M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009–403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34–1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu les difficultés de mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques dont un nombre important ne sont pas approuvés ou font l’objet de recours contentieux,
Souhaite instamment un moratoire de la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes jusqu’au 1er septembre 2015 afin de procéder à une nouvelle concertation avec les acteurs concernés.
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 74 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 18 |
Contre | 309 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Décision de l'Assemblée nationale sur un engagement de la procédure accélérée
M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a informé M. le président du Sénat que la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, réunie ce jour, a décidé de ne pas s’opposer à l’engagement de la procédure accélérée sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Acte est donné de cette communication.
10
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 11 décembre, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi relative à la désignation des conseillers prud’hommes et de la résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale.
Acte est donné de ces communications.
11
Loi de finances rectificative pour 2014
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2014 (projet n° 155, rapport n° 159).
Rappel au règlement
M. Vincent Delahaye. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 ter du règlement du Sénat.
Ce matin, la conférence des présidents a décidé de limiter à une heure trente, au lieu des deux heures initialement prévues, la durée de la discussion générale sur le projet de loi de finances rectificative, dont la commission a pris connaissance hier matin.
Ce délai très court nous laisse à peine le temps d’examiner le texte. On veut aller très vite – tout le monde ressent sans doute le besoin d’être en vacances –, mais je trouve dommage qu’on passe autant de temps sur le budget et aussi peu sur le projet de loi de finances rectificative de fin d’année. N’oublions pas que c’est le texte qui colle le plus à la réalité de notre situation financière et qui sert à ajuster les crédits.
Voilà pourquoi je proteste contre cette réduction du temps et des délais pour examiner un texte si important.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le collectif de fin d’année est un exercice obligé, mais extrêmement utile. Il permet de mesurer s’il existe un décalage avec les objectifs fixés en loi de finances initiale et d’apporter les ajustements nécessaires. Il permet aussi de vérifier si les engagements pris en matière de tenue de la norme de dépenses, c’est-à-dire nos objectifs d’économies sur les dépenses de l’État, ont été respectés. Il a enfin vocation à accueillir des mesures fiscales ou budgétaires, souvent techniques, mais qui peuvent néanmoins être très significatives. C’est le cas, par exemple, dans le champ de la lutte contre la fraude, thème régulièrement abordé dans les lois de finances rectificatives de fin d’année, et sur lequel je reviendrai.
Je voudrais apporter toutes les précisions nécessaires sur l’équilibre budgétaire défini par ce texte : les mouvements en crédits et la tenue de la norme de dépenses, d’une part, et les révisions de recettes, d’autre part.
Avec le décret d’avance qui a été publié la semaine dernière, ce projet de loi prévoit un ensemble de mouvements de crédits afin de financer, par des annulations, les dépassements anticipés sur certaines dépenses obligatoires, qui supposent donc d’ouvrir des crédits supplémentaires. L’ensemble de ces mouvements doit nous permettre de financer nos priorités tout en assurant le respect des objectifs d’économies que nous nous sommes fixés pour l’année 2014.
La loi de finances rectificative de juillet dernier anticipait une baisse des dépenses sous norme de 1,6 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. C’est donc une baisse de la dépense de 3,1 milliards d’euros par rapport à l’exécution 2013 qu’il s’agit de réaliser cette année, en respectant strictement un objectif de 276,9 milliards d’euros hors dette et pensions.
Pour assurer le respect de l’autorisation que vous avez fixée, le Gouvernement vous propose, dans ce projet de loi, un ensemble d’ouvertures et d’annulations de crédits, que je voudrais détailler, et qui est complété par un suivi renforcé de la fin de gestion de l’ensemble des ministères.
Nous anticipons certaines insuffisances de crédits par rapport à l’autorisation fixée dans la dernière loi de finances rectificative. L’existence de tels dépassements est habituelle en fin d’année, puisqu’il existe des aléas de gestion et que le budget n’a pas vocation à être exécuté à l’euro près sur chacune des missions. Toutes les lois de finances rectificatives de fin d’année ont donc pour objet de gager ces écarts.
Pour cette fin d’année, le Gouvernement estime qu’il est nécessaire d’ouvrir des crédits à hauteur de 2,2 milliards d’euros, ces ouvertures se faisant à la fois par ce projet de loi et en décret d’avance. Ces ouvertures s’expliquent par quatre facteurs principaux.
Tout d’abord, les opérations extérieures, les OPEX, nécessitent une ouverture de 605 millions d’euros. La provision prévue en loi de finances initiale était de 450 millions d’euros ; elle avait été fixée en cohérence avec les orientations du Livre blanc sur la défense et la loi de programmation militaire. Toutefois, vous le savez, les dépassements sont courants en matière d’OPEX, puisqu’il est impossible de déterminer, au moment où la loi de finances initiale est adoptée, si de nouvelles opérations seront menées et, a fortiori, selon quelles modalités elles seront conduites. Il n’y a donc pas à s’étonner de cette ouverture de crédits.
Je souligne qu’au total le ministère de la défense bénéficie d’ouvertures nettes en cette fin de gestion, auxquelles s’ajoutent 250 millions d’euros de redéploiement au sein du programme d’investissements d’avenir. Comme le projet de loi de finances pour 2015, le projet de loi de finances rectificative respecte donc la loi de programmation militaire.
Ensuite, la masse salariale, hors OPEX, nécessite une ouverture de 540 millions d’euros. Ces dépassements sont concentrés sur le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la défense. Les autres ministères sont, au contraire, en situation de gager ces dépassements sur une partie de leurs crédits de personnel non utilisés.
Le dynamisme des interventions sociales, pour un montant de 656 millions d’euros, constitue un autre facteur de dépassement. En période de crise, alors que la croissance est plus faible que celle qui était anticipée en loi de finances initiale, il est normal que les aides apportées aux plus modestes augmentent plus vite que prévu. Nous dégageons donc les moyens financiers requis pour garantir le versement de ces prestations.
Le dernier facteur de dépassement est à chercher dans les refus d’apurements communautaires au titre de la politique agricole commune. Ce sont 352 millions d’euros qui doivent être financés pour cette raison.
Afin de financer ces ouvertures de crédits, nous proposons un ensemble d’annulations de crédits qui répondent à deux principes.
Le premier est le principe d’auto-assurance : chaque ministère doit d’abord mobiliser ses propres ressources pour financer un dépassement, par redéploiement au sein de chaque programme ou au sein du champ du ministère.
Le second est un principe de solidarité : tous les ministères sont mis à contribution pour assurer le respect de la norme de dépenses.
Au-delà des mouvements sur les dépenses sous norme en valeur, nous constatons une économie de 1,6 milliard d’euros sur la charge de la dette. Cette économie est affectée, bien entendu, à la réduction du déficit budgétaire. C’est une nouvelle preuve du sérieux de notre gestion de l’argent public ; une telle pratique n’a été que rarement suivie à d’autres époques.
Pour conclure en un mot sur le sujet, j’indique que le volet dépenses du projet de loi est dans la continuité des textes financiers de cet été, qui avaient dégagé de nouvelles économies en gestion : 4 milliards d’euros, dont 1,6 milliard d’euros concernant l’État ; cela permet de tenir l’objectif d’économies, conformément aux engagements que nous avions pris au printemps.
Le projet de loi de finances rectificative a également pour fonction, comme il est d’usage, d’actualiser les prévisions de recettes fiscales.
Par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances pour 2015, présentée début octobre, les modifications sont relativement marginales.
La répartition des recettes issues du STDR, le service de traitement des déclarations rectificatives, est revue, compte tenu des recouvrements constatés : nous anticipons davantage d’impôt de solidarité sur la fortune, de droits de mutation à titre gratuit et de pénalités et moins d’impôt sur le revenu.
Par ailleurs, nous procédons à divers ajustements sur d’autres lignes au vu des recouvrements constatés, le principal étant une révision à la hausse de 500 millions d’euros des remboursements et dégrèvements d’impôt sur les sociétés.
Les recettes fiscales nettes prévues sont donc de 272,9 milliards d’euros, en retrait de 303 millions d’euros par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances pour 2015. Par rapport à la prévision de la loi de finances rectificative de juillet, la moins-value est de 6,1 milliards d’euros. Je voudrais apporter au Sénat des informations très précises sur les raisons de cet écart.
Je commencerai par l’impôt sur le revenu.
La prévision de recettes d’impôt sur le revenu net fixée par la loi de finances initiale s’élevait à 74,4 milliards d’euros. Cette prévision est revue par ce projet de loi de finances rectificative de fin d’année à 68,3 milliards d’euros, soit un écart de 6,1 milliards d’euros, qui s’explique par trois raisons.
D’abord, l’exécution 2013 a été inférieure de 1,8 milliard d’euros à la prévision. Cette moins-value a été entièrement reprise en base en 2014.
Ensuite, le coût des mesures nouvelles serait supérieur de 1 milliard d’euros à la prévision de la loi de finances initiale, en raison notamment de la réduction d’impôt exceptionnelle votée dans la loi de finances rectificative de juillet.
Enfin, nous anticipons une importante moins-value sur les revenus des capitaux mobiliers, qui ont fortement chuté en 2013, ainsi que sur les plus-values mobilières, les bénéfices industriels et commerciaux et les bénéfices non commerciaux, qui ont également diminué l’an dernier. Le moindre dynamisme de ces revenus a fortement limité la croissance de l’impôt, ce qui explique une moins-value de 3,3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale.
Ces chiffres devront, bien entendu, être ajustés en fonction des résultats définitifs de l’exécution.
S’agissant de la TVA, la prévision en loi de finances initiale chiffrait les recettes à 139,5 milliards d’euros. Le présent projet de loi prévoit 137,8 milliards d’euros, en moins-value de 1,7 milliard d’euros. Cet écart est directement lié à la dégradation de la conjoncture économique : d’une part, la faible inflation vient mécaniquement limiter le produit de cet impôt ; d’autre part, la chute de la construction immobilière conduit à une forte diminution des recettes assises sur les ventes de logements neufs.
Enfin, la recette de l’impôt sur les sociétés est désormais évaluée à 34,9 milliards d’euros. Depuis la dernière loi de finances rectificative, l’analyse du solde d’impôt sur les sociétés a été menée et a permis de constater une diminution de 3 % du bénéfice fiscal en 2013, liée, en particulier, à une chute du bénéfice fiscal des sociétés financières.
Au total, à l’issue de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, la prévision de déficit de l’État est fixée à 88,3 milliards d’euros, en dégradation de 92 millions d’euros par rapport à la prévision initiale du projet de loi, du fait de l’adoption d’amendements prévoyant des transferts de recettes à la sécurité sociale et aux collectivités territoriales.
La prévision de déficit public est, quant à elle, inchangée, à 4,4 % du PIB. Vous aurez noté que le Haut Conseil des finances publiques n’a pas contesté son réalisme.
Le projet de loi de finances rectificative contient également un volet fiscal, qui est organisé autour de trois priorités.
Tout d’abord, nous poursuivons nos efforts dans la lutte contre la fraude en donnant de nouveaux moyens à l’administration pour combattre spécifiquement la fraude à la TVA.
Ensuite, le soutien au logement fait l’objet de deux mesures destinées à accroître l’offre de logements dans les zones tendues, que ce soit l’offre de logements anciens, avec la possibilité d’augmenter la taxation des résidences secondaires situées dans ces zones, ou l’offre de logements neufs, avec une mesure d’incitation à mettre sur le marché les terrains constructibles dans les zones en manque de logements. Ces deux mesures prolongent le plan de soutien à la construction prévu par le projet de loi de finances, car l’accès au logement constitue une priorité du Gouvernement
Enfin, le projet de loi de finances rectificative entame la première étape d’une réforme de l’aide aux travailleurs modestes : il prévoit la disparition de la prime pour l’emploi au 1er janvier 2016, afin d’éviter toute rétroactivité fiscale – ce qui aurait pu se produire avec une adoption postérieure au 1er janvier 2015. Concrètement, cela signifie que, en 2015, les contribuables percevront la prime pour l’emploi, suite aux droits ouverts sur l’année 2014.
Plusieurs rapports montrent que la prime pour l’emploi et le RSA activité ne donnent pas entière satisfaction, en raison de leur caractère peu lisible, décalé dans le temps et, s’agissant du RSA activité, de sa complexité. Le Gouvernement propose donc de substituer à la prime pour l’emploi et au RSA activité un dispositif nouveau appelé « prime d’activité », qui sera mis en œuvre au 1er janvier 2016. Il n’y aura donc aucune rupture dans le bénéfice des dispositifs. Au contraire, les nouveaux bénéficiaires du dispositif mis en place en 2016 bénéficieront immédiatement de celui-ci au lieu d’attendre, comme c’est le cas pour la prime pour l’emploi, l’année suivante.
Les objectifs de cette réforme sont de proposer un dispositif qui incite davantage à l’activité, qui permette de toucher les travailleurs les plus modestes et de leur redistribuer du pouvoir d’achat au mois le mois, et non l’année suivante comme la prime pour l’emploi. À la différence du RSA activité, il devra être plus simple et plus compréhensible pour les bénéficiaires.
Je veux apporter quelques précisions sur les modalités de la réforme qu’entend conduire le Gouvernement.
La prime d’activité sera ouverte aux actifs dont la rémunération est voisine du SMIC. Elle comportera une part individualisée en fonction des revenus d’activité et une part « familialisée » pour prendre en compte les différences de situation familiale. Les jeunes travailleurs de moins de vingt-cinq ans y seront éligibles. Ce dispositif prendra la forme d’une prestation servie par les caisses d’allocations familiales, avec un droit simplifié et un montant figé sur trois mois pour éviter les régularisations trop fréquentes.
Cette réforme se fera en redéployant les moyens actuellement consacrés au RSA et à la prime pour l’emploi, soit environ 4 milliards d’euros. C’est donc une réforme importante au bénéfice des travailleurs modestes que le projet de loi de finances rectificative engage avec la suppression de la prime pour l’emploi au 1er janvier 2016.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes du projet de loi de finances rectificative. C’est un texte riche, c’est un texte cohérent avec notre politique, un texte équilibré tant sur le plan budgétaire que sur le plan fiscal. C’est la raison pour laquelle j’ai pris le temps nécessaire pour en présenter les détails. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un projet de loi de finances rectificative constitue un exercice traditionnel qui vise à la fois à ajuster les conditions de la fin de gestion et à porter des dispositions fiscales. Le nombre de ces dernières est particulièrement élevé cette année et ne nous permet pas de les expertiser dans des conditions satisfaisantes.
Autant je peux concevoir que certaines mesures, comme celles qui permettent de documenter l’engagement d’une amélioration du solde de 3,6 milliards d’euros pris envers la Commission européenne, n’aient pu figurer dans le texte initial, autant cela est moins acceptable pour des amendements du Gouvernement, qu’ils soient déposés par le Gouvernement lui-même ou « puisés à bonne source » par des députés de sa majorité. Certains amendements procèdent en effet à d’importants ajustements, voire à des réformes fiscales d’envergure. Je pense à la fiscalité des casinos ou encore à la fiscalité du tabac.
Ces amendements ne semblent pourtant pas avoir été préparés dans l’urgence puisque, de toute évidence, ils ont fait l’objet de larges concertations. Cette pratique, reconnaissons-le, n’est pas nouvelle, mais elle a pris une dimension exceptionnelle par le volume ainsi que par la complexité des mesures et de leurs enjeux. Elle nuit à la qualité des textes soumis au Parlement, car il n’y a pas d’avis du Conseil d’État. Elle nuit à la qualité de l’examen parlementaire, car il n’y a ni étude d’impact ni délais suffisants pour expertiser les dispositifs. Enfin, elle ne contribue pas à la sérénité de nos débats, comme nous l’avons vu sur certains sujets sensibles à l’Assemblée nationale.
Surtout, et je le regrette, cette pratique peut se révéler déstabilisante pour les acteurs économiques qui prennent connaissance, au détour d’un amendement parlementaire, de mesures dont les conséquences peuvent être lourdes et qui sont, pour certaines d’entre elles, applicables dès le 1er janvier 2015, c’est-à-dire dans à peine plus de deux semaines. Je pense, à cet égard, à certaines entreprises, comme, par exemple, dans le secteur de la grande distribution, découvrant une surtaxe de 200 millions d’euros. Cette surtaxe, qui correspond à une logique de pur rendement, s’est imposée sans réflexion quant à ses effets sur les bases d’imposition ou les modes de consommation. Je pourrais également citer la réforme de la taxation des services de télévision payante proposés en complément d’une offre dite « triple play », mais nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles.
Ces amendements ont été votés quelques jours après que le ministre des finances et des comptes publics a signé une charte de non-rétroactivité fiscale, qui prévoit que les changements de fiscalité n’affecteront plus ni les exercices déjà clos ni même les exercices ou années en cours. Ce projet de loi de finances rectificative vient donc, de nouveau, remettre en cause les engagements pris par le Gouvernement en matière de fiscalité ; je crains que, une fois encore, la crédibilité de la parole publique s’en trouve dégradée. Cela a conduit la commission des finances, sur certains sujets, à proposer la suppression d’articles insérés à l’Assemblée nationale, faute d’avoir pu en analyser pleinement les conséquences.
Après ces quelques considérations, il convient de revenir sur l’avis de la Commission européenne relatif au projet de budget de la France. Celui-ci n’est pas sans liens avec certaines dispositions du présent projet de loi, qui me semblent justifiées par des préoccupations de pur rendement et traduisent une vision uniquement comptable des engagements européens de la France. Si ces mesures ont permis d’obtenir quelques mois de sursis, elles ne seront pas suffisantes. En effet, la Commission attend des réformes structurelles et non des économies de pure constatation, des « fusils à un coup » ou des hausses improvisées de la fiscalité. Je dois avouer que nous partageons son impatience.
L’amélioration de 3,6 milliards d’euros du budget pour 2015, largement portée par les dispositions de ce collectif de fin d’année, a été proposée dans le cadre d’une négociation à laquelle nous n’avons pas été associés et dont nous n’avons pas davantage été informés, parce que la France n’a pas respecté ses engagements.
Vous justifiez l’absence de redressement de nos comptes publics, c’est-à-dire la dégradation du déficit effectif de 4,1 % à 4,4 % du PIB et l’amélioration de seulement 0,1 point du solde structurel, par la faiblesse conjuguée de la croissance et de l’inflation. Nous ne pouvons nier cette faiblesse, mais la situation budgétaire de notre pays est tout de même en partie imputable à l’échec de la politique économique du Gouvernement.
M. Daniel Raoul. Ben voyons !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La question n’est pas tant celle du rythme de l’ajustement, mais celle de sa crédibilité et de sa pérennité. Met-on en œuvre un ajustement qui permette de rétablir durablement nos finances publiques et la compétitivité de notre pays ? Je ne le pense pas.
La mise en œuvre des mesures complémentaires pour 2015 aurait, à cet égard, mérité de reposer sur des mesures d’économie traduisant une volonté de réforme plutôt qu’une amélioration bricolée du solde, consistant notamment à augmenter la pression fiscale sur les banques et les grandes surfaces parce que ces acteurs seraient des cibles politiquement faciles.
La Commission européenne – cela mérite que je la cite – a considéré que « les efforts visant à poursuivre l’amélioration de la viabilité des finances publiques, la simplification du système fiscal et l’assouplissement du marché du travail pourraient être intensifiés » et que la France avait « accompli des progrès limités ». Ce sont les termes mêmes de la Commission, qui a également estimé que le projet de budget de la France présentait « un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance ». Elle a indiqué qu’elle « réexaminera[it] au début du mois de mars 2015 […] sa position sur les obligations qui incombent à la France ».
Pierre Moscovici a insisté pour que ce délai de quatre mois « ne soit pas du temps perdu, mais du temps utilisé pour avancer et affirmer l’impact des réformes ». Peut-être en saurons-nous davantage demain, puisque le Premier ministre devrait présenter le calendrier des réformes pour les deux années à venir ? Je souhaite en tout cas que le Gouvernement puisse répondre à la légitime préoccupation de nos partenaires européens quant à la situation économique et budgétaire de notre pays.
Les conclusions des premières revues de dépenses prévues par le projet de loi de programmation des finances publiques et attendues pour le 1er mars prochain pourraient d’ailleurs contribuer à documenter un certain nombre d’engagements. Au cours de ces prochains débats, monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous préciser les thèmes sur lesquels l’administration a sans aucun doute déjà commencé à travailler ?
Dans sa dimension budgétaire, le projet de loi de finances rectificative de fin d’année permet d’avoir un premier aperçu de l’exécution de la loi de finances de l’année, même s’il existe encore quelques marges d’incertitude. Mais ce projet entérine d’abord un nouveau dérapage du déficit de l’État, qui atteindra 88,2 milliards d’euros à la fin de l’année 2014, soit 4,3 milliards d’euros de plus que ce qui était prévu dans la loi de finances rectificative du 8 août.
Le texte qui nous est soumis met en exergue des points importants.
S’agissant des dépenses, celles-ci devraient, cette année encore, être tenues. Cependant, un examen détaillé des arbitrages de fin de gestion montre la difficulté d’un tel exercice en l’absence de réformes permettant de contenir le dynamisme de certaines dépenses, notamment celles de rémunération des personnels et celles dites de « guichet », comme l’aide médicale de l’État ou l’hébergement d’urgence.
S’agissant des recettes fiscales, le projet de loi de finances rectificative entérine une nouvelle baisse de celles-ci de plus de 10 milliards d’euros, tant par rapport à la loi de finances initiale que par rapport à l’exécution 2013.
Sur le premier point, celui des dépenses, il convient d’examiner les mouvements de crédits proposés par le collectif conjointement avec ceux opérés par le décret d’avance, dont la commission des finances a été saisie pour avis ; son rapport a été publié il y a quelques jours. Ce décret d’avance est désormais un outil traditionnel de pilotage de la fin de gestion, qui vise à ouvrir les crédits correspondant aux dépenses les plus urgentes, en particulier les dépenses de personnel.
Que constate-t-on ? Ces mouvements sont plus importants que par le passé et les dépenses qui dérapent, en dehors du cas particulier des OPEX, sont pour l’essentiel les dépenses de rémunération et les dépenses d’intervention correspondant aux dispositifs de guichet. Cela montre une tension accrue sur l’exécution du fait du dynamisme des dépenses obligatoires dont le financement repose, notamment, sur des crédits initialement destinés à l’équipement des forces armées et à la recherche et l’enseignement supérieur.
C’est ainsi que l’évolution de la masse salariale, hors opérations extérieures, nécessite une ouverture de crédits de 540 millions d’euros, concentrés sur le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la défense. Cela confirme le diagnostic selon lequel, à effectifs constants, la masse salariale ne peut être contenue. Ce constat plaide en faveur des mesures que la majorité sénatoriale a adoptées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 relatives aux effectifs, à l’avancement des fonctionnaires ou aux jours de carence.
Aussi ce projet de loi de finances rectificative nous montre-t-il que le Gouvernement arrive certes à maîtriser la dépense de l’État, mais en subissant la dynamique de certaines d’entre elles, là où il conviendrait, au contraire, de les maîtriser pour dégager des ressources au profit, notamment, de l’investissement.
S’agissant des recettes fiscales, qui enregistrent plus de 10 milliards d’euros de moins-values, leur évolution est difficile à analyser, car elle résulte de l’addition de comportements individuels. Toutefois, des tendances de fond sont sans doute à l’œuvre : je pense notamment aux nouveaux modes de consommation, qui échappent en tout ou en partie à l’impôt, ou aux développements de la fraude, notamment de la fraude à la TVA sur internet. Nous aurons à revenir sur ces sujets, parce que nous disposons encore de marges de progrès importantes. Je pense également à la fuite d’un certain nombre de cerveaux ou de talents, accomplis ou en devenir.
Les moins-values considérables constatées cette année s’expliquent sans doute par la conjoncture économique dégradée, mais aussi par l’échec d’une politique d’ajustement par la fiscalité qui s’est montrée excessive et a très probablement encouragé des comportements d’évitement, qu’il s’agisse de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscales ou tout simplement de « désincitation » à produire des richesses. Ces évolutions doivent, en tout état de cause, nous conduire à nous interroger collectivement : nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre le retour de la croissance ! Il faut se poser la question de l’évolution des comportements, en particulier des consommateurs ; en effet, si nous ne prenons pas garde à l’effritement d’un certain nombre d’assiettes fiscales dès aujourd’hui, nous pourrions être tentés, comme le Gouvernement le fait pour la taxe sur les surfaces commerciales, de chercher à compenser ces phénomènes par une augmentation des taux des impôts existants, au lieu de réfléchir à une évolution de leurs assiettes fiscales.
Évidemment, nous ne pouvons pas nous réjouir de ces déconvenues, qui montrent à la fois la faible capacité de notre pays à produire de la richesse et les résultats limités de la stratégie d’ajustement du Gouvernement. Nous ne considérons pas que la réponse apportée aux exigences de l’Union européenne pour le redressement de nos finances publiques et de notre compétitivité soit adaptée à l’ampleur des enjeux.
Pour conclure, je souhaite rappeler que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter le projet de loi de finances rectificative, bien sûr modifié par les amendements qu’elle va présenter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)