Sommaire
Présidence de Mme Françoise Cartron
Secrétaires :
MM. Christian Cambon, Serge Larcher.
2. Reconnaissance de l’État de Palestine. – Adoption d’une proposition de résolution
M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères ; Mme la présidente.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
3. Protection de l'enfant. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Attentat au centre culturel français de Kaboul
5. Questions d'actualité au Gouvernement
suicides en guyane chez les peuples autochtones
M. Jean Desessard, Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer.
projet de loi pour la croissance et l'activité
MM. Pierre Laurent, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
projet de loi pour la croissance et l'activité
MM. Didier Guillaume, Manuel Valls, Premier ministre.
Mme Anne-Catherine Loisier, M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
grève des médecins prévue pendant les vacances de noël
Mmes Catherine Deroche, Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.
MM. Pierre-Yves Collombat, Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.
lutte contre le racisme et l’antisémitisme – grande cause nationale (rassemblement de créteil)
MM. Yannick Vaugrenard, Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.
MM. Didier Mandelli, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à la suite des intempéries dans le sud
MM. Alain Marc, Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur.
lancement de la fusée ariane 6
M. Antoine Karam, Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
6. Communications relatives à des commissions mixtes paritaires
7. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
8. Plans de prévention des risques technologiques. – Rejet d’une proposition de résolution
Mme Marie-France Beaufils, auteur de la proposition de résolution
Rejet, par scrutin public, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
9. Décision de l'Assemblée nationale sur un engagement de la procédure accélérée
10. Décisions du Conseil constitutionnel
11. Loi de finances rectificative pour 2014. – Discussion d’un projet de loi
MM. Vincent Delahaye, le président.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances
M. Christian Eckert, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
M. Serge Larcher.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Reconnaissance de l'État de Palestine
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de résolution sur la reconnaissance de l’État de Palestine, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Gilbert Roger, Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa, MM. Didier Guillaume et Jean-Vincent Placé et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 151).
Dans le débat, la parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution.
M. Gilbert Roger, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je monte aujourd’hui à la tribune, en tant que premier signataire de cette proposition de résolution invitant le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine.
Le débat que nous nous apprêtons à engager et notre vote sur ce texte sont attendus, car la voix de la France, pays fondateur de l’Union européenne, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et ami des peuples israélien et palestinien, compte sur la scène internationale. La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même. Elle l’a déjà prouvé en votant en 2011 en faveur de l’adhésion de la Palestine comme membre à part entière de l’UNESCO, puis en disant « oui » à l’accession de la Palestine au statut d’État observateur non membre de l’ONU en novembre 2012. De la Révolution française au général de Gaulle et à Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. C’est ce qui fait sa spécificité et sa grandeur.
Voilà vingt ans, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat recevaient le prix Nobel de la paix pour les accords d’Oslo, lesquels, un an après leur signature, semblaient encore promettre une coexistence pacifique entre les deux États, l’un israélien et l’autre palestinien. Ce rêve, anéanti par les promesses non tenues de part et d’autre, ne verra jamais le jour si rien n’est fait pour amener les parties au conflit à s’entendre.
Aussi, les démarches politiques entreprises actuellement en Europe en vue de cette reconnaissance interviennent à un moment de blocage manifeste du processus de paix israélo-palestinien. Le cycle de négociations longues et intenses, dans lequel les États-Unis s’étaient fortement impliqués, s’est conclu au printemps par un échec ; il a été suivi, au cœur de l’été, par le conflit meurtrier de Gaza, qui a fait 2 160 morts, dont 83 % de civils, du côté palestinien. L’échec de la diplomatie a, une fois encore, repoussé la perspective d’un règlement définitif de ce conflit, laissant place aux compromis militaires et autres conférences de reconstruction. Une fois encore, une fois de trop.
Comment, d’ailleurs, ne pas avoir une pensée pour le ministre palestinien décédé hier lors d’une manifestation pacifique ?
Dans ce contexte, l’initiative parlementaire française a toute sa place. Ce combat pour la reconnaissance d’un État palestinien n’est pas nouveau ; il est défendu par la France depuis la déclaration de François Mitterrand au Parlement israélien en 1982. Tous les présidents de la République qui lui ont succédé – tous, mes chers collègues – ont agi avec constance pour la paix dans cette région du monde, jusqu’à l’actuel chef de l’État François Hollande, qui prend des initiatives diplomatiques fortes pour la tenue d’une conférence internationale.
Bien que vieux de plus de trente ans, ce combat prend une dimension nouvelle avec la reconnaissance unilatérale de la Palestine par la Suède. Fin octobre, la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, s’exprimait sur le sujet en affirmant, dans un entretien accordé à cinq quotidiens européens, qu’elle était favorable à une reconnaissance de l’État palestinien et qu’elle serait « heureuse si, au terme de [son] mandat, l’État palestinien existait ».
L’Europe a un rôle diplomatique à jouer dans la région ; elle est le premier contributeur d’aide aux territoires palestiniens. La France doit reprendre l’initiative diplomatique et entraîner ses partenaires du Quartet, dont l’Union européenne, dans une nouvelle dynamique.
Jusqu’à présent, l’idée qui prévalait était que la reconnaissance de l’État de Palestine devait être liée à la négociation bilatérale, après accord sur les frontières et le statut de Jérusalem, notamment. Cet argument perd aujourd’hui de sa force. Depuis l’échec, en avril, de la dernière médiation américaine, aucune négociation n’est en cours, aucun préparatif de pourparlers ne se dessine. M. le ministre des affaires étrangères et du développement international l’a rappelé lors de la dernière conférence des ambassadeurs, en août dernier : « À partir du moment où la négociation serait impossible ou n’aurait pas de conclusion, il faudrait évidemment que la France prenne ses responsabilités ». Il a raison : il est temps que la France prenne ses responsabilités et reconnaisse l’État de Palestine, car chaque jour qui passe sans un règlement de paix durable entre Israël et la Palestine écarte un peu plus la possibilité même de l’existence d’un État de Palestine viable, tant la colonisation à marche forcée des territoires occupés ampute le territoire du présumé futur État. Depuis la rentrée, 400 hectares de terre cisjordanienne ont été annexés, la construction de 1 000 nouveaux logements à Har Homa et Ramat Shlomo a été annoncée, et plusieurs maisons palestiniennes ont été confisquées.
Dès lors, je crois qu’il est au contraire nécessaire d’inverser la procédure qui n’a pas fonctionné depuis les accords d’Oslo, à savoir la négociation d’un accord intérimaire, suivie cinq ans plus tard d’une négociation bilatérale sur les grandes questions du statut final. Cette démarche, qui exclut de fait l’ONU, a fait la preuve de son échec. Aussi faut-il reconnaître dès à présent l’État de Palestine.
En effet, cette reconnaissance d’un État de Palestine, aux côtés de l’État d’Israël, vivant côte à côte, en paix et en sécurité, serait le premier pas vers une relation d’égal à égal. Ne pas reconnaître la Palestine comme État, c’est accepter que la situation actuelle perdure et que les peuples palestinien et israélien continuent à vivre dans un climat de violence et d’insécurité. Cette reconnaissance est la condition sine qua non de l’ouverture de véritables négociations entre Israël et la Palestine, afin d’aboutir à une paix durable.
Reconnaître la Palestine comme État, c’est se conformer au droit international ; or, lorsqu’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit. Au nom du droit inaliénable à l’autodétermination, le peuple palestinien est fondé à se doter d’un État, qui doit être créé selon les normes approuvées par la communauté internationale qui avaient présidé à la création de l’État d’Israël. Cette reconnaissance sécurisera par ailleurs l’existence de l’État de Palestine, qui est aujourd’hui très gravement menacée par la poursuite de la colonisation israélienne.
J’ai entendu les arguments des opposants à cette reconnaissance de l’État de Palestine.
Israël, par la voix de son ambassadeur Yossi Gal, a exprimé ses craintes sur cette démarche, qu’il juge illusoire. Pour lui, seuls les pourparlers entre les deux parties permettront d’arriver à un règlement, et toute reconnaissance unilatérale serait vécue par Israël comme une stratégie d’évitement des négociations de la part des Palestiniens.
Or, depuis l’assassinat d’Itzhak Rabin en novembre 1995, aucun processus de paix sérieux n’a été engagé. Le cycle de la violence s’est exacerbé. La colonisation israélienne, notamment autour de Jérusalem, s’est intensifiée, au point de compromettre l’existence même d’un État palestinien viable. La signature, le 26 août 2014, d’un énième cessez-le-feu entre Israéliens et Palestiniens n’a pas empêché une dangereuse recrudescence des violences. Aussi l’argument, par ailleurs tout à fait justifié, selon lequel la reconnaissance internationale d’un État palestinien devrait suivre l’obtention d’un accord avec Israël, perd beaucoup de son poids dans l’impasse actuelle.
Quant à l’idée d’une stratégie d’évitement des négociations de la part des Palestiniens, je crois qu’il faut rappeler le droit international : invoquer le droit à l’autodétermination n’est pas opposé aux négociations. La Palestine ne peut continuer à être l’exception aux normes internationales. Pour autant, les dirigeants palestiniens ne doivent pas se soustraire aux choix difficiles que les deux parties ont à faire, et les négociations seront nécessaires pour régir les relations entre Israël et la Palestine : elles devront aborder tous les sujets du statut final, en particulier les questions des réfugiés, de Jérusalem, des colonies et des frontières.
Certains pensent qu’il ne sert à rien de reconnaître un État palestinien, qu’il ne s’agit que d’un acte symbolique. Je ne suis pas de ceux-là ; je pense au contraire que cela a du sens, que c’est le seul choix qui permettra d’aboutir à la paix et de garantir aux Israéliens comme aux Palestiniens leur liberté et leur sécurité. Les parlementaires que nous sommes ne souhaitent pas adopter une décision symbolique ; ils souhaitent agir pour la paix.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Tout à fait !
M. Gilbert Roger. Le fait que la France, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, pays où vit la plus importante communauté juive d’Europe, puisse reconnaître l’État de Palestine, ce n’est pas qu’un symbole, c’est un acte politique.
Quant à ceux qui s’inquiètent de cette initiative qu’ils jugent « prématurée », je souhaite leur répondre que cela fait quarante-sept ans que les territoires palestiniens sont occupés ;…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh oui !
M. Gilbert Roger. … trente-deux ans que le président François Mitterrand est intervenu à la Knesset sur le sujet ; vingt ans que le processus d’Oslo est au point mort ; quinze ans que le Conseil de l’Union européenne à Berlin a dit « le moment est venu »...
Aussi, je ne pense pas que cette reconnaissance soit prématurée ; je pense au contraire qu’il est temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Mme Michelle Demessine. Parfaitement !
M. Gilbert Roger. Cette reconnaissance est un premier pas dans le règlement définitif du conflit israélo-palestinien.
L’argument du caractère unilatéral de la reconnaissance de l’État de Palestine a été utilisé par ses détracteurs. Il me semble que cette idée est erronée. La reconnaissance de l’État de Palestine ne constitue pas une réponse aux seuls problèmes du peuple palestinien. Elle est une réponse et un soutien apportés aux démocrates des deux camps.
Mme Michelle Demessine. Très bien !
M. Gilbert Roger. Enfin, à ceux qui estiment que ce n’est pas le rôle des parlementaires de voter ce type de texte, je leur rappelle que la représentation nationale est souveraine.
La France, qui est un pays de tolérance, combat tous les discours de haine et récuse toute instrumentalisation de ce conflit sur son territoire national. Notre pays doit rappeler que le conflit israélo-palestinien est non pas une guerre de religion, mais un conflit territorial.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Michelle Demessine. Tout à fait !
M. Gilbert Roger. Comme républicain et comme citoyen, je souhaite réaffirmer qu’il n’y a pas d’importation possible de ce conflit sur notre sol, et que la France condamne sans concession le racisme et l’antisémitisme, ainsi que le terrorisme sous toutes ses formes. (Applaudissements.)
Je souhaite réaffirmer que le vote d’une proposition de résolution par le Sénat invitant le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine est une démarche entreprise en cohérence avec les décisions précédentes de la France.
Ce vote serait un message adressé aux démocrates, qu’ils soient Palestiniens ou Israéliens, pour les encourager dans leur combat en faveur de la paix, et leur signifier qu’il a des chances d’aboutir ; ce serait également un message de la France au reste du monde, pour apporter son soutien au camp de la paix.
Par ce vote, la Chambre haute adresserait un signe fort d’engagement en faveur du droit international et de la diplomatie, comme seul moyen d’avancer. La reconnaissance de l’État de Palestine est la première étape pour reconnaître deux États et non un seul, afin de sauver la solution à deux États.
M. le ministre des affaires étrangères a opportunément proposé un changement de méthode avec la perspective d’une conférence internationale. Nous soutenons cette démarche qui devrait s’accompagner de la définition d’une date butoir des négociations et associer les États arabes de la région. La reconnaissance doit s’inscrire dans cette perspective, comme l’élément d’une nouvelle dynamique qu’il est urgent de mettre en place.
Nous savons, en tant que parlementaires, qu’il appartiendra au Gouvernement de décider in fine du moment approprié pour que l’État français reconnaisse l’État de Palestine. Je pense, pour ma part, que le moment est venu. Je veux le dire ici : un autre monde est possible !
Pour conclure mon intervention, je veux rappeler la méthode qui a prévalu à la rédaction de la proposition de résolution. J’ai souhaité qu’elle soit rédigée en concertation avec nos collègues députés, afin que le parlement français tienne un discours cohérent dans ses deux chambres. J’ai également voulu engager des consultations avec mes collègues Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, et Esther Benbassa, membre du groupe écologiste, afin que nous parvenions à une rédaction commune à la gauche sénatoriale. Je souhaite les remercier chaleureusement pour le travail que nous avons accompli et qui a abouti à un texte cosigné par nos trois groupes politiques.
Je souhaite par ailleurs remercier tout particulièrement Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui a organisé mercredi 3 décembre les auditions des ambassadeurs de Palestine et d’Israël, et du ministre Laurent Fabius, afin de préparer le débat qui nous occupe aujourd’hui.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Parfaitement !
M. Gilbert Roger. Ces auditions, élargies à l’ensemble des sénateurs et ouvertes à la presse, ont été l’occasion d’échanges de grande qualité et ont permis de donner de l’ampleur à notre débat, au-delà des clivages partisans.
Je souhaite également remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, que j’ai tenu informé de mon initiative parlementaire depuis le début.
Je veux enfin vous indiquer que le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, a été longuement consulté, afin que cette proposition de résolution vienne en appui à la politique diplomatique de notre gouvernement. Je le remercie de sa disponibilité et de son écoute.
Ce long processus de concertation et de négociation avec l’ensemble des groupes politiques a abouti à une rédaction modifiée, plus consensuelle que celle de la proposition de résolution que j’avais initialement déposée au Sénat, et qui est celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Gilbert Roger. En effet, j’ai souhaité écouter les expressions de toutes les sensibilités politiques sénatoriales afin de parvenir à un texte de compromis, qui puisse être adopté majoritairement par notre assemblée. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté, en accord avec les groupes socialiste, écologiste et CRC, des amendements du président Raffarin, dans le respect de la diversité politique de notre assemblée. Aussi, je remercie dès à présent tous les sénateurs qui, à l’heure du vote, ne feront pas obstacle à l’adoption de ce texte.
Notre assemblée doit marquer sa volonté de sortir de l’impasse sur la question palestinienne en adoptant cette proposition de résolution, sur la base d’un consensus national, au-delà des clivages partisans. Je vous invite à le faire largement afin que le message adressé au Gouvernement, et au reste du monde, soit clairement entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Daniel Reiner. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de mon émotion, car le Sénat a aujourd’hui la possibilité d’émettre, après l’Assemblée nationale, un vote historique en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien.
De la sorte, le Parlement français dans son ensemble inviterait le Gouvernement à prendre une décision dont le seul objectif est de contribuer à l’instauration d’une paix juste et durable entre le peuple israélien et le peuple palestinien.
À cet égard, je me félicite que le groupe socialiste, le groupe écologiste et le groupe communiste républicain et citoyen, qui, chacun de leur côté, avaient déposé une proposition de résolution, aient pu s’entendre sur un texte commun. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) Je remercie également M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de tout le travail qu’il a entrepris afin que notre débat puisse avoir lieu dans un climat serein et responsable. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
La reconnaissance d’un État palestinien est en effet une exigence de longue date et commune à nos trois groupes ; je rappelle que le groupe CRC avait déposé la même proposition de résolution en juin 2011. Il aurait été regrettable d’agir en ordre dispersé.
Cette exigence n’est donc pas ponctuelle ni destinée à s’inscrire dans un mouvement qui s’est récemment dessiné en Europe avec les positions prises, et que nous saluons, par le gouvernement suédois et la Chambre des communes britannique. Elle s’appuie également sur les nombreuses voix qui savent se rassembler sur le sujet, au-delà des clivages politiques, philosophiques, religieux
Notre volonté d’aboutir à la reconnaissance d’un État palestinien procède du constat de l’échec des négociations bilatérales, de l’observation d’une situation qui s’aggrave sur le terrain et de l’urgence de changer de méthode pour enfin trouver une solution au conflit qui oppose le peuple israélien et le peuple palestinien depuis plus de soixante ans.
Le constat est celui de l’échec des négociations bilatérales sous médiation américaine et du processus acté en 1993 par les accords d’Oslo. Faire dépendre la paix de la seule bonne volonté des deux parties n’a donc pas suffi et ne peut suffire.
La guerre menée au mois de juillet par le gouvernement israélien contre la population de la bande de Gaza et les nouvelles tensions provoquées à Jérusalem-Est par la poursuite de la colonisation sont les principaux facteurs de l’aggravation de la situation sur le terrain. On ne peut qu’être inquiets, car, hier encore, c’est le ministre chargé du dossier de la colonisation au sein de l’Autorité palestinienne qui est mort après avoir été frappé par des soldats israéliens lors d’une manifestation pacifique en Cisjordanie.
Sans remonter aux origines de ce conflit, nous sommes néanmoins obligés de constater que l’inégale répartition actuelle des territoires entre les deux peuples est la conséquence de guerres antérieures entre Israël et trois pays arabes.
Cependant, aujourd’hui, la responsabilité de cette situation dramatique incombe d’abord à Israël en raison de l’occupation d’une grande partie des territoires palestiniens, mais aussi du fait de la provocation et de l’humiliation permanente que constitue la poursuite d’une politique d’implantation de colonies sur ces territoires.
C’est cette politique qui est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de la solution dite « à deux États », car elle ampute et morcèle le territoire présumé d’un futur État palestinien et, de ce fait, rend sa viabilité totalement illusoire.
C’est précisément parce qu’il est opposé à la solution « à deux États », et qu’il veut la rendre impossible, que l’actuel gouvernement israélien multiplie les implantations en territoire palestinien.
La preuve en est que les dirigeants israéliens ne cherchent pas à préserver un quelconque statu quo territorial dans l’attente des résultats d’une éventuelle négociation ; au contraire, ils modifient par la force ce statu quo pour décourager par avance toute tentative de négociation.
À cela s’est ajoutée, ces jours-ci, une crise politique en Israël, avec le limogeage de deux ministres et la dissolution de la Knesset. Cette crise est la traduction de la fuite en avant suicidaire dans laquelle s’engouffre le gouvernement israélien. Après la vague récente de violences et l’annonce d’élections législatives anticipées, il s’est engagé dans un durcissement identitaire, avec l’affirmation d’un État d’essence strictement religieuse, et dans une dangereuse spirale sécuritaire.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, il est urgent et nécessaire de changer de méthode. Il faut adopter une démarche différente parce que ce statu quo n’est plus acceptable et qu’il n’est plus possible de laisser les Israéliens et les Palestiniens dans un face à face déséquilibré et sans issue.
La logique et la raison exigent que la communauté internationale prenne désormais ses responsabilités en exerçant une forte pression politique extérieure auprès des protagonistes pour changer le contexte des négociations et trouver une solution politique. Car cette solution politique, cette issue au conflit existe : c’est la coexistence de deux États, dans les frontières résultant de la guerre de 1967, avec Jérusalem comme capitale partagée.
Il s’agirait enfin et simplement de faire respecter les nombreuses résolutions de l’ONU qui ont trait à ce conflit. Je le rappelle, et j’y insiste, la première d’entre elles date de 1947. Elle est fondamentale puisqu’il s’agissait d’un plan de partage de la Palestine, alors sous mandat britannique, qui prévoyait expressément la création de deux États.
Sans une pression politique extérieure déterminée à tracer des frontières claires, à définir un cadre précis et à forcer les deux parties à l’accepter, il ne pourra pas y avoir de paix entre les Israéliens et les Palestiniens.
Tel est le sens de cette proposition de résolution, qui vise à affirmer que le principal instrument de pression diplomatique consiste en une reconnaissance symbolique, pays par pays, du principe et de la nécessité d’un État palestinien coexistant avec Israël.
Nous pensons en outre que les conditions définies par le droit international pour reconnaître un État sont en grande partie réunies. Il existe un peuple, un territoire, et un gouvernement, même s’il est faible et contesté par une partie de sa population. La reconnaissance internationale d’un État palestinien obligerait ainsi chacun à reprendre les négociations sur la délimitation de ses frontières, sur sa configuration, sur son caractère même. De surcroît, cette reconnaissance aurait pour effet de changer la nature des négociations. Elle rendrait de facto illégale l’occupation de portions de territoire d’un État souverain.
Je voudrais moi aussi écarter les critiques faites à cette proposition de résolution au prétexte qu’une telle initiative parlementaire pourrait gêner les initiatives diplomatiques entreprises par la France. Ces critiques ne sont pas fondées, car cette initiative parlementaire peut être complémentaire de la récente proposition du ministre des affaires étrangères d’organiser, avec les pays et les organisations impliqués dans la recherche d’une solution, une large conférence internationale chargée d’encadrer la reprise de négociations de paix.
Je crains toutefois que la perspective, à nouveau évoquée par Laurent Fabius, de ne reconnaître un État palestinien que dans l’hypothèse où la solution négociée n’aboutirait pas, ne repousse d’autant cette échéance.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
M. Roger Karoutchi. Le temps de parole est expiré !
Mme Éliane Assassi. Parallèlement – et j’en aurai bientôt terminé, madame la présidente, mais je crois que nous vivons vraiment un moment historique –, adopter une telle proposition de résolution aurait aussi le sens d’un soutien à la résolution que déposera le président Mahmoud Abbas devant le Conseil de sécurité des Nations unies pour appeler à un retrait israélien complet des territoires palestiniens occupés depuis 1967.
C’est pourquoi je pense que cette demande de reconnaissance symbolique,…
Mme la présidente. Concluez, madame Assassi !
Mme Éliane Assassi. … venant en France après la Grande-Bretagne, serait pleinement utile, car la voix de ces deux membres permanents est déterminante au Conseil de sécurité. Reconnaître un État palestinien ne doit pas être considéré comme une faveur accordée par sympathie à un peuple ami du peuple français, qui a tant souffert. C’est simplement faire valoir un droit et réparer une injustice fondamentale.
Mes chers collègues, pendant des décennies, le peuple israélien et le peuple palestinien ont été meurtris par l’Histoire. Comme des millions de nos concitoyens, nous sommes nombreuses et nombreux, ici, dans cet hémicycle, à rêver que les enfants d’Israël et de Palestine grandissent ensemble et se respectent mutuellement. Ce rêve, nous pouvons aujourd’hui l’approcher. Oui, nous pouvons aujourd’hui contribuer à ce que ce rêve devienne réalité. Ensemble, aujourd’hui et après l’Assemblée nationale, donnons une chance à la paix en votant en faveur de cette proposition de résolution sur la reconnaissance d’un État palestinien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Je rappelle aux orateurs la nécessité de respecter leur temps de parole. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Sûrement pas ! Nous prendrons le temps nécessaire !
M. Christian Cambon. Nous prendrons le temps !
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour six minutes !
Mme Éliane Assassi. Un peu de souplesse ! Nous vivons des moments historiques !
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, personne ne peut préjuger le vote final de notre assemblée, mais tout le monde peut être certain que, quel que sera notre choix individuel nous aspirons tous à ce que cesse un conflit, source de tant de tristesse, de tant de destructions, de tant de deuils et aussi, hélas ! de tant de haine !
La peur et le sentiment d’injustice peuvent générer des réactions violentes, parfois extrêmes. Les Israéliens éprouvent une inquiétude et même une peur obsessionnelle mais compréhensible quant à leur sécurité. Ce sentiment d’insécurité les entraîne à outrepasser trop souvent le droit.
Les Palestiniens ont ressenti beaucoup de souffrance pour accepter le désastre, la Nakba, qu’a constitué pour eux la reconnaissance d’Israël ; certains ne l’ont toujours pas acceptée d’autant plus qu’Israël ne respecte pas les résolutions de l’ONU.
Mais il s’agit de s’abstraire de l’émotion et d’avoir pour seul objectif d’apaiser, par des solutions pragmatiques et justes, une situation qui alimente des prétextes au terrorisme et même à la guerre. Quel est le quotidien des Palestiniens, en particulier des Palestiniens de Cisjordanie occupée ? Les projets successifs de colonisation, le mur, les entraves à leur libre circulation, l’occupation des terres, l’abattage des oliviers, la destruction des maisons, la confiscation de l’eau rendent ce quotidien insupportable aux habitants de Cisjordanie et même de Jérusalem-Est.
On ne peut passer sous silence les deux épisodes inacceptables des bombardements de Gaza : opération « Plomb durci » en 2009, qui provoqua 1 400 morts, et opération « Gardiens de nos frontières » cette année, qui provoqua 2 200 morts, toujours essentiellement des civils dont beaucoup trop d’enfants.
Personne ne peut considérer cette situation comme normale, personne ne peut considérer cette situation comme juste, personne ne peut considérer que cela puisse perdurer. Hier, les accords d’Oslo entre le Président Yasser Arafat et le Premier ministre Yitzhak Rabin n’ont pu être concrétisés, ce dernier ayant été assassiné par un extrémiste juif.
Aujourd’hui, le chef du Hamas, Khaled Mechaal, et le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, défendent des positions qui rendent la paix inaccessible.
Ayons aussi présent à l’esprit le fait que les États-Unis feront valoir leur droit de veto au Conseil de sécurité chaque fois qu’Israël le leur demandera. Nous sommes donc face à un obstacle infranchissable. Comment le contourner pour qu’une solution juste pour tous soit enfin mise en œuvre ?
Je pense que les propositions du ministre des affaires étrangères vont dans le bon sens, qu’une décision mûrie au Conseil de sécurité et une date butoir sont impératives pour atteindre la paix à laquelle nous aspirons tous.
Quels sont les deux paramètres fondamentaux de négociation ? Le droit absolu à la sécurité d’Israël. La reconnaissance par Israël des frontières de la Palestine définies par les Nations unies.
L’État d’Israël a été reconnu par l’OLP lors des accords Arafat-Rabin en 1993. Le Hamas, selon les comptes rendus des rencontres à Doha entre Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal en août dernier, accepte la création de l’État palestinien dans les frontières de 1967. C’est une reconnaissance implicite d’Israël.
M. Roger Karoutchi. « Implicite » ?
M. Aymeri de Montesquiou. Celle-ci doit être formalisée par des élections générales en Palestine regroupant la Cisjordanie et Gaza.
Tous, ici, nous voulons la paix, nous voulons absolument sortir de cet intolérable statu quo, en vigueur depuis quarante-sept ans, dû à la non-reconnaissance de la Palestine par Israël. Celle-ci engendre cette violence contre les Israéliens et l’inacceptable antisémitisme dont les métastases se répandent dans tout le Moyen-Orient.
Aujourd’hui, les Palestiniens sont désespérés par tant de violations des engagements pris. Comment pourraient-ils encore croire que du statu quo naisse une solution politique donc pacifique après quarante-sept ans sans résultats, avec même un recul depuis Oslo, sans une intervention déterminée du Conseil de Sécurité, avec pour objectif un État palestinien dont toute la communauté internationale, y compris Israël, a déjà accepté le principe ?
Avec certains collègues du groupe UDI, nous voterons pour la résolution tout en regrettant que, pour quelques raisons sémantiques dérisoires rapportées à l’importance de ce conflit meurtrier, le Sénat n’ait pu trouver une résolution commune surpassant les clivages politiques et conforme à la position du ministre des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. Aymeri de Montesquiou. Cette proposition de résolution, certes imparfaite, n’est pas hostile au peuple israélien, qui a droit à une sécurité totale garantie internationalement. Elle exprime le refus de laisser perdurer le statu quo et un geste pour la paix. Nous devons absolument envoyer un signal positif et apaisant aux Palestiniens. Avons-nous le droit, chers collègues, de leur dire encore, après quarante-sept ans, que ce n’est pas le moment ?
Pour la paix, tous les moments sont propices. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à travers le texte qui nous est proposé, une seule question nous est posée : le vote d’une simple résolution invitant le Gouvernement français à reconnaître l’État palestinien sans condition va-t-il contribuer à régler le conflit israélo-palestinien qui déchire cette région du globe depuis soixante-cinq ans ?
Sincèrement, nous ne le croyons pas. Pourtant, le travail du Sénat avait été exemplaire et aurait pu déboucher sur un tout autre résultat, réaliste, fort et surtout consensuel.
Contrairement à l’Assemblée nationale, où un texte a été imposé par la majorité de la gauche, la nouvelle majorité du Sénat vous a proposé un chemin bien différent. Tentant de décrypter cet « Orient compliqué » dont parlait le général de Gaulle, la commission des affaires étrangères du Sénat s’est employée à prôner une démarche d’écoute et de meilleure compréhension des enjeux, en s’adressant à ses principaux protagonistes.
Sous la présidence de Jean-Pierre Raffarin, des auditions ont été organisées au sein de la commission afin d’entendre les représentants des deux parties directement intéressées à la négociation – l’ambassadeur d’Israël et l’ambassadeur délégué de la Palestine –, mais aussi notre ministre des affaires étrangères.
Le but de ces auditions était de comprendre l’utilité d’une résolution parlementaire en faveur de la paix. Or, si son intérêt pour les Palestiniens est évident, son intérêt en faveur d’une relance du processus de négociations est apparu de façon beaucoup moins nette, et ce pour différentes raisons.
Il y a tout d’abord une raison institutionnelle, que M. Fabius a lui-même souligné : c’est le Président de la République et le Gouvernement seuls qui, sous la Ve République, conduisent les négociations internationales et nouent les relations diplomatiques. Ce sont à eux seuls qu’il reviendra, le « moment venu », pour reprendre la formulation de Laurent Fabius lui-même, de reconnaître l’État palestinien. Le Parlement, Assemblée nationale ou Sénat, ne maîtrise ni le calendrier ni le cours des négociations.
Il y a une raison pratique aussi : puisque l’exécutif décide seul, on nous a rétorqué que la proposition de résolution aurait une portée « symbolique » et que son utilité proviendrait du symbole. Que le symbole ait une vertu politique, certes ! Que votre résolution apporte un message apaisant à la communauté musulmane de France, choquée par certaines réformes de société, c’est une évidence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Le symbole se heurte cependant, dans le champ diplomatique, aux faits.
Mme Éliane Assassi. Prenez de la hauteur !
M. Christian Cambon. Reconnaître un État de façon symbolique n’est pas reconnaître un État à part entière, c’est parler d’un « État de papier », pour reprendre l’expression de Laurent Fabius. Les Palestiniens méritent mieux qu’une reconnaissance de « papier ».
Mes chers collègues, les paramètres de la paix, nous les connaissons bien. Ils sont acceptables, dans leur principe, par l’État d’Israël comme par la Palestine : deux États vivant en paix et en sécurité, sur la base des frontières de 1967, avec Jérusalem pour capitale.
Cette solution de deux États, nous la partageons tous. S’opposer à la proposition de résolution telle qu’elle nous est soumise, ce n’est pas dire « non » à la reconnaissance d’un État palestinien et « oui » à la politique d’Israël. Comme de nombreux amis d’Israël, nous n’approuvons pas les entreprises de colonisation systématique ou de confiscation de terres qui privent les Palestiniens de leur outil de travail et attisent la haine. Mais comme ami des Palestiniens, nous l’affirmons aussi : il n’y aura pas d’issue au conflit sans une reconnaissance mutuelle et sans que cessent les actes terroristes qui privent les Israéliens de la paix et attisent, eux aussi, la haine.
M. Michel Canevet. Tout à fait !
M. Christian Cambon. À la question : « Faut-il reconnaître pour négocier, ou négocier pour reconnaître ? », la réponse est claire : il faut négocier pour reconnaître.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Christian Cambon. La question ne porte donc pas sur la reconnaissance de l’État palestinien : celle-ci est inéluctable. Le débat porte sur le moment, sur les modalités.
M. Didier Guillaume. Non, ce n’est pas le problème !
M. Christian Cambon. On nous dit que, depuis plus de soixante ans, la formule d’une négociation directe entre Israéliens et Palestiniens aurait montré ses limites et son incapacité à aboutir et que, faute de résultat, la reconnaissance de l’État palestinien n’aurait que trop tardé. Il est exact que le temps est bien long, toujours trop long. Mais parler de « statu quo » ou d’ « immobilisme », c’est tomber dans l’anachronisme et effectuer une lecture erronée des efforts entrepris.
Je vous le rappelle, les parties et la communauté internationale ont failli aboutir à plusieurs reprises. Les circonstances ont varié au fil du temps : elles ont parfois été favorables, parfois marquées par des drames et des remises en cause, à la suite notamment de l’assassinat de Yitzhak Rabin. Le contexte a fortement évolué en soixante ans, et c’est heureux : Israël est reconnu par nombre d’États de la région, l’action terroriste a été abandonnée par l’OLP, il existe maintenant une Autorité palestinienne.
Faut-il se satisfaire de ces résultats qui demeurent partiels ? Non, bien évidemment, le regain des tensions sur place aujourd’hui le démontre. Mais l’histoire et le temps passé n’invalident pas la formule d’un processus de négociations qui aboutirait à la reconnaissance mutuelle, sous prétexte que cette reconnaissance n’a pas été possible jusqu’à présent.
Mes chers collègues, en invitant d’emblée le Gouvernement à reconnaître l’État de Palestine, la proposition de résolution que vous soumettez à notre vote en dit à la fois trop et pas assez.
Elle en dit trop, parce qu’elle pose la reconnaissance comme un élément qui serait un déclencheur premier de la paix. C’est faire preuve d’un certain cynisme à l’égard d’Israël : faire de la reconnaissance unilatérale un « instrument » de négociation revient à exercer une pression unilatérale sur Israël.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Christian Cambon. Une fois que les principales puissances, dont celles des États membres du Conseil de sécurité, auront reconnu la Palestine, Israël devra simplement se conformer à un principe de réalité et faire la paix avec les Palestiniens : tel est le sens de la résolution. C'est parfaitement irréaliste !
Dans le même temps, la résolution n’en dit pas assez parce qu’elle ne fait reposer cette reconnaissance sur aucune condition, elle ne règle aucun des obstacles qui ont rendu impossible cette reconnaissance jusqu’à présent.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas l’enjeu !
M. Christian Cambon. Je pense en particulier au rôle du Hamas, qui figure parmi les organisations terroristes reconnues par la communauté internationale et ne cesse de réclamer la destruction pure et simple de l’État d’Israël,…
M. Jean-Louis Carrère. Mais non !
M. Roger Karoutchi. Mais si !
M. Christian Cambon. … ce qui est inacceptable.
Si le Gouvernement faisait une interprétation littérale de votre proposition de résolution et s’évertuait à l’appliquer, il est certain que la voix de la France perdrait toute force dans le concert des nations qui peuvent peser sur la résolution du conflit.
Votre résolution donne un signal très clair en direction des Palestiniens, qu’elle exonère de toute condition. Elle donne un signal tout aussi clair en direction d’Israël, qu’elle contribue de fait à isoler dans son refus de reconnaître la Palestine, avant l’aboutissement du processus de négociation.
En remettant en cause l’équilibre qui, depuis le général de Gaulle, a caractérisé la diplomatie française, la proposition de résolution, appliquée telle quelle, ne rendrait plus audible notre diplomatie auprès de l’État d’Israël. Or c’est à la seule condition de maintenir une posture plus équilibrée que l’on préservera un moyen de peser sur les choix israéliens et que l’on ne laissera pas Israël dans un dialogue exclusif avec les États-Unis.
Mes chers collègues, comprenons-nous bien : procéder à une reconnaissance symbolique ne présente aucun intérêt pour la relance du processus de négociations et ne répond qu’à des fins de politique intérieure.
Il n’y a pas d’autre issue que la négociation et la reconnaissance mutuelle, malgré les difficultés ; la reconnaissance d’emblée, sans avoir posé de conditions, conduirait à un déséquilibre dans la position de la diplomatie française.
Du reste, si votre proposition de résolution était votée, je suis persuadé que le Gouvernement français serait plus prudent et n’en tiendrait pas compte : son application littérale affaiblirait notre diplomatie, qui ne serait plus en mesure d’être audible par toutes les parties.
M. Daniel Reiner. En clair, le Parlement ne sert à rien !
M. Christian Cambon. Une autre voie était pourtant possible. Avec d’autres ici, de droite comme du centre ou de la gauche, nous avons essayé, autour du président Raffarin, de prôner un texte qui puisse dépasser les clivages partisans et rallier une grande majorité de notre assemblée. Les enjeux le méritaient. Quel sera le poids d’un vote où les divisions politiques seront le seul vainqueur ? Une résolution et un vote en matière de politique étrangère n’ont de sens que s’ils témoignent d’un élan, d’une union de la représentation nationale, comme ce fut la tradition dans le domaine de la diplomatie. Le résultat est là : ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat, les porteurs de cette résolution n’ont souhaité déclencher un tel mouvement.
Ce texte n’était pas le vœu de notre ministre des affaires étrangères. Le 3 décembre dernier, devant la commission des affaires étrangères, il a prôné « une expression qui soit aussi rassembleuse que possible ».
M. Didier Guillaume. C'est exactement celle-là ! (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
M. Christian Cambon. Tout le sens de la démarche de notre diplomatie est justement d’éviter un blocage, un clivage trop fort qui braquerait l’une des parties et conduirait à un véto du Conseil de sécurité. Puisse le scénario du clivage ne pas se reproduire dans les enceintes multilatérales : tel est notre vœu.
Nos diplomates – et ils le font avec talent – auront à cœur d’essayer de créer un contexte international propice à la négociation et à la paix. Il est illusoire de penser, en revanche, qu’un prétendu « mouvement européen » est en train de naître en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien, comme certains essaient de le faire croire, avec emphase.
Mmes Éliane Assassi et Michelle Demessine. Si, c'est vrai !
M. Christian Cambon. Force est de constater que ledit mouvement est intervenu dans le plus grand désordre et sans cohérence.
Mme Éliane Assassi. Que recherchez-vous ?
M. Christian Cambon. En effet, quel est le point commun entre votre initiative parlementaire et la reconnaissance de l’État palestinien par le gouvernement suédois, qui expédie aujourd’hui les affaires courantes ?
Mme Michelle Demessine. Quel mépris !
M. Christian Cambon. Quelle comparaison possible entre la proposition de résolution française et la résolution espagnole, laquelle a fait l’objet d’un consensus entre les socialistes et le parti populaire, qui appelle certes à la reconnaissance de l’État palestinien, mais en fait la « conséquence » et non « l’instrument » d’un processus de négociation ? Le sens du compromis du parti socialiste espagnol n’est visiblement pas partagé par nos collègues de gauche. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Didier Guillaume. Faire de la politique politicienne sur des sujets aussi importants !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas à la hauteur du débat !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Christian Cambon. Mes chers collègues, en votant contre la proposition de résolution, vous n’entravez pas le jeu diplomatique. Au contraire, vous évitez de jeter un soupçon de parti pris sur les initiatives françaises.
Mme Éliane Assassi. Le temps de parole !
M. Christian Cambon. Laissez-moi conclure, ma chère collègue. Quand vous êtes intervenue, je vous ai écoutée avec attention et vous avez largement dépassé votre temps de parole !
Mme la présidente. Je vous ai demandé de conclure, monsieur Cambon.
M. Christian Cambon. Oui, nous appelons à une reprise du processus de négociations. Oui, nous soutenons les efforts de notre diplomatie…
Mme Michelle Demessine. Vous exacerbez les tensions !
M. Christian Cambon. … pour obtenir une résolution du Conseil de sécurité qui récapitule les conditions d’une paix complète, juste et durable entre les parties, et qui constituera la première étape de cette relance du processus.
Mme la présidente. Concluez !
M. Christian Cambon. Oui, nous sommes partisans d’un accompagnement international des Israéliens et des Palestiniens, qui commence par nos partenaires européens, trop silencieux sur le sujet. L’Union européenne ne peut être présente uniquement lorsqu’il s’agit de financer le gouvernement palestinien ou la reconstruction de la bande de Gaza.
Mme Éliane Assassi. Votre temps de parole est écoulé !
M. Christian Cambon. Nous sommes favorables à la solution des deux États et à faire de la reconnaissance, le moment venu, de l’État de Palestine un instrument de la reconnaissance mutuelle.
Un compromis était possible, mes chers collègues (Exclamations et manifestations d’impatience sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) : il aurait réuni sur ces bases le Sénat tout entier, qui aurait démontré sa sagesse et affirmé son utilité. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC soulignent que l’orateur a largement dépassé son temps de parole.)
Mme la présidente. Par sagesse, concluez, mon cher collègue !
M. Christian Cambon. Vous ne l’avez pas souhaité, c’est dommage. Nous accompagnerons les efforts du ministre, qui a demandé du temps et de la patience, mais nous ne voterons pas cette résolution imparfaite, qui n’apporte aucun élément utile pour construire une paix durable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC. – Vives exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour dix minutes.
Un sénateur du groupe socialiste. Un quart d’heure de temps de parole pour Didier Guillaume, au lieu de dix minutes !
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, je voudrais solennellement m’adresser à mes collègues, à vous, monsieur le secrétaire d'État, mais aussi – peut-être avec un peu d’immodestie ! – à nos compatriotes, aux enfants de la République française. L’enjeu de ce débat n’est pas politicien, il n’oppose pas la gauche à la droite. (M. Roger Karoutchi fait un signe dubitatif.)
En effet, comment penser que nous pourrions contribuer à régler le conflit israélo-palestinien si, dans cet hémicycle, des noms d’oiseaux fusent et si nous ne sommes pas capables d’avoir un débat serein sur un enjeu aussi important ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Alors que nous examinons cette proposition de résolution, nous sommes de nouveau confrontés à un contexte de violence. Hier soir au Proche-Orient, nous avons assisté à un nouveau drame du conflit israélo-palestinien. Je souhaite que toute la lumière soit faite sur les circonstances du décès en Cisjordanie de Ziad Abou Ein, un ministre palestinien. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Toutes et tous, ici, nous sommes pour la paix – je le dis à l’adresse de Christian Cambon. Toutes et tous ici, nous devons lutter contre tous les extrémismes d’où qu’ils viennent et quels qu’ils soient, du Hamas comme des intégristes israéliens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Ceux qui ne cherchent qu’à détruire les autres sous prétexte de religion, d’ethnies ou d’idées sont nos ennemis, les ennemis de notre pays. Car la France est engagée, comme elle l’a toujours été – aujourd'hui plus que jamais –, militairement et politiquement dans le monde pour lutter contre toutes les formes de terrorismes, en Irak, contre Daech, et ailleurs, en Afrique, notamment en République centrafricaine. La France ne peut tolérer que des extrémistes, sous couvert de religion, procèdent à des destructions et tuent des hommes et des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
La France sera toujours engagée contre toutes les formes de terrorisme.
Au Proche-Orient, nos ennemis sont les fanatiques qui utilisent les populations civiles pour perpétuer le conflit. Imaginons un instant qu’un processus de paix aboutisse enfin : ces extrémistes perdraient tout, car ils ne vivent que de la terreur, ils n’existent que dans et pour la guerre.
Notre vote de ce matin peut contribuer à ce processus en combattant ces individus, en leur montrant que la France est déterminée à faire aboutir la paix.
Les gouvernements français successifs, de droite comme de gauche, n’ont jamais choisi un camp contre l’autre dans le conflit israélo-palestinien. C’est cette position du juste équilibre, encore rappelée par le ministre des affaires étrangères au Sénat la semaine dernière, qui a permis à la voix de la France d’être écoutée dans le processus de paix.
Nous devons conserver ce juste équilibre, indispensable, dans nos débats de ce matin.
Le Sénat est parfaitement légitime à s’exprimer. Il en est ainsi de la plupart des représentations nationales, notamment européennes. Elles doivent le faire, car c'est leur rôle politique d’affirmer des engagements !
M. Daniel Reiner. Bien sûr ! Évidemment !
M. Didier Guillaume. Quand il s’agit de sujets de politique extérieure, une initiative comme celle-ci participe de la diplomatie parlementaire. Monsieur le secrétaire d'État, elle peut inclure des initiatives telles cette résolution, à la condition qu’elles viennent appuyer, conforter tout ou partie de l’action de l’exécutif pour une paix durable dans cette région.
C’est la France qui sera chargée de porter cette reconnaissance, et elle saura le faire quand la conférence internationale que nous appelons tous de nos vœux marquera la reprise du processus de paix.
Cette reconnaissance, c’est celle de deux États côte à côte, de deux peuples qui vivent en sécurité et en liberté. Car la France est l’amie d’Israël et l’amie de la Palestine.
Ces amitiés, ce respect qui est le nôtre pour ces deux peuples, sont forts en France. Nous œuvrons tous pour éviter les amalgames. Mais, parfois, force est de constater que les passions l’emportent jusque dans notre pays.
Il est inconcevable de vouloir importer ce conflit dans notre pays. Ce n’est pas notre volonté.
Certaines manifestations, dégradations, déclarations radicales ne peuvent être ignorées, notamment ces derniers mois. Ces débordements aboutissent à des drames.
Le racisme ambiant, la xénophobie, l’antisémitisme de plus en plus revendiqué sont inacceptables dans notre pays et doivent être combattus de toutes nos forces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
Le pays des Lumières, le pays des droits de l’Homme, le pays de la Résistance, le pays de Jaurès, le pays du général de Gaulle, ne peut être celui-là ! La nation française ne s’est pas formée sur ces idées d’exclusion. Elle a toujours su traverser les épreuves et se retrouver sur ses valeurs fondamentales.
Ce qui s’est récemment passé à Créteil est insupportable et bafoue toutes nos valeurs républicaines ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Je ne veux évidemment pas établir de lien direct avec la situation au Proche-Orient. Mais, nous le savons bien, un climat délétère prospère sur les tensions que certains n’ont de cesse d’attiser. Cela ne fait que renforcer le communautarisme et le repli sur soi.
Je soutiens pleinement le Premier ministre quand il déclare : « La France sans les juifs de France ne serait pas la France ». Nous devons nous rassembler et aider le Gouvernement.
MM. Yitzhak Rabin et Yasser Arafat ont reçu le prix Nobel de la paix pour avoir tracé le chemin. Que s’est-il passé depuis ? L’engagement du Gouvernement est essentiel.
Cette proposition de résolution poursuit le mouvement en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. Elle s’inscrit dans un mouvement international indispensable. Ainsi, 135 pays se sont prononcés, par des initiatives d’ampleur, en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. À l’échelle européenne, Martin Schulz, le président du Parlement européen, a déposé une proposition de résolution. Elle sera débattue prochainement. Ces initiatives expriment une volonté générale visant à réunir les conditions d’une paix au Proche-Orient.
En votant cette proposition de résolution, le Sénat ne ferait qu’exprimer un désir de paix, dans la tradition historique de la France. C’est dans cet esprit que les rédacteurs du texte ont travaillé.
Je regrette la décision, pour le moins inhabituelle, de la commission des affaires étrangères de ne pas s’exprimer ce matin. Mais je veux remercier Gilbert Roger, qui a passé de nombreuses heures à échanger avec les membres du Sénat, avec les groupes et avec M. le président de cette commission.
Ce texte n’est pas exactement celui qui a été voté à l’Assemblée nationale, puisqu’il est précisément le fruit d’un travail partagé ; vous le savez bien ! Il a intégré l’essentiel, voire la quasi-totalité des amendements de tous les groupes, notamment du groupe UMP et de son président.
M. Christian Cambon. C’est faux !
M. Didier Guillaume. Exception faite, peut-être, d’un mot !
Oui, nous souhaitons le vote le plus large du Sénat ! Évidemment, ce n’est pas cette résolution qui réglera le conflit. Mais il y a toujours de bonnes raisons d’attendre, de retarder, de remettre à plus tard, de dire que le moment n’est pas venu…
Mme Michelle Meunier. Parfaitement !
M. Didier Guillaume. C’est maintenant qu’il faut agir. La situation ne peut plus durer ainsi. Les morts, les actes terroristes, la souffrance des enfants sont inacceptables ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Toute initiative prise par le Parlement français servira la paix. Voilà de quoi il s’agit aujourd'hui. N’entrons pas dans des divisions ou des oppositions stériles !
Je ne veux plus voir à la télévision des enfants morts ! Je ne veux plus voir des parents qui pleurent ! Je ne veux plus voir ces peuples divisés ! Je ne veux plus voir ces frères et ces sœurs séparés !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
M. Didier Guillaume. Nous devons aller de l’avant.
M. Roger Karoutchi. Seuls ?
M. Jean-Louis Carrère. M. Karoutchi ne comprend pas…
M. Didier Guillaume. Voilà soixante ans que la situation dure. Voilà soixante ans que nous discutons. Voilà soixante ans que la communauté internationale est impuissante !
Alors oui, le vote de cette proposition de résolution équilibrée permettra peut-être de donner un coup d’accélérateur au règlement du conflit ! Oui, il permettra au Gouvernement de s’appuyer sur le soutien du Parlement pour faire entendre la voix de la France !
L’échec du processus d’Oslo doit nous interpeller. Oui, la paix durable que nous voulons là-bas passera forcément par la reconnaissance des deux États, de manière à leur permettre de vivre côte à côte, dans la sécurité. Conférer le statut d’État souverain aux Palestiniens participe de cette logique.
Je le rappelle, François Mitterrand disait à la tribune de la Knesset : « Le dialogue suppose la reconnaissance préalable et mutuelle du droit de l’autre à l’existence, le renoncement préalable et mutuel à la guerre directe ou indirecte [...]. Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller jusqu’au bout de son droit, ce qui, pour les Palestiniens comme pour les autres, peut le moment venu signifier un État. » Depuis, tous les présidents de la République française se sont exprimés dans le même sens.
Cette position équilibrée, que la France pourrait porter, constitue la ligne constante de notre politique extérieure. Permettez-moi de citer un extrait de la proposition de résolution : « l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël, sur la base des lignes de 1967 avec Jérusalem pour capitale de ces deux États et fondé sur une reconnaissance mutuelle ». Nous pouvons tous nous retrouver sur ce texte !
La conférence internationale que le ministre des affaires étrangères et du développement international a proposé d’organiser devra avoir lieu et être concluante. La présente proposition de résolution participe bien évidemment de ce changement de méthode, qui prend acte de l’impasse actuelle et des nouvelles avancées que nous devons réaliser.
C’est en républicains responsables, convaincus d’une juste cause, que nous présentons cette proposition de résolution, afin que la France participe à une solution durable au conflit israélo-palestinien. C’est en républicains soucieux de notre démocratie que nous souhaitons une expression du Sénat digne et forte.
La politique est une alchimie constituée d’actes et de symboles. Bien évidemment, les symboles comptent dans notre pays ! C’est donc dans un esprit de solidarité avec les peuples israélien et palestinien que nous posons ici un acte symbolique de paix.
Il y a un an disparaissait Nelson Mandela. Avec lui, je veux dire à nos amis israéliens que « pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé. » Avec lui, je veux dire à nos amis palestiniens qu’« être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. » Le droit à la sécurité d’Israël est aussi inaliénable que le droit souverain des Palestiniens à disposer d’un État.
Il appartient à la France, parce qu’elle est l’amie de ces deux peuples, de poser, avec d’autres, les jalons de cette paix durable.
Mes chers collègues, tel est le sens de cette proposition de résolution. Soyons à la hauteur de l’enjeu ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, je souhaite simplement rappeler un élément à M. Didier Guillaume. Notre règlement ne prévoit pas que les commissions se saisissent des résolutions ; les résolutions sont l’affaire des groupes politiques !
D'ailleurs, notre commission a tenté de s’autosaisir, en vue de trouver un accord, qui n’a pas pu être trouvé. C’est un choix de parti qui a été fait, et non un choix de commission.
Dans ces conditions, la commission n’avait pas à s’exprimer dans ce débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. C’est dommage ! Nous aurions préféré les commissions aux partis…
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Suite du débat
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en une période de montée des nationalismes et d’antisémitisme virulent, dans l’Europe de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les promoteurs du sionisme eurent pour objectif de normaliser l’existence juive et de la sécuriser. Cherchant une solution à la « question juive », ils n’en créèrent pas moins une « question arabe ».
Martin Buber, le grand penseur juif allemand, rapporte à cet égard une anecdote étonnante. Max Nordau, l’intellectuel du mouvement sioniste naissant, bras droit de Herzl, apprenant soudain la présence d’une population arabe en Palestine, se serait précipité, affolé, chez Herzl, pour lui dire : « Je ne le savais pas ! Si cela est vrai, nous commettons une injustice ! »
Herzl, ses amis, ses successeurs, imprégnés par l’idéologie coloniale du XIXe siècle, s’imaginèrent qu’en apportant les bienfaits de ce qu’on appelait alors la « civilisation », ils réussiraient à convaincre les Arabes de Palestine d’accepter une implantation juive massive. Le roman d’anticipation de Herzl, Altneuland, traduit en français sous le titre Terre ancienne, terre nouvelle et paru en 1902, décrit une Palestine imaginaire vingt ans après la constitution d’un État juif. Il a son héros arabe, le notable Rachid Bey, à qui Herzl fait dire, naïvement : « L’immigration juive fut une bénédiction pour nous. »
Pourtant, dès 1891, le publiciste juif russe Ahad Ha-Am avait lancé une claire mise en garde : « Il ne faut pas nous cacher que nous allons vers une guerre difficile. » Voilà ce qu’il disait en parlant de la présence arabe sur place. La revendication d’un « droit historique » sur la terre de Palestine, terre biblique, terre des pères fondateurs du peuple juif, n’en occulta pas moins longtemps, aux yeux de ses promoteurs, la réalité d’une présence arabe, qui pouvait, elle, se prévaloir d’un « droit national », tout aussi légitime, sur cette même terre.
