages dénués d’équivoque. Le questionnaire sur la simplification lancé par le président Gérard Larcher à l’occasion du congrès des maires de 2014 a permis de bien identifier et hiérarchiser leurs attentes. Deux tiers des plus de 4 000 répondants ont désigné l’urbanisme et un quart ont désigné l’environnement comme les secteurs prioritaires de la simplification des normes.
Les élus attendent clairement le Sénat sur le terrain de la simplification. Notre assemblée doit en être le moteur. Ce terrain est en grande partie celui de l’environnement et celui du droit de la construction.
Nous avons le devoir de tenir compte de ces attentes en examinant le projet de loi relatif à la transition énergétique. Alors, comment faire pour être plus efficace en termes de simplification ? La question est véritablement centrale, parce que la simplification est une opération à la fois technique et politique et met en œuvre, en fonction de ces deux critères, une vaste gamme de méthodes allant de la simplification radicale à ce que j’appellerai la simplification chirurgicale.
Nous avons choisi le minimalisme, plus approprié, pour une entrée en matière. Ce minimalisme, c’est ce que j’appelais à l’instant la frappe chirurgicale. Celle-ci appelle la précision. C’est pourquoi nous avons identifié six thématiques de simplification en fonction desquelles il nous a été possible de repérer la complexité à laquelle il faut s’attaquer en priorité. Je pense en particulier aux dispositions imposant de nouvelles obligations aux collectivités territoriales et à celles dont le coût sera probablement excessif par rapport aux avantages que l’on en attend.
Voici quelques exemples : l’article 5 prévoit une obligation de réaliser des travaux d’isolation ou d’étude à l’occasion de travaux de ravalement de façades ;…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Rémy Pointereau. … l’article 9 renforce l’obligation d’achat de 20 % de véhicules propres ; l’article 18 porte sur les plans de déplacements urbains et les plans locaux d’urbanisme.
C’est principalement sur ces deux terrains que nous avons essayé de progresser, palliant par l’intelligence territoriale les insuffisances des études d’impact, notamment en matière financière. Nous avons ainsi pu nous faire une idée assez juste, me semble-t-il, des problèmes que pose le projet de loi du point de vue qui nous intéresse, et nous espérons remplir par nos propositions – une vingtaine d’amendements – la mission qui nous a été confiée, celle de la simplification des normes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte important et innovateur. Dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement, il traduit une volonté politique forte : tendre vers un nouveau mode de production et de croissance. Il a par nature fonction et capacité à révolutionner les comportements, du producteur aux consommateurs, en passant par tous les acteurs, au service d’une croissance plus économe en énergies, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, en accord avec les nouvelles exigences qui découlent du changement climatique.
La transition énergétique et écologique est l’occasion de renouer avec une croissance durable, riche en emplois et en nouveaux métiers. Elle est fondée sur des investissements innovants de nature à transformer en profondeur nos modes de production et de consommation. Elle a aussi pour ambition d’accroître le pouvoir d’achat des ménages en réduisant leur facture énergétique.
La commission du développement durable, chargée d’examiner au fond les titres III et IV, qui traitent des transports et des déchets, s’est engagée sans retenue dans l’amélioration du projet de loi. N’oublions pas que l’un des objectifs de ce texte consiste aussi à s’attaquer aux inégalités environnementales, par exemple en matière d’exposition aux polluants à l’origine d’inégalités de santé, et à apporter des réponses à la précarité énergétique. La création du chèque énergie est une de ces réponses.
Tendre vers un nouveau modèle de développement implique la mobilisation et la participation des citoyens aux politiques à travers des projets ancrés dans les territoires et une meilleure responsabilité sociale et environnementale de l’ensemble des acteurs.
La transition énergétique touche à de nombreux secteurs et nécessite d’engager de grands chantiers : dans le secteur du bâtiment, la rénovation thermique ; dans celui des transports, la lutte contre la pollution de l’air. Le troisième grand chantier est celui de l’économie circulaire, la réduction des déchets à la source, la lutte contre le gaspillage. N’oublions pas non plus le développement des énergies renouvelables, en s’appuyant sur des filières industrielles solides, compétitives et créatrices d’emplois.
Avant d’aborder plus précisément les titres III et IV, je tiens à féliciter le rapporteur pour avis de la commission du développement durable, notre collègue Louis Nègre. Son engagement sur ce texte, reconnu par l’ensemble des membres de la commission, dont je crois pouvoir me faire l’interprète, n’a d’égal que sa volonté de servir le texte. Les échanges au sein de notre commission ont été constructifs, l’objectif étant de parvenir à un texte équilibré répondant à l’intérêt général. J’espère que c’est également dans cet état d’esprit serein que se dérouleront nos débats en séance publique.
S’il est un domaine où la transition énergétique représente un défi environnemental permanent, c’est bien celui des transports. Il s’agit d’un secteur au carrefour d’enjeux multiples, très consommateur en énergies fossiles et premier émetteur de gaz à effet de serre. Ses externalités polluantes sont importantes et souvent méconnues : 32 % de la consommation finale d’énergie, 26 % des émissions de gaz à effet de serre, 59 % des émissions nationales de particules d’azote et 19 % des émissions de particules fines, dont l’impact très néfaste sur la santé ne fait plus de doute. D’où la place consacrée au développement du véhicule électrique dans le projet de loi initial.
Le texte s’est depuis lors enrichi et conduit résolument le secteur des transports vers une mobilité décarbonée en développant les « véhicules propres » et en fixant un objectif ambitieux de 7 millions de points de charge pour les véhicules électriques. Il s’attache également à promouvoir les mobilités douces, comme le vélo, et donne un nouveau souffle au covoiturage. Il amorce surtout une nouvelle étape dans la lutte contre le fléau de la pollution de l’air.
S’agissant de la définition du véhicule propre, le texte n’exclut aucune motorisation ou aucun carburant a priori et se fonde exclusivement sur les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et de rejets de polluants atmosphériques. Cette sage définition, qui a l’avantage de ne pas figer une liste de technologies et d’encourager l’innovation, comporte cependant une limite méthodologique : la difficulté à mesurer les rejets polluants. L’abrasion, dont la problématique est encore mal connue, semble aussi être une source majeure d’émission de particules fines.
Concernant le parc des véhicules diesel anciens, il n’y a là en revanche ni doute ni controverse technologique : il est impératif d’accélérer la conversion de ce parc. Aussi la prime prévue à cet effet par l’article 13 constitue-t-elle un premier pas ; à cet égard, madame la ministre, je veux saluer les mesures que vous venez d’annoncer : sur la feuille de route écologique pour 2015, ce sont là des pas décisifs, y compris en tenant compte des véhicules d’occasion. L’enjeu de la qualité de l’air justifie ces mesures d’urgence. Pour autant, si nous privilégions les centres urbains les plus importants, n’oublions pas la mobilité en zone rurale.
S’agissant de l’éco-diagnostic des véhicules, la commission du développement durable a choisi de l’intégrer dans le contrôle technique. Cette idée est, je le crois, pertinente, car elle permet de ne pas multiplier les contrôles. Cependant, madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer quant à l’impact de cette mesure ? Nous ne souhaitons pas qu’elle conduise indirectement à entraver la circulation des véhicules des ménages les plus modestes.
J’en viens maintenant au titre IV du projet de loi, sur lequel la commission du développement durable a produit un travail remarquable.
Ce titre se fixe comme objectifs la lutte contre les gaspillages et la promotion de l’économie circulaire, de la conception des produits à leur recyclage. Ce modèle d’excellence environnementale passe par une consommation sobre et responsable de nos ressources naturelles, une politique ambitieuse et – souhaitons-le – efficace de prévention, de gestion et de valorisation de nos déchets. C’est un enjeu majeur pour notre pays.
En 2010, 355 millions de tonnes de déchets ont été produites. Je n’insiste pas sur les chiffres, chacun ici les connaît. Ils sont en constante augmentation. Nous sommes bien face à une grave question de société : que faisons-nous de ces déchets ? Comment les valoriser ? Comment les réduire ? Le projet de loi apporte fort heureusement des réponses à ces questions.
Avant d’en venir au texte, je veux souligner les démarches volontaristes déjà engagées par votre ministère : l’appel à projets « territoires zéro gaspillage zéro déchet » ou encore le nouveau programme national de prévention des déchets 2014-2020, qui a été présenté en septembre 2014.
J’en viens maintenant aux grandes trajectoires du titre IV. Elles sont inscrites à l’article 19, qui décline des objectifs chiffrés pour les dix années à venir en matière de production, de tri et de valorisation des déchets.
Sans prétendre être exhaustif, je me permets de rappeler quelques chiffres qui démontrent la volonté du Gouvernement en la matière : réduire de 10 % les déchets ménagers et assimilés par habitant à l’horizon de 2020 ; généraliser le tri à la source des déchets organiques d’ici à 2025 ; valoriser, sous forme de matière, 70 % des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics à l’horizon de 2020. Ces dates sont significatives.
Les débats en commission ont considérablement enrichi ce titre. Le groupe socialiste est particulièrement satisfait de l’adoption de la majorité de ses amendements, qui portent notamment sur l’objectif de réduction de 50 % des quantités de produits manufacturés non recyclables mis sur le marché, ainsi que sur la gouvernance des éco-organismes, afin qu’elle soit vraiment confiée aux producteurs eux-mêmes.
Nous aborderons également, au cours des débats, des mesures devenues emblématiques de ce titre. Je pense notamment à l’interdiction des sacs en plastique à usage unique et des sujets qui nous ont occupés en commission comme l’avenir du tri mécano-biologique, la compétence obligatoire donnée au maire à l’égard des véhicules abandonnés sur la voie et le domaine publics, ou l’obligation de reprise des déchets des professionnels du bâtiment par les distributeurs, ou encore la définition et les moyens de lutte contre l’obsolescence programmée.
Je ne développerai pas davantage ces sujets, puisque notre collègue Gérard Miquel, dont la compétence est bien connue,…
M. Roland Courteau. C’est un éminent spécialiste !
M. Jean-Jacques Filleul. … sera bien plus à même de le faire.
Madame la ministre, je suis persuadé que l’adoption du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte entraînera non seulement une mutation économique structurelle, le développement d’innovations technologiques, et donc le déploiement de nouvelles activités, mais aussi des opportunités d’investissements porteurs d’avenir et signes d’espoir pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des politiques publiques dont les enjeux sont plus faciles à circonscrire que d’autres, des politiques publiques pour lesquelles le législateur distingue la ligne d’horizon.
La politique publique dite de « transition énergétique » est assurément de ce type. Un défi majeur l’attend. Ce défi dont tous les autres procèdent, c’est celui de la « décarbonisation » de notre société.
Pourquoi ce défi et pas un autre ? Trois considérations doivent emporter notre décision.
Décarboner, d’autres l’ont dit avant moi, c’est répondre à l’urgence du changement climatique auquel les émissions de C02 contribuent.
Décarboner, c’est aussi limiter le recours aux énergies fossiles que nous importons en intégralité pour une facture considérable de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Décarboner, c’est enfin s’émanciper des incertitudes géopolitiques et des préoccupations liées à l’accessibilité des matières premières.
Malheureusement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui ignore ce besoin de recentrer l’action publique autour de ce simple et pourtant indépassable défi de la « décarbonisation ». Au lieu de cela, le texte du Gouvernement déploie cette politique publique en lui attribuant sept fonctions, huit outils et sept objectifs chiffrés : autant de vœux pieux !
En procédant ainsi, on rend la loi illisible pour nos concitoyens, on les inonde d’informations, puis d’objectifs, parfois difficilement conciliables ; enfin, on les déresponsabilise. Ce n’est pas de cette manière que l’on suscite leur adhésion, au contraire. Ce sont d’objectifs clairs qu’ont besoin nos concitoyens, d’objectifs vérifiables.
Pour cette raison, je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont dû s’emparer d’un article 1er symbole d’une loi que beaucoup qualifient de « loi bavarde ». Je pense en particulier à l’amendement du rapporteur Ladislas Poniatowski sur les objectifs chiffrés de la politique énergétique, amendement qui tend à placer la réduction des gaz à effet de serre comme clef de voûte de notre politique énergétique. Voilà qui est de nature à donner du sens à l’action publique !
Il eût été en effet beaucoup plus simple, madame la ministre, de construire ces objectifs autour des engagements européens de la France, engagements posés à l’occasion de l’examen du paquet énergie-climat pour 2030 et qui reprennent, tout en les actualisant, ceux du paquet énergie-climat pour 2020, qui avait été adopté en 2008. Ces engagements se déclinent autour de deux objectifs contraignants : la réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 40 % et l’augmentation de la part des énergies renouvelables à hauteur de 27 %. Ces objectifs se suffisent à eux-mêmes.
Pour cette raison encore, je souscris à la logique qui a conduit le rapporteur pour avis, Louis Nègre, à rappeler que l’objectif principal de notre politique énergétique s’intègre clairement aux « engagements pris dans le cadre de l’Union européenne ». Malgré cet objectif simple, le Gouvernement a préféré l’inflation législative et l’effet d’annonce des 50 % de nucléaire à l’horizon de 2025.
À ce sujet, je voudrais d’abord évoquer la légèreté qui a présidé à l’inscription de cet objectif en tête du code de l’énergie. Sur quelles bases macroéconomiques le Gouvernement a-t-il fondé sa décision ? Sur quels scenarii de croissance d’ici aux années 2030 ? Quelle croissance démographique est-elle retenue ? Quid de notre production industrielle ?
Dans l’étude d’impact, deux tableaux nous sont sobrement présentés : il y a d’abord le scénario de « référence », un scénario au fil de l’eau ; il y a ensuite le « scénario de transition énergétique », qui tend à prouver qu’il nous sera possible de passer de 73 % à 50 % de nucléaire tout en diminuant par près de deux nos émissions de CO2, et tout cela dans un contexte de croissance économique.
Là encore, le Gouvernement ne fournit pas d’explication sur les liens de causalité entre chaque phénomène que sont, je le rappelle, la croissance économique, la consommation énergétique, la répartition entre consommation fossile et électrique et, enfin, les émissions de CO2. Comment le Gouvernement évalue-t-il nos besoins énergétiques à l’horizon de 2030 ? On ne le sait pas ! On nous annonce simplement une baisse de la consommation d’énergie fossile de 33 %. Viendra-t-elle du logement ou des transports ? Nous ne disposons d’aucun élément à ce sujet.
Par ailleurs, un troisième scénario aurait dû être étudié au vu de la récente et forte baisse des cours du pétrole. Aucune disposition du texte ne traite des conséquences de cette baisse.
Autre question : l’électricité va-t-elle gagner du terrain sur les produits pétroliers et le gaz ? Si oui, dans quelle mesure ? Aucune référence à cette éventuelle substitution des énergies fossiles par l’électricité n’est mentionnée, lacune étonnante pour un projet de loi de transition énergétique et son étude d’impact.
Enfin, et je serais tentée de dire, bien sûr, on ne trouve aucune référence aux pics de consommation dont la hausse structurelle aurait dû être prise en compte et faire l’objet d’un travail ciblé. Vous n’évoquez pas la fragilité de notre système de transport d’électricité.
Quant au défi principal des énergies renouvelables, leur caractère intermittent mérite de vraies réponses sur leur intégration dans notre bouquet énergétique.
Toujours en matière de bouquet énergétique, il est étonnant de constater que le tableau dit « scénario de transition énergétique » mentionne une production électrique d’origine nucléaire de 29 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020, son niveau actuel, pour descendre brutalement à 20 millions de TEP en 2030. Dans ces conditions, la promesse de 50 % de nucléaire semble s’éloigner, y compris aux yeux de ceux qui ont écrit l’étude d’impact.
Pour conclure sur cette étude d’impact, comment ne pas s’interroger sur l’absence d’évaluation financière du titre Ier ? Quel est le coût de ces 45 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ? Selon l’étude d’impact, il est nul, car celle-ci prévoit que la facture énergétique avoisinera toujours les 6,8 % du revenu des ménages ; réponse non étayée que j’ai personnellement du mal à croire.
Là encore, le projet de loi est une occasion ratée de faire toute la lumière sur le coût réel de la transition énergétique. En effet, le développement des énergies renouvelables, des capacités de stockage, des dispositifs d’effacement, de nos réseaux de transport et de distribution, sans oublier le coût du démantèlement des centrales nucléaires doivent être évalués, car nous souhaitons tous prendre ce chemin de la transition énergétique, non de manière incantatoire, mais en se donnant les moyens de faire face aux charges financières afférentes.
En matière d’approximations financières, le Gouvernement a donc récidivé après le feuilleton de l’écotaxe. Ma collègue Marie-Hélène Des Esgaulx avait alors dénoncé avec justesse le caractère arbitraire et irrégulier de la décision visant à suspendre sa mise en place.
M. Alain Bertrand. Qui a créé l’écotaxe ?
Mme Fabienne Keller. Pour revenir à notre texte, je souhaiterais aborder le projet de loi sous l’angle des rénovations énergétiques, élément central d’une politique de transition énergétique.
En la matière, votre action se révèle pour l’instant un échec. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) J’en veux pour preuve les promesses du Président de la République, que j’ai entendues de vive voix à l’occasion de la première conférence environnementale en 2012, de rénover 500 000 logements par an pendant toute la durée de son mandat, c’est-à-dire jusqu’en 2017. Je ne crois pas que ce projet de loi puisse constituer le levier d’une politique publique ambitieuse en la matière.
Prenons l’exemple de l’article 3. Déroger aux règles d’urbanisme qui font obstacle aux travaux de rénovation énergétique, oui ! Toutefois, le faire au mépris des prérogatives du maire en matière de délivrance de permis de construire n’est pas acceptable. L’amendement de M. le rapporteur visant à réécrire cet article a donc été salvateur. J’aurais également pu citer les articles 4, 5 et 6, de faible portée.
Pourtant, un vrai travail de rationalisation était possible, notamment en ce qui concerne les aides à la rénovation énergétique. La somme des dispositifs en vigueur, entre le tiers financement, l’éco-prêt à taux zéro, le crédit d’impôt en faveur de la rénovation énergétique et bientôt le chèque énergie pour ne citer qu’eux, n’est pas de nature à rendre l’action publique intelligible.
Pour conclure mon exposé, je dirai que ce texte déçoit davantage par ses absences que par son contenu.
M. Alain Bertrand. C’est un réquisitoire !
Mme Fabienne Keller. Or ce sont sans doute ces absences qui vous poussent à défendre avec tant d’acharnement la baisse annoncée de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique,…
M. Ronan Dantec. C’est une urgence !
Mme Fabienne Keller. … le symbole politique palliatif à une véritable politique publique, le symbole médiatique en l’absence d’une vraie politique écologique.
Tels sont les éléments dont mes collègues du groupe UMP et moi-même souhaitions vous faire part sur ce texte. Au demeurant, madame la ministre, vous le savez aussi, vous pouvez compter sur le Sénat,…
M. Roland Courteau. On n’avait pas compris ça !
Mme Fabienne Keller. … avec le concours efficace de nos rapporteurs, pour mener un travail constructif nous permettant de trouver des pistes en vue d’une véritable politique publique de la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la transition énergétique est un beau défi qui se pose à nous et qui pourrait bien constituer l’une des étapes marquantes de notre histoire, au même titre que les révolutions industrielles d’hier qui ont fait la force de notre modèle de développement. Selon l’orientation que nous lui donnerons, elle sera porteuse d’avenir à travers les nouveaux métiers qui émergeront en son cœur et les nouvelles pratiques de production ou, à l’inverse, se révélera insatisfaisante, voire manquée, si nous nous cantonnons à des mesures prescriptives et dogmatiques.
L’énergie est un défi mondial, au cœur des crispations diplomatiques et des convoitises. Nous pouvons ainsi nous réjouir que la France souhaite être pionnière en la matière.
J’axerai mon propos sur la nécessité de croiser l’ambition environnementale et la préservation de la compétitivité de nos entreprises, alors que les défis de l’emploi et de la reconquête industrielle se posent à nous avec acuité. En effet, je veux dire mon inquiétude face à différentes dispositions du projet de loi qui risquent de gager les effets positifs que doit produire la transition énergétique sur la compétitivité de notre économie.
En premier lieu, je souhaite mettre en garde contre les mesures d’affichage. Les objectifs chiffrés énoncés dans l’article 1er assignés à notre politique énergétique, à savoir « porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030, en poursuivant un objectif de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à l’année de référence 2012 », ne sont pas de nature à assurer la reconquête industrielle dont notre pays a besoin. Au contraire, ces dispositions tendent à poursuivre un objectif de décroissance qui va à l’encontre des logiques de marché internationales actuelles et qui risque de placer nos entreprises dans une situation de distorsion de concurrence mortifère. La population mondiale passera de 7,3 milliards d’habitants aujourd’hui à 9,5 milliards en 2050. Peut-on imaginer que la France se tienne à l’écart de cette croissance et des besoins nouveaux qui apparaîtront alors ?
Je déplore, madame la ministre, le procès d’intention qui est fait au monde économique par le projet de loi. J’ajoute que la référence à l’année 2012 n’est pas pertinente. Selon les chiffres de l’INSEE, le nombre d’emplois dans le secteur industriel français a baissé de 9 % par an de 1975 à 2014. Selon l’INSEE toujours, la part du secteur industriel dans le PIB est passée de 30 % à 19 % sur la même période. Enfin, dans le même temps, la production énergétique est passée de 45 millions tonnes équivalent pétrole, ou TEP, à 29 millions de TEP. Dès lors, prendre l’année 2012 pour référence semble pénalisant. Les entreprises du milieu industriel ont besoin de reconquête si elles veulent redevenir sources d’emplois. L’industrie doit être à nouveau la pierre angulaire de notre richesse nationale.
En deuxième lieu, je crains de voir apparaître de nouvelles mesures synonymes de lourdeurs administratives pour les entreprises, alors qu’une vraie simplification de la vie des entreprises et de la vie des Français s’impose. Après son examen à l’Assemblée nationale, le présent texte est passé de 64 articles à 173, lesquels nécessitent près de 100 mesures réglementaires. Quelle est la lisibilité pour les entreprises dans ces conditions ?
En troisième lieu, je regrette que la dimension communautaire soit absente du projet de loi. On veut l’Europe, la France fait partie de la zone euro ; pourtant, aucune disposition n’en fait mention. Une transition énergétique réussie ne se fera pas sans l’Europe, madame la ministre ; la France ne pourra pas non plus mener seule la transition énergétique qui s’impose à l’Europe et au monde, parce qu’elle veut être exemplaire. Ce faisant, elle risquerait en effet de plomber son économie, prise en tenaille par les distorsions de concurrence sur le continent.
Cela étant, je tiens à souligner les impacts positifs que la politique de transition énergétique pourrait avoir sur nos entreprises, si nous prenons le parti de la raison et du bon sens économique. La production de l’énergie est avant tout une source de richesse et d’emplois sur nos territoires. Je partage votre propos sur ce point, madame la ministre.
La transition énergétique doit être l’occasion d’exploiter nos ressources, tout en les préservant : les ressources forestières, avec la biomasse ; les ressources agricoles, avec la méthanisation ; les ressources maritimes, bien sûr. Soyons ambitieux, mes chers collègues, et ne soyons pas timides !
Notre ambition en matière de transition énergétique doit croiser notre volonté dans le domaine économique, notre conception du rôle de la France au sein de l’Union européenne et dans un monde qui, à horizon de 2050, comptera 9,5 milliards d’habitants. Cette ambition, madame la ministre, doit aussi être acceptée par la population ; elle doit se conjuguer avec la nécessaire reconquête industrielle, avec la création d’emplois, avec la préservation de notre modèle social, avec la richesse et la diversité territoriale de la France. C’est ainsi que la transition énergétique peut se trouver enrichie du travail de notre assemblée, le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse sera brève puisque nous allons bientôt aborder l’examen des articles, au cours duquel tous les sujets évoqués cet après-midi reviendront en discussion. J’aurai donc l’occasion de répondre de façon très précise, très technique et très détaillée à l’ensemble des observations formulées.
Je voudrais avant tout remercier les orateurs qui se sont exprimés, ainsi que les rapporteurs et les présidents des commissions, lesquelles ont consacré énormément de temps – plus de 55 heures chacune – à l’examen du texte. Un travail considérable a donc été fourni.
Je tiens également à souligner l’engagement de chacun, qui témoigne de convictions très marquées. Si je ne les partage pas nécessairement, je les respecte toutes. Le sujet le plus sensible, on l’a bien vu, a trait au bouquet énergétique et à la place du nucléaire ; nous y reviendrons dans quelques instants. À ce titre, je ne partage ni le point de vue selon lequel il faudrait sortir du nucléaire – cela ne paraît pas réaliste – ni celui selon lequel il faudrait passer au tout-nucléaire, car tel n’est pas l’intérêt des entreprises.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Ségolène Royal, ministre. Le marché mondial de l’énergie change à toute vitesse. Nous avons besoin de définir ensemble ce que peut être l’intérêt majeur de nos grands industriels de l’énergie, ainsi que de toutes les petites et moyennes entreprises de ce secteur. Je veux donner deux exemples pour illustrer mon propos.
Je reviens d’Inde, où j’ai pu rencontrer le Premier ministre. Ce pays qui, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, produit beaucoup de charbon s’engage aujourd’hui dans une mutation énergétique accélérée. Il s’est fixé un objectif de production de 100 gigawatts d’énergie photovoltaïque. Des marchés considérables sont donc à conquérir. J’indique que l’Inde s’est également fixé l’objectif de multiplier par six sa production d’énergie nucléaire.
Ma conviction profonde, c’est que nos énergéticiens seront d’autant plus puissants sur les marchés mondiaux que nous contribuerons à les engager sur la voie du bouquet – du « mix » – énergétique ; s’ils doivent être toujours aussi performants dans leur métier historique, ils doivent pouvoir emprunter avec force détermination et efficacité industrielle le chemin des énergies renouvelables. Il s’agit en effet d’un domaine industriel où la compétitivité mondiale évolue ; la France doit donc absolument rattraper son retard, voire prendre de l’avance, le marché étant particulièrement prometteur.
J’observe par ailleurs que la France a perdu plusieurs grands marchés nucléaires. Ma conviction, c’est que la France peut les reconquérir, y compris dans le domaine de l’énergie nucléaire, si elle est capable d’offrir dans le même temps des compétences en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. C’est d’ailleurs pourquoi, et j’y reviendrai dans nos discussions sur l’article 1er, nos grands opérateurs évoluant dans le domaine nucléaire – EDF, AREVA, le Commissariat à l’énergie atomique – s’engagent sur la voie des énergies renouvelables. C’est ainsi que le Commissariat à l’énergie atomique s’appelle en réalité « Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives » et qu’EDF a remporté en Chine un marché très important de centrale photovoltaïque, alors que le groupe perdait des marchés dans le domaine du nucléaire.
Le Gouvernement et la représentation nationale ont donc la responsabilité de penser l’avenir énergétique et de positionner nos entreprises afin qu’elles soient les plus puissantes possibles.
Je ne partage pas les propos de M. le rapporteur sur la place du nucléaire dans la production d’électricité ; nous y reviendrons, car j’aurai à défendre l’amendement tendant à réintroduire l’horizon de 2025 dans la loi. Je ne partage pas plus votre position, monsieur Longuet, en faveur du tout-nucléaire, mais j’approuve une de vos affirmations : nous devons absolument faire en sorte que nos entreprises se rapprochent, qu’elles travaillent ensemble, qu’elles jouent en équipe sur la scène internationale. Je m’y emploie d’ailleurs tous les jours.
Comme vous le savez, les dirigeants de nos grands acteurs dans ce domaine – EDF, AREVA, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – viennent de changer. Je crois pouvoir vous dire – c’est une bonne nouvelle – qu’ils sont en train de s’atteler à cette tâche ; ils veulent être des partenaires et jouer collectif, sur la scène française comme internationale. J’espère à ce titre que des rapprochements se feront avec GDF-Suez, afin que notre politique en matière de bouquet énergétique soit puissante et puisse faire face à la montée des appels d’offres et aux mutations énergétiques qui ont lieu dans tous les domaines. Tous les pays du monde, en effet, s’engagent aujourd’hui dans la transition énergétique.
Je veux évoquer un deuxième exemple à l’appui de mon propos. J’étais il y a quelques jours à Abou Dhabi, où se tenait le Sommet mondial des énergies de l’avenir. Qu’un pays producteur de pétrole organise un sommet mondial des énergies renouvelables doit nous inciter à réfléchir !
Pour préparer l’après-pétrole, les pays producteurs investissent massivement dans les énergies renouvelables. Si nous n’accélérons pas ce processus en France, si nous ne poussons pas sur cette voie nos entreprises, au premier rang desquelles EDF, AREVA, GDF, mais aussi le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et tous les autres opérateurs et sous-traitants, nous allons perdre ces marchés et prendre du retard. Notre responsabilité est donc de réfléchir à l’horizon que nous devons fixer pour ces entreprises, afin que leurs investissements soient sécurisés.
Pour préparer l’après-pétrole, je le répète, les pays producteurs investissent massivement dans les énergies renouvelables, en créant notamment des villes entièrement autonomes en énergie. En Inde aussi un projet de 100 « smart cities », des villes à énergie positive, a été lancé. Il s’agit donc d’un marché mondial considérable, auquel la France est appelée est participer. Elle dispose d’ailleurs des technologies pour ce faire. Nous avons été les premiers à maîtriser les énergies éolienne et solaire. À cause du choix en faveur du tout-nucléaire, nous avons malheureusement perdu l’avance que nous avions dans le développement de quelques-unes de ces technologies.
M. Roland Courteau. Très juste !
M. Ronan Dantec. C’est vrai !
Mme Ségolène Royal, ministre. Notre défi, dans le même temps, est de rester les meilleurs dans le domaine de l’énergie nucléaire. J’en profite pour répondre à Didier Guillaume sur ce sujet ; sur 58 réacteurs nucléaires, 37 auront au moins quarante ans en 2025. Selon les décisions rendues par l’Autorité de sûreté nucléaire, certains réacteurs devront donc fermer, d’autres verront leur activité prolonger et de nouveaux seront construits.
Dès lors, vous avez raison de le souligner, monsieur le rapporteur, l’horizon de 2025 est très proche, mais surtout pour ce qui concerne la réalité des faits, qui impose de prendre une décision. Puisque la représentation nationale se saisit de la question de l’énergie, elle aura à donner son avis sur le sujet, à débattre en toute transparence et à contribuer à la prise de décision la plus judicieuse possible.
Ces différents exemples me permettent de vous montrer, mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi le présent projet de loi fait le choix de ne pas opposer les énergies les unes aux autres. Il convient en effet que la France soit forte dans chacune de ses spécialités et qu’elle se positionne sur son territoire comme à l’international, grâce à une offre de services de mix énergétique. Cela lui permettra de reconquérir les marchés du nucléaire – la demande existe – qu’elle perd face aux Coréens, aux Russes ou encore aux Américains, lesquels se positionnent également en Inde.
Nous serons d’autant plus forts que nos entreprises pourront proposer une offre de services énergétiques dans le domaine du nucléaire comme dans celui des énergies renouvelables. Tous les pays du monde ont renoncé à faire un choix exclusif : ils cherchent tous à se constituer un bouquet énergétique. Nous sommes un des rares pays à pouvoir maîtriser l’ensemble de ces technologies. C’est la raison pour laquelle nous avons l’ardente obligation d’encourager la mutation de ces entreprises et de ne pas les laisser croire qu’elles peuvent, sans rien faire, ou en se repliant sur l’illusion du tout-nucléaire, conquérir les marchés de demain.
M. Didier Guillaume. Très bien !
Mme Ségolène Royal, ministre. Dans le même temps, il faut assumer, je l’ai dit, que l’énergie nucléaire nous donne suffisamment de sécurité pour réussir la transition énergétique et inventer notre nouveau modèle énergétique. Elle permet à nos entreprises d’être plus fortes, de conquérir les marchés mondiaux, qui connaissent une forte accélération, une forte montée en puissance.
Tel est le défi que je vous propose de relever. Je serai bien sûr très à l’écoute des arguments qui seront échangés au cours de nos débats. Les règles que nous allons mettre en place intéressent en effet plusieurs centaines de milliers d’entreprises sur tout le territoire. Je pense naturellement aux entreprises du BTP, qui sont concernées par les dispositions relatives à l’efficacité énergétique des bâtiments et la construction des bâtiments à énergie renouvelable. Les entreprises et les artisans de ce secteur attendent des règles claires pour pouvoir avancer. Je pense également aux entreprises du secteur des énergies renouvelables, à celles du secteur de l’énergie nucléaire, sans oublier celles évoluant dans le domaine du traitement des déchets ou de l’économie circulaire. Je pense enfin à toutes les entreprises et start-up du secteur des compteurs ou circuits intelligents et du smart grid.
Nous sommes en train de débattre de chances nouvelles avec des enjeux absolument majeurs. Nous avons, me semble-t-il, une très lourde, mais une magnifique responsabilité. Il est assez rare que le Parlement débatte de textes comme celui-ci. L’enjeu n’est pas seulement national ; de tels débats ont lieu dans le monde entier. À mon sens, c’est un moment parlementaire très important.
J’ai entendu un certain nombre de caricatures. Je m’efforcerai de ne pas polémiquer. Je rappelle simplement qu’il y avait 238 objectifs dans le Grenelle de l’environnement.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Didier Guillaume. Dont la plupart n’ont jamais été mis en place !
Mme Ségolène Royal, ministre. Et certains osent dire que, avec une dizaine d’objectifs seulement, ce texte en contient encore trop ! J’ai voulu que l’ensemble soit le plus simple, le plus ramassé et le plus cohérent possible.
Mme Éliane Giraud. Très bien !
Mme Ségolène Royal, ministre. La gauche a voté le Grenelle de l’environnement. Il y avait pourtant des reproches à formuler : le projet de loi était très ambitieux, avec plus de 400 textes réglementaires à adopter ; tous ne sont pas parus à ce jour… Mais la gauche a fait le choix de voter le Grenelle, pour engager le pays dans la transition écologique. Car même si l’ensemble n’était pas parfait, il fallait se mettre d’accord sur l’essentiel, définir les objectifs et avancer.
Surtout, nous stabilisons les règles. Je le rappelle, lorsque les tarifs du photovoltaïque ont évolué, des entreprises qui avaient investi ont brutalement fait faillite.
Mme Geneviève Jean. Eh oui !
M. Gérard Longuet. Résultat d’une économie administrative !
Mme Ségolène Royal, ministre. Comme vous l’avez tous souligné, il faut, et c’est une préoccupation constante, des règles simples, pragmatiques, compréhensibles, claires, mais surtout stables.
Quand les entreprises ont des doutes sur la clarté et la stabilité des règles, elles investissent moins. Il leur faut de la visibilité, à dix ou quinze ans. Certes, à l’échelle du retour sur investissement, dix ou quinze ans, c’est effectivement très court, mais nous avons une responsabilité. Nous devons fixer un horizon de stabilité pour favoriser les investissements, faciliter les accords d’entreprise, aider à la définition des positionnements industriels et donner confiance aux acteurs économiques. Ceux-ci ont besoin de pouvoir calculer simplement le retour sur investissement, apprécier la durée d’amortissement et évaluer la compétitivité des entreprises.
Je souhaite donc l’adoption d’un texte le plus consensuel possible. Les entreprises doivent avoir le sentiment que les règles sont stabilisées et que les choix de la représentation nationale leur ouvrent de nouvelles perspectives.
Le présent projet de loi offre également des possibilités d’adaptation au fur et à mesure. La programmation pluriannuelle de l’énergie permettra de mesurer régulièrement la montée en puissance de telle ou telle énergie. On pourra ainsi procéder le cas échéant à des réajustements, selon les résultats acquis, le montant des investissements ou le niveau de la production et de la consommation. C’est donc un texte pragmatique. Nous ne gravons pas des objectifs dans le marbre à l’horizon de 2025, 2030 ou 2050. Nous fixons simplement un cap. Les mesures d’ajustement seront débattues au Parlement, dans les commissions, en fonction des résultats économiques et des investissements.
Ce projet de loi est passionnant à construire. En effet, et de nombreux intervenants l’ont souligné, la transition énergétique s’effectuera d’abord dans les territoires, lorsque toutes les mairies auront les moyens financiers d’investir pour réaliser les travaux d’isolation sur les équipements publics municipaux. Or, et je le démontrerai au cours du débat, ces moyens existent. Ils ne sont peut-être pas exorbitants, mais ils sont disponibles. Je pense en particulier à la ligne de crédit ouverte à la Caisse des dépôts et consignations pour les collectivités territoriales ; il faut s’en saisir. Beaucoup de maires en ignorent l’existence. Ce dispositif, au taux de 1,75 % remboursable en quarante ans sans apport initial, permet aux mairies et aux communautés de communes de faire travailler les entreprises du bâtiment de leur territoire.
Le Fonds national de la transition énergétique et de la croissance permettra aussi aux territoires d’effectuer les travaux nécessaires, qu’il s’agisse de la performance énergétique, de la construction de bâtiments à énergie positive, du traitement des déchets ou de l’installation des énergies renouvelables.
Avec les tarifs de rachat, la politique énergétique permet de construire des installations de production d’énergies renouvelables. La commission a donné une part plus importante à l’utilisation de la biomasse. Cela faisait effectivement partie des compléments qu’il était indispensable d’apporter au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Les interventions des différents orateurs, toutes sensibilités politiques confondues, traduisent une prise de conscience de la nécessité d’accélérer la transition énergétique. Nous le voyons bien à l’échelle de la planète : ceux qui accéléreront la transition énergétique seront les gagnants de cette grande mutation ; ceux qui freineront des quatre fers et miseront sur le statu quo pour préparer l’avenir en seront les perdants ! Pour ma part, je souhaite, et je sais que vous partagez ce souhait, que la France soit la grande gagnante de la transition énergétique et que nos entreprises puissent en être les premières bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Didier Guillaume. Voilà une vraie vision d’avenir !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
Titre Ier
Définir les objectifs communs pour réussir la transition énergétique, renforcer l’indépendance énergétique et la compétitivité économique de la France et lutter contre le changement climatique
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 491, présenté par MM. Bosino et Le Scouarnec, Mme Didier, M. Vergès, Mme Assassi, M. Abate, Mme Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cohen, Cukierman, David et Demessine, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un rapport contradictoire portant sur les conséquences sociales, environnementales et économiques, notamment sur l’évolution des prix et des tarifs des énergies, du processus d’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie est présenté au Parlement par le Gouvernement avant le 30 juin 2015.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’aborder les conséquences néfastes de l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie. Comme l’expliquait en 2007 Marcel Boiteux, ancien directeur d’EDF, « il ne s’agit plus d’ouvrir à la concurrence pour faire baisser les prix, mais d’élever les prix pour permettre la concurrence ».
Au cours des dix ans ayant suivi l’ouverture à la concurrence des entreprises EDF et GDF, le prix de l’électricité et du gaz ont augmenté respectivement de 22 % et 66 %. Pour notre part, nous pensons que cette hausse des tarifs est directement imputable à la concurrence libre et non faussée. Au demeurant, aucune étude ne s’est encore penchée sur les effets sociaux, environnementaux ou économiques de la libéralisation. Cet amendement vise à remédier à un tel déficit d’information et de transparence en prévoyant la remise d’un rapport contradictoire contenant tous ces éléments d’analyse.
La libéralisation a causé une complexification importante du droit de l’énergie. Elle a ainsi contribué à rendre ce secteur énergétique beaucoup moins lisible. Les opérateurs et entreprises privés ont, eux, su tirer profit de la situation et jouer sur la complexité croissante pour optimiser leur rentabilité. Or pour que le législateur soit à même de légiférer efficacement, et dans l’esprit de responsabilité qu’évoquait Mme la ministre, la transparence et la lisibilité sont des éléments indispensables. L’adoption de cet amendement y contribuera.
Une telle exigence n’a jamais été satisfaite par le Gouvernement : à ce jour, aucun rapport sur les effets de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie n’a été publié. Certes, des rapports sur le coût de l’électricité existent. Toutefois, ce que nous souhaitons, c’est une analyse globale des effets des impératifs européens en termes législatifs, techniques, financiers et humains.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. De nombreux autres amendements visent à la remise de rapports, en plus de ceux qui sont déjà prévus dans le texte du Gouvernement. Pour ma part, je ne suis pas un fanatique de la multiplication des rapports.
Sur le fond, vous indiquez que l’ouverture du marché a provoqué la hausse des tarifs de l’électricité.
M. Jean-Pierre Bosino. C’est la réalité !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Or si l’ouverture à la concurrence a par définition conduit à une multiplication des offres tarifaires par rapport aux situations monopolistiques antérieures, il est inexact de lui imputer la hausse des prix de l’énergie. Cette dernière résulte, pour l’électricité, d’un rattrapage des prix après de nombreuses années où leur augmentation avait été inférieure à l’inflation, pour le gaz, d’une hausse liée aux circonstances géopolitiques et, enfin, pour toutes les énergies, de l’augmentation des taxes, augmentation due aux différents gouvernements, mon cher collègue…
Comme toute évolution, l’ouverture à la concurrence a pu être déstabilisatrice. Cependant, les Français s’en satisfont manifestement : ils sont de plus en plus nombreux à avoir changé de fournisseur ! C’était notamment vrai pour le gaz jusqu’à il y a deux ans ; c’est désormais vrai aussi pour l’électricité.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
D’abord, de nombreuses études sont déjà parues sur le sujet ; nous pourrons vous les communiquer, monsieur le sénateur. De ce point de vue, l’amendement me paraît donc satisfait.
Ensuite, l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie n’est pas le seul facteur déterminant en la matière.
Enfin, il me semble plus utile pour la transition énergétique de concentrer les forces des services du ministère sur la rédaction des décrets d’application – M. Nègre y faisait référence précédemment – à laquelle je suis d’ailleurs tout à fait prête à associer vos rapporteurs.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. L’examen de ce premier amendement me donne l’occasion de formuler quelques observations.
Ce projet de loi avait au départ une ambition : tuer le nucléaire ! C’est ainsi que nous avions compris l’accord électoral entre le parti socialiste et les Verts.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous avez mal compris !
M. Ronan Dantec. Vous nous faites trop d’honneur !
M. Didier Guillaume. Certains accords électoraux sont plus honorables que d’autres !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Depuis lors, la situation a quelque peu évolué : le Gouvernement a écouté les différents acteurs, et le réalisme l’a progressivement emporté.
Cela étant, dans son intervention, Mme la ministre a surtout parlé de l’électricité. Or la part de l’électricité dans la consommation d’énergie en France ne représente que 24 %.
M. Didier Guillaume. Peut-être même pas !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Le reste, c’est de l’énergie carbonée.
Limiter toute la réflexion à 24 % de l’énergie consommée, même si l’électricité est, il est vrai, à 70 % ou 75 % d’origine nucléaire, c’est réduire le débat !
Le Gouvernement prétend « tourner le dos au tout-nucléaire ». Or le tout-nucléaire n’a jamais existé en France.
M. Ronan Dantec. Oh !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Regardez les chiffres : dans la consommation d’énergie, le nucléaire, c’est trois quarts de 24 % !
Je le dis ici : nous ne sommes pas porteurs d’une politique qui aurait été mise en place pendant des années par les gouvernements que nous soutenions et qui aurait visé à faire du tout-nucléaire. Nous sommes favorables à un bouquet, à un mix énergétique dans lequel le nucléaire doit continuer à avoir une place. Si vous tenez à parler de tout-nucléaire pour la France, il faut alors parler de tout-charbon pour l’Allemagne, car c’est l’alternative qui se présente aujourd'hui à nous !
Telles sont les clarifications que je souhaitais apporter, de façon à remettre l’ensemble du dossier de l’énergie à sa juste place. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Leleux. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 492, présenté par MM. Bosino et Le Scouarnec, Mme Didier, M. Vergès, Mme Assassi, M. Abate, Mme Beaufils, MM. Billout et Bocquet, Mmes Cohen, Cukierman, David et Demessine, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité est abrogée.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. La loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », avait pour objet une ouverture réelle et effective du marché de l’électricité à une concurrence pérenne, tout en protégeant les consommateurs français contre une hausse importante et rapide des prix de détail, grâce au maintien partiel des tarifs réglementés. Elle a en fait été un élément de déstructuration du marché de l’énergie, en particulier de l’électricité – il ne sert à rien de le nier. Elle symbolise l’injection d’une concurrence forcée dans des secteurs naturellement non concurrentiels.
Là où devrait s’imposer une réflexion sur une politique tarifaire solidaire et sur une politique d’investissement de long terme, c’est la déréglementation, la concurrence au profit de la hausse des prix qui ont prévalu et continuent de prévaloir malgré des résultats déplorables.
L’obligation faite à EDF de vendre une partie de sa production d’électricité d’origine nucléaire aux opérateurs privés, la spéculation sur l’effacement à travers le marché de capacité, le dessaisissement des prérogatives du ministre de l’énergie en matière de fixation des tarifs du gaz et de l’électricité au profit de la Commission de régulation de l’énergie, toutes ces mesures prévues par la loi NOME ont considérablement affaibli le service public de l’énergie, entraînant pour tous les consommateurs un renchérissement de leur facture énergétique et exposant les populations les plus fragiles à la précarité énergétique.
La loi NOME, c’est également la réduction des investissements nécessaires à la maintenance et à la sûreté des installations, des réseaux de transport et de distribution électrique, mais aussi du réseau gazier.
Enfin, avec la libéralisation du marché de l’énergie, la complexité technique et économique de ce secteur, qui était internalisée et rationalisée par le monopole d’État, s’est déportée sur un système politique qui ne sait plus ni maîtriser la complexité industrielle ni dégager l’intérêt général de long terme. Nous sommes passés d’un service public de l’énergie géré efficacement, dans le souci de l’intérêt général de long terme, par un tout petit nombre de grandes entreprises publiques à un dispositif d’une complexité grandissante marqué par son manque d’efficience économique et sociale.
L’État ne semble plus avoir la capacité de définir des objectifs simples, clairs et constants. Pour les sénateurs du groupe CRC, la politique énergétique de demain doit être dégagée des logiques marchandes et relever de la maîtrise publique, tant dans la gouvernance que dans la propriété des outils de production, des installations et des réseaux du secteur énergétique.
La loi NOME est en contradiction avec ces principes fondamentaux. C’est pourquoi nous en proposons l’abrogation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. En proposant d’abroger la loi NOME, les auteurs de cet amendement sont tout à fait cohérents avec la position qu’ils défendent depuis toujours. Ils se sont en effet opposés à ce texte dès le début de son examen.
Pour ma part, je suis favorable à la loi NOME, qui permet d’assurer aux fournisseurs alternatifs un droit d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, de préserver le parc nucléaire historique d’EDF en sécurisant ses engagements à long terme pour le démantèlement et la gestion des déchets et en lui permettant de réaliser les investissements nécessaires à l’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs, de maintenir des prix compétitifs en France pour les consommateurs finals, la France bénéficiant aujourd’hui encore d’une électricité parmi les moins chères en Europe. Enfin, si la loi NOME a prévu la suppression des tarifs réglementés pour les gros consommateurs, elle a aussi préservé le maintien des tarifs réglementés pour les petits consommateurs d’électricité ou de gaz.
Malgré tous les griefs que vous avez contre elle, cette loi a des aspects positifs. Voilà pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 492.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
I. – L’article L. 100-1 du code de l’énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 100-1. – La politique énergétique :
« 1° A (Supprimé)
« 1° Favorise l’émergence d’une économie compétitive et riche en emplois grâce à la mobilisation de toutes les filières industrielles, notamment celles de la croissance verte qui se définit comme un mode de développement économique respectueux de l’environnement, à la fois sobre et efficace en énergie et en consommation de ressources et de carbone, et garant de la compétitivité des entreprises ;
« 2° Assure la sécurité d’approvisionnement et réduit la dépendance aux importations ;
« 3° Maintient un prix de l’énergie compétitif et attractif au plan international et permet de maîtriser les dépenses en énergie des consommateurs ;
« 4° Préserve la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre et contre les risques industriels majeurs, en réduisant l’exposition des citoyens à la pollution de l’air et en garantissant la sûreté nucléaire ;
« 5° Garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant un droit d’accès de tous à l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages ;
« 6° Lutte contre la précarité énergétique ;
« 7° Contribue à la mise en place d’une politique énergétique européenne. »
II. – L’article L. 100-2 du code de l’énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 100-2. – Pour atteindre les objectifs définis à l’article L. 100-1, l’État, en cohérence avec les collectivités territoriales et leurs groupements et en mobilisant les entreprises, les associations et les citoyens, veille, en particulier, à :
« 1° Maîtriser la demande d’énergie et favoriser l’efficacité et la sobriété énergétiques ;
« 2° Garantir aux personnes les plus démunies l’accès à l’énergie, bien de première nécessité, ainsi qu’aux services énergétiques ;
« 3° Diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux énergies fossiles, diversifier de manière équilibrée les sources de production d’énergie et augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale ;
« 3° bis Procéder à un élargissement progressif de la part carbone dans les taxes intérieures de consommation sur les énergies fossiles, cette augmentation étant compensée, à due concurrence, par un allègement de la fiscalité pesant sur d’autres produits, travaux ou revenus ;
« 4° Assurer l’information de tous et la transparence, notamment sur les coûts et les prix de l’énergie ainsi que sur son contenu carbone ;
« 5° Développer la recherche et favoriser l’innovation dans le domaine de l’énergie, notamment en donnant un élan nouveau à la physique du bâtiment ;
« 5° bis Renforcer la formation aux problématiques et aux technologies de l’énergie de tous les professionnels impliqués dans les actions d’économie d’énergie, notamment par l’apprentissage ;
« 6° Assurer des moyens de transport et de stockage de l’énergie adaptés aux besoins.
« Pour concourir à la réalisation de ces objectifs, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les entreprises, les associations et les citoyens associent leurs efforts pour développer des territoires à énergie positive. Est dénommé “territoire à énergie positive” un territoire qui s’engage dans une démarche permettant d’atteindre au moins l’équilibre entre la consommation et la production d’énergie à l’échelle locale en réduisant autant que possible les besoins d’énergie. Un territoire à énergie positive doit favoriser l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la diminution de la consommation des énergies fossiles et viser le déploiement d’énergies renouvelables dans son approvisionnement. »
III. – L’article L. 100-4 du code de l’énergie est ainsi rédigé :
« Art. L. 100-4. – I. – La politique énergétique nationale a pour objectif principal de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030, conformément aux engagements pris dans le cadre de l’Union européenne, et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050. La trajectoire est précisée dans les budgets carbone mentionnés à l’article L. 222-1 A du code de l’environnement. À cette fin, elle vise à :
« 1° (Supprimé)
« 2° Porter le rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique finale à 2,5 % d’ici à 2030, en poursuivant un objectif de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à l’année de référence 2012. Cette dynamique soutient le développement d’une économie efficace en énergie, notamment dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’économie circulaire, et préserve la compétitivité et le développement du secteur industriel ;
« 3° Réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 par rapport à l’année de référence 2012 en modulant cet objectif par énergie fossile en fonction du facteur d’émissions de gaz à effet de serre de chacune ;
« 4° Porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, cet objectif est décliné en 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburants et 10 % de la consommation de gaz ;
« 5° Réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité sous réserve de préserver l’indépendance énergétique de la France, de maintenir un prix de l’électricité compétitif et de ne pas conduire à une hausse des émissions de gaz à effet de serre de cette production, cette réduction intervenant à mesure des décisions de mise à l’arrêt définitif des installations prises en application de l’article L. 593-23 du code de l’environnement ou à la demande de l’exploitant, et en visant à terme un objectif de réduction de cette part à 50 % ;
« 6° Disposer d’un parc immobilier dont l’ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes “bâtiment basse consommation” ou assimilé, à l’horizon 2050, en menant une politique de rénovation thermique des logements dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes ;
« 7° Parvenir à l’autonomie énergétique dans les départements d’outre-mer en 2030, avec, comme objectif intermédiaire, 30 % d’énergies renouvelables à Mayotte et 50 % d’énergies renouvelables à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane en 2020.
« II. – L’atteinte des objectifs définis au I du présent article fait l’objet d’un rapport au Parlement déposé dans les six mois suivant l’échéance d’une période de la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-3 du présent code. Le rapport et l’évaluation des politiques publiques engagées en application du présent titre peuvent conduire, au regard du développement des énergies renouvelables et de la compétitivité de l’économie, à la révision des objectifs de long terme définis au I. »
IV. – (Non modifié) Les articles 2 à 6 et 9 à 13 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique et les articles 18 à 21 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement sont abrogés.
V. – (Non modifié) À la première phrase du 1° du I de l’article L. 222-1 du code de l’environnement, la référence : « l’article 2 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique » est remplacée par la référence : « l’article L. 100-4 du code de l’énergie ».
VI. – Le II de l’article 22 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 précitée est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du cinquième alinéa, la référence : « 10 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique » est remplacée par la référence : « L. 144-1 du code de l’énergie » ;
2° La dernière phrase du cinquième alinéa et la seconde phrase du sixième alinéa sont supprimées.
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher, sur l'article.
M. Hervé Poher. On ne peut pas reprocher à quelqu’un de vouloir devenir vertueux, surtout quand il n’a plus le choix... Gaz à effet de serre, changement climatique, coût de l’énergie et ses conséquences sur les populations les plus démunies, chamboulement environnemental, impact indéniable sur la santé humaine de certains produits, process et développement industriels, sans parler de la mauvaise conscience que nous avons tous de jouer aux apprentis sorciers avec notre monde : tout cela nous incite, nous conduit, nous oblige à imaginer et à construire l’avenir autrement.
L’article 1er du projet de loi relatif à la transition énergétique vise simplement à afficher une volonté et à affirmer une prise de conscience.
Oui, il affiche une volonté ! Or, en français, quand on veut afficher une volonté, on utilise des verbes comme maîtriser, garantir, diversifier, procéder, assurer, développer, renforcer, parvenir... J’arrête là l’énumération, et je vous renvoie au texte.
Oui, il affirme aussi une prise de conscience ! Nous sommes conscients que nous sommes devenus des « consommateurs fous », d’innovation, de technologie. C’est un concept de société, c’est une nouvelle façon de vivre, certains parlent même d’un nouvel art de vivre – encore faudrait-il définir le mot « art »… Bref, dans notre société, on ne peut pas faire autrement que de consommer et d’être « branché », au sens littéral et physique du terme.
Oui, notre nouveau fonctionnement sociétal nous conduit à être énergivores, outrageusement énergivores ! Certains diront que ce n’est pas un défaut, que cela fait « tourner la machine ». Certes, mais quand on a conscience que la machine nous fait cadeau d’effets secondaires peu désirables et potentiellement dangereux, on est en devoir d’inventer un autre type de machine.
Nous sommes à une période de l’évolution humaine où il nous faut abandonner une partie du modèle qui a prévalu durant les deux siècles précédents pour inventer une partie du modèle du siècle futur, sachant que nous devrons être plus conscients, plus raisonnables, plus vertueux.
Vouloir être vertueux, c’est une qualité pour un être humain. Pourquoi pas pour une nation, pour un État ou pour un gouvernement ?
Bien sûr, dans cet article, il aurait été plus commode de faire figurer des objectifs sans chiffres et sans dates, en d’autres termes faire un listing de bonnes intentions. Mais nous savons tous à quoi peuvent servir les bonnes intentions… Voilà pourquoi il faut de temps en temps avoir le courage de dire, d’afficher, d’assumer et ne pas avoir honte d’être ambitieux. On ne peut pas reprocher à quelqu’un d’être ambitieux, surtout quand il n’a plus le choix.
Sans les chiffres, sans les objectifs, sans les repères, il est difficile d’expliquer, de mobiliser, d’avancer... Il est compliqué d’expliquer l’urgence de la situation. Comment dire aux gens que la banquise fond, que le climat change, que nous avons perdu 99,9 % de la biodiversité depuis l’apparition de la vie sur Terre. Nos ressources s’épuisent et l’énergie pourrait devenir un produit de luxe. Si nous présentions les choses ainsi à nos concitoyens, ils nous répondraient : soit, mais qu’attendez-vous pour agir, vous, les élus ?
Difficile de mobiliser sans des dates butoirs, car les gens, les décideurs, les collectivités, tous vous répondront : on a le temps, on verra cela plus tard, on a d’autres chats à fouetter, et de toute façon on n’a plus d’argent. Ces arguments, nous, élus, les avons utilisés maintes et maintes fois, quelles que soient nos responsabilités.
Il est difficile d’avancer sans des objectifs, sans des chiffres, sans un tableau de bord... Or nous savons tous qu’il est très difficile d’élaborer un tableau de bord dans le cadre des politiques publiques, et ce pour diverses raisons, quelquefois peu avouables…
Alors, oui, il faut expliquer mobiliser et avancer ! Oui, il faut diminuer de 30 % la consommation d’énergie fossile pour 2030 ! Ça va être dur, mais c’est faisable ! Oui, il ne sera pas évident de passer à 32 % d’énergies renouvelables en 2030, mais c’est réalisable !
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Hervé Poher. Oui, avoir un parc immobilier entièrement rénové en 2050, c’est presque un pari insensé, pour lequel il faudra mobiliser tout le monde, mais c’est possible !
Oui, enfin, pour atteindre 50 % de nucléaire en 2025, il faudra être volontariste, avoir le cuir dur et promouvoir les autres énergies, mais c’est envisageable !
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Ronan Dantec. Bravo !
M. Hervé Poher. Avons-nous vraiment le choix ?
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, nous avons entendu certains mots comme « irréalisable », « impossible », « utopie ». Nous les entendrons peut-être aussi ici. Permettez-moi simplement de rappeler en cet instant que depuis que le monde est monde, l’utopie a toujours été la meilleure des piles à combustible. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Hervé Poher. Comme le disait Oscar Wilde, « le progrès n’est que l’accomplissement des utopies ». L’article 1er nous demande de viser haut et d’avoir ce courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l'article.
M. Bruno Retailleau. Je salue la rédaction proposée par notre rapporteur Ladislas Poniatowski et votée par la commission pour l’article 1er. Il s’agit d’un bon point d’équilibre, qui répond au principe de réalité tout en évitant de tomber dans un double piège.
Le premier, c’est la caricature. Se fixer une part de 50 % de nucléaire dans le bouquet énergétique, c’est reconnaître la réalité de la montée en puissance des énergies renouvelables et, par conséquent, la baisse tendancielle du poids du nucléaire. Le texte de la commission évite donc le piège du tout-nucléaire.
Par ailleurs, sur l’ensemble des travées, un certain nombre d’élus, de droite comme de gauche, ont pris des positions courageuses dans leur territoire. Quand il s’agit d’accueillir de grandes plateformes pour l’éolien offshore, le bénéfice va à la nation tout entière, mais les critiques, bien souvent, sont réservées aux seuls élus locaux… Madame la ministre, nous montrons quotidiennement par des actes concrets sur nos territoires que nous sommes nous aussi, élus locaux, engagés positivement dans la transition énergétique.
Le deuxième piège évité est celui que le Gouvernement nous proposait, à savoir celui de l’incohérence et de l’erreur. L’incohérence, parce que 50 % de nucléaire à l’horizon de 2025, c’est une fiction, c’est matériellement impossible. Il suffit de lire attentivement l’étude d’impact pour s’en convaincre. À cet égard, j’informe Hervé Poher, qui est intervenu avant moi avec force, que l’étymologie grecque nous apprend que le terme « utopie » s’utilise pour désigner un lieu qui n’existe pas. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Beaucoup disent qu’il faut de l’ambition ; ayons collectivement de l’ambition, mais ayons aussi un comportement cohérent et conséquent. Comme l’a demandé le rapporteur, dès lors que vous fixez l’objectif de 50 % en 2025, il faut répondre à deux questions.
Un tel objectif implique de fermer, dans les dix ans à venir, vingt réacteurs sur cinquante-huit. Lesquels ? C’est la première question. Peut-être ne pouvez pas préciser quels seront ces vingt réacteurs – ce serait se projeter trop loin –, mais au moins pourriez-vous nous en indiquer déjà cinq ou dix. Assumer d’emblée la conséquence de l’ambition, tel est l’objet de la politique.
M. Ronan Dantec. Qui va le faire ?
M. Bruno Retailleau. Seconde question : par quoi remplace-t-on l’énergie produite grâce au nucléaire, 140 térawattheures sur 550 ? Nous attendons, madame la ministre, des réponses à ces deux questions.
C’est une fiction, je le répète, mais c’est aussi selon nous une triple erreur.
C’est d’abord une erreur écologique, Fabienne Keller nous en a fait la démonstration. C’est grâce au nucléaire que la France dispose d’une énergie décarbonée. La production de CO2 en France est de 5,6 tonnes par habitant, alors qu’elle est de 9,1 tonnes en Allemagne et de 17,6 tonnes aux États-Unis…
C’est ensuite une erreur économique, comme plusieurs intervenants l’ont montré, puisque les Français paient leur électricité presque moitié moins cher que les Allemands. Et si nos industriels disposent d’un avantage comparatif vis-à-vis de l’Allemagne, c’est bien aussi grâce à l’énergie nucléaire puisqu’ils acquittent des tarifs inférieurs de 40 % à ceux que paient les industriels allemands ! C’est une donnée qu’on ne peut pas passer sous silence, qu’on ne peut pas en tout cas, de quelque bord politique que l’on soit, balayer d’un revers de main.
C’est enfin une erreur géostratégique en termes de souveraineté, dans un monde qui n’a jamais été aussi dangereux. Nous avons chaque jour un certain nombre d’exemples des menaces qui pèsent sur nos approvisionnements. Or les approvisionnements d’uranium représentent entre 600 millions et 900 millions d’euros par an, contre 60 milliards d’euros pour l’ensemble des produits pétroliers, le charbon, etc. Là encore, les ordres de grandeur ne sont absolument pas les mêmes.
Oui, nous pensons – et je tiens encore une fois à saluer la rédaction de notre rapporteur, qui est à la fois équilibrée et ambitieuse et ne cherche pas à tromper les Français – que l’objectif de 50 % en 2025 est une aberration, une fiction !
M. Roland Courteau. C’est un objectif !
M. Bruno Retailleau. La vocation du Sénat, mes chers collègues, n’est pas d’apporter une caution à ce qui ne constituait à l’origine qu’un accord préélectoral entre le parti socialiste et le parti écologiste, comme l’a souligné Jean-Claude Lenoir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)
M. Joël Labbé. Et Fukushima ne présentait aucun risque !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, sur l’article.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’article 1er définit les objectifs fondamentaux du projet de loi. Selon moi, il constitue le point cardinal de ce texte. Mais, au fond, de quoi cet article se compose-t-il vraiment ? Quelles en sont les répercussions ? Les avez-vous suffisamment analysées, madame la ministre ?
Certes, on y trouve bien une série d’objectifs mais n’y figure aucune prévision, aucun chiffre, aucune norme d’encadrement. Je déplore l’absence flagrante d’une étude d’impact chiffrée pourtant indispensable, car l’article 1er énumère une série d’intentions qui peuvent s’annoncer lourdes de conséquences tant sur l’activité des Français que sur celle de nos entreprises.
Quand le Gouvernement se fixe l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 %, quelles en sont les conséquences concrètes directes ? Combien de réacteurs faudra-t-il arrêter ? Combien, surtout, cela va-t-il coûter ? La facture sera très lourde. Qui va payer ? EDF ? L’État ? Quel sera l’impact sur le prix de l’électricité ? Nos concitoyens bénéficient encore, grâce au nucléaire, d’une énergie parmi les moins chères d’Europe. En l’état actuel de l’économie, ce point est tout sauf un détail. Quid de la compétitivité de nos entreprises ?
Oui, madame la ministre, mes chers collègues, moi, je suis inquiète ! Comme l’a très bien dit le rapporteur pour avis de la commission des finances, Jean-François Husson, nul ne peut prétendre ici que la transition énergétique n’aura pas de coût.
Au fond, nous connaissons tous les enjeux de la transition énergétique et, pour ma part, j’approuve la nécessité d’aller vers un modèle écologique plus sobre. Cependant, ce n’est pas nouveau : dès 2007, notre formation politique avait initié le Grenelle de l’environnement.
M. Roland Courteau. Les financements n’étaient pas au rendez-vous !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Qu’est-ce qui a changé depuis lors ? Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle loi, qui n’est même pas une loi de programmation, pour tendre vers cet objectif ? Il n’est nul besoin d’une loi pour énoncer de grands principes ou pour inscrire des priorités, quand ce ne sont pas seulement de très bons sentiments.
J’ai l’impression que, faute de moyens, on se contente de fixer des objectifs et de renvoyer à la prochaine loi de finances la question qui fâche. C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de Jean-François Husson par lequel il demande au Gouvernement de faire le point sur le coût réel de la transition énergétique par une diminution du nucléaire. J’ai d’ailleurs du mal à croire que nous soyons obligés aujourd’hui de quémander ces informations, alors qu’elles sont si importantes pour permettre au Parlement de se décider de manière éclairée.
Pour moi, soit ce texte dicte des objectifs, non chiffrés, je le répète, soit ce sont de belles paroles, ce qui il conduira irrémédiablement à la déception. Les mesures prévues – cela a été dit avant moi – sont d’importance inégale, mais, surtout, je n’identifie pas une vraie stratégie énergétique cohérente et financée.
En conclusion, j’aurais aimé un texte de loi à la fois plus sobre, plus efficace ; j’aurais aimé moins de paroles, plus d’actions. Pour l’instant, c’est la politique de l’autruche qui prévaut. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Eh oui ! Et le fait de voter des principes dans la loi, mes chers collègues, ne débloquera pas les financements – cela n’a jamais marché –, cela ne suffira pas ! Ce projet aurait mérité de se focaliser sur les objectifs que notre pays est capable de financer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. À mon tour, je voudrais indiquer qu’il ne suffit pas d’afficher de grands principes ou des objectifs louables. Vouloir réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 soulève effectivement beaucoup de questions et appelle pour le moins un souci de cohérence qui fait défaut, me semble-t-il, dans le projet de loi, en particulier dans cet article 1er.
Aujourd’hui, la production d’électricité de la France est assurée à 90 % par ses centrales hydrauliques et nucléaires, qui n’émettent pas de CO2. Pour autant, la singularité du nucléaire nous oblige à réduire cette forte dépendance à l’égard d’une seule filière en nous appuyant sur les énergies renouvelables.
Concernant l’article 1er, j’ai le sentiment que les conséquences du plafonnement, dans toutes ces dimensions, n’ont pas été véritablement évaluées. La commission des affaires économiques n’a d’ailleurs pas manqué de relever ce manque de cohérence aux conséquences fâcheuses, en particulier l’absence d’études d’impact économiques.
Autrement dit, dans ce domaine comme dans d’autres, les bons sentiments ne suffisent pas. Une telle réduction de la part du nucléaire peut nous conduire à recourir aux énergies fossiles très polluantes, l’exemple allemand est là pour nous le rappeler. (M. Ronan Dantec proteste.) Ce pays est en effet devenu le plus gros pollueur européen depuis qu’il a pris la décision de remplacer pour partie ses centrales nucléaires par des énergies renouvelables. L’Allemagne a donc dû renforcer la production de ses centrales au charbon et importe sans état d’âme, de France, de l’électricité produite par nos centrales nucléaires.
On peut également regretter que le projet de loi ne donne la priorité qu’au développement de l’éolien et du photovoltaïque, technologies très coûteuses et intermittentes.
Enfin, je rappelle que l’objectif de 2030 ne semble accessible que si un début de moyens de stockage de l’électricité à grande échelle est disponible. C’est la seule façon d’éviter que l’intermittence de ces sources d’énergie ne conduise à utiliser les combustibles fossiles lorsqu’elles ne fournissent pas l’énergie demandée. C’est d’ailleurs ce que vient très opportunément de rappeler l’Académie des sciences en indiquant que « l’offre intermittente d’électricité d’origine renouvelable a nécessité l’ouverture de nouvelles capacités de production thermique à charbon ainsi que le développement de l’exploitation du lignite conduisant à des émissions accrues de CO2 et surtout de polluants […]. Ce constat devrait nous inciter à introduire de façon prudente et progressive des énergies qui ne sont ni contrôlables ni distribuables en fonction des besoins ».
Sur le plan économique, enfin, cet article, couplé à l’article 55 prévoyant le plafonnement de la capacité nucléaire, va à contre-courant de la volonté de redressement de l’économie puisqu’il vise à arrêter de fait des centrales nucléaires indépendamment de toute justification technique et dont le coût de production est très inférieur aux moyens de remplacement.
Bossuet, resté fameux pour ses sermons et ses oraisons funèbres, et qui aurait d’ailleurs pu trouver sa place parmi les sept sculptures qui nous surplombent et nous observent, avait l’habitude de dire que « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». La cause, c’est le plafonnement sans autre forme d’évaluation. Les effets, cela risque d’être une augmentation importante du prix de l’électricité, la fragilisation d’une filière industrielle et plus généralement de la compétitivité de notre économie et, au final, un affaiblissement de notre indépendance énergétique. C’est pourquoi la position de la commission des affaires économiques prévoyant de « caler » la réduction de la part du nucléaire sur la fin de vie de nos centrales les plus anciennes me paraît tout à fait pertinente.
Permettez-moi un dernier mot sur la forme du débat.
À l’ouverture de cette discussion, madame la ministre, vous avez fait distribuer une plaquette de communication, estampillée par votre ministère, intitulée La transition énergétique, mode d’emploi. Quelle ne fut pas ma surprise d’y voir figurer noir sur blanc les dispositions dont précisément nous nous apprêtons à discuter ce soir. Par exemple, concernant la diversification des sources énergétiques, je lis, à la page 23 : « La loi permet de diversifier les sources d’énergie pour ramener la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité à l’horizon 2025. La capacité nucléaire installée est plafonnée à 63,2 GW ». Or c’est précisément l’objet de la discussion parlementaire qui s’ouvre.
M. François Bonhomme. Je trouve que vous faites preuve de légèreté et presque de mépris envers le Parlement (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.), alors même que, dans vos propos liminaires, vous affirmiez vouloir « bâtir ensemble les convergences les plus constructives ». Malheureusement, tout cela n’y participe pas…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Bonhomme. C’est donc pour moi un facteur supplémentaire qui ne facilite pas la recherche d’objectifs partagés et plus encore des conditions nécessaires pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger cette séance jusqu’à minuit trente, afin d’aller plus avant dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
M. Roland Courteau. Je m’exprimerai non pas sur le nucléaire, l’ayant déjà largement fait précédemment à la tribune, mais sur l’alinéa 27 de l’article 1er, qui a trait aux énergies renouvelables.
Je suis persuadé que les énergies renouvelables sont l’avenir. Elles font l’objet d’une compétition mondiale qui est aussi une compétition économique dont nous ne devons pas être absents. Nous étions pionniers dans les années soixante-dix, vous l’avez rappelé, madame la ministre, dans l’éolien et le solaire. Depuis lors, nous avons été largement dépassés.
Nous devons dire « oui » au patriotisme écologique en favorisant l’essor de filières industrielles créatrices d’emplois sur notre territoire. C’est dans le domaine des énergies renouvelables que nous disposons de la plus grande marge de progrès possible, avec des bénéfices écologiques, économiques et sociaux qui seront autant d’effets de levier et d’effets de relance.
La France peut et doit figurer au premier rang en ce domaine. Une rupture technologique dans le domaine du stockage de l’électricité pourrait d’ailleurs enclencher une conversion massive de notre système énergétique. Bref, avec ce titre Ier, nous sommes au cœur de la transition énergétique.
Ce qui a le plus manqué dans la durée aux énergies renouvelables par le passé, c’est un cadre prévisible et stable, notamment sur les mécanismes de soutien, pour lesquels nous avions besoin de visibilité. Il convenait donc d’en finir avec l’imprévisibilité de ces mécanismes et de définir un modèle de développement stable. C'est ce que prévoit le projet de loi. Il faut le reconnaître, le non-financement des mesures décidées lors du Grenelle de l’environnement nous a handicapés, et je ne pense pas seulement au boulet que représentent les 5 milliards d’euros de dette au titre de la CSPE.
La complexité de l’encadrement réglementaire a constitué un autre frein. Pourquoi fallait-il de huit à neuf années pour réaliser un projet éolien en France, contre trois ou quatre seulement en Allemagne ? La multiplication des recours n’est sûrement pas étrangère à cette situation…
Le développement d’énergies renouvelables propres et inépuisables à long terme forme avec les économies d’énergie les deux piliers essentiels de la transition énergétique. Toutes les énergies renouvelables doivent être mobilisées : l’éolien, y compris le petit éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie, les énergies marines. Plus les sources seront nombreuses, diversifiées et locales, mieux cela vaudra ! Nous avons des atouts considérables dans l’Hexagone et en outre-mer pour devenir l’un des leaders mondiaux en ce domaine.
Le présent texte va lancer un mouvement qui ne peut que s’accélérer grâce aux dispositions qu’il contient. Voilà donc une belle opportunité de créer des emplois non délocalisables, de protéger la santé des Français, de lutter contre les gaz à effet de serre, tout en allégeant notre facture énergétique, en stimulant l’innovation et en favorisant une production décentralisée.
Madame la ministre, je terminerai mon propos en vous posant une question. Aujourd’hui, j’y insiste, les producteurs d’énergies renouvelables intermittentes sont les seuls à ne pas appliquer le statut national des industries électriques et gazières, qui constitue la réglementation sociale des producteurs d’électricité. Or le programme éolien offshore va donner une dimension industrielle à ce type d’énergie créatrice de nombreux emplois. Pouvez-vous m’indiquer s’il est dans les intentions du Gouvernement d’appliquer ce statut aux personnels travaillant pour l’exploitation des éoliennes offshore ?
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l'article.
M. Maurice Antiste. L’article 1er du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, sur lequel nous devrons nous prononcer, constitue, à bien des égards, un article fondateur et totalement novateur, car il détermine le renouveau de la politique énergétique dont notre pays a tant besoin.
Cet article se fonde sur un volontarisme politique dont on ne peut que se féliciter, puisqu’il tend à une utilisation plus rationnelle et plus efficace de nos sources d’énergie, en y associant tous les acteurs concernés : l’État, les collectivités territoriales, le secteur associatif, voire chacun de nos concitoyens. Il s’agit non seulement de basculer résolument vers un mode de production plus économe en matière de consommation énergétique, moins émetteur de gaz à effet de serre, mais aussi de renouer avec une croissance écologique et durable, à la fois ambitieuse et créatrice d’emplois.
Pour ce qui concerne les outre-mer, compte tenu de leurs caractéristiques géographiques et environnementales particulières, ainsi que de la richesse de leur diversité, la future politique énergétique prônée par l’article 1er du projet de loi devra promouvoir un nouveau modèle de développement durable spécifique. Celui-ci aura le mérite, appréciable, de respecter l’environnement, de se combiner à une diminution des consommations en énergie, en eau et autres ressources naturelles, sans compromettre les besoins des générations futures.
Étant donné notre positionnement géostratégique, nous devons établir un rapport gagnant-gagnant, quels que soient nos statuts. Les outre-mer représentent 97 % de la surface maritime de la France et la placent en deuxième position mondiale pour ce qui est de la biodiversité. Dès lors, la dynamique de transition énergétique en outre-mer a trois objectifs.
En premier lieu, elle vise à diminuer l’empreinte carbone de nos territoires en réaffirmant la nécessité de poursuivre l’objectif de diminution des gaz à effet de serre tel qu’il est déjà défini dans le Grenelle de l’environnement.
En deuxième lieu, elle tend à créer de l’activité par le biais des filières énergétiques renouvelables. Le Grenelle de l’environnement avait fixé des objectifs clairs : l’autosuffisance en 2030, avec un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables en 2020. S’agissant du photovoltaïque, le système de défiscalisation a malheureusement été supprimé et le tarif de rachat par EDF a baissé. La commission Baroin souhaitait que l’on ramène ce tarif à 0,20 euro, mais aucune décision concrète n’a depuis été prise. L’examen de ce projet de loi est donc l’occasion d’obtenir du Gouvernement l’engagement d’une mise en place, dans les meilleurs délais, d’un tarif de rachat attractif, seul moyen de relancer la filière.
Madame la ministre, je souhaiterais également recevoir une confirmation claire s’agissant de l’accès des équipements photovoltaïques au crédit d’impôt développement durable.
En ce qui concerne la biomasse, nous attendons davantage de précisions sur le tarif de rachat des matières de deuxième génération, comme les herbes à éléphant et les copeaux de bois, qui seront importées. Alors que les unités prévues pour fonctionner avec de la biomasse devaient brûler du charbon importé en quantités importantes, l’intervention énergique du conseil régional de la Martinique a permis de remplacer ce combustible polluant par de la biomasse.
Dans le domaine de la géothermie, nous préconisons un développement en interconnexion avec la Dominique pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique. Notons que le coût des forages est extrêmement élevé. Là aussi, la mutation énergétique a un prix ; or le texte ne prévoit pas de moyens pour accompagner les régions et les collectivités d’outre-mer.
L’éolien, enfin, fait l’objet d’un tarif de rachat. La filière essaie de redémarrer selon les choix que chacun a faits localement.
En troisième lieu, la transition énergétique en outre-mer n’aurait pas de sens sans la concrétisation des opportunités d’emplois qu’elle induit et la sécurisation de l’approvisionnement en énergie des ménages. Ainsi, concernant la rénovation thermique des bâtiments, rappelons que le confort thermique représente l’essentiel de la consommation des bâtiments dans l’habitat comme dans le tertiaire. La définition et le déploiement de la réglementation thermique martiniquaise sont une source d’activités majeure pour le secteur du BTP local, mais aussi potentiellement pour l’industrie locale. Une réglementation française caribéenne et les labels associés seront également des opportunités majeures pour l’export de nos savoir-faire intellectuels et techniques et de nos produits industriels vers le bassin caribéen.
Mais le succès de cette transition pour une croissance verte dépend également du mode de gouvernance adopté.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Maurice Antiste. Notre souhait, madame la ministre – je sais que c’est aussi le vôtre –, est de faire de la Martinique un lieu privilégié de démonstrations et d’expérimentations technologiques, institutionnelles, financières et réglementaires. Les résultats et retours d’expérience de ces démonstrations, au-delà de leur intérêt et nécessité évidents pour la Martinique, seront autant de solutions éprouvées, à la disposition du pays tout entier, de ses collectivités, de ses entreprises et de tous ceux qui ont à cœur de construire ensemble une irréversible mutation écologique redonnant sens à un développement économique harmonieux de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, sur l'article.
M. Thani Mohamed Soilihi. À Mayotte, l’électricité est arrivée assez tard, en 1977, et le réseau n’a couvert l’ensemble du territoire qu’à compter de 1990. Aujourd’hui, la production électrique dans le département est assurée par EDM, Électricité de Mayotte, une société anonyme d’économie mixte, détenue à 50,01 % par le conseil général, à 24,99 % par EDF, à 24,99 % par SAUR International et à 0,01 % par l’État.
Alors même que Mayotte est une île au potentiel solaire considérable, une île aux richesses naturelles exceptionnelles qu’il convient de préserver, l’approvisionnement énergétique repose à 99 % sur les énergies fossiles.
La mise en place de nouvelles sources de production qui répondraient à la croissance démographique et économique actuelle et à venir doit être encouragée. En effet, ce territoire a connu, entre 2003 et 2004, une progression de 30 % de sa consommation électrique. Cette croissance exponentielle a rendu d’autant plus importante la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et la mutation vers les énergies renouvelables, peu coûteuses et non polluantes. Parmi ces énergies nouvelles, le photovoltaïque représente une technique intéressante, car la capacité solaire de l’île est immense. Sa proximité avec l’équateur lui confère 200 heures d’ensoleillement de plus que La Réunion. Cette technique s’est développée ces dernières années, mais la part du photovoltaïque dans le mix énergétique reste extrêmement faible, de l’ordre de 5,8 %.
L’article 56 de la loi du 3 août 2009 fixait comme objectif de parvenir, dans les départements d’outre-mer, à une autosuffisance énergétique dès 2030 et prévoyait également un objectif intermédiaire de 50 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020, à l’exception de l’île de Mayotte pour laquelle cet objectif ne s’élevait qu’à 30 %. L’article 1er du projet de loi propose de reprendre ces dispositions.
Qu’il s’agisse du Grenelle 1 ou du texte dont nous débattons aujourd’hui, aucune explication n’a permis de justifier cette différence de traitement. Je défendrai un amendement qui tend à élargir cet objectif de 50 % à l’ensemble des départements d’outre-mer, afin d’encourager Mayotte à rattraper son retard. D’autres sources d’énergies pourraient d’ailleurs être développées pour faire face à la demande, comme le biogaz – 60 % des déchets de Mayotte sont biodégradables – et la micro-hydraulique.
Enfin, madame la ministre, je profite du temps de parole qui m’est alloué pour vous demander également de me préciser où en est le projet Opéra, pour Opération pilote énergies renouvelables, destiné à sécuriser le réseau électrique autonome de Mayotte, lancé conjointement par l’Institut national de l’énergie solaire, les sociétés EDM et Sunzil. Il consiste à disposer de batteries géantes pouvant injecter jusqu’à 3 mégawatts dans le réseau électrique, pour prendre le relais du soleil lorsqu’il disparaît, le temps que la centrale thermique se remette en route. Il est vrai qu’en période d’été austral, l’intermittence du photovoltaïque engendre des difficultés de stabilisation du réseau.
De manière anecdotique, je terminerais en rappelant à nos collègues de l’Assemblée nationale que Mayotte est bel et bien un département et une région d’outre-mer, ou DROM, contrairement à ce que le rapport d’information de la délégation aux outre-mer, intitulé Les outre-mer face au défi de la mutation énergétique et écologique, mentionne à la page 46. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, sur l'article.
Mme Élisabeth Lamure. Pour donner l’illusion qu’une nouvelle politique publique énergétique est en marche, le Gouvernement nous a gratifiés de deux dispositions au caractère purement incantatoire. La première porte sur le plafonnement du parc nucléaire à son niveau actuel, soit 63,2 gigawatts, ramené avec prudence par notre rapporteur à 64,8 gigawatts. La seconde, surtout, fixe l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique à 50 % en 2025. Là encore, notre rapporteur a cherché à moduler cet objectif avec tact. Néanmoins, je m’interroge sur la volonté gouvernementale de faire cohabiter, sur un même pied d’égalité, l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et celui de réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique.
Nous le savons tous, et le Gouvernement ne l’ignore pas, le nucléaire est le principal atout dont nous disposons pour lutter contre ces émissions. En effet, si la France n’émet que 5,6 tonnes de CO2 par habitant contre 9,1 tonnes pour l’Allemagne, c’est justement grâce au nucléaire.
En ce qui concerne la compétitivité et le pouvoir d’achat de nos concitoyens, là encore, c’est le nucléaire qui nous permet de fournir une électricité à 15 centimes d’euros le kilowattheure contre 20 centimes pour la moyenne européenne ou 30 centimes pour l’Allemagne. Et combien coûte le combustible nucléaire que nous importons et qui permet de produire 77 % de notre électricité ? Entre 500 millions et 1 milliard d’euros ! Avec cette somme, nous produisons le tiers de nos besoins énergétiques finaux.
Par comparaison, les importations de produits pétroliers ont coûté 52 milliards d’euros, les importations de gaz, 14,2 milliards d’euros et les importations de charbon, 1,9 milliard d’euros. Vous trouverez ces chiffres dans le rapport Panorama énergies-climat 2014, disponible sur le site du ministère de l’écologie, du développement durable et de l'énergie.
Ainsi, le nucléaire est un atout incontournable pour notre souveraineté, notre compétitivité et la préservation de notre environnement. Pour ces raisons, cette volonté de réduire le nucléaire à 50 % en 2025 est une tromperie.
Vous ne pourrez pas fermer vingt de nos cinquante-huit réacteurs en dix ans. Vous éprouvez déjà les plus grandes difficultés à supprimer la centrale de Fessenheim, de telle sorte que plus personne ne peut vous croire. D’ailleurs, c’est en cinq ans que vous envisagez de fermer les réacteurs, puisque votre étude d’impact précise que ces fermetures interviendront entre 2020 et 2025.
En admettant que vous fermiez vingt réacteurs, au mépris des bassins industriels, je poserai la même question que mon collègue Bruno Retailleau : par quoi les remplacerez-vous ? Où trouverez-vous les térawattheures manquants ? Pas dans l’hydroélectrique en tout cas : le potentiel français y est désormais très faible.
Dans la biomasse ? Oui, dans une certaine mesure, mais ne faites pas croire que cette source de production électrique peut être indéfiniment développée : ce n’est pas le cas, notamment à cause de rejets de polluants atmosphériques.
Dans le photovoltaïque et l’éolien offshore peut-être ? Pourquoi pas, mais à très long terme ! Au reste, songez au coût de ces sources de production électrique…
Dans l’éolien terrestre alors ? C’est sans doute la seule solution qui ne soit pas infinitésimale à l’heure actuelle. Mais combien d’espaces, combien de terres faudra-t-il mobiliser ?
Dans ces conditions, il est clair que votre objectif de réduction est une tromperie. Pour ma part, je refuse d’en être complice ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l'article.
M. Ronan Dantec. Puisque nous allons débattre ensemble très longuement, il serait dommage que nous partions sur des fictions. À cet égard, je vais essayer d’apporter quelques rectificatifs à ce que certains ont pu dire.
Parmi ces fictions, il en est une de nature à ravir les membres de mon groupe : c’est l’idée que la France changerait aujourd'hui de paradigme énergétique, au travers du présent projet de loi, uniquement grâce au poids politique des écologistes. Nous remercions ceux qui nous rendent ce bel hommage. Néanmoins, soyons modestes : ce n’est pas tout à fait la réalité. On oublie de dire qu’il y a eu un an de débats,…
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Ronan Dantec. … auxquels ont participé les entreprises, les ONG, les syndicats, les collectivités territoriales, les parlementaires et qu’à l’issue de ces débats les scénarios de diversification énergétique, portés par des ultra-écolos radicaux, comme GDF ou l’ADEME, se sont imposés comme étant les plus crédibles, tandis que le scénario dit « du tout-nucléaire », qui était défendu par l'Union française de l'électricité, l’UFE, ne permettait pas de respecter les grands objectifs, notamment celui de réduction des gaz à effet de serre.
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. Ronan Dantec. Telle est la réalité de ce qui s’est passé l’année dernière. Et cette année de débats, auxquels beaucoup de personnes ont participé, ce n’est pas de la fiction !
Parmi ces fictions, il y a bien évidemment aussi l’idée – le slogan, pourrais-je dire – que le nucléaire « c’est pas cher ». Pourtant, dans un article publié le 19 janvier dernier, autrement dit tout récemment, le journal Les Échos – que je lis, entre autres feuilles de chou écolos – rappelle qu’aujourd'hui le prix du mégawattheure sur le marché de gros européen de l’électricité s’élève à 37 euros, quand le prix de l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique – ou « prix ARENH » – du mégawattheure sorti des centrales nucléaires françaises est de 42 euros.
Dans le même temps, EDF dit vouloir vendre le mégawattheure à 55 euros pour coller à la réalité de nos coûts de production du nucléaire. D’ailleurs, ce chiffre recoupe tout à fait celui de la commission d’enquête qui avait été créée, au Sénat, sur le coût réel de l’électricité, dont M. Desessard était le rapporteur et M. Poniatowski le président. Au reste, il n’intègre ni l’assurance, ni les frais inhérents à la recherche, ni la totalité des coûts du démantèlement.
Les graphiques qui illustrent l’article du journal Les Échos montrent même que le prix de marché est moins cher en Allemagne qu’en France. Dès lors, il n’est pas vrai que le nucléaire n’est pas cher en France et qu’il est plus cher ailleurs, notamment en Allemagne et dans le reste de l’Europe. C’est une jolie fiction, qui ne correspond pas à la réalité des marchés. Je pensais que des libéraux comme vous le sauraient…
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Ronan Dantec. Nous devons essayer de comprendre d’où vient cette fiction française.
Gérard Longuet a évoqué avec nostalgie un axe gaullo-communiste. Marcel Boiteux a, lui aussi, été sorti de l’histoire. Mes chers collègues, ce monde n’existe plus ! Cette réalité, c’était celle des années cinquante et soixante – peut-être encore du début des années soixante-dix, si l’on tient compte du plan Messmer. Elle a disparu voilà déjà très longtemps !
La réalité du monde d’aujourd'hui, comme Mme la ministre l’a dit très fortement et très précisément, sur la base de chiffres émanant de l’Agence internationale de l’énergie – encore des super-écolos… –, c’est 1 200 milliards d’euros d’investissements dans les énergies renouvelables dans le monde d’ici à 2020, alors que, pour le nucléaire, cet investissement doit être de l’ordre d’une centaine de milliards d’euros.
Autrement dit, nous mettons toute la puissance industrielle française, y compris la recherche et le développement, sur un secteur marginal à l’échelle internationale.
M. Jean Desessard. Et dépassé !
M. Ronan Dantec. Par conséquent, nous perdons des emplois. Nous perdons des parts de marché.
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Ronan Dantec. Nous affaiblissons la France.
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Ronan Dantec. Si nous ne bougeons pas, si nous n’engageons pas la transition énergétique, le déclin de la France est assuré.
Certains disent que le nucléaire marche et appellent à ne toucher à rien, comme si les centrales pouvaient continuer à vivre quatre-vingts ans sans que rien ne bouge. On sait très bien qu’il faudra investir entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros par tranche pour prolonger les centrales de plus de quarante ans, montant à multiplier par le nombre de tranches qui, justement, atteindront les quarante ans entre 2020 et 2025. Nous n’en avons pas les moyens !
Si nous ne mobilisons pas l’argent privé sur les énergies renouvelables avant cette date, nous irons au-devant de problèmes extrêmement importants. C’est pourquoi le projet de loi crée, enfin, de la planification en la matière, retenant, à raison, l’échéance de 2025, puisque, comme l’a dit Mme la ministre, c’est à cette date que deux tiers des tranches nucléaires atteindront quarante ans. Dès lors, contester cette date clé, c’est tout simplement ne pas regarder la réalité énergétique de la France. C’est faire preuve d’autisme !
Cela étant posé, on peut discuter d’un certain nombre d’éléments, comme les problèmes liés à la taxe carbone, etc.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Ronan Dantec. En tout état de cause, de tous les discours tenus aujourd'hui, c’est le nôtre qui me semble le plus rationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 16, 2014-2015) ;
Rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 263, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 264 rectifié, 2014-2015) ;
Avis de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances (n° 236, 2014-2015) ;
Avis de Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture (n° 237, 2014-2015) ;
Avis de M. Louis Nègre, fait au nom de la commission du développement durable (n° 244, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 11 février 2015, à zéro heure vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART