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Nomination d’un membre d’une commission sénatoriale
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe UDI-UC a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Olivier Cigolotti membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean Boyer, démissionnaire de son mandat de sénateur.
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Débat sur l'évolution des finances locales
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur l’évolution des finances locales, organisé à la demande du groupe UMP.
La parole est à M. François Baroin, orateur du groupe auteur de la demande.
M. François Baroin, au nom du groupe UMP. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun comprendra aisément que l’évolution des finances locales soit au cœur de nos préoccupations.
L’article 24 de la Constitution donne au Sénat une mission « de représentation des collectivités territoriales de la République » ; son article 72-2 précise que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi ».
La question des moyens est donc constitutive de nos collectivités territoriales en ce que ceux-ci donnent corps à la mise en œuvre de leurs compétences.
Chacun connaît l’état de nos finances publiques, et cette question doit donc être abordée en toute objectivité.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, aucune personne sérieuse, à la tête d’une collectivité locale, quels que soient son engagement politique, ses responsabilités ou son expérience, ne conteste la nécessité de réduire les déficits publics de notre pays. Chacun doit apporter sa part, sa contribution : c’est une question de responsabilité, il y va d’une certaine idée de l’intérêt général, de la souveraineté de notre pays. Avec une dette publique de plus de 2 000 milliards d’euros et un déficit public s’établissant largement, aujourd’hui encore, au-dessus du maximum fixé par les traités européens qui engagent la France, et donnant lieu à une difficile négociation avec Bruxelles, chaque source de dépense doit être envisagée à l’aune de cette nécessité.
Il ne s’agit pas uniquement de respecter nos engagements communautaires ; il s’agit aussi d’assurer la compétitivité du « pavillon France », de faciliter la création des emplois de demain, de ne pas transmettre aux générations futures une dette fondée sur des dépenses de fonctionnement que les générations actuelles doivent assumer.
Notons que, sur ce point, le cadre juridique de nos collectivités locales est exemplaire : elles ne peuvent emprunter que pour financer des dépenses d’investissement. Je regrette que cette règle d’or n’ait pas été inscrite dans la Constitution. Lorsque j’étais ministre du budget, j’avais engagé des discussions sur ce sujet avec les représentants de l’actuelle majorité : nous avions commencé à avancer sur un texte qui visait à modifier notre loi fondamentale afin d’interdire d’emprunter pour financer des dépenses de fonctionnement, que ce soit auprès des marchés financiers ou d’établissements prêteurs tels que la Caisse des dépôts et consignations.
Cette règle d’or ne s’applique donc qu’aux collectivités territoriales. Vous me permettrez, dans un esprit de concorde nationale, de citer le Président de la République, qui, dans son discours de candidat à Dijon, avait déclaré que « si l’État était soumis aux mêmes contraintes que les collectivités locales, sa défaillance aurait été constatée depuis longtemps » ! (Mme Marylise Lebranchu, ministre, marque son approbation.) Je n’ai, personnellement, rien à retirer à ces propos. C’est auprès des bons auteurs que l’on trouve les meilleures sources, et je me permettrai de vous citer dans quelques instants, madame la ministre ! (Sourires.)
La trajectoire financière du rééquilibrage de nos comptes publics ne sera soutenable que si les trois acteurs, l’État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales, concourent équitablement à l’effort.
La situation est bien connue. Dans le contexte d’une crise économique internationale majeure, j’avais, en tant que ministre du budget, assumé totalement le gel des dotations de l’État aux collectivités locales. Il s’agissait, à l’époque, d’un effort de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, avec une inflation un peu plus élevée qu’aujourd’hui, effort partagé entre l’État et les collectivités locales de façon justement équilibrée au travers de la révision générale des politiques publiques, prévoyant notamment le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux.
En ce qui concerne la sécurité sociale, nous avions réduit l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, qui n’avait jamais été respecté depuis 1993, à un niveau tel que tout le monde nous expliquait que notre objectif était impossible à tenir. Finalement, l’objectif d’une augmentation de 2,7 % des dépenses d’assurance maladie pour l’exercice budgétaire 2011 a été atteint : lorsque l’équilibre est juste et l’effort partagé par tous, l’objectif fixé est atteignable par chacun !
Cette mesure de gel des dotations aux collectivités territoriales correspondait à des gains de productivité possibles, notamment dans le cadre de la réforme territoriale : suppression de la clause générale de compétence, réduction du nombre d’élus, meilleure coordination par l’institution du conseiller territorial… L’État s’imposait également une réduction de ses effectifs en appliquant la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux que je viens d’évoquer.
Dans ce débat, il ne peut donc pas y avoir, me semble-t-il, de postures : droite et gauche ont voté successivement des mesures contraignantes pour nos collectivités. Les élus locaux sont responsables et prêts à contribuer au redressement des finances publiques.
Le débat d’aujourd’hui porte non pas sur la nécessité de consentir des efforts, mais sur le positionnement judicieux du curseur, à la hauteur des responsabilités de chacun.
Le Gouvernement a décidé de réduire de 30 % le montant des dotations versées aux collectivités pour la période 2014-2017. Il s’agit, au total, d’une ponction de 28 milliards d’euros sur le budget des collectivités en quatre ans, ce qui n’a rien de comparable avec le gel des dotations que nous avons connu.
La répartition de ces efforts est profondément inéquitable, et même dangereuse au regard du rôle joué par les collectivités locales pour soutenir la croissance, à travers l’investissement public et la commande publique, qui engendrent un volume d’activité permettant aux entreprises de maintenir les emplois en période de crise ou d’en créer en période plus favorable.
Sur les trois sources de dépenses, la plus importante est celle de la sécurité sociale – 650 milliards d’euros environ –, la deuxième est celle de l’État – 280 milliards d’euros, hors dettes et pensions –, la plus modeste est celle des collectivités territoriales – 230 milliards d’euros. N’oublions pas que l’investissement public est assuré à 70 % par les collectivités locales, dont 58 % par le bloc communal – communes et intercommunalités. Pour aller à l’encontre de tant de rapports orientés, qu’il me soit permis de souligner, au nom du groupe UMP, que la part des collectivités locales dans la dette publique de 2 000 milliards d’euros de notre pays n’est que de 9,7 %, dont 4 % pour le bloc communal. Et l’on demande aux collectivités locales une contribution à l’effort global de 25 % ! L’objectif est inatteignable en volume et dans le calendrier prévu.
L’examen attentif des objectifs de réduction du déficit public fait apparaître un objectif de réduction globale des dépenses chiffré à 11,5 milliards d’euros à l’horizon 2017, soit une réduction des dépenses de l’État équivalente à la réduction des recettes des collectivités locales. En effet, le programme de stabilité prévoit explicitement que la contribution des collectivités correspondra en totalité à une diminution des concours financiers de l’État, qui seront réduits de 11 milliards d'euros.
L’État ne peut s’exonérer de conduire de véritables réformes structurelles et transférer ainsi à nos collectivités le coût de dépenses de fonctionnement qu’il n’a pas su maîtriser. Le transfert de l’impôt national à l’impôt local est le fil rouge de ce plan de réduction des déficits. Ce n’est pas acceptable. Nous sommes en profond désaccord avec vous sur ce point.
Dans un rapport récent, la Cour des comptes a expliqué que, de son point de vue, les collectivités locales pouvaient parfaitement assumer ce choc en augmentant les impôts locaux ou la dette. Il me faut réfuter cette argumentation développée par la Cour des comptes.
L’augmentation de la fiscalité locale est un choix souverain des instances délibérantes municipales ou intercommunales. Les décisions en matière d’investissement et de fiscalité locaux sont profondément politiques. La plupart des élus, de gauche comme de droite, ont fait, peu ou prou, campagne sur le thème de la stabilité fiscale, au moins à périmètre constant. Je ne connais pas un élu local qui ait fait campagne sur une sévère augmentation des impôts ! S’il en existe un, il doit être doté d’un immense talent…
Quelques semaines après les élections, nous avons appris cette mesure « guillotine » de réduction des dotations sur la période 2014-2017. Nous nous sommes donc trouvés dans l’obligation de préparer un budget en augmentant soit les impôts – mais les collectivités refusent ce transfert de l’impôt national vers l’impôt local –, soit l’endettement, mais la dette d’aujourd'hui, c’est l’impôt de demain, et il n’est donc pas concevable de financer durablement l’investissement public par la dette. Pour l’exercice 2015, les collectivités vont réduire leur autofinancement afin d’atteindre les objectifs fixés ; en 2016, les comptes de nombreuses collectivités territoriales basculeront dans le rouge… (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Nous attirons solennellement votre attention sur la question de l’investissement public, madame la ministre. Toutes les études convergent : le choix des élus sera naturellement de réduire l’investissement public.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. François Baroin. Le cycle électoral, période traditionnellement blanche ou grise en matière d’investissement public, se conjugue à deux éléments très importants.
Le premier est le décalage des discussions budgétaires. Même les villes moyennes ou grandes, qui avaient l’habitude de voter leur budget avant la fin de l’année après un débat d’orientation budgétaire à l’automne, ont décalé ce vote d’au moins trois mois. La loi permet de le décaler jusqu’au 15 avril. Le temps de lancer la commande publique, rien ne se produira avant la fin du mois de juin, c'est-à-dire au début de la période estivale, quand les gens partent en vacances. Par conséquent, il n’y aura aucun investissement public des collectivités locales avant le début de l’automne. Un impact direct sur l’activité économique, la croissance, le soutien à l’investissement, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, se fera donc fortement sentir dès cette année.
Le second élément est la baisse prévisible de l’investissement public du bloc communal sur la période 2014-2017, qui est estimée à 30 % par des études objectives comme celles de la Banque postale ou de l’Association des maires de France. Or une baisse de 30 % de l’investissement public d’ici à 2017 représente une perte de 0,6 point de croissance. Sans entrer dans un débat polémique, je souligne que le projet de loi Macron table sur un gain de croissance de 0,1 point grâce à des changements de la réglementation… Au total, la perte de croissance sera donc d’au moins 0,4 point. Cela représente entre 4 milliards et 6 milliards d'euros en moins pour financer les politiques publiques. Disons-le clairement, la gravité de la situation exige la tenue d’urgence d’une conférence entre l’État et les collectivités locales : il faut dire la vérité à nos concitoyens.
Madame la ministre, derrière les chiffres et les plans de communication, il y a la vie quotidienne des Français. Je m’efforce depuis plusieurs semaines, avec bon nombre de mes collègues, de réveiller votre fibre d’élue locale, qui s’est un peu endormie malgré votre solide expérience. Vous n’êtes pas frappée d’amnésie : vous savez la difficulté de la gestion locale et l’impact des choix gouvernementaux sur les services publics ou l’investissement.
Comment croire un seul instant que le prélèvement sur nos collectivités que vous prévoyez n’aura pas d’impact sur les services de proximité, les crèches, les écoles, l’action sociale, l’animation culturelle ou sportive de nos territoires ? Comment croire un seul instant que le tissu associatif ne sera pas affecté ? On parle d’une réduction de 10 % à 12 % par an des subventions aux associations sur la période 2015-2017, soit une baisse cumulée de 30 %, comme pour l’investissement public. Où les associations trouveront-elles l’argent nécessaire pour assurer leurs missions, qui accompagnent très utilement l’action des collectivités locales ?
Alors qu’une crise politique, économique et sociale profonde traverse notre pays, l’action de nos collectivités pour maintenir la cohésion nationale est particulièrement attendue par nos compatriotes. Nous ne pouvons laisser au bord du chemin les plus fragiles d’entre eux. L’inclusion sociale doit rester au cœur du projet républicain, surtout dans la période actuelle. Sans l’apport des collectivités, cette ambition ne pourra être soutenue. De grands rassemblements ont appelé au vivre-ensemble : permettons aux territoires de conduire les politiques indispensables pour répondre à cette aspiration collective.
Derrière les chiffres, il y a aussi la question de l’accueil et du développement des entreprises. Nos collectivités agissent directement pour le développement de leur territoire, dont l’attractivité se mesure à l’aune de la qualité de l’accueil des salariés en matière d’habitat, de transports publics et d’autres services de proximité. Le choix d’une entreprise de s’installer sur un territoire ne tient pas uniquement à la fiscalité : il dépend aussi du cadre général, de la présence de filières d’enseignement supérieur, de la qualité des transports publics, des équipements culturels et sportifs, de l’habitat… Tous ces paramètres influent sur les décisions des acteurs économiques qui envisagent d’investir.
Améliorer l’attractivité d’un territoire justifie la mise en place de politiques publiques d’accompagnement des zones de développement. Ce sont des dépenses d’investissement productives, des dépenses d’avenir, qui ouvrent des perspectives de développement à notre pays. Qui prendra le relais des collectivités après cette disette budgétaire imposée ? La vie économique de notre pays est aussi liée à la capacité d’investissement de nos collectivités.
Bien sûr, nous devons poursuivre nos efforts, mais les dépenses de fonctionnement des collectivités sont difficilement compressibles. Il y a une corrélation entre la fonction publique d’État, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale : les choix effectués au niveau national ont une incidence directe sur la gestion du budget de fonctionnement des collectivités, au travers des charges de personnel.
Madame la ministre, vous êtes chargée de mener la difficile négociation avec les syndicats de la fonction publique, dont les représentants, je puis en témoigner, sont par ailleurs des personnes remarquables, attachées à l’esprit du service. Les décisions que vous prendrez au sujet du glissement vieillesse-technicité ou de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales auront un effet direct sur les budgets des collectivités territoriales.
M. Vincent Delahaye. C’est déjà fait !
M. François Baroin. Vous déciderez, nous appliquerons… Nous ne voulons pas ouvrir le débat sur le statut de la fonction publique. Il n’en reste pas moins que, en raison du lien entre les trois fonctions publiques, nous devons faire des choix en fonction de ce que vous décidez.
Madame la ministre, vous avez eu une vie avant d’entrer au Gouvernement.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Je m’en souviens !
M. François Baroin. Vous avez été présidente de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ah !
M. François Baroin. En cette qualité, par une curieuse inversion des rôles, vous avez déclaré, dans un communiqué de presse en date du 29 septembre 2010, que le gel des dotations était une mesure « dangereuse pour l’activité économique alors que les collectivités [représentaient] plus de 70% de l’investissement public » et que ce gel allait « entraîner un recul fort et néfaste de l’investissement public aux dépens de la croissance ».
M. Albéric de Montgolfier. Très juste ! C’était un discours vrai !
M. François Baroin. Nous ne proposions, à cette époque, qu’un gel des dotations. Que dites-vous aujourd'hui d’une saignée et d’une disette imposées, d’une chute dramatique des dotations au cours des quatre prochaines années ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Dépassons les frontières partisanes, dans l’esprit de responsabilité qui nous anime tous : la baisse des dotations aura un impact trop fort. Selon la Fédération nationale des travaux publics, entre 60 000 et 70 000 emplois, sur un total de 260 000, devraient être supprimés dans ce secteur dans les trois années à venir, soit un emploi sur cinq, à cause de la réduction de l’investissement public qui découlera de la réduction des dotations de l’État aux collectivités locales.
Dans le même esprit de responsabilité, je voudrais formuler quelques propositions. Les collectivités doivent prendre leur part à l’effort national, mais leur juste part. La baisse des dotations doit être réajustée en 2016, étalée dans le temps, revue en volume. La rationalisation de la décentralisation et la simplification des normes doivent également être réexaminées. L’excellent rapporteur général et la présidente de la commission des finances avaient évalué à 1,2 milliard d'euros l’impact de l’inflation normative – l’année dernière, 253 normes nouvelles, soit une trentaine par mois, ont été instaurées – et de l’aménagement des rythmes scolaires. Il faut remettre en cause ces mesures.
Il convient également d’identifier la partie de la dette qui finance les investissements. Il est parfaitement possible de négocier avec Bruxelles une non-prise en compte des investissements publics au titre du critère maastrichtien. Il est curieux de constater que, d’un côté, on se prépare à éteindre le dernier moteur de l’investissement public en baissant les dotations des collectivités locales, tandis que, de l’autre, on envisage une relance de l’investissement public à l’échelle européenne à travers le plan Juncker de 300 milliards d'euros.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François Baroin. Je souhaite que notre rendez-vous du début de février avec M. le Premier ministre, dont j’ai salué l’ouverture, s’inscrive dans l’esprit que je viens d’exposer au nom des maires de France. Il est urgent d’organiser une réunion pour revoir le calendrier et le volume de la baisse des dotations, et ainsi préserver tant l’autonomie des choix des collectivités territoriales que leur rôle d’agents économiques au service de la croissance de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, disserter de l’évolution des finances locales en huit minutes relève de la gageure, surtout lorsqu’on sera peut-être, dans quelque temps, chargé des affaires. J’ai préféré me livrer à un exercice de prospective générale en traitant le sujet selon les quatre points suivants, avec peut-être un œil plus universitaire : les bases à retenir pour un nouvel impôt local, l’hétérogénéité des territoires et la péréquation, l’autonomie fiscale, une nouvelle gouvernance des finances publiques.
Quelles peuvent être les bases d’un nouvel impôt local ? L’histoire de la fiscalité locale moderne comporte des étapes clefs : en 1789, on crée les contributions directes nouvelles ; en 1917, on substitue aux contributions directes l’impôt sur le revenu, tout en conservant la référence aux « principaux fictifs » ; l’ordonnance du 7 janvier 1959 fonde une nouvelle fiscalité – qui ne sera mise en place que dans les années soixante-dix puis quatre-vingt –, assise sur des valeurs locatives et instaurant la taxe professionnelle ; enfin, la réforme de 2010-2015, marquée par le constat de la nécessité de revoir les bases de l’impôt économique, vidé de sa substance et devenu dotation d’État pour moitié, et la naissance de la contribution économique territoriale, la CET.
Nous avons incontestablement manqué d’audace depuis 1789, alors que nous aurions pu déconnecter le système local du système national, pour lui donner une certaine indépendance. En 2015, alors qu’il nous appartient de finaliser la réforme en cours, je suis de ceux qui pensent que nous serons à nouveau conservateurs : premièrement, la pression fiscale générale empêchera d’orienter la fiscalité locale selon des critères touchant aux revenus, ce qui n’est pas fait pour me déplaire ; deuxièmement, le besoin de ressources dynamiques auquel est confronté l’État l’empêchera de consentir au transfert d’impôts nouveaux souhaité.
On peut donc estimer que, en la matière, nous nous acheminons vers le statu quo, avec une orientation renforcée vers un système de dotations, sans oublier, bien sûr, les effets induits par le transfert de compétences issu de l’adoption de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et ceux de la contribution à l’effort de redressement national, qu’a si bien évoqués M. Baroin. Il importera, bien entendu, que l’équité fiscale soit renforcée par le biais de la révision des valeurs locatives, qui ne doit plus souffrir d’aucun retard.
En ce qui concerne l’hétérogénéité des territoires, la mondialisation et la péréquation, je dirai que, jusqu’à la fin du XXe siècle, chacun a pu se satisfaire d’un système largement corrélé aux fondamentaux de notre fiscalité nationale que sont les investissements ou biens corporels et leur localisation géographique, le credo reposant sur le lien entre le contribuable et l’élu avec, au faîte du dispositif, le rapport de l’impôt économique avec le territoire concerné.
Cette règle a longtemps trouvé sa justification, tant que l’économie pouvait se déployer harmonieusement sur le seul territoire national, en accordant une prime aux plus ingénieux et à ceux qui déployaient de justes efforts pour attirer et capter industrie et économie.
Depuis une ou deux décennies, cependant, force est de constater que notre géographie économique, altérée par la mondialisation, s’est cristallisée autour de zones stratégiques, portuaires, de convergence logistique ou de consommation, et autour des zones urbanisées qui offrent la main-d’œuvre qualifiée attendue. Est apparue une dichotomie territoriale entre territoires à fort potentiel et hyper-ruralité, sans que la perspective de la métropolisation soit en mesure de remédier à cette fracture.
Dès lors, le choix que nous avons fait de ne pas répartir nationalement l’impôt économique nous obligea à amplifier la péréquation pour assurer la survie des territoires ruraux.
En contrepartie, cette situation nous oblige à plusieurs constats et mesures. L’hétérogénéité des territoires exige que nous passions le plus rapidement possible à une territorialisation des politiques et des financements, ainsi que de l’évaluation des besoins, et à l’agrégation des potentialités. Nous ne pouvons plus raisonner de manière macro-économique sur l’ensemble de l’Hexagone pour faire nos projections. Nous devons recourir à une modélisation des divers territoires existants pour vérifier leur comportement et les effets des réformes successives.
Par exemple, l’objectif d’évolution de la dépense publique locale, l’ODEDEL, fixé par la dernière loi de programmation, avec l’option de chiffres globalisés sur l’Hexagone, ne permet pas la lecture de la diversité territoriale.
Il conviendra, bien sûr, de prendre aussi la mesure de toutes les péréquations et contre-péréquations existantes sous toutes leurs formes, et de pallier l’incohérence des valeurs locatives en la matière, en raisonnant sur ces territoires agrégés.
Les mécanismes de la péréquation doivent être affinés et adaptés aux modélisations, et les effets nocifs actuels corrigés, mais chacun doit intégrer le fait qu’elle est désormais consubstantielle au système existant, d’autant que la contribution de 12,5 milliards d’euros est prélevée sur les collectivités à l’aune de leurs recettes et n’a donc aucun caractère péréquateur.
À cet égard, les choix du Gouvernement ne peuvent porter que sur le degré de renforcement de la péréquation ou l’allongement de la période de contribution à l’effort de redressement…
J’en viens à la question épineuse de l’autonomie fiscale. J’aurais pu l’éliminer du débat en disant que, d’après les réformes constitutionnelles de 2003 et de 2004 et la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances de 2010, l’autonomie fiscale n’existe pas en droit français.
Le concept, né avec les lois des années soixante-dix, qui ont donné l’illusion – et plus – d’une autonomie fiscale avec le droit de voter les taux, correspondait à une aspiration et à un besoin réel du système local, l’État n’étant plus en mesure d’assumer lui-même le développement du pays et l’idée de lui substituer les collectivités pour partie s’étant instillée. Le mouvement fut accentué au cours des Trente Glorieuses, et c’est ainsi que progressa l’idée de la décentralisation et de l’autonomie.
Toutefois, alors que ce système se mettait en place vers 1975, apparurent la première crise mondiale et les premiers budgets nationaux en déséquilibre. La suite ne sera que l’expression de ce mouvement contradictoire entre l’énergie nouvelle libérée au profit des collectivités et la tentation de l’État de la tempérer afin de retrouver l’équilibre budgétaire perdu. Nous aurions sans doute dû employer ces années de lutte stérile à troquer cette illusoire autonomie fiscale contre des parties d’impôts nationaux sans pouvoir de taux, mais corrélés à l’activité économique, à l’instar de ce qui se pratique autour de nous. Mais on ne refait pas l’histoire…
Il reste que l’État a fait dépendre assez largement le financement des collectivités de dotations, a diminué le poids de l’impôt économique au sein du panier de ressources pour mieux en assumer le contrôle en ces temps difficiles. Ces deux effets cumulatifs de perte d’autonomie fiscale et d’encadrement par une enveloppe normée contribuent à un sentiment justifié de recentralisation.
Enfin, j’évoquerai une nouvelle gouvernance des finances publiques. Je suis de ceux qui militent, depuis quelques lustres, en faveur d’une remise à plat des finances publiques afin qu’elles ne forment qu’une seule entité et qu’elles soient régulées au travers d’un système partenarial de contrôle.
Atteindre un tel objectif nécessite que nous clarifiions notre fonctionnement systémique. C’est ce que nous tentons de faire actuellement, avec plus ou moins de bonheur, au travers du projet de loi NOTRe, après la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la loi MAPTAM. Nous devons, pour ce faire, mettre en place un lieu de dialogue et les outils d’une telle gouvernance.
La Conférence nationale des finances publiques et le Haut Conseil des territoires relèvent de ces tentatives, et les aspirations financières traduites dans le projet de loi NOTRe visent à en réintroduire les principes. La volonté d’institutionnaliser le Comité des finances locales, le CFL, est aussi présente : cela constitue une nouvelle tentative de réinstaurer cette normalisation du dialogue.
Si l’État a beaucoup de progrès à faire sur le plan de la qualité de sa démarche, le CFL, ou l’instance qui sera retenue, au sein de laquelle le Sénat, représentant des territoires, doit avoir tout son rôle, ne doit pas être une simple chambre d’ajustement, mais doit bien devenir un espace de co-construction des finances publiques. Nous devons aller dans cette direction, ainsi que dans celle d’un meilleur accès aux informations de l’État pour le Parlement et les autres acteurs concernés.
Le pouvoir politique et la libre administration dépendent largement du pouvoir fiscal. Aussi, faute d’avoir la liberté d’agir sur les taux, les collectivités doivent-elles pouvoir participer à la décision. Parallèlement à ce mouvement, les collectivités doivent aussi s’engager dans la normalisation et la modernisation des procédures, des évaluations, de la mutualisation, ce qu’elles font à grands pas. Le projet de loi NOTRe nous entraîne vers la certification, vers une dépense circonstanciée. Les collectivités devront choisir entre la dépense vertueuse ou un arbitrage démocratique plus étroit de la décision.
Ma conclusion sera brève.
Je ne pense pas que l’évolution des finances locales nous réservera, pour l’immédiat, de grandes surprises s’agissant des bases nouvelles de l’impôt : l’essentiel a été fait. La mutation prochaine interviendra lorsque le système fiscal national aura, lui aussi, intégré la numérisation de l’économie qui érode les bases fiscales actuelles, ce qui dépendra assez largement de l’élaboration d’un consensus international.
La crise économique actuelle et la résorption durable de la dette nous contraindront à ne pas élargir le spectre fiscal des collectivités à des impôts plus dynamiques, l’État se les réservant.
La fracture croissante entre nos territoires, qui ne sera pas amoindrie par la mise en œuvre de la transition énergétique, va accentuer le besoin de péréquation, mais aussi, eu égard à son ampleur, celui d’en adapter les outils pour qu’elle atteigne véritablement ses objectifs en matière d’équité.
Enfin, l’autonomie fiscale sera pour longtemps remisée et nous devrons nous évertuer à rechercher avec l’État un équilibre, dans la gouvernance, entre la soutenabilité des finances publiques, exigée sur le plan international, et la réalité politique, économique et sociale que la République veut conserver à ses collectivités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)