On ne reviendra, certes, pas en arrière. L’État d’Israël est né en 1948, et nul ne songe à contester son droit à l’existence et à la sécurité.
M. Roger Karoutchi. Et le Hamas ?
Mme Esther Benbassa. Ce qui, pour beaucoup de juifs, après l’épreuve tragique de l’extermination, a marqué le temps d’une renaissance a bel et bien ouvert, pour les Palestiniens, le temps du déracinement, puis de l’occupation, à partir de 1967.
En 1930, Martin Buber le disait déjà à sa manière : l’objectif n’est pas « une cohabitation l’un contre l’autre », mais une « cohabitation en commun ». Buber rêvait alors d’un État binational. Peu en rêvent encore aujourd’hui. Ainsi, en 1993, lors de la signature des accords d’Oslo, Yitzhak Rabin déclarait plus humblement : « Notre destin nous force à vivre ensemble, sur le même sol, sur la même terre. » Deux États indépendants, démocratiques et contigus sur la même terre ? Oui, car c’est bien là la seule issue à des décennies de déni mutuel, de guerres meurtrières, de destructions et de souffrances. C’est la seule issue à des décennies d’occupation dévastatrice pour l’occupé, dont le dernier épisode est la mort, hier, du ministre palestinien, Ziad Aboud Ein.
La paix se construit en général sur des décombres, hélas ! N’abandonnons pas le terrain aux extrémistes des deux bords. Messianisme et irrédentisme conduisent inéluctablement au désastre. Opposons à la violence et au terrorisme, d’où qu’il vienne, un discours de raison. Et agissons avant que la naissance d’un État palestinien viable devienne tout simplement impossible.
En 1976, Yeshayahou Leibowitz, penseur israélien religieux et iconoclaste, écrivait : « Il se peut que l’histoire des relations israélo-arabes de ces dernières décennies soit un "chaos irréparable". D’évidence, dans la situation créée à la suite de la conquête par les juifs de tout le territoire de la Palestine au cours de la guerre des Six Jours, il est impossible que les juifs et les Arabes en viennent à s’entendre pour la partition du pays entre les deux peuples et qu’ils le fassent de leur plein gré. C’est pourquoi il faut souhaiter une solution imposée aux deux parties par les superpuissances. » Pour ma part, je ne crois pas à la toute-puissance des « superpuissances ». Je crois pourtant que nous pouvons et que nous devons peser. Voter la présente résolution serait un moyen de le faire.
J’ai vécu de longues années en Israël. J’ai consacré nombre de mes travaux de recherche, comme universitaire, à l’histoire du peuple juif et à celle du sionisme. Je suis profondément attachée à ce pays. Je n’en suis pas moins consciente de la tragique injustice faite au peuple palestinien. J’ai vu de près les terribles souffrances, les humiliations quotidiennes et la désespérance.
Aujourd’hui, c’est en citoyenne, en élue de notre République et en écologiste que je m’exprime. Les écologistes, dont je porte la parole, voteront unanimement cette proposition de résolution, dont ils sont tous signataires.
Mme Michelle Meunier. Très bien !
Mme Esther Benbassa. Ils savent en effet que nous avons tout à perdre à laisser fructifier dans notre pays les amalgames, les défiances réciproques entre juifs et musulmans, les identifications malsaines, l’antisémitisme – les récents actes antisémites commis à Créteil sont regrettables –, et que nous avons en revanche tous et tout à gagner à dire clairement ce que nous dicte notre exigence de justice à l’égard d’Israël et de la Palestine.
N’écoutons que la voix de notre conscience ! Quelle que puisse être par ailleurs notre sensibilité politique, n’hésitons pas à appeler le gouvernement de la France à reconnaître enfin l’État de Palestine ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Hervé Marseille. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution est un texte de circonstance, un texte déséquilibré, un texte qui n’a pas sa place ici !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Hervé Marseille. C’est un texte de circonstance. Ainsi que M. Cambon l’a souligné avec brio, cette proposition a de toute évidence des relents d’électoralisme !
M. Jean-Louis Carrère. Dont vous n’êtes pas capables…
M. Hervé Marseille. Je compte sur vous pour nous montrer vos talents en la matière, mon cher collègue. (Rires sur les travées de l'UMP.)
Nous avons vu fleurir trois propositions de résolution, émanant, l’une de Mme Éliane Assassi, la deuxième de Mme Esther Benbassa et la troisième de M. Gilbert Roger. M. Guillaume ayant été plus rapide et plus habile, c’est le groupe socialiste qui est arrivé en tête et qui a pris l’initiative de cette discussion.
M. Didier Guillaume. Dans un débat sur l’avenir du conflit israélo-palestinien, de tels propos ne sont vraiment pas au niveau !
M. Jean-Louis Carrère. C’est vulgaire !
M. Gaëtan Gorce. Et médiocre !
Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Marseille a la parole.
M. Hervé Marseille. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, est-il encore possible de s’exprimer dans cet hémicycle ou faut-il voter sans attendre pour votre résolution ?
Ainsi qu’une simple lecture de la presse suffit à s’en rendre compte, les auteurs de ce texte cherchent à s’attirer à moindres frais les bonnes grâces de communautés qui se sont détournées du vote de gauche depuis l’élection du Président de la République. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Exactement !
Mme Samia Ghali. C’est n’importe quoi !
M. Hervé Marseille. Il s’agit de vous permettre de retrouver le chemin du second tour des élections, que vous avez perdu depuis déjà quelques mois !
Encore une fois, c’est un texte de circonstance. Ainsi que M. Guillaume l’a rappelé, 135 pays ont déjà reconnu l’État de Palestine. Or cela ne nous a pas rapprochés d’un iota de la résolution du conflit.
M. Christian Cambon. Absolument !
M. Hervé Marseille. Je ne suis pas certain qu’un cent-trente-sixième vote en faveur de la reconnaissance de cet État fasse davantage progresser la situation. Nous savons très bien que le problème ne pourra se régler que par un accord global, fruit d’une négociation. À ce jour, malgré des décennies de discussion, un tel accord n’a jamais pu être trouvé.
Chers collègues socialistes, si vous aviez réellement voulu que ce débat aboutisse, vous auriez donné droit aux discussions qui ont eu lieu – M. Cambon y a fait référence – au sein de la commission des affaires étrangères.
M. Didier Guillaume. Nous l’avons fait !
M. Hervé Marseille. Ainsi aurions-nous disposé d’un texte moins unilatéral, moins inconditionnel.
La résolution ne mentionne ni la place du Hamas ni sa charte, qui prévoit la destruction d’Israël. Elle ne fait pas état de l’accord de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, qui jette un doute sur le comportement des uns et des autres. Il n’est plus question de la place de Jérusalem.
M. Didier Guillaume. C’est faux !
M. Hervé Marseille. Pourtant, il s’agit, nous le savons, d’un point fondamental pour un éventuel accord.
Si vous l’aviez voulu, ce texte aurait donc pu progresser et recevoir un large assentiment.
M. Jean-Louis Carrère. Puisqu’il est de circonstance…
M. Hervé Marseille. En effet, sur toutes les travées, chacun admet qu’il faut aller vers la reconnaissance d’un État palestinien. Toute la question est de savoir quand et dans quelles conditions.
La résolution qui nous est proposée est un texte incantatoire. Appartient-il au Parlement de jouer un tel rôle dans la politique internationale de la France ? À l’évidence, non !
M. Jean-Yves Leconte. Belle idée du rôle du Parlement !
M. Hervé Marseille. C’est l’apanage du Président de la République ; c’est son domaine réservé ! Que le Gouvernement reconnaisse l’État de Palestine s’il le veut et s’il en a le courage ! Qu’il n’attende pas « le moment venu », pour paraphraser M. Laurent Fabius ! Qu’il le fasse !
Lorsque les forces armées sont engagées dans des opérations extérieures, on ne vient pas demander au Parlement son avis. Quand on l’en informe, on ne lui demande même pas de voter ! On vient simplement lui annoncer ce qui a été unilatéralement décidé. Pour autant, nous soutenons l’action du Président de la République dans ces cas-là !
Quand nous parlons de l’Arménie et de la reconnaissance du génocide arménien, on nous explique qu’il ne nous appartient pas de faire l’Histoire, tout en nous enjoignant de ne pas voter la reconnaissance. Aujourd'hui, on nous invite au contraire à reconnaître l’État de Palestine.
Mme Bariza Khiari. Ce n’est pas la même chose !
M. Hervé Marseille. L’article 34-1 de la Constitution, auquel il est fait référence, proscrit les propositions de résolution contenant des injonctions au Gouvernement. À l’Assemblée nationale, notre collègue Roger-Gérard Schwartzenberg a parlé d’« injonction courtoise », c'est-à-dire d’injonction atténuée.
M. Didier Guillaume. Il s’agit d’une invitation !
M. Hervé Marseille. En fait, c’est bien une injonction qui est donnée au Gouvernement. On serait donc en droit de s’interroger sur le fondement constitutionnel de la démarche.
Bien sûr, on peut se jeter à la figure les femmes qui pleurent et les enfants qui meurent ! Il y en a partout dans le monde, et nous aurions des motifs d’en parler tous les matins ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un argument qui ne tient pas !
M. Hervé Marseille. Je continuerai à le dire, que cela vous plaise ou non !
J’ai écouté l’intervention de M. Didier Guillaume. La seule démonstration qui aura été faite ce matin, et qui affaiblira la position de la France, c’est celle de la division du Parlement sur la question ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Laurence Cohen. Qui divise ?
M. Hervé Marseille. Nous ne sommes pas tenus de nous conformer à ce que vous demandez ! Souffrez que nous ayons une opinion différente ! (Mêmes mouvements.)
Le Parlement va donc faire état de sa division. Je ne suis pas certain que cela aide le Gouvernement…
M. Jean-Louis Carrère. En tout cas, cela vous satisfera !
M. Hervé Marseille. … ou l’action du Président de la République dans un pays comptant tout à la fois la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d’Europe. On le sait, nos travaux, nos débats sont regardés avec intérêt et vigilance par ces communautés.
Vous l’aurez compris, je ne voterai pas ce texte.
Mme Éliane Assassi. C’est bien dommage !
M. Hervé Marseille. Mon choix n’est pas motivé par des raisons dérisoires, comme je l’ai entendu tout à l’heure. Ce texte ne fait tout simplement pas progresser la paix ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Jean-Louis Carrère. Encore un progressiste… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Ayant écouté l’intervention de M. Guillaume, je vais modifier mon intervention. Notre collègue aura au moins influencé une personne, même si cela ne change pas mon vote.
Mme Bariza Khiari. Quel dommage !
M. Roger Karoutchi. N’ayez aucune crainte à cet égard, madame Khiari.
Ce qui change, ce n’est pas ma position ; c’est ma manière d’aborder le problème. Par un seul vote, je vais dire trois fois « non » !
Tout d’abord, et presque tous les orateurs ont soulevé cette question, que vient faire un tel débat au Parlement ?
Mme Éliane Assassi. Ce sont les droits du Parlement !
M. Roger Karoutchi. Veuillez me laisser parler, madame Assassi ; je n’ai interrompu personne.
M. Jean-Louis Carrère. Ça dépend…
M. Roger Karoutchi. J’ai défendu la réforme constitutionnelle de 2008 à l’Assemblée nationale et au Sénat. Mon collègue Henri de Raincourt s’est ensuite chargé de la mettre en application. La création des résolutions de l’article 34-1 avait alors suscité un débat.
J’entends encore certains députés socialistes – François Hollande n’était alors pas Président de la République – m’expliquer que ces résolutions, envisageables pour les questions économiques, sociales ou politiques, n’avaient pas lieu d’être en matière de défense nationale ou d’affaires étrangères, deux domaines régaliens qui dépendent directement de l’exécutif et sont placés sous sa compétence.
Je constate que cette position, défendue par les députés socialistes en 2008, ne leur paraît plus valide en 2014 !
M. Gaëtan Gorce. C’est parce que Nicolas Sarkozy n’a pas été convaincu ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Je ne soutiens évidemment pas – c’est le moins que l’on puisse dire – le chef de l’État et le Gouvernement. Je les combats !
M. Alain Néri. Jusque-là, c’est vrai !
M. Roger Karoutchi. Mon cher collègue, vos commentaires sont certainement très intéressants, mais veuillez attendre votre tour ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je reconnais que le Gouvernement, et lui seul, doit avoir la main en matière de diplomatie et d’affaires étrangères.
Les parlementaires, indépendamment de leurs qualités – je ne doute pas que tous les sénateurs présents en ont beaucoup -, disposent de beaucoup moins d’informations que le Gouvernement. Une diplomatie secrète est-elle en action ? Des contacts sont-ils noués ? Par définition, le Gouvernement, M. Laurent Fabius ou vous-même, monsieur le secrétaire d’État, disposez d’éléments qui ne sont pas portés à notre connaissance. Et c’est heureux ! Sinon, à quoi servirait-il d’avoir une diplomatie et des représentants partout dans le monde ?
Par conséquent, comment nous, parlementaires, qui ne disposons pas de toutes les informations auxquelles vous avez accès, pouvons-nous vous expliquer ce qu’il convient de faire ? En d’autres termes, l’interférence n’a pas de sens !
En outre, cette résolution n’est pas équilibrée. Vos propos à cette tribune l’étaient davantage, monsieur Guillaume ! Ainsi que vous l’avez rappelé, avec d’autres, le Hamas est une organisation terroriste qui envoie des missiles sur Israël et avec laquelle il est difficile de négocier. Pour preuve, le président Mahmoud Abbas a annulé un certain nombre de manifestations que son mouvement devait organiser à Gaza, du fait de la destruction du siège du Fatah ou des attaques perpétrées par le Hamas sur certains de ses éléments.
Vous le voyez, le problème demeure. Pour ma part, je suis pour l’existence de deux États. Mais encore faut-il qu’il s’agisse d’États dotés d’un gouvernement ayant une véritable autorité sur l’ensemble du territoire concerné. Aujourd'hui, je le rappelle, nous avons une organisation terroriste, le Hamas, qui envoie des missiles sur Israël ! Cela n’invalide pas tout ce qui a été dit. Oui, les morts, de deux côtés, sont de véritables drames ! On ne peut qu’appeler à la paix ! Mais, pour faire la paix, il faut être deux !
Il faut évidemment encourager le Gouvernement à prendre des initiatives, notamment pour permettre l’organisation de véritables conférences internationales, et ce même si, pardon de le rappeler, le Hamas reproche dans sa charte à ces conférences internationales de n’avoir aucun sens et refuse d’y participer, souhaitant purement et simplement que l’État d’Israël soit rayé de la carte. Certes, on peut m’opposer qu’il n’appliquera pas sa charte… Mais s’il pouvait commencer par l’abroger, ce serait déjà un geste ! Pour le moment, ce n’est pas le cas.
Ainsi la résolution ne me paraît pas suffisamment équilibrée.
Si l’on incitait le Gouvernement français à œuvrer pour l’existence de deux États, mais, sous réserve que cela soit envisageable, deux États démocratiques et exempts de tout mouvement terroriste organisé, je pourrais être plus favorable au texte. Or il n’en est rien ! La résolution est bien trop unilatérale pour que nous puissions la voter. Elle évoque la responsabilité d’Israël, que je ne conteste pas, mais n’aborde pas celle d’une organisation terroriste qui, par définition, n’a pas à être « diluée » dans le processus de paix.
Mme Éliane Assassi. Il mélange tout !
M. Roger Karoutchi. Cette organisation existe, et nous ne savons pas comment la traiter. Le président Abbas lui-même ne le sait pas non plus.
Oui, il faut prendre des initiatives. Mais ne demandons pas au Gouvernement de reconnaître la Palestine sans se soucier de l’État ou du Gouvernement susceptible d'être mis en place ou même de l’existence d’organisations terroristes au sein du système. Une telle demande serait-elle acceptable ?
Je suis d’accord avec M. Guillaume pour affirmer que tous les sénateurs devraient réfléchir au problème. Mais cette réflexion doit être celle de démocrates, issus de la philosophie des Lumières et de la Révolution française. Peut-on accepter d’encourager notre propre gouvernement à aller de l’avant sans se soucier du reste alors qu’un peuple se trouve sous la menace d’une organisation terroriste ? Non ! Des gestes sont attendus des deux côtés ! Ils ne peuvent provenir d’un seul camp !
Enfin, je n’aurais pas évoqué ce point si Didier Guillaume ne l’avait pas, lui-même, souligné, le Parlement a une responsabilité collective. Il peut l’exprimer sur la scène internationale dans un mouvement de passion ou de compassion, mais elle s’exerce avant tout vis-à-vis des citoyens français.
Personne, à moins que nous ne soyons tous devenus aveugles et sourds, ne peut ignorer la situation actuelle du pays, avec les tensions et les drames. Les agressions ont été évoquées, mais c’est tout un climat qu’il faut relever. Étant très gaulliste, j’appelle de mes vœux l’unité nationale. Au-delà des communautés et des clivages, il faut des signes. À défaut, ou si les signes qui sont envoyés à une communauté qui ne se sent déjà pas très bien aujourd'hui sont des signes négatifs, ce sera terrible !
Avec cette résolution, vous n’allez pas faire progresser la paix en quoi que ce soit : vous n’allez ni contribuer à faire disparaître le terrorisme ni entamer la volonté d’Israël de poursuivre sa politique de colonisation, que vous condamnez. En revanche, vous allez donner, d’une manière ou d’une autre, un signal qui va être très mal interprété ; peut-être à tort, sans doute excessivement, mais c’est ainsi !
Nous sommes, depuis des mois, dans une situation critique, qu’ont dénoncée Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Sur le fond, ils ont raison, et je les soutiens dans leurs affirmations républicaines. Cependant, cette situation, un certain nombre de nos compatriotes la vivent particulièrement mal. Alors, faut-il encore leur envoyer un signal négatif, leur dire d’une certaine façon : « vous êtes mal, mais tant pis » ?
Ne faut-il pas plutôt leur dire que nous, le Sénat, l’Assemblée nationale, nous sommes d’abord là pour retisser du lien social et faire en sorte que tous les citoyens français se sentent chez eux dans notre pays ? Ce n’est pas le message qu’adresse cette proposition de résolution ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec cette proposition visant à la reconnaissance de l’État de Palestine, il s’agit pour le Parlement d’exprimer, dans le respect de son rôle institutionnel, une attente des citoyens français, à savoir une tentative de résolution du conflit israélo-palestinien avec l’avènement de deux États viables vivant en paix et en sécurité, conformément au droit international, c’est-à-dire dans les frontières de 1967.
Le vote positif du Sénat manifesterait la volonté de la représentation nationale de voir s’instaurer une paix juste et durable au Proche-Orient.
Alors qu’il n’a pas force de loi, qu’il n’a pour lui que la puissance des mots, ce vote est aussi un vote historique. Et, en dépit de toutes les limites de cet exercice, notre débat suscite, ici et hors de nos frontières, une grande espérance.
Pourquoi ?
Parce que c’est la voix de la France et que la France est riche de la première communauté juive d’Europe. Beaucoup de nos concitoyens ont des liens profonds, consubstantiels, dirai-je, avec Israël : des membres de leur famille y vivent.
Parce que la France est aussi un pays façonné politiquement par le combat contre le colonialisme. Les déchirements de notre histoire récente sont constitutifs de notre identité politique. Plus que d’autres grandes nations européennes, la France sait, pour reprendre les mots d’Aimé Césaire, que « la colonisation déshumanise l’homme, même le plus civilisé ». En cet instant, j’ai une pensée pour le ministre palestinien tué hier, Ziad Abou Eïn.
Parce que la civilisation européenne a, d’abord, sombré moralement en laissant naître et prospérer en son sein ce qui aboutira à la Shoah et que, ensuite, la France d’après 1945 s’est sentie comptable de la France de Vichy. C’est une dette de sang que la France a contractée à l’égard de ceux de ses citoyens qui en ont été les victimes. Cette dette s’est exprimée par la reconnaissance de l’État d’Israël. Mais cette dette, ce n’est pas aux Palestiniens de la payer.
Ceux qui déplorent l’importation du conflit israélo-palestinien en France, ou qui la redoutent, font, me semble-t-il, une erreur d’analyse. Cette question, parce qu’elle fait écho à notre histoire, se pose en France depuis bien des années. Mais la ligne de fracture n’oppose pas les uns aux autres, n’oppose pas le Bien et le Mal. La ligne de fracture se trouve dans la conscience de chacun d’entre nous.
Cette ligne traduit un conflit de principe. La bienveillance pour Israël puise ses racines dans la faute de Vichy et se nourrit aussi de l’extraordinaire vitalité d’une partie de la société civile. Cependant, ce capital de sympathie, réel et puissant, n’interdit pas de constater l’asymétrie des forces et, par conséquent, l’injustice faite aux Palestiniens.
Nous, Français, avons pleinement conscience que l’on ne peut honorer une dette en tolérant une autre injustice.
La France républicaine s’est construite, non sans égarements, non sans contradictions, mais toujours avec passion, dans le combat pour la justice, l’égalité et le respect du droit international. Notre conscience politique, née de notre histoire récente, fait que toute entreprise coloniale, au-delà de la question du droit international, suscite notre réprobation.
Les parlementaires qui sont allés au Proche-Orient ont pu constater le développement rapide de la politique de colonisation, qui s’étend jusqu’à Jérusalem-Est, lieu éminemment symbolique. Cette stratégie est contraire au processus d’Oslo et au droit international.
L’appel à la négociation à huis clos est devenu une arme pour tuer dans l’œuf toute vraie négociation et le tête-à-tête entre les différentes parties a montré ses limites. Il faut donc sortir de ce cercle infernal et prendre des initiatives.
Aujourd’hui, le constat est terrible : le dialogue s’avère impossible entre les protagonistes. Alors même que, depuis soixante ans, la communauté internationale ne cesse de déployer tous les efforts possibles pour obtenir un accord de paix, l’avenir de la région a rarement été aussi sombre, la détresse si forte.
De fait, notre initiative parlementaire ne vient pas perturber un processus. Bien au contraire, elle tente de le réanimer.
L’attachement de la France et de ses gouvernements successifs à la création de l’État d’Israël, à sa sécurité, a été constant. La position de la France en faveur d’un État de Palestine a été exprimée à maintes reprises, tant par la droite que par la gauche.
Notre initiative vient également relayer la voix de la société civile israélienne. Plusieurs centaines d’intellectuels israéliens nous encouragent à voter cette reconnaissance de l’État de Palestine. Tous les partisans de la paix ont besoin de notre vote. Ils nous disent qu’il n’y a pas de solution militaire tenable et que la situation actuelle présente un réel danger pour Israël.
Sans horizon politique, c’est la violence aveugle qui domine. L’espoir, même fragile, que la paix puisse advenir peut servir d’antidote à la violence qui nourrit les actes de désespoir.
Israël, parce que c’est une démocratie, suscite de notre part plus d’attentes, plus d’exigences quant au respect de certaines valeurs, et notamment le prix d’une vie humaine.
Je suis, comme vous, mes chers collègues, persuadée que l’avenir d’Israël et celui de la Palestine sont liés, que la garantie de la sécurité d’Israël est l’État de Palestine.
C’est en outre, me semble-t-il, une erreur d’imaginer qu’en votant contre cette proposition on pourrait contribuer à lutter contre les actes antisémites qui minent notre pacte républicain ; bien au contraire !
Je déplore que le crime commis à l’encontre de ce couple de Créteil, notamment de la jeune femme, n’ait pas suscité l’indignation nationale qu’on pouvait attendre, si l’on excepte, bien sûr, la vigoureuse condamnation exprimée par le Gouvernement, tout comme je dénonce l’apathie des réactions quand des actes islamophobes meurtrissent nos concitoyens de confession musulmane. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je regrette, mes chers collègues, que nous ayons perdu notre capacité d’indignation, pourtant si nécessaire : comme le disait saint Augustin, « à force de tout banaliser, on finit par tout supporter, à force de tout supporter, on finit par tout tolérer, à force de tout tolérer, on finit par tout accepter et à force de tout accepter, on finit par tout approuver ».
Luttons, condamnons et punissons les propos et actes racistes, d’où qu’ils viennent. Formons les consciences des jeunes générations et contribuons, par notre vote, à soutenir ceux qui, en Israël, en Palestine et ailleurs dans le monde, en dépit des épreuves et des drames, continuent à croire en la paix et à vouloir la paix.
Imaginons, mes chers collègues, que cette proposition de résolution soit votée et que ce vote devienne utile pour la reprise des négociations. Imaginons que ces négociations permettent d’aboutir à la paix. Imaginons un instant un Proche-Orient pacifié. C’est une vision qui peut paraître utopique tant la désespérance s’est incrustée dans le cœur des hommes. Et pourtant, il n’y a pas de fatalité !
Avec notre vote, la France et le Royaume-Uni, membres du Conseil de sécurité, pourront se prévaloir du soutien de leur représentation nationale. Le président des États-Unis, libéré de la contrainte électorale, aura davantage de marge de manœuvre. Le moment est venu d’imaginer un Proche-Orient pacifié.
Il restera, bien sûr, à fonder la bienveillance envers l’autre, c’est-à-dire à porter sur soi le destin de l’autre. C’est ce vers quoi doivent tendre Israéliens et Palestiniens : aller d’une paix froide signée en bas d’un parchemin à une réconciliation des cœurs.
Cet horizon ne pourra être atteint sans la volonté des deux parties, sans la vigilance et surtout l’impartialité de la communauté internationale. La France, pays ami des peuples israélien et palestinien, ne peut que prendre, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, des initiatives pour sortir de ce face-à-face sans issue.
Il nous appartient à nous, membres de la représentation nationale, de leur apporter notre soutien en posant la première pierre : le vote de cette résolution pour la reconnaissance de l’État de Palestine.
Mes chers collègues, soyons à la hauteur de ce moment ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je citerai la présidente socialiste de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Élisabeth Guigou : « Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction, meurtrière. » L’actualité de ces dernières heures le prouve à nouveau, douloureusement.
Le conflit entre Israël et la Palestine n’est pas seulement un enjeu humanitaire, celui de milliers de vies sacrifiées, celui de la crise humanitaire des Palestiniens vivant dans des prisons à ciel ouvert dans un total dénuement, celui de la peur et de la haine qui s’instillent dans le quotidien des deux peuples.
Ce conflit est aussi est aussi un enjeu politique majeur pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient, avec des répercussions jusque sur notre propre territoire. La communauté internationale a donc une responsabilité majeure pour reconnaître l’échec des accords d’Oslo, faire enfin cesser les hostilités et établir les conditions d’une paix durable.
Face à cette urgence, que faire ? Quelle action serait à la hauteur de cette responsabilité qui est la nôtre ?
Le parti socialiste nous propose une résolution, sans valeur juridique contraignante, qui se contente d’« inviter » le Gouvernement à agir. N’est-ce pas là, pour le Gouvernement, une nouvelle tentative de fuir ses responsabilités ?
M. Christian Cambon. Absolument !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si la majorité présidentielle estime que la relance des négociations passe par une reconnaissance de la Palestine par la France, pourquoi en passer par la case parlementaire, alors que notre pratique constitutionnelle fait de la politique étrangère une prérogative de l’exécutif en général et du Président de la République en particulier ? Il s’agit non pas de chercher à « pinailler » avec des arguties juridiques, mais de mettre le doigt sur la responsabilité du Président et du Gouvernement.
En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France avait voté en faveur de l’adhésion de l’État de Palestine à l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. En 2012, la France a soutenu l’accession à l’ONU de la Palestine en tant qu’État observateur. La reconnaissance diplomatique bilatérale aurait été un prolongement logique. Pourtant, depuis deux ans, plus rien, alors même que chaque mois apporte son cortège d’horreurs et prouve l’impasse du processus de paix.
Il est désormais courant de dénoncer le greenwashing utilisé par les organisations pour se donner une image écologique responsable. La présente résolution n’est-elle pas une entreprise de whitewashing, c’est-à-dire un procédé de marketing visant à maquiller par de belles déclarations d’intention l’immobilisme diplomatique et l’incapacité à progresser vers la paix ?
Laurent Fabius a dévoilé un calendrier qui laisserait deux ans supplémentaires aux négociations, à l’issue desquels, si aucun progrès n’était enregistré, l’État de Palestine serait reconnu. La reconnaissance diplomatique est ainsi présentée comme la menace suprême dont disposerait la France pour faire bouger les lignes. Je ne peux que vous faire part de mes doutes quant à la pertinence d’une telle approche.
D’une part, cette perspective de retarder de deux années supplémentaires toute initiative diplomatique forte me paraît meurtrière. Depuis 1993, nous avons eu plus de vingt ans pour constater l’impasse du processus d’Oslo. Début 2008, j’avais participé à une délégation internationale de parlementaires pour la paix. Nous nous étions rendus en Israël, en Palestine, en Jordanie, en Égypte et nous avions rencontré tous les grands dirigeants : le roi de Jordanie, Shimon Peres, Netanyahou, Mahmoud Abbas et d’autres. Depuis, rien n’a changé. Retarder de deux ans toute action diplomatique sérieuse me semble donc vain.
D’autre part, je ne crois pas que brandir la menace d’une reconnaissance diplomatique de la Palestine en cas d’échec de deux années de futures négociations soit de nature à faire bouger les lignes. Depuis 1988, pas moins de 135 pays – plus de deux États sur trois à l’ONU – ont reconnu la Palestine, avec des conséquences nulles sur les avancées ou les blocages du processus de paix. La reconnaissance diplomatique est un symbole important, mais n’en surestimons pas la portée en la faisant passer pour une « arme ultime ».
Mes chers collègues, vous l’avez compris, sur le fond, je suis convaincue que la construction d’une paix durable passe par la constitution de deux États indépendants, sur la base des frontières de 1967.
Cette conviction est d’ailleurs partagée par de nombreux Israéliens, y compris – comme l’a montré le documentaire The Gatekeepers – parmi ceux qui ont exercé les plus hautes responsabilités au sein de l’appareil de sécurité ; ceux-ci ont, mieux que quiconque, constaté l’impasse à laquelle mène l’engrenage infernal de la violence. Du reste, telle est aussi la doctrine traditionnellement affirmée par notre diplomatie.
Mais au-delà des mots, au-delà des discours ou des résolutions, comment défendre cette approche concrètement et efficacement ?
Il me semble indispensable d’adopter une attitude beaucoup plus ferme face aux violations avérées du droit international. La passivité internationale s’apparente à un véritable permis de tuer.
Il y a dix ans déjà, la Cour internationale de justice avait affirmé que l’édification du mur de séparation était contraire au droit international. Cet été, le Conseil de sécurité de l’ONU a été contraint d’appeler au respect du droit international humanitaire et à la protection des civils à Gaza. La poursuite du processus de colonisation est illégale et le non-respect de la liberté de circulation des Palestiniens porte atteinte à leurs droits fondamentaux.
Pourquoi la France, si prompte à appeler à une action militaire contre la Syrie ou à des sanctions contre la Russie, se cantonne-t-elle dans des positions aussi tièdes sur ce dossier ? Des prises de position courageuses et responsables sont indispensables.
Vis-à-vis des protagonistes du conflit, cela pourrait passer par un ralentissement des échanges avec Israël. Quel peut être en effet l’impact des condamnations verbales lorsque la coopération technique, économique et sécuritaire se poursuit, voire s’intensifie ? L’Europe, qui accueille un tiers des exportations israéliennes, dispose là d’arguments beaucoup plus tangibles que la reconnaissance diplomatique !
Parallèlement, alors que la communauté internationale intensifie ses efforts de lutte contre le terrorisme, il importe que l’appui français à la constitution de deux États ne se fasse jamais complice des exactions perpétrées par le Hamas. Cela passe notamment par un indispensable travail de surveillance des financements de cette organisation.
L’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale pourrait aussi se révéler encore plus efficace que la reconnaissance bilatérale. Cette proposition de Dominique de Villepin aurait pour intérêt de faciliter non seulement la répression, mais aussi la prévention de crimes de guerre. Elle aurait donc un impact beaucoup plus concret que la simple reconnaissance diplomatique. N’oublions pas non plus que la violence a également cours sur le territoire israélien.
Enfin, la France aurait une carte à jouer vis-à-vis de ses partenaires européens. En effet, s’il y a quelque prétention à croire qu’une résolution française incitant le gouvernement français à reconnaître la Palestine pourrait jouer un rôle dans la relance du processus de paix, une initiative européenne aurait, elle, beaucoup plus de poids.
Convaincue de la nécessité de reconnaître l’État de Palestine et de favoriser son accession à une pleine et effective souveraineté, je considère néanmoins que la présente résolution relève davantage des effets de manche que de l’action diplomatique et ne constitue pas une réponse adaptée à l’urgence d’une relance du processus de paix.
On ne peut s’accommoder plus longtemps de l’immobilisme qui prévaut depuis des décennies. Or cette résolution est imparfaite. Le président Raffarin vous avait proposé, chers collègues de gauche, de la retravailler ; vous avez refusé. (Exclamations et manifestations d’impatience sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cette résolution n’est qu’un maquillage de notre impuissance diplomatique. C’est pourquoi je ne pourrai la voter en l’état, et je le regrette beaucoup. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Daniel Reiner. Nous venons d’assister à un véritable exercice de contorsion !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question que pose notre proposition de résolution est de savoir si l’on peut se passer ou non, pour parvenir à la paix, des éléments qui doivent être ceux d’un Moyen-Orient en paix et si, parmi ceux-ci, figure bien un État de Palestine avec toutes ses prérogatives.
Nous sommes très nombreux ici à être éclairés sur cette question par les contacts que nous entretenons grâce aux groupes interparlementaires d’amitié avec des pays du Proche et du Moyen-Orient.
Au-delà de la sensibilité avec laquelle chacun aborde les questions géostratégiques, sociales, économiques, culturelles, dans son dialogue avec ses interlocuteurs, nous avons tous constaté que beaucoup d’Arabes, lorsqu’ils nous parlent d’Israël de manière informelle, emploient trop souvent les mots « les Israéliens » au lieu du mot « Israël » pour que cette nuance sémantique ne soit pas relevée.
Inversement, si l’on ne veut froisser personne, on dira plutôt « les Palestiniens » que « la Palestine ».
Les linguistes nous apprennent que nommer une chose, c’est la porter à l’existence. Il n’est donc pas anecdotique que les mots « Palestine » et « Israël » puissent être utilisés couramment par tous, notamment par les Palestiniens et par les Israéliens, pour désigner une réalité juridique et affective.
États et organisations internationales peuvent reconnaître tous les États qu’ils veulent, l’enjeu, pour une paix durable, est que ces derniers soient nommés dans le langage courant afin que la réalité qu’ils représentent soit reconnue par chacun.
Je crois très sincèrement que si notre pays, qui jouit d’un grand prestige au Moyen-Orient et dont les habitants parlent naturellement d’« Israël », accomplit le geste de reconnaître l’État de Palestine, alors, ceux qui, dans le monde arabe, sont sensibles et attentifs à sa voix, pourraient lui emprunter ses mots et parler, eux aussi, d’« Israël », et je ne crois pas qu’Israël s’en plaindrait.
Pourquoi la France a-t-elle une responsabilité particulière telle qu’elle peut amener les autres à suivre sa démarche ? L’histoire, les valeurs et les intérêts de notre pays nous poussent à reconnaître l’État de Palestine à côté de l’État d’Israël.
Avant d’aborder ces aspects, je veux souligner que, vis-à-vis des pays arabes, nous ne devons pas avoir les complexes et les frilosités sous lesquels les adeptes des théories du déclin voudraient nous voir disparaître pour se donner raison : grâce, notamment, au général de Gaulle, notre voix porte particulièrement dans le monde arabe.
Cette proposition de résolution, qui « invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable », loin d’être une injonction à son égard – ce que la Constitution ne permettrait pas –, procède d’un constat partagé au-delà de la gauche, au Sénat comme à l’Assemblée nationale et dans le pays tout entier.
Cette proposition de résolution, contrairement à ce que certains orateurs ont pu dire à cette tribune, est équilibrée. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
M. Roger Karoutchi. Non !
M. Jean Germain. Il faut trouver d’autres arguments pour la refuser. Il s’agit même d’une résolution très équilibrée, et l’histoire le montrera !
M. Roger Karoutchi. Quand ? Dans dix ans ?
M. Jean Germain. Nos relations sont, de longue date, très étroites avec le Proche et le Moyen-Orient. On peut même remonter très loin dans le temps !
Un homme politique français, ancien ministre, leader d’un mouvement souverainiste, jouant sur des préjugés, déclarait voilà une dizaine d’années que l’Europe ne devait accueillir d’autres pays en son sein que ceux dont les territoires avaient fait partie de l’Empire romain. Cette déclaration visait bien entendu à exclure la Turquie… (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi. Ce qui est devenu la Turquie faisait partie de l’Empire romain ! Tout comme l’Égypte et toute la rive sud de la Méditerranée !
M. Jean Germain. … et à justifier, par un argument d’autorité, le rejet de l’immigration.
Or, si nous appliquions cette formule, sur laquelle son auteur, ayant bénéficié entre-temps de quelques mises au point historiques, est revenu dès le lendemain, la plupart des pays arabes et Israël feraient partie de l’Europe. Orient et Occident se sont en effet retrouvés dans un même ensemble politique romain auquel ils ont, l’un et l’autre, donné des empereurs. Je rappelle à notre assemblée que celui qui a présidé aux festivités du millénaire de Rome, en l’an 247 après Jésus-Christ, s’appelait Philippe l’Arabe et qu’il était né au sud de Damas.
Après la Première Guerre mondiale, lors du démembrement de l’Empire ottoman, la France et le Royaume-Uni se sont vu confier des mandats de la Société des Nations dans leurs zones d’influence respectives : Syrie et Liban pour l’une, Palestine et Irak pour l’autre. Après la Seconde Guerre mondiale, la création de l’État d’Israël a été un bouleversement majeur. Elle faisait écho à des siècles d’injustices, qui avaient abouti à une tragédie démentielle. Dans le même temps, les pays de la région acquéraient une indépendance effective.
Mes chers collègues, les Palestiniens avaient-ils plus de raisons que tout autre peuple libre de s’effacer ou de se contenter de ce qu’on voulait bien leur laisser ? Je crois que la réponse est non.
L’histoire de l’humanité est marquée par des conflits et des conquêtes qui ont conduit à des déplacements de population et aux drames qu’ils véhiculent : déracinements, spoliations, séparations, vulnérabilité des personnes… De tels événements ne sont plus supportables.
L’attachement des Palestiniens comme des Israéliens à leur État sur leur territoire est un fait, et il est légitime. La France le comprend, la France qui, monsieur Marseille, monsieur Karoutchi, n’est pas n’importe lequel des 135 États ayant reconnu la Palestine, (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)…
M. Didier Guillaume. Évidemment !
M. Jean Germain. … la France qui a joué un rôle historique dans la formulation des valeurs émancipatrices des droits de l’homme, celles-là mêmes qui fondent les prétentions des uns et des autres !
En ce sens, la reconnaissance de l’État de Palestine par notre pays doit être interprétée comme une réaffirmation des principes qui légitiment la présence de l’État d’Israël au sein de la communauté internationale : souveraineté, libre gouvernement, identité historique, aspiration à participer à l’histoire à venir. On comprend donc que beaucoup d’Israéliens influents soutiennent aussi notre démarche.
Mme Bariza Khiari. C’est vrai !
M. Jean Germain. Quel sera l’avenir de ces deux États ? À leurs peuples de le dire.
Je voudrais toutefois rappeler qu’au nord d’Israël se trouve un pays, le Liban, que la France a proclamé comme État autonome en 1920 et dans lequel coexistent différentes communautés. Le Liban est un modèle, un exemple de vivre ensemble et de compréhension mutuelle.
M. Roger Karoutchi. Ah non !
M. Jean Germain. Il est aussi un pays démocratique, avec une organisation des pouvoirs qui lui est propre.
À cet égard, alors qu’une large part de notre opinion publique confond Arabes et musulmans, combien de nos concitoyens réalisent-ils que le Liban est un pays arabe présidé par un chrétien ?
Mes chers collègues, il existe de réelles perspectives au Moyen-Orient pour les relations entre Palestiniens et Israéliens, malgré la tourmente actuelle. Ces perspectives, la France et sa diplomatie les ont à l’esprit depuis longtemps.
S’agissant des enjeux contemporains, depuis de Gaulle, immortel dans le cœur des Arabes, jusqu’à Mitterrand, qui invoquait devant le parlement israélien, la Knesset, le droit des Palestiniens à un État, le sens d’une action a été tracé, et il faut s’y tenir. C’est ce que nous faisons aujourd’hui en soutenant notre diplomatie et la place de la France au Conseil de sécurité, une France libre de tout alignement sur les États-Unis.
Mme la présidente. Il vous faudrait conclure, mon cher collègue.
M. Jean Germain. J’en arrive à ma conclusion, madame la présidente.
Imaginons, mes chers collègues, quelle serait la puissance de l’Europe si le sud de la Méditerranée vivait dans la paix, concentré sur le progrès social, économique et scientifique, rayonnant culturellement. Imaginons quel atout majeur serait alors cette situation pour la France.
Nombre de nos concitoyens doutent de l’Europe. Mais la France est une passerelle privilégiée entre les intérêts des pays arabes et ceux de l’Europe pour peu que nous sachions cultiver et accroître les bonnes relations.
La paix au Moyen-Orient est donc aussi notre avenir dans un monde de plus en plus ouvert aux échanges. Nous devons saisir les opportunités là où nous sommes les mieux placés pour le faire. (Manifestations renouvelées d’impatience sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Moi, j’ai scrupuleusement respecté mon temps de parole !
M. Jean Germain. Outre l’intérêt que la reconnaissance de l’État de Palestine représente pour les deux parties en cause, le vote de notre proposition de résolution revêt donc un intérêt stratégique pour notre pays (M. Jean-Noël Cardoux proteste.)…
Mme la présidente. Il est vraiment temps de conclure, mon cher collègue.
M. Jean Germain. … face auquel il est inconcevable d’être frileux. Soyons donc, mes chers collègues, sur toutes les travées, à la hauteur de l’histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès 1949, soit deux ans après le plan de partage de la Palestine adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, la France a été l’un des premiers pays à établir des relations diplomatiques avec Israël.
Ces relations, bien que parfois marquées par l’intransigeance de certains dirigeants israéliens à l’égard de la question palestinienne, sont restées courtoises et régulières. Car la France a eu très tôt la volonté d’entretenir des liens directs avec Israël, dans la perspective, notamment, d’être partie prenante au processus de paix au Proche-Orient. C’est cette continuité dans la coopération franco-israélienne qui a fait dire à François Mitterrand, en 1982, devant la Knesset : « Oui, le peuple français est l’ami du peuple d’Israël. »
Amie d’Israël, la France est aussi, depuis longtemps, l’amie de la Palestine. En 2011, notre pays a approuvé son adhésion à l’UNESCO, ainsi que la résolution lui donnant le statut d’État observateur à l’ONU. Les gouvernements français successifs ont toujours déploré les implantations illégales de colonies dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Nous avons sans cesse été aux côtés des Palestiniens dans les moments les plus difficiles, en leur apportant un soutien à la fois politique et matériel. Je rappellerai que la France figure parmi les principaux contributeurs à l’aide destinée aux territoires palestiniens, une aide qui a représenté 43 millions d’euros en 2013.
Oui, le peuple français est l’ami du peuple palestinien.
Amis d’Israël, amis de la Palestine : c’est au nom de cette double amitié que nous nous désespérons de voir les Israéliens et les Palestiniens se déchirer depuis des décennies.
J’ajouterai que la France, qui comprend sur son territoire les deux plus grandes communautés juive et musulmane en Europe, ne peut qu’être attentive au sort de la région proche-orientale.
Enfin, par fidélité à nos valeurs d’humanisme et de solidarité, en vertu de notre tradition diplomatique et de notre poids sur la scène internationale, nous sommes naturellement conduits à rechercher le chemin de la paix. Hélas ! ce chemin s’est transformé en impasse.
Cet été, nous avons assisté à une nouvelle dégradation de la situation avec, une fois de plus, des tirs de roquettes du Hamas depuis Gaza, auxquels répondent les frappes meurtrières de Tsahal. C’est toujours le même dramatique engrenage, la même loi du talion : un assassinat répond à un autre assassinat. De chaque côté du triste mur de séparation, les mères pleurent leur fils dans un éternel recommencement.
Dans ces conditions, la communauté internationale ne doit pas rester impuissante. Elle ne l’a d’ailleurs jamais été. De grandes initiatives ont été prises, que ce soient les accords de Camp David en 1978 ou ceux d’Oslo en 1993. Un consensus international existe sur la question israélo-palestinienne, notamment sur la base des résolutions nos 242 et 1860 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui reconnaît l’existence de l’État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.
Comme vous le savez, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, la France a pris une part très active à toutes ces négociations, mais dont la plupart n’ont malheureusement pas abouti.
Que faire aujourd’hui pour permettre un règlement définitif du conflit ?
Afin de relancer le processus de paix, plusieurs pays européens se sont engagés dans des démarches plus ou moins contraignantes de reconnaissance de l’État palestinien. Comme cela a été rappelé, la Suède l’a reconnu le 30 octobre dernier. Les députés britanniques puis leurs homologues espagnols ont récemment adopté des résolutions symboliques allant dans le même sens. Le Parlement belge s’apprête à le faire également.
La proposition de résolution de nos collègues socialistes, écologistes et communistes invite également, dans son dernier alinéa, « le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine, et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable ». Nos collègues de l’Assemblée nationale viennent d’approuver un texte similaire, engageant ainsi le Parlement français dans la dynamique engagée par plusieurs États européens.
Certains diront que cette invitation est irrecevable au motif qu’elle constitue une injonction à l’égard du Gouvernement, ce que proscrit l’article 34-1 de la Constitution. En effet, on peut émettre une réserve sur la forme, sachant par ailleurs que la direction de la politique étrangère est une prérogative du chef de l’État.
Invitation ou injonction, le Larousse ne suffirait pas à trancher ce débat… Laissons donc de côté la sémantique, qui nous enfermerait dans une discussion juridique, alors qu’il s’agit aujourd'hui de prendre une position politique. Une position qui ne conduirait pas à choisir entre le camp palestinien ou le camp israélien : nous préférons tous ici, je n’en doute pas, le camp de la paix.
Avec cette proposition de résolution, il est question non pas de faire remporter une victoire à un camp, mais de rechercher une solution. C’est une incitation à la reprise des négociations de paix, et c’est pourquoi la majorité des membres du RDSE la soutient.
Devant la commission des affaires étrangères, la semaine dernière, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a qualifié la proposition de résolution de démarche au service de la paix.
Dans cette perspective, il a d’ailleurs plusieurs fois déclaré travailler au sein des Nations unies à l’adoption d’une résolution fixant l’aboutissement des négociations à deux ans. Il a aussi annoncé la tenue d’une conférence internationale qui serait organisée par la France et qui réunirait l’Union européenne, la Ligue arabe et les membres permanents du Conseil de sécurité, au premier rang desquels figurent les États-Unis. L’ensemble du RDSE approuve toutes ces orientations.
Pour autant, si la paix peut être encouragée de l’extérieur, elle ne peut que s’appuyer sur les volontés intérieures et la capacité des deux parties à maîtriser la radicalisation grandissante de certains de leurs dirigeants. En effet, j’ai quelques inquiétudes à cet égard.
Du côté palestinien, les désaccords au sein du gouvernement d’union nationale entre le Hamas et le Fatah resurgissent régulièrement, et le décès d’un ministre palestinien, hier dans une manifestation en Cisjordanie, risque de compliquer la situation. Le Hamas, d’ailleurs, appelle déjà à stopper toute coopération sécuritaire avec Israël.
Quant au gouvernement de Benjamin Netanyahou, le renvoi des deux principaux ministres centristes représentant son aile modérée apparaît comme un mauvais signal. Et que dire de la poursuite des colonisations, principale pierre d’achoppement du dialogue israélo-palestinien ? Les Palestiniens et les Israéliens doivent donc rapidement prendre leur destin en main, car la sécurité des uns dépend de la sécurité des autres. La majorité d’entre eux souhaitent l’arrêt des hostilités, c’est une évidence.
Dans son dernier discours, Yitzhak Rabin déclarait : « J’ai toujours eu la conviction que la majorité de la population aspirait à la paix, était prête à prendre des risques pour voir son avènement. » La paix aura en effet un prix dans le sens où elle obligera à des compromis, pour ne pas dire à des renoncements, mais l’absence d’espoir n’est-elle pas le pire des maux pour les hommes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez vous prononcer, après ce débat, sur une proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’État de Palestine.
Le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, aurait souhaité être parmi vous aujourd’hui, mais, comme vous le savez, il est retenu par la COP 20 à Lima, qui est le dernier grand rendez-vous international avant la Conférence Paris Climat 2015 que nous accueillerons l’année prochaine. Il m’a demandé de vous présenter ses regrets et ses excuses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la gravité de la situation au Proche-Orient impose ce débat, qui traduit votre volonté de rechercher les voies de la paix, de l’arrêt des violences et d’une solution juste et durable pour les Palestiniens et pour les Israéliens.
Le caractère exceptionnel de cette procédure répond à une situation elle-même exceptionnelle : celle de l’interminable conflit israélo-palestinien, de l’échec du processus de paix au Proche-Orient, de la dégradation dramatique de la situation sur le terrain. Elle marque aussi votre attachement, l’attachement de la France envers les deux peuples, le désir de notre pays de voir la paix enfin s’instaurer dans une région depuis trop longtemps déchirée par les guerres. Elle marque votre volonté de contribuer à une solution politique.
Un débat a été soulevé quant à la conformité de cette proposition de résolution à la Constitution. Laurent Fabius a déjà répondu à ceux qui en doutaient en précisant que l’invitation qui est adressée au Gouvernement, qui relève des droits du Parlement, n’était en rien contraire à l’article 34-1 de la Constitution, même si la reconnaissance d’un État reste, bien sûr, une prérogative de l’exécutif.
C’est en ami à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien que je m’exprime aujourd'hui ici, comme Laurent Fabius l’a fait le 28 novembre devant l’Assemblée nationale, et cet élément de rassemblement doit guider le fond et le ton de ce débat. Nos seuls ennemis dans cette région sont les extrémistes et les fanatiques qui, de chaque côté, entravent la trop longue marche vers la paix.
Au-delà des alternances politiques, et c’est la position constante de la diplomatie française, notre pays a toujours défendu le principe d’une solution reposant sur deux États, un État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël.
Lors du vote de l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 novembre 1947, la France apporta sa voix, décisive, à la résolution 181, qui établit que « les États indépendants arabe et juif […] commenceront d’exister […] le 1er octobre 1948 au plus tard ». La France fut également l’une des premières, avec l’URSS et les États-Unis, à reconnaître le jeune État d’Israël. Du général de Gaulle à François Mitterrand, dans son discours à la tribune de la Knesset en 1982, la France a, chaque fois, reconnu l’aspiration légitime du peuple palestinien à un État.
La conviction du Président de la République, François Hollande, du Premier ministre, Manuel Valls, et du Gouvernement est que le règlement définitif du conflit et l’avènement d’une paix durable au Proche-Orient ne pourront être obtenus que par la coexistence de deux États vivant dans des frontières sûres et reconnues, dans la paix et la sécurité.
C’est pourquoi la France reconnaîtra l’État de Palestine, car cette reconnaissance est de droit, de même que le droit à la sécurité d’Israël n’est pas négociable. Il y a un an, devant la Knesset, le 18 novembre 2013, le président François Hollande déclarait : « Depuis vingt ans, vous avez parcouru un long chemin. Des solutions qui paraissaient inconcevables, des mots qui étaient imprononçables sont devenus communs, à commencer par la nécessité d’un État palestinien. » Il ajoutait : « Le statu quo n’est pas tenable. Il provoquera toujours le ressentiment, la rancune et la haine ». Il concluait : « La paix requiert du courage. Sans doute plus que de faire la guerre. »
Mesdames, messieurs, la proposition soumise à la Haute Assemblée « invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable ».
La question, dès lors, est avant tout celle de la méthode pour y parvenir. Comment et quand reconnaître la Palestine pour aboutir concrètement à la paix…
M. Christian Cambon. Voilà ! C’est cela, la question !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … et à l’existence réelle d’un État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat reflète votre sentiment de l’urgence qu’il y a à recréer une perspective concrète de paix et votre inquiétude face aux menaces qui pèsent sur la solution des deux États. L’Assemblée nationale a fait connaître ce même sentiment et cette même inquiétude le 2 décembre dernier. Le Gouvernement partage ce sentiment d’urgence ; il partage cette inquiétude.
En Europe, c’est la même inquiétude et le même appel à l’urgence de reprendre les négociations de paix qu’ont exprimés les parlements de Grande-Bretagne, d’Irlande et d’Espagne, ainsi que le gouvernement de la Suède. Tous, en Europe, nous devons refuser le fatalisme et l’inertie !
Après plus de soixante années de conflit, plus de vingt ans de négociations sans issue, qui n’ont pas réussi à désamorcer la confrontation, à faire reculer la méfiance constante, et alors que le scepticisme des opinions publiques connaît aujourd’hui un regain, il faut reprendre l’initiative.
Aujourd’hui, la viabilité même d’un futur État palestinien paraît menacée par la poursuite illégale de la colonisation, tandis que le Hamas continue de rejeter l’existence d’Israël et de faire le choix de la terreur. Les explosions de violence, à Jérusalem, à Ramallah, à Gaza inspirent l’effroi.
Partout, la tension grandit et une étincelle peut, à chaque instant, conduire à l’embrasement général.
Le 18 novembre, cinq Israéliens étaient sauvagement assassinés par deux Palestiniens dans une synagogue à Jérusalem.
Ce mercredi, c’est un ministre palestinien, Ziad Abou Eïn, qui a trouvé la mort lors de heurts avec l’armée israélienne.
Cette situation dramatique résulte de décennies de tensions et de la désillusion née de l’enchaînement de négociations sans aucun aboutissement concret.
Au début de cette année qui s’achève, John Kerry a encore tenté, avec ténacité, de relancer ce processus. Sans succès. À chaque reprise des discussions, l’espoir est systématiquement suivi d’une rechute, d’une escalade plus tragique et plus amère.
Paradoxe de ce conflit apparemment insoluble, les contours de la solution sont bien connus par l’ensemble des acteurs. Ils reposent sur la coexistence d’un État d’Israël et d’un État de Palestine, souverains et démocratiques, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, sur la base des lignes de 1967 et avec Jérusalem pour capitale commune.
Face à cette impasse, c’est le devoir de la communauté internationale de réagir. Et c’est notamment le devoir impérieux de la France, puissance de paix, amie traditionnelle des Israéliens et des Palestiniens, même si nous savons que la tâche est et sera très difficile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comment la France peut-elle aujourd’hui servir le plus efficacement possible la cause de la paix ? La France, vous le savez, défend depuis longtemps l’idée que la reconnaissance de l’État de Palestine doit intervenir dans le cadre d’un règlement global et définitif du conflit, négocié par les deux parties et mettant fin à toute revendication. Nous voulons un État palestinien effectivement établi, dans des frontières sûres et reconnues, à côté d’Israël. Seule la négociation peut produire cette réalité.
Pour cela, il faut que les négociations s’engagent réellement, il faut qu’elles avancent et il faut qu’elles aboutissent.
C’est pourquoi nous souhaitons contribuer à sortir du blocage actuel en donnant aux négociations une chance réelle et crédible d’aboutir.
Pour cela, nous devons donc faire évoluer la méthode. Le face-à-face solitaire entre Israéliens et Palestiniens a fait la preuve de son peu d’efficacité. Il faut donc un accompagnement, un engagement déterminé, certains diront une pression de la communauté internationale pour aider les deux parties à franchir le pas ultime qui mènera à la paix. C’est ce à quoi la diplomatie française s’emploie en ce moment même.
Aux Nations Unies, nous travaillons avec nos partenaires dans le but de faire adopter une résolution du Conseil de sécurité en vue d’une relance immédiate des négociations, pour laquelle le terme de deux ans est le plus souvent évoqué. Le gouvernement français peut reprendre ce calendrier à son compte.
L’objectif de ce projet de résolution est clair : fixer un cap et des paramètres précis pour éviter de repartir de zéro et de nous engager dans des négociations sans fin. Il faut également un calendrier. Sinon, comment convaincre qu’il ne s’agira pas d’un énième processus sans perspective réelle d’aboutir ?
Parallèlement à ces négociations aux Nations unies, la France plaide pour un effort collectif de la communauté internationale au service de la paix. Les compromis nécessaires à une résolution du conflit sont si délicats à accepter pour les dirigeants israéliens et palestiniens qu’un accompagnement et un soutien extérieurs sont indispensables. Nous avons dit notre disponibilité pour accueillir une conférence internationale.
Nous en sommes convaincus, la paix nécessitera la mobilisation collective de l’Union européenne, de la Ligue arabe et de l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité.
La France est donc disposée à prendre l’initiative d’une conférence internationale pour appuyer cette dynamique indispensable. Dans cette dynamique, la reconnaissance de l’État palestinien constituera alors un levier au service de la paix.
Qu’en serait-il si ces efforts échouaient, si cette ultime tentative n’aboutissait pas ? Ce n’est pas l’état d’esprit dans lequel nous nous plaçons ni l’hypothèse que nous voulons retenir.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Mais, alors, il faudrait que la France prenne ses responsabilités, en reconnaissant l’État de Palestine. Nous y sommes prêts.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la position du gouvernement français est à la fois positive et équilibrée.
Nous n’avons qu’une boussole, la solution des deux États. Nous refusons un statu quo qui menace la viabilité même de cette solution. Nous ne céderons pas davantage sur la sécurité d’Israël.
Enfin, il n’est aucunement question d’importer chez nous le conflit israélo-palestinien. La lutte contre l’antisémitisme est une priorité du Gouvernement, comme la lutte contre le racisme. La lâche et odieuse agression de Créteil nous renforce dans cette détermination.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’avons qu’un cap : la recherche de la paix. Cela impliquera de reconnaître l’État palestinien, mais selon la méthode la plus efficace et au moment le plus opportun pour servir cette paix. Les votes qui vont intervenir aujourd’hui ne doivent pas opposer ceux qui soutiennent les Palestiniens et ceux qui soutiennent les Israéliens : la reconnaissance de l’État de Palestine est nécessaire pour assurer durablement le développement et la sécurité d’Israël.
Elle devrait donc logiquement être soutenue par tous les amis d’Israël. Et nous pensons qu’être un ami d’Israël, ce n’est nullement être un ennemi de la Palestine. C’est le message qu’il est de notre responsabilité d’adresser aux sociétés israéliennes et palestiniennes, que parcourt le même débat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce chemin long et difficile de la recherche de la paix, le Gouvernement ne ménagera pas ses efforts, car le temps est compté à celles et ceux qui, dans cette région et pour cette région, veulent sincèrement la paix. C’est bien là notre seul objectif, comme je sais que c’est le vôtre : avec vous, la France n’aura de cesse d’agir, jusqu’à l’aboutissement de la paix entre Israël et la Palestine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution
Le Sénat
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Affirmant sa volonté de concourir à l’effort international de paix au Proche-Orient,
Constatant la volonté des peuples israélien et palestinien à vivre en paix et en sécurité,
Se référant aux résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies, en particulier la résolution 1515 du 19 novembre 2003 par laquelle ce dernier se déclare « attaché à la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues »,
Prenant acte que la Palestine est devenue le 29 novembre 2012, après le vote de l’assemblée générale des Nations unies, un État observateur non-membre de cette organisation,
Regrettant l’échec des tentatives de relance du processus de paix engagées depuis 1991 entre Israéliens et Palestiniens par la communauté internationale,
Constatant les menaces pesant sur la solution des deux États, et condamnant la poursuite de la colonisation dans les territoires palestiniens,
Profondément préoccupé par l’escalade de la violence et lançant un appel pour que cessent tous les actes de violence, y compris de terrorisme, et les provocations ou incitations à la haine,
Réaffirmant le droit à la sécurité de l’État d’Israël,
Souligne l’impératif d’une reprise rapide des négociations entre les parties selon des paramètres clairs et un calendrier déterminé ;
Invite le Gouvernement français à tout mettre en œuvre pour relancer le processus de négociation ;
Affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël, sur la base des lignes de 1967 avec Jérusalem pour capitale de ces deux États et fondé sur une reconnaissance mutuelle ;
Affirme que la France a un rôle éminent à jouer dans ce processus, dans le cadre d’une conférence internationale ;
Affirme que la solution des deux États suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël ;
Invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine, et à en faire un instrument des négociations pour un règlement définitif du conflit et l’établissement d’une paix durable.
Mme la présidente. Mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP. (M. Jean Desessard s’exclame.)
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 73 :
Nombre de votants | 324 |
Nombre de suffrages exprimés | 300 |
Pour l’adoption | 154 |
Contre | 146 |
Le Sénat a adopté. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC se lèvent et applaudissement vivement. – Mmes et MM. les sénateurs du RDSE applaudissent également.)
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à onze heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Protection de l'enfant
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, présentée par Mme Michelle Meunier (proposition n° 799 [2013-2014], texte de la commission n° 147, rapports nos 139 et 146).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Michelle Meunier, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Michelle Meunier, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État chargée de la famille, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mes chers collègues, déposée par notre ancienne collègue Muguette Dini et moi-même en septembre dernier, la présente proposition de loi, relative à la protection de l’enfant, fait directement suite au rapport d’information dont la commission des affaires sociales nous avait confié la rédaction en début d’année.
Ce texte s’appuie également sur nos expériences, à Muguette Dini et à moi-même, en tant que vice-présidentes chargées de l’enfance et de la famille dans nos assemblées départementales respectives. En outre, je me suis largement nourrie des constats et propositions émanant des différentes instances nationales relatives à l’enfance, à la famille, à la protection de l’enfance et à l’adoption dont je suis membre.
Plusieurs propositions prennent également leur source dans les préconisations de récents rapports du Défenseur des droits, de l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS –, de l’Observatoire national de l’enfance en danger – ONED –, du groupement d’intérêt public Enfance en danger – GIPED, qui gère le service téléphonique « Allo enfance en danger », le 119, ou d’organisations professionnelles et associatives reconnues.
C’est l’enseignement acquis grâce à toutes ces expériences et à tous ces travaux qui me conduit à porter devant vous cette proposition de loi.
Ce texte n’est pas révolutionnaire. C’est un texte responsable, qui vise à apporter des solutions concrètes à des situations vécues par des enfants. Il tend à remettre l’intérêt de l’enfant au centre des préoccupations, car force est de constater que, de nos jours encore – les drames qui ont endeuillé notre pays en témoignent –, des dysfonctionnements interinstitutionnels peuvent entraîner le martyr et la mort d’enfants. Je fais notamment référence aux constats contenus dans le rapport rédigé par le Défenseur des droits à l’occasion de la mort de la petite Marina.
Nous savons que, sans aller jusqu’à de tels drames, des destins d’enfants sont suspendus à des décisions légales, que ce soit pour les extraire de leur famille déficiente ou maltraitante ou pour les réinscrire dans une nouvelle histoire familiale. Je pense ici aux enfants maintenus dans le dispositif de la protection de l’enfance alors qu’ils pourraient bénéficier d’une nouvelle adoption plénière ou d’une adoption simple. En effet, on n’a encore rien trouvé de mieux qu’une famille pour élever un enfant : une famille pour la vie !
Notre rapport d’information, publié en juin dernier, dresse un état des lieux de la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Cette loi est considérée comme une bonne loi, mais elle nécessite quelques aménagements et compléments. Notre rapport formule une cinquantaine de propositions pour accroître l’efficacité de cette politique, qui, je le rappelle, concerne chaque année près de 300 000 jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance – ASE –, et à laquelle les départements consacrent annuellement environ 7 milliards d’euros, soit à peu près 20 % de leurs dépenses d’action sociale, ce qui n’est pas négligeable.
Sept ans après la promulgation de la loi réformant la protection de l’enfance, force est de constater que, malgré des avancées majeures, son application se caractérise par des inégalités territoriales, des retards et des inerties. En outre, elle n’apporte pas de réponse satisfaisante au problème de l’instabilité des parcours de prise en charge de certains enfants. Nous devons donc continuer à encourager l’adaptation des pratiques professionnelles et faire évoluer la loi sur certains points précis.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui comporte trois volets : l’amélioration de la gouvernance de la protection de l’enfance, la sécurisation du parcours de l’enfant et la recherche d’une plus grande stabilité, avec en particulier l’adaptation du statut des mineurs qui font l’objet de placements longs.
S’agissant tout d’abord de la gouvernance, malgré des avancées locales évidentes liées à l’engagement des conseils généraux et de leurs professionnels, le constat général est celui d’une coopération globalement insuffisante et d’un cloisonnement encore très marqué entre les différents secteurs d’intervention. Certes, l’existence de pratiques et d’interprétations disparates est inhérente à toute politique décentralisée, mais une coordination a minima s’avère indispensable, ne serait-ce qu’au regard des enjeux d’égalité de traitement. Il manque à la politique de protection de l’enfance un cadre permettant de lui donner une réelle impulsion nationale.
C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi prévoit la création d’une instance nationale, placée auprès du Premier ministre, afin de regrouper l’ensemble des ministères concernés. Ce conseil national de la protection de l’enfance, conçu sur le modèle du Haut Conseil de la famille, par exemple, serait chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance et d’en évaluer la mise en œuvre, ainsi que de promouvoir les bonnes pratiques.
L’article 2 vise à rendre effective l’obligation légale de formation initiale et continue des acteurs de la protection de l’enfance, de manière à favoriser l’émergence d’une culture commune à l’ensemble des acteurs. À cet effet, les observatoires départementaux de la protection de l’enfance se verront confier une mission de programmation et d’évaluation des formations dispensées dans ce domaine. Nous le savons, il faut apprendre à repérer les signes de négligence et de maltraitance chez un enfant ; c’est une étape déterminante de sa protection.
Des marges de progression existent également pour rendre encore plus performant le dispositif de repérage des situations de danger piloté par les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Les professionnels de santé, les médecins généralistes, les sages-femmes et les puéricultrices sont des maillons essentiels de la protection de l’enfance, car ils sont les acteurs de proximité les mieux à même de détecter les signes de maltraitance.
Pourtant, le milieu médical représente une très faible part des sources d’informations préoccupantes et des signalements. Plusieurs éléments expliquent cette situation : le manque de formation aux problématiques de l’enfance en danger, une méconnaissance des procédures mises en place à l’échelle du département, un certain isolement professionnel, qui touche notamment les médecins libéraux, ou encore la crainte d’éventuelles poursuites judiciaires, pour dénonciation calomnieuse notamment.
Afin d’apporter une première réponse à cette situation, l’article 4 de la proposition de loi prévoit la désignation, dans chaque service départemental de protection maternelle et infantile – PMI –, d’un médecin référent « protection de l’enfance » chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, les médecins libéraux et hospitaliers et les médecins de santé scolaire du département.
J’en viens aux dispositions relatives à la sécurisation du parcours de l’enfant protégé.
En premier lieu, les articles 5 à 7 visent à renforcer le rôle du projet pour l’enfant en définissant mieux son contenu et ses modalités d’élaboration. Établi pour chaque enfant bénéficiant d’une intervention de l’assistance éducative, le projet pour l’enfant est l’un des principaux apports de la loi de 2007. C’est un outil qui doit permettre de coordonner les actions des différents acteurs appelés à intervenir auprès de l’enfant, afin que l’intérêt de ce dernier soit le principe directeur de toute prise en charge.
L’élaboration du projet pour l’enfant implique également les parents, le cas échéant, et l’enfant lui-même en fonction de son degré de maturité. Il est toutefois utilisé de manière inégale par les services départementaux, qui le considèrent encore trop souvent comme une lourdeur administrative. Il nous a paru important de réaffirmer l’importance du projet pour l’enfant comme outil de coordination et de projection au service du parcours de l’enfant.
Le projet pour l’enfant devra être régulièrement actualisé, ce qui est encore trop rarement le cas, et l’examen de la situation de l’enfant par une commission pluridisciplinaire, prévu par l’article 7 de la proposition de loi, permettra de s’assurer de la bonne mise en œuvre de ce projet. Il s’agit d’imposer l’étude régulière des situations des enfants qui ne peuvent retourner rapidement vivre dans leur famille, afin d’éviter de perdre du temps, le cas échéant, dans l’élaboration d’un nouveau projet de vie.
Les décisions relatives à l’enfance comptent parmi les plus lourdes de conséquences. Aussi m’a-t-il paru indispensable que l’étude des situations soit pluridisciplinaire, comme c’est le cas dans d’autres instances, tels que les conseils de famille, les commissions locales d’insertion ou les commissions d’accès aux droits pour les personnes présentant un handicap.
Il s’agit aussi de pousser la logique de la décentralisation jusqu’à son terme en associant les élus à ces instances, car la politique de protection de l’enfance demeure trop méconnue, même au sein des conseils généraux, alors que le budget qui y est consacré et les responsabilités qui pèsent sur les épaules du président du conseil général sont considérables. L’anonymat des dossiers et l’obligation de secret professionnel qui s’impose à tous les membres de la commission apporteront toutes les garanties quant à la confidentialité des informations.
La crainte que cette obligation ne soit par trop chronophage pour les conseils généraux ne me semble pas fondée. En effet, se pencher régulièrement sur les situations et sur l’avenir des enfants permettra de trouver collectivement des solutions avant que ces situations ne deviennent trop complexes. Nous le savons par expérience, mes chers collègues, c’est lorsque les enfants, les jeunes sont dans l’impasse qu’ils mobilisent beaucoup de temps professionnel et de dépenses publiques, sans pour autant que cela débouche sur des solutions satisfaisantes.
Afin de ne pas alourdir inutilement les procédures, la commission des affaires sociales a limité la saisine obligatoire de la commission pluridisciplinaire aux cas préoccupants ainsi qu’aux enfants en bas âge. Cette disposition laisse présager un changement profond dans l’approche concertée de la protection de l’enfance.
Le projet pour l’enfant devra par ailleurs prévoir les modalités selon lesquelles les actes usuels de l’autorité parentale, sources de difficultés, voire de conflits, dans la prise en charge de l’enfant au quotidien, pourront être réalisés, notamment par les assistants familiaux.
Toujours dans la perspective d’améliorer le suivi de l’enfant placé, l’article 9 de la proposition de loi vise à enrichir le contenu du rapport annuel établi par le service de l’aide sociale à l’enfance, en y intégrant une analyse de l’état de santé physique et psychique de l’enfant, de son développement, de sa scolarité, de sa vie sociale et de ses relations familiales, ainsi qu’une référence à son projet de vie. La commission des affaires sociales a adopté un amendement visant à ce qu’un référentiel commun, approuvé par décret, fixe le contenu et les modalités d’élaboration de ce rapport.
En deuxième lieu, plusieurs articles de la proposition de loi visent à garantir une plus grande stabilité des parcours des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, l’ASE.
Notre système de protection de l’enfance donne la priorité à la politique de soutien à la parentalité, l’éloignement du milieu familial n’étant envisagé qu’en dernier recours ou en cas de maltraitances. Cependant, malgré les différentes aides qui peuvent leur être apportées, certaines familles ne sont durablement plus en mesure, pour des raisons diverses, d’assurer le développement et l’éducation de leurs enfants dans des conditions satisfaisantes.
Dans certains cas, notamment lorsque la famille est à l’origine de faits pénalement condamnables, le maintien des liens peut même être nocif pour les enfants. Ceux qui sont concernés par ces situations sont alors placés auprès de l’ASE durant une période généralement longue, laquelle peut durer jusqu’à leur majorité. Leur prise en charge se heurte aujourd’hui à deux problèmes majeurs : la trop grande instabilité de leur parcours, qui se caractérise par des changements fréquents de lieux d’accueil, et l’absence de perspective d’évolution de leur statut juridique, qui leur permettrait de bénéficier d’une « seconde chance familiale ».
Il apparaît donc indispensable, tout d’abord, d’encadrer les changements de lieu d’accueil envisagés par l’ASE. L’article 8, dans sa rédaction issue des travaux de la commission, prévoit ainsi que, lorsque les services de l’ASE envisagent de manière unilatérale de changer le lieu d’accueil du mineur pris en charge, ils doivent en aviser le juge. En application de l’article 375 du code civil, ce dernier pourra se saisir d’office, s’il l’estime nécessaire au regard de l’intérêt de l’enfant, pour ordonner le maintien de l’enfant dans son lieu d’accueil, après avoir entendu les personnes concernées.
Il arrive en effet que l’ASE confie l’enfant à une nouvelle famille, alors que ni lui ni sa précédente famille d’accueil ne le souhaitaient. Si une telle décision peut être motivée par des raisons légitimes, il arrive aussi qu’elle ne le soit pas. En tout état de cause, elle n’est pas sans conséquences pour l’enfant et la famille d’accueil qui, avec le temps, ont tissé des liens affectifs parfois très forts.
L’article 11, quant à lui, vise à ce qu’une solution pérenne, garantissant la stabilité des conditions de vie de l’enfant et lui offrant une continuité relationnelle, affective, éducative et géographique, soit trouvée pour les enfants dont le placement s’inscrit dans la durée. Cette solution peut consister en un placement de longue durée, une délégation totale ou partielle de l’autorité parentale ou encore une adoption. Au-delà d’une certaine durée de placement, le service de l’ASE devra donc examiner l’opportunité d’autres mesures, à charge pour lui, ensuite, de mettre en œuvre la solution retenue, le cas échéant en saisissant le juge compétent.
En troisième lieu, il convient d’assurer une meilleure prise en compte des droits de l’enfant dans la procédure d’assistance éducative. Le juge a la possibilité de désigner un administrateur ad hoc, c’est-à-dire une personne qui se substitue aux représentants légaux de l’enfant mineur pour protéger ses intérêts et exercer ses droits. Cette possibilité est cependant insuffisamment exploitée en raison de la pénurie d’administrateurs ad hoc, si bien qu’au final c’est souvent le conseil général qui est désigné par défaut. Cette solution de substitution n’est pas satisfaisante, car elle crée une confusion entre la mission générale de protection de l’enfance, qui incombe au conseil général, et la mission, plus particulière, de représentation de l’enfant, qui doit échoir à une personne extérieure.
L’article 17 prévoit donc que l’administrateur ad hoc désigné par le juge pour représenter les intérêts de l’enfant, lorsque ceux-ci sont en opposition avec les intérêts des représentants légaux, doit être indépendant du service gardien.
Au-delà de l’enjeu de stabilisation des parcours, il convient de s’interroger sur le statut des enfants placés sur le long terme. Pour se construire, ces enfants, durablement, voire définitivement éloignés de leur famille d’origine, ont besoin de développer une relation d’attachement et d’appartenance à une autre famille, qui peut être une famille d’accueil, une personne digne de confiance ou une famille d’adoption.
Si, en France, l’accueil familial demeure la solution privilégiée, l’adoption, en tant que modalité de protection de l’enfance, n’est que très peu entrée dans les mentalités et dans la pratique. Elle permet pourtant de construire des projets de vie adaptés à la situation de certains enfants. Plusieurs articles du texte initial visaient à encourager cette démarche.
L’article 12 prévoit de rendre irrévocable l’adoption simple pendant toute la durée de la minorité de l’enfant, sauf en cas de motifs graves, et ce à la demande du ministère public. Il s’agit de permettre à l’enfant et à sa famille adoptive d’inscrire leur histoire familiale dans une plus grande stabilité juridique.
L’article 14 ouvre la possibilité de « réadopter » par la voie de l’adoption plénière des enfants déjà adoptés sous ce régime, mais devenus pupilles de l’État. Ces situations concernent heureusement très peu d’enfants, mais ceux-ci se trouvent dans une impasse préjudiciable que je propose de dépasser en leur permettant une nouvelle adoption plénière.
Dans un premier temps, la commission n’a pas souhaité maintenir ces deux articles. Cependant, à l’occasion de l’examen des amendements extérieurs sur le texte de la commission, elle a donné un avis favorable aux amendements qui les rétablissent dans leur version initiale.
L’article 15 vise à mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant dans la procédure d’adoption en rendant systématique son audition par le juge, selon des modalités adaptées à son degré de maturité. La proposition tendant à rendre systématique la désignation d’un administrateur ad hoc n’a pas été retenue, la commission jugeant l’état actuel du droit satisfaisant.
L’article 18 de la proposition de loi vise ensuite à mieux reconnaître les situations de délaissement parental. En l’état actuel du droit, la déclaration judiciaire d’abandon, qui est l’étape préalable à l’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État et à son adoption éventuelle, reste peu mise en œuvre. Cela s’explique notamment par la rédaction ambiguë de la loi, qui dissuade souvent les services sociaux de déposer une requête, la notion de désintérêt manifeste des parents étant sujette à interprétation.
Le texte prévoit la mise en place d’une déclaration judiciaire de délaissement fondée sur des critères plus objectifs et permettant une plus grande célérité dans la prise en charge de l’enfant délaissé. Je ne doute pas que la poursuite du travail législatif sur ce point délicat du délaissement ne permette d’aboutir à un texte encore plus respectueux des intérêts de l’enfant.
Enfin, l’article 20 a pour objet d’encourager le développement du recours au retrait total de l’autorité parentale pour que les enfants accueillis à l’ASE par cette voie puissent, eux aussi, éventuellement faire l’objet d’un projet d’adoption. La rareté d’utilisation de cette procédure s’explique principalement par la réticence des professionnels à envisager une rupture du lien de filiation biologique. C’est la raison pour laquelle cet article prévoit le retrait de l’autorité parentale lorsque le parent s’est rendu coupable d’un crime ou d’un délit sur la personne de l’autre parent ou de l’enfant.
Sur ma proposition, la commission des affaires sociales a adopté un amendement qui tend à laisser une liberté d’appréciation au juge afin de garantir que le dispositif proposé sera compatible avec les exigences constitutionnelles. Le juge devra ainsi procéder au retrait de l’autorité parentale, « sauf si l’intérêt de l’enfant le justifie expressément ».
En complément de ces dispositions, la proposition de loi comporte plusieurs autres articles, qui sont issus non pas directement du rapport d’information que la commission nous avait confié, mais de réflexions menées parallèlement et visant les mêmes objectifs.
Ainsi, l’article 13 prévoit la mise en place d’un accompagnement médical, psychologique et éducatif lorsqu’un enfant né sous le secret est reconnu par au moins l’un de ses parents. Il permet ainsi la mise en œuvre d’une préconisation émise par le Défenseur des droits dans le rapport relatif aux dysfonctionnements apparus dans le parcours de prise en charge de la petite Marina.
L’article 19 tend, quant à lui, à renforcer la sécurité juridique du recours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État en définissant de la façon la plus précise possible les membres de la famille ayant qualité pour agir.
Quant à l’article 22, il propose d’inscrire expressément dans notre code pénal l’inceste sur mineur comme une infraction à part entière.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est par un heureux hasard de calendrier que nous entamons nos discussions sur cette proposition de loi relative à la protection de l’enfance quelques semaines après la célébration du vingt-cinquième anniversaire de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. J’y vois un bon augure ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le champ de la protection de l’enfance a deux visages, l’un social, l’autre judiciaire. Il est donc à la confluence des champs de compétence de la commission des affaires sociales et de la commission des lois.
Le texte proposé, issu des travaux d’une mission d’information de la commission des affaires sociales, a été renvoyé à cette dernière au fond. Toutefois, nombre de ses dispositions concernant le code civil et le code pénal, cela a justifié la saisine pour avis de la commission des lois, qui s’est toutefois limitée aux articles de la proposition de loi qui concernaient l’intervention judiciaire ou l’articulation de cette dernière avec l’intervention sociale, ainsi qu’aux dispositions, de droit civil ou de droit pénal, qui entrent normalement dans son champ de compétence. Au total, treize articles sur vingt-trois sont concernés.
Je tiens à souligner la parfaite entente qui a régné entre nous, rapporteurs de ce texte. Nous avons d’ailleurs conduit une large partie de nos travaux ensemble et procédé à de nombreuses auditions en commun. Qu’il me soit permis de remercier ici Michelle Meunier.
Dans ce climat favorable, nous avons pu axer nos efforts sur l’intérêt primordial de l’enfant, rédigeant ensemble plusieurs amendements qui ont été adoptés en commission.
Par ailleurs, je salue ici la qualité et l’intérêt du long travail préparatoire conduit, au nom de la commission des affaires sociales, par les deux auteurs du texte, dont notre ancienne collègue Muguette Dini.
Sur un plan général, la commission des lois a reconnu la pertinence du diagnostic effectué par les auteurs du rapport : la loi de 2007 est une bonne loi. Cette constatation nous a été d’ailleurs d’autant plus agréable que cette loi a été présentée puis adoptée sous la maîtrise d’œuvre du président actuel de la commission des lois, Philippe Bas, alors ministre de la santé.
Il nous appartient, environ sept ans après son adoption, de conforter son application en adaptant à la marge certaines procédures et en évitant que certains bouleversements ne désarticulent sa construction et nuisent, en définitive, à son très louable objectif, auquel la commission des lois adhère sans restriction. Elle a d’ailleurs unanimement travaillé dans le but de l’atteindre.
La commission des lois a largement approuvé les dispositions tirées du rapport d’information, sous réserve de quelques modifications destinées à mieux servir l’objectif visé.
En revanche, elle a marqué une plus grande réserve à l’égard des autres dispositions de la proposition de loi, qui ne trouvaient pas leur source dans ce rapport d’information.
Ainsi, la commission des lois a marqué son attachement aux grands principes de la protection de l’enfance en droit français : protéger l’enfant et faire prévaloir son intérêt ; respecter, dans la mesure du possible, le rôle des parents ; refuser absolument tout systématisme, chaque situation étant particulière. Ainsi, il faut se méfier des simplifications abusives et privilégier l’appréciation éclairée des services sociaux et des juridictions. Enfin, il convient de préserver les domaines d’intervention propres du juge et des services sociaux, et d’éviter de placer les seconds sous la tutelle du premier.
D’une manière générale, la commission des lois a estimé que cette tentation du systématisme ou de la mise sous tutelle des intervenants sociaux et judiciaires exprimait, à l’encontre des juges et des services sociaux, une défiance qui n’avait pas lieu d’être.
Sur beaucoup de points, les analyses de la commission des lois et celle de la commission des affaires sociales ont convergé.
C’est le cas à l’article 6, sur l’explicitation des actes usuels de l’autorité parentale accomplis par les familles d’accueil, à l’article 8, sur le changement de famille d’accueil du mineur, et à l’article 11, sur le bilan de la situation de l’enfant après un placement long.
La commission des affaires sociales a aussi partagé l’analyse de la commission des lois sur les risques que ferait courir au mineur ou aux travailleurs sociaux la procédure dérogatoire de consultation du dossier administratif d’assistance éducative.
Par ailleurs, les deux commissions ont rejeté la remise en cause des règles de l’adoption simple ou de l’adoption plénière, estimant que de telles modifications ne pouvaient être éventuellement envisagées que dans le cadre d’une réforme plus globale de l’adoption.
En outre, elles se sont opposées à la désignation systématique d’un administrateur ad hoc en matière d’adoption ou de protection de l’enfance.
Enfin, s’agissant de la réforme de la procédure judiciaire d’abandon, la commission des affaires sociales s’est ralliée à la rédaction proposée par notre commission.
J’ai toutefois noté que, lors de la réunion où elle s’est prononcée sur les amendements extérieurs, parmi lesquels figuraient des amendements que notre collègue Michelle Meunier, reprenant sa plume de co-auteur de la proposition de loi, avait déposés, la commission des affaires sociales est revenue sur certains de ses choix ayant conduit quelques jours auparavant à la rédaction du texte qui vous est soumis aujourd’hui. Il reste donc des questions qui reviendront en débat.
Conformément au mandat que j’avais reçu de mes collègues de la commission des lois, j’ai déposé à nouveau, pour qu’ils soient examinés en séance publique, les amendements qui n’ont pas été adoptés par la commission des affaires sociales.
Je souhaiterais, avant de conclure, revenir sur les deux principaux de ces amendements, qui concernent, d’une part, le principe du retrait automatique de l’autorité parentale et, d’autre part, la création d’une surqualification pénale d’inceste.
La rédaction initiale de l’article 20 de la proposition de loi rendait automatique le retrait de l’autorité parentale pour les parents reconnus coupables d’un crime ou d’un délit commis contre leur enfant ou l’autre parent. Il convient de noter que cette disposition est sans lien avec une quelconque recommandation du rapport d’information de nos collègues.
La commission des affaires sociales a adopté un amendement de Mme la rapporteur conservant le principe de l’automaticité, mais indiquant que le retrait n’était pas prononcé si l’intérêt de l’enfant le justifiait : une motivation du juge est en quelque sorte nécessaire. J’attire votre attention sur cette curiosité : cet amendement reprend paradoxalement le dispositif des peines planchers, qui vient pourtant d’être supprimé par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. François Pillet, rapporteur pour avis. La commission des lois vous propose néanmoins de supprimer cette disposition en raison des risques qu’elle présente.
D’abord, il convient de rappeler que l’automaticité du retrait serait contraire à nos règles constitutionnelles comme à nos engagements européens ; il y a donc là un gros risque juridique.
Ensuite, j’observe que cette disposition nous ferait revenir quarante ans en arrière. En effet, la France a connu, jusqu’en 1970, un dispositif de retrait automatique de l’autorité parentale. C’est la grande loi du 4 juin 1970, celle qui a mis fin à la prévalence de la puissance paternelle et posé les bases de notre conception moderne de l’autorité parentale, qui a en outre supprimé ce retrait automatique. On a estimé, à l’époque, que cette automaticité était contraire au principe même de la protection de l’enfance.
Mes chers collègues, arrêtons-nous un instant sur ce point, car il me semble que le législateur de 1970 avait fait là preuve d’une certaine sagesse. La meilleure protection que l’on peut apporter à un enfant est ce qui correspond parfaitement à sa situation individuelle, avec toutes ses nuances et ses particularités. Il n’y a rien de plus éloigné de la protection de l’enfance que des solutions toutes faites, des mécanismes simplistes, ou des automatismes brutaux. Oui, il faut avoir le courage de le dire, il est parfois préférable pour l’enfant que le juge renonce à prononcer le retrait de l’autorité parentale.
J’ajoute qu’il suffit d’ailleurs de citer l’étendue du champ couvert par le retrait de l’autorité parentale pour voir que l’automaticité de celle-ci ne saurait pas être retenue. Dès lors que tous les crimes et tous les délits commis contre l’enfant ou l’autre parent sont concernés, une blessure involontaire par négligence ou maladresse justifierait le retrait de l’autorité parentale, exactement de la même manière qu’une atteinte portée à la vie privée de l’autre parent !
Vous voyez bien la dangerosité des automatismes : ne risquent-ils pas, dans bien des cas, de nuire à l’intérêt de l’enfant ?
Faisons confiance aux juges, car personne n’a démontré, à ce jour, une déficience de leur part. La proposition du retrait automatique ne repose sur aucune étude précise: gardons-nous donc de légiférer en nous fondant sur de fausses impressions ou des angoisses infondées !
J’observe d’ailleurs que, bien souvent, si les juges pénaux ne prononcent pas le retrait de l’autorité parentale, c’est parce que celle-ci a depuis longtemps été retirée aux parents fautifs par le juge civil, à la demande du procureur de la République. Un procès pénal, suivi d’un appel, dure entre trois et six ans. La justice n’attend pas tout ce temps pour protéger les enfants ! Que croit-on ? Elle prend les mesures nécessaires bien avant !
Je rappelle, par ailleurs, que les avocats, les magistrats, comme les représentants des associations familiales, notamment ceux de l’UNAF, se sont tous inquiétés de cette disposition, dont ils ont demandé la suppression parce qu’elle leur semblait dangereuse dans son principe même.
Enfin, mes chers collègues, je ne peux manquer d’observer que l’article 20 veut modifier la loi alors que nous nous sommes déjà prononcés sur la question en août dernier, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Un amendement prônant l’automaticité a été repoussé ici même. À la place, nous avons retenu une procédure sage et raisonnable, qui fait obligation aux juges d’examiner la question du retrait de l’autorité parentale, mais qui leur laisse toute leur liberté d’appréciation. Il ne serait pas de bonne méthode législative de revenir sur ce point six mois après.
J’en viens aux dispositions concernant l’inceste, que la commission des lois vous proposera de supprimer. Les débats devant la commission des lois ont été particulièrement intéressants et ont montré à quel point nous pouvions évoluer, les uns et les autres, sur cette question importante.
Les dispositions proposées amèneraient à rendre notre code pénal plus expressif, mais pas forcément plus répressif. La suppression que nous préconisons n’exprime pas, je tiens à ce que l’on l’entende bien, une opposition au principe de l’intégration de la notion d’inceste dans le code pénal. Notre assemblée a d’ailleurs voté la loi de 2010 portant sur ce sujet. Il s’agit en fait d’un appel à la prudence.
En effet, la censure du texte de 2010 par le Conseil constitutionnel nous conduit à devoir tracer précisément le cercle de l’inceste pénal. Or les nouvelles configurations familiales, l’extension que l’on peut donner au concept de famille, rendent cette tâche extrêmement délicate. Objectivement, les quelques auditions auxquelles nous avons procédé ne nous permettent pas de nous prononcer avec certitude ou avec suffisamment de légitimité sur cette affaire complexe.
Il a semblé à la commission des lois qu’il serait prématuré de statuer définitivement sur la question, car il serait préférable de conduire des travaux d’information sur le sujet, afin d’éviter le risque d’une nouvelle censure. Rappelons-nous les déceptions que la précipitation législative a créées chez les victimes qui ont vu la loi qu’elles attendaient censurée par le Conseil constitutionnel. Tel fut le cas pour l’inceste, comme pour le harcèlement sexuel.
En conclusion, le thème que nous abordons, la protection de l’enfance, fait nécessairement jaillir en nous des attitudes nimbées d’affect et d’émotion. Nous y puiserons avec certitude la légitimité et la transparence de nos communes initiatives. Pour autant, nous prendrons un fort risque de les mener à l’échec si nous ne nous astreignons pas à mener des réflexions aussi objectives que possible. Nous devrons, en quelque sorte, nous extraire de nous-mêmes pour rechercher quelles seront les mesures assurément plus protectrices de l’enfance. Il nous faudra être quasiment certains que l’idée que nous nous faisons de l’intérêt de l’enfant est bien l’intérêt de l’enfant.
Préparons-nous donc à des débats empreints de sérénité, d’objectivité et de prudence. N’hésitons pas à retarder l’écriture, si la pensée n’est pas achevée. En effet, si nous nous trompons dans la rédaction de ce texte, non seulement nous aurons échoué, mais nous aurons encore dangereusement fragilisé la qualité maintes fois saluée de la loi de 2007.
Au bénéfice de l’ensemble de ces observations, et sous réserve de l’adoption et du maintien des amendements qu’elle a adoptés, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des articles dont elle s’est saisie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de la dernière grande réforme du dispositif de la protection de l’enfance opérée par la loi du 5 mars 2007, dont les objectifs étaient : « mieux prévenir, mieux signaler, mieux intervenir ».
Sans bouleverser les principes généraux appliqués auparavant, la loi de 2007 avait mis l’accent sur la prévention, affirmé le rôle central du département et élargi les modes de prise en charge des enfants. Elle a renforcé la prévention en améliorant le dispositif d’alerte et de signalement, et en diversifiant les modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille. Plaçant déjà au cœur du dispositif l’intérêt de l’enfant, elle traduisait aussi l’ambition de renouveler les relations avec les familles.
Cette proposition de loi s’inscrit également dans la continuité des études et travaux récents, dont, bien entendu, le rapport d’information de Mmes Dini et Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, celui de la députée Michèle Tabarot, au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption, ou encore le rapport de février 2014, intitulé 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui, du groupe de travail présidé par Mme la professeur Gouttenoire.
Tous ces travaux traduisent, d’une part, la volonté de rendre effectifs les droits de l’enfant, droits issus de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui fête ses vingt-cinq ans d’existence et, d’autre part, le souhait de construire autour du mineur un droit axé sur son intérêt.
Tout d’abord, il convient de souligner que cette proposition de loi va, selon moi, dans le bon sens en ce qu’elle privilégie la recherche de la stabilité affective de l’enfant. Je souhaite d’ailleurs souligner trois points particulièrement positifs.
Premièrement, la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, à l’article 1er de la proposition de loi, devrait permettre l’amélioration de la gouvernance à la fois nationale et locale de la protection de l’enfance. Encore faut-il que lui soit imparti un rôle fonctionnel et qu’il ne fasse pas double emploi avec d’autres institutions, notamment l’observatoire national prévu à l’article 3 ou encore celle du Défenseur des enfants.
Deuxièmement, est prévue la généralisation du document appelé « projet pour l’enfant », auquel le mineur sera associé selon des modalités adaptées à son âge et à son projet de maturité, librement consultable par les parties prenantes. Ce projet pour l’enfant permettra de définir les objectifs des interventions tout autour de l’enfant, d’y apporter la concertation et le suivi qui font parfois défaut.
Troisièmement, la sécurisation des parcours proposés en matière de protection de l’enfance est également l’un des objectifs du texte. Sur ce point, la proposition entend améliorer les parcours des enfants, afin qu’ils soient stabilisés, avec plus de cohérence dans les actions mises en place. Pour bien aider les enfants à se construire un avenir, il faut leur donner des repères solides.
Ainsi, les personnes qui accueillent les enfants auront la possibilité d’accomplir les actes usuels de l’autorité parentale, sans formalité préalable, selon des modalités qui seront discutées avec le service départemental de l’aide sociale à l’enfance et précisées dans le projet pour l’enfant.
Le texte de la commission des affaires sociales tend en outre à instituer plus de modération en matière de changement de structure d’accueil, tout en ne prévoyant pas d’automaticité.
Il impose également au service de l’aide sociale à l’enfance en charge de l’enfant d’examiner les autres mesures susceptibles de garantir la stabilité de ses conditions de vie, lorsque le placement, en principe provisoire, se prolonge au-delà d’une certaine durée qu’il restera à définir par décret selon l’âge de l’enfant. Sur ce point, il me semble que les travaux des commissions ont amélioré le texte initial en supprimant toute automaticité et en intégrant l’objectif de sécurisation du placement dans le dispositif actuel, conformément à la pratique et au principe de subsidiarité qui gouverne la protection de l’enfance.
Cependant, les travaux des deux commissions ont mis au jour la difficulté de diversifier les remèdes proposés en matière de protection de l’enfance et de trouver des solutions véritablement pérennes pour les enfants placés en dehors de leur famille.
À cet égard, nous pouvons regretter que les commissions ne soient pas parvenues à proposer une rédaction satisfaisante de l’article 18 de la proposition de loi, qui tend à réformer l’actuel article 350 du code civil, c’est-à-dire la déclaration judiciaire d’abandon. Cet article 350, l’un des plus remaniés du code civil depuis qu’il y a été introduit par la loi du 11 juillet 1966, a été rédigé à l’origine par Simone Veil, alors magistrat affecté à la Chancellerie, et a fait couler beaucoup d’encre.
Il s’agit de faire constater par le juge qu’un enfant n’a plus, depuis un an au moins, aucune relation avec ses parents, qu’il n’existe plus entre eux de liens affectifs, bref, qu’il est délaissé ou en situation d’abandon. Il y a moyen de concilier ces deux termes : le délaissement est progressif et lorsqu’il s’inscrit dans la durée, il a pour résultat l’abandon, mais c’est le juge qui doit le constater. Il serait donc préférable de garder les termes de « déclaration judiciaire d’abandon » pour qualifier cette décision du juge et d’utiliser le mot « délaissement » pour caractériser la situation de l’enfant.
La rédaction du texte issue des travaux des deux commissions dénature, nous pouvons le regretter, l’esprit de la réforme souhaitée par Mmes Dini et Meunier.
Introduire la notion d’abstention volontaire dans le texte, c’est aller plus loin que la jurisprudence actuelle quant au caractère volontaire du désintérêt. C’est revenir subrepticement à la notion de grande détresse, adoptée par la loi du 5 juillet 1996 relative à l’adoption et abandonnée par celle du 4 juillet 2005, dont je fus le rapporteur.
J’ai, à l’époque, défendu l’abrogation de la notion de grande détresse. Il faut en effet rappeler que, pendant les neuf années d’application de cette disposition, le nombre de déclarations judiciaires d’abandon a diminué d’un tiers. Des enfants définitivement séparés de leurs parents de naissance sont restés placés au sein des services de l’aide sociale à l’enfance, qui craignaient que les juges ne leur opposent la grande détresse de la famille.
Introduire la notion d’abstention volontaire, c’est aussi mettre en exergue que seuls les parents qui ont voulu délaisser leur enfant peuvent être sanctionnés. Or la vocation de la déclaration judiciaire d’abandon n’est pas de déterminer si les parents sont coupables. Selon la Cour de cassation, il faut avant tout examiner la situation de l’enfant : en l’absence de marque d’intérêt pour l’enfant, seul le caractère involontaire du comportement des parents ou l’intérêt de l’enfant peut fonder le rejet de la requête en déclaration judiciaire d’abandon.
Prévoir que seul le désintérêt intentionnel des parents peut justifier le prononcé de la déclaration d’abandon par le tribunal, c’est, encore une fois, comme en 1996, détourner son regard de l’enfant pour ne considérer que les adultes et leur responsabilité.
Je ne peux pas non plus me satisfaire des délais actuels d’instruction de la requête en déclaration judiciaire d’abandon par les tribunaux, ces douze à quinze mois qui s’additionnent au temps de préparation de la requête, à l’année de désintérêt manifeste, à toutes celles de délaissement progressif. À force de se cumuler, tous ces temps font que l’enfant placé, par exemple, à l’âge de quelques semaines, sans contact avec ses parents depuis en réalité plusieurs années, devient pupille de l’État à cinq ou six ans. Il faut encore ajouter à ces délais quelques mois avant que la décision ne soit éventuellement prise de confier l’enfant à une famille adoptive.
Les dossiers préparés par les services du département à l’appui de la requête en déclaration judiciaire d’abandon sont très bien documentés sur la situation de l’enfant : il est très rare que le tribunal soit contraint de compléter son information. Nous savons qu’un délai prévu pour prononcer un jugement civil n’est pas assorti d’une sanction : il a valeur incitative. En 1993, lorsqu’il s’est agi de mettre la loi française en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant, le législateur n’a pas hésité à prévoir un délai de six mois pour prononcer l’adoption, alors même que l’enfant est déjà dans sa nouvelle famille.
Dans ces conditions, il me semble que la réflexion intégrant tous ces éléments devrait être poursuivie et qu’une étude plus précise des décisions de justice rendues devrait être menée. C’est la raison pour laquelle il m’apparaît préférable de nous abstenir volontairement de modifier une nouvelle fois l’article 350 du code civil.
Nous pouvons aussi regretter que les travaux en commission aient abouti au retrait de deux articles relatifs à l’adoption, répondant en particulier aux préoccupations du Conseil supérieur de l’adoption, même si je reconnais que les arguments du rapporteur pour avis, François Pillet, sont fondés et cohérents.
L’adoption est une mesure de protection de l’enfant, la plus complète sans doute, puisqu’elle lui donne une nouvelle famille en cas de défaillance de sa famille d’origine. Qu’elle soit prononcée en forme simple ou plénière, elle donne aussi une nouvelle filiation et une nouvelle identité à l’enfant.
C’est sous cet angle de « l’adoption mesure de protection de l’enfant » que le texte initial prévoyait de clarifier le régime de la révocation de l’adoption simple.
On l’oublie trop souvent, l’adoption simple crée un lien de filiation pérenne entre l’adoptant et l’adopté, qui a vocation à se perpétuer de génération en génération et qui transfère à l’adoptant, de manière exclusive, les droits d’autorité parentale. La famille adoptive devient celle où vit l’enfant et où il devient adulte. Certes, les liens avec la famille d’origine ne sont pas rompus et la révocation de l’adoption peut être décidée par le tribunal, mais uniquement pour motifs graves. La jurisprudence se montre d’ailleurs particulièrement rigoureuse à cet égard et, si les demandes de révocation sont très peu nombreuses, plus des deux tiers d’entre elles sont rejetées.
Il me semble essentiel de préserver le principe même de la révocabilité de l’adoption simple, mais il faut en restreindre l’exercice pendant la minorité de l’adopté, dans son intérêt.
En tout état de cause, il conviendrait de limiter la possibilité d’agir en révocation aux plus proches parents de l’enfant. Il semble inconcevable que des cousins issus de germains du père ou de la mère, sans autre condition, puissent intervenir et peser sur le devenir de l’enfant. En revanche, au quatrième alinéa de l’article 13, il est écrit que « l’enfant bénéficiera d’un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social ». L’emploi du futur de l’indicatif donne un caractère obligatoire à cette mesure. Il convient donc de modifier cette rédaction.
De même, l’article 14 du texte initialement proposé visait concrètement à mieux protéger les enfants qui ont vécu une situation d’échec de leur adoption en leur permettant d’être adoptés une seconde fois. Ce sont souvent des enfants adoptés à l’étranger, des enfants qui ont des besoins spéciaux, auxquels la famille qui leur avait été choisie initialement n’était pas adaptée. Il s’agit de donner à ces enfants toutes les chances de bénéficier des meilleures conditions d’accueil dans une nouvelle famille, une seconde chance d’être adoptés pleinement.
Ce n’est pas un bouleversement des règles applicables en matière d’adoption plénière. L’irrévocabilité de l’adoption plénière est la conséquence de celle de la rupture des liens avec la famille d’origine ou de l’impossibilité définitive d’établir ces liens, afin d’éviter à l’adopté de se retrouver sans filiation. C’est assurément la raison pour laquelle une seconde adoption plénière est possible en cas de décès du ou des adoptants « premiers ».
C’est cet objectif d’une seconde chance d’adoption que visait Jean-François Mattei en introduisant, en 1996, dans le code civil le prononcé d’une adoption simple « sur une adoption plénière », en cas de motifs graves, c’est-à-dire, en réalité, en cas d’échec manifeste de la première adoption plénière. Depuis maintenant dix-huit ans, ce sont des dizaines d’enfants qui ont pu être accueillis par une famille et adoptés une seconde fois. Et cela sans que l’institution de l’adoption s’en trouve pour autant déstabilisée, en dépit des commentaires parfois alarmistes qui avaient pu se faire jour lors de la promulgation de cette loi.
On le voit, il n’est nul besoin d’attendre une « grande réforme de l’adoption », dont on ne sait d’ailleurs pas sur quels points elle pourrait porter, pour faire ces retouches recommandées par le Conseil supérieur de l’adoption, composé, je le rappelle, de parlementaires, de représentants des conseils généraux, de professionnels, de magistrats, de personnes en charge de l’aide sociale à l’enfance et des pupilles de l’État, de représentants des associations de pupilles de l’État, de familles adoptives, de personnes adoptées, d’organismes autorisés pour l’adoption et de personnalités qualifiées en matière d’adoption.
II ne faut pas non plus oublier que notre droit de l’adoption continue à servir de référence dans de nombreux pays.
Mes chers collègues, je voudrais revenir sur l’absolue et urgente nécessité de revoir les conditions de l’admissibilité de l’enfant en qualité de pupille de l’État.
Il faut se souvenir qu’à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, qui prévoit un recours contre l’arrêté d’admission pris par le président du conseil général. Le reproche fait à l’ancien texte était de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l’enfant. L’atteinte au droit de recours effectif résulte tout d’abord de l’absence d’information donnée à la personne quant à la décision rendue et quant au délai et aux modalités de recours.
Comme l’a jugé la Cour de cassation le 9 avril 2013 à propos de ce même article L. 224-8 ancien, un délai de recours ne peut pas commencer à courir lorsqu’une décision est prise non contradictoirement et que n’est pas assurée l’information des personnes admises à la contester.
Or, la loi du 26 juillet 2013, écrite sans doute dans une certaine précipitation, a reproduit, sinon amplifié, ces erreurs. Elle donne qualité à exercer le recours contre l’arrêté à une multitude de personnes sans prévoir que ces personnes admises à le contester en seront informées.
Le texte prévoit en effet que la décision n’est notifiée qu’aux personnes qui ont manifesté un intérêt pour l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance. Les membres de la famille, sans aucune précision quant au degré de parenté, le père de naissance, sa famille, celle de la mère de naissance, qui sont restés inconnus pour l’aide sociale à l’enfance, et pour cause, n’en sont pas moins recevables à agir. La loi ne prévoit donc pas pour eux les modalités d’un recours effectif. L’arrêté ne leur est pas notifié, le délai pour agir ne court pas, ils conservent ce droit de remettre indéfiniment en cause la situation de l’enfant.
Ainsi les services départementaux, chargés de notifier cet arrêté à la famille des parents lorsque la filiation est juridiquement établie et aux familles de naissance dans les branches maternelle et paternelle en l’absence de filiation établie, sont confrontés à des difficultés insurmontables.
Comment informer de la décision des personnes dont a priori on ne connaît ni l’identité ni l’adresse ? C’est encore pire lorsque la mère de naissance a accouché sous le secret. J’ai cru comprendre que, dans certains départements, aucune notification de l’arrêté n’était faite. Ce défaut de notification ne prive pas de possibilité de recours celui qui se prétendrait apparenté à l’enfant, juridiquement ou en fait, comme étant lui-même de la famille de la mère de naissance, supposée inconnue, ou du père de naissance, tout aussi inconnu. Le recours de cette personne pourrait ainsi retarder le placement de l’enfant dans son foyer familial ou troubler le nouveau foyer constitué autour de lui. On imagine même les fraudes à l’état civil qui pourraient en résulter.
Voilà comment, à un texte déclaré non constitutionnel sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’est substitué un texte tout aussi contraire à ce même article !
Il s’agit de donner au plus tôt aux départements les outils pour rendre efficace l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État et le purger de toute possibilité de recours. Car c’est uniquement à partir de ce moment que le pupille, admis définitivement, peut être confié en vue de son adoption à sa nouvelle famille choisie pour lui par le conseil de famille.
Le texte proposé définit les membres de la famille habilités à agir : il limite ce droit aux très proches parents de l’enfant, ses grands-parents, oncles ou tantes, qui lui ont manifesté un intérêt lorsqu’il était pupille à titre provisoire et qui demanderaient à le prendre en charge avant qu’il ne soit placé en vue de son adoption. Il impose aux départements de notifier l’arrêté à ces seules personnes qui seront ainsi en mesure d’exercer le recours juridictionnel.
Dans un souci de cohérence, il serait nécessaire d’apporter quelques aménagements à la rédaction du texte de la proposition. Je propose uniquement un amendement rédactionnel à l’article 19.
Enfin, je ne voudrais pas clore mon intervention sans évoquer les « enfants de kafala », qui, encore une fois, sont les grands oubliés du dispositif français de la protection de l’enfance.
Les enfants de kafala, ce sont les enfants légalement recueillis dans des pays où le prononcé de l’adoption est interdit par le droit de la famille local, tout comme y sont interdits non seulement la gestation pour autrui, mais aussi toute assistance médicale à la procréation, a fortiori avec donneur. Le principe est que la seule filiation reconnue est la filiation procréative dans le mariage.
La France est le seul pays européen à avoir reproduit dans son code civil l’interdiction de l’adoption pour les enfants recueillis dans des pays où l’adoption est prohibée, c’est-à-dire essentiellement l’Algérie et le Maroc.
C’est la loi relative à l’adoption internationale du 6 février 2001 qui, mettant fin à une jurisprudence bienveillante de la Cour de cassation, a introduit cet article 370-3, alinéa 2. Depuis lors, il est interdit aux juges français de prononcer l’adoption simple ou plénière de ces enfants.
À plusieurs reprises déjà, j’ai tenté d’emporter votre adhésion à l’abrogation de ce texte discriminatoire. Or une récente circulaire du ministère de la justice du 22 octobre 2014, relative aux effets juridiques du recueil légal en France, clarifie – enfin ! – la situation de ces enfants. Elle affirme le principe de la reconnaissance de plein droit des décisions de kafala rendues à l’étranger en faveur de familles françaises.
La kafala, rebaptisée « recueil légal », est analysée comme une mesure de protection qui n’est pas une adoption et qui s’apparente, selon les cas, à une tutelle ou à une délégation d’autorité parentale, avec des effets souvent plus larges.
Cette circulaire reconnaît pour la première fois, très officiellement, que l’enfant recueilli en kafala et ayant acquis la nationalité française par déclaration, conformément aux dispositions de l’article 21-12 du code civil, peut être adopté.
Même si cette procédure suppose, comme pour toute adoption, le recueil du consentement des personnes habilitées à donner ce dernier, elle constitue une avancée importante, notamment pour les enfants orphelins ou abandonnés. Mais encore leur faudra-t-il attendre au moins cinq ans : ce n’est qu’après ce très long délai que l’enfant pourra devenir Français.
En effet, actuellement, un enfant qui est recueilli et élevé par une personne de nationalité française ne peut pas réclamer la qualité de Français avant un délai de cinq ans.
Comme le propose le rapport intitulé 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui, il est donc opportun, dans l’intérêt de l’enfant recueilli, de réduire le délai lui permettant d’acquérir la nationalité française. Une durée de deux années me semble tout à fait raisonnable, étant rappelé que l’enfant adopté en la forme simple par un Français n’a pas à attendre pour la déclaration de nationalité française.
Il s’agit, là encore, d’une disposition protectrice de l’enfant, qui mérite de figurer dans cette proposition de loi et qui répond tout à fait à son objet. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, madame la rapporteur, à laquelle j’associe Mme Muguette Dini – également à l’initiative de ce texte, celle-ci ne siège plus aujourd’hui dans cette assemblée, mais elle nous écoute, je le sais, avec grande attention –, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureuse que la proposition de loi relative à la protection de l’enfant commence son parcours législatif par un examen au Sénat.
Les conseils généraux sont, en effet, depuis la loi de 2007, confirmés dans leur rôle de chefs de file des politiques publiques de protection de l’enfance. Au quotidien, ce sont eux qui se trouvent au contact de la justice, des associations, des acteurs de terrain. Ils interviennent au plus près des familles, enfants et parents. Ils innovent. Ils font face à l’accroissement de la précarité, à la fois financière et affective, à laquelle est confronté un plus grand nombre de familles. Ils sont les pivots, les piliers, les premiers interlocuteurs pour les nombreux acteurs de la politique de l’enfance.
Engager l’examen de ce texte par une lecture au Sénat a donc, à mon avis, beaucoup de sens. Je dis « engager », car le temps nous manquera aujourd’hui pour étudier cette proposition de loi dans sa totalité.
Toutefois, je crois que le temps nous manquera toujours pour débattre d’un sujet aussi essentiel : comment protéger nos enfants, dans leurs fragilités, comment les aider à bien grandir, eux à qui il appartiendra de construire, demain, une société plus harmonieuse et plus pacifiée ? Ou simplement, comme le disait Hannah Arendt, comment « protéger l’enfant du monde et lui en donner l’accès » ?
Le temps nous manquera aussi, certainement, car la protection de l’enfance et la maltraitance sont des sujets sur lesquels nous devons prendre le temps de construire des consensus ; les débats qui émergeront de l’examen de cette proposition de loi, je le souhaite, le laisseront apparaître.
Pour assurer la protection de l’enfant, il nous faut pousser des portes souvent bien verrouillées.
Ce sont les portes que passent les professionnels de l’aide sociale à l’enfance, chaque matin, pour donner une suite aux informations préoccupantes qui remontent du terrain. Ce sont aussi des portes symboliques, comme celle de l’entrée de l’action publique au sein de la sphère privée. Il faut dire que la Rome antique les avait bien fermées à double tour, avec la figure du pater familias, et que notre code Napoléon y a ajouté un verrou supplémentaire en enserrant la famille patriarcale dans le carcan uniforme de la puissance maritale et paternelle.
Adultes miniatures, forces de travail, enfants rois, sujets de droit : la place que la société accorde à l’enfant n’a cessé d’évoluer, le plus souvent au gré des besoins des adultes, mais aussi, par bonheur, au gré du développement de la raison et de l’humanisme. Il a d’ailleurs fallu attendre les années soixante et l’appétence d’un historien atypique, Philippe Ariès, pour que l’enfant soit pleinement, pour la première fois, sujet d’histoire.
La place que la société accorde aux enfants a toujours fait l’objet de discussions, et j’en veux pour preuve les huit longues années de débat qui ont été nécessaires avant la promulgation de la première loi relative à la protection de l’enfance, la loi du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés.
Le sujet est certes délicat. Il fait ressortir un certain nombre de dogmes qui s’affrontent depuis de nombreuses années et qu’il nous faut dépasser.
Dans notre débat à venir, les précédents orateurs l’ont dit, je nous invite à nous garder des fausses alternatives, celles qui opposeraient les droits de l’enfant et les droits de la famille, le maintien du lien parental au placement, le « tout judiciaire » à la méfiance à l’égard de la justice, ou encore le secret professionnel au partage de l’information.
Ce sujet nous impose d’interroger nos propres pratiques, celles de l’État, des collectivités, de la justice, des professionnels du secteur, des professions médicales.
Oui, la maltraitance institutionnelle à l’égard des enfants existe : elle nous est relatée, parfois avec plus ou moins de discernement dans l’actualité médiatique, mais surtout elle est vécue, ressentie et exprimée par les premiers concernés. Nous ne devons pas craindre d’interroger nos pratiques et nos doctrines, si nous faisons ce travail dans la perspective du meilleur intérêt de l’enfant.
Je fais délibérément référence à cette notion de « meilleur intérêt de l’enfant », car, s’il existe des points de divergence, nous nous retrouvons tous, au sein de cet hémicycle, autour de valeurs communes que nous partageons et souhaitons promouvoir, celles qui sont portées par la Convention internationale des droits de l’enfant.
Cette convention, que la France a été l’un des premiers pays à signer, nous en avons récemment beaucoup parlé, car nous avons célébré son vingt-cinquième anniversaire, le 20 novembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant. À l’occasion de cet anniversaire, j’ai eu le privilège de me rendre à l’Organisation des Nations unies pour signer le troisième protocole de la Convention.
Ce troisième protocole, c’est tout d’abord une valeur ajoutée en termes de procédure. Chaque enfant, ou chaque adulte agissant en son nom, pourra dorénavant saisir individuellement le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, s’il estime ses droits violés, et après épuisement des recours internes.
Ce protocole a aussi une portée symbolique forte. C’est un message adressé à l’ordre judiciaire, et à toute la société. Il remet l’enfant à sa place, le considère comme un sujet de droit, restitue sa parole.
J’ai bien senti, lors de mon déplacement à l’ONU, à quel point la position de la France était attendue sur ces sujets. Je considère, pour ma part, la signature du troisième protocole comme une première étape dans la perspective de l’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, en janvier 2016.
C’est une première étape, car nous devrons consacrer l’année 2015 à poursuivre l’amélioration de la situation des enfants, au regard de leurs droits, dans notre pays. C’est de l’image de la France dans le monde qu’il s’agit.
Trop longtemps repoussée, la signature du troisième protocole marque une véritable rupture dans l’approche des droits de l’enfant, mais aussi la volonté politique de faire avancer la place des droits de l’enfant dans notre société.
Nous avons là une formidable occasion d’inscrire durablement et profondément une nouvelle approche des droits de l’enfant dans nos valeurs partagées, dans l’image de la France, mais aussi dans nos pratiques, au quotidien.
La sensibilité accrue du grand public et des acteurs de la protection de l’enfance, en cet anniversaire important, le volontarisme politique que j’ai indiqué, mais aussi une connaissance plus fine et plus forte de l’enfance qu’elle ne l’a jamais été, nous ouvrent des perspectives nouvelles.
C’est pourquoi je salue, à cet instant, les auteurs des nombreux documents qui sont venus éclairer notre connaissance et faire évoluer notre réflexion : le rapport d’évaluation de la loi de 2007, rédigé par Michèle Meunier et Muguette Dini ; le rapport issu de la mission d’évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance, piloté par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ ; le rapport Gouttenoire ; le rapport d’André Vallini et d’Anne Tursz, faisant suite au colloque qui s’est tenu en 2013 au Sénat ; enfin, le rapport de l’UNICEF issu de la consultation de 12 000 enfants.
Nous sommes arrivés au moment où il n’est plus nécessaire de commander d’autres rapports. Il faut passer à l’acte, c’est-à-dire formuler des préconisations pour harmoniser et faire évoluer les pratiques, mais aussi changer la loi quand cela est nécessaire.
Cette impulsion, ce passage à l’acte, c’est à nous tous de l’entreprendre, donc aussi à l’État.
L’État demeure le garant de la protection de l’enfance. Son rôle est de donner du sens à la politique publique de la protection de l’enfance, de lui apporter le cadre nécessaire à l’épanouissement des initiatives et des singularités locales, tout en assurant à chaque enfant, sur l’ensemble du territoire, la même qualité de service public, la même attention portée aux difficultés qu’il rencontre. Car, nous le savons, de nombreuses disparités existent : certains territoires ont fait leur la culture du maintien du lien familial, d’autres favorisent le placement... Selon que vous vivez d’un côté ou de l’autre des limites d’un département, votre destin peut en être totalement modifié !
La protection de l’enfance relève, à mon sens, du pouvoir régalien, car elle s’inscrit dans une politique globale de l’enfant.
Nous ne pouvons aborder la protection de l’enfance sous un angle restrictif. Le rôle des pouvoirs publics, et je dirai même le rôle collectif de la société, c’est de garantir pleinement le développement des capacités de l’enfant, son « développement complet », tel que le nomme François de Singly, et qui est synonyme non pas de perfection ou d’excellence, mais de réalisation de soi. Comme l’évoque Hermann Hesse dans Narcisse et Goldmund : « Nous autres, nous sommes changeants, en devenir, nous sommes un ensemble de possibles, il n’y a pas pour nous de perfection, pas d’être absolu. »
Notre devoir, c’est de garantir à l’enfant cet ensemble de possibles. C’est pour cette raison que la protection de l’enfance ne peut s’envisager isolément. L’enjeu de la bientraitance, du développement complet des enfants, se traduit aussi au sein des politiques de l’éducation, des politiques de la jeunesse, de lutte contre la précarité, de la promotion d’une éducation sans violence.
La lutte engagée par le Gouvernement contre le décrochage scolaire, par exemple, montre bien toute la cohérence de notre action en faveur de l’enfant. C’est avec cette ouverture de champ, cet écho, ces articulations, que nous pourrons mettre en place des politiques concrètes, qui feront en sorte que l’enfant trouve dans sa famille, à l’école, dans la cité, la sécurité et les apports éducatifs dont il a besoin pour bien grandir.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a consacré les présidents de conseils généraux dans leur rôle de chefs de file de la protection de l’enfance. À ce titre, ils font entrer cette politique publique dans la modernité. Qui, aujourd’hui, se réclamerait de la DDASS des années soixante-dix ? Au demeurant, dans le langage courant, on parle encore bien souvent de la DDASS...
C’est pour cela que l’État doit prendre toute sa responsabilité, celle de faciliter la coordination des différents acteurs et de faire mieux travailler ensemble les différents intervenants de la protection de l’enfance. J’ai l’intuition que, si les juges des enfants et l’aide sociale à l’enfance parviennent à mieux travailler ensemble, alors l’éducation nationale, les médecins et tous les autres suivront, « emportés » dans ce travail collectif et cette cohérence.
Dans la pratique, cette harmonisation, ce travail en commun de différentes cultures professionnelles, de différentes approches, c’est le projet pour l’enfant qui peut et qui doit le porter. Comme vous, madame la rapporteur, j’ai pour objectif qu’il n’y ait plus qu’un seul document, qui soit la base, la référence, pour tout le monde. Rendre toute sa place au projet pour l’enfant est d’ailleurs un élément central de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Vous le savez, j’ai engagé, il y a quelques semaines déjà, une grande concertation. Elle m’a déjà permis de réunir les anciens mineurs de l’Aide sociale à l’enfance, l’ASE, les présidents de conseils généraux, les magistrats, les associations. D’autres suivront : les parents, les professionnels, les assistants familiaux, notamment. Mon ambition est de fluidifier l’action des différents intervenants, de mettre de l’huile dans les rouages de cette politique publique complexe, en plaçant toujours l’intérêt de l’enfant au centre.
Cette concertation a rapidement fait apparaître que, pour accompagner au mieux les enfants, il fallait, non pas remettre en cause, mais améliorer la loi de 2007. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la démarche s’est menée en étroite collaboration avec Mme la rapporteur, afin d’en assurer toute la cohérence.
Je tiens d’ailleurs, à cet instant, à rendre hommage au travail mené alors par l’actuel président de votre commission des lois, M. Philippe Bas, à la concertation qu’il avait engagée en tant que ministre et à l’intuition, qui a démontré sa pertinence, de consacrer les présidents de conseils généraux comme chefs de file de la protection de l’enfance.
La loi de 2007 a sept ans – l’âge de raison, selon certains –, ce qui nous offre le recul nécessaire pour pointer et identifier les marges d’amélioration, mais aussi pour confronter la loi et la pratique.
Ces pistes d’amélioration ont été soulignées par le rapport d’information sur la loi de protection de l’enfance de 2007 que vous avez rédigé avec Mme Dini, madame la rapporteur, et confortées par la concertation que j’ai conduite ces dernières semaines. Plusieurs sujets ont ainsi été identifiés : certains relèvent du législatif, d’autres non.
Le travail parlementaire qui s’engage aujourd’hui permettra tout d’abord de conforter la nécessité d’une politique nationale de protection de l’enfant. Ainsi, l’article 1er de ce texte crée un organe national de protection de l’enfance, qu’il faudra articuler avec le Haut Conseil de la famille et des âges de la vie prévu dans le cadre du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, pour lequel je reviendrai avec plaisir devant la Haute Assemblée.
Il permettra aussi d’affirmer l’importance d’un médecin référent de la protection de l’enfance au sein de chaque département, afin d’établir un lien régulier avec les CRIP, les cellules de recueil des informations préoccupantes, de prendre en compte de manière effective les droits de l’enfant et la sécurisation de son parcours, et, enfin d’adapter le statut de l’enfant confié sur le long terme. Je suis sûre que les débats en séance publique viendront encore enrichir le travail de la commission.
La loi de 2007 porte des avancées considérables. Je pense, notamment, à la mise en place des CRIP, qui, dans l’esprit comme dans la pratique, sont des outils incontournables pour l’efficacité de notre politique de protection de l’enfance. Ces outils, il faut les conforter, mais cet effort ne passe pas nécessairement par des ajustements législatifs.
Il faudra également s’atteler à faire changer les pratiques, mettre en place des référentiels communs sur lesquels l’ensemble des acteurs pourra s’accorder, afin d’améliorer la prévention et le repérage des situations de danger.
Dans les pratiques, il nous faudra répondre à deux grands enjeux : d’une part, le partage des informations entre les professionnels et les départements, et, d’autre part, une meilleure évaluation d’une politique publique qui représente, pour les conseils généraux, un engagement financier de près de 7 milliards d’euros par an.
Ce travail d’importance qui s’engage, qu’il relève ou non du domaine de la loi, devra également intégrer les nouvelles connaissances qui sont récemment parvenues jusqu’à nous. Je fais notamment référence aux expertises et travaux des psychologues, psychanalystes, pédopsychiatres sur la construction de l’attachement : pour l’enfant, et c’est d’autant plus vrai pour le jeune enfant, la priorité doit être accordée à la stabilité des figures d’attachement. Dans l’intérêt de l’enfant, dans le respect des droits de l’enfant, nous ne pouvons pas ignorer cet élément.
La protection de l’enfance est le plus souvent efficace dans l’urgence, pour extraire un enfant d’une situation menaçante pour lui. Si nous laissons de côté cet aspect, notre politique de protection de l’enfance est encore tournée vers le droit des parents. Il est temps de la réorienter vers les droits des enfants.
Que l’on ne se méprenne cependant pas sur mes propos. Je ne m’inscris pas dans une politique qui pointe un doigt accusateur sur la manière dont les parents éduquent leurs enfants. Être parent, ce n’est pas un métier facile.
M. Jean Desessard. Absolument ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. C’est sûr !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. En outre, ça l’est de moins en moins. Je note d'ailleurs que certains, dans cet hémicycle, en ont l’expérience ! Il est vrai qu’être parent et parlementaire en même temps, c’est encore plus difficile ! (Nouveaux sourires.)
Le soutien à la parentalité n’est en aucun cas antinomique avec la défense des droits des enfants.
Pour réussir cette démarche ambitieuse, qui requiert minutie, attention et discernement, j’ai la conviction que nous devons renouveler notre approche, nous inscrire dans un processus atypique, qui va, dans les faits, au-delà de la concertation.
Il faut pousser encore la démarche de concertation, proche d’une forme de conférence de consensus. Nous aurons besoin non seulement d’intégrer les acteurs à la démarche, mais aussi de les faire adhérer aux conclusions auxquelles nous aboutirons.
Aujourd’hui, ce que je souhaite, c’est que soit envoyé à l’Assemblée nationale un texte qui aura rassemblé le Sénat. Je souhaite que la Haute Assemblée porte le consensus.
Être capable de remettre en question ses pratiques, permettre à chacun de s’exprimer, écouter la parole des premiers qui sont concernés, c'est-à-dire des enfants : nous devons mettre tous les sujets sur la table. Pour aller au bout de cette démarche, il nous faut également parler des angles morts, des non-dits.
Aux deux finalités de la protection de l’enfance, qui sont, d'une part, protéger l’enfant, et, d'autre part, restaurer une autorité parentale défaillante, j’en ajoute une troisième, que j’érige à la hauteur des deux autres : assurer aux enfants un cadre affectif stable. Cette troisième finalité doit nous amener à réfléchir à ce que nous pouvons proposer à l’enfant, lorsqu’il n’est pas possible de restaurer l’autorité parentale défaillante.
Bien sûr, nous sommes interpellés par ces situations, et la question du droit des personnes se pose. Notre optimisme, notre foi en l’homme nous poussent à refuser le déterminisme, à croire aux prises de conscience, à l’évolution, à l’éducation, au travail social. Pour autant, nous ne pouvons pas sacrifier l’enfant sur l’autel de ces principes.
À nous donc d’être créatifs, de repenser peut-être l’autorité parentale, d’en distinguer l’exercice et l’attribut, d’inventer une troisième voie. En effet, on peut être le parent sans être l’éducateur de l’enfant ; on peut maintenir le lien entre l’enfant et les parents tout en confiant à un tiers l’exercice de l’autorité parentale.
Je vois fréquemment les anciens mineurs de l’ASE, l'aide sociale à l'enfance. L’un d’entre eux m’a dit : « Moi, j’avais un père et un papa » ; une autre a eu cette phrase : « Ma mère m’a mise au monde, ma maman m’a élevée ». Avons-nous le droit de rester insensibles à ces réalités, d’être en quelque sorte psychorigides face à des réalités que les enfants acceptent et auxquelles ils s’adaptent naturellement, tout simplement parce qu’il s’agit de leur vie ?
Ces non-dits – ils le sont moins, maintenant que j’en ai parlé – feront, j’en suis sûre, l’objet de riches débats au sein de cette assemblée, débats que je souhaite apaisés et mus par l’unique intérêt de l’enfant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si les amendements du Gouvernement n’ont pas pu être examinés en commission, ce n’est pas par un manque de respect à l’égard de cette assemblée, que j’aime particulièrement, comme vous le savez. Cela tient plutôt au déroulement de la concertation que j’ai engagée, dans un souci de cohérence du travail, des démarches et des calendriers. Je préfère que nous étudiions ensemble ces amendements avant la prochaine séance, afin que nous prenions le temps de construire ces consensus que j’appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Madame la secrétaire d'État, le 4 juin dernier, j’ai eu l’honneur, en tant que présidente du GIP Enfance en danger, le GIPED, de vous remettre le neuvième rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED.
Ce rapport évoquait plusieurs chiffres concernant la protection de l’enfance. Je crois utile de rappeler ici que, au 31 décembre 2011, environ 275 200 mineurs étaient pris en charge par les services de protection de l’enfance, soit près de 2 % des moins de 18 ans.
Plusieurs pistes visant à améliorer la législation étaient également envisagées. Ainsi, il était question de développer de manière systématique le projet pour l’enfant, ou PPE, et de définir à l’échelon national un référentiel des besoins de l’enfant. Il s’agissait également de réaliser des études sur le fonctionnement des parquets dans le circuit du signalement et dans l’articulation entre évaluation administrative et évaluation judiciaire. Il était enfin proposé de mieux comprendre les points de vue des parents et leurs possibles engagements dans le déroulement des mesures de protection et de rechercher une meilleure implication de leur part, bien sûr, mais aussi et surtout de la part du mineur dans la mesure mise en place.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis heureuse de constater que la proposition de loi de Michelle Meunier, également membre du GIPED, et de Muguette Dini – je tiens à les remercier et je les félicite de leur excellent travail – reprend l’ensemble des pistes déjà suggérées dans le rapport d’information que celles-ci avaient remis sur la protection de l’enfance.
La proposition de loi qui est soumise à notre examen n’est pas une réforme globale du dispositif de protection de l’enfance. Elle a vocation à améliorer la loi du 5 mars 2007, qui s’inscrit dans la lignée de la Convention relative aux droits des enfants, dont on fête cette année les vingt-cinq ans, cela a été dit.
Dès 2007, l’application de cette loi a fortement mobilisé les conseils généraux et, je tiens à le rappeler, s’est réalisée à moyens constants dans un contexte de travail déjà en tension.
Les conseils généraux se sont donc consacrés à l’amélioration du repérage des situations de danger par la mise en place ou l’officialisation de « cellules enfance en danger », les CRIP. Ils ont été mobilisés pour élaborer des projets relatifs à l’amélioration de la prise en charge des enfants par les services de l’aide sociale à l’enfance. Ils ont su répondre favorablement aux défis posés. Je suis fière du travail accompli par tous les personnels du service public de la protection de l’enfance, même si nous sommes tous bien conscients de la nécessité de toujours améliorer nos actions en faveur des enfants et des jeunes en danger.
Aujourd’hui, c’est parce que la loi du 5 mars 2007 continue d’avoir un impact sur les pratiques et les organisations qu’il convient de trouver, ensemble, les moyens de la faire évoluer.
Ce texte prévoit d’améliorer la réforme en poursuivant la mobilisation des professionnels et des acteurs, qu’ils soient publics ou privés. Je profite de cet instant pour saluer le travail de l’ensemble de ces professionnels – éducateurs, intervenants sociaux et médicaux-sociaux, assistants familiaux – qui œuvrent dans les services, établissements ou chez eux. Ils sont parfois injustement mis en cause, alors qu’il est nécessaire de faire évoluer les pratiques et de mieux coordonner l’ensemble des interventions auprès des jeunes et de leur famille. Madame la secrétaire d'État, vous l’avez d'ailleurs fort bien rappelé à l’instant.
Il est également primordial de ne pas avoir une vision dogmatique, dualiste, binaire de la protection de l’enfance, opposant l’intérêt de l’enfant et les droits des parents. Cette dualité, je m’y refuse : c’est une vision simpliste qui enferme les acteurs et les décideurs. Il faut se permettre d’innover, d’expérimenter, en s’inspirant aussi de schémas familiaux parfois différents des nôtres, qui peuvent apporter de véritables solutions pour les enfants confiés.
J’en viens aux apports de la proposition de loi.
Il s’agit tout d’abord d’améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance. À ce titre, il me paraît important de s’inspirer de la représentation du GIPED respectant l’équilibre entre les différents partenaires – services de l’État, conseils généraux, élus, associations. J’en profite pour rappeler les deux missions principales du GIPED : d’une part, le fonctionnement du numéro d’urgence, le 119, et, d’autre part, l’observation et l’évaluation des politiques publiques de la protection de l’enfance, notamment avec l’ONED.
Je veux insister sur un autre apport significatif du texte, à savoir la sécurisation du parcours des enfants protégés, qui connaissent encore trop souvent des itinéraires chaotiques. Il faut considérer l’enfant non pas en fonction de son statut – en assistance éducative, en accueil provisoire, en établissement –, mais dans sa globalité, afin de concilier ses besoins et son projet de vie à court, moyen et long termes.
Il est indispensable d’interroger la finalité du projet pour l’enfant. Quelles sont les actions à mettre en œuvre pour permettre à cet enfant de devenir un adulte autonome et de s’insérer socialement avec des repères affectifs ? C’est bien là le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Je terminerai en évoquant les situations de délaissement ou d’abandon, qui doivent être mieux repérées et prises en compte.
L’adoption est une véritable mesure de protection de l’enfance. Pour autant, elle est souvent identifiée comme un dispositif « à part », devant répondre aux besoins des couples sans enfant. D’aucuns l’ont dit d’une autre manière déjà. Pour l’enfant, le pire n’est pas l’abandon ou le délaissement, c’est de ne pas savoir pendant cinq ans, dix ans, voire quinze ans s’il est abandonné ou pas. C’est cette instabilité qui crée la plus grosse difficulté.
Il me semble également indispensable d’avoir les retours de la concertation que vous avez mise en place, madame la secrétaire d'État, concertation unique en son genre, à laquelle j’ai pu participer, vous l’avez signalé, en tant que présidente de conseil général. Il s’agit, là encore, de croiser les regards et de construire, ensemble, la politique de protection de l’enfance.
Madame la secrétaire d'État, ce texte devra être complété par les dispositions réglementaires adéquates, afin de permettre aux services départementaux et à la justice de le mettre efficacement en œuvre.
Si certains points me paraissent perfectibles, ce que j’étayerai lors de l’examen des articles en proposant plusieurs amendements, cette proposition de loi me semble un bon support législatif, pour améliorer la réforme de 2007, sept ans après son entrée en vigueur, au regard des pratiques constatées. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous n’avons pas achevé dans le temps qui nous était imparti l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant.
La suite de la discussion est renvoyée à la séance du mercredi 28 janvier 2015.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Attentat au centre culturel français de Kaboul
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous venons d’apprendre que le centre culturel français de Kaboul avait été frappé par un attentat commis par un kamikaze. Cet attentat a fait au moins un mort et sans doute d’autres victimes.
Cet acte, aussi ignoble que lâche, ne peut que susciter notre indignation. En cet instant, nos pensées à tous vont aux victimes et à leurs familles.
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Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l'auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
suicides en guyane chez les peuples autochtones
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.
M. Jean Desessard. Ma question s'adresse à Mme la ministre des outre-mer et porte sur le plan de lutte contre le suicide en Guyane.
Madame la ministre, le 16 avril 2014, ma collègue Aline Archimbaud vous a interrogée sur le taux élevé de suicide chez les populations autochtones en Guyane. Ce taux est en effet largement supérieur à celui qui est enregistré en métropole.
Dans l’Hexagone, on compte un décès par suicide par an pour 5 000 habitants, ce qui est déjà un taux très important – l’un des plus élevés à l’échelon européen. Sur les rives du Haut-Maroni, lieu de vie des Amérindiens, on compte un suicide pour 200 habitants, selon l’association ADER – Actions pour le développement, l’éducation et la recherche –, soit vingt-cinq fois plus qu’en métropole.
Madame la ministre, vous aviez alors répondu que le Gouvernement « avançait dans l’intérêt des populations autochtones ». Vous aviez rappelé la poursuite du plan préfectoral de janvier 2011 de lutte contre le suicide, la création d’écoles de proximité et la prise en compte des langues amérindiennes dans l’éducation pour lutter contre l’acculturation, source de mal-être pour ces populations.
Huit mois après cette question, le moment est venu de dresser un premier bilan de l’action du Gouvernement. Disposez-vous de chiffres précis sur les suicides chez les Amérindiens, madame la ministre ?
D’après nos informations, qui ont motivé cette question, au moins trois suicides d’Amérindiens ont été recensés le mois dernier, deux dans la commune de Camopi et un dans le village d’Antecume Pata. Le problème est donc loin d’être résolu.
Pourtant, des solutions existent. En juillet 2013, à la suite d’une mission d’information de la commission des affaires sociales sur l'organisation du système de soins de premier recours et sur la prévention du suicide au Québec, la commission a rédigé un rapport dans lequel elle identifiait plusieurs bonnes pratiques mises en place au Québec.
Il s’agissait, entre autres, d’un travail de suivi sur les causes des suicides en partenariat avec des universitaires en sciences humaines, de la mise en place d’un service d’écoute téléphonique très réactif, d’un suivi personnalisé par des agents de liaison et d’un réseau de sentinelles au sein de la population.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Jean Desessard. Ces mesures ont fait leurs preuves : entre 2000 et 2010, le taux de mortalité par suicide a diminué de 38 % au Québec.
Madame la ministre, mes questions sont les suivantes : le plan de 2011 est-il efficace ? Sinon, pouvez-vous l’améliorer, voire le changer ? Et quand comptez-vous mettre en place ce nouveau plan ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, avant de répondre à la question de M. Desessard, d’adresser, au nom du Gouvernement, nos condoléances aux familles de La Réunion qui ont été endeuillées par un grave accident ayant entraîné la mort de cinq jeunes.
Monsieur Desessard, le nombre important de suicides de jeunes et de moins jeunes dans la communauté des Amérindiens nous préoccupe fortement. Il montre les difficultés d’accès à la modernité de ceux qui ont un mode de vie traditionnel, comme c’est le cas de ces populations.
À la suite de la question de Mme Archimbaud, nous avons relancé les procédures en cours à la préfecture de la Guyane, afin d’établir un dialogue plus approfondi avec les populations amérindiennes.
Des équipes de santé – des psychiatres pour adultes et des pédopsychiatres – se déplacent dans les sites isolés, et des groupes de travail et de parole ont été mis en place pour les jeunes. Toutefois, il est vrai que, pour l’instant, la répétition des suicides montre que nous sommes encore loin du compte. Par conséquent, une mission de l’inspection générale sera désignée et se rendra sur place afin de dresser le bilan de ce qui s’y fait aujourd'hui.
Par ailleurs, lors de mon voyage en Guyane, prochainement, je rencontrerai le Conseil consultatif des peuples amérindiens et bushinengué, afin que ces populations soient mieux associées à la politique menée et mieux prises en compte. Les communes de l’intérieur ont un interlocuteur attitré, ce qui permet un suivi régulier des problèmes que rencontrent les populations, notamment les jeunes.
La question de l’accès à l’école avait également été soulevée. Dans ces communes enclavées, les jeunes doivent trop souvent quitter leur famille pour être scolarisés. Ils sont alors admis en internat, à des distances considérables de chez eux. Nous examinons donc avec le recteur de la Guyane la possibilité d’implanter des écoles au plus près de ces jeunes, afin qu’ils ne se sentent pas trop perdus.
Ce sujet est important. Si un groupe de travail devait être constitué sur cette question, je serais heureuse qu’un grand nombre de sénateurs y soit associé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
projet de loi pour la croissance et l'activité
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.
M. Pierre Laurent. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
Monsieur le ministre, vous avez présenté hier votre projet de loi pour la croissance et l’activité. Il consacre la déréglementation sociale à tous les étages, conformément, une nouvelle fois, aux vœux du MEDEF. (Murmures sur les travées de l'UMP.)
Pourtant, il y a quelques jours, dans un élan de sincérité aussitôt réprimé, vous avez reconnu l’échec du pacte de responsabilité, inspiré par les mêmes !
M. Roger Karoutchi. Ah oui !
M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, pourquoi persister dans l’erreur ?
Pourquoi déposer ce projet de loi fourre-tout, sur lequel d’ailleurs le Conseil d’État émet d'importantes réserves ? Ce texte n’a en fait qu’un seul fil conducteur : la dérèglementation du code du travail et la fin de la régulation publique.
Pourquoi asservir encore davantage les salariés et satisfaire les exigences du patronat en généralisant le travail du soir et du dimanche ? Car, vous le savez bien, le volontariat, en l’espèce, ce n’est que de la blague !
Pourquoi libéraliser les transports en autocars, au détriment des petites lignes ferroviaires ?
Pourquoi ne pas renationaliser les autoroutes, sachant que la rente autoroutière a permis aux grands concessionnaires du bâtiment et des travaux publics de s’engraisser depuis la privatisation ?
Pourquoi privatiser les aéroports de Nice et de Lyon, après celui de Toulouse ?
Pourquoi privatiser nos entreprises de défense GIAT et Nexter ?
Votre projet de loi ne prévoit rien d’autre que la liberté d’exploiter. C’est un texte contre les libertés de 99 % de la population.
Pourquoi mettre en cause les prud’hommes et dépénaliser le délit d’entrave ? Pourquoi donner aux patrons le pouvoir unilatéral de fixer l’ordre des licenciements dans les plans de sauvegarde de l’emploi ? Toutes ces mesures figurent dans votre projet de loi !
Pourquoi instaurer l’insécurité juridique pour tous ? Pourquoi mettre en concurrence les professions réglementées et prévoir une justice sur mesure pour l’entreprise, en créant le statut d’avocat en entreprise ?
Pourquoi le projet de loi ne prévoit-il rien contre le recours aux travailleurs détachés ? Pourquoi vous contentez-vous de mots contre le travail détaché illégal, alors que c’est le principe même de la directive sur les travailleurs détachés qui est en cause ?
Je vous le dis, monsieur le ministre, votre projet de loi va diviser la France, les travailleurs et la gauche. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Dallier. C’est déjà fait !
M. Pierre Laurent. Si vous continuez à trahir vos électeurs, cela aura de graves conséquences lors des prochains rendez-vous électoraux.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Pierre Laurent. J’invite tous les sénateurs de gauche,…
Mme Catherine Procaccia. Ils ne sont pas nombreux !
M. Pierre Laurent. … tous ceux à qui l’égalité tient à cœur, à ne pas accepter ce énième recul de civilisation.
Monsieur le ministre, je vous demande d’entendre la colère qui monte déjà de toute la gauche (Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.), ainsi que du monde syndical. Je vous demande de retirer votre projet de loi avant qu’il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Monsieur le sénateur, à la série de vos « pourquoi », j’ai envie de rétorquer : « parce que », mais vous avez fait une telle caricature que je me dois de vous répondre de manière précise !
Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je ne sais d’ailleurs même pas si vous avez lu le texte qui a été déposé hier en conseil des ministres. (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. L’utilisation du mépris n’a jamais fait avancer le débat !
M. Emmanuel Macron, ministre. En effet, vous avez déploré l’absence de sanctions contre les travailleurs détachés, monsieur le sénateur, alors que le texte prévoit de les accroître. Vous ne l’avez donc pas lu !
Monsieur le sénateur, de quelle France parlez-vous ? Et quelle gauche voulez-vous ?
Mme Éliane Assassi. Pas la vôtre !
M. Emmanuel Macron, ministre. Telle est la bonne question. Aujourd'hui, quelque 30 % des Français travaillent le dimanche.
M. Pierre Laurent. C’est bien suffisant !
Mme Michelle Demessine. C’est déjà trop !
M. Emmanuel Macron, ministre. La France dont nous parlons travaille donc et consomme le dimanche. Et elle travaille trop souvent sans compensations.
Ce projet de loi permettra de donner plus de libertés sur le terrain et d’offrir des compensations partout où c’est possible. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Nous ne nous payons pas seulement de mots en ces lieux, monsieur le sénateur, nous proposons une véritable mesure de justice et d’égalité !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !
M. Emmanuel Macron, ministre. La France dans laquelle nous vivons vous et moi, monsieur le sénateur, est un pays dans lequel les accès aux territoires sont insuffisants et où on ne peut pas se déplacer comme on veut. Pour ceux qui n’ont pas d’argent, qui ne peuvent prendre le train ou qui ne possèdent pas de véhicule particulier, l’ouverture des lignes d’autocar est une mesure de justice. C’est aussi une mesure d’activité.
Mme Éliane Assassi. Il faut augmenter les salaires !
M. Emmanuel Macron, ministre. Cela se fait chez nos voisins, et c’est une bonne mesure. Dès ce matin, des industriels du secteur se sont d’ailleurs engagés à créer des emplois. Vous devriez vous en féliciter !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Où sont les emplois ?
M. Emmanuel Macron, ministre. La gauche qui est derrière ce projet de loi, monsieur le sénateur, n’est pas celle qui regarde vers le passé et qui rêve d’une France qui n’existe plus.
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Emmanuel Macron, ministre. C’est la gauche qui regarde la France telle qu’elle est, dans le monde d’aujourd'hui,…
M. Jackie Pierre. Cela s’appelle la droite ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Emmanuel Macron, ministre. … mais peut-être ne vous plaît-elle pas.
La véritable gauche doit y recréer des égalités d’accès et donner plus de capacités aux Français. Elle doit offrir plus de droits réels. Il n’est pas besoin de dépenser de l’argent public pour cela, monsieur le sénateur, ou d’en revenir aux vieilles lunes !
Pour finir, j’évoquerai les prud’hommes. Doit-on se féliciter d’une justice trop lente, dont les résultats sont incertains et qui est profondément injuste du fait de son fonctionnement ? Oui, les prud’hommes sont une belle idée, mais c’est une belle idée qui ne marche pas.
Mme Michelle Demessine. Si, elle marche ! Pas pour les employeurs, mais pour les salariés.
M. Emmanuel Macron, ministre. Nous devons donc mieux faire fonctionner cette belle idée. François Rebsamen, Christiane Taubira et moi-même avons souhaité conserver le principe paritaire, mais nous réduirons les délais, nous améliorerons la formation des juges, afin que le droit du travail soit moins instable et fonctionne mieux pour les salariés les plus fragiles…
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin. Enfin un ministre de droite ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Emmanuel Macron, ministre. Plus d’égalité, plus de justice : c’est cela, la gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. La droite vous applaudit !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous, vous votez tous les jours avec la droite !
projet de loi pour la croissance et l'activité
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste.
M. Didier Guillaume. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, nous le savons, et nous l’avons vu encore au travers de la question qui vient d’être posée, de trop nombreux Français souffrent parce qu’il y a encore beaucoup trop d’inégalités dans notre pays. Ces inégalités sont économiques, sociales et territoriales.
En deux ans, le Gouvernement a déjà fait beaucoup. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Qu’il en fasse moins !
M. Didier Guillaume. Toutefois, aujourd'hui, nous devons affirmer, comme vous l’avez fait hier dans un discours, monsieur le Premier ministre, que la lutte contre les inégalités doit être au cœur de la démarche du Gouvernement. Elle doit, en tout cas, être au cœur du mouvement de gauche dans ce pays.
Mme Éliane Assassi. Vraiment ?
M. Didier Guillaume. Vous avez souhaité placer la seconde partie du quinquennat sous le signe de la lutte contre les inégalités.
Nos concitoyens le constatent, M. le ministre de l’économie vient de le rappeler, la France est bloquée, figée. Dans un sondage CSA publié aujourd’hui dans un grand quotidien du soir, quelque 84 % des Français soutiennent l’idée de la réforme, du changement, de la rénovation de ce pays. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Ils sont 57 % à vouloir faire la révolution !
M. Jackie Pierre. Ils veulent l’alternance !
M. Didier Guillaume. Ils sont prêts à accompagner les réformes,…
Mme Éliane Assassi. Ils veulent la retraite à 60 ans !
M. Didier Guillaume. … à condition, je le pense, qu’elles soient justes et protectrices, qu’elles aient du sens et de la cohérence.
Aussi, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous éclairer le Sénat sur la feuille de route de votre gouvernement pour la lutte contre les inégalités de cette seconde partie du quinquennat, afin que nos concitoyens aient des raisons objectives d’espérer et retrouvent confiance ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur, nous avons en effet présenté hier, avec le ministre de l’économie et tous les membres du Gouvernement concernés, les grandes orientations du projet de loi pour la croissance et l’activité.
Le ministre de l’économie vient de le souligner, ce texte veut donner la capacité à notre pays d’utiliser tous les leviers pour la croissance, la compétitivité et l’investissement ; s’il y a une inégalité dans notre pays, en effet, c’est bien celle qui est liée au chômage.
Il s’agit donc d’un texte pour l’emploi et le pouvoir d’achat. Je le dis très clairement ici, il n’a qu’un seul objectif : servir l’intérêt général et lever tous les blocages et les freins à la croissance, en libérant les énergies et en stimulant l’économie. Pour cela, il faut ouvrir un certain nombre de secteurs ; il faut simplifier de nombreuses procédures. Il faut donc permettre que des changements concrets aient lieu dans la vie quotidienne des Français.
Nous devons lutter contre les conservatismes et contre les phénomènes de rente. Je suis d’ailleurs étonné qu’ici même, dans la partie la plus à gauche de cet hémicycle, on privilégie la rente (Protestations sur les travées du groupe CRC.),…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est honteux !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … alors que ce pays a besoin de libération, de changement, d’énergie.
M. Pierre Laurent. Où est la taxe Tobin ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. Depuis l’élection de François Hollande, nous avons beaucoup agi, en luttant contre l’immobilisme.
Nous le faisons pour renforcer le pays, mais aussi pour l’égalité, cette belle idée française, cette valeur fondamentale de la République. C’est d’ailleurs le sens de l’action du Gouvernement : la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt, le compte pénibilité (Exclamations sur les travées de l’UMP.), qui fait débat, la modulation des allocations familiales,…
M. Robert del Picchia. Oh là là !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … c’est aussi plus d’égalité !
Lorsque nous refondons l’école de la République, lorsque nous créons 60 000 postes d’enseignants, lorsque nous mettons en œuvre la réforme des rythmes scolaires, c’est aussi plus d’égalité ! (Mme Dominique Gillot et M. Jean-Louis Carrère applaudissent.)
Lorsque nous créons des postes de policiers, de gendarmes et de magistrats, détruits sous le quinquennat précédent, c’est encore plus d’égalité ! Nous le savons bien, en effet, l’insécurité et la délinquance frappent les plus faibles et les plus modestes de notre société.
Dans le même temps, il faut regarder les choses en face ; vous le faites, d'ailleurs, monsieur le sénateur. Notre pays fait front à une montée des inégalités, à des fractures sociales et territoriales. La ministre Najat Vallaud-Belkacem pourrait rappeler les chiffres du classement PISA. L’effondrement de notre pays dans ce classement au cours de ces dix dernières années est dû aussi à l’absence de moyens et au fait que l’école n’était pas érigée en priorité.
D’ailleurs, monsieur Laurent, quand vous ne votez pas le budget de la nation, lequel, pour la première fois, fait de l’école de la République le premier poste de dépense, je m’étonne que vous vouliez nous donner des leçons de républicanisme, de progrès et de gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)
M. Pierre Laurent. Ce sont les enseignants qui manifestent !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il faut combattre les inégalités avant même qu’elles se créent, à la racine. C’est le travail que nous devons mener dans les domaines du logement, de la santé et de l’école, qui sont des priorités.
Demain, à l’occasion d’une réunion des ministres et des secrétaires d’État, je présenterai l’agenda des réformes pour les deux ans qui viennent, jusqu’à la fin du quinquennat, afin de mieux éclairer l’avenir.
Nous l’avons bien montré hier et, au fond, c’était un beau symbole : à midi, après le conseil des ministres, nous avons présenté le projet de loi qui vise à redonner de la force à la croissance ; le soir, je me suis exprimé sur l’égalité. La gauche, quand elle gouverne, marche sur ses deux jambes : elle soutient la compétitivité et fait tout pour l’égalité. C’est comme cela que nous retrouverons pleinement, je crois, la confiance des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. Rendez-vous en mars prochain !
gouvernance du groupement d’intérêt public pour la création du parc national des forêts de champagne et de bourgogne
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe UDI-UC.
Mme Anne-Catherine Loisier. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ; elle porte sur la création du parc national des forêts de Champagne et de Bourgogne, qui suscite de vives réactions localement.
Ce projet de parc national, je le rappelle, était le premier projet de parc de feuillus de plaine. Il a été présenté par le Premier ministre de l’époque lui-même, M. François Fillon, en 2009, et il a été adopté par plus de 90 % des acteurs locaux.
M. Simon Sutour. C’est une question pour le mardi matin !
Mme Anne-Catherine Loisier. Malheureusement, cette version, légitimée sur le territoire concerné, n’a pas été prise en considération par les services du ministère de l’écologie, au motif qu’elle n’était pas suffisamment ambitieuse.
Pourtant, la préfiguration de ce parc était le fruit d’une volonté à la fois politique et locale de constituer un premier grand parc national forestier de feuillus, compte tenu de la présence importante de grands massifs forestiers domaniaux et de nombreuses forêts communales et privées.
Dans une lettre de recadrage adressée au groupement d’intérêt public, le GIP, du futur parc national en février 2013, les services du ministère de l’écologie ont remis en cause le projet initial et déclenché la colère de la profession agricole, mais aussi des forestiers publics et privés, en intégrant de manière autoritaire, dans la zone de cœur, des terres agricoles et des forêts communales et privées.
La difficulté vient de ce que de nombreuses exploitations agricoles situées dans ces zones dites « intermédiaires », donc à faible potentiel de production, ont la nécessité impérieuse de recourir à des engrais et des intrants pour obtenir des rendements indispensables à leur survie. Elles ne peuvent donc pas supporter de contraintes environnementales supplémentaires.
Les communes forestières, quant à elles, ont à de nombreuses reprises affirmé leur attachement au principe de libre adhésion des forêts communales.
Considérant notamment l’importance de la filière forêt-bois locale, il n’est pas question de fragiliser l’économie de ce territoire. Dans le contexte actuel, à l’heure où l’on nous invite à mobiliser encore plus de bois et encore plus de ressources pour mieux approvisionner les entreprises locales, qui se sont d’ailleurs manifestées récemment, une telle initiative serait donc préjudiciable.
Le mécontentement du monde agricole et forestier est d’autant plus profond que ses revendications n’ont pas été entendues lors des dernières instances de concertation.
M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.
Mme Anne-Catherine Loisier. C’est pourquoi, en cette période de consultation institutionnelle, je me fais l’écho des acteurs de ce territoire pour demander à Mme la ministre de l’écologie de réellement prendre en compte les attentes, c’est-à-dire de revoir à la baisse le périmètre de la zone d’études et les surfaces des terres agricoles du cœur, de respecter la libre adhésion des communes forestières et des propriétaires privés, d’assurer l’équilibre cynégétique, enfin, d’identifier clairement et de proportionner les contraintes réglementaires imposées aux acteurs économiques du territoire. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser Ségolène Royal, qui se trouve actuellement à Lima pour préparer la conférence sur le climat. (Oh ! sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet. Voilà un déplacement qui représente beaucoup de CO2 ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le principe de la création d’un parc national de forêt de plaine dans les régions Champagne-Ardenne et Bourgogne a été inscrit dans la loi Grenelle I. Avant la création du parc, le projet doit néanmoins passer par une étape de prise en considération menée par un groupement d’intérêt public, le GIP, constitué à cet effet.
Le GIP a engagé une large consultation locale sur ce projet. Cette concertation doit s’achever en janvier prochain, le GIP devant délibérer en février 2015. À l’issue de ce processus, une consultation de niveau national sera ouverte et la proposition de l’arrêté de prise en considération sera soumise à la signature du Premier ministre.
En l’état, aucune décision n’est prise sur la réglementation des activités forestières dans le cœur du futur parc, bien que la loi dispose que ces activités sont forcément réglementées. Le projet du GIP est de récréer une filière bois locale, approvisionnée localement, de manière à ce que le bois soit mieux valorisé, tout en reconnaissant que la production sera inférieure.
L’association départementale des communes forestières de Côte-d’Or, que vous présidez, madame la sénatrice, participe d’ailleurs à une étude sur la valorisation de la ressource bois sur le territoire du futur parc. Le périmètre du cœur devra, en ce qui le concerne, être cohérent et fonctionnel. Il ne peut donc être constitué uniquement de forêts domaniales, ce qui créerait un périmètre en peau de léopard.
Il restera toutefois, en très grande majorité, composé de forêts, ce qui conduit à relativiser considérablement les craintes que certains agriculteurs pourraient avoir pour leur activité. Les espaces agricoles, qui seraient le cas échéant inclus dans le cœur, pourraient être des secteurs de prairie humide dans les secteurs de sources à fort enjeu écologique. La réglementation du cœur n’aura en tout état de cause pas vocation à interdire l’agriculture, pas plus d'ailleurs que la chasse.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. La réglementation applicable devra se faire en étroite concertation avec l’ensemble des parties prenantes.
Certaines communes membres du GIP entendent en sortir en espérant que cela leur permettra de quitter le projet. C’est une appréciation erronée, puisque le GIP n’est que la structure d’organisation de la concertation et que la fixation du périmètre est totalement indépendante de ses statuts.
La création d’un parc est une vraie chance pour les territoires. Pour preuve, deux parcs en France, le parc national de la Guadeloupe et le parc national des Pyrénées, ont été classés au sommet de la liste verte de l’Union internationale pour la conservation de la nature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
grève des médecins prévue pendant les vacances de noël
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Deroche. Ma question s’adressait à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Depuis des semaines, le monde de la santé est en ébullition. La fin de l’année 2014 et le début de l’année 2015 verront l’apparition de mouvements de grève qui, annoncés par les professions médicales, inquiètent déjà nos concitoyens.
Vous avez face à vous un front uni – le fait est assez rare pour être souligné – associant les syndicats de médecins, généralistes et spécialistes, quel que soit d’ailleurs leur secteur conventionnel d’activité – privé ou public – et les médecins exerçant en région parisienne comme en province. Je n’oublie pas non plus les urgentistes. Ce front uni est assez inhabituel pour que le conseil de l’ordre et l’Académie de médecine s’en soient fait l’écho.
Néanmoins, ce n’est pas un mouvement de grogne corporatiste ; c’est le signe d’une inquiétude profonde du monde médical, face à certaines dispositions du projet de loi relatif à la santé publique : inquiétude des syndicats de médecins quant à la généralisation du tiers payant et à la revalorisation de la consultation du médecin généraliste ; inquiétude de l’hospitalisation privée quant à son financement et à la recentralisation des pouvoirs autour des agences régionales de santé, les ARS ; inquiétude des chirurgiens des cliniques et des internes des hôpitaux publics, actuellement en grève illimitée, quant à leur avenir.
Si nous ne pouvons que souscrire à un projet de loi qui remet le patient au cœur du parcours de soins, qui est axé sur la prévention et qui, bien sûr, souhaite réduire les inégalités, certaines des dispositions qu’il contient risquent de mettre à mal le système français de santé, lequel doit certes s’adapter aux défis actuels, mais aussi continuer à reposer sur ses deux piliers, public et privé.
La grogne est profonde, les crispations sont importantes et le dialogue semble rompu. Les professionnels de santé et le monde médical attendent donc du Gouvernement des signaux forts de confiance. Comptez-vous les leur adresser ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Madame la sénatrice, tout d'abord, je vous remercie de bien vouloir excuser Marisol Touraine, qui ne pouvait être présente cette après-midi.
Le projet de loi relatif à la santé est d’abord un texte pour les patients et contre les inégalités de santé comme dans l’accès aux soins.
Lutter contre les inégalités, c’est d’abord miser sur la prévention. En effet, il y a ceux qui, grâce à leur héritage social ou culturel, ou grâce à des conditions de vie plus favorables, ont une hygiène de vie qui les protège de la maladie. Et il y a aussi ceux qui sont frappés plus tôt, plus souvent et plus durement. Aussi, nous renforçons l'éducation et l'information sanitaires et nous créons un médecin traitant pour les enfants.
Lutter contre les inégalités, c’est également accorder aux patients un droit à l’information. En effet, il y a ceux qui savent s’orienter dans le système de soins, et il y a ceux qui s’y perdent. Aussi, nous créons un numéro de garde unique pour trouver un professionnel de santé près de chez soi, et à toute heure, et nous reconnaissons dans la loi, pour la première fois, le rôle des associations de patients, dont nous valorisons les initiatives sur le terrain. Nous créons également l’action de groupe en matière de santé.
Lutter contre les inégalités, c’est aussi faire tomber les barrières financières. En effet, il y a ceux qui peuvent consulter leur médecin sans se poser de question, ceux qui peuvent acquitter le prix de la consultation, et il y a aussi ceux pour qui la nécessité d’avancer les frais est un obstacle infranchissable. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Répondez à la question !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Aussi, madame la sénatrice, nous mettons en place le tiers payant, effectivement, de manière progressive. Institué dès 2015 pour nos concitoyens qui sont sous le seuil de pauvreté, il sera généralisé en 2017.
Madame la sénatrice, cet objectif de lutte contre les inégalités est très largement partagé, ou pour le moins devrait l’être ! Le Gouvernement a toutefois entendu, ici ou là, que certains points suscitaient des inquiétudes chez les professionnels. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Ici ou là ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Il s’agit, pour une grande part, de malentendus ou de contrevérités, que Marisol Touraine entend lever un à un. C’est pourquoi elle reçoit de nouveau les représentants des médecins libéraux, pour aborder avec eux l’ensemble de ces questions et avancer.
Vous le voyez, madame la sénatrice, la volonté du Gouvernement est claire. Il s’agit d’abord de lutter contre les inégalités, afin que notre système de santé renoue avec sa promesse originelle : être accessible à tous.
C’est dans cette direction que nous entendons œuvrer, en levant les malentendus et les inquiétudes, mais en gardant le cap ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous le savez pour vous être rendu – à la satisfaction générale, je dois le dire –, à La-Londe-Les-Maures et à Hyères le 29 novembre dernier, le Var, mais aussi les Pyrénées orientales, l’Aude, l’Hérault et l’Aveyron viennent de subir de nouvelles inondations catastrophiques : quatre morts dans le Var et des dégâts du niveau de ceux de janvier 2014, qui ont été alors estimés à 200 millions d’euros.
Plus généralement, vous l’avez constaté, en matière d’inondation notre dispositif d’intervention et de secours donne satisfaction. En revanche, on ne peut en dire autant en matière de prévention et de gestion de l’après-crise, s’agissant notamment de la réparation des dommages, de l’indemnisation des personnes et de l’aide aux collectivités.
Certes, une procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle d’urgence vient d’être mise en place depuis six mois. Vous l’avez d’ailleurs utilisée, en annonçant l’engagement d’une « réflexion pour moderniser le dispositif de soutien de l’État aux collectivités » – je cite le compte rendu du conseil des ministres du 3 décembre dernier.
Or, monsieur le ministre, une telle réflexion a été engagée au Sénat depuis deux ans. Elle a même déjà abouti, grâce au soutien du Gouvernement, à l’inscription dans la loi de dispositions essentielles en matière de prévention. Le Sénat a aussi adopté en première lecture, il y a un an, un ensemble de dispositions relatives en particulier à la gestion de l’après-crise et à la sensibilisation de la population, qui est un véritable problème.
Or ce débat n’a toujours pas pu être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. D’où ma question, monsieur le ministre : ne pensez-vous pas qu’il serait opportun qu’il puisse l’être un jour et que la réflexion, dont vous ressentez vous-même la nécessité, se nourrisse ainsi de la contribution du Parlement ? Cela a pu être fait lors de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », ce qui prouve que c’est possible.
Aussi, monsieur le ministre, allons-nous continuer à déplorer, ou allons-nous avancer ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. Didier Guillaume. Bravo !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous abordez un sujet que vous connaissez bien. En effet, vous avez été l’auteur d’un rapport parlementaire qui a fait l’objet d’une proposition de loi présentée au Sénat à l’automne 2013 et qui traitait de la question de la lutte contre les inondations et des mesures préventives à prendre.
Comme vous l’avez signalé, je me suis rendu à La-Londe-Les-Maures et à Hyères il y a une quinzaine de jours pour constater les dégâts causés par les inondations, un an après la survenue de dommages déjà très importants, et pour définir avec les élus les modalités d’indemnisation.
Pour répondre très précisément à votre question, trois problèmes se posent.
Le premier d’entre eux porte sur les fonds qui sont destinés à indemniser les collectivités locales, mais aussi les exploitations agricoles et les entreprises en cas d’inondation ou de calamités.
Deux fonds existent, un fonds « calamités » et un fonds « catastrophes naturelles ». Je propose de les fusionner et de faire en sorte qu’aucun gel ne s’applique à eux, de façon que, en fin de gestion, notamment, on puisse allouer à toutes les collectivités locales les sommes dont elles ont besoin pour faire face aux travaux, en particulier en matière de réparation et de lutte contre les inondations. Nous l’avons constaté ensemble à La-Londe-Les-Maures, quelques mois après la décision du Gouvernement de dégager des financements, les procédures administratives ont bloqué l’attribution des fonds.
Le deuxième problème est relatif à la décision d’augmenter le plafond des avances qui sont effectuées par l’État aux collectivités locales pour leur permettre avant présentation des factures de pouvoir financer leurs opérations. Porter ce taux de 15 % à 25 % était d’ailleurs une de vos propositions. Ce serait une bonne manière d’assurer le financement des travaux dans de bonnes conditions.
Troisième problème, lorsque les dégâts sont causés, il faut six mois d’enquête par l’Inspection générale des finances, par les services du ministère de l’écologie, par l’administration du ministère de l’intérieur et par d’autres encore avant que le droit à indemnisation ne s’ouvre. Ce sont beaucoup trop d’inspections mobilisées sur une durée trop longue. Il faut simplifier et raccourcir les procédures pour accélérer le rythme d’indemnisation.
Enfin, dernier point, lorsque les travaux portent sur les cours d’eau ou la lutte contre les inondations, il convient de trouver un bon équilibre entre les règles environnementales et l’urgence. Voilà pourquoi la ministre de l’écologie a envoyé une inspection à La-Londe-Les-Maures. Le Gouvernement entend, en plus de la simplification des procédures, engager une réflexion au profit des collectivités territoriales.
Sur tous ces sujets, votre contribution, monsieur le sénateur, aura été tout à fait décisive. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
lutte contre le racisme et l’antisémitisme – grande cause nationale (rassemblement de créteil)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour le groupe socialiste.
M. Yannick Vaugrenard. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, lundi 1er décembre à Créteil, un couple se faisait sauvagement agresser dans son appartement, et la femme était violée. Le caractère antisémite de cet acte odieux est avéré. Au-delà d’une évidente compassion qui s’impose à l’égard de ces personnes, je considère que c’est aussi notre démocratie et notre République qui sont insultées, et le socle de nos valeurs qui est bafoué.
La période que nous traversons est socialement et économiquement particulièrement difficile. Il y en eut d’autres, avec les conséquences dramatiques imprimées dans chacune de nos mémoires. L’histoire ne se répète pas, diront certains. Sans doute, mais il arrive qu’elle bégaie ! Aussi, prenons garde dans ce contexte si particulier aux discours parfois empreints de populisme, qui ciblent les boucs émissaires de tout ce qui va mal, y compris lorsqu’ils prétendent manier l’humour…
Le risque de normalisation de propos intolérants nous impose une vigilance de chaque instant, car de tels discours peuvent aussi armer les mains de personnes malveillantes ou fragiles. Depuis le début de cette année, la France a subi une hausse de 91 % des actes antisémites. Ce chiffre à lui seul fait froid dans le dos.
Ce mal qui ronge notre pays exige une nécessaire prise de conscience individuelle, tout autant qu’un indispensable sursaut collectif.
Monsieur le ministre, l’aspect répressif va de soi, mais il n’est pas suffisant, compte tenu de l’évolution du nombre d’agressions antisémites et racistes. Ne pensez-vous pas qu’il soit nécessaire, notamment avec le ministère de l’éducation nationale, mais aussi avec le monde médiatique et le secteur associatif, de sensibiliser à cette dure réalité, pour endiguer le fléau d’intolérance qui mine notre société ?
Nous assistons trop fréquemment à une forme de banalisation de l’horreur ou à une indignation à géométrie variable, qui ne sont ni acceptables ni supportables. Or le racisme est un, et la lutte contre toute forme de racisme est indivisible. Pour conclure, il me vient à l’esprit cette phrase inscrite à l’entrée du village martyr d’Oradour-sur-Glane : « L’humanité n’est pas un état à subir, c’est une dignité à conquérir ».
Aussi, l’ensemble de nos concitoyens doit comprendre que le respect est dû à tout un chacun et que la liberté, l’égalité et la fraternité ne sont et ne seront jamais négociables dans notre pays, qui est celui des droits de l’homme ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous venez avec beaucoup de force de rappeler ce que sont l’antisémitisme et toutes les formes de haine pouvant ronger la République de l’intérieur et conduire peu à peu, parfois imperceptiblement, à l’abandon des valeurs qui la fondent et auxquelles, collectivement, nous tenons tous dans cet hémicycle.
Je me suis rendu à Créteil dimanche dernier pour participer à la grande manifestation organisée par la communauté juive de cette commune, tout à fait blessée par l’acte abject subi par un jeune couple quelques jours auparavant.
J’ai vu des hommes et des femmes abattus – certains étaient révoltés. J’ai noté dans tous les regards une immense tristesse et, surtout, une incommensurable inquiétude, celle d’une communauté sachant que l’histoire a déjà parlé de façon monstrueuse ; qu’elle a conduit à la déportation, à l’assassinat de millions de juifs – hommes, femmes, enfants, personnes âgées –, dans les conditions que l’on sait ; une communauté qui ne comprend pas, alors que tous ces événements sont encore assez récents, finalement, que l’on puisse ne pas se souvenir.
Vous avez raison, il est important d’organiser une mobilisation générale. Celle-ci est d’autant plus essentielle au vu de ce qui se diffuse, notamment, dans l’espace numérique. Bien des digues sont tombées : dans de nombreux tweets, l’usage de la phrase brève est mis au service des idées courtes, voire de la haine.
Une mobilisation générale s’impose donc. Elle est souhaitée par le Premier ministre, qui s’est à plusieurs reprises exprimé avec beaucoup de force sur ce sujet et qui a souhaité que la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme soit dorénavant rattachée à ses services, de manière à mettre en place une véritable action interministérielle.
Bien entendu, le ministère de l’intérieur, en tant que chargé de la protection des lieux de culte, sera concerné. C’est aussi lui qui, par l’intermédiaire des préfets, porte plainte au titre de l’article 40 du code de procédure pénale chaque fois qu’un acte de haine raciste ou antisémite est constaté.
Le ministère de l’éducation nationale, qui porte avec le ministère de l’intérieur, ministère des cultes, l’ambition de laïcité, sera également mobilisé pour assurer la protection de tous les enfants de la République, pour les rassembler, dans l’école et dans l’espace public, autour de cette valeur fondamentale et de toutes les autres valeurs de la République. Le ministère de la jeunesse et celui de la ville pourront également, de façon transversale, faire entendre un message de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Une mobilisation de l’ensemble de la société sera nécessaire. Faut-il rappeler que nous n’étions que 1 500 personnes rassemblées à Créteil ? À d’autres époques, nous aurions été infiniment plus nombreux. Les intellectuels se seraient exprimés, les forces sociales se seraient mises en mouvement.
Par conséquent, il est impératif que cette grande cause devienne la cause de tous et de garder en mémoire cette belle formule de Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, tendez l’oreille, on parle de vous… » (Applaudissements.)
professions réglementées
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
Monsieur le ministre, hier, c’était la journée « justice morte » en France – une grande première. Tous les membres et collaborateurs des six organisations professionnelles du droit – le Conseil national des barreaux pour les avocats, le Conseil supérieur du notariat, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires et la Chambre nationale des huissiers de justice – étaient en grève pour manifester contre votre projet de loi pour la croissance et l’activité. Les études et les cabinets étaient fermés. Cette mobilisation sans précédent symbolise la colère froide qui se généralise dans notre pays. La tension monte chaque jour un peu plus.
Monsieur le ministre, avec ce projet de loi « fourre-tout », selon l’expression du premier secrétaire du parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, vous avez l’ambition de redresser l’économie française. Je partage cet objectif, je l’encourage même.
Selon vous, l’un des moyens pour l’atteindre serait de réformer les professions réglementées, notamment les professions juridiques. Ces dernières sont les garantes de la sécurité juridique des Français. La plus grande vigilance s’impose donc. Ce que l’on vous reproche, monsieur le ministre, c’est votre précipitation et une concertation a minima des organisations professionnelles concernées. L’étude d’impact de l’avant-projet de loi pour les professions juridiques est une suite d’approximations et d’interprétations de chiffres et de faits.
Le Conseil d’État a émis le 8 décembre dernier des réserves sur une mesure phare de votre projet de loi : la liberté d’installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs. Il estime qu’il y a une rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques.
Par ailleurs, les professionnels s’étonnent, à juste titre, que le Premier ministre ait confié au ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique la tâche de réformer les professions juridiques réglementées, et non au ministère de la justice.
Je vous demande donc aujourd'hui d’écouter les professionnels du droit en France. Pour cela, monsieur le ministre, donnez-vous du temps pour un dialogue constructif. C’est la seule méthode qui permettra d’engager une modernisation attendue de l’exercice de ces professions réglementées.
Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas retirer de votre projet de loi tous les articles concernant les professions juridiques, afin de les intégrer, modifiés, dans le projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle, qui sera présenté au printemps de 2015 par la Chancellerie ? Ne pensez-vous pas que ce temps nécessaire au dialogue et à la concertation tant demandés par ces professions évitera de cristalliser les oppositions et de renforcer les blocages ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je respecte ces professionnels du droit, qui ont manifesté hier, et j’entends leurs demandes. Je les ai d’ailleurs reçus avec la garde des sceaux. De plus, j’ai participé hier soir, avec certains d’entre vous, à un débat avec les huissiers de justice, preuve que je sais toujours me montrer présent lorsqu’il s’agit d’échanger des idées.
Au demeurant, je m’étonne que l’on puisse manifester contre un projet de loi le jour même de son dépôt, sans vraisemblablement en avoir pris connaissance. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Il a été déposé : tout le monde le connaît !
M. Emmanuel Macron, ministre. Toutefois, peu importe : notre vie politique est ainsi faite !
Monsieur le sénateur, en est-il des réformes comme des économies ? En effet, vous en voulez toujours davantage, mais vous êtes toujours contre celles que l’on fait ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous voulons de bonnes réformes !
M. Emmanuel Macron, ministre. Les bonnes réformes, ce sont sans doute celles que vous n’avez pas faites pendant dix ans !
Avec les réformes, c’est toujours la même chose : « Faites-les ailleurs, mais pas chez moi » ! (Mêmes protestations sur les mêmes travées.) C’est votre spécialité ! Il faudrait les faire non pas pour les professions réglementées, mais pour les salariés ; pas ici, mais chez les autres. Cela n’a pas de sens !
M. Alain Gournac. Arrêtez !
M. Emmanuel Macron, ministre. L’esprit de ce projet de loi, c’est de débloquer la société française partout où elle peut l’être ; c'est de moderniser les conditions de notre fonctionnement partout où elles peuvent l’être. En l’espèce, je ne peux en aucun cas vous laisser dire que c’est un projet qui est uniquement porté par Bercy.
Le Premier ministre l’a dit hier et l’a répété ici aujourd'hui, ce projet de loi est porté également par la garde des sceaux, qui le défend et qui a contribué à le préparer.
Mme Catherine Procaccia. Ce n’est pas ce qu’elle écrit dans Le Monde !
M. Emmanuel Macron, ministre. Lisez le texte qui a été déposé hier : elle est la garante de ce dispositif !
Revenons-en au sujet précis. Finalement, ce que vous défendez in concreto, c’est l’existence intangible d’intérêts acquis. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Non, nous défendons l’emploi !
Mme Catherine Procaccia. Et le dialogue social !
M. Emmanuel Macron, ministre. Parlons concrètement de l’emploi : la liberté d’installation que nous proposons, c'est une liberté régulée, qui ne déstabilise ni les territoires ni les professionnels en place. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Elle permettra de créer – le texte le garantit – plusieurs offices notariaux, donc de l’activité et de l’égalité d’accès à l’emploi.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Aujourd’hui, rien ne justifie que, dans le système dans lequel nous vivons, l’emploi et l’entreprenariat soient réservés à quelques-uns. Oui, je crois que l’on peut préserver l’égalité (Protestations sur les travées de l'UMP.),…
M. Alain Gournac. Et vous y croyez ?
M. Emmanuel Macron, ministre. … la sécurité juridique et les fondements de notre République – c'est ce que fait ce texte de loi – et, en même temps, créer de l’activité et réformer.
M. Alain Gournac. Et vous y croyez ?
M. Emmanuel Macron, ministre. La réforme doit être partagée par tous, de même que l’effort ne vaut que s’il est partagé par tous. C'est ainsi qu’ils seront efficaces ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à la suite des intempéries dans le sud
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe UMP.
M. Alain Marc. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, lequel est d’ailleurs déjà intervenu sur le sujet que je vais aborder.
L’Aveyron a connu il y a quelques jours, comme d’autres départements du sud de la France – l’Hérault, l’Aude, le Var et les Pyrénées-Orientales –, des intempéries d’une violence inouïe.
Je tiens à saluer ici la mobilisation exceptionnelle des secours – pompiers, gendarmes, policiers –, mais aussi la qualité de l’action des bénévoles qui, par solidarité et avec efficacité, sont intervenus auprès des sinistrés.
La ville de Saint-Affrique, par exemple, a subi des inondations catastrophiques d’une importance jamais connue dans l’histoire de cette commune de 9 000 habitants. Vous avez été très réactif, monsieur le ministre, en prenant quelques arrêtés de catastrophe naturelle pour que les biens assurés bénéficient de cette procédure. Je vous en remercie au nom des populations concernées.
Toutefois, nous apprenons ce matin que dix communes de l’Aveyron – Coupiac, Tournemire, Saint-Rome-de-Cernon, La Bastide-Pradines, Brousse-le-Château, Combret, Lapanouse-de-Cernon, Martrin, Saint-Beauzély, Saint-Juéry – n’ont pas bénéficié à ce jour de l’arrêté de catastrophe naturelle. Je sais que vous allez faire le maximum, monsieur le ministre, pour que soient résolus le plus rapidement possible ces problèmes qui, semble-t-il, sont d’ordre technocratique.
Nous ne comprendrions pas, en effet, que ces communes qui ont subi des dégâts très importants ne soient pas retenues dans cette catégorie, et nous attendons une réponse de votre part sur ce sujet.
Pour ce qui est des biens non assurables des collectivités locales touchées par ces intempéries, les dégâts se chiffrent, dans un département comme l’Aveyron, à plusieurs millions d’euros. Il s’agit du patrimoine routier, comme les chaussées et les ponts, ce qui représente de 3 à 4 millions d’euros pour le seul conseil général de l’Aveyron, mais aussi de stades et de nombreuses autres infrastructures de communes et communautés de communes.
Monsieur le ministre, nous en appelons à la solidarité nationale, que ce soit au travers du fonds de solidarité ou, éventuellement, au travers de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.
Vous avez annoncé récemment, avant les intempéries, une augmentation sensible de la DETR au niveau national. L’urgence et la gravité de la situation pourraient-elles permettre de flécher cette augmentation vers les départements qui ont le plus souffert de ces événements climatiques d’une grande violence, même si ce n’est pas la vocation initiale de ce fonds ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les inondations et les intempéries qui ont eu lieu dans l’Aveyron et la situation des communes particulièrement touchées – je pense notamment à la commune de Saint-Affrique, que vous avez citée.
J’ai souhaité qu’un arrêté de catastrophe naturelle soit pris lors du conseil des ministres qui a eu lieu juste après ces intempéries, de manière à ce que l’indemnisation des collectivités concernées puisse être effective dans des délais brefs. Néanmoins, vous avez raison de dire que, si cet arrêté permet à 23 communes de demander une indemnisation, certaines n’ont pas été retenues.
J’ai indiqué à certains de vos élus que, dans les dix prochains jours, il pourra être procédé à l’examen attentif de la situation de ces collectivités, afin qu’aucune commune victime de ces intempéries ne soit laissée sur le bord du chemin.
Nous devons faire en sorte que les financements interviennent rapidement pour les 23 communes de l’Aveyron et pour la dizaine dont la situation est encore en cours d’examen, comme pour les 178 communes des autres départements concernées par ces arrêtés.
Vous avez également évoqué la dotation d’équipement des territoires ruraux, dont le Premier ministre a annoncé qu’elle serait augmentée assez significativement en 2015. Vous me demandez s’il est possible d’affecter cette dotation aux collectivités locales qui ont fait l’objet d’intempéries.
Deux éléments de réponse peuvent vous être apportés.
Tout d’abord, il appartient au préfet de déterminer, en concertation avec les élus locaux, les conditions d’allocation de ces fonds – c’est le sens des instructions que je leur ai données, tout particulièrement pour les départements touchés par les inondations.
Ensuite, il est souhaitable et possible de cumuler la dotation d’équipement des territoires ruraux avec le fonds « calamités » et le fonds « catastrophes naturelles », dans une limite de 80 % de taux de subvention pour les collectivités locales concernées.
Voilà quelles sont les règles. Vous pouvez constater, monsieur le sénateur, qu’elles permettent une concertation avec les collectivités et une indemnisation dans de bonnes conditions.
S’y ajouteront les mesures que j’ai annoncées précédemment à votre collègue Collombat et qui s’inscrivent dans le cadre de la réforme du processus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. En effet, il ne sert à rien d’examiner rapidement les arrêtés en conseil des ministres si le délai d’application est long : au final, on n’aurait alors rien gagné par rapport à la situation qui prévalait avant l’instauration de la procédure accélérée.
Il faut donc fusionner les fonds, simplifier les inspections et augmenter les avances pour permettre aux collectivités locales les plus affectées par ces catastrophes naturelles d’être indemnisées avant même la présentation des factures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
lancement de la fusée ariane 6
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe socialiste.
M. Antoine Karam. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne, qui s’est tenu à Naples en novembre 2012, a abouti à un accord sur Ariane 6. Cet accord historique prévoit de développer un nouveau lanceur, sans passer finalement par Ariane 5 ME.
On le sait, la France est à la pointe de l’Europe dans le domaine spatial, grâce à ses entreprises et à son engagement pour renforcer les investissements et les projets. Mais c’est aussi grâce à la Guyane et au Centre spatial guyanais que nous pouvons offrir le lanceur le plus fiable du monde.
Madame la secrétaire d'État, cet accord couronne la dynamique que vous avez enclenchée. Grâce au Comité de concertation État-Industrie sur l’espace, le CoSpace, que vous présidez avec les ministres de la défense et de l’économie, vous avez réuni l’ensemble des acteurs de cette filière pour constituer « l’équipe de France du spatial ». Avec l’agenda stratégique France Europe 2020, vous avez remis l’État à sa place de stratège pour donner du sens aux projets de recherche, qui sont essentiels pour l’avenir.
Il y a quelques jours, le monde se tournait vers la sonde Philae, succès majeur pour l’Agence spatiale européenne, le CNES, ainsi que tous les laboratoires et les chercheurs qui ont contribué à sa conception. C'est un signe fort de l’investissement pour la recherche et nos universités, lequel doit être sanctuarisé et renforcé.
Toutefois, madame la secrétaire d'État, permettez-moi aussi de rappeler que la Guyane attend davantage d’engagements de la part de l’État et que les Guyanais ont besoin d’actes concrets et rapides.
Que dire aux Guyanais qui, à quelques kilomètres de Kourou, n’ont toujours pas accès à l’eau potable ou à l’électricité, et encore moins à Internet ou à un réseau mobile ? Que leur répondre quand, faute d’aménagements, la circulation des biens et des personnes est toujours extrêmement difficile ?
Faut-il rappeler, encore, que le taux de chômage y est trois fois plus important qu’au niveau national et qu’un jeune sur deux est sans emploi ?
Il y a, vous le savez, un grand paradoxe en Guyane : d’un côté, le Centre spatial de Kourou, qui est un fort levier d’attractivité ; de l’autre, des infrastructures qui ne suivent pas le développement démographique de la région. Ne sacrifions donc pas le développement de la Guyane sur l’autel de la réduction des déficits !
On ne comprendrait pas qu’Ariane 6 soit toujours, comme le disait François Mitterrand, une « fusée lancée sur fond de bidonvilles » et que le déséquilibre territorial entache l’image de la réussite du spatial en Guyane.
Pour conclure, madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les retombées attendues en termes d’emploi et de compétitivité pour nos entreprises installées en Guyane ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, tout d’abord, je tiens à féliciter l’ensemble des équipes d’Arianespace et du CNES, qui ont réussi avec succès le soixante-troisième lancement d’affilée d’Ariane samedi dernier à Kourou. (Applaudissements.)
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, le conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne a pris le 2 décembre dernier, à Luxembourg, une décision historique, celle de développer, sans passer par Ariane 5 ME, un nouveau lanceur Ariane 6, qui remplacera Ariane 5 à compter de 2020.
Vous le savez, le secteur spatial est extrêmement concurrentiel et nous nous devions de réagir au niveau européen. Cette décision est aussi le fruit de l’engagement sans faille de l’ensemble des acteurs du public et du privé, que, avec mes collègues Jean-Yves Le Drian et Emmanuel Macron, j’ai voulu réunir dans un conseil commun, le CoSpace. Il a ainsi été possible de concevoir un nouveau lanceur dont les spécifications convenaient à tous, pour des vols tant scientifiques que stratégiques ou commerciaux, et qui nous permettait d’être concurrentiels.
Il était extrêmement important que nous prenions cette décision. Ce lanceur modulaire et compétitif nous permettra de rester en tête au niveau international.
Après un effort de conviction absolument déterminant auprès de nos partenaires allemands, cette décision prise à Luxembourg représente pour l’ensemble de la filière un investissement de 8 milliards d’euros dans les dix années à venir et de 4 milliards d’euros pour la seule filière Ariane 6.
En ce qui concerne le Centre spatial guyanais, il a pu en effet, à sa création, être considéré comme une enclave sur le territoire guyanais. Pourtant, aujourd’hui, la situation a changé : quelque 75 % de son personnel sont guyanais.
M. Alain Gournac. Oui !
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Le centre représente 9 000 emplois directs et indirects et 15 % du PIB du territoire. Ce développement profite donc directement aux Guyanais. De plus, de 30 % à 40 % des appels d’offres bénéficient à des entreprises guyanaises.
Le fait d’avoir décidé de lancer Ariane 6 nous permettra de réaliser un investissement de 600 millions d’euros dans les années à venir à Kourou. Les entreprises locales seront concernées et les collectivités territoriales devront, avec notre aide, davantage former les jeunes.
C'est la raison pour laquelle l’IUT de Kourou développe des filières de formation au spatial. Son président n’est autre que le directeur du Centre spatial guyanais, lequel s’engage également financièrement.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d'État.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. Par ailleurs, l’université de Guyane a été créée pour renforcer la formation et permettre aux jeunes de bénéficier de la filière du spatial, qui est une grande filière d’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Dominati. Très bien !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communications relatives à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 et du projet de loi de finances pour 2015 ne sont pas parvenues à l’adoption d’un texte commun.
Par ailleurs, j’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
8
Plans de prévention des risques technologiques
Rejet d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe CRC, l’examen de la proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Marie France Beaufils et plusieurs de ses collègues (proposition n° 128).
Dans le débat, la parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la proposition de résolution
Mme Marie-France Beaufils, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les noms d’AZF, de Seveso ou de Bhopal portent en eux des drames ayant marqué l’histoire du monde industriel. Ces catastrophes ont traumatisé des milliers de salariés et détruit des familles entières habitant à proximité de ces entreprises.
Ces catastrophes technologiques ne relèvent pas de la fatalité ; elles ne sont pas le résultat de je ne sais quel phénomène non prévisible. Plusieurs millions de nos concitoyens – 8 millions en 2012 – côtoient au quotidien le risque industriel. Ils méritent que nous leur portions une attention particulière, d’autant qu’ils ne portent aucune responsabilité dans cette prise de risque imposée par l’activité industrielle.
Je me félicite que nous puissions défendre aujourd’hui, devant notre assemblée, cette proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques, les PPRT. Souhaitons que ce texte soit également inscrit à l’Assemblée nationale, pour qu’il puisse entrer en vigueur. Ce ne serait là que justice rendue à tous les riverains qui vivent aujourd’hui dans l’angoisse de situations non résolues.
Les causes de ces sinistres, une fois analysées, nous montrent qu’ils auraient pu être évités. Pour le moins, leurs conséquences auraient pu être atténuées. Malheureusement, les mesures adéquates n’ont pas toujours été prises en amont. L’information, la prévention, les mesures de sécurité, la réglementation, l’investissement nécessaire, la formation des salariés, l’écoute des riverains, rien de cela n’a été suffisamment traité au niveau nécessaire, afin d’en mesurer les conséquences.
Le fonctionnement des entreprises concernées a souvent répondu à d’autres critères que celui du développement économique et humain et du respect de l’environnement.
Certaines de ces sociétés – des multinationales – ont eu pour seule motivation le profit maximum et immédiat. Souvent, dans ces entreprises, les salariés n’ont pas vraiment leur mot à dire. Le voisinage commence tout juste à pouvoir s’exprimer sur les nuisances subies, à partir des discussions mises en place dans les comités locaux d’information et de concertation, devenus des « commissions de suivi de site », une appellation qui n’a ni le même sens ni le même contenu.
L’urbanisation galopante a concentré les habitations autour des usines. Bien souvent, pour les sites les plus anciens, ce sont les salariés eux-mêmes qui ont été installés à proximité. Dans d’autres cas, c’est l’activité qui s’est développée et rapprochée de l’habitat. Ces proximités non maîtrisées ont fini par créer des zones où les dangers sont réels. Il était utile de réglementer.
La gravité des catastrophes a contraint les instances européennes et chaque gouvernement à réagir et à prendre des mesures. Après la publication d’une série de rapports et la constitution de plusieurs commissions d’enquête, des décisions réglementaires ont été prises et une loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite aussi « loi Bachelot », a été débattue au Parlement et promulguée en juillet 2003.
Qu’en est-il aujourd’hui de ce texte ? Répond-il aux besoins ? Est-il conforme avec le contenu du rapport parlementaire rendu en janvier 2002, dit « rapport Loos » ? Nous sommes-nous donné les moyens de protéger les riverains et de maîtriser l’urbanisation autour de ces entreprises ? Les situations sont diverses, mais il semble bien que l’on soit encore loin du compte.
Tout d’abord, ce texte remet en cause des principes constitutionnels fondamentaux. Depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le droit de jouir de sa propriété est établi, et cette liberté de l’un – l’industriel, en l’occurrence – s’arrête là où commence celle de l’autre – les riverains, dans le cas présent. L’industriel qui crée le risque doit donc prendre les mesures pour le contenir dans les limites de son usine. Les riverains et collectivités locales concernés sont en droit d’attendre que l’État les accompagne pour faire respecter ce principe et, ainsi, assurer la sécurité publique.
On le voit, notre pays a une longue tradition législative en la matière, mais la loi Bachelot reporte les obligations et la responsabilité sur les victimes potentielles.
La directive Seveso 3, applicable le 1er juin 2015, rappelle ces principes fondamentaux, en précisant la responsabilité de l’industriel dans la maîtrise des risques dont il est lui-même à l’origine. Dans son article 5, alinéa 1, la directive précise que « les États membres veillent à ce que l’exploitant soit tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir les accidents majeurs et pour en limiter les conséquences pour la santé humaine et l’environnement. »
Aux termes de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’atteinte portée à la propriété privée, lorsqu’elle est justifiée par le critère d’utilité publique, doit trouver une compensation dans « une juste et préalable indemnité ». Quant à la loi Bachelot, elle oblige les collectivités et les riverains à des dépenses importantes pour assurer la sécurité des biens ainsi exposés et impose aux collectivités d’y participer.
La Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso s’est fait le porte-voix des associations qui représentent les habitants de ces sites. Elle constate aujourd’hui que la loi Bachelot et les textes qui la sous-tendent n’ont pas répondu aux demandes des riverains.
Après plus de dix ans, quel bilan dresser de ce texte ? À ce jour, 80 % des plans prescrits ont été approuvés. De nombreux sites font actuellement l’objet d’une instruction et quelques-uns, très complexes, n’ont pas de PPRT prescrit. L’objectif du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie – que 95 % des PPRT soient réalisés avant la fin de l’année – ne peut être atteint dans de telles conditions.
Une révision de la loi est urgente. Reporter les coûts des mesures de protection sur les habitants et sur les communes n’est pas la solution. C’est ce que les riverains nous disent, et nous devons les écouter. Ce sont les premiers concernés ! Leurs associations doivent être associées à la définition de leur sécurité.
Pour que les riverains puissent enfin faire respecter leurs droits, la loi doit être revue. À cet égard, le moratoire ne serait en aucune façon une perte de temps : il permettrait d’analyser avec pertinence les raisons des difficultés rencontrées et d’apporter les modifications nécessaires pour que le texte, dont la fonction est d’assurer aux habitants une réelle sécurité, soit applicable. Il permettrait de redéfinir de façon précise les responsabilités et de clarifier la question du financement.
L’année supplémentaire que nous gagnerions en votant la proposition de résolution permettrait de régler les situations les plus difficiles à résoudre, qui représentent 20 % du total.
Les collectivités locales ne sont, en général, pas responsables de la présence des habitations à côté de ces sites industriels, comme je l’ai dit tout à l'heure. Les permis de construire ont été bien souvent délivrés, en leur temps, par l’État. Ces collectivités ne voient donc pas pourquoi on leur demande de participer aujourd’hui à des financements, alors qu’elles ne portent aucune responsabilité.
Les habitants, qui, je le répète, sont des victimes potentielles, ne sont pas plus habilités à régler des factures pour se protéger des dangers qu’une entreprise leur ferait subir. Faire payer le tiers à l’entreprise et les deux autres tiers aux riverains et à la collectivité ressemble à la recette du pâté d’alouette… La clarification du financement est donc cruciale.
Comment admettre qu’on laisse aux seuls industriels le soin de déterminer à quelle hauteur doit se faire la diminution du risque à la source ? L’industriel a l’obligation de limiter les dangers à la source autant que les risques, l’État ayant pour responsabilité de faire respecter le principe de prévention et de veiller à la sûreté de l’installation.
Pourquoi laisser la notion de « travaux économiquement acceptables » pour l’industriel prendre le pas sur la définition « du danger acceptable » et, par conséquent, de la sécurité maximale possible ? Il est évident que c’est bien la réduction du danger à l’intérieur de l’usine qui déterminera, à l’extérieur, l’intensité des travaux à exécuter, les différentes zones d’expropriation, de délaissement ou de renforcement des habitations.
Si l’industriel est tenu de financer lui-même tous les moyens d’alerte en direction des riverains et des salariés, c’est bien qu’on le considère comme responsable de ce qui pourrait arriver dans l’environnement de l’usine ! Il est donc admis, a priori, que son activité économique peut porter atteinte à la jouissance des propriétés voisines. Faudra-t-il construire des « bunkers » à proximité de ces sites dangereux, sans avoir de certitude ni de garantie de leur pérennité ?
Je prendrai un exemple, que je connais bien, puisqu’il est situé sur ma commune de Saint-Pierre-des-Corps, où les riverains du site de stockage et de mise en bouteille Primagaz auront l’obligation de réaliser des travaux de renforcement du bâti. Ils devront remplacer les portes et les fenêtres pour résister, en cas d’explosion, à des surpressions de l’ordre de 50 millibars à 140 millibars. Or aucun matériel, sur le marché, ne résiste à de telles pressions ! Les fabricants de portes et de fenêtres garantissent leur matériel aux surpressions de 15 à 18 millibars maximum. Dans ces conditions, les travaux obligatoires et coûteux ne protègent ni les personnes ni les biens.
Lors d’une explosion, qu’en est-il de la protection des personnes se trouvant à l’extérieur des maisons ? Celles qui sont dans leur jardin ou qui ont laissé les portes et fenêtres de leur maison ouvertes ne sont pas protégées. Toutefois, les riverains situés dans ces zones doivent-ils vivre enfermés dans les maisons aux portes et fenêtres closes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au nom d'une sécurité qui ne les protège pas ? Nier ces évidences pourrait être qualifié de mise en danger d’autrui.
L’industriel peut se sentir exonéré de ses obligations d’assurer la sûreté des installations en faisant participer les riverains au financement des travaux sur leurs habitations. La loi Bachelot implique, de fait, la responsabilité de ces derniers. Ne serait-ce pas un subterfuge pour leur refuser, en cas d’accident, des indemnités compensatoires auxquelles ils pourraient prétendre ?
Comme nous l’avons souligné dans l’exposé des motifs, « la loi, votée après bien des versions, inverse cette tradition législative au bénéfice exclusif des industriels. » Les travaux imposés aux habitants devraient être totalement financés. Un logement équivalent devrait leur être proposé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pourquoi ne pas instituer, comme le rapport Loos le préconisait, un fonds spécial dédié à la réduction des risques à la source, ce qui amoindrirait la charge des riverains ?
Comment comprendre que l’industriel puisse refuser des prescriptions qu’il estime trop onéreuses sans qu’une analyse technico-économique indépendante ait été menée ? Cela ne fait que renforcer la colère des riverains et leur sentiment d’injustice. Le respect du droit de propriété, inscrit dans notre Constitution, ne peut être aliéné par un industriel. L’État doit faire respecter ce droit !
La diminution du risque à la source est la prescription portée dans la loi Bachelot. Cette notion est-elle suffisante ? Prend-elle réellement en compte le danger encouru par les populations ?
La directive Seveso 3, qui remplacera Seveso 2, pose la question en termes de danger, qu’elle définit comme « la propriété intrinsèque d’une substance dangereuse ou d’une situation physique de pouvoir provoquer des dommages pour la santé humaine ou l’environnement », le risque, quant à lui, n’étant que « la probabilité » qu’un effet dommageable « se produise dans une période donnée ou dans des circonstances déterminées », soit un élément statistique ! C’est donc bien le danger qu’il faut diminuer à la source, et pas seulement le risque.
On le voit, l’évaluation des risques est un outil de gestion, certes utile, qui permet de calculer si, comment et dans quelle situation précise un effet dommageable se produira, mais c’est la suppression du danger à la source, lorsqu’elle est possible, qui constitue la solution.
Je reviens au site de Primagaz à Saint-Pierre-des-Corps. La notion de réduction du danger est primordiale. Une rupture de canalisation est à la base de l’étude de danger du site : une explosion du gaz qui s’en échappe déclencherait un effet domino, compte tenu des bouteilles de gaz qui y sont stockées et pourraient être projetées vers les habitations.
Si, au contraire, les bouteilles de gaz étaient stockées au nord-est de l’usine, à proximité d’une zone sans habitation, le danger à la source serait réduit et les zones du PPRT seraient modifiées, avec moins de maisons touchées. Cependant, selon le critère de « l’économiquement acceptable », le coût de participation de l’entreprise à l’expropriation est moins élevé que celui de la restructuration du site…
On voit bien que la réduction du danger à la source éviterait une double peine pour les habitants. Ceux-ci ne souhaitent pas seulement savoir quelle sera la probabilité d’un tel sinistre. Ils veulent qu’on en élimine les causes, surtout lorsque c’est possible. Il faut les écouter !
Dans la mesure où la directive Seveso 3 modifie l’approche de ces situations, il serait raisonnable d’attendre sa transposition complète et de partir de ce nouveau texte.
Les modifications de normes et de textes faisant évoluer les contraintes, les travaux effectués aujourd’hui seront-ils encore valables demain ? On pourrait en douter…
L’expérience nous montre que les différentes études de dangers accumulées au cours des ans conduisent à faire payer des sommes disproportionnées à des habitants qui ne font que subir, pour des résultats qui ne sont pas toujours à la hauteur. Ne faudrait-il pas se poser la question, lorsque cela est possible, du déplacement de ces activités industrielles qui pourraient d’ailleurs réduire le danger dans un site repensé ? C’est dans l’intérêt de l’entreprise, des riverains et des salariés qui trouveraient ainsi des conditions de travail plus sécurisantes.
Le moratoire se justifie d’autant plus que la directive Seveso 3 arrivera dans la même période. Donnons-nous un peu de temps, ce ne pourra qu’être profitable.
En diminuant la probabilité d’accidents, on ne fait qu’atténuer les conséquences d’un accident éventuel. C’est donc bien à la dangerosité qu’il faut s’attaquer, en ayant malheureusement toujours à l’esprit que le risque zéro n’existe pas.
Si les textes législatifs et réglementaires sont souvent complexes à décrypter, le maquis des financements est aussi obscur. La loi Bachelot ne permet pas une approche directement lisible par les citoyens, ce qui permet à certains industriels de se cacher derrière des formules dont seuls quelques spécialistes détiennent les codes de lecture.
Donner la possibilité aux riverains et aux collectivités de pouvoir faire des contre-propositions en s’entourant d’organismes experts indépendants permettrait certainement de négocier différemment des mesures adaptées.
Le moratoire permettrait de se donner du temps pour mieux préciser ces éléments du financement. Je n’entrerai pas dans le maquis des textes qui, pour le riverain d’un site Seveso, s’apparente à un parcours du combattant indescriptible. Les diverses lois de finances ont modifié les modalités et placé les habitants dans des processus de financement toujours différents.
On arrive quelquefois à des situations extrêmes où l’expulsion du logement est la seule solution préconisée. Si effectivement la réduction du danger est jugée suffisante pour des raisons de coût financier, c’est le riverain qui paye le prix fort. Cela conduit à prendre des décisions inhumaines pour des habitants, souvent de condition modeste et qui sont là depuis des décennies.
Dans ma ville, 106 maisons sont concernées. Je connais un couple de modestes retraités âgés de 85 ans. Ils habitent leur maison depuis cinquante-cinq ans, l’ont aménagée au fil des années et en sont devenus propriétaires. Aujourd’hui, ils risquent d’être expropriés. Quitter cette maison serait un drame humain pour eux. Ils souhaitent rester vivre dans leur maison, dans le quartier qu’ils connaissent et où ils sont connus. Même avec les indemnités d’expropriation, ils n’auront pas les moyens financiers de se reloger à l’identique dans l’agglomération tourangelle, les coûts ayant fortement augmenté ces dernières années. De nombreux autres exemples de personnes habitant ce quartier ou d’autres quartiers similaires connaissent la même situation. L’expropriation est vécue comme une violence d’autant plus importante que les personnes sont là depuis longtemps et sont âgées.
La loi Bachelot, si elle est une avancée, est néanmoins perçue par de nombreux riverains comme très injuste et peu respectueuse de leurs droits fondamentaux. Elle ne devrait pas faire participer financièrement les riverains à des travaux de sécurisation dont l’unique responsabilité, je le répète, repose sur les industriels. Ce sont en général de grosses sociétés qui sont en capacité d’assurer la sécurité maximale, en réduisant le danger à la source, pour leurs salariés comme pour les riverains.
Bien souvent, les riverains connaissent les sites qui sont à proximité ; ils ont toujours porté de façon tranquille leurs revendications, les soumettant dans les réunions publiques, les faisant partager par leurs maires, les exposant aux différents préfets, aux élus, les adressant aux industriels, en tentant de les présenter aux ministres successifs. Ils se sont constitués en associations puis regroupés au sein d’une coordination nationale, pour mener une réflexion en profondeur et défendre les intérêts de tous les riverains des sites Seveso. Il est temps que leur voix soit entendue et que ce ne soit pas seulement une consultation comme celle à laquelle on se livre dans le cadre des PPRT.
Les riverains de ces sites ont toujours tenté de convaincre par le dialogue, et n’ont pas été entendus. Écoutez les riverains des sites Seveso, monsieur le secrétaire d’État, écoutez leurs élus. Ils comptent aujourd’hui sur les parlementaires que nous sommes pour que leurs voix soient prises en compte, que leurs conditions d’existence soient complètement respectées et que les entreprises prennent enfin les mesures adéquates pour leur bon fonctionnement et le respect de l’environnement.
Ils comptent sur vous tous, chers collègues, pour que le moratoire soit voté au Sénat puis, dans un deuxième temps, à l’Assemblée nationale. Une remise à plat de la loi Bachelot doit être amorcée pour rendre applicable un texte dans l’intérêt commun des entreprises et des riverains de ces sites.
Cette loi votée en 2003 devait être mise en œuvre dans sa totalité en 2008 et les PPRT finalisés. Nous sommes en 2014 et l’inquiétude est grande chez nombre de nos concitoyens. Cette loi, les règlements, les innombrables circulaires, montrent qu’il ne suffit pas d’ajouter des textes réglementaires pour qu’une loi qui n’est pas adaptée le devienne subitement.
La loi Bachelot, si elle a bien acté une situation, n’a pas donné complètement les moyens de la résoudre ; elle a probablement été une étape. Nous sommes au milieu du gué et avons besoin de passer le mauvais cap dans lequel se trouvent de nombreux concitoyens. Quelques rustines ont été posées à la hâte, comme dernièrement encore le crédit d’impôt qui pourrait paraître séduisant mais qui contraint les riverains à débourser des sommes importantes. D’autres, comme le plafonnement du coût à 20 000 euros, traduisent bien l’impossibilité d’imposer aux riverains le prix réel de leur sécurité.
Il est temps de mettre entre parenthèses jusqu’au 1er septembre prochain l’application de ce texte et de se mettre autour de la table avec les représentants des associations riveraines, les entreprises et l’État pour lever les obstacles à un véritable traitement de la situation vécue dans l’angoisse par nos concitoyens qui vivent à proximité de ces zones dangereuses, et de réviser la loi Bachelot pour que la vie des riverains redevienne vivable pour tous.
Pourquoi se polariser sur les travaux concernant les habitations alors que c’est la réduction du danger à la source qui peut réduire d’autant les dépenses sur les habitations ? Réduire les dangers à la source, c’est réduire les risques pour les habitants de se voir touchés par un accident aux conséquences incalculables.
C’est bien de ce principe qu’il faut partir afin de maîtriser au mieux la sécurité dans ces entreprises, utiles pour l’emploi, utiles pour la croissance, utiles pour notre économie. Ce ne sont pas les activités de ces entreprises qui sont remises en cause, mais bien les conditions de la production, qui ne peut se faire au détriment des salariés, des riverains, de l’environnement.
On entend souvent dire qu’il y aurait trop de normes, trop de code du travail, trop de code de l’environnement. L’exemple des PPRT nous montre une fois de plus que si nous voulons vivre dans une société civilisée, ce ne peut pas être au détriment des conditions de vie des habitants et des conditions de travail des salariés. L’investissement dans la sécurité de nos entreprises relève de l’intérêt des entreprises elles-mêmes, de l’intérêt général.
Vouloir nous faire croire que la compétitivité ne peut se réaliser que dans une jungle économique où tous les coups seraient permis, c’est prôner un type de société peu respectueux de ses habitants, de tous ceux qui créent les richesses, de tous ceux qui participent au développement de notre pays. Il est temps que nous puissions réfléchir à produire autrement pour que les hommes et la nature soient au centre de nos préoccupations économiques, tout en privilégiant les productions socialement utiles.
Je réduis mon propos afin de respecter mon temps de parole, monsieur le président.
Ce qui est inacceptable, aujourd’hui, c’est de laisser des milliers de nos concitoyens vivre dans l’insécurité et dans l’incertitude du lendemain. C’est pourquoi la révision des PPRT est une véritable épée de Damoclès.
La recherche et l’innovation ne peuvent être réservées à la seule recherche de rentabilité de la production. Elles doivent être développées pour que les dangers soient réduits au maximum, pour que l’environnement soit respecté. Ce ne sont pas des dépenses superflues, ni somptuaires, ce sont des dépenses utiles socialement, écologiquement et économiquement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Joël Labbé et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la gestion et la prévention des risques industriels et technologiques se sont brutalement imposées à nous après l’accident survenu à l’usine AZF de Toulouse le 21 septembre 2001. Les pouvoirs publics, que ce soient l’État, les parlementaires ou les collectivités, ont souhaité en tirer immédiatement les conséquences par la loi dite Bachelot du 30 juillet 2003. Son objectif était de renforcer les modalités de prévention des risques technologiques et naturels, et d’améliorer l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques.
L’insuffisante prise de conscience de l’existence du risque à tous les niveaux de la société et le fait que le risque zéro n’existe pas ont poussé le législateur à mettre en œuvre des mesures responsabilisant tous les acteurs : industriels, élus et citoyens. Parmi celles-ci, la mesure essentielle de cette loi fut l’élaboration des plans de prévention des risques technologiques, ou PPRT.
Ces PPRT sont des outils de maîtrise de l’urbanisation qui doivent normalement permettre de résoudre les situations difficiles en matière d’urbanisme héritées du passé et de mieux encadrer l’urbanisation future, en déterminant un zonage en fonction du type de risques et de leur gravité.
Ils concernent tous les établissements soumis au régime de l’autorisation avec servitudes s’apparentant aux sites Seveso seuil haut et visent à améliorer la coexistence des sites industriels à hauts risques existants avec leurs riverains, en améliorant la protection de ces derniers tout en pérennisant les premiers.
C’est tout cet équilibre entre prévention du risque et maintien de l’activité économique et de l’emploi qui constitue la principale difficulté des PPRT. Un subtil mélange qui a parfois fait naître des tensions entre les différents acteurs, y compris avec les collectivités et leurs élus, qui jouent un rôle de modérateur et de conciliateur défendant au mieux les intérêts de leur territoire et de leurs habitants.
La proposition de résolution qui nous est présentée pointe du doigt de réelles difficultés, mais prévoit une solution excessive.
Nos collègues du groupe CRC, auteurs de cette proposition de résolution, considèrent que les PPRT ne sont pas adaptés aux objectifs qui leur sont attachés. Ils estiment que les difficultés de mise en place de ces PPRT se traduisent par de fortes insécurités pour les riverains des sites Seveso et qu’ils ne respectent pas l’esprit de la loi initiale. Ils considèrent qu’il faut revoir la législation pour améliorer la sécurité et la sûreté des citoyens, diminuer le danger à la source, revoir les modes de financement et redéfinir la notion d’« économiquement acceptable ».
Les objectifs sont louables et peuvent être partagés ; néanmoins la solution prévue par cette proposition de résolution, à savoir un moratoire sur les PPRT, est disproportionnée.
Un moratoire signifie un arrêt total de la mise en place des plans de prévention pour les 25 % restants. Ce serait nuisible aux riverains, aux industriels, aux collectivités et, au final, à la sécurité générale. Un moratoire signifie que ce qui avait été proposé, et donc les PPRT existants, ne répond pas aux objectifs de prévention des risques. Tel n’est pas le cas.
Un moratoire introduit selon nous une véritable insécurité juridique préjudiciable aux riverains et à l’économie locale. Ce n’est donc pas la bonne méthode pour traiter des questions de sûreté industrielle.
De premières adaptations de la loi de 2003 ont été mises en œuvre, mais une réflexion plus globale est nécessaire. Eu égard aux difficultés déjà exprimées ici, des mesures d’adaptation ont été prises, tout en garantissant l’attractivité et la compétitivité de notre pays.
Ainsi, une circulaire du 25 juillet 2013 fixe les modalités particulières pour l’élaboration des PPRT des principales plateformes économiques du territoire. Il s’agit de permettre l’implantation de nouvelles activités dans certains grands ensembles industriels tout en maintenant un haut niveau de sécurité. Les PPRT sont alors envisagés comme un atout pour le développement industriel.
La circulaire définit les principales règles qui seront applicables aux grandes plateformes industrielles. Pour ces entreprises disposant d’une culture du risque technologique, les extensions ou nouvelles implantations seront autorisées sous réserve de protéger les salariés exposés aux risques.
De plus, dans le cadre du projet de loi de simplification des entreprises récemment adopté, un amendement gouvernemental visant à adapter les dispositions PPRT aux activités économiques a été voté.
Deux nouvelles dispositions visent donc à lever les difficultés d’application pour les entreprises riveraines des sites à risques.
La première consiste à offrir la possibilité à ces entreprises de mettre en œuvre des mesures alternatives aux mesures d’expropriation et de délaissement. Celles-ci pourront bénéficier d’un financement tripartite - industriels à l’origine du risque, État, collectivités -, dans la limite du montant des mesures foncières évitées.
La seconde disposition consiste à assouplir les obligations de travaux de renforcement des locaux des entreprises riveraines, en ouvrant le recours à d’autres méthodes de protection des personnes, telles que des mesures organisationnelles dans le cadre des autres réglementations applicables.
Ces nouvelles mesures ont déjà permis d’approuver 300 PPRT sur les 407 à réaliser en France. Leur nombre a donc significativement augmenté depuis le moment où nos collègues ont déposé leur proposition de résolution.
Ces adaptations par petites touches viennent tout de même conforter l’analyse globale de la nécessaire adaptation de la loi Bachelot de 2003. Il nous revient, en tant que sénateurs, de contrôler la bonne application de la loi et de son esprit. C’est pourquoi, mes chers collègues, plutôt qu’un moratoire, je vous propose que notre assemblée se saisisse de ce sujet et réalise un véritable travail de contrôle, sous la forme d’un rapport d’information.
À l’issue de ce travail, nous pourrions proposer toutes les mesures législatives nécessaires pour améliorer le droit existant. Nous ferions ainsi œuvre de production législative sans créer de rupture avec ce qui existe déjà.
En conclusion, mes chers collègues, vous comprendrez que le groupe UDI-UC sera défavorable à l’adoption de cette proposition de résolution.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en septembre 2001, l’usine AZF de Toulouse explose, causant 31 décès, 2 242 blessés et détruisant 30 000 foyers. La France découvre alors qu’une partie de ses citoyens vit exposée à des risques industriels majeurs, conséquence d’une urbanisation toujours plus proche des sites industriels.
En mars 2013, le dégagement accidentel, dans l’usine de Lubrizol, près de Rouen, d’un produit dont l’odeur est proche de celle du gaz naturel est ressenti jusqu’à Paris, provoquant la panique dans son sillage ; de nombreux services de secours seront submergés.
Entre ces deux accidents aux origines et conséquences bien différentes, douze ans ont passé. Douze ans pendant lesquels la question des risques industriels a fait l’objet de plans d’action gouvernementaux mis en musique via des lois, décrets et autres circulaires... Douze ans de construction d’une culture du risque en France qui peine encore à se développer.
Toutefois, force est de constater que les acteurs locaux concernés que sont les collectivités et les industriels semblent avoir entamé un dialogue à travers les PPRT.
Cet outil ne concerne pour l’instant que les sites les plus dangereux de type Seveso, classés comme tels du fait de la présence en quantité importante de substances dangereuses.
La directive européenne 96/82/CE, dite « directive Seveso », distingue deux types d’établissements selon la quantité totale de matières dangereuses stockées ou utilisées : les établissements Seveso « seuil haut » et les établissements Seveso « seuil bas ».
Si les mesures de sécurité et les procédures prévues par la directive varient selon le type d’établissements afin de conserver une certaine proportionnalité, l’étude de dangers constitue la clef de voûte du dispositif. Elle sert de base à l’élaboration des PPRT en France, et vise à minimiser les risques à la source, à prévoir les effets d’un accident, à limiter les dégâts humains et matériels sur site et en dehors et à organiser le recours aux services de secours, le tout en relation avec les collectivités.
Les industriels doivent également, depuis peu, travailler de concert. C’est en tout cas ce que souhaite l’État français à travers sa nouvelle doctrine, présentée en avril 2013, en matière de gestion des risques industriels : mutualisation des procédures, des équipements de protection, des études de dangers... L’exercice semble déroutant pour les industriels : alors qu’ils commencent seulement à maîtriser le dialogue avec les collectivités, les voilà sommés d’échanger entre eux ; un exercice à l’épreuve du terrain.
Que ce soit en France ou en Europe, les politiques de gestion des risques industriels se construisent donc au rythme des accidents. Ce retour d’expérience est nécessaire et participe progressivement à la mise en place d’un dialogue entre les acteurs locaux concernés.
Votée à la suite de la catastrophe d’AZF de 2001, la loi du 30 juillet 2003, dite « loi Bachelot », prévoit la mise en place de PPRT autour des installations à « haut risque » et une meilleure maîtrise de l’urbanisation autour de ces sites via des actions de protection.
L’usine AZF, classée Seveso 2, propriété de la société Grande Paroisse, filiale de Total, avait alors été entièrement détruite. L’ancien site chimique, qui s’étendait sur soixante-dix-huit hectares, a aujourd’hui fait place à un projet de cancéropôle, après une opération de dépollution de la zone – menée par Total – qui aura duré trois ans, de la fin de l’année 2004 à 2007.
L’explosion de l’usine AZF a donc mis en lumière les failles de la gestion du risque industriel en France. Si, jusqu’à la catastrophe, la législation visait avant tout une prévention du risque à la source dont l’effort portait essentiellement sur l’exploitant, la loi Bachelot a impliqué l’État, les collectivités locales et les citoyens.
Quelle est la méthodologie des PPRT ?
La loi Bachelot a fixé un nouveau cadre méthodologique autour de ses sites à risque en créant les PPRT. Ces plans délimitent un périmètre d’exposition aux risques autour des installations classées à haut risque, à l’intérieur duquel différentes zones peuvent être réglementées en fonction des risques.
L’étude de dangers constitue la base de la maîtrise de l’urbanisation et de la délimitation du périmètre des plans, dans le but d’assurer la coexistence des sites avec leur environnement, dans des conditions sécuritaires.
Il s’agit de prévenir les risques d’accident et de pollution liés aux installations industrielles et agricoles – notamment les installations classées pour la protection de l’environnement –, aux canalisations de transport de fluides dangereux, à l’utilisation d’explosifs, au transport de matières dangereuses, aux équipements sous pression et à la distribution et à l’utilisation du gaz.
Après une phase de réduction des risques à la source, le PPRT est ainsi prescrit sur un périmètre d’étude issu de l’étude de dangers du site.
Après instruction technique, concertation et enquête publique, le PPRT est approuvé par le préfet et annexé aux différents documents d’urbanisme – plan local d’urbanisme, ou PLU, schéma de cohérence territoriale, ou SCOT, et programme local de l’habitat, ou PLH.
Il prévoit des restrictions sur l’urbanisme futur : restrictions d’usage et règles de construction renforcées. Des aménagements ou des projets de construction peuvent être interdits ou subordonnés au respect de prescriptions. Dans ces zones, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents peuvent instaurer un droit de préemption urbain.
Les PPRT peuvent également prescrire des mesures foncières de protection des populations sur l’urbanisation existante la plus exposée. Ces mesures doivent être prises par les propriétaires et exploitants. Des mesures supplémentaires sont prévues pour réduire le risque à la source sur les sites industriels, si elles sont moins coûteuses que les mesures foncières qu’elles évitent.
Les plans peuvent encore définir des secteurs à l’intérieur desquels l’expropriation peut être déclarée d’utilité publique pour cause de danger très grave menaçant la vie humaine, et ceux à l’intérieur desquels les communes peuvent instaurer un droit de délaissement.
Un plan ministériel a été mis en œuvre pour lever les « blocages » des PPRT.
Les PPRT prévoient des travaux de renforcement à effectuer sur les constructions voisines existantes pour en réduire la vulnérabilité. Toutefois, le financement tripartite – État, industriels, collectivités – de ces travaux a été au cœur des blocages : 407 plans devaient être validés au 31 juillet 2008 ; ils n’étaient que 248, soit un taux de 61 %, à être mis en place au 1er novembre 2013, selon les chiffres du ministère de l’écologie.
L’incident de l’usine chimique Lubrizol, à la fin de l’année 2013, à Rouen, a poussé le ministère à présenter le 11 avril 2013 un nouveau plan d’action afin d’accélérer la mise en œuvre des PPRT : l’objectif est que 75 % d’entre eux soient approuvés à la fin de 2013, et 95 % à la fin de 2014. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Quelles sont les raisons de ce retard ? Outre le financement des travaux prescrits chez les riverains, on regrettera l’absence de mesures d’accompagnement des propriétaires des biens concernés par la mise en œuvre des PPRT.
On pourra évoquer également la complexité des études préalables à mener et la difficulté éprouvée par certains industriels pour finaliser la réduction du risque à la source.
Je tiens ici à saluer l’effort de la plupart des industriels, qui ont investi 200 millions à 300 millions d’euros par an afin de réduire les risques de leurs établissements.
Ces investissements ont permis à ce jour de réduire les zones soumises aux mesures foncières d’environ 350 kilomètres carrés, tandis que près de 2 000 études de dangers ont été instruites.
Autres obstacles pointés : les procédures actuellement applicables sont redondantes et les collectivités de taille modeste ne disposent pas toujours des compétences pour les mener à terme.
Face à ces retards, un nouveau plan de prévention des risques technologiques prévoit douze mesures visant à répondre aux attentes des riverains, élus et industriels.
Il s’agit d’abord de mobiliser les moyens de l’État, notamment par l’élaboration d’un planning ambitieux inscrit dans la circulaire datée du 11 avril 2013 adressée aux préfets.
J’en viens aux pistes de financement des travaux riverains.
Côté financement, l’adoption d’un amendement de notre collègue député Yves Blein en juillet 2013, lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, a porté à 90 % le taux de la prise en charge des travaux imposés aux riverains selon la clé de répartition suivante : 40 % à la charge de l’État sous forme de crédit d’impôt, 25 % à la charge des industriels et 25 % à la charge des collectivités locales.
La loi prévoit désormais que les travaux de protection ne peuvent être prescrits que pour des aménagements dont le coût n’excède pas 20 000 euros pour un particulier – ou 10 % de la valeur vénale du bien –, 5 % du chiffre d’affaires lorsque le bien est la propriété d’une société, et 1 % du budget lorsqu’il est la propriété d’une collectivité.
Le plan prévoit en outre un accompagnement des riverains afin qu’ils bénéficient de micro-crédits et des aides de l’ANAH.
Nous devons donc mieux articuler la politique de prévention des risques avec la politique du logement.
Parmi les pistes de financement, nous pourrions mobiliser les fonds « 1 % logement » pour créer des aides complémentaires ou des prêts à taux zéro et étendre aux bailleurs sociaux et à la maîtrise d’ouvrage d’insertion le crédit d’impôt instauré au profit des propriétaires privés pour financer les travaux de protection prescrits.
Pour notre groupe, les PPRT, qui sont un bon outil, ne doivent pas empêcher le développement des activités économiques. Il s’agit surtout d’éviter que les interdictions et restrictions prévues par les plans de prévention des risques technologiques n’empêchent l’implantation ou le développement d’activités économiques dans les zones concernées.
Dans ces zones, les règles relatives à l’élaboration des PPRT peuvent être adaptées, en tenant compte de la vocation de ces plateformes et de la culture de sécurité des entreprises concernées.
Le 25 juin 2014, soit quelques jours avant son limogeage, Delphine Batho a signé une circulaire mettant en œuvre cette nouvelle doctrine : elle dresse la liste des dix-sept plateformes industrielles concernées et fixe les règles d’acceptation des nouvelles activités industrielles, de protection des salariés exposés aux risques et de gouvernance collective.
Six mois plus tard, cette nouvelle doctrine a-t-elle produit des résultats ? Il existe encore un écart entre la circulaire et la capacité du terrain à y répondre.
S’il y avait bien une demande initiale des industriels à ce que la mise en place du PPRT autour des sites Seveso ne pénalise pas les autres activités économiques, il semble que les plans soient aujourd’hui un peu plus complexes, ce qui nécessite un véritable travail de concertation.
En vérité, le risque zéro n’existe pas, à moins de vouloir vivre dans un environnement confiné, qui rejette tout type de développement.
Mme Évelyne Didier. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Élisabeth Lamure. Il faut non pas nier la dangerosité de certaines installations, mais tenter au contraire d’en maîtriser les risques de façon lucide et responsable.
Les membres du groupe UMP considèrent que les PPRT sont indispensables, car ils permettent aux industriels de poursuivre leurs activités tout en préservant et protégeant les riverains et tout en procédant à une réduction du risque à la source. C’est pourquoi ils voteront contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tout le monde a encore en mémoire les trop nombreux drames industriels de ces dernières décennies qui ont coûté la vie à des milliers de personnes à travers le monde. Bophal, en Inde, c’était il y a trente ans…
Force est de constater que ce phénomène n’est malheureusement pas encore éradiqué, puisque l’usine chimique ayant explosé en Argentine le 7 novembre dernier a fait plusieurs blessés. D’autres accidents ont eu lieu plus récemment encore, comme en Belgique ou en Allemagne, la semaine dernière.
En France, les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT, ont été introduits par la loi, dite « Bachelot » ou loi « Risques », du 30 juillet 2003, à la suite de la terrible catastrophe survenue dans l’usine AZF de Toulouse, en septembre 2001.
Comme cela a été rappelé, parce que c’est leur objet même, ces plans constituent un outil de maîtrise de l’urbanisation autour des établissements industriels à haut risque, qualifiés de « Seveso seuil haut ». Leur finalité est de délimiter des périmètres d’exposition aux risques et de protéger les riverains en agissant non seulement sur la maîtrise de l’urbanisation future, mais aussi sur l’urbanisation existante autour des installations classées AS, ou autorisation avec servitudes.
Au 1er août 2014, 406 PPRT ont été prescrits et 311 approuvés. Ainsi, sur les 407 bassins industriels et plus de 800 communes concernés, 99 % des PPRT prévus sont désormais prescrits et 76 % approuvés.
Si je prends l’exemple de ma région – la Haute-Normandie –, sur les quatorze PPRT, tous sont prescrits et, depuis décembre 2012, six ont été approuvés.
Certes, les premiers cas de mise en œuvre ont révélé des difficultés d’application pour un certain nombre de raisons, parmi lesquelles une concertation insuffisante, collectivités locales, entreprises riveraines et habitants concernés ayant été écartés.
De plus, l’instruction des PPRT est très longue ; en effet, les documents techniques sont nombreux et d’une grande complexité, sans compter le manque d’expertise de l’ensemble des acteurs. Tous ces obstacles ont posé d’indéniables difficultés dans la mise en œuvre de ces plans.
À ces complications générales s’ajoutent des problématiques territoriales qui ralentissent davantage encore leur mise en place. Ainsi, un PPRT peut entraver un projet structurant pour une collectivité du fait de contraintes d’urbanisme imposées. Et on peut regretter un manque d’accompagnement des élus dans certains cas.
Ces retards pris laissent dans l’expectative l’ensemble des forces en présence, en particulier les entreprises riveraines, dont le risque de délocalisation fait peser sur les zones industrielles un phénomène de paupérisation.
En outre, les propriétaires riverains ne peuvent pas accepter de supporter seuls la charge des travaux prescrits sur leurs habitations. Cette charge est jugée très lourde par des habitants qui sont déjà souvent confrontés à des difficultés sociales. Ils rappellent que si le risque existe, ils n’en sont pas responsables et que les conséquences doivent être assumées par les industriels.
À l’énoncé de ces difficultés, la proposition émise par le groupe CRC relative à un moratoire sur la mise en œuvre des PPRT peut paraître légitime, mais elle ne prend pas en compte les nombreuses améliorations introduites depuis 2013 et qui vont permettre d’accélérer la mise en œuvre des PPRT.
Il est intéressant précisément de rappeler les différentes mesures que prescrivent ces plans.
Premièrement, des mesures foncières qui se concentrent sur l’urbanisation existante la plus exposée et pouvant imposer à une collectivité d’acquérir un terrain, dans des périmètres définis.
Deuxièmement, des mesures supplémentaires de réduction du risque à la source sur les sites industriels, plus drastiques que les exigences réglementaires.
Troisièmement, des travaux de renforcement à mener sur les constructions voisines existantes.
Quatrièmement, des restrictions ou des règles sur l’urbanisme futur et les aménagements structurants à proximité du site.
Concernant le financement de ces mesures, je rappelle que les deux premières font l’objet d’un financement tripartite, réparti par convention entre les exploitants des sites industriels, les collectivités territoriales et l’État.
De même, s’agissant des travaux obligatoires, il est à noter que, désormais, la loi prévoit également un financement tripartite au bénéfice des riverains, ce qui n’était pas le cas auparavant, puisqu’ils étaient financés exclusivement par les propriétaires des biens.
Ces mesures ont été saluées comme d’autres, par exemple en Seine-Maritime, où les associations de riverains, en particulier au Havre, approuvent le principe de l’accord AMARIS-UIC-UFIP, qui impose une participation minimale en deux parts égales, entre les industriels à l’origine des risques et les collectivités percevant tout ou partie de la contribution éco-territoriale dans le périmètre couvert par le plan. Ces contributions doivent assurer un financement de 50 %.
Cet ensemble de dispositions a été complété en avril 2013 par le plan Batho, à la suite de l’incident survenu dans la périphérie de Rouen, dans l’usine Lubrizol, et qui facilite aussi l’accélération nécessaire de l’approbation des PPRT, en mobilisant les moyens de l’État.
Je pense ici à la mise en place d’une force d’intervention rapide, la FIR, à la suite de cet incident, tout du moins qualifié comme tel par les autorités et l’entreprise Lubrizol ; au recensement des cas « d’incommodités » via les études de dangers ; enfin, à une meilleure organisation de la communication et de l’information.
Ces trois dispositifs avaient fait cruellement défaut, en particulier auprès des élus.
Pour l’avoir vécu dans ma commune en tant que maire, nous n’avons pas pu prendre les mesures qui auraient dû s’imposer en matière d’information auprès des populations. Ces dispositifs s’inscrivent donc dans une stratégie qui impose aux industriels et à toutes les parties prenantes des partenariats et une mutualisation des ressources.
Ce plan permet, également, le développement économique des plateformes industrielles soumises à PPRT. Il s’agit ici d’accroître l’attractivité de ces zones en permettant l’implantation d’activités industrielles nouvelles.
Une autre évolution à laquelle il faut faire référence concerne la circulaire du 25 juin 2013 relative au traitement des plateformes économiques.
En effet, cette circulaire recommande, notamment, au préfet de « réserver un traitement spécifique aux entreprises qui disposent d’une culture du risque technologique ».
Il faut noter aussi une évolution récente ; en effet, la loi dite « DADUE » du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable contient plusieurs avancées majeures.
Elle dispose que les propriétaires riverains peuvent bénéficier d’un droit de délaissement automatique, et ainsi mettre en demeure les collectivités de procéder à l’acquisition de leurs biens, dans un délai de six ans.
Quant au coût de démolition des biens, en cas d’expropriation, par exemple, qui auparavant était à la seule charge des collectivités, il est désormais intégré dans la convention tripartite de financement des mesures foncières. Le financement des travaux à la charge des propriétaires d’habitations voisines des sites industriels devient aussi tripartite.
De plus, il faut se féliciter de la simplification, pour les communes, de la procédure d’enquête publique, en cas d’expropriation.
Force est de constater que cette dernière loi contribue à l’amélioration du dispositif d’accompagnement des riverains, lesquels, à partir de 2015, pourront également bénéficier d’aides de l’ANAH. Ainsi, les travaux engagés dans le cadre de la mise en œuvre des PPRT pourront s’accompagner de rénovations permettant, surtout, de réaliser des économies d’énergie.
Enfin, une dernière amélioration notable dans la mise en œuvre de ces plans peut être relevée au travers du très récent projet de loi relatif à la vie des entreprises.
En effet, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, le 4 novembre 2014, le Sénat a adopté un amendement déposé par le Gouvernement, relatif aux PPRT.
Cet amendement non seulement vise à adapter les dispositions de ces plans aux activités économiques, mais autorise également le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions afin d’assouplir la mise en œuvre des PPRT. Il est habilité à « préciser, clarifier et adapter les dispositions [relatives à ce PPRT] afin d’améliorer et de simplifier l’élaboration, la mise en œuvre et la révision ou modification des plans de prévention des risques technologiques ».
Je veux rappeler que le groupe CRC du Sénat a voté ici même cet amendement !
Pour conclure, je ne nie pas le fait que la mise en œuvre des PPRT a été compliquée et complexe, et ce d’autant plus que certaines problématiques sont humainement et économiquement difficiles.
Pour autant, il serait malvenu d’occulter les évolutions passées – certaines sont récentes – et à venir, qui ont, depuis la loi de 2003, comme je l’ai expliqué, fait évoluer considérablement la mise en œuvre des PPRT.
Ainsi, un moratoire ne se justifie pas alors que plus de dix ans se sont écoulés depuis que des collectivités locales se sont engagées. Une telle décision porterait au contraire un préjudice grave non seulement aux communes qui sont confrontées au gel de leurs projets d’aménagement et de développement, aux riverains dont certains attendent la finalisation de la procédure d’expropriation afin de pouvoir partir, mais également aux industriels. Enfin, cela aurait des conséquences économiques néfastes pour les zones concernées.
Il faut plutôt continuer à mener une réflexion centrée sur la cohabitation entre les entreprises à haut risque et les habitants et mettre en œuvre la loi dans une démarche d’accompagnement sur le terrain.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe CRC ont demandé l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de cette résolution souhaitant un moratoire concernant les plans de prévention des risques technologiques.
Pour ma part, j’ai fait quelques recherches, afin de mieux comprendre les risques auxquels mon territoire, le département du Morbihan, est exposé.
J’ai donc tout d’abord navigué sur le site du Gouvernement, risques.gouv.fr, que j’ai trouvé très pédagogique mais un peu simpliste. J’ai finalement trouvé les informations très pertinentes sur le site de la préfecture du Morbihan, à savoir les cartographies détaillées des risques départementaux.
Sur ma commune de Saint-Nolff, nous ne sommes concernés, en termes de risques technologiques, que par le transport de marchandises dangereuses par la voie ferrée Paris-Quimper, qui traverse le bourg de part en part, un risque qui fut l’un des arguments pour nous empêcher d’agrandir une école publique.
Pour le Morbihan dans son ensemble, les risques technologiques majeurs sont liés aux sites industriels – ils ne sont pas en grand nombre mais peuvent malgré tout présenter des risques –, au transport de matières dangereuses, aux barrages, qui peuvent se rompre, au dépôt de munitions près de l’école militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan, aux dépôts de carburants, de gaz, d’engrais et de produits phytosanitaires.
On constate que, entre le dépôt de la résolution le 18 octobre 2013 et aujourd’hui, l’État a progressé, car le pourcentage des PPRT approuvés est passé de 56 % à 73 %. C’est indéniablement un progrès.
Approuver ces plans, c’est une chose ; les mettre en œuvre, c’en est une autre… Nous entendons bien les critiques formulées par nos collègues à l’égard de la mise en œuvre de ces plans de prévention des risques technologiques.
Tout d’abord, la concertation laisse trop souvent à désirer – une remarque qui vaut d’ailleurs bien au-delà des PPRT.
Pourtant, la concertation, une véritable concertation, est aujourd’hui indispensable. C’est une condition nécessaire pour aboutir à l’acceptabilité des populations concernées.
Le Gouvernement nous a rappelé à plusieurs reprises ses engagements pour une plus grande transparence, une meilleure association des citoyens aux processus de décision et un raccourcissement des délais d’instruction.
Nous soutenons ces engagements et nous plaidons pour leur mise en œuvre rapide, notamment en ce qui concerne une véritable concertation citoyenne.
L’enquête publique comme unique moyen de démocratie locale est aujourd’hui une procédure dépassée, tout comme une concertation réunissant principalement des élus, des fonctionnaires, la société concernée et seulement deux ou trois associations locales, comme on a pu le voir dans certains arrêtés de prescription.
De la même manière, un financement tripartite – entreprises, État, collectivités –, qui limite de fait la participation du premier responsable au tiers seulement du financement, est dommageable pour les finances publiques des collectivités locales.
Il est essentiel de reconnaître la responsabilité de l’État, mais également des collectivités locales lorsqu’elles ont approuvé l’implantation de ces projets, mais aussi le développement de l’urbanisation alentour.
De même, faire peser une partie du coût des travaux de mise en conformité sur les habitants eux-mêmes semble méconnaître certains principes fondamentaux de notre droit. Ici, les riverains supporteront des frais dont ils ne sont en aucun cas responsables. Les subventions et crédits d’impôt alloués ne couvrent que très partiellement les coûts engendrés.
Nous n’entrerons pas non plus dans les méandres du principe de précaution, qui est largement évoqué dans l’exposé des motifs. Nous connaissons bien les critiques qu’une partie de notre assemblée formule à son encontre, mais nous aurons d’autres occasions d’en débattre.
Après une phase de réduction des risques à la source, dont nos collègues ont très bien montré les limites dans l’exposé des motifs de leur proposition de résolution, le PPRT est prescrit sur un périmètre d’étude issu de l’étude de dangers du site.
Après instruction technique, concertation et enquête publique, le PPRT est approuvé.
Il peut prévoir plusieurs types de mesures : des mesures foncières sur l’urbanisation existante, des mesures supplémentaires de réduction du risque à la source, des travaux de renforcement à mener sur les constructions voisines existantes, des restrictions sur l’urbanisme futur – ce point est très important, de même que l’obligation d’information aux acquéreurs et locataires sur les communes concernées par les risques majeurs.
Si nous, les écologistes, soutenons la démarche qui conduit à réaliser les PPRT, nous sommes également sensibles aux arguments de nos collègues du groupe CRC.
Nous constatons les efforts déployés par le Gouvernement pour accélérer l’approbation de ces plans, et nous espérons qu’il déploiera autant d’efforts, si ce n’est plus, afin d’améliorer les processus de concertation et le financement de ces mises en conformité pour que ce ne soient pas les riverains qui assument encore une fois les risques que les industriels leur font courir.
Mieux que dans le cadre d’un moratoire, on pourrait envisager ces évolutions à travers un processus de révision de ces plans qui prendrait en compte l’ensemble des critiques que nous avons formulées, ou en poursuivant un processus d’amélioration continue du texte.
Aussi, pour ces raisons, mais presque à contrecœur, les écologistes s’abstiendront.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe CRC a déposé cette proposition de résolution afin de demander un moratoire et une refonte de la réglementation encadrant les plans de prévention des risques technologiques.
Plus de dix ans après l’adoption de la loi dite « loi Bachelot » sur la réduction des risques, son bilan d’application n’est pas à la hauteur des enjeux de sûreté sur les sites industriels à hauts risques, pour les riverains comme pour les salariés.
À ce titre, une circulaire de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publiée le 30 avril 2013, constatait que seulement « un peu plus de la moitié » des PPRT avaient été approuvés. La ministre avait alors décidé, à juste titre, de lancer un plan de mobilisation nationale avec un objectif chiffré : 75 % des PPRT devraient être approuvés d’ici à la fin de 2013 et 95 % à la fin de 2014. Au 1er août 2014, 76 % des plans ont été approuvés. C’est mieux mais il y a encore beaucoup à faire.
Selon le rapport pour avis sur le programme 181 de la mission « Écologie » dans le projet de loi de finances pour 2015, d’une part, les crédits ouverts à l’action « Prévention des risques technologiques et des pollutions » sont en baisse de plus de 30 % pour les autorisations d’engagement, d’autre part, l’objectif du Gouvernement est désormais d’atteindre les 95 % de plans approuvés à la fin de l’année 2015. On perd un an, mais ce n’est pas encore dramatique.
Au-delà de la mauvaise application de la loi et des blocages souvent dus, il faut bien le dire, aux manœuvres dilatoires de certains industriels, de nombreuses voix se sont élevées, du côté tant des riverains que des élus locaux ou des associations de défense de l’environnement, pour alerter les autorités et dénoncer les conditions d’élaboration des PPRT et leurs conséquences pour la vie de nos concitoyens.
C’est ce débat de fond que nous souhaitions porter devant notre assemblée. Ma collègue et amie la sénatrice Marie-France Beaufils a détaillé plusieurs défaillances de la réglementation qui nous conduisent à demander ce moratoire.
Pour ma part, je centrerai mon intervention sur la question des mesures de sûreté des installations. Comme vous le savez, la réalisation par l’exploitant d’une étude de dangers constitue un élément essentiel de la réglementation de la prévention du risque industriel.
Exigée par l’article L. 512 du code de l’environnement, elle doit justifier, selon les modalités prévues à l’article R. 512-9, que le site doit atteindre, « dans des conditions économiquement acceptables, un niveau de risque aussi bas que possible, compte tenu de l’état des connaissances et des pratiques et de la vulnérabilité de l’environnement de l’installation. »
La notion d’« économiquement acceptable » nous semble restreindre la réduction des dangers à la source puisque les industriels peuvent l’invoquer pour refuser les modifications lourdes nécessaires parfois pour réduire effectivement les dommages potentiels encourus.
Pourtant, au-delà de la mise en danger des personnes, si l’accident survient, les coûts sont souvent bien plus importants. L’argument économique ne devrait donc pas entrer en ligne de compte.
C’est dans la même logique, dans la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement de 1995, que contrairement à la définition du principe de précaution retenue dans la déclaration de Rio de 1992, le législateur français avait utilisé cette mention.
Ainsi, il précisait que « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ; le principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. » La formulation « économiquement acceptable » est employée à deux reprises.
La France a ainsi ajouté à la définition de Rio les notions de réaction proportionnée et de coût économiquement acceptable.
Ensuite, la notion d’« économiquement acceptable » semble incompatible avec les lois constitutionnelles et européennes. Ainsi, lorsque le Parlement réuni en Congrès a inscrit dans la Constitution la charte de l’environnement, installant par là même le principe de précaution au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques, il n’était alors pas question de limites économiques.
L’article 5 énonce très précisément que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
Ces réserves de compatibilité que nous formulons à l’égard de la législation nationale relative aux PPRT valent également pour le droit européen. Nous avons ajouté dans le droit français la notion « économiquement acceptable », qui n’était pas dans la définition de Rio et qui ne sera pas dans le droit européen.
En effet, à compter du 1er juin 2015, de nouvelles exigences seront applicables à certaines activités industrielles, de stockage, d’exploitation de transport, détaillées à l’article 2 de la directive, afin de prévenir et de mieux gérer les accidents majeurs impliquant des produits chimiques dangereux.
Or, au titre des « obligations générales de l’exploitant » mentionnées à l’article 5 de la directive, il est précisé que « les États membres veillent à ce que l’exploitant soit tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir les accidents majeurs et pour en limiter les conséquences pour la santé humaine et l’environnement. »
Quant à la définition de la « politique de prévention des accidents majeurs », on peut lire à l’article 8 : « La politique de prévention des accidents majeurs est conçue pour assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Elle est proportionnée aux dangers liés aux accidents majeurs. Elle inclut les objectifs globaux et les principes d’action de l’exploitant, le rôle et la responsabilité de la direction, ainsi que l’engagement d’améliorer en permanence la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs et d’assurer un niveau de protection élevé. » C’est vraiment le seul objectif. Il n’est jamais fait mention de la limite exprimée dans la loi française par le recours au principe d’« économiquement acceptable ».
Dans le cadre d’échanges mondialisés où la concurrence libre et non faussée est la règle économique, la question se pose légitimement de savoir si le législateur n’a pas été tenté d’introduire cette notion d’« économiquement acceptable » pour protéger les industriels au détriment des particuliers et des salariés.
Il serait donc souhaitable de revoir notre législation. Les acteurs industriels ne doivent plus être juge et partie si nous voulons renforcer encore le niveau de protection, en particulier la prévention des accidents majeurs sur les sites industriels à hauts risques.
Venant d’un département dans lequel les conséquences sociales et environnementales de dizaines d’années d’exploitation minière se font encore sentir – en tant que maire de Trieux, vous êtes également bien placé pour en avoir conscience, monsieur le secrétaire d’État –, je sais combien les populations sont souvent délaissées alors même qu’elles sont lourdement impactées par les activités industrielles passées ou présentes.
C’est dans ce sens que nous vous demandons d’adopter cette proposition de résolution afin de revoir la réglementation relative aux plans de prévention des risques technologiques en tenant compte de l’expérience dans chaque territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il semble plutôt contradictoire de militer pour la protection des populations contre les dangers induits par l’activité industrielle et, en même temps, de proposer un moratoire de la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques censés précisément apporter ladite protection.
Cependant, à y regarder de plus près, la contradiction est moins évidente. La question est en effet de savoir si les PPRT, tels qu’ils sont théoriquement conçus et réellement mis en œuvre, atteignent leurs objectifs. Pour m’être intéressé de plus près aux PPRN, les plans de prévention des risques naturels, aux PPRI, les plans de prévention des risques d’inondation, et aux PPRIF, les plans de prévention des risques d’incendies de forêt, je constate que leur conception et leur mise en œuvre posent le même type de problèmes que ceux qui sont soulevés en matière de risques dits « technologiques » – en réalité, ce sont plutôt des risques industriels.
Dans tous les cas, on fait deux constats.
Premièrement, la mise en œuvre d’une procédure laborieuse et conflictuelle à l’origine de retards importants dans l’application des plans de prévention. Ainsi, nous dit-on, seuls 225 PPRT prescrits ont-ils été approuvés, ce qui d’ailleurs ne signifie pas acceptés et encore moins mis en œuvre.
Deuxièmement, des plans de financement complexes, pour ne pas dire hasardeux.
Dans tous les cas, les principaux intéressés, les collectivités et la population, ne sont associés ni à la définition des risques et des méthodes permettant de les mesurer, ni à l’élaboration de la carte des aléas.
Dans le cas des PPRN, cela relève uniquement de l’administration ou plutôt de ses cabinets sous-traitants. Aucune information n’est fournie sur les principes de fabrication des modèles qui serviront aux simulations.
S’agissant des PPRT, c’est l’exploitant lui-même, sous la surveillance de l’administration – on respire ! –, qui est chargé de l’étude de dangers. Avouez que l’on doit pouvoir trouver mieux en matière de garantie d’objectivité. Mais cela pose aussi la question de l’obsolescence de la capacité de l’État dans ses missions d’expertise.
C’est une fois que la carte des risques, dans un cas, l’étude de dangers, dans l’autre, est achevée, une fois donc que la messe est dite, que débute la concertation puis l’approbation. Je dis bien : une fois que la messe est dite car il est clair que les mesures de protection à prendre découlent directement de l’évaluation des risques et de leur localisation.
Ce qui, d’ailleurs, – et ce n’est pas le moindre des paradoxes – conduit à cet étrange échange de risques contre des droits à construire ou des réductions de niveau de protection à quoi se réduit en général la concertation. Il y a de quoi en être quelque peu surpris.
Pas étonnant que cette concertation prenne l’apparence d’un dialogue de sourds sur fond de conflit. Pas étonnant que la procédure patine et s’éternise.
La seule manière d’en sortir, à mon avis, c’est que collectivités locales et représentants des personnes directement intéressées soient associés, avec leurs experts, à la définition et la mesure des risques ainsi qu’à l’élaboration de leur traduction cartographique. C’est d’ailleurs, si j’ai bien compris, ce que proposent les auteurs de la proposition de résolution.
L’accord peut plus facilement se faire sur des éléments objectifs et cet accord réalisé, l’approbation du plan sera plus facile à obtenir.
Je constate cependant que l’administration n’est absolument pas disposée à accepter cette démarche. Seuls les savants, même d’une science incertaine, et la bureaucratie céleste sont habilités à dire ce qu’il convient de voir et de penser. J’en ai fait l’expérience en déposant une proposition de loi sur la prévention des inondations qui n’a pu être votée en première lecture au Sénat qu’une fois expurgée des dispositions que je viens d’évoquer. Proposition de loi qui, je viens de le rappeler à M. le secrétaire d’État tout à l’heure, attend depuis un an d’être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais l’actualité montre qu’il n’y a pas le feu au lac.
J’en viens à la question du financement, qui, dans les deux cas, pose problème.
Sur ce point, une amélioration essentielle a été apportée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », avec l’institution possible d’une taxe pour financer les politiques de prévention de l’inondation.
S’agissant de la prévention des risques technologiques, la complexité des montages financiers et le fait qu’une part de la charge revient aux riverains – comme dans l’ancien système pour le risque inondation – impose à l’évidence des mesures nouvelles. Ce serait la garantie d’une exécution effective dans des délais raisonnables des mesures de protection légitimement imposées par le PPRT.
En tout cas, mon intime conviction est qu’il faut changer la façon de poser la question du risque si l’on veut avoir une chance de lui apporter une réponse pérenne partout où le problème se pose. Il faut élargir la question de la protection à celle de l’aménagement d’un territoire pour permettre à celui-ci de continuer à vivre et se développer en maîtrisant les effets du risque.
Toutes les questions soulevées par les auteurs de la proposition de résolution sont pertinentes. Qu’un moratoire soit la réponse, même provisoire, je suis loin d’en être convaincu. Je crois nécessaire et urgent de faire évoluer la législation dans le sens indiqué quel que soit le type de risque concerné. Plus on sera à pousser dans cette direction, plus on aura de chance d’aboutir.
Tel est le sens de mon abstention et de celle de mon groupe sur cette proposition.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je vous prie d’excuser l’absence Mme Ségolène Royal qui est à Lima pour une conférence dont vous avez certainement toutes et tous entendu parler.
Je m’efforcerai de répondre en son nom à vos interrogations qui peuvent, comme beaucoup l’ont dit, apparaître légitimes. Légitimes, parce que la sécurité des sites industriels français est un impératif, comme nous le rappellent l’accident de Toulouse le 21 septembre 2001 ou, plus récemment, l’incendie dramatique de la raffinerie d’Amuay au Venezuela ou l’explosion meurtrière d’une usine de fabrication d’engrais à West au Texas.
La bonne maîtrise des risques inhérents à l’activité industrielle est également un facteur de compétitivité pour les entreprises, étroitement associé au maintien sur notre territoire d’activités à forte valeur ajoutée.
Le Gouvernement est bien entendu mobilisé sur ce sujet, afin d’assurer aux populations le meilleur niveau de sécurité et d’accompagner les industriels dans la mise en place des investissements, avec des modalités d’organisation adaptées.
Les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT, sont des outils efficaces pour intégrer les sites industriels dans leur environnement. Comme cela a été rappelé, la loi du 30 juillet 2003 est née, après la catastrophe d’AZF, du constat de l’existence de situations héritées du passé : l’urbanisation s’était dangereusement rapprochée des sites industriels à risques. Au vu de la diversité des cas rencontrés, la responsabilité de cette proximité ne pouvait être imputée à un seul acteur, qu’il s’agisse de l’industriel, de la collectivité, des riverains ou de l’État. C’était un héritage partagé.
C’est pourquoi la loi de 2003 a entendu faire porter la charge des actions à mener de la manière la plus équilibrée possible, afin que chacun contribue à un objectif commun : améliorer la sécurité, en sachant bien entendu – plusieurs d’entre vous l’ont souligné – que l’on ne peut pas atteindre le risque zéro, car seul l’arrêt de toute activité industrielle permettrait – et encore… – de garantir l’absence totale de danger.
Les PPRT, élaborés pour les sites à plus hauts risques – les sites dits « SEVESO seuil haut » –, prévoient une palette de mesures. Certaines d’entre elles visent à protéger les riverains exposés aux risques : il s’agit, d'une part, de mesures foncières touchant à l’urbanisation existante, qui se composent d’expropriations, dans les zones à plus forts risques, et de droits à délaissement volontaire des biens, et, d'autre part, de travaux à mener sur les constructions existantes dans le voisinage des sites industriels pour en réduire la vulnérabilité. D’autres mesures visent à garantir un maintien du niveau de risque dans la durée : il s’agit de restrictions ou de règles relatives à l’urbanisation future autour des sites.
Aujourd'hui, – vous êtes nombreux à l’avoir relevé – sur les 407 PPRT à réaliser, plus des trois quarts – 313 –, dont de nombreux plans jugés très complexes, sont approuvés. Les PPRT restants sont maintenant en bonne voie, de sorte que la très grande majorité d’entre eux devraient être approuvés d’ici à la fin de l’année 2015. Cette progression démontre que, grâce aux améliorations législatives successives et à l’engagement des acteurs, le dispositif est maintenant largement applicable.
Pour autant, votre résolution pose des questions légitimes, qui concernent les obligations fixées aux industriels, les modalités de financement des mesures ou encore leur mise en œuvre opérationnelle. Je répondrai à ces questions de manière détaillée.
Je commencerai par l’obligation faite aux industriels de réduire les risques à la source. La réglementation relative aux installations classées repose sur le fait que les industriels, via la réalisation d’études de dangers, sont tenus de réduire autant que possible les risques à la source, par le recours aux meilleures techniques disponibles à un coût « économiquement acceptable ».
Madame Didier, je ne partage pas complètement votre analyse s'agissant du droit constitutionnel ou de l’adaptation au droit européen. Le principe de la réduction des risques à la source, qui repose sur la notion de comportement économiquement responsable, découle directement de principes constitutionnels, au même titre que le principe de précaution, qui est cité dans votre proposition de résolution. Il est notamment inscrit dans la définition du principe de prévention qui figure au tout premier article – l’article L. 110-1 – du code de l’environnement.
J’ajoute que l’évaluation du caractère « économiquement acceptable » des mesures de réduction du risque n’est nullement laissée à la seule appréciation de l’industriel : elle est soumise à l’expertise des services de l’État, qui en sont garants. Les obligations sont in fine prescrites par le préfet à l’industriel, et elles s’imposent à lui.
Contrairement à ce que j’ai entendu, cette phase est bien un prérequis à l’adoption d’un PPRT. Il n’est fait appel à des mesures foncières qu’en l’absence de solutions relevant de la responsabilité de l’industriel. Ce sont ainsi près de 2 000 études de dangers qui ont été instruites. Les investissements réalisés par les industriels pour la réduction du risque à la source ont été compris entre 200 millions et 300 millions d'euros par an – à leur seule charge – durant les premières années ayant suivi la promulgation de la loi.
En complément, les PPRT peuvent prévoir d’autres mesures de réduction du risque, allant au-delà des exigences réglementaires – un déplacement d’installation, par exemple –, lorsque leur mise en œuvre est moins coûteuse que les mesures foncières qu’elles permettent d’éviter. Le processus d’élaboration des PPRT ne fait donc pas obstacle à la responsabilité première de l’industriel de maîtriser ses risques.
J’entends également vos interrogations, légitimes, là aussi, concernant les modalités de financement des PPRT. Ces modalités, inscrites dans la loi de 2003, reflètent la responsabilité partagée des acteurs, que j’ai évoquée au début de mon propos.
Pour les mesures foncières ou les mesures supplémentaires de réduction du risque à la source – ce sont les mesures les plus lourdes, puisque leur montant total est estimé à un peu plus de 1 milliard d'euros –, la loi prévoit un financement tripartite entre les exploitants à l’origine du risque, les collectivités locales percevant la contribution économique territoriale des sites industriels et l’État.
Pour les travaux sur les constructions existantes dans le voisinage, les particuliers peuvent – vous l’avez souligné – bénéficier d’un crédit d’impôt représentant 40 % du montant des travaux, ainsi que de contributions des industriels et des collectivités représentant chacune 25 % de ce montant. Cela porte l’aide à 90 % du montant des travaux, dans une limite de 20 000 euros, qui est suffisante dans la très grande majorité des cas pour mettre en sécurité un logement non couvert par une mesure foncière.
Ces modalités de financement, ajustées plusieurs fois depuis 2003 – vous vous en souvenez certainement, et le secrétaire d’État au budget que je suis s’en souvient également –, sont équilibrées. C’est l’accompagnement des travaux qui doit nous mobiliser.
J’entends aussi dire que le cas particulier des entreprises riveraines justifie des aménagements complémentaires. Les premiers cas de mise en œuvre des PPRT ont effectivement révélé – cela a été rappelé à juste titre – des difficultés d’application pour les entreprises riveraines des sites à risques. Les mesures foncières d’expropriation et de délaissement et les prescriptions de travaux peuvent mettre les entreprises en difficulté, et ne constituent pas toujours la meilleure façon de mettre les salariés en sécurité ; ce point a été évoqué à raison par certains d’entre vous.
Une disposition habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance en ce sens est incluse dans le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, en cours d’examen par le Parlement. Il s’agit, d'une part, de permettre, pour les entreprises riveraines, la mise en œuvre de mesures alternatives aux mesures d’expropriation et de délaissement. Le mode de financement jusqu’à présent réservé aux mesures foncières serait maintenu dans la limite du montant des mesures foncières évitées ; c’est un dispositif classique. Cette souplesse permettra de trouver des solutions moins chères que les mesures foncières, ce qui profitera aux collectivités, à l’État et à l’industriel à l’origine du risque. Il s’agit, d'autre part, d’assouplir les obligations de travaux de renforcement des locaux des entreprises riveraines, afin de permettre le recours à d’autres méthodes de protection des salariés, par exemple via des mesures organisationnelles.
Vous avez également émis des interrogations légitimes concernant l’accompagnement de la mise en œuvre des PPRT. Le projet de résolution souligne à juste titre que l’accompagnement des acteurs dans la mise en œuvre des PPRT est un enjeu fondamental. Le Gouvernement partage ce point de vue, même s’il ne lui semble pas pour autant nécessaire de prendre des dispositions législatives ou réglementaires additionnelles, et il s’emploie à organiser une mise en œuvre structurée des PPRT, en particulier pour la réalisation des travaux de renforcement chez les particuliers ; 30 000 logements sont potentiellement concernés.
Un programme de formation des artisans amenés à conduire les diagnostics préalables et un référentiel pour la réalisation des travaux sont opérationnels depuis l’été 2013. En outre, le Gouvernement expérimente actuellement, sur sept plateformes industrielles, un dispositif d’accompagnement collectif des riverains par des opérateurs du logement dans chacune des étapes nécessaires à la réalisation des travaux. Ce dispositif sera généralisé en lien avec l’Agence nationale de l’habitat.
Enfin, le ministère de l’écologie organisera dès 2015 un accompagnement des collectivités chargées de la mise en œuvre des mesures foncières.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de résolution. Le dispositif issu d’améliorations législatives successives apparaît désormais équilibré et applicable, même s’il a rencontré – c’est bien compréhensible – des difficultés de mise en œuvre les premières années. Le remettre en cause aboutirait à retarder la mise en sécurité des riverains et pourrait fragiliser l’activité économique du pays.
En conséquence, le Gouvernement estime que les forces de l’ensemble des acteurs doivent désormais être employées à la mise en œuvre effective des plans, dans une démarche d’accompagnement des riverains et des collectivités.
M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009–403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34–1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu les difficultés de mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques dont un nombre important ne sont pas approuvés ou font l’objet de recours contentieux,
Souhaite instamment un moratoire de la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes jusqu’au 1er septembre 2015 afin de procéder à une nouvelle concertation avec les acteurs concernés.
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 74 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 18 |
Contre | 309 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Décision de l'Assemblée nationale sur un engagement de la procédure accélérée
M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a informé M. le président du Sénat que la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, réunie ce jour, a décidé de ne pas s’opposer à l’engagement de la procédure accélérée sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Acte est donné de cette communication.
10
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 11 décembre, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi relative à la désignation des conseillers prud’hommes et de la résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale.
Acte est donné de ces communications.
11
Loi de finances rectificative pour 2014
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2014 (projet n° 155, rapport n° 159).
Rappel au règlement
M. Vincent Delahaye. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 ter du règlement du Sénat.
Ce matin, la conférence des présidents a décidé de limiter à une heure trente, au lieu des deux heures initialement prévues, la durée de la discussion générale sur le projet de loi de finances rectificative, dont la commission a pris connaissance hier matin.
Ce délai très court nous laisse à peine le temps d’examiner le texte. On veut aller très vite – tout le monde ressent sans doute le besoin d’être en vacances –, mais je trouve dommage qu’on passe autant de temps sur le budget et aussi peu sur le projet de loi de finances rectificative de fin d’année. N’oublions pas que c’est le texte qui colle le plus à la réalité de notre situation financière et qui sert à ajuster les crédits.
Voilà pourquoi je proteste contre cette réduction du temps et des délais pour examiner un texte si important.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Discussion générale
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le collectif de fin d’année est un exercice obligé, mais extrêmement utile. Il permet de mesurer s’il existe un décalage avec les objectifs fixés en loi de finances initiale et d’apporter les ajustements nécessaires. Il permet aussi de vérifier si les engagements pris en matière de tenue de la norme de dépenses, c’est-à-dire nos objectifs d’économies sur les dépenses de l’État, ont été respectés. Il a enfin vocation à accueillir des mesures fiscales ou budgétaires, souvent techniques, mais qui peuvent néanmoins être très significatives. C’est le cas, par exemple, dans le champ de la lutte contre la fraude, thème régulièrement abordé dans les lois de finances rectificatives de fin d’année, et sur lequel je reviendrai.
Je voudrais apporter toutes les précisions nécessaires sur l’équilibre budgétaire défini par ce texte : les mouvements en crédits et la tenue de la norme de dépenses, d’une part, et les révisions de recettes, d’autre part.
Avec le décret d’avance qui a été publié la semaine dernière, ce projet de loi prévoit un ensemble de mouvements de crédits afin de financer, par des annulations, les dépassements anticipés sur certaines dépenses obligatoires, qui supposent donc d’ouvrir des crédits supplémentaires. L’ensemble de ces mouvements doit nous permettre de financer nos priorités tout en assurant le respect des objectifs d’économies que nous nous sommes fixés pour l’année 2014.
La loi de finances rectificative de juillet dernier anticipait une baisse des dépenses sous norme de 1,6 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. C’est donc une baisse de la dépense de 3,1 milliards d’euros par rapport à l’exécution 2013 qu’il s’agit de réaliser cette année, en respectant strictement un objectif de 276,9 milliards d’euros hors dette et pensions.
Pour assurer le respect de l’autorisation que vous avez fixée, le Gouvernement vous propose, dans ce projet de loi, un ensemble d’ouvertures et d’annulations de crédits, que je voudrais détailler, et qui est complété par un suivi renforcé de la fin de gestion de l’ensemble des ministères.
Nous anticipons certaines insuffisances de crédits par rapport à l’autorisation fixée dans la dernière loi de finances rectificative. L’existence de tels dépassements est habituelle en fin d’année, puisqu’il existe des aléas de gestion et que le budget n’a pas vocation à être exécuté à l’euro près sur chacune des missions. Toutes les lois de finances rectificatives de fin d’année ont donc pour objet de gager ces écarts.
Pour cette fin d’année, le Gouvernement estime qu’il est nécessaire d’ouvrir des crédits à hauteur de 2,2 milliards d’euros, ces ouvertures se faisant à la fois par ce projet de loi et en décret d’avance. Ces ouvertures s’expliquent par quatre facteurs principaux.
Tout d’abord, les opérations extérieures, les OPEX, nécessitent une ouverture de 605 millions d’euros. La provision prévue en loi de finances initiale était de 450 millions d’euros ; elle avait été fixée en cohérence avec les orientations du Livre blanc sur la défense et la loi de programmation militaire. Toutefois, vous le savez, les dépassements sont courants en matière d’OPEX, puisqu’il est impossible de déterminer, au moment où la loi de finances initiale est adoptée, si de nouvelles opérations seront menées et, a fortiori, selon quelles modalités elles seront conduites. Il n’y a donc pas à s’étonner de cette ouverture de crédits.
Je souligne qu’au total le ministère de la défense bénéficie d’ouvertures nettes en cette fin de gestion, auxquelles s’ajoutent 250 millions d’euros de redéploiement au sein du programme d’investissements d’avenir. Comme le projet de loi de finances pour 2015, le projet de loi de finances rectificative respecte donc la loi de programmation militaire.
Ensuite, la masse salariale, hors OPEX, nécessite une ouverture de 540 millions d’euros. Ces dépassements sont concentrés sur le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la défense. Les autres ministères sont, au contraire, en situation de gager ces dépassements sur une partie de leurs crédits de personnel non utilisés.
Le dynamisme des interventions sociales, pour un montant de 656 millions d’euros, constitue un autre facteur de dépassement. En période de crise, alors que la croissance est plus faible que celle qui était anticipée en loi de finances initiale, il est normal que les aides apportées aux plus modestes augmentent plus vite que prévu. Nous dégageons donc les moyens financiers requis pour garantir le versement de ces prestations.
Le dernier facteur de dépassement est à chercher dans les refus d’apurements communautaires au titre de la politique agricole commune. Ce sont 352 millions d’euros qui doivent être financés pour cette raison.
Afin de financer ces ouvertures de crédits, nous proposons un ensemble d’annulations de crédits qui répondent à deux principes.
Le premier est le principe d’auto-assurance : chaque ministère doit d’abord mobiliser ses propres ressources pour financer un dépassement, par redéploiement au sein de chaque programme ou au sein du champ du ministère.
Le second est un principe de solidarité : tous les ministères sont mis à contribution pour assurer le respect de la norme de dépenses.
Au-delà des mouvements sur les dépenses sous norme en valeur, nous constatons une économie de 1,6 milliard d’euros sur la charge de la dette. Cette économie est affectée, bien entendu, à la réduction du déficit budgétaire. C’est une nouvelle preuve du sérieux de notre gestion de l’argent public ; une telle pratique n’a été que rarement suivie à d’autres époques.
Pour conclure en un mot sur le sujet, j’indique que le volet dépenses du projet de loi est dans la continuité des textes financiers de cet été, qui avaient dégagé de nouvelles économies en gestion : 4 milliards d’euros, dont 1,6 milliard d’euros concernant l’État ; cela permet de tenir l’objectif d’économies, conformément aux engagements que nous avions pris au printemps.
Le projet de loi de finances rectificative a également pour fonction, comme il est d’usage, d’actualiser les prévisions de recettes fiscales.
Par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances pour 2015, présentée début octobre, les modifications sont relativement marginales.
La répartition des recettes issues du STDR, le service de traitement des déclarations rectificatives, est revue, compte tenu des recouvrements constatés : nous anticipons davantage d’impôt de solidarité sur la fortune, de droits de mutation à titre gratuit et de pénalités et moins d’impôt sur le revenu.
Par ailleurs, nous procédons à divers ajustements sur d’autres lignes au vu des recouvrements constatés, le principal étant une révision à la hausse de 500 millions d’euros des remboursements et dégrèvements d’impôt sur les sociétés.
Les recettes fiscales nettes prévues sont donc de 272,9 milliards d’euros, en retrait de 303 millions d’euros par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances pour 2015. Par rapport à la prévision de la loi de finances rectificative de juillet, la moins-value est de 6,1 milliards d’euros. Je voudrais apporter au Sénat des informations très précises sur les raisons de cet écart.
Je commencerai par l’impôt sur le revenu.
La prévision de recettes d’impôt sur le revenu net fixée par la loi de finances initiale s’élevait à 74,4 milliards d’euros. Cette prévision est revue par ce projet de loi de finances rectificative de fin d’année à 68,3 milliards d’euros, soit un écart de 6,1 milliards d’euros, qui s’explique par trois raisons.
D’abord, l’exécution 2013 a été inférieure de 1,8 milliard d’euros à la prévision. Cette moins-value a été entièrement reprise en base en 2014.
Ensuite, le coût des mesures nouvelles serait supérieur de 1 milliard d’euros à la prévision de la loi de finances initiale, en raison notamment de la réduction d’impôt exceptionnelle votée dans la loi de finances rectificative de juillet.
Enfin, nous anticipons une importante moins-value sur les revenus des capitaux mobiliers, qui ont fortement chuté en 2013, ainsi que sur les plus-values mobilières, les bénéfices industriels et commerciaux et les bénéfices non commerciaux, qui ont également diminué l’an dernier. Le moindre dynamisme de ces revenus a fortement limité la croissance de l’impôt, ce qui explique une moins-value de 3,3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale.
Ces chiffres devront, bien entendu, être ajustés en fonction des résultats définitifs de l’exécution.
S’agissant de la TVA, la prévision en loi de finances initiale chiffrait les recettes à 139,5 milliards d’euros. Le présent projet de loi prévoit 137,8 milliards d’euros, en moins-value de 1,7 milliard d’euros. Cet écart est directement lié à la dégradation de la conjoncture économique : d’une part, la faible inflation vient mécaniquement limiter le produit de cet impôt ; d’autre part, la chute de la construction immobilière conduit à une forte diminution des recettes assises sur les ventes de logements neufs.
Enfin, la recette de l’impôt sur les sociétés est désormais évaluée à 34,9 milliards d’euros. Depuis la dernière loi de finances rectificative, l’analyse du solde d’impôt sur les sociétés a été menée et a permis de constater une diminution de 3 % du bénéfice fiscal en 2013, liée, en particulier, à une chute du bénéfice fiscal des sociétés financières.
Au total, à l’issue de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, la prévision de déficit de l’État est fixée à 88,3 milliards d’euros, en dégradation de 92 millions d’euros par rapport à la prévision initiale du projet de loi, du fait de l’adoption d’amendements prévoyant des transferts de recettes à la sécurité sociale et aux collectivités territoriales.
La prévision de déficit public est, quant à elle, inchangée, à 4,4 % du PIB. Vous aurez noté que le Haut Conseil des finances publiques n’a pas contesté son réalisme.
Le projet de loi de finances rectificative contient également un volet fiscal, qui est organisé autour de trois priorités.
Tout d’abord, nous poursuivons nos efforts dans la lutte contre la fraude en donnant de nouveaux moyens à l’administration pour combattre spécifiquement la fraude à la TVA.
Ensuite, le soutien au logement fait l’objet de deux mesures destinées à accroître l’offre de logements dans les zones tendues, que ce soit l’offre de logements anciens, avec la possibilité d’augmenter la taxation des résidences secondaires situées dans ces zones, ou l’offre de logements neufs, avec une mesure d’incitation à mettre sur le marché les terrains constructibles dans les zones en manque de logements. Ces deux mesures prolongent le plan de soutien à la construction prévu par le projet de loi de finances, car l’accès au logement constitue une priorité du Gouvernement
Enfin, le projet de loi de finances rectificative entame la première étape d’une réforme de l’aide aux travailleurs modestes : il prévoit la disparition de la prime pour l’emploi au 1er janvier 2016, afin d’éviter toute rétroactivité fiscale – ce qui aurait pu se produire avec une adoption postérieure au 1er janvier 2015. Concrètement, cela signifie que, en 2015, les contribuables percevront la prime pour l’emploi, suite aux droits ouverts sur l’année 2014.
Plusieurs rapports montrent que la prime pour l’emploi et le RSA activité ne donnent pas entière satisfaction, en raison de leur caractère peu lisible, décalé dans le temps et, s’agissant du RSA activité, de sa complexité. Le Gouvernement propose donc de substituer à la prime pour l’emploi et au RSA activité un dispositif nouveau appelé « prime d’activité », qui sera mis en œuvre au 1er janvier 2016. Il n’y aura donc aucune rupture dans le bénéfice des dispositifs. Au contraire, les nouveaux bénéficiaires du dispositif mis en place en 2016 bénéficieront immédiatement de celui-ci au lieu d’attendre, comme c’est le cas pour la prime pour l’emploi, l’année suivante.
Les objectifs de cette réforme sont de proposer un dispositif qui incite davantage à l’activité, qui permette de toucher les travailleurs les plus modestes et de leur redistribuer du pouvoir d’achat au mois le mois, et non l’année suivante comme la prime pour l’emploi. À la différence du RSA activité, il devra être plus simple et plus compréhensible pour les bénéficiaires.
Je veux apporter quelques précisions sur les modalités de la réforme qu’entend conduire le Gouvernement.
La prime d’activité sera ouverte aux actifs dont la rémunération est voisine du SMIC. Elle comportera une part individualisée en fonction des revenus d’activité et une part « familialisée » pour prendre en compte les différences de situation familiale. Les jeunes travailleurs de moins de vingt-cinq ans y seront éligibles. Ce dispositif prendra la forme d’une prestation servie par les caisses d’allocations familiales, avec un droit simplifié et un montant figé sur trois mois pour éviter les régularisations trop fréquentes.
Cette réforme se fera en redéployant les moyens actuellement consacrés au RSA et à la prime pour l’emploi, soit environ 4 milliards d’euros. C’est donc une réforme importante au bénéfice des travailleurs modestes que le projet de loi de finances rectificative engage avec la suppression de la prime pour l’emploi au 1er janvier 2016.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes du projet de loi de finances rectificative. C’est un texte riche, c’est un texte cohérent avec notre politique, un texte équilibré tant sur le plan budgétaire que sur le plan fiscal. C’est la raison pour laquelle j’ai pris le temps nécessaire pour en présenter les détails. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un projet de loi de finances rectificative constitue un exercice traditionnel qui vise à la fois à ajuster les conditions de la fin de gestion et à porter des dispositions fiscales. Le nombre de ces dernières est particulièrement élevé cette année et ne nous permet pas de les expertiser dans des conditions satisfaisantes.
Autant je peux concevoir que certaines mesures, comme celles qui permettent de documenter l’engagement d’une amélioration du solde de 3,6 milliards d’euros pris envers la Commission européenne, n’aient pu figurer dans le texte initial, autant cela est moins acceptable pour des amendements du Gouvernement, qu’ils soient déposés par le Gouvernement lui-même ou « puisés à bonne source » par des députés de sa majorité. Certains amendements procèdent en effet à d’importants ajustements, voire à des réformes fiscales d’envergure. Je pense à la fiscalité des casinos ou encore à la fiscalité du tabac.
Ces amendements ne semblent pourtant pas avoir été préparés dans l’urgence puisque, de toute évidence, ils ont fait l’objet de larges concertations. Cette pratique, reconnaissons-le, n’est pas nouvelle, mais elle a pris une dimension exceptionnelle par le volume ainsi que par la complexité des mesures et de leurs enjeux. Elle nuit à la qualité des textes soumis au Parlement, car il n’y a pas d’avis du Conseil d’État. Elle nuit à la qualité de l’examen parlementaire, car il n’y a ni étude d’impact ni délais suffisants pour expertiser les dispositifs. Enfin, elle ne contribue pas à la sérénité de nos débats, comme nous l’avons vu sur certains sujets sensibles à l’Assemblée nationale.
Surtout, et je le regrette, cette pratique peut se révéler déstabilisante pour les acteurs économiques qui prennent connaissance, au détour d’un amendement parlementaire, de mesures dont les conséquences peuvent être lourdes et qui sont, pour certaines d’entre elles, applicables dès le 1er janvier 2015, c’est-à-dire dans à peine plus de deux semaines. Je pense, à cet égard, à certaines entreprises, comme, par exemple, dans le secteur de la grande distribution, découvrant une surtaxe de 200 millions d’euros. Cette surtaxe, qui correspond à une logique de pur rendement, s’est imposée sans réflexion quant à ses effets sur les bases d’imposition ou les modes de consommation. Je pourrais également citer la réforme de la taxation des services de télévision payante proposés en complément d’une offre dite « triple play », mais nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles.
Ces amendements ont été votés quelques jours après que le ministre des finances et des comptes publics a signé une charte de non-rétroactivité fiscale, qui prévoit que les changements de fiscalité n’affecteront plus ni les exercices déjà clos ni même les exercices ou années en cours. Ce projet de loi de finances rectificative vient donc, de nouveau, remettre en cause les engagements pris par le Gouvernement en matière de fiscalité ; je crains que, une fois encore, la crédibilité de la parole publique s’en trouve dégradée. Cela a conduit la commission des finances, sur certains sujets, à proposer la suppression d’articles insérés à l’Assemblée nationale, faute d’avoir pu en analyser pleinement les conséquences.
Après ces quelques considérations, il convient de revenir sur l’avis de la Commission européenne relatif au projet de budget de la France. Celui-ci n’est pas sans liens avec certaines dispositions du présent projet de loi, qui me semblent justifiées par des préoccupations de pur rendement et traduisent une vision uniquement comptable des engagements européens de la France. Si ces mesures ont permis d’obtenir quelques mois de sursis, elles ne seront pas suffisantes. En effet, la Commission attend des réformes structurelles et non des économies de pure constatation, des « fusils à un coup » ou des hausses improvisées de la fiscalité. Je dois avouer que nous partageons son impatience.
L’amélioration de 3,6 milliards d’euros du budget pour 2015, largement portée par les dispositions de ce collectif de fin d’année, a été proposée dans le cadre d’une négociation à laquelle nous n’avons pas été associés et dont nous n’avons pas davantage été informés, parce que la France n’a pas respecté ses engagements.
Vous justifiez l’absence de redressement de nos comptes publics, c’est-à-dire la dégradation du déficit effectif de 4,1 % à 4,4 % du PIB et l’amélioration de seulement 0,1 point du solde structurel, par la faiblesse conjuguée de la croissance et de l’inflation. Nous ne pouvons nier cette faiblesse, mais la situation budgétaire de notre pays est tout de même en partie imputable à l’échec de la politique économique du Gouvernement.
M. Daniel Raoul. Ben voyons !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La question n’est pas tant celle du rythme de l’ajustement, mais celle de sa crédibilité et de sa pérennité. Met-on en œuvre un ajustement qui permette de rétablir durablement nos finances publiques et la compétitivité de notre pays ? Je ne le pense pas.
La mise en œuvre des mesures complémentaires pour 2015 aurait, à cet égard, mérité de reposer sur des mesures d’économie traduisant une volonté de réforme plutôt qu’une amélioration bricolée du solde, consistant notamment à augmenter la pression fiscale sur les banques et les grandes surfaces parce que ces acteurs seraient des cibles politiquement faciles.
La Commission européenne – cela mérite que je la cite – a considéré que « les efforts visant à poursuivre l’amélioration de la viabilité des finances publiques, la simplification du système fiscal et l’assouplissement du marché du travail pourraient être intensifiés » et que la France avait « accompli des progrès limités ». Ce sont les termes mêmes de la Commission, qui a également estimé que le projet de budget de la France présentait « un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance ». Elle a indiqué qu’elle « réexaminera[it] au début du mois de mars 2015 […] sa position sur les obligations qui incombent à la France ».
Pierre Moscovici a insisté pour que ce délai de quatre mois « ne soit pas du temps perdu, mais du temps utilisé pour avancer et affirmer l’impact des réformes ». Peut-être en saurons-nous davantage demain, puisque le Premier ministre devrait présenter le calendrier des réformes pour les deux années à venir ? Je souhaite en tout cas que le Gouvernement puisse répondre à la légitime préoccupation de nos partenaires européens quant à la situation économique et budgétaire de notre pays.
Les conclusions des premières revues de dépenses prévues par le projet de loi de programmation des finances publiques et attendues pour le 1er mars prochain pourraient d’ailleurs contribuer à documenter un certain nombre d’engagements. Au cours de ces prochains débats, monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous préciser les thèmes sur lesquels l’administration a sans aucun doute déjà commencé à travailler ?
Dans sa dimension budgétaire, le projet de loi de finances rectificative de fin d’année permet d’avoir un premier aperçu de l’exécution de la loi de finances de l’année, même s’il existe encore quelques marges d’incertitude. Mais ce projet entérine d’abord un nouveau dérapage du déficit de l’État, qui atteindra 88,2 milliards d’euros à la fin de l’année 2014, soit 4,3 milliards d’euros de plus que ce qui était prévu dans la loi de finances rectificative du 8 août.
Le texte qui nous est soumis met en exergue des points importants.
S’agissant des dépenses, celles-ci devraient, cette année encore, être tenues. Cependant, un examen détaillé des arbitrages de fin de gestion montre la difficulté d’un tel exercice en l’absence de réformes permettant de contenir le dynamisme de certaines dépenses, notamment celles de rémunération des personnels et celles dites de « guichet », comme l’aide médicale de l’État ou l’hébergement d’urgence.
S’agissant des recettes fiscales, le projet de loi de finances rectificative entérine une nouvelle baisse de celles-ci de plus de 10 milliards d’euros, tant par rapport à la loi de finances initiale que par rapport à l’exécution 2013.
Sur le premier point, celui des dépenses, il convient d’examiner les mouvements de crédits proposés par le collectif conjointement avec ceux opérés par le décret d’avance, dont la commission des finances a été saisie pour avis ; son rapport a été publié il y a quelques jours. Ce décret d’avance est désormais un outil traditionnel de pilotage de la fin de gestion, qui vise à ouvrir les crédits correspondant aux dépenses les plus urgentes, en particulier les dépenses de personnel.
Que constate-t-on ? Ces mouvements sont plus importants que par le passé et les dépenses qui dérapent, en dehors du cas particulier des OPEX, sont pour l’essentiel les dépenses de rémunération et les dépenses d’intervention correspondant aux dispositifs de guichet. Cela montre une tension accrue sur l’exécution du fait du dynamisme des dépenses obligatoires dont le financement repose, notamment, sur des crédits initialement destinés à l’équipement des forces armées et à la recherche et l’enseignement supérieur.
C’est ainsi que l’évolution de la masse salariale, hors opérations extérieures, nécessite une ouverture de crédits de 540 millions d’euros, concentrés sur le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la défense. Cela confirme le diagnostic selon lequel, à effectifs constants, la masse salariale ne peut être contenue. Ce constat plaide en faveur des mesures que la majorité sénatoriale a adoptées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 relatives aux effectifs, à l’avancement des fonctionnaires ou aux jours de carence.
Aussi ce projet de loi de finances rectificative nous montre-t-il que le Gouvernement arrive certes à maîtriser la dépense de l’État, mais en subissant la dynamique de certaines d’entre elles, là où il conviendrait, au contraire, de les maîtriser pour dégager des ressources au profit, notamment, de l’investissement.
S’agissant des recettes fiscales, qui enregistrent plus de 10 milliards d’euros de moins-values, leur évolution est difficile à analyser, car elle résulte de l’addition de comportements individuels. Toutefois, des tendances de fond sont sans doute à l’œuvre : je pense notamment aux nouveaux modes de consommation, qui échappent en tout ou en partie à l’impôt, ou aux développements de la fraude, notamment de la fraude à la TVA sur internet. Nous aurons à revenir sur ces sujets, parce que nous disposons encore de marges de progrès importantes. Je pense également à la fuite d’un certain nombre de cerveaux ou de talents, accomplis ou en devenir.
Les moins-values considérables constatées cette année s’expliquent sans doute par la conjoncture économique dégradée, mais aussi par l’échec d’une politique d’ajustement par la fiscalité qui s’est montrée excessive et a très probablement encouragé des comportements d’évitement, qu’il s’agisse de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscales ou tout simplement de « désincitation » à produire des richesses. Ces évolutions doivent, en tout état de cause, nous conduire à nous interroger collectivement : nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre le retour de la croissance ! Il faut se poser la question de l’évolution des comportements, en particulier des consommateurs ; en effet, si nous ne prenons pas garde à l’effritement d’un certain nombre d’assiettes fiscales dès aujourd’hui, nous pourrions être tentés, comme le Gouvernement le fait pour la taxe sur les surfaces commerciales, de chercher à compenser ces phénomènes par une augmentation des taux des impôts existants, au lieu de réfléchir à une évolution de leurs assiettes fiscales.
Évidemment, nous ne pouvons pas nous réjouir de ces déconvenues, qui montrent à la fois la faible capacité de notre pays à produire de la richesse et les résultats limités de la stratégie d’ajustement du Gouvernement. Nous ne considérons pas que la réponse apportée aux exigences de l’Union européenne pour le redressement de nos finances publiques et de notre compétitivité soit adaptée à l’ampleur des enjeux.
Pour conclure, je souhaite rappeler que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter le projet de loi de finances rectificative, bien sûr modifié par les amendements qu’elle va présenter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les objectifs des lois de finances rectificatives de fin d’année évoluent, de plus en plus en raison de l’instabilité de la conjoncture depuis la crise, mais aussi du fait de la procédure d’examen par les autorités européennes de notre budget en parallèle de notre discussion parlementaire. Le collectif budgétaire de fin d’année devient la « troisième partie » du projet de loi de finances, celle qui permet les ajustements de dernière minute.
Par conséquent, désormais, les collectifs de fin d’année ont presque autant vocation à corriger l’année qui s’achève qu’à compléter les données de l’équilibre pour l’année qui vient. Symétriquement, la loi de finances de l’année ne peut se comprendre qu’en lui adjoignant les dispositions du collectif budgétaire. C’est ainsi que les 3,6 milliards d’euros d’ajustement supplémentaires pour 2015 trouvent leur traduction à la fois dans le projet de loi de finances et dans ce collectif budgétaire.
Le commissaire européen chargé des affaires économiques doit rendre ces jours-ci une évaluation des nouvelles règles de gouvernance budgétaire. Peut-être examinera-t-il leur impact et les interférences qu’elles créent sur le processus de décision des États membres qui examinent leur budget à l’automne ?
Par ailleurs, la loi de finances rectificative de fin d’année n’est plus le seul outil dont dispose le Gouvernement pour piloter la fin d’exercice. Cette année, sur les 2,9 milliards d’euros d’ouvertures de crédits nécessaires – toutes gagées, bien entendu, par des économies –, 1,6 milliard d’euros figurent dans ce collectif budgétaire et 1,3 milliard d’euros étaient inscrits dans le décret d’avance sur lequel la commission des finances a donné un avis le 24 novembre. Compte tenu de l’importance désormais prise par le décret d’avance de fin d’exercice, la commission des finances a d’ailleurs décidé cette année de publier son avis sous la forme d’un rapport d’information du rapporteur général.
Enfin, s’il est une constante, c’est le recours aux lois de finances de fin d’année comme réceptacle d’une foule de mesures fiscales de portée diverse, parfois inscrites dans le texte initial, parfois introduites en cours de lecture à l’Assemblée nationale. Je me demande, par conséquent, s’il est raisonnable de conserver cette vocation aux lois de finances rectificatives de fin d’année.
Le rapporteur général l’a dit, le Sénat a reçu cette année un collectif budgétaire enrichi de 77 articles venus s’ajouter aux 35 articles initiaux. Ce gonflement ne me soucierait pas si notre calendrier n’était pas si contraint. Il y a encore cinq ou six ans, nous disposions d’une petite semaine, certes, mais d’une semaine pratiquement, entre le vote de la loi de finances et l’examen du collectif budgétaire. Cette année, nous n’avons disposé que d’une nuit.
Les raisons du raccourcissement des délais sont connues : elles tiennent à la disparition de la période complémentaire, et nous les comprenons. Toutefois, si nous partageons l’attachement du Gouvernement au fait de cantonner les dispositions fiscales aux lois de finances plutôt que de les disséminer dans des textes sectoriels, l’application de ce principe ne doit pas conduire à empêcher un examen sérieux des dispositions qui nous sont soumises. Paradoxalement, nous étudierons dans de meilleures conditions les dispositions fiscales qui figurent dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ou dans le projet de loi pour la croissance et l’activité que celles qui sont inscrites dans les lois de finances.
Je laisserai les orateurs de mon groupe s’exprimer sur le détail des mesures présentées dans le projet de loi de finances rectificative et me concentrerai sur le principal choix de politique économique qu’il traduit : celui de ne pas hypothéquer la reprise de la croissance par des réductions de dépenses qui compenseraient à l’euro près la diminution des recettes enregistrée en raison des moins-values de recettes fiscales.
Pour ce qui concerne le budget de l’État, tracé à gros traits, les recettes sont inférieures d’une dizaine de milliards d’euros par rapport à ce qui était attendu, les moins-values de recettes étant partiellement compensées par 5 milliards d’euros environ de dépenses en moins. Cet effort de maîtrise de la dépense est remarquable et, plus que tous les autres indicateurs de finances publiques, c’est lui qui, à mon sens, assure la crédibilité de notre politique budgétaire et explique la confiance que les investisseurs placent en la signature de la France.
À l’échelle de l’ensemble des administrations publiques, le choix du Gouvernement de ne pas compenser totalement les moindres recettes se traduit par une détérioration du déficit public, qui s’établira à 4,4 % du produit intérieur brut en 2014.
Faut-il faire reproche au Gouvernement de ralentir le rythme de réduction du déficit ? Nous savons que les discussions sur ce point avec les autorités européennes ne sont pas faciles, c’est le moins que l’on puisse dire ! Je suis sûre que le Gouvernement trouverait utile de pouvoir être éclairé par les analyses de l’opposition gouvernementale, qui dispose de la majorité dans notre assemblée. Malheureusement, celle-ci reste trop silencieuse sur ce sujet (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.), qui est pourtant le seul qui compte vraiment en matière de finances publiques.
Pour ma part, je considère que la France, dont le PIB représente 20 % de celui de la zone euro, rend service à l’ensemble de la zone en refusant de prendre des mesures par trop récessives. En effet, il ne fait aucun doute que la zone euro inquiète, parce qu’elle peine à renouer avec la croissance économique et que le spectre de la déflation s’y fait de plus en plus présent.
Cette « exception » de la zone euro ressort clairement des récentes publications du Fonds monétaire international sur l’économie mondiale. En 2013, le produit intérieur brut de la zone euro reculait de 0,4 %, alors que les économies avancées affichaient une croissance de 1,4 %, celle-ci atteignant même 2,2 % aux États-Unis. Cette situation semble vouloir se prolonger, puisque le Fonds monétaire international prévoit une croissance de 1,8 % en 2014 et de 2,3 % en 2015 dans les économies avancées, alors que l’activité ne progresserait que de 0,8 % et de 1,3 % dans la zone euro au cours de ces deux années. Cette situation est d’autant plus inquiétante que ce diagnostic est partagé par l’OCDE et par la Commission européenne elle-même.
Par ailleurs, si le ralentissement de l’inflation a concerné l’ensemble des économies en 2012 et en 2013, ce phénomène ne semble vouloir perdurer que dans la zone euro. Selon le FMI, encore une fois, l’inflation dans la zone euro serait de 0,5 % en 2014 et de 0,9 % en 2015, contre 1,6 % et 1,8 % dans les autres économies avancées.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que différentes instances internationales demandent que des mesures en faveur de la croissance dans la zone euro soient adoptées au plus vite. En effet, les interdépendances économiques nées de la mondialisation font que le ralentissement de l’activité en Europe, premier partenaire commercial de la Chine ou encore des États-Unis, constitue une menace pour l’ensemble du monde. Lorsque les chefs d’État ou de gouvernement réunis à Brisbane, dans le cadre du G20, demandent des actions énergiques afin de renforcer la croissance et de créer des « emplois de qualité », la zone euro apparaît comme la première concernée.
Quels sont les leviers dont disposent les pays de la zone euro pour relancer la croissance et éloigner le risque de déflation ? Le plus évident réside dans la politique monétaire. Pour autant, lors de la conférence annuelle des banquiers centraux qui s’est déroulée en août dernier, Mario Draghi a souhaité que la politique budgétaire joue un rôle accru aux côtés de la politique monétaire. Cela implique, ni plus ni moins, que les États de la zone euro ralentissent – sans toutefois y renoncer – le redressement de leurs comptes publics, afin de ne pas contracter plus encore une demande agrégée déjà bien peu dynamique.
À ce titre, au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue au début du mois de novembre, le secrétaire général de l’OCDE a déclaré : « Nous croyons que, pour les pays de la zone euro dans lesquels il existe une marge budgétaire, un ralentissement de la consolidation structurelle du budget pourrait intervenir. » Le Fonds monétaire international lui-même, dans une publication d’octobre dernier, a souligné que la politique budgétaire dans la zone euro « ne devrait pas être rendue plus stricte en cas de mauvaise surprise de la croissance ».
La France a pris ses responsabilités, comme l’illustre l’exercice 2014 qui s’achève. Le Gouvernement avait fixé l’ajustement structurel à 0,9 point de PIB dans le cadre de la loi de finances pour 2014. Face au ralentissement de la croissance et de l’inflation, il avait même engagé 4 milliards d’euros d’économies supplémentaires dans les lois de finances rectificatives du printemps dernier, afin de maintenir le niveau de cet ajustement structurel.
Cet ajustement structurel a été réduit par la conjoncture économique, pour s’établir à 0,5 point de PIB. Pour autant, il a impliqué la réalisation d’un effort budgétaire important qui pouvait difficilement être accru une nouvelle fois, sauf à peser sur une croissance et une inflation atones.
Le Gouvernement n’a pas été en mesure d’atteindre ses objectifs budgétaires en 2014, c’est vrai ! A-t-il été contraint de modérer la trajectoire du redressement des comptes publics ? C’est également vrai. Mais aurait-il dû et pu faire autrement ? Je ne le pense pas. Ajouter l’austérité à l’apathie de l’activité, contracter encore la demande alors que l’inflation se traîne aurait été coupable non seulement vis-à-vis des Français, mais également vis-à-vis de nos partenaires européens, et nous ne pouvons pas nous le permettre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme je l’ai indiqué dans mon rappel au règlement – M. le rapporteur général et Mme la présidente de la commission l’ont également dit –, nous avons l’impression d’examiner le projet de loi de finances rectificative au pas de course. Discussion en commission des finances hier matin, débat en séance publique ce soir et demain, voilà un rythme un peu rapide pour un texte qui contient d’importantes mesures d’ajustement !
Nous devons changer de méthode. Je ne sais pas s’il faut raccourcir ou avancer la discussion du projet de budget. Je sais en revanche que consacrer trois semaines d’examen intense à un budget qui est toujours un peu virtuel et ne passer que deux jours sur le projet de loi de finances rectificative qui le complète significativement et qui, surtout, procède à des ajustements pour tenir compte de la réalité des chiffres n’est pas cohérent.
Nous devons également réfléchir à la possibilité de consacrer davantage de temps à l’examen du projet de loi de règlement. Il serait utile que nous puissions procéder à une audition des ministres sur chacune des missions. Cette méthode nous aiderait à préparer le budget de l’année suivante, car la réalisation de chaque mission est un élément d’évaluation important.
Le projet de loi de finances rectificative qui nous est présenté illustre un certain nombre de nos problèmes en matière budgétaire.
Le premier, c’est l’optimisme permanent vis-à-vis de la croissance. Après vous avoir entendu dire l’année dernière, monsieur le secrétaire d’État, qu’une prévision de croissance de 1 % était réaliste, après vous avoir entendu dire, au mois de juillet, qu’une prévision de 0,7 % était réaliste, nous nous retrouvons, au bout du compte, avec 0,4 %. Je vous invite à relire mes interventions, c’est ce que j’avais annoncé, à peu de chose près. Je ne suis pas devin, je suis simplement prudent. Malheureusement, beaucoup ne le sont pas assez sur le sujet.
Le projet de loi de finances rectificative témoigne également du dérapage de nos finances publiques : 88 milliards d'euros de déficit, cela représente 30 % de nos recettes fiscales. C’est considérable ! Cela signifie que, depuis la mi-septembre, nous vivons à crédit. Pour financer l’ensemble du fonctionnement des services de l’État, nous empruntons aux générations futures. Tous ceux qui nous succéderont verront que nous avons vécu des folles années à crédit.
Ne nous contentons pas de dire qu’il faut redresser les finances publiques. Faisons-le ! Or le déficit enregistré en 2014 sera supérieur d’au moins 13 milliards d'euros à celui de 2013. On ne peut pas vraiment parler de redressement !
Le projet de loi de finances rectificative est en outre symptomatique de la non-justification de l’insuffisance des recettes par rapport aux prévisions. À cet égard, vous venez de nous donner des éléments d’explication. Je vous en remercie, car nous les demandions depuis un moment. J’aurais toutefois préféré qu’ils soient un peu plus précis, car certains me paraissent un peu discutables.
Enfin, le projet de loi de finances rectificative me paraît révélateur des dérives budgétaires de la France.
Même si vous n’aimez pas le terme, monsieur le secrétaire d'État, je vais quand même l’utiliser : pour moi, ce texte relève du bricolage budgétaire – c’est évidemment une référence à la boîte à outils du Président de la République ; il nous l’a d’ailleurs assez rabâchée, sa boîte à outils ! Avec 77 articles additionnels, dont la moitié émanant du Gouvernement, à partir d’un texte initial qui comptait 35 articles, on a l’impression d’une certaine forme d’improvisation de dernière minute. Pourquoi la suppression de la prime pour l’emploi, par exemple, ne figurait-elle pas dans le projet de loi de finances pour 2015 et apparaît-elle tout à coup ? Pourquoi nous faut-il examiner cette disposition en deux jours, sans étude d’impact, sans simulation, sans rien ? Je ne sais pas si certains de mes collègues sont capables de dire s’il faut ou non supprimer la prime pour l’emploi. Pour ma part, je ne m’y engagerai pas. Se prononcer en deux jours me paraît une gageure terrible.
Le projet de loi de finances rectificative comporte, comme le budget en général, beaucoup de défauts. La dépense publique augmente de 16 milliards d'euros en 2014 et celle du budget de l’État – pensions et charge de la dette incluses – progresse de 2 milliards d'euros, malgré une baisse des dotations aux collectivités territoriales de 1,5 milliard d’euros. Or je vous le dis, monsieur le secrétaire d'État, ce qu’il nous faut rechercher, c’est à réduire la dépense publique et non plus à la maîtriser.
À en croire certains, la dépense publique serait bonne pour l’économie. Si tel était le cas, nous serions les champions du monde de la croissance. Avec 57 % de dépenses publiques par rapport à notre richesse nationale, c’est certain que nous serions en avance sur tous les autres. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Tel n’est pas le cas aujourd'hui !
Il n’est pas possible de continuer à laisser croître la dépense publique en France. La seule bonne dépense, c’est la dépense d’investissement. Or l’État n’investit plus que 2 % du budget. Les seules qui investissent encore, ce sont les collectivités territoriales. Or, en rognant considérablement leur capacité d’autofinancement, on est en train de tuer l’un des moteurs de notre économie.
On le dit, on le répète – je l’ai déjà martelé lors de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques –, il faut absolument entamer des réformes structurelles. Parmi les chantiers, il y a le marché du travail, les retraites, l’organisation de l’État et des collectivités territoriales, la formation, l’enseignement, la recherche, la réforme fiscale, laquelle nous avait d’ailleurs été annoncée. Toutes ces réformes, il faut les entamer et vite, sinon toutes les bonnes nouvelles – la baisse du cours de l’euro, des prix du pétrole, des taux d’intérêt, le taux d’épargne élevé des Français –, nous n’en profiterons pas. Ces réformes structurelles, nous le savons, seront difficiles et douloureuses, mais elles sont indispensables et urgentes.
Monsieur le secrétaire d’État, les amendements adoptés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative détermineront le vote du groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les interventions se succèdent et j’ai bien peur qu’elles ne se ressemblent beaucoup.
Le projet de loi de finances rectificative de fin d’année a théoriquement vocation à ajuster la politique budgétaire de l’année en cours en fonction de l’évolution de la conjoncture et de l’exécution déjà réalisée. Malheureusement, les gouvernements successifs ont pris l’habitude de faire de ce texte une sorte de voiture-balai fiscale dans laquelle se retrouvent des mesures structurantes, qui auraient plutôt dû figurer dans le projet de loi de finances.
Le comble du raffinement est atteint lorsque de telles mesures sont introduites, non pas dans le projet de loi de finances rectificative lui-même, mais par des amendements au texte, souvent de dernière minute. Bien qu’elle soit parfaitement constitutionnelle, cette démarche pose plusieurs problèmes : d’abord, elle dispense le Gouvernement de produire une étude d’impact et de requérir l’avis du Conseil d’État ; ensuite, elle pose clairement un problème de calendrier, le temps d’examen des textes financiers, en cette période, étant toujours extrêmement contraint.
Le projet de loi de finances rectificative a été transmis au Sénat le mardi 9 décembre, il y a deux jours. Le délai limite pour le dépôt des amendements était fixé à aujourd’hui midi, puis ceux-ci ont été distribués au cours de la journée. Les services de la commission des finances et les groupes politiques n’ont que la nuit qui vient pour les examiner, avant la séance de demain matin. Or, dans ce contexte déjà très exigeant, nous découvrons que, à l’issue de la lecture à l’Assemblée nationale, le nombre d’articles du texte initial a été triplé. Le Gouvernement a une part de responsabilité prépondérante dans cet « œdème législatif » non seulement du fait de ses amendements, mais aussi de ceux qu’il a, à l’évidence, fait porter par certains députés.
Nous pouvons comprendre, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement ait eu des difficultés à boucler ses travaux en temps et en heure. Vous devez aussi comprendre, compte tenu de votre parfaite connaissance de la vie parlementaire, qu’agir ainsi ne permet pas au Parlement de travailler comme il le devrait. Je crois sincèrement que, si nos concitoyens connaissaient réellement les conditions d’exercice du travail parlementaire, leur confiance en notre démocratie représentative en serait encore un peu plus ébranlée.
Parce que les écologistes sont profondément attachés au rôle du Parlement, je me devais de vous dire mon dépit face à cette manière de procéder. Si j’avais un souhait à former ici, ce serait que cette tendance, certes ancienne mais toujours plus marquée, à détourner le projet de loi de finances rectificative de son objet puisse enfin s’inverser.
Son réel objet, je l’ai dit, consiste à ajuster la trajectoire budgétaire. En 2014, nous assistons, comme en 2013, à un recul d’environ 11 milliards d’euros des recettes par rapport à la prévision, signe d’une atrophie progressive de notre économie. Ce chiffre est d’autant plus préoccupant que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, considéré comme la pièce maîtresse du dispositif économique du Gouvernement, n’est même pas consommé intégralement et, comble de l’ironie, intervient du coup positivement dans la mise à jour du solde budgétaire.
Dans le même temps, les dépenses publiques continuent à être entaillées, avec d’inévitables conséquences récessives. J’aimerais m’arrêter en particulier sur les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », malmenés cette année, comme les précédentes.
M. Vincent Capo-Canellas. Eh oui !
M. André Gattolin. À périmètre inchangé, le budget de l’écologie accuse une baisse cumulée de 1,65 milliard d’euros depuis 2012 et une suppression cumulée de 1 641 emplois.
Les crédits du programme d’investissements d’avenir, le PIA, présentés l’an passé comme une compensation, ont quant à eux été rabotés deux fois cette année : d’abord, dans le premier projet de loi de finances rectificative pour 2014, où 220 millions d’euros ont été transférés vers la recherche nucléaire ; ensuite, dans ce projet de loi de finances rectificative, où vous transférez à nouveau 146 millions d’euros de l’écologie vers le Commissariat à l’énergie atomique et l’industrie des nanotechnologies. Au mieux, il s’agit d’une maladresse politique, au pire, d’une véritable provocation.
M. Daniel Raoul. Non ! C’est du réalisme !
M. André Gattolin. En guise d’explication, on nous fait réaliser qu’il existe dans les PIA des centaines de millions d’euros dédiés à l’écologie et non utilisés.
Quand, dans la rue, on se fait voler son portefeuille, on crie : « Où est la police ? » Moi, j’ai envie de lancer ce soir un avis de recherche pour tenter de retrouver l’ADEME et le ministère de l’écologie, pour découvrir où partent ces millions ! Pourquoi les projets prévus au titre de l’écologie ne sont-ils jamais prêts ? Pourquoi les programme-t-on, sinon pour faire plaisir aux écologistes et leur dire, quelques mois après, qu’on retire les budgets parce que rien n’est prêt ?
Alors que le Président de la République vient de réaffirmer qu’il voulait une France écologiquement exemplaire, sans doute n’avons-nous besoin d’aucun investissement d’avenir en matière de transition écologique et énergétique ou de ville durable ? Du discours aux actes, en matière d’écologie, il y a encore un grand pas que le Gouvernement peine manifestement à franchir.
Pour terminer, je voudrais mentionner deux sujets abordés dans ce texte et qui me tiennent particulièrement à cœur.
Le premier, c’est la question de la TVA. Cet impôt, qui constitue notre principale ressource fiscale, est l’objet de fraudes massives, que les services de Bercy ont évaluées à 10 milliards d’euros. Lorsque la TVA a été perçue, puis n’est pas reversée, il y a même là une forme de fraude particulièrement choquante, qui voit un entrepreneur se substituer à l’État pour subtiliser l’impôt des autres. Je me félicite donc que le Gouvernement propose à nouveau, dans ce texte, des mesures fortes en la matière. Néanmoins, lorsqu’on entend qu’une partie des services fiscaux se consacre désormais au traitement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, on se dit que, à effectifs constants, on pourrait encore faire mieux dans la lutte contre la fraude à la TVA.
Le second sujet, c’est la non-déductibilité de la contribution des banques au Fonds de résolution unique.
Lorsque nous avons étudié, en octobre dernier, la transposition d’un ensemble de directives économiques et financières, j’avais déposé un amendement en ce sens. La commission comme le Gouvernement m’avaient alors répondu que cette mesure n’était pas envisageable. Aujourd’hui, je suis assez satisfait de constater que cette préoccupation a finalement été prise en compte par le Gouvernement, à l’instar de ce qui se fait en Allemagne.
Il reste toutefois une interrogation. Vous avez fait le choix, monsieur le secrétaire d'État, d’éteindre progressivement la taxe systémique à laquelle vous considérez que le Fonds de résolution unique a vocation à se substituer. Dès lors, puisque ce fonds ne sera pleinement abondé qu’en 2023, pourquoi avoir envisagé l’extinction de la taxe systémique dès 2019 ? Croisons les doigts pour qu’une crise bancaire ou assurantielle n’intervienne pas dans l’intervalle ! Il me semble qu’il aurait été plus cohérent de faire coïncider les deux trajectoires. Je proposerai d’ailleurs un amendement en ce sens.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à cette heure, il ne nous a évidemment pas été possible de prendre connaissance des quelque 240 amendements déposés aujourd’hui sur ce texte. Compte tenu, par ailleurs, des votes parfois surprenants dont nous a gratifiés la majorité sénatoriale à l’occasion du récent projet de loi de finances, les écologistes ne peuvent déterminer aujourd'hui leur position sur ce texte. Nous attendrons donc l’issue de la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d 'État, mes chers collègues, nous avions au départ une loi de finances initiale inscrite dans les critères de convergence européens. Elle se plaçait résolument sur la trajectoire de réduction des déficits publics et de maîtrise de la progression de la dette, à partir d’une « pause relative » en termes d’accroissement des prélèvements fiscaux et sociaux et de contraction – pour ne pas dire réduction, et pourtant c’est cela ! – de la dépense publique.
Sur le premier point, je ne sais si l’objectif est finalement atteint, mais on ne saurait évidemment oublier que le déploiement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est allé de pair avec un nouvel accroissement des taxes sur la consommation, accroissement destiné à suppléer les moins-values de recettes attendues. C’est d’ailleurs plutôt un échec puisque le projet de loi lui-même indique que 2,9 milliards d'euros de recettes de TVA manquent à l’appel, au regard de la prévision déjà révisée du collectif de cet été.
Résultat : malgré les hausses de taux, la TVA nette perçue par l’État n’aura finalement augmenté que d’un peu plus de 1,5 milliard d’euros. C’est le résultat d’une croissance économique atone, se situant à environ quatre dixièmes de points de PIB.
Une croissance aussi limitée pose évidemment le problème de l’efficacité de certains engagements de l’État, notamment du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Sur ce point, les chiffres sont terribles.
Quand ce dispositif a été voté, en France, on dénombrait officiellement 3 132 900 chômeurs de catégorie A. Aujourd’hui, on en recense 3 460 900, soit une progression de 328 000 inscrits qui semble clairement montrer que les entreprises tardent quelque peu à traduire dans les faits les intentions affichées dans les enquêtes du comité de suivi du CICE en termes d’investissement et d’emploi. Il y a loin de l’engagement à la réalité !
Il serait sans doute facile d’accuser le Gouvernement de tous les maux et de toutes les responsabilités en la matière. D’autres ne manqueront pas de le faire, oubliant leurs piètres résultats quand ils étaient aux responsabilités. ..
En revanche, ce que l’on peut reprocher au Gouvernement, c’est d’avoir laissé penser que le dialogue avec les milieux socioprofessionnels suffirait et d’avoir cru les promesses d’un Pierre Gattaz, qui n’en est jamais avare. Or celles-ci ne valent sans doute que pour ceux qui l’écoutent… Ce constat confirme que, sans obligation, l’argent public n’a aucune raison d’être ainsi distribué. Il faut d’ailleurs bien reconnaître qu’aucune des recettes invoquées par le MEDEF depuis quelques années n’a produit d’effets sur la situation de l’emploi.
L’an prochain, nous allons fêter le trentième anniversaire de la loi sur la flexibilité du travail. Depuis son adoption, nous avons vu se développer les formes les plus atypiques de travail, à commencer par le travail de nuit, le week-end, le dimanche, ou encore le travail au domicile de l’employeur, etc...
Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, sur 1,7 million d’offres d’emploi susceptibles d’être déposées en 2014, près de 670 000 portaient sur des emplois à caractère saisonnier.
Plus récemment, dans une étude publiée ce lundi 8 décembre, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, indiquait que, en 2013, les contrats à durée déterminée ont constitué 84,2 % des conditions d’embauche et que la durée médiane d’un tel contrat est aujourd’hui de dix jours...
Le nombre des embauches sous forme de CDD n’a d’ailleurs cessé de progresser, passant de 66 % des contrats de travail en 2000 – en pleine époque des 35 heures – à 85 % à l’heure actuelle.
Le développement de cette précarité du travail pèse sur la vie des gens, sur leurs revenus, sur leurs projets, sur leur insertion dans la société et met en cause, immanquablement, leur participation au redressement de la France, auquel, j’en suis certaine, tous ces demandeurs d’emploi voudraient contribuer.
Selon nous, ces handicaps caractérisent cette fameuse incertitude que souligne le Haut Conseil des finances publiques, quand il s’agit d’évaluer la validité du schéma macroéconomique sur lequel le Gouvernement fonde sa ligne de conduite budgétaire. Ce gaspillage de potentiels est à la base de la réduction du taux de croissance du PIB, malgré le développement du travail à horaires atypiques, notamment du travail dominical.
Nonobstant une hausse de quatre points du nombre de travailleurs dominicaux entre 2002 et 2012 – leur nombre est passé de 25 % à 29 % –, le taux de croissance a chuté de 3 % à 0,4 %.
Le projet de loi de finances rectificative que nous examinons porte les stigmates de cette situation sociale et économique, sans évolution notable, malgré le CICE, malgré la loi transposant l’accord national interprofessionnel de 2013 imposée au Parlement par la voie du vote bloqué. Cela se traduit par la baisse des recettes, comme nous l’avons relevé, et par la hausse de certaines dépenses. Je pense, notamment, aux dépenses de « correction » des désordres sociaux que sont les allocations et aides sociales diverses : par exemple, 200 millions d’euros supplémentaires sont affectés à l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, et 130 millions d’euros au RSA.
Face à ce constat, nous présenterons un certain nombre d’amendements tendant à améliorer le contenu d’une loi de finances qui n’a pas permis d’inverser les tendances lourdes déjà observées.
De manière générale, outre la remise en question de certaines dépenses fiscales, au premier rang desquelles le CICE, il nous semble pertinent de vouloir utiliser l’outil budgétaire pour motiver un nouveau comportement des agents économiques. Ainsi, la fiscalité ne résoudra pas la question de la protection de l’environnement et du respect des milieux naturels, mais nous pouvons soutenir des choix budgétaires qui incitent à un comportement plus conforme à l’intérêt commun et à la préservation de la nature comme du monde qui nous entoure.
Une fiscalité rénovée, privilégiant les comportements socialement responsables, associée à des choix économiques et législatifs positifs : voilà ce qui constituerait sans aucun doute la base d’une politique économique plus propice à la réduction des déficits publics et à la maîtrise de la dette.
Une dette qu’il nous faudra sans doute bientôt envisager de régler autrement que par les ressorts habituels. L’examen du projet de loi de finances pour 2015, texte assorti de la création d’un excédent budgétaire totalement artificiel, qui est sans doute l’expression des limites de la loi organique et le résultat des choix opérés par la majorité du Sénat, a montré qu’il faudrait sans doute autre chose que des efforts inutiles, qui se révèlent particulièrement insuffisants, pour résoudre les problèmes de la dette et du déficit.
C’est donc bien vers une amélioration des recettes, une réelle inflexion des choix des agents économiques, un renforcement des droits réels des travailleurs salariés et un soutien à l’action aux collectivités locales que nous devons aller.
Ces orientations, associées à des interventions de la Banque centrale européenne, qui devrait envisager un plan de refinancement de la dette souveraine des États, permettront une croissance nouvelle.
Ce n’est pas cette voie que choisit le Gouvernement dans ce projet de loi de finances rectificative, texte que vous avez largement contribué, monsieur le secrétaire d’État, à faire grossir. Et ce n’est pas non plus celle que propose le rapporteur général, au nom de la majorité de la commission des finances.
Par ailleurs, le temps qui nous est imparti pour examiner l’ensemble des amendements soulève des questions, d’autant qu’aucune analyse d’impact n’est à notre disposition pour les apprécier.
Dans ces conditions, nous ne pourrons, sauf modification significative, adopter le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à peine avons-nous achevé l’examen du projet de loi de finances pour 2015 que nous nous plongeons dans celui du collectif budgétaire. Ce dernier nous permet d’évaluer la mise en œuvre de la loi de finances initiale pour 2014 et de procéder aux ajustements que les aléas rencontrés au cours de son exécution rendent nécessaires.
La loi de finances initiale a déjà fait l’objet d’une inflexion significative, avec le vote, cet été, d’une première loi de finances rectificative. Celle-ci constituait la traduction législative du pacte de responsabilité et de solidarité, et apportait un appui bienvenu à la compétitivité de nos entreprises.
Je ne reviendrai pas sur son contenu, que les sénateurs du RDSE ont largement approuvé, mais je noterai que ses effets commencent à se faire sentir.
Lors d’un point d’étape sur l’attractivité de notre pays, le 17 novembre dernier, l’Agence française pour les investissements internationaux a relevé une amélioration de la compétitivité-coût de la France. De fait, nous assistons à un rapprochement du coût horaire du travail avec celui de nos principaux voisins, au premier rang desquels figure l’Allemagne, dont les salaires rattrapent les nôtres.
Je ne ferai qu’évoquer les indicateurs macroéconomiques, tout en indiquant pouvoir partager, au moins partiellement, le constat que dresse le rapporteur général.
En 2014, la reprise qui était annoncée n’est pas intervenue, en tout cas pas en Europe. Sous les effets conjugués d’une croissance atone, d’une inflation quasi nulle – l’INSEE a même indiqué aujourd’hui que les prix avaient baissé de 0,2 % au mois de novembre –, et malgré des taux directeurs à l’étiage, notre continent fait face à un risque déflationniste qui ne doit pas être minimisé.
Dans le projet de loi de finances pour 2015, le Gouvernement a fait le choix de poursuivre le triple objectif de soutien à la compétitivité de nos entreprises, de soutien à la demande et de maîtrise de la dépense publique.
Dans le présent projet de loi, le solde effectif est estimé à moins 4,4 %, pour 2014, et le solde structurel s’établirait à 2,4 %. Les prévisions de croissance et de l’inflation sont, elles aussi, conformes à celles des grandes institutions – FMI, Commission européenne et OCDE –, avec, respectivement, des taux de 0,4 % et 0,6 %
Ce collectif budgétaire compense également les moins-values des recettes de l’État qui sont principalement dues à une carence du produit de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés par rapport aux estimations. Je ne développerai pas, monsieur le secrétaire d’État – d’autres collègues de mon groupe l’ont fait ces jours derniers –, notre position sur la réforme nécessaire de ces deux impôts.
Il est indéniable que le contexte macroéconomique dégradé a grevé les rentrées fiscales. S’agissant de l’impôt sur le revenu, dans la précédente loi de finances rectificative, l’exonération d’impôt pour les ménages modestes, si elle relevait d’un choix politique assumé, a entraîné une moins-value de 1,3 milliard d’euros.
Le présent collectif budgétaire retrace également les engagements pris par le Gouvernement auprès de la Commission européenne, après plusieurs échanges à l’automne, d’augmenter l’effort de 3,6 milliards d’euros supplémentaires. L’annonce de ce chiffre, avouons-le, a suscité une once de scepticisme.
Cette amélioration du solde public serait permise en actionnant trois catégories de leviers, dont la plupart figurent dans ce projet de loi.
Il s’agit, tout d’abord, de nouvelles estimations de recettes et de dépenses, à hauteur de 1,6 milliard d’euros. C’est notamment le cas de la diminution de la charge de la dette d’environ 400 millions d’euros. Ainsi, dans le contexte macroéconomique actuel, notre pays n’a jamais emprunté sur les marchés à des taux aussi bas. Ce niveau des taux directeurs associé à la baisse du prix du pétrole et aux évolutions du taux de change doit tempérer le pessimisme ambiant.
Cette situation ne doit cependant pas nous faire relâcher notre effort en matière de maîtrise de la dépense et de rétablissement des comptes publics.
Le deuxième gisement d’économies a pour origine l’accroissement de la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales qui devrait permettre de récupérer pas moins de 850 millions d’euros ! Cet engagement du Gouvernement doit être apprécié. En effet, pour ce qui concerne la seule TVA, la fraude est estimée à 10 milliards d’euros.
Une question se pose cependant : comment concilier cet objectif avec la réduction des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », dans le projet de loi de finances pour 2015 ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ?
Enfin, 1,18 milliard d’euros d’économies proviendrait de l’instauration de nouvelles mesures fiscales, confirmant que la pause en l’espèce n’interviendra pas avant 2015.
À ce titre, je peux citer la possibilité pour les communes de majorer la taxe d’habitation portant sur les résidences secondaires et la hausse de la taxe sur les surfaces commerciales, cette fois au profit des finances de l’État, dont nous reparlerons sans doute.
Les ajustements visés dans ce projet de loi de finances rectificative concernent également de nouvelles ouvertures de crédits.
L’une des plus importantes a trait aux opérations extérieures, les OPEX, avec une ouverture de crédits totale de 601 millions d’euros qui se justifie par un fort engagement de nos troupes dont le savoir-faire et la qualité de l’action, au Sahel, en Centrafrique ou, plus récemment, en Irak contre Daech, doivent être salués de façon unanime.
D’autres adaptations sont presque devenues habituelles, du fait de la sous-dotation chronique en loi de finances initiale.
C’est notamment le cas à l’égard de la mission « Immigration, asile et intégration », qui voit ses crédits augmentés de près de 10 % supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale.
Un autre élément frappant à la lecture de ce texte est le nombre d’articles ajoutés à l’occasion de la lecture à l’Assemblée nationale : plus de 70 articles, en nette augmentation par rapport aux dernières années.
Je ne remets évidemment pas en cause le droit d’amendement de nos collègues députés. À ce titre, une telle activité pourrait être le signe d’une belle vitalité parlementaire.
Cependant, certains amendements, introduits notamment sur l’initiative du Gouvernement, conduisent à s’interroger. C’est le cas de ceux qui visent à refonder la fiscalité applicable aux tabacs.
Nous ne pensons pas qu’un amendement déposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative soit le véhicule approprié pour un tel bouleversement, bien que nous ne soyons pas opposés à une réforme de cette imposition. Peut-être pourrez-vous nous donner votre sentiment sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'État ?
Telles sont rapidement exposées les orientations que nous défendrons lors de la discussion des articles.
Composante de la majorité parlementaire, la quasi-totalité des membres du RDSE se retrouve dans les grandes orientations de ce texte. Ils n’en proposeront pas moins quelques améliorations par voie d’amendements qui, nous l’espérons, trouveront un écho favorable sur ces travées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Monsieur le secrétaire d’État, votre gouvernance se fait à crédit, mais du crédit, vous n’en avez plus beaucoup ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Richard Yung. Ça commence mal !
M. Francis Delattre. Selon tous les sondages, notamment ceux de l’IFOP, plus de 93 % des Français estiment qu’il est urgent de faire des réformes, et 65 % d’entre eux jugent nécessaire de réaliser des économies budgétaires, quitte à moderniser et à fermer les services à faible utilité.
Les Français semblent donc prêts aux réformes.
M. Jean Germain. Cela ne se voit pas toujours !
M. Francis Delattre. Monsieur le secrétaire d'État, tout le problème est maintenant de savoir ce qu’il en est de votre gouvernement et, accessoirement, de votre majorité.
Selon Michel sapin, le projet de loi de finances rectificative est un exercice qui procède à des ajustements classiques. Pour nous, c’est plutôt un moment de vérité. Ce travail ne mérite pas d’être considéré comme purement formel. En effet, en maintenant des ratios, des taux de croissance surévalués, vous banalisez une forme d’insincérité des lois de finances. Vous laissez filer les déficits, vous renoncez à vos engagements européens. En réalité, vous banalisez vos échecs.
La dépense publique a progressé de 16 milliards d’euros par rapport à 2013, ce qui entraîne un certain nombre de conséquences impressionnantes. Le solde budgétaire négatif s’est aggravé en 2014, avec une exécution à 88 milliards d’euros, contre 73 milliards d'euros en 2013. Le déficit public est corrigé à 4,4 % du PIB en 2014, au lieu des 3,6 % attendus ! Plus dangereux encore, les recettes fiscales s’effondrent de plus de 10 milliards d’euros par rapport aux prévisions, ce qui explique l’écart de plus en plus inquiétant entre les crédits votés et les crédits réellement disponibles pour les gestionnaires, les administrations. La dette publique dépasse les 2 000 milliards d’euros, ce qui représente 30 000 euros par habitant.
L’année 2014 est une année d’aggravation du déficit public, celui-ci passant de 4,1 % en 2013 à 4,4 %, ce qui est une première depuis la survenance de la crise. Le ratio même de la dépense publique rapporté au PIB marque une légère hausse, de 56,4 % à 56,5 %. Comment peut-on parler de maîtrise des dépenses publiques ?
Le niveau de la dette publique vogue vers les 100 % du PIB. Cette dette est pour l’essentiel souscrite par des apports étrangers, ce qui pose évidemment un problème de souveraineté.
François Hollande le relevait en 2012 et promettait de réduire le déficit public à 2,2 % en 2014. Or en réalité celui-ci est de 4,4 %, soit très exactement le double. Est-ce là la démonstration que nous sommes sur la bonne voie, monsieur le secrétaire d'État ?
Depuis votre arrivée aux responsabilités, vous avez réussi l’exploit de ne diminuer le déficit que d’un demi-point, en le portant de 4,9 % à 4,4 %, et de repousser à deux reprises les échéances européennes pour atteindre l’objectif des 3 %. Nous vous avions d’ailleurs mis en garde sur ce point, rappelant vos engagements envers Bruxelles. Résultat, le déficit frôle les 88 milliards d’euros, soit près de 15 milliards d’euros de plus que l’année dernière.
Naturellement, monsieur le secrétaire d'État, courageusement, vous assumez pleinement cet échec et offrez de la France à la face du monde l’image d’un pays surendetté et incapable de s’adapter aux enjeux internationaux. Les faits sont là ! Votre laxisme menace même l’équilibre de la zone euro.
Marchandage et rabotage ne donnent aucun sens ni aucun cap à votre politique budgétaire et fiscale. Le problème aujourd’hui est que nous côtoyons l’insincérité et la schizophrénie, notamment en termes de recettes, avec 6 milliards d'euros de recettes en moins au titre de l’impôt sur le revenu. Vous plastronnez néanmoins en invoquant votre mesure phare, arrachée par les députés frondeurs, qui écarte de cet impôt 3 millions de citoyens en 2015.
M. Daniel Raoul. C’est la sulfateuse ! Que d’excès !
M. Francis Delattre. Pour notre part, nous estimons que payer une participation, sous la forme d’un impôt, pour faire fonctionner les services publics, l’école de ses enfants, est un élément de la citoyenneté. Au surplus, le bon impôt repose sur une base élargie, à des taux acceptables.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, ne nous dites pas que la moindre croissance en France est due à des facteurs extérieurs. Il n’est qu’à comparer les chiffres et ils vous donnent tort : notre pays est distancé par ses partenaires européens qui ont engagé des réformes structurelles. La croissance en France en 2014 est de 0,4 %, contre 1,2 % dans l’Union européenne, 1,5 % en Allemagne, 1,2 % en Espagne et même 2,9 % en Grèce. (M. le secrétaire d’État fait un signe d’exaspération.)
M. Jean Germain. C’est un peu facile ! La Grèce était à moins 10 % !
M. Francis Delattre. Au lieu de lever les épaules, donnez-moi des réponses concrètes et précises !
Pas de réforme, que de l’improvisation ! Cela a un prix : 510 000 chômeurs supplémentaires en deux ans. Parce que vous avez de très mauvais résultats et que vous ne respectez pas vos objectifs de réduction du déficit transmis à Bruxelles, vous trouvez in extremis plusieurs milliards d’euros pour sauver les meubles, sauf que ces milliards sont financés en partie par une hausse de la fiscalité sur les entreprises, probablement au nom de leur compétitivité…
Le summum est atteint avec la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, affectée aux collectivités locales, sur laquelle vous osez ajouter une surtaxe de l’État dans un souci inégalable de simplification administrative. Le reste du financement des 3,6 milliards d’euros repose sur des effets d’aubaine. La lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, c’est très bien, mais il est fort difficile de trouver les documents probants en amont : en fait, il ne s’agit que de lambeaux d’un habillage de circonstance !
Cela étant, vous avez un délai supplémentaire – jusqu’au mois de mars prochain – pour étayer sérieusement les engagements que demandent l’Europe, la Cour des comptes, le FMI, tous les analystes sérieux et même l’opposition.
On vous réclame une véritable réduction des dépenses publiques, la réforme du marché du travail, la renégociation de la durée du temps de travail par branche professionnelle, la libéralisation de pans entiers de l’économie, la réforme des retraites – sur ce point, essayez-vous vraiment à cette justice dont vous nous parlez régulièrement –, toutes les simplifications administratives possibles.
Ces attentes rejoignent aussi les propositions de réformes susceptibles de stimuler la croissance de la France et de l’Allemagne qu’ont formulées les économistes Pisani-Ferry et Enderlein, dans le cadre de la mission qui leur a été confiée par Paris et Berlin. Ils préconisent notamment la flexisécurité pour le marché du travail, en s’inspirant des méthodes de l’Europe du Nord et en privilégiant les accords d’entreprise afin d’aménager plus facilement le temps de travail. De plus, ils prônent de passer de l’obligation de négociation annuelle sur les salaires dans les entreprises à une obligation triennale. Enfin, ils suggèrent d’indexer le SMIC, non sur l’inflation, mais sur la progression de la productivité dans l’économie.
Ces deux dernières propositions ont essuyé d’emblée une fin de non-recevoir de la part de votre gouvernement.
M. Jean Germain. Ce serait terrible !
M. Francis Delattre. L’opposition les reprendra à son compte dans le cadre de son programme. Régulièrement, vous nous demandez notre projet et nos intentions : il nous suffira de reprendre tout ce que vous n’avez pas eu le courage de faire !
Je vous rappelle que, sous le précédent quinquennat, tous les objectifs de réduction du déficit public fixés dans la loi de programmation ont été non seulement respectés, mais même dépassés. Nous avons réduit le déficit de 1,8 point en deux ans, de 2009 à 2011, juste après le pic de la crise.
Vous vous glorifiez d’avoir baissé les dépenses. Mais c’est un artifice de vocabulaire : il s’agit en réalité d’un ralentissement de leur progression, rien de plus.
Le présent projet de loi de finances rectificative est dans la lignée des autres textes budgétaires votés cette année et votre communication enfiévrée masque de moins en moins votre marque de fabrique : le renoncement.
Vous affirmez que vous soutenez l’économie, alors que vous faites tout le contraire.
Je m’appuierai sur deux exemples issus du texte que nous examinons.
Premier exemple, après la malheureuse innovation fiscale consistant en la non-déductibilité des intérêts contractés par les entreprises pour leur investissement en 2013, vous persistez dans l’erreur avec la non-déductibilité de la taxe de risque systémique, qui va affaiblir les banques et les compagnies d’assurance.
M. Daniel Raoul. On va pleurer !
M. André Gattolin. On ne va pas en plus payer pour leurs idioties !
M. Francis Delattre. Attendez la suite de mon propos, mes chers collègues !
Monsieur le secrétaire d’État, la Fédération bancaire française vous a demandé de renoncer à ce projet, estimant que la mesure allait accroître la charge fiscale pesant sur les banques de 900 millions d’euros sur trois ans. Comme vous ne l’ignorez pas, en France, nous n’avons pas de fonds de pension,…
M. Daniel Raoul. Tant mieux !
M. Francis Delattre. … nous avons une épargne bloquée, dite « assurance vie ». Ce sont les banques qui assurent 90 % des financements des PME et TPE et même des grandes entreprises. En voulant les assécher à toute force, sur le fondement d’une idéologie un peu ancienne, vous supprimez, qui plus est après la réforme de Bâle III qui a renforcé leurs fonds propres, leur capacité à investir, c’est-à-dire à prêter aux entreprises. Ce faisant, vous tuez de l’emploi dans l’œuf. C’est typiquement le genre de mesure que nous contestons depuis deux ans.
Par voie de conséquence, les négociations sur le pacte de responsabilité et de solidarité ont été suspendues. Le secteur bancaire s’était engagé à créer 42 000 emplois entre 2015 et 2017, mais ce n’est plus d’actualité. M. Macron a raison de dire que ce pacte est un échec, mais, s’il en est ainsi, c’est le fait non pas des entreprises, mais bien de vos désordres. Votre communication sur le donnant-donnant n’a visiblement pas valeur d’engagement pour vous et les vrais chiffres du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, soit 7,2 milliards d’euros d’allégement de charges à ce jour au bénéfice des entreprises, sont bien loin des 20 milliards d’euros annoncés urbi et orbi depuis deux ans ! (M. le secrétaire d’État fait un signe d’exaspération.)
Monsieur le secrétaire d’État, le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne compense pas les impôts et taxes tombés en rafale au cours de la même période sur nos entreprises. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.) Il faut savoir écouter ceux qui ne pensent pas comme vous, mes chers collègues ! C’est cela la discussion, c’est cela le débat !
Second exemple, le logement est un chantier prioritaire, paraît-il. Vous reconnaissez enfin que le secteur est en panne et qu’il contribue largement au déficit de croissance que connaît notre pays. On est bien loin des 500 000 logements promis par le candidat Hollande ! La réactivation du marché devient donc une priorité. Pourtant, ce n’est pas la défiance marquée envers les élus locaux par le biais d’une série de textes qui sera le meilleur levier pour relancer le logement. Il est temps de se rendre compte des dégâts désastreux de la loi Duflot pour ce secteur d’activité.
Le « choc de complexification paperassière », dixit Les Échos, occasionné par cette loi, en particulier pour ce qui concerne les promesses de vente – le nombre de documents requis a été multiplié par six –, la baisse des plafonds de loyer prévue pour 2016, le renforcement des droits des locataires qui deviennent plus importants que ceux des propriétaires et provoquent un véritable déséquilibre ont effrayé de nombreux bailleurs qui ont préféré vendre plutôt que de continuer à louer. Tout cela a fait fuir les investisseurs !
M. Daniel Raoul. Ben tiens !
M. Francis Delattre. Tout ce fatras que vous avez voté, vous, chers collègues de la majorité, paralyse.
Je souhaite maintenant mettre l’accent sur un fait trop souvent ignoré. On compare fréquemment notre économie à celle de l’Allemagne. Savez-vous que, en matière de logement, le coût moyen, toutes catégories confondues et quelle que soit la situation géographique, est supérieur de 50 % en France par rapport à celui de son voisin d’outre-Rhin,...
M. Daniel Raoul. Non, de 30 % !
M. Francis Delattre. … ce qui obère la capacité de consommation des familles de notre pays ?
Certes le logement n’est pas un sujet facile à traiter. Il est vrai que la France présente ce paradoxe d’être le pays qui consacre le plus d’argent aux allocations aux personnes et à la pierre et qui a les résultats les plus contestables. Une véritable réforme s’impose donc. Et ce n’est pas la mesurette que comporte le présent texte qui y changera grand-chose ! Il s’agit d’une nouvelle taxe, une de plus ! Dissuader les propriétaires de résidences secondaires de détenir des biens dans des zones tendues : voilà la nouvelle trouvaille ! « Inciter à orienter les logements existants vers l’usage de résidence principale » : mais les résultats sont connus d’avance, et nous savons bien tous que c’est pour faire plaisir à quelques élus, en particulier à la maire de Paris. Monsieur le secrétaire d’État, quelle misère d’en arriver là !
Cependant, il est peu probable que, dans la capitale, cette mesure entraîne des mises en location ou des ventes immobilières en série, car la taxe d’habitation est relativement faible et les propriétaires de résidences secondaires à Paris sont plutôt aisés, ce qui n’est pas le cas dans de nombreuses autres communes. Résultat, ce sera une taxe supplémentaire sur le dos des classes moyennes !
Le Président de la République a affirmé sur TF1 : « À partir de l’année prochaine, il n’y aura pas d’impôts supplémentaires pour qui que ce soit ». Or, depuis cette annonce, c’est l’avalanche !
Le projet de loi de finances pour 2015 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 prévoient de nouvelles mesures fiscales : augmentation du prix du gazole, de la taxe de séjour, de la base fiscale de la taxe d’habitation, et j’en passe.
Et le projet de loi de finances rectificative en rajoute, sa mesure la plus emblématique étant la majoration de 50 % de la TASCOM, afin d’alimenter les caisses non pas des collectivités locales, mais de l’État.
Mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous devons nous opposer fermement à cette hausse, car entre la diminution des dotations de l’État et la privation progressive d’un certain nombre de nos recettes légitimes, il sera pour nous très compliqué de gérer nos collectivités dans quelques mois.
La nouvelle taxe sur les sociétés d’autoroute est encore une fois une mesure très médiatique, très démagogique, surtout après la suppression de l’écotaxe. Cette disposition, introduite à l’Assemblée nationale à la suite de l’adoption d’un amendement « spontané » du député socialiste, M. Faure, prévoit d’appliquer le droit commun à ces sociétés en plafonnant à 75 % la déductibilité des charges financières, ce qui rapporterait 60 millions d’euros à l’État. Cette taxe sera à n’en pas douter répercutée sur l’utilisateur, c'est-à-dire sur les particuliers et sur les entreprises.
Enfin, mon cher collègue sénateur de Paris, le vote par votre majorité de l’amendement visant à autoriser le STIF, le Syndicat des transports d’Ile-de-France, à relever le taux du versement transport des entreprises afin de financer le pass navigo à tarif unique en Île-de-France est contestable compte tenu de la conjoncture actuelle et du ras-le-bol des dirigeants d’entreprise. La volonté de faire un cadeau à la veille des élections régionales a prévalu sur tout engagement raisonnable. Cette mesure aurait au moins mérité un étalement dans le temps.
Telles sont les quelques réflexions dont je souhaitais vous faire part, mes chers collègues, sur le projet de loi de finances rectificative qui nous est aujourd'hui soumis.
J’aimerais maintenant réagir à la discussion que nous avons eue sur l’aide médicale d’État, l’AME, et répondre à M. le secrétaire d’État, ce que je n’avais alors pas pu faire.
M. Daniel Raoul. Il ne manquait plus que cela !
M. Francis Delattre. Je tiens à dire deux choses.
À notre sens, il valait mieux réduire le budget de l’aide médicale d’État plutôt que de rejeter les crédits de la mission en cause. L’AME demeure indispensable. Si elle doit permettre aux étrangers en situation irrégulière d’accéder aux soins urgents, elle ne doit cependant pas être un guichet ouvert. Sommes-nous capables de nous inspirer de ce que font nos voisins afin de mieux maîtriser les phénomènes auxquels nous sommes confrontés ? Est-il interdit de revoir les critères d’accessibilité ?
« Comment choisir entre ceux qui méritent des soins et les autres ? » avez-vous demandé, monsieur le secrétaire d’État. J’ai une seule réponse à vous faire : allez dans les aires d’accueil des hôpitaux et vous verrez comment les choses se passent. (M. le secrétaire d’État montre des signes d’exaspération.)
À cet égard, il ne me semble pas inutile de rappeler que la Caisse d’amortissement de la dette sociale supporte, tous déficits cumulés, 160 milliards d’euros de dettes et que l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale demande à emprunter 34 milliards d’euros pour ses comptes courants. Cela devrait nous inciter à faire preuve de modestie s’agissant de cette prétendue générosité à crédit.
Aujourd'hui, nous constatons que l’investissement est au point mort, comme en témoignent les chiffres relatifs à l’industrie manufacturière dévoilés par l’INSEE. Cet institut prévoit un recul des investissements de l’ordre de 3 % en 2015. Il sera donc très difficile de regagner des parts de marché avec un outil industriel vieillissant. Et, mes chers collègues, c’est non pas en Asie, mais en Europe que notre pays perd des parts de marché.
Les entreprises ont besoin qu’on leur fasse confiance. Elles ont besoin d’une visibilité fiscale et réglementaire. Les PME veulent moins de paperasse, moins de normes. Cela ne coûterait rien de lever quelques incompréhensions, mais cela pourrait rapporter gros.
Ce moment de vérité ne doit pas être facile pour vous, monsieur le secrétaire d’État, mais je tenais à vous présenter la vérité d’une partie de l’hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Richard Yung. C’est très clair !
M. le président. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Si Francis Delattre était peintre, il ne serait pas un impressionniste ! (Sourires.)
M. Francis Delattre. Je suis né à côté d’Auvers-sur-Oise !
M. Jean Germain. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez présenté l’équilibre budgétaire issu du projet de loi de finances rectificative et expliqué de manière très claire et pédagogique les dépenses, les recettes et le déficit. M. le rapporteur général nous a fait part du jugement qu’il portait sur cette présentation, qui, pour notre part, nous convient.
Nous pourrions traiter de l’équilibre budgétaire de façon académique si nous n’étions pas dans la zone euro et si les circonstances étaient différentes. Au lieu de nous reprocher les uns les autres les erreurs passées, présentes, éventuellement futures, nous ferions mieux de nous mettre d’accord sur la situation dans laquelle nous nous trouvons.
La zone euro – elle comprend la France, mais aussi l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, entre autres – est l’une des zones du monde où la croissance est la plus faible. Celle-ci est beaucoup plus forte aux États-Unis, en Asie, même dans les pays émergents, où elle ralentit pourtant. Et si la croissance de la Grande-Bretagne, qui ne fait pas partie de la zone euro, est plus forte, son déficit progresse plus rapidement. Il y a donc une particularité européenne, qu’il nous faudra bien prendre en considération un jour.
Par ailleurs, les économistes et l’homme de la rue sont perplexes. On nous disait que la force de l’euro par rapport au dollar, le coût de l’énergie et l’inflation étaient la cause du retard européen. Or, à l’heure actuelle, l’euro a considérablement baissé par rapport au dollar et le tarif de l’énergie a beaucoup diminué. Alors que prix du baril de pétrole s’établissait à 106 dollars à la fin du mois de juin, il est aujourd'hui de 60 dollars. Tous les indicateurs ont donc atteint le niveau nécessaire à une reprise selon les économistes. Et pourtant…
Pour ma part, j’ajouterai à cette liste l’inflation, contre laquelle tant la banque de France et la BCE, que l’Allemagne considéraient qu’il fallait absolument lutter. Aujourd'hui, notre pays connaît une inflation très faible, ainsi qu’une inflation sous-jacente quasiment négative, mais pour de mauvaises raisons.
Si nos prix baissaient parce que notre pays est extrêmement concurrentiel ou parce que la créativité est importante en Europe, ce serait une bonne chose. Or les prix ne diminuent pas et l’inflation est faible en raison de la baisse non seulement des salaires, mais aussi des marges et des prix des produits manufacturés. En effet, les entreprises étant frileuses, pour conquérir et conserver des marchés, elles consentent à ces deux dernières diminutions. Enfin, les ménages se serrent la ceinture parce qu’ils pensent que les mesures de restriction seront de plus en plus dures au cours des années à venir.
Nous avons donc intérêt à trouver, à défaut d’une explication commune à la situation de la zone euro, des justifications, car, dans les circonstances actuelles, nous ne sommes plus crédibles aux yeux d’un certain nombre de personnes. Et c’est ce qu’il y a de pire.
Finalement, c’est une déflation qui nous menace.
Dans ces conditions, les mesures qui ont été prises par le Gouvernement ne peuvent pas toutes être bonnes, évidemment, mais elles vont dans le bon sens. Ce n’était pas le moment de mener une politique récessive.
Dans le contexte actuel, la baisse absolue et rapide des dépenses publiques est-elle l’alpha et l’oméga de toute politique ? Très honnêtement, je n’en suis pas sûr. Quant au sacro-saint ratio de 3 %, est-il bon ? Pour ma part, je pense que ces questions méritent franchement d’être discutées.
Si la dette de la France est indiscutablement trop importante par rapport à son PIB, nous devons nous interroger sur le rythme de la décroissance de la dépense publique, du déficit et de la dette.
Voilà quelques années, on enseignait dans les amphithéâtres les plus savants que si à la baisse de l’euro par rapport au dollar et des prix de l’énergie venait s’ajouter celle des taux d’intérêt, ce serait le paradis. Tous ces éléments sont bel et bien là aujourd'hui. Or, malgré tout, nous constatons un ralentissement en France, mais aussi en Allemagne et, de façon générale, dans tous les pays de la zone euro. En Grande-Bretagne, dont le taux de croissance est plus élevé, le déficit, je le rappelle, augmente et s’établit à 5,6 %.
Quant à l’Italie, qui a lancé des réformes structurelles à tout-va et qui était présentée comme une référence, sa dette est beaucoup plus importante que celle de la France et représente aujourd'hui 133 % du PIB.
Par conséquent, nous devons faire preuve d’une certaine modestie sur ces sujets. Il est cependant dans l’intérêt de notre pays que d’aucuns trouvent des solutions pouvant recueillir un accord assez large.
Cela étant, le présent projet de loi de finances rectificative contient des mesures à la fois sociales, économiques et fiscales.
Nous sommes favorables à la suppression de la prime pour l’emploi et à son remplacement par un nouveau dispositif.
Nous pensons que la lutte contre la fraude fiscale, notamment la fraude à la TVA dans les secteurs à risques que sont le marché des véhicules d’occasion, les sociétés éphémères et les ventes sur internet, est une bonne chose.
Nous souscrivons aux nouveaux outils fiscaux en faveur de la politique du logement, ainsi qu’à la déductibilité de l’impôt sur les sociétés de la taxe de risque systémique versée par les banques et qui a vocation à se transformer en 2015 en une contribution au Fonds de résolution européen des crises bancaires.
Le Gouvernement est revenu sur les nouvelles conditions d’exonération du versement transport. C’est positif.
Les nouvelles conditions posées par l’Assemblée nationale concernant l’augmentation de la taxe d’habitation sur certaines résidences secondaires nous conviennent également. Cette hausse sera décidée par les communes, qui auront la possibilité de la moduler entre 0 % et 20 %.
En revanche, nous sommes très réservés – nous y reviendrons au cours des débats – sur l’augmentation de 50 % de la TASCOM affectant toutes les surfaces commerciales de plus de 2 500 mètres carrés. Les protestations montent de toute part, car une telle hausse concernera de nombreux commerces, allant de la vente de voitures aux jardineries. Mais en seront exonérés les concurrents allemands et britanniques de la grande distribution française. Aucun magasin Lidl, par exemple, n’occupe une surface supérieure à 2 500 mètres carrés.
De façon unanime, nous souhaitons que la fiscalité locale soit sanctuarisée et nous combattrons résolument toute mesure allant dans un sens contraire.
Monsieur le secrétaire d’État, il ne nous semble pas très facile de traiter de la modification de la fiscalité applicable aux casinos en quelques heures, car il s’agit d’une question importante. Si c’est un sujet fiscal pour la haute administration, c’est un sujet moral pour la population. Nombreux sont ceux qui considèrent que les conditions de cette réforme ne correspondent pas à ce qu’ils souhaitent.
Enfin, nous pensons nécessaire une stabilité fiscale, notamment pour les collectivités locales et les entreprises, qui ne peuvent pas être d’éternelles variables d’ajustement. Certaines mesures décidées à la va-vite, sans concertation suffisante et sans expertise poussée entraînent des tensions avec les contribuables concernés, et nous le regrettons.
Cela étant dit, nous sommes globalement favorables au projet de loi de finances rectificative qui nous est aujourd'hui présenté. Bien entendu, nous veillerons à ce qu’il ne soit pas trop dénaturé par la majorité sénatoriale, voire vidé de sa substance, comme ce fut le cas du projet de loi de finances pour 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le rabot sévissant autant sur les temps de parole que sur les crédits, je limiterai mon propos à trois considérations. (Sourires.)
D’abord, ce projet de loi de finances rectificative comporte une dimension très classique : celle du constat dressé à la fin de chaque année.
Ensuite, derrière ce classicisme, quelques singularités conduisent à s’interroger, de manière parfois positive, mais souvent négative, notamment eu égard à ce trop-plein de taxes et de mesures nouvelles.
Enfin, le présent projet de loi de finances rectificative ne parvient pas à masquer une réalité qui s’impose au Gouvernement, comme à tous les parlementaires : notre difficulté collective à adapter notre pays pour le mettre sur le chemin vertueux de l’orthodoxie économique et budgétaire.
Ce collectif budgétaire est donc, d’abord, très classique. Chaque projet de loi de finances rectificative contient, nous le savons, sa part d’ajustement à la croissance, à l’inflation, à la dérive positive ou négative des recettes, des dépenses et, par conséquent, du solde.
Vous ne l’éviterez pas, monsieur le secrétaire d’État ; et, autant le dire, dans le contexte actuel de morosité économique, les indicateurs se dégradent. C’est logique ! Mais ces indicateurs montrent également que vous ne maîtrisez pas la situation, qui, à bien des égards, vous échappe. C’est donc le constat d’un échec, ou d’une absence de contrôle de la situation.
Nous remarquons malheureusement que le déficit budgétaire dépassera cette année de 13 milliards d’euros celui de l’an dernier, et qu’il sera supérieur de 6 milliards d’euros à la prévision qui a présidé à l’élaboration de la loi de finances initiale. La France est le seul pays important en Europe dont les finances publiques se sont dégradées autant entre 2013 et 2014 : son déficit passera de 4,1 % du PIB à 4,4 % cette année. Ce simple rappel contredit l’enthousiasme et la satisfaction du Gouvernement relatifs à l’exécution du budget de 2014. Cette situation, en effet, met directement en cause la souveraineté budgétaire de notre pays.
Nous notons aussi la dégradation des rentrées fiscales, qui connaissent une baisse de 12 milliards d’euros, dont 6 milliards d’euros pour le seul impôt sur le revenu. Certes, l’absence de croissance explique en partie ce phénomène, mais force est de le constater, plus la pression fiscale augmente, plus le produit réellement perçu chute par rapport à la prévision. Il faut sans doute y voir la conséquence des mesures fiscales adoptées par la majorité à l’Assemblée nationale.
L’impôt sur les sociétés a, quant à lui, rapporté 4 milliards d’euros de moins que prévu, conséquence tant de la baisse d’activité que du mitage dont il est l’objet, du fait des multiples dispositifs, de plus en plus complexes, de crédits d’impôt.
Mais, me direz-vous, il y a bien sûr des signaux positifs : le recul du prix du baril de pétrole, les taux d’intérêt bas, l’euro faible. Or ces faits ne sont pas dus à notre action. Ensuite, si ces signaux doivent annoncer des lendemains meilleurs, ils n’ont pas de traduction positive dans le présent projet de loi de finances rectificative ; vous nous avez habitués, monsieur le secrétaire d’État, aux annonces et aux paris non tenus !
On le constate, derrière les éléments classiques d’ajustement de crédits de fin d’année, la noirceur du diagnostic sur l’état de l’économie et sur les résultats de votre politique apparaît.
Mais, me direz-vous encore, ce projet de loi de finances rectificative comporte des mesures nouvelles. Il y en a même trop ! Je pense notamment aux taxes diverses et variées qu’il contient : en réalité, vous faites le plein avant 2015 !
Je relève par ailleurs – tous les gouvernements procèdent ainsi – des surprises, quelques singularités, qui auraient pu ou dû être exposées dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances initiale, mais qui se trouvent curieusement inscrites dans le présent projet de loi de finances rectificative, avec une caractéristique : taxes et nouveautés comprises, on frise l’overdose !
Cela étant, les dispositions nouvelles sont parfois positives ; je pense aux mesures de soutien à l’aviation civile. Elles sont néanmoins souvent négatives ou apparaissent comme bricolées, en tout cas impossibles à expertiser aussi rapidement ; je pense au financement du pass navigo en Île-de-France, à la fin de la prime pour l’emploi, ou encore aux dispositions relatives aux casinos. Je ne développerai pas mon propos sur ce point, faute de temps. Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur général, d’ailleurs, l’ont fort bien indiqué : trop de mesures ajoutées à l’Assemblée nationale, et pilotées par le Gouvernement,…
M. Vincent Capo-Canellas. … obèrent largement ce projet de loi de finances rectificative.
Enfin, et ce sera ma dernière observation, au terme ou presque de l’exécution de l’année budgétaire, nous pouvons constater ensemble les difficultés de la France qui sont aussi les nôtres. Projet de loi de finances après projet de loi de finances, projet de loi de finances rectificative après projet de loi de finances rectificative, mesure après mesure, nous sommes face à la difficulté d’adaptation de notre pays. La situation budgétaire se dégrade, les marges et l’investissement des entreprises sont au plus bas, le chômage augmente. Cela doit nous amener à nous interroger collectivement sur l’efficacité des réformes et des mesures prises par ce gouvernement comme par ses prédécesseurs : l’accord national interprofessionnel ne produit pas les effets attendus, la réforme de la formation professionnelle est trop timorée, le pacte de responsabilité et de solidarité et le CICE ne donnent pas les résultats annoncés.
Est-ce une question de calibrage ou une simple question de délai, comme semble le penser le Gouvernement ? Nous ne pouvons pas nous en contenter et attendre que la croissance revienne. Les efforts du Gouvernement, si réels soient-ils, ne sont pas à la hauteur de la situation économique actuelle. Telle est notre conviction.
Je conclurai en vous disant, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’il nous faut fournir un effort plus important d’adaptation. Les déclarations des responsables européens sont de plus en plus explicites, pour le moins, sur ce sujet. Nous devons en avoir conscience : nous jouissons d’un sursis. Au-delà du risque qui est associé à ce dernier, il nous faut éviter le décrochage économique complet. C’est tout l’enjeu, ou plutôt la gageure, devrais-je dire, du projet de loi Macron, si tant est qu’il suffise, ce dont je doute.
Il faut donc aller plus loin. Ce défi est le vôtre, monsieur le secrétaire d’État, il est aussi celui de tout le pays. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung. (MM. Jacques Chiron et Jean Germain applaudissent.)
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, disposant d’un temps de parole inférieur à celui qui était imparti à Francis Delattre, je me contenterai, pour lui répondre, de faire miennes les observations formulées à l’instant par Jean Germain, et de me livrer à quelques remarques ponctuelles sur certains aspects du projet de loi de finances rectificative.
Je voudrais d’abord évoquer la question de la non-déductibilité de la taxe de risque systémique, ou TRS, et des futures contributions au Fonds de résolution unique, le FRU.
Lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dit «DDADUE» – nous l’avons examiné en commission mixte paritaire ce matin –, André Gattolin avait présenté un amendement visant à rendre non déductibles de l’impôt sur les sociétés les contributions au FRU. J’avais alors quelque peu hésité : le texte en question n’était pas de nature fiscale. De plus, au mois d’octobre, nous ne savions pas que la TRS allait être progressivement supprimée d’ici à 2019, parallèlement à la montée en charge, elle aussi progressive, des contributions au FRU. Compte tenu du nouveau contexte, il paraît logique de prévoir la non-déductibilité de la TRS et des contributions au FRU. Je ne partage donc pas le point de vue du rapporteur général en la matière.
M. Francis Delattre. On appelle cela de la flexibilité !
M. Richard Yung. Il s’agit en effet d’un point important de l’accord avec l’Allemagne.
M. Francis Delattre. Ce n’est pas ce que disait le rapporteur du texte voilà quelques semaines !
M. Richard Yung. Quel rapporteur ? Sur quel texte ? Je ne vois pas de quoi vous parlez, mon cher collègue. Je n’étais pas partie à la négociation et, en tout cas, je n’ai certainement pas tenu les propos que vous prétendez avoir entendus.
Il est tout à fait clair que l’Allemagne a considéré que la déductibilité des contributions des banques françaises au FRU était un problème, ses propres banques ne l’appliquant pas. Cela a donc fait partie du deal avec elle.
Cette mesure, bien sûr, ne rencontre pas l’assentiment du secteur bancaire, mais elle est à mon sens cohérente avec les objectifs fixés pour l’union bancaire : prévenir les crises bancaires et éviter que l’argent des contribuables et des épargnants ne soit utilisé pour renflouer les banques en difficulté, ce qui ne manquerait pas d’arriver dans le cas contraire.
M. André Gattolin. Très bien !
M. Richard Yung. Ensuite, en ma qualité de représentant des Français établis hors de France, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer votre écoute, monsieur le secrétaire d’État, et vous remercier d’avoir non seulement mis en place, mais également fait fonctionner le groupe de travail sur la fiscalité des Français établis hors de France.
Plusieurs réunions ont déjà eu lieu ; elles nous ont permis d’aboutir sur deux points.
Je veux parler, premièrement, de l’harmonisation des taux d’imposition des plus-values immobilières réalisées par les non-résidents. Les résidents établis dans des États situés hors de l’Espace économique européen étaient imposés au taux de 33,33 %, sans compter les 15 % dus au titre de la CSG, quand les résidents en France ou dans un État membre de cet espace se voyaient appliquer un taux de 19 %, en plus de la CSG. La fiscalité des non-résidents sera désormais harmonisée, ce qui est un grand succès pour nous tous.
Je veux parler, deuxièmement, du plafonnement du quotient familial pour les non-résidents qui contribue à renforcer l’égalité de traitement entre les contribuables.
Mais nous avons encore quelques dossiers importants devant nous, monsieur le secrétaire d’État. L’assujettissement aux prélèvements sociaux – CSG et CRDS – des revenus du patrimoine et de placement de source française perçus par les non-résidents pose problème, par exemple ; il sera examiné prochainement par la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE. On aurait pu anticiper ; vous avez fait un autre choix. Je vous pose dès lors une seule question : savez-vous quand la CJUE rendra sa décision ?
Je souhaiterais signaler, par ailleurs, qu’il faut améliorer l’information des contribuables établis à l’étranger. Rares sont ceux qui savent qu’ils peuvent jouir d’un taux d’imposition inférieur au taux minimum de 20 % s’ils apportent la preuve que le taux de l’impôt français appliqué à l’ensemble de leurs revenus mondiaux serait inférieur à 20 %. Il existe bien d’autres règles encore, qui sont à leur avantage, mais qu’ils ne connaissent pas du tout.
J’en viens maintenant à l’autoliquidation de la TVA due à l’importation, dont je me félicite. Il s’agit d’une mesure de simplification importante, qui permettra de limiter de façon significative la fraude à la TVA. On sait très bien que l’entrée des biens sur notre territoire, hors TVA, peut entraîner l’apparition de carrousels, qui se perdent bien souvent dans des sables inconnus, et représentent ainsi des pertes de TVA pour notre pays. Cette disposition sera également un facteur important d’attractivité des ports français, lesquels subissent, vous le savez, mes chers collègues, la rude compétition des ports de l’Europe du Nord. Elle devrait donc renforcer notre compétitivité en la matière.
En ma qualité de président du Comité national anti-contrefaçon, j’accueille avec beaucoup de plaisir la disposition prévoyant l’interdiction de la vente de tabac à distance dans un pays étranger. Cette mesure permettra non seulement de freiner le développement du marché parallèle, qui représente tout de même 25 % de la consommation française, mais aussi de lutter plus efficacement contre le commerce des cigarettes de contrefaçon, lesquelles comportent des risques supplémentaires, par rapport aux cigarettes, déjà nocives, pour la santé publique.
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État, je me permets de vous faire une suggestion sur un point non abordé dans le projet de loi de finances rectificative, à savoir la fiscalité des brevets. En effet, tous nos partenaires européens mettent en place des politiques d’attractivité en matière de brevets, passant par la création de « patent boxes », des « boîtes à brevets », en réalité des taux réduits de fiscalité sur les revenus de propriété industrielle. Ces pays – la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Irlande, notamment – pratiquent donc, disons-le, une concurrence déloyale ; nous devons par conséquent nous défendre nous-mêmes et entamer une réflexion sur ce sujet.
En conclusion, je dirai que, dans le contexte macroéconomique actuel, qui a évidemment contribué à la dégradation de nos finances publiques, nous avons opté pour le sérieux budgétaire. À la brutalité des coupes dans les dépenses publiques, la France préfère l’adaptation du rythme de l’assainissement budgétaire.
Les bonnes nouvelles sur le front du déficit, rendues publiques aujourd’hui, ainsi que la hausse de 0,3 % du PIB enregistrée au troisième trimestre montrent que cette politique a des résultats encourageants. Nous espérons qu’elle ira plus loin, car nous avons besoin d’une croissance beaucoup plus forte.
Pour toutes ces raisons, avec mes collègues du groupe socialiste, je voterai le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ne disposant pas d’un temps de parole suffisant pour revenir sur les grands équilibres de ce projet de loi de finances rectificative, je m’en abstiendrai, d’autant que démonstration en a été faite par Michèle André, Jean Germain et Richard Yung.
J’examinerai en revanche des points plus spécifiques, qui concernent principalement la fiscalité. Le présent texte contient en effet une série de dispositions satisfaisantes.
Tout d’abord, il met l’accent sur la lutte contre la fraude. Certes, des flux trop importants sont encore exemptés de fait de l’impôt, mais, depuis 2013, budget après budget, le Gouvernement avance avec constance, en s’appuyant sur les décisions et recommandations de l’OCDE, à laquelle, monsieur le secrétaire d’État, tout comme Michel Sapin, vous apportez votre soutien.
Les moyens de la lutte contre la fraude à la TVA sont renforcés, ce qui entraîne une augmentation des recettes fiscales de l’ordre de 150 millions d’euros. L’action est concentrée sur des canaux de fraude qui ont émergé relativement récemment dans le domaine de la vente en ligne ou de la construction, ainsi qu’en matière de vente de véhicules d’occasion. Nous avons toutes les raisons de nous féliciter de cet effort.
Le texte du Gouvernement a été judicieusement complété par nos collègues de l’Assemblée nationale, notamment sur la question des prix de transferts, ces mécanismes de facturation de services entre entités d’une même multinationale qui donnent lieu à des pratiques d’optimisation fiscale. Il s’agit d’un problème récurrent, souvent évoqué dans cet hémicycle ou à l’occasion des différentes commissions d’enquête sur l’évasion et l’optimisation fiscales auxquelles, avec un certain nombre de collègues, j’ai pu participer.
Je salue pour ma part l’initiative du député Dominique Lefebvre qui a présenté un amendement tendant à éviter le règlement contentieux des litiges en la matière. Il s’est inspiré du fonctionnement de la cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger, le service de traitement des déclarations rectificatives, créé au mois de juin 2013, qui donne des résultats extrêmement positifs, au-delà des attentes qui avaient été exprimées au moment de sa création et de certaines interrogations formulées à l’époque, dont je me souviens.
Il s’agit donc d’une proposition intéressante, qui peut permettre de fluidifier le règlement des différends et d’assurer ainsi la rentrée effective de ressources fiscales pour l’État.
Des dispositions visant à mettre un terme à une exemption fiscale dont bénéficient les sociétés concessionnaires d’autoroutes ont également été intégrées au texte par nos collègues députés. Si je partage profondément l’émotion qu’ont suscitée les rapports successifs de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes, je sais aussi que le Gouvernement est actuellement au cœur d’une négociation qu’il n’est pas souhaitable de déstabiliser par des prises de position pouvant se révéler contreproductives. C’est la raison pour laquelle je me rangerai à la position que le Gouvernement estimera être la plus sage, étant donné sa prise de conscience de l’affaiblissement du poids de l’État dans le rapport contractuel en cause.
Je rappelle d’ailleurs que ce dernier a été institué en 2005 par un autre gouvernement sous la forme d’une cession de gré à gré, laquelle a entraîné la situation actuelle. Monsieur le secrétaire d’État, je note votre volonté de reprendre la main sur le sort de nos autoroutes.
Les taxes non déductibles ayant été évoquées par mes collègues André Gattolin et Richard Yung, je n’y reviendrai pas.
Même si j’ai bien conscience que ce sujet déborde le strict cadre de la discussion qui nous occupe aujourd’hui, je voudrais néanmoins examiner maintenant les enjeux du régime fiscal réservé aux instances qui organisent des événements sportifs exceptionnels, dont les retombées économiques singulières seraient supérieures à leur coût fiscal, en particulier l’UEFA, dans le cadre de l’organisation de l’Euro de football qui aura lieu en 2016. Il s’agissait d’assurer la nécessaire continuité de l’État et de confirmer la crédibilité de la parole de la France. En même temps, nous devons a minima éprouver une certaine gêne face à l’argument selon lequel, si nous voulons continuer à accueillir de grands événements sportifs contribuant au rayonnement de notre pays, nous devrions impérativement concevoir des mécanismes de contournement de l’impôt, dont nous combattons par ailleurs le principe.
Compte tenu de ces contraintes, la position adoptée me paraît relativement équilibrée : nous sommes d’accord pour confirmer les engagements de la France, mais nous n’avons pas vocation à pérenniser ce genre de niches fiscales géantes.
Du reste, comme cela a été mentionné en commission des finances, il est nécessaire aujourd’hui de trouver des relais auprès de la Commission européenne, de l’OCDE, et d’engager une réflexion forcément collective et internationale pour éviter que de tels événements ne laissent derrière eux des pays au bord de la faillite, comme la Grèce après les jeux Olympiques de 2004, ou proches de la guerre civile, comme le Brésil à la suite de la Coupe du monde de football de 2014.
Enfin, je souhaite évoquer un amendement, dont l’adoption n’aurait pour effet ni dépenses ni recettes, qui vise à alléger les contraintes administratives pesant sur les véhicules d’investissement créés par ce que l’on appelle les « business angels ». Ceux-ci sont très présents dans la région Rhône-Alpes, en particulier à Grenoble. Il s’agit de personnes physiques qui investissent, à titre personnel, entre 5 000 euros et 20 000 euros dans le cadre d’une société d’investissement de business angels. Ces fonds sont contrôlés par un expert-comptable.
Lorsqu’une jeune entreprise qui présente un projet jugé porteur d’innovations relevant de nouveaux segments d’activités n’est pas écoutée par le secteur bancaire – ce que l’on peut regretter –, elle est accompagnée par le tutorat d’un comité d’investisseurs, qui débloque les fonds nécessaires mis en réserve et soutient son développement. Le montant de ceux-ci se situe généralement entre 100 000 et 200 000 euros.
Vous l’avez compris, il s’agit de structures légères, réactives, qui comportent une prise de risque par des personnes physiques et qui n’emploient pas de salarié afin de consacrer l’intégralité des sommes récoltées à l’investissement - je reviendrai sur le fait qu’on leur imposait auparavant deux salariés.
Depuis leur création, plus de 200 entreprises ont été accompagnées et ont créé plus de 20 000 emplois.
À ce propos, dans une étude, la Banque publique d’investissement a relevé la forte incidence de ce type d’aides à l’investissement sur le décollage de jeunes entreprises innovantes, comme nous l’a exposé son directeur général au début de l’année en nous présentant son bilan.
L’assouplissement des conditions d’investissement des business angels proposé me paraît salutaire et s’inscrit dans le cadre plus global de l’activation de tous les leviers favorables à la croissance dans le présent projet de loi de finances rectificative.
En conclusion, parce qu’il traduit l’esprit de responsabilité du Gouvernement et qu’il intègre de vrais marqueurs de solidarité et de justice sociale, je soutiendrai naturellement avec mes collègues socialistes, monsieur le secrétaire d’État, le texte que vous nous soumettez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Étant donné l’heure tardive, je m’efforcerai d’être bref. La discussion des articles permettra d’examiner chaque sujet abordé.
M. Richard Yung. Il faut répondre à M. Delattre !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je vous prie d’ores et déjà, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir être parmi vous demain, car je dois être présent à l’Assemblée nationale. Cependant, vous ne perdrez pas au change ! (Sourires.)
Sur la forme, plusieurs orateurs se sont étonnés de la brièveté des délais d’examen du présent texte. Je ne suis pas responsable de l’organisation de vos travaux, mais je conçois que l’introduction d’un grand nombre d’articles nouveaux par l’Assemblée nationale puisse être source de difficulté et perturber votre travail, ce que je ne peux que regretter. Cela étant, la version initiale du projet de loi de finances rectificative était connue depuis suffisamment longtemps, comme c’est la règle. Je cherche non pas à me défausser sur l’Assemblée nationale, mais simplement à vous montrer que je ne suis pas responsable de tout.
Je le reconnais, certains amendements présentés à l’Assemblée nationale ont parfois été inspirés par le Gouvernement ; mais ce n’est pas le cas de tous. Du reste, ils n’émanaient pas tous de Bercy. En effet, certains de mes collègues suggèrent des mesures à des parlementaires. (M. Francis Delattre s’exclame.) Vous êtes des parlementaires avertis, vous savez que cela arrive parfois aussi au Sénat ! Je n’en dirai pas plus.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les temps de parole, la conférence des présidents est souveraine.
Cela étant, monsieur Delattre, vous n’êtes ni mon maître ni mon élève, et je ne suis ni juge ni procureur. Si j’ai marqué quelque irritation à un moment donné de votre intervention, c’est parce que vous avez évoqué à propos du CICE des chiffres faux (M. Francis Delattre proteste.) qui font référence à une base elle-même fausse.
Effectivement, nous avons estimé le coût du CICE, en année pleine, lorsque le mécanisme connaîtra son entière puissance, à 20 milliards d’euros. Le problème, monsieur Delattre, réside dans le fait que vous avez cité ce montant au titre de 2014. Or nous avions évalué le coût du CICE cette année à 12 milliards d’euros et non à 20 milliards d’euros.
Il ne vous a pas échappé, à vous qui suivez nos travaux, que les impôts sur les résultats de 2013, année pour laquelle le CICE était équivalent à 4 % de la masse salariale, sont perçus en 2014, et que les impôts sur les résultats de l’année 2014, pour laquelle le CICE s’élève à 6 %, seront perçus en 2015.
M. Francis Delattre. J’évoquais la publicité faite !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ensuite, seuls 6,5 milliards d’euros auraient été dépensés. Tout d’abord, au lieu de comparer cette somme à 20 milliards d’euros, vous auriez dû la comparer aux 12 milliards d’euros précités.
M. Francis Delattre. J’ai parlé de 7,2 milliards d’euros !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’ai dû mal entendre, alors prenons ce chiffre.
Là encore, si vous suivez attentivement nos travaux, vous savez qu’il faut distinguer trois situations pour le CICE, comme pour tous les crédits d’impôt. Soit il est octoyé aux entreprises lorsqu’elles ne paient pas d’impôt, comme cela arrive souvent. Soit c’est simplement le supplément qui est versé à l’entreprise : ainsi, si une société doit acquitter 100 d’impôt et recevoir 150 de crédit d’impôt, elle percevra alors 50. Soit, à partir des entreprises de taille intermédiaire et pour les plus grandes des entreprises, le CICE est versé avec un décalage dans le temps, puisqu’il est lissé sur trois ans selon un mécanisme progressif.
Par conséquent, entre le coût du CICE de 12 milliards d’euros et ce qui est effectivement inscrit au budget, il faut prendre en compte une partie qui est non pas une dépense, mais une moindre recette, puisqu’il s’agit d’un dégrèvement de l’impôt.
Quand on additionne ce qui a été payé – ce sont probablement les 7,2 milliards d’euros que vous évoquez – et la créance des entreprises sur l’État, c’est-à-dire une moindre recette d’impôt pour ce dernier, on arrive aujourd’hui à 10,6 milliards d’euros.
Aussi, si vous voulez effectuer une comparaison pertinente avec les estimations, il faut que vous compariez non pas 7,2 milliards d’euros à 20 milliards d’euros, mais 10,6 milliards d’euros à 12 milliards d’euros, sachant que les 10,6 milliards d’euros ne correspondent encore qu’à une donnée provisoire et que les entreprises ont trois ans pour demander leur crédit d’impôt. Vous savez que l’on peut toujours modifier son impôt dans les trois années qui suivent, par conséquent ce chiffre est probablement appelé à évoluer. Ainsi certaines entreprises ont préféré demander le CICE l’année suivante au titre de l’année antérieure, soit parce qu’elles bénéficiaient par exemple du crédit d’impôt recherche, soit parce que le CICE auquel elles avaient droit était modeste. Elles ont alors estimé préférable de cumuler le CICE sur plusieurs années, ne jugeant pas utile de bénéficier de liquidité l’année dite.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai marqué une petite irritation, monsieur Delattre. Ma légère exaspération ne concernait pas le fond de vos propos, qui étaient évidemment, comme d’habitude, très mesurés.
M. Francis Delattre. C’est très vrai !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mais vous avez pris un fait de façon isolée.
Comme je ne serai pas là demain pour en débattre avec vous, abordons un autre sujet que vous avez évoqué, et qui me tient à cœur : la déductibilité ou non de la taxe de risque systémique. Selon vous, la mesure proposée va pénaliser de façon scandaleuse les banques françaises et n’a pas été discutée avec la profession.
Je prendrai un exemple très simple. Une banque doit contribuer au Fonds de résolution unique à hauteur de 3 milliards d’euros, c'est-à-dire qu’elle s’engage à payer cette somme pour couvrir le risque en cas de résolution. Si la taxe est déductible, que fera-t-elle ? Elle économisera un tiers du montant, soit 1 milliard d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés. Par conséquent, elle n’aura versé que 2 milliards d’euros, le milliard restant étant payé par l’État !
M. Jacques Chiron. Donc par nous !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Tout à fait ! Trouvez-vous cela juste ? Il est question de 12 milliards d’euros, me semble-t-il, pour constituer le Fonds européen de résolution unique.
M. Francis Delattre. Il s’agit de 15 milliards d’euros pour la France !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Quoi qu’il en soit, cette somme doit être payée en totalité par les banques. Il n’est pas normal que l’État en acquitte un tiers. Cet argument, à lui seul, devrait vous convaincre.
M. Francis Delattre. Non !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Par ailleurs, le sujet de la non-déductibilité a fait l’objet d’une concertation entre la France et l’Allemagne, Michel Sapin vous l’expliquerait mieux que moi.
Enfin, la mesure a été discutée avec la profession. Il ne s’agit ni de compromission ni de marchandage. Il s’agit simplement de ne prendre personne à rebours. Lorsque le Gouvernement a évoqué cette question avec la Fédération bancaire française, celle-ci n’a évidemment pas applaudi des deux mains. Quoi qu’il en soit, la discussion a permis d’aboutir à une sortie progressive de la taxe de risque systémique actuellement existante, au fur et à mesure de la montée en puissance de la contribution au Fonds de résolution unique.
Vous avez le droit de ne pas comprendre, vous avez le droit de trouver cela injuste, mais telle est l’explication, qui est d’ailleurs très simple !
Si vous dites à nos concitoyens que les banques françaises doivent apporter 15 milliards d’euros, mais que si rien n’est fait elles n’en verseront que 10 milliards, le reste étant à la charge des contribuables, ils vous répondront que ce n’est ni juste ni normal !
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Francis Delattre. C’est dans l’intérêt des contribuables qui sont clients des banques !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il a également été affirmé que le Gouvernement profitait du présent projet de loi de finances rectificative pour augmenter un certain nombre de taxes. Pour certaines d’entre elles, c’est effectivement le cas, mais je n’insisterai pas sur ce point étant donné l’heure tardive.
Mais ce n’est pas exact pour ce qui concerne la non-déductibilité complète des frais financiers pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Je vous invite à lire le compte rendu des débats à l’Assemblée nationale, car j’ai passé une demi-heure à tenter de dissuader vos collègues députés de voter cette disposition, que je connais bien, notamment parce que je n’ai pas souhaité cette exemption lorsque celle-ci a été mise en place. J’étais à l’époque en désaccord avec le Gouvernement que je soutenais.
M. Francis Delattre. C’est vrai !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je m’étais battu pour que cette exemption ne soit pas votée ; elle ne concerne d’ailleurs pas que les sociétés d’autoroutes, mais s’applique aussi à toutes les concessions, à tous les partenariats public-privé, à tous les baux emphytéotiques. Par conséquent, les collectivités qui avaient construit – une fois de plus, je ne porte pas de jugement – des lycées, des hôpitaux, grâce à des partenariats public-privé courraient le risque de se voir imposer ce changement de fiscalité. Je remarque que les contrats signés à l’époque avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes stipulent que tous les changements de fiscalité spécifique au secteur seront imputés sur les péages.
M. Jacques Chiron. Voilà !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Premièrement, la disposition a selon moi peu de chance de franchir le cap du Conseil constitutionnel, vous en reparlerez probablement demain.
Deuxièmement, elle ne me semble pas répondre à l’objectif visé.
Troisièmement, le Gouvernement a engagé des discussions. Hier, lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, le Premier ministre a expliqué quelle était la position du Gouvernement. Il a précisé qu’il étudiait toutes les solutions, y compris celle qui consisterait à dénoncer un certain nombre de contrats pour les soumettre à une nouvelle adjudication ou à une renonciation.
Sans trahir de secret, je puis vous révéler que mercredi dernier des rencontres ont eu lieu – il y en aura également demain – entre un certain nombre de ministres chargés de ces questions et les représentants des sociétés concessionnaires d’autoroutes qui se sont exprimés. Ce sujet doit faire l’objet d’une discussion globale. Ne tirons pas dès aujourd'hui cette cartouche, qui ne semble pas forcément être la meilleure, et qui ne pèse que 60 millions d’euros – chacun évaluera si c’est suffisant ou pas…
M. Francis Delattre. Cela a été voté tout de même !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il n’est pas juste d’affirmer que le Gouvernement a suggéré une mesure visant à taxer honteusement les sociétés d’autoroutes !
M. Francis Delattre. Je n’ai pas dit cela !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Si, monsieur Delattre, je vous ai écouté ! Même si je n’en ai pas toujours l’air, je prête une oreille attentive aux propos de chacun !
Comme je vous l’ai dit, à l’Assemblée nationale, même si je comprenais leur intention, j’ai passé une demi-heure à dissuader les députés. Lisez attentivement le compte rendu des débats et vous constaterez qu’il y a eu une suspension de séance avant le vote. J’en ai profité pour rencontrer des membres des groupes parlementaires de la majorité et pour essayer d’élaborer une solution commune. Il est donc faux d’affirmer que c’est le Gouvernement qui a mis en avant cette mesure pour taxer honteusement les sociétés d’autoroutes !
Telles sont les erreurs que je souhaitais corriger. À cette heure, je n’aurai pas le temps de répondre à toutes les questions qui m’ont été posées, car elles sont nombreuses. Je laisse le soin à ma collègue, qui me remplacera demain au banc du Gouvernement, de vous éclairer plus en détail.
Quoi qu’il en soit, je vous souhaite d’ores et déjà une bonne journée de travail ; peut-être aurais-je même le plaisir de vous rejoindre dans la soirée, si les députés me libèrent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au vendredi 12 décembre 2014, à neuf heures trente, à quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale (n° 155, 2014-2015) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 159, tomes I et II, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART