Sommaire

Présidence de M. Claude Bérit-Débat

Secrétaires :

MM. Jean Desessard, Claude Haut.

1. Procès-verbal

2. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

3. Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi

4. Communication d’un avis sur un projet de nomination

5. Convocation de la conférence des présidents

6. Expulsion des squatteurs de domicile. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Natacha Bouchart, auteur de proposition de loi

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale

Mme Samia Ghali

Mme Esther Benbassa

M. Michel Le Scouarnec

M. Jean-Claude Requier

M. Yves Détraigne

Mme Catherine Procaccia

M. Jean-Yves Leconte

Mme Dominique Estrosi Sassone

M. Cyril Pellevat

M. André Vallini, secrétaire d'État

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 2 rectifié quater de Mme Natacha Bouchart. – Retrait.

Mme Samia Ghali

Adoption de l'article.

Article 2 (supprimé)

Amendement n° 3 rectifié quater de Mme Natacha Bouchart. – Retrait.

L’article demeure supprimé.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement n° 1 rectifié quater de Mme Natacha Bouchart. – Retrait.

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Yves Leconte

Mme Samia Ghali

M. Jean-Claude Requier

M. André Vallini, secrétaire d’État

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.

7. Dépôt d’un rapport du Gouvernement

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

8. Mise au point au sujet d’un vote

Mme Colette Mélot, M. le président.

9. Conférence des présidents

10. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre 2014

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes

M. André Gattolin

M. Michel Billout

M. Jean-Claude Requier

M. David Rachline

M. Yves Pozzo di Borgo

Mme Fabienne Keller

M. Didier Marie

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances

Mme Colette Mélot, pour la commission des affaires européennes

M. Harlem Désir, secrétaire d'État

Débat interactif et spontané

MM. Bernard Fournier, Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Jean-Yves Leconte, Harlem Désir, secrétaire d'État

Mme Catherine Morin-Desailly, M. Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Philippe Mouiller, Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Simon Sutour, Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Michel Billout, Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Pascal Allizard, Harlem Désir, secrétaire d'État

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Claude Bérit-Débat

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Claude Haut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2015.

En conséquence, les nominations intervenues lors de la séance du 6 décembre prennent effet.

3

Demande de retour à la procédure normale pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. Mes chers collègues, par courrier en date du 9 décembre 2014, M. François Zocchetto, président du groupe UDI-UC, a demandé que le projet de loi autorisant la ratification de l’amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997, inscrit à l’ordre du jour du jeudi 18 décembre 2014, soit examiné en séance publique selon la procédure normale, et non selon la procédure simplifiée.

Acte est donné de cette demande.

Dans la discussion générale commune, le temps attribué aux orateurs des groupes politiques pourrait être d’une heure. Le délai limite pour les inscriptions de parole serait fixé au mercredi 17 décembre 2014, à dix-sept heures.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

4

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. Conformément à la loi organique n° 2010-837 et à la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et en application de l’article L. 5312-6 du code du travail, la commission des affaires sociales a émis un vote favorable – vingt-huit voix pour, une voix contre et un bulletin blanc – en faveur de la nomination de M. Jean Bassères aux fonctions de directeur général de Pôle emploi.

Acte est donné de cette communication.

5

Convocation de la conférence des présidents

M. le président. La conférence des présidents se réunira aujourd’hui, à dix-huit heures.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile
Discussion générale (suite)

Expulsion des squatteurs de domicile

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile (proposition n° 586 [2013-2014], texte de la commission n° 143, rapport n° 142).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Natacha Bouchart, auteur de proposition de loi.

Mme Natacha Bouchart, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si j’ai l’honneur aujourd’hui de prendre la parole à cette tribune en tant qu’auteur de la proposition de loi qui est soumise à l’examen de la Haute Assemblée, c’est parce que j’ai voulu intervenir au plan législatif pour lutter contre une faille juridique que j’avais constatée en ma qualité d’élue locale.

Depuis que j’assume le rôle de premier magistrat de la ville de Calais – 2008 –, je connais les vicissitudes des squats qui se multiplient dans ma ville du fait de la présence des migrants.

Chacun le sait, Calais étant le point de passage le plus court vers la Grande-Bretagne, de très nombreux réfugiés, entrés dans l’espace Schengen à l’autre bout de l’Europe, y échouent dans l’espoir de passer outre-Manche.

Cette présence de réfugiés dans ma ville m’a rendue particulièrement sensible à la problématique des squats. Au-delà de la situation calaisienne, qui m’a amenée à réfléchir, j’ai constaté l’existence d’une faille juridique qui peut créer des difficultés dans toutes les communes de France.

De quoi s’agit-il ? Sur le terrain, nous sommes confrontés à un imbroglio au sein duquel se nouent le droit, le silence du droit, les limites de l’administration et celles de la justice.

De cet imbroglio est né ce que je qualifie d’ « hypocrisie juridique », à savoir le fameux délai de flagrance des quarante-huit heures.

Ce délai n’est inscrit nulle part dans la loi. Pourtant, il est devenu une sorte de loi d’airain à laquelle particuliers et pouvoirs publics sont soumis. On parle même sur le terrain, par abus de langage, de la « loi des quarante-huit heures »... une loi qui n’existe pas, bien entendu, mais qui est appliquée et respectée dans les faits. Comment en est-on arrivé là ?

Lorsqu’un squat se constitue, l’intervention immédiate de la puissance publique est soumise à la notion de flagrance. Rappelons les termes de l’article 226-4 du code pénal : « L’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Nous devons à notre collègue Catherine Procaccia, sénateur du Val-de-Marne – je la salue –, d’avoir introduit par le biais d’un amendement dans la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », cette disposition en 2007.

Tant que le délit est flagrant, la force publique peut intervenir. Mais lorsque la notion de flagrance n’est plus applicable, s’installe une période d’incertitudes et de procédures qui peut durer des semaines, des mois, un an, voire plus, et pendant laquelle les squatteurs ne peuvent plus être délogés. Ils sont alors, dans les faits, « chez eux ».

L’usage, et non la loi, a fini par consacrer les « quarante-huit heures » comme un délai incontournable, au-delà duquel l’administration renonce à intervenir, de peur d’être censurée. Certes, l’article 38 de la loi DALO introduit une procédure durant laquelle le préfet peut intervenir sur saisine du propriétaire ou du locataire. Toutefois, il s’agit également d’une procédure susceptible de se prolonger dans le temps, pour deux raisons : tout d’abord, dans les faits, elle est aussi appliquée dans le délai de flagrance des quarante-huit heures, dont l’usage est d’autant plus facilement généralisé qu’il ne repose sur rien de tangible juridiquement ; ensuite, elle reste dépendante des aléas des décisions du juge ou du préfet.

Pendant la trêve hivernale, en particulier, cette disposition se révèle inopérante, notamment depuis que la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », a, en quelque sorte, inversé la logique concernant l’application de cette trêve aux squats. Auparavant, en effet, ces derniers étaient exclus de ce que la loi désigne comme le « bénéfice du sursis », c’est-à-dire la trêve hivernale.

Désormais, la loi dispose que, pendant la période du 1er novembre au 31 mars, « le juge peut supprimer le bénéfice du sursis […] lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait. » Cette rédaction permet au juge d’appliquer aux squats la tolérance du sursis, et lui en laisse, en réalité, la libre appréciation.

À cela s’ajoute l’attitude des services de l’État, y compris lorsque la justice a ordonné une expulsion. On constate ainsi dans les faits que le préfet n’intervient pas toujours immédiatement, même lorsque le droit le lui permet, voire lorsque celui-ci l’y oblige !

Cet attentisme surprenant au regard du droit s’explique néanmoins : une fois qu’un squat est peuplé de centaines de personnes, la décision du préfet de l’évacuer ou non se pose alors en termes d’ordre public, d’hygiène, de sécurité, et non plus uniquement du point de vue du droit.

On le constate bien, la notion de flagrance est essentielle pour permettre une intervention rapide de la puissance publique. En dehors d’elle, non seulement la législation complique considérablement les expulsions, mais la situation de terrain, elle aussi, rend beaucoup plus difficiles les évacuations. Encore une fois, ce n’est pas la même chose pour la police, pour le préfet, de faire évacuer un squat de 4 ou 5 personnes, ou un squat de 250, 300 ou 350 personnes.

Le délai de flagrance de quarante-huit heures qui, je le répète, ne correspond à rien dans le droit, se prête à un véritable détournement de l’esprit de la loi.

En effet, derrière la difficulté et la complexité des procédures, il y a évidemment un sens : il convient de faire preuve d’humanité à l’égard des squatteurs. Tout l’arsenal législatif et administratif que je viens d’évoquer n’est pas anodin : il vise, bien entendu, à protéger la propriété et la vie privées, mais aussi, en même temps, à empêcher une application trop brutale de la loi, afin, par exemple, d’éviter que des femmes et des enfants ne soient expulsés du jour au lendemain sans solution de relogement.

L’esprit de la loi est de toute évidence détourné lorsque de véritables « stratégies » sont mises en place pour profiter de ce délai de quarante-huit heures, si court, et pour instrumentaliser les failles de la notion de flagrance.

Sur le terrain, à Calais, nous constatons que des militants du réseau No Borders, lesquels promeuvent l’accueil illégal des migrants, mais aussi les mafias de passeurs organisent, notamment, les intrusions pendant la période des week-ends : effectivement, une occupation illicite commencée un vendredi soir et poursuivie jusqu’au dimanche soir place les squatteurs en situation de ne plus être expulsés immédiatement.

Tenir quarante-huit heures dans un logement est d’ailleurs relativement aisé. Avec des vivres, des recharges de téléphone portable, en sachant être discret, il est assez facile de rester deux jours dans un logement sans se faire remarquer.

Ces manœuvres sont lancées par des organisations extrémistes qui n’agissent pas tant dans l’intérêt des réfugiés que pour des motifs idéologiques, et par des organisations criminelles – ces mafias dont je parlais à l’instant – qui rackettent et rançonnent les migrants, transformant cette activité en un véritable business dans lequel toutes les personnes sont manipulées.

Ce phénomène d’instrumentalisation se produit ailleurs en France, en région parisienne comme en province. Certes, les acteurs sont différents, mais ce sont toujours des personnes mal intentionnées, qui utilisent la faille des quarante-huit heures pour contourner la loi et mettre sous leur coupe des personnes fragiles, SDF ou sans-papiers.

À la problématique des quarante-huit heures s’ajoute un autre enjeu : la saisine par le propriétaire ou le locataire. En effet, pour engager la procédure d’expulsion, obligation est faite que le constat des faits soit demandé par le propriétaire ou le locataire des lieux. On comprend bien l’importance, pour la protection de la propriété privée, de l’intervention de l’occupant en titre.

En pratique, trouver cette personne en quarante-huit heures s’apparente parfois à une mission impossible. La municipalité met évidemment tout en œuvre pour retrouver les occupants légitimes, dès qu’une intrusion illégale est signalée ou détectée. Mais ce délai, surtout un week-end, complique la tâche : comment avoir accès aux données cadastrales lorsque le service municipal est fermé ?

Ce sont ces questions, très terre à terre, qui se posent et les squatteurs le savent pertinemment. Telle est la réalité : nous sommes souvent face à des organisations qui connaissent très bien la loi, le droit et surtout la façon de les utiliser. Voilà pourquoi j’ai voulu, à travers la présente proposition de loi, réagir face à cette situation inacceptable.

C’était tout le sens de l’article 1er de ce texte dans sa rédaction initiale. Porter à quatre-vingt-seize heures le délai permettant d’être en mesure de constater la flagrance résolvait le problème du week-end, qui est par excellence le moment de déploiement des stratégies d’occupation illicite.

C’était en outre un délai qui offrait plus de facilités pour retrouver le propriétaire ou le locataire, voire pour repérer le début de l’occupation illicite.

Enfin, rester quatre-vingt-seize heures, c’est-à-dire quatre jours, dans un logement sans en sortir afin de ne pas éveiller l’attention des voisins était beaucoup plus complexe et beaucoup plus rude que tenir quarante-huit heures.

Cette disposition permettait encore de répondre à une interrogation de nos concitoyens. L’enjeu est de garantir la propriété privée, ouvertement violée par les organisations militantes comme No Borders, par les mafias ou par tout type de squatteurs, et ce partout en France. Les citoyens ne comprennent plus que la loi permette à des squatteurs de « se déclarer chez eux » passé quarante-huit heures. Même si, juridiquement, ce n’est pas le cas, dans les faits, la complexité de l’expulsion est telle que les squatteurs sont installés durablement, comme s’ils étaient chez eux. C’est ce que retiennent nos concitoyens et c’est ce qui les scandalise, à juste titre.

La modification proposée de la loi allait aussi dans le sens d’une meilleure protection du contribuable. En effet, in fine, l’occupation se fait aux frais du contribuable local. À l’issue d’un squat, les occupants légitimes se trouvant parfois dans une situation sociale dégradée, la ville est régulièrement amenée à intervenir pour nettoyer les lieux, en utilisant les moyens publics. Bien sûr, rien n’y oblige, me répondrez-vous. Mais tout élu local le sait bien : face à l’urgence, on ne peut rester les bras croisés ! C’est donc sur les collectivités locales que reposent bien souvent les frais liés à la fin d’un squat.

Le travail du rapporteur, M. Jean-Pierre Vial, a permis de déceler les limites d’un délai de quatre-vingt-seize heures. Je conviens volontiers que la rédaction qu’il a proposée et que la commission des lois a adoptée permet de répondre à nos attentes. Elle a fait l’objet d’un accord entre le rapporteur et moi-même lors de mon audition, dans le cadre de la préparation du rapport.

Effectivement, placer sur le même plan et de manière très explicite le maintien et l’introduction dans le domicile dans la rédaction de l’article 226-4 du code pénal permet de sortir de l’ambiguïté, à l’origine de laquelle se trouve l’hypocrisie des quarante-huit heures que j’évoquais en préambule.

Actuellement, cet article laisse place à un doute dans lequel se sont engouffrés tous les renoncements. « L’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » : avec une telle rédaction, une interprétation, certes spécieuse, reste possible.

De ce point de vue, le texte de la commission convient parfaitement aux ambitions que je m’étais fixée en déposant cette proposition de loi. En dissociant, l’introduction et le maintien dans le domicile, il permet de placer, cette fois sans ambiguïté, les deux faits sur le même plan.

Il en ressort que la flagrance devient permanente, dès lors que le maintien dans le domicile est un délit continu. Cette mesure permet, je le répète, de sortir de l’hypocrisie juridique des quarante-huit heures. Voter cette nouvelle disposition serait une victoire pour nous tous, une victoire du droit sur toutes les manœuvres que nous subissons et qui portent atteinte à la propriété et à la vie privées.

En revanche, sur l’article 2, ma position et celle de la commission divergent, mais le débat en séance publique va nous permettre d’en discuter. La commission a souhaité supprimer cet article, essentiellement au motif que le maire ne pourrait se substituer au propriétaire ou au locataire. Personne ne conteste cela : nous comprenons bien la priorité qui doit être donnée à l’occupant en titre pour intervenir.

Néanmoins, dans les faits, sur le terrain, il est évident que le maire, dans son rôle de garant de l’ordre public, est amené à prendre la situation en main, s’il veut réellement assumer ses responsabilités. Ou alors nous restons les « bras croisés », pour reprendre l’expression que j’utilisais voilà quelques instants, impuissants devant l’inacceptable, ce qui, pour un élu local, ne peut être satisfaisant.

C’est pourquoi je propose le rétablissement de l’article 2, en indiquant explicitement cette fois dans la rédaction que je vous soumettrai, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que le maire agit dans le cadre de ses pouvoirs de police, c’est-à-dire sous le contrôle administratif du préfet. Comme dans la version initiale du texte, je précise bien que la saisine du préfet par le maire ne peut avoir lieu que quand tout a été fait pour retrouver l’occupant légitime. J’aurai l’occasion de revenir sur cette question lors de l’examen des articles.

Enfin, au fil des discussions qui ont accompagné le travail préparatoire de cette proposition de loi, un élément est apparu. Au départ centré sur le domicile, ce texte gagnerait néanmoins à viser les autres types de logements ou d’immeubles d’habitation. En effet, si le plus choquant dans le fameux délai de quarante-huit heures concerne le domicile, il n’en reste pas moins que la question des commerces, des logements vacants, de tout type de locaux reste importante à nos yeux.

À Calais comme ailleurs, ce type d’immeuble d’habitation ou qui le devient de fait est la proie privilégiée des mafieux, des squatteurs et d’autres organisations dont l’intérêt n’est pas celui des personnes qu’ils souhaitent héberger. Il serait dangereux de l’ignorer, d’autant plus que le renforcement du dispositif légal autour de la notion de domicile risque d’accroître la pression sur les autres lieux de squat, depuis le terrain vague jusqu’au hangar ou à l’usine désaffectée, en passant par la maison abandonnée.

En conséquence, je propose par voie d’amendements d’élargir le périmètre de la proposition de loi à tout « immeuble d’habitation, ou qui le devient de fait », et de modifier en ce sens l’article 226-4 du code pénal et l’article 38 de la loi DALO.

Là aussi, l’examen des articles permettra de revenir librement sur cette question, qui, j’en suis sûre, touche beaucoup d’élus locaux.

En conclusion de mon propos dans le cadre de la discussion générale, j’espère pouvoir trouver aujourd’hui auprès de vous, mes chers collègues, une écoute sans dogmatisme à l’égard de la situation de terrain que nous vivons dans toutes les villes de France. Nous avons besoin d’un débat sans idéologie pour parfaire notre droit et éviter que celui-ci ne soit l’objet des manipulations que j’ai décrites.

Aujourd’hui, au Sénat, dont la vocation est la représentation des collectivités territoriales, je souhaite parler certes d’expérience, ayant connu les aléas, mais je veux parler aussi au nom de tous les maires de France confrontés à l’atteinte à la vie privée et à la propriété que constituent les occupations sauvages du domicile et des immeubles d’habitation.

J’espère avant tout que nos débats permettront de faire admettre par tous que l’hypocrisie juridique des quarante-huit heures est nulle et non avenue, afin que des impasses juridiques dignes de Kafka ne puissent à l’avenir se reproduire systématiquement, comme c’est malheureusement trop souvent le cas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis de la proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile, présentée par notre collègue Natacha Bouchart, maire de Calais, et cosignée par plusieurs membres de la Haute Assemblée.

Ce texte tend à lutter contre le développement préoccupant de la pratique des squats, à savoir une occupation sans droit ni titre, de manière souvent violente, d’un local, voire d’une habitation. Ce type de procédé se caractérise par une grande simplicité d’installation pour l’occupant illégal, mais, à l’inverse, par d’importantes difficultés pour y mettre un terme.

La situation est particulièrement préoccupante dans des villes de transit frontalier, comme Calais, qui ne compte pas moins de 3 000 personnes en situation irrégulière, fréquemment proies de réseaux organisés de passeurs, où certains locaux sont squattés par plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes. Tout cela vient de nous être décrit.

Aussi l’auteur de la proposition de loi a-t-elle voulu renforcer l’arsenal législatif existant de lutte contre un phénomène qui conjugue la protection du domicile et l’ordre public.

Dans sa rédaction initiale, le texte, qui comportait deux articles, avait pour objet de traiter la problématique non pas de l’ensemble des squats, mais seulement des occupations illicites de domicile. Les amendements déposés, nous y reviendrons lors de la discussion des articles, semblent sortir de ce périmètre.

L’article 1er prévoyait de modifier l’article 53 du code de procédure pénale, afin de porter de quarante-huit heures à quatre-vingt-seize heures la durée pendant laquelle le flagrant délit de violation de domicile, infraction sanctionnée à l’article 226-4 du code pénal, peut être constaté.

Pour tout dire, la demande d’allongement du délai pouvait conduire à s’interroger, car, selon l’interprétation constante du ministère de la justice confirmée par une circulaire, la violation de domicile est une infraction dite « continue ». En d’autres termes, la flagrance peut être constatée aussi longtemps que dure l’infraction, aussi longtemps que le maintien illicite dans le domicile se poursuit, ce qui peut représenter un délai bien supérieur à quarante-huit heures ou à quatre-vingt-seize heures...

Dans les faits, les choses ne sont pas si simples. Tout d’abord, la Cour de cassation n’a jamais été saisie de cette question et n’a donc pas confirmé cette interprétation du délit continu. En revanche, la cour d’appel de Paris, dans une décision du 22 février 1999, l’a écartée, considérant que la violation de domicile n’était pas une infraction continue, commencée lors de l’introduction dans le domicile et qui se poursuivrait par le maintien dans les lieux. Selon elle, cette infraction se commettrait lors aussi bien de l’entrée que du maintien dans le domicile, à chaque fois qu’il est fait usage de manœuvres, menaces ou voies de fait pour y parvenir. Cette précision est capitale pour distinguer l’introduction du maintien dans ces mêmes lieux.

Pour constater la flagrance, il serait donc nécessaire que le maintien comme l’entrée dans le domicile s’accompagnent de manœuvres, menaces ou voies de fait.

Or, si de telles pratiques sont couramment utilisées au moment de l’introduction dans les lieux, elles le sont plus rarement lorsqu’il s’agit du maintien dans ces lieux. Il suffit par conséquent aux squatteurs de se dissimuler pendant les quarante-huit premières heures d’occupation pour empêcher les forces de l’ordre de pouvoir intervenir, la flagrance de l’infraction ayant cessé, imposant alors un retour à l’action judiciaire, longue et coûteuse, de droit commun.

Pour autant, la solution proposée par le biais de la proposition de loi initiale – un allongement de la durée de la flagrance de quarante-huit heures à quatre-vingt-seize heures – n’a pas été jugée satisfaisante par la commission.

En effet, ni l’article 53 du code de procédure pénale, texte général qui définit la flagrance pour l’ensemble des crimes et délits, ni aucun autre texte pénal ne fixe une durée précise pour la flagrance. En réalité, le délai de quarante-huit heures est tiré de la pratique ; c’est un délai prétorien.

Selon l’article 53 du code susvisé, est flagrant « le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. » Cette définition est volontairement ouverte pour permettre de couvrir l’ensemble des situations.

La commission des lois a écarté l’idée de fixer, à ce même article, une durée précise et spécifique à la flagrance pour le délit de violation de domicile. De surcroît, limiter la durée de la flagrance à quatre-vingt-seize heures à compter de la commission de l’infraction pourrait se révéler contraire à l’intérêt de la victime. En effet, si celle-ci s’absentait pour une durée supérieure à quatre-vingt-seize heures – en cas d’hospitalisation, de vacances ou de voyage à l’étranger, par exemple – et si son domicile était toujours occupé à son retour, les forces de l’ordre ne pourraient pas davantage intervenir pour flagrant délit, car les quatre-vingt-seize heures seraient de toute façon passées.

En revanche, pour lever toute ambiguïté sur la nature continue du délit de violation de domicile et éviter les différentes interprétations du juge civil et de l’administration, quand l’occupant illégal se maintient dans les lieux, il a paru plus clair et efficace de modifier la rédaction de l’article 226-4 du code pénal en qualifiant le maintien dans le domicile au même titre que l’introduction dans les lieux.

Dès lors que l’introduction dans le domicile d’autrui s’est produite par le biais de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », les forces de l’ordre pourront désormais intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, quelle que soit sa durée, sans qu’il soit besoin de prouver que ce maintien est également le fait de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Cette précision permettra de sécuriser l’action du préfet et, par conséquent, de renforcer l’application de l’article 38 de la loi DALO, car tel est bien l’objectif.

Quant à l’article 2 de la proposition de loi, qui modifiait ce même article 38, il prévoyait que le maire ayant connaissance de la violation du domicile de l’un de ses administrés pouvait demander au préfet de mettre l’occupant en demeure de quitter les lieux.

La commission des lois a supprimé cet article. Elle a en effet considéré qu’il n’était pas opportun d’étendre le champ d’application de cette procédure dérogatoire au droit commun qui permet au préfet de faire usage de la force publique pour évacuer les squatteurs d’un domicile privé sans qu’il soit besoin de justifier d’une menace pour l’ordre public et d’une décision de justice.

Le caractère quelque peu hybride de cette procédure explique que les préfets fassent preuve d’une certaine prudence dans son application. Sur le plan contentieux, selon les services du Conseil d’État, l’article 38 de la loi DALO n’a donné lieu qu’à dix recours entre 2011 et 2014, dont quatre en référé-liberté, tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire évacuer l’occupant.

Ces données sont assez révélatrices de l’utilisation limitée de cette procédure très particulière et des mesures de prudence qu’il convient de prendre pour la mettre en œuvre.

Or quand certains squats, en raison de leur importance et des conditions d’occupation des locaux qu’ils présentent, mettent en péril la sécurité publique, le maire peut, dans le cadre de ses pouvoirs de police, saisir directement le préfet. De surcroît, cette faculté qui serait ouverte au maire ne ferait naître aucune obligation pour le préfet.

En revanche, il existe un risque – nous l’avons longuement évoqué en commission – de voir la responsabilité du maire engagée s’il n’a pas agi alors qu’il avait connaissance de l’occupation du domicile de l’un de ses administrés ou, à l’inverse, s’il a agi de manière abusive, en déclenchant indûment l’expulsion de personnes, dans l’hypothèse où il n’aurait pas réussi à contacter le propriétaire ou le locataire du logement.

Enfin, par cohérence avec les modifications apportées à la proposition de loi, la commission a tenu à modifier le titre de celle-ci, afin de le rendre plus conforme à son contenu. Elle a proposé d’intituler ce texte : « proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile ».

En effet, il n’est pas question en l’espèce de mettre en place un nouveau dispositif d’expulsion dérogatoire au droit commun ni de revenir sur les garanties qui encadrent les procédures d’expulsion actuelles, comme le respect de la trêve hivernale. Il s’agit de renforcer l’efficacité des règles existantes en matière de violation de domicile et de sécuriser l’action du préfet au titre de l’article 38 de la loi DALO.

Au bénéfice de ces observations liminaires, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent texte, tel qu’il résulte de ses travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée entame cet après-midi l’examen en première lecture de la proposition de loi déposée le 5 juin dernier par Mme Bouchart et cinquante-trois de ses collègues, et qui vise à répondre à la multiplication des occupations illicites de domicile, face auxquelles le droit pénal serait insuffisant, car il ne permettrait pas d’expulser un occupant sans titre passé le délai de quarante-huit heures suivant la pénétration dans les lieux, au motif que, au-delà de ce délai, le flagrant délit ne pourrait plus être évoqué.

Ce texte vise à porter de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures le délai de l’infraction flagrante pour l’infraction d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui par manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, infraction réprimée par l’article 226-4 du code pénal.

Il tend également à modifier l’article 38 de la loi DALO du 5 mars 2007 qui permet au préfet, saisi par le propriétaire ou par le locataire des lieux occupés illicitement, de demander à l’occupant de quitter les lieux, afin que, en cas d’impossibilité de joindre le propriétaire ou le locataire, le maire puisse saisir le préfet aux fins d’évacuation des lieux.

Lors de l’examen de cette proposition de loi en commission le 2 décembre dernier, deux amendements déposés par votre rapporteur, M. Jean-Pierre Vial, tendant à modifier l’article 226-4 du code pénal et à supprimer la disposition relative à l’article 38 de la loi DALO ont été adoptés.

La proposition de loi se résume donc désormais à un article unique, qui a pour objet de rédiger comme suit l’article 226-4 du code pénal : « L’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

« Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction visée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines. »

Ce faisant, la commission a introduit dans la loi une clarification. Pour que le maintien dans les lieux soit punissable, il n’est pas nécessaire qu’il soit assorti de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.

Cette proposition clarifie également le fait que l’infraction de maintien dans les lieux est une infraction continue, c'est-à-dire qui se commet tant que la personne se maintient de manière continue et irrégulière dans les locaux. À ce titre, tant que dure l’occupation, il s’agit d’une infraction qui se commet actuellement, au sens de l’article 53 du code de procédure pénale, ce qui autorise le recours aux dispositions de l’enquête de flagrance, notamment l’expulsion de l’occupant des lieux.

La présente proposition de loi tenant compte des modifications apportées par la commission ne pose pas de difficulté sur le fond, car elle est conforme à l’interprétation actuelle de l’article précité par les juridictions. S’il n’existe, c’est vrai, aucune décision de la Cour de cassation en la matière, c’est que précisément cette question ne fait pas débat dans la pratique.

La circulaire d’application du nouveau code pénal du 14 mai 1993 précise ainsi que l’article 226-4 du code pénal étend la répression à l’hypothèse du maintien dans le domicile d’autrui, transformant ainsi cette infraction instantanée en délit continu. Elle indique que cette modification a principalement pour objet de rendre plus efficace les procédures engagées contre les squatteurs et qu’elle permettra de diligenter les enquêtes de flagrance à leur encontre, alors même que l’occupation sans droit ni titre a commencé depuis un certain temps.

Eu égard à ces éléments, et tout en soulignant le caractère insuffisant d’une approche exclusivement pénale des occupations illicites de domicile, qui sont le plus souvent le fait de personnes se trouvant dans le dénuement le plus cruel, le Gouvernement s’en remettra sur le texte adopté par la commission à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali.

Mme Samia Ghali. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi, présentée par Mme Bouchart, que nous examinons aujourd’hui suscite de nombreuses controverses.

Compte tenu de la situation non seulement difficile, mais aussi particulière à laquelle Mme Bouchart est confrontée dans sa ville de Calais, s’agit-il là d’un texte visant réellement à apporter une solution pérenne aux occupations illicites de domicile ou bien d’une démarche à vocation purement médiatique et politicienne, ce qui serait bien entendu regrettable ?

Le texte qui nous est soumis, bien qu’il ait déjà été largement remanié par la commission, reste à mon sens insatisfaisant. Je tenais à intervenir sur ce sujet, que je ne connais que trop bien.

Pour commencer, j’évoquerai un exemple très explicite et fréquent : j’ai été saisie du cas d’une personne âgée qui, à l’issue d’un séjour à l’hôpital, s’est trouvée à son retour dépossédée de son logement. Les serrures avaient été changées, les meubles évacués, et les démarches qui se sont ensuivies pour parvenir à la restitution du logement ont été longues et complexes. Cette personne s’est de fait retrouvée dans une situation précaire, alors que tel n’était pas le cas à l’origine. (Mme Catherine Procaccia s’exclame.)

Toutefois, nous devons rester lucides sur la réalité du squat. On squatte un domicile non par choix, mais par désespoir. La plupart du temps, les squatteurs sont des personnes qui avaient un logement social mais qui en ont été expulsées à la suite d’un défaut de paiement. Il s’agit souvent de femmes seules qui, pour conserver la garde de leurs enfants, doivent trouver un toit, quitte à se mettre dans l’illégalité. (Mme Dominique Estrosi Sassone proteste.)

Comment pourrions-nous exiger du secteur locatif privé qu’il résolve les problèmes quand le secteur public n’a pas la capacité de le faire ?

Pourtant, le squat reste un acte de délinquance qui s’exerce le plus souvent au détriment des demandeurs de logement.

Il est en effet inacceptable que des personnes ayant déposé des demandes de logement en bonne et due forme, qui respectent les délais, en serrant les dents, pendant des années parfois, puissent avoir l’impression que ceux qui contournent les règles jouissent d’une impunité. Il n’est pas normal que ceux qui respectent les lois de la République soient moins bien traités que ceux qui les défient en squattant.

Il faut donc faire preuve de fermeté, afin de ne pas encourager les squatteurs parce que la démarche serait simple et la punition inexistante. Être en situation de précarité ne justifie pas de placer d’autres dans la même condition.

Par conséquent, c’est sur l’ensemble de la politique du logement que nous devons nous interroger. Nous ne pouvons pas nous contenter de répression. Nous devons assortir notre démarche de dispositifs crédibles. Les structures d’accueil existantes sont inadaptées à la plupart des situations. Elles ne conviennent pas aux réalités familiales. Enfin, elles sont insuffisantes.

Les trois quarts des personnes que je reçois au cours de mes permanences relèvent du dispositif DALO et répondent aux critères de priorité inscrits dans la loi. Nous n’avons pourtant pas de solution à leur offrir tant le parc de logements sociaux est saturé. Il faut donc appréhender ce problème de manière globale, lucide, sans tomber dans la caricature.

Néanmoins, il faut également prendre en compte une autre réalité : il existe aussi une activité organisée et lucrative d’occupation illicite de logements. À cet égard, je pense que votre proposition de loi a du sens, madame Bouchart.

Il est clair que les dispositions législatives en vigueur ne permettent pas d’apporter une réponse efficace à ce problème. Or les squatteurs ne connaissent malheureusement que trop bien les lacunes de la loi ! Ils s’introduisent dans le logement le vendredi, sachant pertinemment que les services administratifs sont alors fermés pour le week-end, et que le lundi il sera trop tard pour les expulser.

Quant à l’intervention du maire, qui figurait à l’article 2 du texte initial, lequel a été supprimé par la commission, elle me semble justifiée. Le préfet a toutes les prérogatives, de par la loi, pour faire respecter l’ordre public, dont il est le garant. Malheureusement, il ne les met pas toujours en œuvre – c’est peut-être là que se situe le problème. Il est de son devoir de faire respecter les droits des citoyens et l’intérêt des communes de manière équilibrée. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit : d’ordre public et du mieux vivre ensemble.

Si cette proposition de loi reste très insatisfaisante et si l’on peut raisonnablement douter des intentions de son auteur, il n’en demeure pas moins que la question politique qu’elle soulève mérite d’être débattue.

La loi doit protéger les propriétaires, qui ont souvent consacré toutes les économies d’une vie à l’achat d’un logement, qui ne sont pas tous rentiers et qui doivent fréquemment honorer un crédit. De même, elle doit protéger les demandeurs de logement qui patientent dans le respect de la loi, afin qu’il n’y ait pas un déséquilibre entre eux et le squatteur qui, lui, enfreint la législation en toute connaissance de cause.

Monsieur le secrétaire d’État, une véritable réflexion doit être menée sur ces questions, qui relèvent du droit et de la loi, car elles peuvent complètement déséquilibrer notre pays. On ne peut pas donner le sentiment que le traitement des squatteurs varie selon les procédures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de Natacha Bouchart visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.

Le constat des auteurs du texte est clair : notre droit pénal est inadapté à la répression de ce qui est qualifié de « phénomène des maisons et appartements squattés ». Toujours selon les auteurs de cette proposition de loi, la notion de flagrant délit, censée permettre une expulsion rapide des occupants sans titre, est difficilement caractérisable et, de surcroît, ne peut plus être caractérisée passé un délai de quarante-huit heures suivant l’intrusion illicite. La police ne peut donc plus procéder à l’expulsion immédiate des squatteurs, et il revient au propriétaire ou au locataire du domicile de saisir la justice, afin d’obtenir une décision d’expulsion.

Pour pallier cette difficulté, le texte initial de la proposition de loi prévoyait non seulement de porter de quarante-huit heures à quatre-vingt-seize heures la durée pendant laquelle le flagrant délit d’occupation sans titre d’un logement pouvait être constaté, mais également de permettre au maire de demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux.

La commission des lois, considérant qu’il n’était pas opportun de confier au maire la compétence de défendre la propriété privée de ses administrés, a heureusement écarté cette dernière possibilité.

Reste un article unique qui modifie l’article 226-4 du code pénal, afin de lever toute ambiguïté relative à la nature continue du délit de violation de domicile lorsque l’occupant illégal se maintient dans les lieux. Dès lors que l’introduction dans le domicile d’autrui s’est faite « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », les forces de l’ordre pourront désormais intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, sans qu’il soit besoin de prouver que ce maintien est également le fait de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».

Il ne s’agit finalement que de préciser l’infraction de violation de domicile et non, comme le titre racoleur de la proposition de loi le laisse entendre, de créer un régime dérogatoire pour faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.

Le texte issu des travaux de la commission des lois est donc bien plus acceptable que le texte initial,…

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument, c’est vrai !

Mme Esther Benbassa. … mais il n’en reste pas moins une proposition de loi d’affichage. Il n’aura échappé à personne que notre collègue Natacha Bouchart est également maire de Calais : ce sont donc non pas les squatteurs qui sont en l’occurrence visés, mais bien les migrants qui n’ont parfois pas d’autre choix, en plein hiver, que d’investir un bâtiment inoccupé.

Mme Catherine Troendlé. Vous faites un mauvais procès !

Mme Esther Benbassa. L’amalgame ne peut être fait entre toutes les situations, mais c’est malheureusement un tel amalgame qui a présidé à l’élaboration de ce texte.

Il existe de véritables réseaux organisés qui repèrent des logements vacants, souvent des logements sociaux, en prennent possession dès que l’occasion se présente, puis les louent à des familles désespérées. Cette activité est lucrative et doit être combattue, d’autant plus qu’elle s’exerce très souvent au détriment des personnes vivant dans les situations les plus précaires.

Il est regrettable que le texte dont nous débattons aujourd’hui ne s’attaque pas aux organisateurs de ces occupations illicites. Il s’agit en l’espèce uniquement de protéger les domiciles privés, mais quid de l’occupation des immeubles et bâtiments vacants ? À Calais comme ailleurs, ce sont majoritairement des logements vides depuis longtemps qui sont utilisés par des personnes sans domicile pour se mettre à l’abri.

Tenter de faire croire, comme dans l’exposé des motifs, que « les exemples se multiplient de personnes qui, de retour de vacances, d’un déplacement professionnel ou d’un séjour à l’hôpital, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants », relève pour le moins de la mauvaise foi.

Mme Catherine Procaccia. Ces situations surviennent dans le département dont vous êtes élue, madame Benbassa !

Mme Esther Benbassa. Il est inutile de vous emporter, ma chère collègue !

Mme Cécile Cukierman. On sait tous que c’est une proposition de loi d’affichage !

Mme Esther Benbassa. L’arsenal juridique existe pour mettre fin aux occupations illégales, que personne dans cette enceinte ne songe à défendre. Il peut être précisé, amélioré, mais nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la situation de centaines de personnes, hommes, femmes, nombreux enfants, qui n’ont pas d’autre choix que de squatter pour survivre.

Mme Esther Benbassa. Pour conclure, si le texte issu des travaux de la commission des lois est acceptable du point de vue du droit, son esprit reste contraire à une certaine idée de notre société, humaniste et solidaire, que le groupe écologiste défend. Pour cette raison, mes chers collègues, nous ne pourrons apporter nos voix à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste, ainsi que du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’occupation illicite de domicile, couramment appelée « squat » ou encore « vol de domicile », est une dure réalité pour les familles et pour les élus.

Pour autant, nous regrettons que le texte de madame Bouchart, qui, il est vrai, revêt un caractère local particulièrement douloureux pour les maires et, bien sûr, pour la population, joue sur les peurs et sur les angoisses. (Mme Natacha Bouchart s’exclame.)

Certes, celles-ci sont réelles, mais les solutions avancées ne sont malheureusement pas à la hauteur des enjeux. Cette question sensible aurait mérité mieux, à commencer par la prise en compte de l’ensemble des problématiques liées au logement des plus précaires. Les bonnes intentions ne suffisent pas, et la stigmatisation de cette population va crescendo.

Je salue néanmoins le travail de M. le rapporteur, qui a introduit une réelle rigueur juridique en réécrivant le texte en commission.

Il était nécessaire de supprimer l’article 2, véritable cadeau empoisonné pour les maires. De même, la réécriture de l’article 1er était bienvenue : alourdir l’arsenal répressif de manière imprécise et surtout contreproductive était une aberration. Je pense au délai de flagrance qui aurait été figé dans la loi, alors que, aujourd’hui, la rédaction de l’article 53 du code de procédure pénale permet une certaine souplesse.

Le phénomène d’occupation illicite de domicile, en particulier à Calais, où la situation est certes très complexe et très grave, est la conséquence de la fermeture de centres d’accueil de migrants, de la destruction systématique des campements plus petits, mais surtout d’une politique d’asile et de coopération frontalière insuffisante, voire inhumaine. Le présent texte propose de renforcer les mesures répressives, plaçant les réfugiés sous la pression policière permanente.

À cet égard, l’annonce de l’ouverture d’un nouveau centre de jour et d’un accord financier entre la France et la Grande-Bretagne de l’ordre de 15 millions d’euros nous laisse sceptiques. Rien n’est dit sur la question fondamentale du droit d’asile. Nous devons prendre la mesure de notre responsabilité, ce qui serait tout à notre honneur.

Pour faire face à cette réalité, nous avons besoin d’une réponse européenne, même si un réel effort national serait un signal déterminant. Comme le souligne justement le GISTI, le Groupe d’informations et de soutien des immigrés, au fil du temps, l’Europe a évolué négativement en repoussant les personnes migrantes, y compris celles qu’elle a l’obligation de protéger des persécutions. Pour les bénéficiaires du droit d’asile, c’est le brouillard administratif, tant les procédures sont longues, peu lisibles, bref, faites pour décourager celles et ceux qu’elles devraient protéger.

C’est une révision du règlement Dublin III qu’il faut promouvoir, afin que chaque demandeur d’asile en Europe puisse aller déposer son dossier dans le pays de son choix. C’est une orientation immédiate vers un centre d’accueil qu’il faut mettre en place pour les personnes qui souhaitent demander une protection à la France. C’est au renforcement de la protection des mineurs que nous devons travailler. Enfin, et surtout, c’est l’inconditionnalité de l’hébergement qui doit être la règle, ce qui ne peut se traduire que par la création de dispositifs d’accueil et d’orientation adaptés et en nombre suffisant.

Ces quelques propositions sont soutenues par de nombreuses associations qui ne sont pas forcément radicales, mais qui connaissent le terrain et gèrent tous les jours ces situations de détresse extrême.

La répression n’est pas la solution pour des personnes qui ont tout abandonné, qui ont connu des situations inhumaines de violence ou de privation de la dignité la plus élémentaire. Le constat est accablant : ce sont des personnes démunies, affligées, craintives, soumises au regard d’autrui et à la merci des réactions des autres.

Il y a urgence à faire preuve de réalisme dans la construction de solutions durables qui permettraient de prévenir les drames, mais aussi les situations de squats illicites, objet de la présente proposition de loi.

Sortons de la problématique de Calais, car la loi a vocation à s’appliquer sur tout le territoire national.

M. Michel Le Scouarnec. La répression ne peut pas résoudre la crise du logement ni mettre fin à l’existence de filières organisées profitant du désarroi de nombreuses familles. En effet, près de 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Les travailleurs dits « pauvres » ne peuvent se loger correctement. Quelque 150 000 personnes seraient sans-abri, contre 80 000 voilà dix ans. Autant d’hommes, de femmes et d’enfants dont le droit au logement est loin d’être garanti !

Les occupations illicites de domicile sont bien souvent une conséquence de la pénurie de logements accessibles pour tous et partout – en tout cas, une telle pénurie ne peut qu’aggraver la situation. Dès lors, la pénalisation des squatteurs n’est pas la solution ; notre arsenal juridique est déjà riche.

M. François Grosdidier. Il est inefficace !

Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas cette proposition de loi qui le rendra efficace, vous le savez très bien !

M. Michel Le Scouarnec. Comme le souligne le rapporteur, mais aussi les réponses tant du Gouvernement actuel que de la précédente majorité, le droit pénal en vigueur sanctionne déjà l’installation illicite d’individus dans le domicile d’autrui, notamment lorsque celle-ci est commise durant l’absence des légitimes occupants partis en vacances. En effet, l’article 226-4 du code pénal réprime d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de s’introduire ou de se maintenir dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.

De surcroît, lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder à l’évacuation forcée du logement. Cette disposition permet d’accélérer la procédure d’expulsion dans les cas visés et de permettre au propriétaire ou au locataire de reprendre possession des lieux dans les délais les plus brefs, l’expulsion pouvant intervenir vingt-quatre heures après la mise en demeure adressée par le préfet aux occupants sans droit ni titre de quitter les lieux.

Mme Natacha Bouchart. Cette disposition n’est pas appliquée !

Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas votre proposition de loi qui la rendra effective !

M. Michel Le Scouarnec. J’ai été aussi confronté au problème du squat, madame Bouchart, et je sais que c’est une dure réalité, mais la loi existe.

En matière de logement pour les migrants, le Gouvernement a décidé, au début de cette année, de solliciter l’opérateur Adoma pour contribuer à la mise en œuvre de la circulaire du 26 août 2012. Celui-ci peut, à la demande des préfets, recourir à son parc de logements vacants ou proposer des services d’ingénierie pour apporter des solutions.

Ainsi, comme vous pouvez le constater, des réponses à la question soulevée par Mme Bouchart existent déjà dans le droit positif ainsi que dans la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de la notion de domicile. Et n’oublions pas non plus les leviers dont disposent les préfets et donc l’État.

C’est pourquoi nous pensons que c’est essentiellement un manque de moyens et de volonté politique qu’il faut aujourd’hui combattre, au lieu de promouvoir la répression et la pénalisation de personnes en grande détresse, quel que soit leur statut juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Natacha Bouchart, maire de Calais, a été déposée dans un contexte particulier. Elle reflète les préoccupations d’une élue locale.

En effet, depuis de nombreuses années, cette ville du nord de la France fait face à un afflux massif d’immigrés de diverses origines – Afghans, Irakiens, Érythréens, Soudanais et Iraniens – en transit vers la Grande-Bretagne, ce qui crée des tensions avec les habitants.

Ces difficultés ne datent pas d’hier. Selon la Croix-Rouge, entre 1999 et 2002, plus de 67 000 personnes ont transité par le camp de Sangatte. Conçu pour accueillir 200 personnes, cet immense hangar en abritait 1 600 avant sa fermeture. Son démantèlement, loin d’apporter une solution durable, n’a fait que fractionner le problème sans le résoudre. Aujourd’hui, les migrants illégaux s’installent dans la zone forestière qui entoure Calais et qui est surnommée la « jungle ».

Les squats d’immeubles par ces populations se sont multipliés ces derniers mois. Depuis juillet, l’ancien site industriel Vandamme, situé en centre-ville, est l’objet d’un squat à la suite de l’évacuation, dix jours plus tôt, de 610 migrants installés dans un autre immeuble de la ville. Le tribunal a bien ordonné l’expulsion des squatteurs le 24 juillet, mais le préfet n’a pas souhaité la mettre en pratique pour des raisons d’ordre public.

Cet exemple illustre bien le dilemme auquel nous confrontent les squats de domicile et de locaux vides. Au drame humanitaire qui se joue au quotidien se surajoute la question du respect du droit de propriété. Les droits des uns s’opposent au respect de la dignité des autres, sans qu’il soit toujours possible de dégager des compromis acceptables et satisfaisants.

Si la situation des squatteurs est déplorable, celle des propriétaires lésés par l’occupation illégale n’est pas beaucoup plus enviable. On doit se garder de tout manichéisme en la matière. L’on sait, par exemple, l’investissement que représente l’achat d’un bien immobilier pour un particulier, ce dernier tablant souvent sur des revenus locatifs. Et nous pensons qu’il aurait fallu différencier en matière d’expulsion les logements vides des autres cas.

Par ailleurs, l’arsenal juridique à disposition de ces justiciables ne fait pas toujours preuve d’une grande efficacité.

L’expulsion des occupants illégaux est l’une des procédures les plus délicates à mettre en œuvre, car elle s’oppose directement à certains droits, notamment le droit au logement. Elle a été entourée par le législateur de maintes précautions d’exécution : si celles-ci sont nécessaires pour lutter contre les abus, elles sont aussi sources d’extrême lenteur.

Passé le délai de quarante-huit heures permettant de constater la flagrance de l’infraction, le propriétaire est contraint d’engager une procédure en justice. La décision juridictionnelle est un préalable à la procédure d’expulsion. Quand on connaît les délais habituels des juridictions, il est facile d’imaginer alors le parcours semé d’embûches que rencontre le requérant.

Ensuite, des délais permettant de retarder l’exécution sont prévus.

Je vise tout d’abord le délai de grâce, qui permet aux occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel dont l’expulsion aura été ordonnée par une juridiction d’obtenir des délais renouvelables qui peuvent excéder une année, sans toutefois pouvoir dépasser trois ans.

Je pense ensuite à la trêve hivernale, instaurée en 1956 après l’appel lancé par l’abbé Pierre, qui a pour finalité de surseoir à toute expulsion non exécutée au 1er novembre de chaque année, et ce jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement ne soit assuré.

Je songe enfin au délai de deux mois entre le commandement d’avoir à libérer les lieux et l’exécution effective de l’expulsion. Il permet à la personne menacée d’expulsion d’accomplir des démarches pour trouver un nouveau logement.

Les auteurs du texte dont nous discutons aujourd’hui tentent ainsi d’avancer des solutions à une difficulté réelle. Le travail de la commission des lois, qui a modifié la nature de l’infraction de l’article 226-4 du code pénal pour en faire une infraction continue, améliore sensiblement les moyens à la disposition des forces de l’ordre pour constater l’infraction.

En conclusion, la majorité des membres du groupe du RDSE voteront cette proposition de loi, mais seulement dans la forme adoptée par la commission des lois, en particulier à la suite de l’adoption des deux amendements de M. le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à donner plus d’efficacité aux dispositifs existants en matière d’expulsion des squatteurs de domicile. Elle pose la problématique du difficile équilibre entre la protection du droit de propriété et la prise en compte de situations sociales souvent très délicates.

Il n’est d’ailleurs pas étonnant que cette initiative émane de notre collègue Natacha Bouchart, maire de Calais : la ville compte plus de 2 000 personnes en situation irrégulière, dont la présence est parfois liée à des bandes organisées. Cet été encore, un certain nombre de nouveaux squats ont été révélés, si l’on en croit la presse – le squat Vandamme, le squat de l’impasse des Salines, etc. –, ce qui montre, de nouveau, l’ingéniosité des bandes organisées et l’impuissance du droit actuel à répondre au désarroi des propriétaires.

C’est à cette instrumentalisation du droit existant que la présente proposition de loi tend à remédier. Remanié en commission, le texte élude le débat sur la fixation d’une durée précise de la flagrance, considérant à raison qu’une telle fixation ne pourrait que porter préjudice aux victimes. Cette notion devra donc être appréciée en fonction des circonstances, toute rigidité nous semblant mal venue en la matière.

Cette position, que nous partageons, ne permet malheureusement pas de mettre fin à l’application récurrente par l’administration d’un délai de quarante-huit heures, par crainte de censure des tribunaux, alors que ce délai ne figure pas dans les textes et que la jurisprudence elle-même reconnaît, à travers son standard de « temps très voisin de l’action », l’application d’une durée adaptable et circonstanciée.

Il est en revanche proposé d’incriminer le « maintien dans le domicile d’autrui ». Ainsi, les doutes qui pouvaient demeurer quant à la nature continue de l’infraction, en cas d’introduction dans les lieux avec manœuvres, voies de fait ou contrainte, laquelle qui se poursuivait par le maintien dans les lieux, sont dissipés, et la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui refusait dans une telle situation de caractériser une infraction continue, peut être abandonnée.

La modification ainsi introduite est d’autant plus bienvenue que les squats se multiplient dans les grandes agglomérations. Les offices d’HLM sont évidemment les premières cibles de cette délinquance lucrative, qui s’exerce le plus souvent au détriment des demandeurs de logements sociaux. Cette exploitation éhontée du dispositif législatif paraît aujourd’hui intolérable à nombre de nos concitoyens.

Je terminerai par quelques mots concernant la suppression par la commission de l’article 2 de la proposition de loi, lequel modifiait l’article 38 de la loi DALO en rendant également destinataires de la saisine du préfet les maires. Elle nous semble justifiée dans la mesure où, pratiquement, cette mesure paraît inutile, les maires et les préfets échangeant déjà sur le sujet. Une telle disposition ne ferait par conséquent que créer un risque de contentieux important en la matière : un propriétaire mécontent pourrait ainsi engager la responsabilité du maire qui aurait refusé de saisir le préfet.

Le dernier amendement adopté par la commission visait à modifier le titre de la proposition de loi. Le nouvel intitulé traduit mieux l’apport de ce texte, lequel ne crée pas de nouvelle voie de droit dans le domaine de l’expulsion des squatteurs, contrairement à ce que l’intitulé pouvait laisser penser, mais tente de renforcer l’efficacité de la procédure existante en matière de squat de domicile. Seuls ces derniers cas sont d’ailleurs visés par la présente proposition de loi.

En conclusion, au-delà de sa portée médiatique, ce texte repose sur une justification réelle. Nous soutenons donc cette initiative.

Nous saluons également la qualité du travail du rapporteur, Jean-Pierre Vial : les améliorations qu’il a proposées en commission permettent d’aboutir en effet à un texte équilibré.

Toutefois, pour répondre à l’ensemble des problèmes de squat, c’est-à-dire les squats de domicile, mais aussi les squats d’immeubles ou de bâtiments vacants, il faudra encore que de véritables décisions politiques soient prises, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, depuis 2007, c’est la troisième fois que je me retrouve dans cet hémicycle pour tenter de légiférer sur les squats. Les deux précédentes fois, nous avions, ensemble, parlementaires et ministres, réussi à progresser, lentement mais sûrement, après de très nombreux débats et même des manifestations.

La première fois, c’était en 2007, quand j’ai voulu que la loi DALO protège aussi ceux qui ont déjà un domicile ; la deuxième fois, c’était en 2010, lorsque le vol de domicile est devenu une infraction pénale.

Aujourd’hui, en 2014, c’est Natacha Bouchart qui prend le relais et tente d’aller plus loin pour protéger ceux qui subissent ces occupations illicites.

En France, il est souvent difficile de parler des squats ; il est plus facile de dénoncer le manque de logements sociaux. Certes, les squats sont la conséquence de la pénurie de logements, de la misère, des loyers élevés, mais ils sont aussi une atteinte inacceptable à la propriété, ce droit théoriquement reconnu par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

S’ils sont le fait de bandes organisées, comme cela a été dénoncé, ils sont aussi parfois le fait d’individus peu scrupuleux, de véritables voleurs qui abusent d’une loi qui protège avec excès ceux qui sont installés dans le logement, quelle que soit la façon dont ils s’y sont introduits.

Depuis 2007, je me bats pour protéger tout occupant, propriétaire ou locataire, qui se retrouve à la porte de chez lui à la suite du vol de son domicile.

Être mal logé n’autorise pas le squat. Le mal-logement ne doit pas être une prime à l’illégalité et à la légalisation des intrusions illicites.

Je suis fière d’avoir fait voter en 2007, à l’unanimité des groupes politiques, l’article 38 de la loi DALO – modifié par un sous-amendement socialiste et écologiste que vous aviez cosigné, monsieur le secrétaire d’État – qui accélère la procédure d’expulsion, pour éviter que ne se retrouve à la rue et sans logement quelqu’un qui en avait un.

Ce ne fut pas facile : la rédaction est issue de discussions dans cette enceinte, en pleine nuit, alors que des membres des associations Droit au logement et Jeudi noir manifestaient contre mon amendement. Si ces associations veulent loger les sans-abri, elles ne cautionnent pas pour autant le squat à tout-va.

Avec cette disposition, je croyais que la réintégration des occupants dans leur logement serait facilitée et accélérée. Mais il n’en est rien.

Ainsi, 2 047 condamnations ont été prononcées en 2004 et 2 050 en 2010. Contrairement à Mme la garde des sceaux, je ne me félicite pas de cette stabilité, car elle prouve que l’article 38 de la loi précitée n’est que peu ou pas appliqué depuis qu’il existe. M. le rapporteur, Jean-Pierre Vial, nous l’a dit : on dénombre dix recours seulement en l’espace de quatre ans.

Il suffit de lire la presse pour se rendre compte que ces actes ne s’arrêtent pas. Les victimes sont le plus souvent des personnes âgées, de retour d’une hospitalisation, ou alors parties en vacances ou en déplacement, c’est-à-dire les citoyens les plus modestes, ceux dont la maison n’est pas gardée par du personnel, ni sécurisée par une porte blindée ou par un digicode, des personnes qui ignorent l’existence de cet article 38 et que nul n’informera.

Je veux donc profiter de cette tribune pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler aux préfets, avant que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui ne soit définitivement adoptée, l’existence de cette procédure, qu’ils connaissent mal ou ne veulent pas appliquer.

Le délai de quarante-huit heures est trop souvent opposé alors qu’il ne s’applique pas lors d’une introduction illicite dans le domicile d’un particulier, sauf à détourner la volonté du législateur que je connais parfaitement bien.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté un amendement sur la taxation des résidences secondaires qui précise justement les notions de résidence. Ce serait peut-être l’occasion de les rapprocher et de pouvoir lever le flou sur ces notions.

Je crois que Natacha Bouchart a raison de vouloir aller plus loin que l’article 38 de la loi DALO, et je soutiens son amendement, qui vise à permettre au maire d’intervenir. Celui-ci est un acteur de proximité qui connaît mieux que le préfet la réalité de l’occupation et réagira plus vite, d’autant que c’est lui qui aura le devoir de reloger la personne qui se trouve jetée à la porte de chez elle.

Je soutenais pleinement la proposition de ma collègue de porter le délai à quatre-vingt-seize heures, mais je me rallie à celle de la commission, qui semble donner plus de force au dispositif.

Toutefois, pourquoi appliquer un délai aussi court ? Pourquoi a-t-on voulu transformer les cambrioleurs de domicile en occupants légaux au bout de quarante-huit heures ? En 2010, sur l’initiative de l’Assemblée nationale, un amendement a été adopté. Il visait à allonger le délai de flagrance du délit d’effraction de domicile à la période variable durant laquelle l’occupant en titre du logement ignore qu’il est squatté, quand il s’agit de sa résidence principale. Je continue à penser qu’il s’agissait d’une disposition de bon sens.

Enfin, je voudrais conclure sur la question de la sécurisation des justificatifs de domicile, en l’occurrence les contrats d’électricité. C’est la première étape recommandée par tous les sites internet expliquant comment squatter en toute liberté !

M. le ministre de l’intérieur m’a répondu qu’EDF prévoyait de sécuriser par des codes-barres 2D une attestation de contrat valant justificatif de domicile. J’aimerais savoir si cette mesure est appliquée.

J’espère que, aujourd’hui, au Sénat, nous adopterons, dans une troisième étape, la présente proposition de loi, qui permet d’aller un peu plus loin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée par notre commission des lois, ne concerne que les violations de domicile visées à l’article 226-4 du code pénal.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en droit pénal, le terme « domicile » désigne non seulement le lieu où une personne a son principal établissement, comme en droit civil, mais aussi le lieu où elle a le droit de se dire chez elle. C’est donc un lieu affecté à l’habitation réelle et effective d’une personne, qu’elle y réside en permanence ou non.

Dès lors, si je conçois que la question générale des squats suscite des émotions et des réactions passionnées, elle n’en est pas moins éloignée du texte qui nous réunit aujourd'hui. En effet, dans la plupart des situations évoquées par nos collègues, les difficultés qu’ils éprouvent dans leur circonscription tiennent à des immeubles vacants, des usines désaffectées, des hangars ou d’autres locaux qui ne sont en rien considérés comme des domiciles.

Contrairement à ces divers locaux inoccupés, le domicile est un élément de la vie privée protégé par notre droit positif, et en particulier par l’article 9 du code civil. Le respect du domicile de toute personne résidant sur notre territoire est constitutionnellement garanti en vertu des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Au niveau conventionnel, c’est l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Au titre de cette protection constitutionnelle et conventionnelle, le respect effectif du principe d’inviolabilité du domicile est d’ores et déjà assuré par plusieurs procédures juridiques, qui peuvent être rapides. Il existe actuellement une procédure civile, une procédure administrative et une procédure pénale.

La procédure civile protège les victimes, locataires ou propriétaires, des occupations illicites de leur domicile, et leur permet d’obtenir, par voie de référé ou de référé d’heure à heure, une décision du juge civil, qui statue à très brève échéance si l’urgence du retour de l’occupant légal dans les lieux est caractérisée.

La procédure administrative a été créée par l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », article que nous devons à Catherine Procaccia. Il s’agit d’une procédure dérogatoire au droit commun permettant au propriétaire ou au locataire dont le domicile fait l’objet d’une occupation résultant « de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » de saisir le préfet pour qu’il procède à l’évacuation forcée des lieux. Il appartient aux victimes de déposer plainte, sans qu’il leur soit nécessaire d’avoir recours à un huissier pour constater l’occupation illégale. Le préfet adresse ensuite aux squatteurs du domicile une mise en demeure de quitter les lieux, assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures.

Toutefois, depuis la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », le préfet peut opposer aux locataires ou aux propriétaires la trêve hivernale, qui débute chaque année le 1er novembre et s’achève le 31 mars, pour refuser de faire procéder à l’expulsion des occupants illégaux au cours de cette période. Dans ce cas, les personnes seront contraintes de saisir le juge pour solliciter le prononcé de l’expulsion en référé. On peut légitimement s’interroger sur la justesse de cette évolution : s'agissant d’une installation par la force dans le domicile d’autrui, il semble surprenant que la trêve hivernale protège l’occupant illicite au détriment de l’occupant en droit.

M. Jean-Yves Leconte. Cependant, ce n’est pas le sujet du jour. Peut-être faudra-t-il, après l’hiver, faire rapidement le bilan de cette récente évolution législative, afin de voir si elle a permis de mieux protéger le droit au logement de chacun.

J’en viens à la procédure pénale. En cas de flagrant délit de violation de domicile au sens de l’article 226-4 du code pénal, les forces de police ou de gendarmerie peuvent intervenir immédiatement et diligenter une enquête permettant notamment d’arrêter l’auteur de l’infraction sur les lieux et de le placer en garde à vue. Dans ce cadre, les interventions des forces de l’ordre se font sous l’autorité du procureur de la République, et non sous celle du préfet, comme le prévoit la circulaire du 26 août 1994 relative à la prévention des expulsions de locaux et à l’exécution des décisions de justice prononçant une expulsion de locaux d’habitation.

Aux termes de l’article 53 du code de procédure pénale, « est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit. » L’article 226-4 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur, punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet ».

La présente proposition de loi vise à modifier les dispositions de l’article 226-4 du code pénal afin de faire de la violation de domicile une infraction continue. Concrètement, dès lors que l’introduction dans les lieux aura été illicite, il ne sera pas nécessaire de caractériser de nouveaux comportements illicites durant le maintien dans les lieux pour que les forces de l’ordre puissent intervenir dans le cadre de la flagrance. Il s’agit d’ajouter à l’article 226-4 du code pénal un alinéa permettant aux forces de l’ordre de diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance tant que les occupants se maintiennent dans le domicile. Peu importerait donc que l’intrusion ait eu lieu plusieurs jours ou plusieurs semaines auparavant.

Si ce texte venait à être adopté, il serait donc possible, à tout moment, y compris en période de trêve hivernale, d’avoir recours aux forces de l’ordre sans aucun contrôle juridictionnel et sans respect du principe du contradictoire. Si ce n’est pas la position actuelle de nos juridictions, c’est néanmoins ce qui ressort déjà d’une circulaire de la Chancellerie datant de mai 1993, qui précise que « le nouveau code pénal étend la répression à l’hypothèse du maintien dans le domicile d’autrui, transformant ainsi cette infraction instantanée en délit continu ».

Je souligne également que les dispositions de la proposition de loi, telles que corrigées par notre commission des lois, permettraient aux forces de l’ordre de qualifier pénalement un lieu de « domicile » ou une infraction de « maintien dans le domicile » au sens de l’article 226-4 du code pénal sans qu’aucun juge puisse se prononcer et, le cas échéant, requalifier les faits. N’y aura-t-il pas des cas où la police ou la gendarmerie, sur lesquelles le texte fait peser une lourde responsabilité, ne seront pas en mesure, par exemple parce que les faits remontent à plusieurs mois, de déterminer si l’introduction dans le domicile a bien eu lieu à l’aide de voies de fait ou de manœuvres ?

Il n’en demeure pas moins que la protection des victimes de violation de domicile, souvent fragiles et désemparées, exige des dispositifs rapides, lisibles et efficaces.

Madame Bouchart, nous connaissons la situation dont sont victimes les habitants de Calais : c’est un concentré de la misère et des conflits du monde, mais elle témoigne aussi, lorsque l’on regarde les migrants, de la force de l’espoir et de la volonté de s’en sortir de ces gens qui cherchent une terre accueillante pour eux, ou supposée telle.

Les difficultés doivent donc être appréhendées dans une vision globale, intégrant la crédibilité de notre politique d’asile et la gestion de l’immigration au niveau européen ; nous avons évoqué cette question la semaine dernière avec nos collègues britanniques, dans le cadre d’une audition de la commission des affaires européennes.

Nous nous en sortirons par une meilleure convergence européenne et une révision des règlements Dublin et Eurodac, afin que les pays européens les plus éloignés des zones d’arrivée des migrants ne rejettent pas toute la responsabilité de la gestion des flux et de l’accueil des migrants sur les pays qui constituent les frontières sud et est de l’Union européenne.

Nous nous en sortirons aussi en chassant résolument tous les réseaux et toutes les mafias qui prospèrent là où la misère et l’espoir des migrants convergent.

Cela étant, il ne faut en aucun cas légiférer dans l’émotion, en adoptant une loi de circonstance qui ne serait qu’un communiqué de presse ne résolvant en rien ces problèmes précis et tragiques.

La plupart des squats de Calais ne concernent probablement pas des domiciles. C’est donc une réponse beaucoup plus large qu’il faut apporter. Pour ce faire, vous avez besoin de la solidarité nationale et de la solidarité européenne, et non de remettre en cause, à travers deux amendements, l’ensemble de l’édifice destiné à protéger non seulement la propriété et l’inviolabilité du domicile, mais aussi le droit au logement des plus fragiles, des familles sans moyens pour lesquelles un toit volé est la seule option si elles veulent ne pas être à la rue avec leurs enfants.

Cette situation, indigne de notre pays, est la conséquence de la crise sociale, de la situation de l’emploi, de la crise du logement, des blocages de notre société et de la précarité rampante et croissante. Mas avons-nous vraiment le droit de déchirer, à la veille de l’hiver, les outils juridiques qui permettent de garantir à chacun l’indigne minimum, alors que nous n’avons rien d’autre à offrir ? Tel est bien l’objet de vos amendements, qui visent à étendre les dispositions de la proposition de loi à l’ensemble des locaux susceptibles d’occupations illégales, qu’il s’agisse d’habitations, d’usines désaffectées ou d’autres locaux abandonnés.

Le groupe socialiste du Sénat votera évidemment contre ces amendements, qui ne correspondent en rien aux dispositions adoptées par la commission.

Attachés au respect du droit des victimes de violation de domicile, nous avons décidé de nous abstenir sur le texte de la commission, mais nous voterons contre la proposition de loi si l’un des amendements que je viens d’évoquer est adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les squats soulèvent de nombreux problèmes, auxquels nous sommes tous confrontés dans nos départements : insalubrité, nuisances, colère des riverains, dégradations et parfois même violence.

Présidente de Côte d’Azur Habitat, le premier bailleur social des Alpes-Maritimes, je rencontre quotidiennement ces situations qui remettent en cause la justice sociale et le droit de propriété. Dans mon département, nous subissons même une accentuation de ce phénomène, notamment, mais pas seulement, au sein du parc social.

Mme Cécile Cukierman. Combien y a-t-il de logements sociaux dans les Alpes-Maritimes ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. Depuis cinq ans, en raison de la transformation du profil type du squatteur, des réseaux mafieux qui connaissent les limites de la loi ont fait du squat une économie souterraine. Nous sommes passés du marginal sans domicile qui fait face à un accident de la vie, avec ou sans sa famille, à de véritables réseaux de crime organisé.

Les grands bouleversements géopolitiques des dernières années ont entraîné l’arrivée de nouvelles populations sur notre territoire. Ces dernières n’hésitent pas à repérer des logements vacants puis à les affecter moyennant finances à des familles en déshérence sociale, en utilisant des méthodes techniques qui nécessitent de gros moyens. Je pense notamment à l’utilisation de disqueuses thermiques, qui permettent la violation de logements, mais sont également utilisées pour des cambriolages de commerces d’informatique et de téléphonie ou d’habitations de particuliers.

Mme Samia Ghali. C’est vrai !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Côte d’Azur Habitat, qui gère un patrimoine de 20 000 logements, a engagé plus de 140 procédures devant les tribunaux sur les deux dernières années, alors que la moyenne annuelle des années précédentes se situait à environ 40 squats. Le coût d’une procédure s’élève en moyenne à 8 900 euros par squat : 1 900 euros de frais de procédure et approximativement 7 000 euros de perte de loyers. Sur les deux dernières années, le coût financier s’est donc élevé à plus de 1,2 million d’euros ; cette dépense s’est faite au détriment de l’entretien du parc ou des logements des locataires en titre. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)

En outre, lorsque les bailleurs réussissent à reprendre possession d’un logement squatté, ils le trouvent régulièrement saccagé, voire détruit, ce qui retarde son attribution à une famille qui a peut-être formulé sa demande plusieurs années auparavant. À cela s’ajoutent les nuisances, les portes défoncées, les raccordements sauvages à l’électricité, ainsi que la mise en danger des biens et des personnes qui résident dans le parc social. C’est le principe même de justice sociale qui disparaît, alors que certains demandeurs accomplissent le parcours du combattant pour obtenir un logement social.

Certaines situations montrent que l’usage juridique du délai dans lequel la flagrance peut être constatée est insuffisant et ne permet pas toujours de répondre aux besoins, notamment dans le parc social. En pratique, il est presque impossible d’obtenir l’intervention du préfet moins de quarante-huit heures après l’introduction de squatteurs. Même si la loi ne prévoit pas textuellement ce délai de quarante-huit heures, l’administration l’applique, par crainte d’une censure des tribunaux. Les organisateurs de squats le savent et en jouent !

Un logement squatté une veille de week-end a ainsi peu de chance de faire l’objet d’une intervention avant le début de la semaine suivante, car, même si la préfecture et les forces de l’ordre sont de bonne volonté, elles ne sont pas juges des conditions d’entrée dans les lieux. En outre, certains signes d’élection de domicile, comme un courrier préalablement envoyé par voie postale à ladite adresse, empêcheront tout simplement les forces de l’ordre d’intervenir et l’expulsion du squatteur relèvera du tribunal d’instance. Commence alors une véritable course pour connaître l’identité des occupants afin de pouvoir entamer la procédure.

Il existe un vide juridique relatif dans la mesure où, même si les juges ont la possibilité d’ordonner l’évacuation des locaux dans lesquels des personnes sont entrées sans titre ou par voie de fait, il arrive bien souvent que l’exécution des décisions de justice ne soit pas assurée. La procédure est donc largement perfectible.

Au vu des chiffres de mon département, les Alpes-Maritimes, il ne s’agit pas, avec cette proposition de loi, d’un texte d’affichage médiatique, mais bien de l’expression d’une volonté de renforcer nos moyens contre une forme de délinquance face à laquelle beaucoup d’élus, de propriétaires et de bailleurs se sentent impuissants.

Monsieur le secrétaire d'État, il serait également pertinent de s’attaquer, peut-être par voie réglementaire, aux sites internet de certaines associations qui font l’apologie du squat et encouragent le passage à l’acte en publiant un « guide du parfait squatteur ». (M. Jean-Patrick Courtois applaudit.) Elles incitent au détournement de la loi par la diffusion de méthodes de repérage ou de conseils visant à retarder les procédures, voire à les contrer. Les individus qui alimentent les réseaux sont complices de délits au regard du code pénal ; je tenais à vous le faire remarquer.

Nous espérons que cette proposition de loi permettra de mieux appréhender ces pratiques abusives et illégales. Nous nous devons en effet de venir en aide à nos concitoyens par l’écriture d’un texte lisible et efficace, afin que quiconque puisse laisser son domicile ne serait-ce que quelques jours en toute quiétude, sans risquer de se trouver démuni à son retour. Je terminerai en soulignant que la propriété, c’est la République ; sans propriété, il n’y a pas de République ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Cécile Cukierman. C’est la République des propriétaires !

M. Jean-Patrick Courtois. Sans propriétaires, pas de République !

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame Bouchart, mes chers collègues, je suis heureux d’avoir l’occasion d’expliquer devant vous les raisons qui me poussent à défendre cette proposition de loi.

Le principe de l’inviolabilité du domicile est le prolongement de la liberté individuelle, qui constitue l’un des principes fondamentaux du droit français. Il est garanti par la Constitution et figure explicitement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 comme l’un des quatre droits naturels et imprescriptibles de l’homme.

Or, aujourd’hui, il est toujours plus facile d’occuper illégalement un domicile que de mettre un terme à une occupation illégale. En tant qu’élus, nous connaissons tous ces situations difficiles pour les propriétaires victimes de ces infractions.

Ce texte n’est pas problématique, comme certains se plaisent à le dire, en évoquant par exemple, à tort, la trêve hivernale, qui ne s’applique pas pour les logements squattés : il vise simplement à préciser l’infraction de violation de domicile et non pas à mettre en place une nouvelle procédure d’expulsion des squatteurs dérogatoire du droit commun.

C’est donc bien la sagesse de cette proposition de loi, telle que rédigée par la commission, qui m’engage.

J’en veux pour preuve la suppression de l’article 2, qui facilitait la procédure d’expulsion par voie de décision administrative en permettant au maire, lorsqu’il ne réussissait pas à contacter le propriétaire ou le locataire du logement occupé illégalement, de demander au préfet de mettre l’occupant en demeure de quitter les lieux.

Si cette écriture pouvait attribuer un droit nouveau au maire, il est vrai qu’elle engageait, une fois encore, la responsabilité des édiles, déjà bien mise à l’épreuve, et je parle en connaissance de cause. Cette disposition a donc été écartée, avec sagesse.

J’évoquerai ensuite, et tout simplement, la clarté et la précision qu’apporte l’article 1er de cette proposition de loi à la rédaction de l’article 226-4 du code pénal. Cette rédaction permet en effet de lever toute ambiguïté concernant la nature continue de l’infraction de violation de domicile. Ainsi, les forces de l’ordre peuvent intervenir au titre du flagrant délit tout au long du maintien dans les lieux, quelle qu’en soit sa durée.

La rédaction proposée aujourd’hui distingue deux phases de l’infraction de violation de domicile : l’introduction dans le domicile d’autrui et le fait d’y rester.

Si l’introduction dans le domicile d’autrui, pour être sanctionnée, doit se faire à l’aide de « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte », en revanche, le maintien dans le domicile à la suite de l’introduction illégale serait sanctionné en tant que tel, sans qu’il soit nécessaire que ce maintien soit le fait de nouvelles « manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».

Cette proposition de loi, si elle est adoptée, permettra, tout simplement, de donner des moyens d’action plus précis aux propriétaires confrontés à ces situations.

Je voterai donc ce texte empreint de sagesse et de bon sens, et je vous encourage à faire de même. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État. La discussion générale a été intéressante, car elle a montré que les points de vue n’étaient pas si éloignés. Même à la gauche de l’hémicycle, on convient qu’il y a bien un vrai problème juridique.

Certes, le problème est avant tout social, du fait du manque de logements, et la seule réponse pénale au problème que pose Mme Bouchart ne saurait être considérée comme suffisante.

Nous allons maintenant passer à la discussion des articles et des amendements ; il me semble qu’un consensus peut être trouvé sur ce texte amendé par la commission.

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile
Article 2 (Supprimé)

Article 1er

L’article 226-4 du code pénal est ainsi modifié :

1° Les mots : « ou le maintien » sont supprimés ;

2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction visée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines. »

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié quater, présenté par Mme Bouchart, M. Duvernois, Mme Duchêne, M. J. Gautier, Mme Procaccia, MM. Gilles et Buffet, Mme Deroche et MM. Carle, Cambon et J.P. Fournier, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article 226-4 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 226-4. – L’introduction dans le domicile d’autrui ou dans un immeuble d’habitation, ou qui le devient de fait, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

« Le maintien dans le domicile d’autrui ou dans un immeuble d’habitation, ou qui le devient de fait, à la suite de l’introduction visée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines. »

La parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je présenterai en même temps les trois amendements que j’ai déposés sur le texte de la commission.

La commission des lois est connue pour sa grande sagesse, mais il y a la réalité du terrain, et elle s’impose à nous.

Je comprends bien les positions des uns et des autres, et, contrairement à certains, je ne verserai pas dans l’agressivité, car je sais trop ce que c’est, pour les populations, de subir au quotidien le phénomène des squats.

Même si, je le sais, ces amendements ne peuvent pas être votés en l’état aujourd’hui, je sais qu’un jour on ouvrira les yeux et on aura le courage, qui nous manque aujourd’hui, de faire face collectivement à ces situations réelles en reprenant les idées que je défends ici.

Je regrette aussi le procès instruit par certains contre les maires, dans l’exercice de leurs fonctions. On refuse de leur donner certaines responsabilités, alors qu’ils montrent au quotidien qu’ils sont capables d’en assumer beaucoup. Pour ma part, j’ai le sentiment de représenter les maires non seulement de mon département, mais également de toute la France, et je suis très fière, en leur nom, ou au moins au nom d’une grande majorité d’entre eux, de maintenir ces amendements ; leur adoption faciliterait bien la vie de nos édiles, notamment en ce qui concerne leurs relations avec le préfet, qu’il n’est pas bon de prendre pour cible en permanence, comme certains l’ont fait une bonne partie de l’après-midi.

J’en viens plus précisément à la présentation de mes amendements.

L’amendement n° 2 rectifié quater est tout à fait dans l’esprit de la proposition de loi. Nous avons évoqué, dans la discussion générale, l’élargissement du dispositif au-delà du seul domicile. Il est vrai que le domicile est le cœur de la vie privée, mais l’occupation illicite de logements ou d’immeubles vacants, comme des hangars ou des usines désaffectés, risque de devenir un problème aigu si le dispositif législatif visant à lutter contre la violation de domicile est renforcé sans prendre en compte ces autres types de locaux.

L’amendement n° 3 rectifié quater ans a pour objet de prévoir que, dans le cadre de ses pouvoirs de police, lorsqu’il aura connaissance de l’occupation du domicile de l’un de ses administrés ou de l’occupation d’un immeuble d’habitation, ou qui le devient de fait, le maire pourra, après avoir cherché par tous les moyens à contacter le propriétaire ou le locataire du logement occupé, demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux.

Enfin, l’amendement n° 1 rectifié quater, qui tend à modifier l’intitulé de la proposition de loi, est la conséquence de l’amendement n° 2 rectifié quater.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 2 rectifié quater ?

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. L’amendement n °2 rectifié quater tend effectivement à étendre aux immeubles vacants le régime prévu à l’article 226-4 du code pénal pour le domicile.

À cet égard, je ne peux que reprendre les explications qui ont été données en commission.

Sur le fond, je comprends tout à fait la position de notre collègue. À la limite, on pourrait même souhaiter que cet article couvre l’ensemble du champ des bâtiments susceptibles de faire l’objet de telles intrusions.

En fait, la difficulté résulte purement et simplement de l’application du droit. Comme on l’a vu, il n’y a aucune difficulté sur le plan civil, l’interprétation faite par la Chancellerie dans sa circulaire étant parfaitement claire à cet égard. En revanche, force est de constater qu’une difficulté d’application est apparue à la suite du vote de la loi DALO, qui, dans son article 38, a créé un régime dérogatoire en passant de la compétence du juge judiciaire à celle du préfet, qui est une autorité administrative.

Or nous voyons bien que cet article 38 trouve son fondement dans les dispositions de l’article 226-4 du code pénal, lequel trouve lui-même son fondement dans la jurisprudence et la doctrine civile pour ce qui est de l’interprétation de la notion de « domicile ».

Face à cette forme d’emboîtement, si vous me permettez l’expression, ma chère collègue, soit nous en restons à une interprétation stricte, et nous aurons le bonheur de voir les préfets obligés d’appliquer le dispositif que nous nous apprêtons à adopter, alors que, aujourd’hui, ils se replient sur cette règle prétorienne des quarante-huit heures, soit nous étendons l’ensemble du dispositif, au risque de le fragiliser.

C’est la raison pour laquelle, tout en comprenant votre position au fond, je ne peux qu’en rester à la position exprimée par la commission en demandant le rejet de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d'État. Le présent amendement aurait pour conséquence, s’il était adopté, de dénaturer complètement la violation de domicile. Ce délit vise en effet, comme son nom l’indique, à protéger non la propriété, mais le domicile des individus, en tant qu’élément assurant, plus largement, la protection de leur vie privée.

Il figure du reste dans le livre II du code pénal, lequel réprime les atteintes à la personne, et non dans le livre III, qui sanctionne les atteintes aux biens. Plus précisément, il se trouve dans le chapitre VI de ce livre II, qui a pour objet de punir les atteintes à la personnalité, avec, par exemple, les délits d’atteinte à la vie privée ou de violation du secret des correspondances.

Il n’apparaît donc ni souhaitable ni cohérent d’étendre l’incrimination à l’occupation d’immeubles d’habitation qui ne seraient pas considérés comme des « domiciles », ou, à plus forte raison, de hangars ou d’usines désaffectés.

Il convient, en outre, de relever que la notion « d’immeuble d’habitation le devenant de fait » est particulièrement imprécise. Il en résulte que le texte proposé apparaît contraire au principe constitutionnel de légalité des délits, qui exige, vous le savez, une prévisibilité suffisante de la loi pénale.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart, pour explication de vote.

Mme Natacha Bouchart. Monsieur le président, je vais retirer cet amendement, ainsi que les suivants, non sans avoir souligné la qualité du travail réalisé en commun.

Je retiens la proposition, faite par Mme Procaccia, de rappeler à l’administration que le délai de quarante-huit heures est définitivement nul et non avenu.

J’aurais souhaité, il est vrai, aller plus loin, c’est-à-dire étendre le dispositif au-delà du seul domicile. J’avais également à cœur de préciser le rôle du maire, qui est important. Cependant, je dois admettre que je suis satisfaite de cette avancée, fruit du dialogue avec les uns et les autres.

Je retire donc l’amendement n° 2 rectifié quater.

M. le président. L’amendement n °2 rectifié quater est retiré.

La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote sur l’article.

Mme Samia Ghali. Je suis satisfaite du retrait de l’amendement. Mme Bouchart a bien compris que le texte de la commission visait le squat d’un logement, lequel n’est pas de même nature que le squat d’un lieu ouvert.

Vous avez déclaré bien connaître la situation, chère collègue, mais, croyez-moi, je vis ces questions au quotidien dans le territoire où je suis élue.

À mon sens, les problèmes sont surtout dus à l’application de la loi par les préfets, qui, malheureusement, même quand la justice demande des expulsions, font traîner les procédures en longueur, sous le prétexte d’enquêtes sociales, qui n’ont en fait jamais lieu, alors qu’elles seraient très utiles. Cette attitude contribue à cristalliser les tensions dans les quartiers, dans les villes, ce qui n’est bon ni pour les uns ni pour les autres.

En revanche, j’y reviens, le squat d’un logement et le squat d’une usine délaissée ne sont quand même pas du même ordre. Aussi, le retrait de l’amendement me satisfait et je voterai l’article ainsi rédigé.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile
Intitulé de la proposition de loi

Article 2

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié quater, présenté par Mme Bouchart, M. Duvernois, Mme Duchêne, M. J. Gautier, Mme Procaccia, MM. Gilles et Buffet, Mme Deroche et MM. Carle, Cambon et J.P. Fournier, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après le premier alinéa de l’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cadre de ses pouvoirs de police, lorsque le maire a connaissance de l’occupation du domicile d’un de ses administrés ou de l’occupation d’un immeuble d’habitation, ou qui le devient de fait, dans les conditions déterminées au premier alinéa, il peut, après avoir cherché par tous moyens à contacter le propriétaire ou le locataire du logement occupé, demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. »

La parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Je considère que cet amendement a été défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. Je ferai trois observations, les deux premières reprenant les motifs qui ont incité la commission à supprimer l’article 2 et la troisième venant renforcer les arguments que j’ai développés pour demander à notre collègue de retirer l’amendement n° 2 rectifié quater.

Tout d’abord, ma chère collègue, vous proposez de confier au maire la possibilité de saisir le préfet au titre de l’article 38 de la loi DALO. Or, nous le savons très bien, dans le type de situation qui a été évoqué cet après-midi, les relations entre le maire et le préfet sont telles que l’on peut considérer que le préfet est déjà saisi sur interpellation du maire et qu’il n’est pas nécessaire de consacrer une disposition spéciale à cette saisine.

Ensuite, en voulant faire ce « cadeau » au maire, vous lui conférez certes un droit, mais vous lui faites surtout courir un risque. En effet, vous autorisez le maire à se substituer à un propriétaire qui n’a pas exprimé sa position, puisque c’est la raison même pour laquelle on accorde cette possibilité au maire. Imaginez les mises en cause auxquelles vous exposez le maire, en termes de responsabilité, soit parce qu’il aura agi, soit parce qu’il n’aura pas agi. Or nous pouvons considérer que, dans l’état actuel du droit, rien n’empêche le maire d’interpeller le préfet pour mettre en œuvre l’article 38 de la loi DALO.

Enfin, beaucoup plus grave, ma dernière observation a trait à l’extension de ce droit de saisine du maire non seulement aux domiciles et aux logements, mais aussi aux immeubles vacants. Sur ce point, je tiens à souligner les risques d’inconstitutionnalité que nous ferions courir au dispositif de l’article 38 de la loi DALO, qui nous paraît déjà relativement fragile.

Lors de la réunion de la commission, nous avons évoqué le fait que des dispositions très proches de celles dont nous discutons aujourd’hui ont déjà été censurées par le Conseil constitutionnel. Je suis convaincu que, si le Conseil constitutionnel était saisi aujourd’hui des dispositions de l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 dans sa rédaction actuelle, nous pourrions déjà nous interroger ; mais si nous modifiions l’article 38 dans le sens souhaité par l’auteur de l’amendement, il ne fait pas de doute que nous nous exposerions à une censure !

Nous pensons donc que le droit actuel, malgré ses limites, présente un réel avantage en raison de la possibilité déjà ouverte par la loi DALO, raison pour laquelle je demande à l’auteur de cet amendement de bien vouloir le retirer, pour ne pas fragiliser davantage cette disposition.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Je souscris à l’ensemble des arguments que vient de développer M. le rapporteur et je n’ajouterai que deux observations.

En premier lieu, les conditions d’application des dispositions que vous proposez, madame la sénatrice, sont extrêmement floues. Votre proposition de loi ne détermine pas précisément les preuves que le maire devra fournir au préfet pour justifier sa demande.

En second lieu, il existe un risque d’atteinte aux droits de l’occupant légitime, dès lors que le maire aurait la possibilité de saisir le préfet sans l’accord du propriétaire ou du locataire.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Je tenais à remercier M. le rapporteur de ses explications juridiques, parce que nous n’appartenons pas tous à la commission des lois et que nous n’avons pas tous nécessairement les compétences de ses membres !

Si j’ai cosigné cet amendement, c’est parce que le maire est la personne vers laquelle on se tourne le plus rapidement. Imaginez des personnes âgées qui trouvent leur logement squatté en rentrant chez elles – un cas s’est encore produit récemment dans le Val-de-Marne ; à qui s’adressent-elles sinon à leur maire, faute de savoir quoi faire ? Dans ces conditions, permettre au maire de saisir le préfet ne me paraissait pas choquant.

Certes, le maire peut déjà aider les personnes concernées en leur indiquant qu’elles ont la possibilité de saisir le préfet dans le cadre de l’article 38 de la loi DALO, mais il me paraissait important de lui permettre de le faire lui-même, sans qu’il en ait l’obligation.

Dans un certain nombre de communes, il n’est pas rare de voir des personnes âgées partir plusieurs mois, ne serait-ce que pour séjourner chez leurs enfants. L’occupant peut donc ne pas être informé du fait que son logement est squatté et, même si l’on organise une veille entre voisins, on ne peut pas toujours savoir qui entre chez les uns ou chez les autres. Le maire est donc l’autorité la plus proche et la plus en mesure d’intervenir.

Cet amendement me paraissait donc aller dans le bon sens, mais M. le rapporteur nous a expliqué en quoi il était mal rédigé. Quoi qu’il en soit, il me semble que l’on ne peut pas balayer complètement l’idée que le maire doive jouer un rôle d’appui pour obtenir l’expulsion de squatteurs. Dans le cadre de l’article 38 de la loi DALO, c’est au propriétaire ou au locataire qu’il appartient de saisir le préfet. Or j’ai pu me rendre compte, au cours des derniers mois, que ces personnes ignorent le plus souvent que cette possibilité leur est ouverte.

M. le président. Madame Bouchart, l’amendement n° 3 rectifié quater est-il maintenu ?

Mme Natacha Bouchart. Compte tenu des explications qui ont été données et pour ne pas fragiliser davantage le dispositif, je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié quater est retiré.

L’article 2 demeure donc supprimé.

Article 2 (Supprimé)
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié quater, présenté par Mme Bouchart, M. Duvernois, Mme Duchêne, M. J. Gautier, Mme Procaccia, MM. Gilles et Buffet, Mme Deroche et MM. Carle, Cambon et J.P. Fournier, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à lutter contre la violation de domicile et l’occupation illicite d’immeubles d’habitation

La parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. Dans la suite logique des explications données sur les deux premiers amendements, je tiens à insister sur le fait que cette proposition de loi vise bien à préciser les modalités d’exécution du droit existant et non à changer ce dernier.

La commission souhaite donc que cet amendement soit retiré.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d’État. Avis défavorable.

M. le président. Madame Bouchart, l’amendement n° 1 rectifié quater est-il maintenu ?

Mme Natacha Bouchart. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié quater est retiré.

Vote sur l’ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je tiens à saluer l’esprit qui a présidé à nos échanges. Mon intervention en discussion générale était très juridique, peut-être trop, parce que l’interprétation de la flagrance, telle qu’elle résulte de la circulaire de la Chancellerie, était relativement complexe.

Le texte de la proposition de loi, après les travaux de la commission et la discussion en séance publique, ne vise plus que la violation de domicile, dont il fait un délit continu. De ce fait, même si j’ai annoncé précédemment que le groupe socialiste s’abstiendrait, je sens qu’un certain nombre de mes collègues souhaiteraient pouvoir le voter en l’état.

J’ajoute cependant que mon intervention soulignait quelques fragilités qui, si cette proposition de loi devait prospérer, mériteraient malgré tout d’être étudiées dans la suite de la procédure parlementaire.

En tout état de cause, dans la mesure où cette proposition de loi se concentre sur la violation de domicile, délit qui mérite d’être combattu – sur ce point, j’ai indiqué que la loi ALUR avait peut-être fragilisé le dispositif que Mme Procaccia avait introduit avec l’article 38 de la loi DALO –, je crois pouvoir dire qu’un certain nombre de collègues du groupe socialiste voteront en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.

Mme Samia Ghali. Je suis heureuse de pouvoir voter cette proposition de loi, puisque Mme Bouchart a accepté de retirer tous ses amendements, ce qui a contribué à éclaircir la situation.

Sur tous nos territoires, la situation vécue par ceux qui subissent des squats est bien douloureuse et les maires se trouvent démunis quand ils essaient de les aider. J’ai vu des élus de tous bords politiques qui, confrontés à cette situation, essayaient de trouver des solutions, parfois pour éviter des débordements.

Comme je l’ai dit, il serait sage que nous puissions avoir un débat plus large sur ce type de question. D’une part, les attentes des demandeurs de logements, qui sont sincères et vivent une vraie souffrance, ne peuvent pas trouver de réponse avec la loi DALO – c’est un leurre ! Or il faut que nous puissions agir en leur faveur. D’autre part, nous avons affaire à des squatteurs souvent organisés pour utiliser les faiblesses du droit français, et je rejoins en partie ce qu’a dit Mme Estrosi Sassone à cet égard.

Je le répète, les préfets ont une grande responsabilité dans l’application de la loi. J’insiste sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. Certains ont évoqué le risque que cette proposition de loi n’alourdisse la responsabilité des maires, et ce n’est évidemment pas le but, mais il convient de rappeler aux préfets qu’il leur appartient de faire respecter la loi.

Je suis donc heureuse de pouvoir voter ce texte avec vous, mes chers collègues. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Requier. Ce texte nous satisfait, puisque les deux amendements introduits par M. le rapporteur en commission répondaient tout à fait à notre attente. Par ailleurs, Mme Bouchart a accepté de retirer ses amendements en séance publique et le texte adopté par la commission sera donc soumis à notre vote sans modification.

Mais ne cédons pas à la tentation du manichéisme. Dans la société où nous vivons, il faut faire preuve d’une grande prudence : il n’y a pas toujours les bons d’un côté et les mauvais, de l’autre, et nous savons que les problèmes qui nous occupent aujourd’hui sont très délicats à résoudre.

Le groupe du RDSE votera donc cette proposition de loi. Ce faisant, nous répondons à l’appel d’un maire, ce qui est de la mission du Sénat, représentant des collectivités territoriales, en particulier des communes.

M. Jacques Gautier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. André Vallini, secrétaire d’État. Je souhaite indiquer à Mmes Bouchart et Procaccia que je transmettrai leurs suggestions et leurs demandes à mes collègues ministres de l’intérieur et de la justice, afin qu’ils donnent des instructions aux préfets, pour l’un, aux parquets, pour l’autre.

J’avais indiqué à la tribune que le Gouvernement s’en remettait à la sagesse de votre assemblée. Après avoir entendu Jean-Yves Leconte et Samia Ghali, je constate une fois de plus que la sagesse est vraiment très grande dans cet hémicycle ; par conséquent, le Gouvernement ne peut que se sentir conforté dans sa volonté de la laisser s’exprimer.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile.

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à préciser l'infraction de violation de domicile
 

7

Dépôt d’un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le huitième rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, lors du scrutin n° 23 sur les amendements nos 9 rectifié bis, 84 rectifié, 197 rectifié et 234 tendant à supprimer l’article 14 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, M. Pointereau a été déclaré comme s’étant abstenu, alors qu’il souhaitait voter contre.

Je vous remercie de bien vouloir prendre en compte cette demande de rectification.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

9

Conférence des présidents

M. le président. Mes chers collègues, je vais vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents, qui s’est réunie ce soir.

La conférence des présidents a tout d’abord pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, de la demande du groupe CRC de création d’une commission d’enquête sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays.

Elle a par ailleurs fixé comme suit l’ordre du jour jusqu’au jeudi 29 janvier :

SEMAINE SÉNATORIALE (suite)

Jeudi 11 décembre 2014

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :

1°) Proposition de résolution sur la reconnaissance de l’État de Palestine présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Gilbert Roger, Mmes Éliane Assassi, Esther Benbassa, MM. Didier Guillaume, Jean Vincent Placé et plusieurs de leurs collègues (n° 151, 2014-2015).

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.)

2°) Proposition de loi relative à la protection de l’enfant, présentée par Mme Michelle Meunier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 147, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)

À 15 heures :

3°) Questions d’actualité au Gouvernement (diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat).

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

À 16 heures 15 :

Ordre du jour réservé au groupe CRC :

4°) Proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Marie-France Beaufils et plusieurs de ses collègues (n° 128, 2014-2015).

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;

- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.)

À 21 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :

5°) Projet de loi de finances rectificative pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale (n° 155, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;

- au jeudi 11 décembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance le vendredi 12 décembre, à 8 heures 30, à la suspension du matin et de l’après-midi.)

Vendredi 12 décembre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :

À 9 heures 30, à 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit :

- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2014.

Éventuellement, samedi 13 décembre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement (en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) :

À 9 heures 30 et à 14 heures 30 :

- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2014.

SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Lundi 15 décembre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 10 heures :

1°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes (texte de la commission, n° 145, 2014-2015).

(La conférence des présidents a :

- fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 12 décembre, à 17 heures ;

- fixé au vendredi 12 décembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le lundi 15 décembre matin.)

À 14 heures 30 et le soir :

2°) Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin.

3°) Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (texte de la commission, n° 171, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé :

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le vendredi 12 décembre, à 17 heures ;

- au lundi 15 décembre, à 11 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission spéciale se réunira pour examiner les amendements de séance le lundi 15 décembre, à 13 heures 45.)

Mardi 16 décembre 2014

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales.

L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 867 de M. Philippe Leroy transmise à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

(Difficultés financières des conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement)

- n° 899 de M. Jean-Claude Frécon transmise à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.

(Implantations d’antennes relais)

- n° 904 de M. Michel Le Scouarnec à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

(Construction d’un lycée public sur la commune de Ploërmel dans le Morbihan)

- n° 914 de M. Luc Carvounas à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

(Calendrier scolaire et industrie du tourisme)

- n° 915 de M. Simon Sutour à M. le ministre de l’intérieur.

(Intempéries dans le département du Gard)

- n° 916 de Mme Anne-Catherine Loisier à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

(Avenir des agriculteurs du département de la Côte-d’Or)

- n° 918 de M. Claude Bérit-Débat à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

(Devenir des sites SNCF technicentre de Périgueux et des ateliers de Chamiers)

- n° 919 de M. Jean-Claude Lenoir à M. le ministre des finances et des comptes publics.

(Communes nouvelles et affectation de la taxe communale sur la consommation finale d’électricité)

- n° 921 de M. François Bonhomme à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

(Projet éducatif territorial)

- n° 922 de Mme Hélène Conway-Mouret à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

(Infirmiers anesthésistes diplômés d’État et sécurité anesthésique des patients)

- n° 924 de Mme Gisèle Jourda à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

(Compensation pour les communes du classement de terrains en zone d’aléa fort)

- n° 925 de M. François Commeinhes à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

(Fusion d’établissement public de coopération intercommunale et instances de consultation)

- n° 926 de M. Henri Cabanel à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale.

(Conséquences de la réforme territoriale)

- n° 927 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

(Refonte de la carte des zones prioritaires dans le cadre des réseaux de réussite scolaire)

- n° 928 de Mme Nicole Bonnefoy transmise à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.

(Couverture du territoire en téléphonie mobile)

- n° 929 de M. Pascal Allizard à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

(Règles de construction et d’évolution du bâti en zone agricole et naturelle)

- n° 930 de M. Mathieu Darnaud transmise à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.

(Défaillance du réseau téléphonique en Ardèche)

- n° 954 de M. Jacques Mézard à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

(Nouvelle carte des zones dites vulnérables)

À 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

2°) Discussion générale du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (procédure accélérée) (n° 636, 2013-2014).

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de quinze minutes aux rapporteurs des commissions des affaires économiques, des affaires sociales, de la culture, du développement durable et des finances ;

- fixé à six heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 15 décembre, à 17 heures ;

- fixé à l’ouverture de la discussion générale, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 17 décembre matin.)

Mercredi 17 décembre 2014

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 et le soir :

1°) Suite éventuelle de la discussion générale du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 ou nouvelle lecture.

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 16 décembre, à 17 heures.

En cas de nouvelle lecture :

- la commission des finances se réunira pour le rapport le mercredi 17 décembre matin ;

- la conférence des présidents a fixé à l’ouverture de la discussion générale le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance à l’issue de la discussion générale.)

3°) Conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi de finances pour 2015 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 ou nouvelles lectures.

(La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Elle a fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale commune, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 16 décembre, à 17 heures.

En cas de nouvelle(s) lecture(s) :

- la commission des finances se réunira pour les rapports le mercredi 17 décembre matin ;

- la conférence des présidents a fixé à l’ouverture de la discussion générale commune le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements de séance à l’issue de la discussion générale commune.)

4°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière ou nouvelle lecture.

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 16 décembre, à 17 heures.)

En outre, à 14 heures 30 :

- Désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays.

(Les candidatures à cette commission d’enquête devront être remises au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle avant le mardi 16 décembre, à 17 heures.)

Jeudi 18 décembre 2014

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu (n° 153, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 décembre, à 17 heures.)

2°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (texte de la commission, n° 169, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 décembre, à 17 heures.)

3°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord interne entre les représentants des Gouvernements des États membres de l’Union européenne, réunis au sein du Conseil, relatif au financement de l’aide de l’Union européenne au titre du cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 conformément à l’accord de partenariat ACP UE et à l’affectation des aides financières destinées aux pays et territoires d’outre-mer auxquels s’appliquent les dispositions de la quatrième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (texte de la commission, n° 167, 2014-2015).

4°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de notes verbales entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la création d’un bureau à contrôles nationaux juxtaposés à Porta (texte de la commission, n° 161, 2014-2015).

5°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la gestion commune de la ressource en eau dans le bassin hydrographique des sources de l’Ariège (texte de la commission, n° 162, 2014-2015).

6°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre portant délimitation de la frontière (texte de la commission, n° 163, 2014-2015).

7°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord établissant une association entre l’Union européenne et ses États membres d’une part, et l’Amérique centrale d’autre part (texte de la commission, n° 165, 2014-2015).

(Pour ces cinq projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le mardi 16 décembre, à 17 heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)

8°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises (texte de la commission, n° 123, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 décembre, à 17 heures.)

À 14 heures 30 et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

9°) Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin.

10°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (texte de la commission, n° 173, 2014-2015).

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 17 décembre, à 17 heures ;

- au lundi 15 décembre, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission de la culture se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 17 décembre, à 15 heures.)

SUSPENSION DES TRAVAUX EN SÉANCE PLÉNIÈRE :

Du lundi 22 décembre 2014 au dimanche 11 janvier 2015

SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Mardi 13 janvier 2015

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 :

1°) Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (procédure accélérée) (n° 636, 2013-2014).

À 21 heures 30 :

2°) Débat et vote sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Irak, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution.

(La conférence des présidents a :

- fixé, à raison d’un orateur par groupe, à quinze minutes le temps attribué au groupe UMP et au groupe socialiste et à dix minutes le temps attribué aux autres groupes, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de cinq minutes ;

- attribué un temps de parole de dix minutes au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 12 janvier, à 17 heures.

Le vote sur la demande d’autorisation donnera lieu à un scrutin public ordinaire. Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.)

Mercredi 14 janvier 2015

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 et le soir :

- Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

En outre, à 14 heures 30 :

- Désignation des trente-sept membres du groupe de travail préfigurant la création de la commission spéciale sur le projet de loi pour la croissance et l’activité.

(Les candidatures à ce groupe de travail devront être remises au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle avant le mardi 13 janvier, à 17 heures.)

Jeudi 15 janvier 2015

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

À 15 heures :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement (diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat).

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

À 16 heures 15 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

3°) Suite de l’ordre du jour du matin.

Mardi 20 janvier 2015

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales.

L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 923 de M. Claude Raynal à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

(Maintien de la ligne ferroviaire Montréjeau-Luchon)

- n° 931 de Mme Corinne Imbert à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

(Accueil des mineurs étrangers isolés et répartition des missions afférentes entre départements et État)

- n° 932 de Mme Dominique Estrosi Sassone transmise à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

(Projet de campus régional d’apprentissage Nice-Côte-d’Azur)

- n° 933 de M. Aymeri de Montesquiou transmise à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

(Constructibilité de parcelles d’une carte communale situées en zone d’appellation d’origine protégée)

- n° 934 de Mme Sylvie Robert à Mme la ministre de la culture et de la communication.

(Ouverture des bibliothèques publiques et accès du plus grand nombre à la culture)

- n° 935 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

(Conséquences des travaux de désamiantage des navires dans notre pays)

- n° 936 de M. Daniel Chasseing transmise à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

(Excès des exigences environnementales applicables aux communes rurales)

- n° 937 de Mme Delphine Bataille à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

(Formation des masseurs-kinésithérapeutes)

- n° 938 de M. Marc Laménie à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

(Menaces de fermeture de postes fixes de l’Établissement français du sang)

- n° 939 de M. Gilbert Bouchet à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

(Problèmes de l’hôtellerie)

- n° 940 de M. Gilbert Roger à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification.

(Respect des nouveaux délais d’instruction de dossiers dans le cadre de la simplification de la vie des particuliers)

- n° 941 de M. Yves Pozzo di Borgo transmise à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.

(Nouvelle fracture et mobilité étudiante)

- n° 943 de M. Daniel Laurent à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.

(Logements sociaux et prélèvements annuels)

- n° 944 de M. François Commeinhes à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

(Pour un tourisme durable)

- n° 945 de M. Dominique Watrin à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

(Réseaux d’éducation prioritaire)

- n° 946 de Mme Valérie Létard à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

(Desserte de la gare de Valenciennes par le train à grande vitesse)

- n° 948 de Mme Marie-Christine Blandin à M. le Premier ministre.

(Nouvelle contribution de la France à la stratégie européenne d’intégration des Roms)

- n° 949 de M. Jean-Vincent Placé à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

(Demandes de permis de recherche d’hydrocarbures dans l’Essonne)

- n° 951 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

(Réforme de l’éducation prioritaire dans les Hauts-de-Seine)

À 14 heures 30 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

2°) Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Mercredi 21 janvier 2015

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

À 14 heures 30 et le soir :

- Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Jeudi 22 janvier 2015

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Suite éventuelle du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

2°) Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (n° 76, 2014-2015).

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 14 janvier matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 12 janvier, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 21 janvier, à 17 heures ;

- au lundi 19 janvier, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 21 janvier matin.)

3°) Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-806 du 17 juillet 2014 modifiant le chapitre unique du titre VIII du livre VII de la troisième partie du code de l’éducation relatif aux dispositions applicables à l’université des Antilles et de la Guyane pour y adapter le titre V de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche et les ordonnances n° 2008-1304 du 11 décembre 2008 et n° 2014-807 du 17 juillet 2014 modifiant la partie législative du code de l’éducation (procédure accélérée) (n° 148, 2014-2015).

(La commission de la culture se réunira pour le rapport le mercredi 14 janvier matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 12 janvier, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 21 janvier, à 17 heures ;

- au lundi 19 janvier, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission de la culture se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 21 janvier matin.)

De 15 heures à 15 heures 45 :

4°) Questions cribles thématiques sur la réforme des rythmes scolaires (diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat).

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

À 16 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

5°) Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin.

SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE

Mardi 27 janvier 2015

Ordre du jour fixé par le Sénat :

À 14 heures 30 :

1°) Explications de vote et vote par scrutin public sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

(La conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à dix minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 26 janvier, à 17 heures.

Elle a décidé que le scrutin public serait organisé en salle des conférences pendant une durée d’une heure à l’issue des explications de vote, en application du XV bis de l’instruction générale du bureau.)

2°) Débat sur l’évolution des finances locales (demande du groupe UMP).

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe UMP ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 26 janvier, à 17 heures.)

À 21 heures 30 :

3°) Débat sur la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays (demande du groupe CRC).

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de vingt minutes au groupe CRC ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 26 janvier, à 17 heures.)

Mercredi 28 janvier 2015

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :

1°) Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement (n° 126, 2014-2015).

(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le mercredi 21 janvier matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 19 janvier, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 27 janvier, à 17 heures ;

- au lundi 26 janvier, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 28 janvier matin.)

2°) Suite de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, présentée par Mme Michelle Meunier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 147, 2014-2015).

De 18 heures 30 à 21 heures :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

3°) Débat sur le thème « quels emplois pour demain ? » (demande de la délégation sénatoriale à la prospective).

(La conférence des présidents a :

- attribué un temps d’intervention de trente minutes à la délégation sénatoriale à la prospective ;

- fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 27 janvier, à 17 heures.)

Jeudi 29 janvier 2015

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe RDSE :

1°) Suite de la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (n° 779, 2013-2014).

À 15 heures :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement (diffusion en direct sur France 3 et Public Sénat).

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant 11 heures.)

De 16 heures 15 à 20 heures 15 :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

3°) Proposition de loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy, présentée par M. Michel Magras et plusieurs de ses collègues (n° 473, 2013-2014).

(La commission des lois se réunira pour le rapport le mercredi 21 janvier matin (délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 19 janvier, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mercredi 28 janvier, à 17 heures ;

- au lundi 26 janvier, à 12 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 28 janvier matin.)

M. le président. Je consulte le Sénat sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l’ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement.

Y a-t-il des observations ?...

Ces propositions sont adoptées.

Par ailleurs, la conférence des présidents a décidé de s’opposer à l’engagement de la procédure accélérée sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Cette décision a été notifiée à M. le président de l’Assemblée nationale.

10

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre 2014

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre 2014.

Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le Sénat d’avoir organisé ce débat sur le Conseil européen particulièrement important qui se tiendra les 18 et 19 décembre.

Ce sera en effet la première réunion du Conseil européen depuis l’entrée en fonctions du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Elle aura lieu sous la présidence de Donald Tusk, nouveau président du Conseil européen.

Cette réunion du Conseil européen doit marquer le début d’une nouvelle ère pour l’Union européenne. Mais si elle est décisive, c’est surtout en raison de son ordre du jour, puisqu’il portera sur la question la plus importante aujourd’hui en Europe, celle de la relance de l’économie européenne et des investissements, avec la présentation et l’adoption du nouveau cadre pour les investissements en Europe proposé par la Commission européenne.

La France, vous le savez, avait fait de cette relance une priorité, car elle y voit un impératif pour la croissance en Europe et pour préparer l’avenir. Nous nous réjouissons donc que le président Juncker et la nouvelle Commission aient pu présenter ce plan moins d’un mois après leur entrée en fonctions. Il faut maintenant qu’il soit rapidement adopté.

La proposition de la Commission s’articule, comme vous le savez, autour de trois volets.

Le premier volet consiste à créer, en partenariat avec la Banque européenne d’investissement, la BEI, un nouveau fonds européen pour les investissements stratégiques. Dans la proposition de la Commission, ce fonds comprend une garantie de 16 milliards d’euros du budget de l’Union européenne, combinée à 5 milliards d’euros engagés par la Banque européenne d’investissement.

Au regard de l’expérience acquise par celle-ci depuis l’augmentation de son capital de 10 milliards d’euros en 2012 et de la mise en œuvre des premiers project bonds, le fonds devrait avoir un effet multiplicateur de 1 à 15, en augmentant la capacité d’intervention de la BEI, d’une part, et en attirant des co-financements, d’autre part.

En d’autres termes, chaque euro d’argent public mobilisé par le nouveau fonds engendrerait au total quinze euros d’investissements qui, sans ce mécanisme, n’auraient pas été réalisés. Ce sont 315 milliards d’euros d’investissements supplémentaires qui sont attendus et devraient être rendus possibles au cours des trois prochaines années à l’échelle de l’Europe. Ils viendront compléter les programmes du budget de l’Union européenne et les activités existantes de la Banque européenne d’investissement.

Le défi, c’est bien de casser le cercle vicieux du manque de confiance et du sous-investissement qui contribuent à la stagnation de l’économie, notamment au sein de la zone euro.

Le fonds visera notamment à soutenir l’investissement dans les infrastructures, en particulier les réseaux à haut débit, les réseaux d’énergie et de transport, l’éducation, la recherche et l’innovation, les énergies renouvelables, ainsi que dans les petites et moyennes entreprises, les PME, et les entreprises à moyenne capitalisation.

Le deuxième volet vise à mettre en place une réserve de projets crédibles. Ainsi, à titre indicatif, la France a transmis, comme l’ensemble des autres États membres, une liste de projets à la task force qui a été constituée conjointement par la Commission et la Banque européenne d’investissement.

Trois critères principaux ont été identifiés pour procéder à la sélection de ces projets. Il doit s’agit de projets à valeur ajoutée européenne, dont la viabilité et la valeur économiques sont avérées et pouvant débuter au plus tard dans les trois prochaines années.

Les travaux de cette task force constituent ainsi une première base de travail pour la constitution de la réserve de projets.

Enfin, le troisième volet est constitué d’une feuille de route destinée à rendre l’Europe plus attractive pour les investissements, à supprimer les barrières réglementaires et à achever le marché intérieur dans un certain nombre de domaines où des obstacles subsistent encore. L’objectif est notamment de créer une union des marchés des capitaux pour améliorer le financement de l’économie réelle, en particulier l’offre de capitaux destinée aux PME et aux projets à long terme.

La Commission présentera dès la semaine prochaine, dans son programme de travail pour 2015, une liste prioritaire des initiatives liées au plan d’investissement. De plus, le Conseil européen devrait se fixer une clause de rendez-vous en mars 2015 concernant l’Union de l’énergie et en juin 2015 pour le marché unique du numérique.

Je voudrais insister sur plusieurs aspects tout à fait positifs de ce plan.

Il y aura d’abord une possibilité d’intervention du fonds non seulement en prêts, mais aussi en capital.

Ensuite, le plan concerne des secteurs prioritaires pertinents, que je viens de mentionner, porteurs de croissance pour demain. Aujourd’hui, le problème est non seulement que le manque d’investissement empêche la relance, mais aussi qu’il met en danger le potentiel de croissance à long terme de l’Union européenne.

Une série de secteurs prioritaires pourront être soutenus au travers de ce plan : le numérique, les transports, l’énergie, l’éducation, la recherche, la formation.

Le plan repose enfin sur des techniques de financement innovantes qui ont déjà fait leurs preuves, à l’instar des project bonds.

Sur cette base, l’objectif de la France est que le Conseil européen endosse ce plan dès la semaine prochaine et que le travail législatif soit mené au plus vite, afin que le dispositif soit opérationnel le plus rapidement possible en 2015.

La Commission devrait présenter une proposition législative au début du mois de janvier prochain, qui sera débattue par les chefs d’État ou de Gouvernement. Il faudra ensuite que le Conseil européen et le Parlement européen travaillent en urgence pour que les nouveaux investissements puissent être mobilisés dès la mi-2015.

Dans la situation économique que nous traversons, marquée par une croissance molle, une inflation exceptionnellement faible, un risque de déflation, un niveau d’investissement en retrait de 15 % par rapport à la situation d’avant-crise et des taux de chômage insupportables économiquement et socialement, personne ne comprendrait que ce plan s’enlise dans des procédures d’adoption longues. Dès lors que la Commission européenne a présenté son projet, il y a urgence, selon nous, à mettre en œuvre les mesures de nature à le rendre opérationnel dès le premier semestre de l’année prochaine.

Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement devrait être invitée à démarrer, en avance de phase, sur ses fonds actuels, le financement d’un certain nombre de projets.

C’est un calendrier ambitieux, mais qu’il nous faut tenir. C’est pourquoi des points de situation devront être faits lors des Conseils européens de mars et de juin 2015. Le Conseil européen des 18 et 19 décembre fixera une feuille de route précise pour l’année prochaine.

Ces propositions doivent bien sûr être précisées, complétées, amplifiées. Nous en sommes d’ailleurs convenus avec nos partenaires allemands lors du Conseil économique et financier franco-allemand qui s’est tenu à Berlin la semaine dernière.

À cette occasion, nous avons également décidé de poursuivre et d’accélérer nos travaux dans d’autres domaines importants pour la situation économique de l’Union européenne, tels que la lutte contre l’optimisation fiscale, la taxe sur les transactions financières, sur laquelle il faut absolument aboutir, la création d’une union des marchés de capitaux en Europe ou encore le renforcement de la gouvernance de la zone euro.

À cet égard, l’approfondissement de l’Union économique et monétaire pourrait donner lieu à une réunion informelle des chefs d’État ou de Gouvernement en février 2015, le rapport final des quatre présidents – ceux du Conseil européen, de la Commission européenne, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne – étant attendu en juin 2015.

Le premier semestre de l’année 2015 s’annonce donc très intense : il s’agit de faire déboucher les nouvelles priorités, dans lesquelles nous avons nous-mêmes souhaité que le président Juncker et la Commission s’investissent, à savoir la relance de la croissance et des investissements, au service de l’emploi et de l’avenir de l’Union européenne.

Nous estimons que ce plan peut être encore renforcé. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a lui-même évoqué devant le Parlement européen des contributions additionnelles possibles des États membres : dans cette perspective, des flexibilités au pacte de stabilité et de croissance pourraient être introduites, afin d’inciter les États membres à apporter des fonds supplémentaires au plan.

Par ailleurs, les banques nationales, telles que la Caisse des dépôts et consignations, la BPI, la Banque publique d’investissement, la KfW, en Allemagne, pourraient être elles aussi sollicitées, afin de contribuer à renforcer les garanties publiques et les fonds dédiés à ce plan d’investissement.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui constituera le cœur des travaux du Conseil européen.

Les chefs d’État ou de Gouvernement échangeront également sur la situation internationale, en particulier l’Ukraine.

Depuis la réunion en « format Normandie » que le Président de la République a organisée à Ouistreham, lors des cérémonies de célébration du soixante-dixième anniversaire du Débarquement, à laquelle participaient notamment le Président russe Vladimir Poutine, le Président ukrainien Petro Porochenko et la Chancelière Angela Merkel, la France poursuit inlassablement le même objectif : la paix, le respect du droit international, la recherche d’une solution politique au conflit ukrainien.

La situation sur le terrain, nous le savons, reste préoccupante, avec des combats et un bilan humain qui s’est alourdi depuis le mois de septembre : près de 1 000 personnes ont été tuées alors même qu’un cessez-le-feu avait été conclu à Minsk le 5 septembre dernier.

Le sentiment d’être dans une impasse va croissant, renforçant l’impatience, voire l’exaspération, de la population ukrainienne. À la suite des sanctions qui ont été prises, la situation économique de la Russie est devenue très difficile.

Nous devons intensifier nos efforts auprès tant des Russes que des Ukrainiens, pour qu’ils reviennent aux accords de Minsk, qui constituent la feuille de route en vue d’instaurer une situation de paix durable.

C’est pourquoi le Président de la République a pris l’initiative, la semaine dernière, au retour de son déplacement au Kazakhstan, de s’entretenir avec le Président Poutine pour faire valoir la nécessité d’une désescalade et d’une relance du processus politique.

Les premiers résultats sont visibles : le Président Porochenko, avec lequel le Président François Hollande s’est entretenu dimanche dernier, vient d’annoncer que les tirs avaient cessé dans le Donbass. Des négociations entre les autorités ukrainiennes et les séparatistes doivent reprendre à Minsk. Le Président russe et le Président ukrainien doivent également renouer le dialogue. Il faut maintenant préparer les prochaines étapes, ce à quoi nous nous employons. À cet égard, le protocole de Minsk constitue notre boussole.

Notre conviction, largement partagée par nos partenaires de l’Union européenne, est qu’il n’y a d’autre objectif possible que de préserver l’intégrité territoriale et la souveraineté d’une Ukraine démocratique, et d’autre voie pour y parvenir que le respect des engagements qui ont été agréés par toutes les parties dans le cadre des accords de Minsk.

La France et l’Union européenne sont pleinement mobilisées pour trouver une issue à cette crise : il y va de la stabilité du continent, de la paix et de nos relations avec nos voisins.

Voilà sur quoi porteront, pour l’essentiel, les discussions des chefs d’État ou de Gouvernement lors de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre, à l’aube d’une année 2015 qui doit être une année utile pour l’Union européenne, pour la croissance et l’emploi, pour la relance du projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs, puis nous aurons une série de questions, avec réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est donc à un nouveau plan de relance de l’activité économique, préparé par la Commission européenne, que le prochain Conseil européen réservera l’essentiel de ses travaux.

Personne, je crois, ne remettra en cause le constat sur lequel s’est appuyé Jean-Claude Juncker pour formuler ses propositions. Le niveau de l’investissement en Europe n’est plus préoccupant : il est proprement insuffisant, et même franchement inquiétant. En effet, depuis 2007, et tout au long de la crise, il a décru de 15 %. C’est l’ensemble de l’économie, de l’emploi, de la compétitivité de l’Europe qui s’en trouve très gravement atteint. Nous devons donc agir, fortement et urgemment.

Mais, disons-le, les écologistes ne sont pas persuadés que les mesures avancées soient aussi solides et pertinentes qu’elles devraient l’être, quelle que soit la nature des projets qu’il pourrait être proposé de retenir au titre de ce plan.

D’abord, le montant annoncé de 315 milliards d’euros ne nous paraît pas aussi important que l’on veut bien le dire. Cela ne représente en effet que 2 % du PIB européen. En 2009, les États-Unis avaient opté, de leur côté, pour un plan de relance de quelque 650 milliards d’euros… Nous en sommes loin !

Surtout – et cela est bien plus préoccupant ! –, ces 315 milliards d’euros sont en réalité très virtuels, car la totalité du plan repose sur un montage financier que l’on nous annonce redoutablement efficace, mais dont les résultats pourraient s’avérer bien maigres. Le Conseil Ecofin en a validé hier les modalités, que le Conseil européen devrait adopter à son tour la semaine prochaine.

Il s’agit de créer un fonds doté de 16 milliards d’euros apportés par les États membres sous forme de garantie et de 5 milliards d’euros fournis par la Banque européenne d’investissement, soit un total de 21 milliards d’euros d’argent public, que l’on espère transformer, grâce à un double effet de levier, en 315 milliards d’euros d’investissements.

Il faut bien le dire, tout se passe comme si le chiffre de 300 milliards avait été initialement avancé sans réelle réflexion prospective et s’il avait ensuite été justifié par une maquette de financement imaginée dans la précipitation, en veillant surtout à ne pas trop déranger certains de nos partenaires réticents à abonder ce fonds.

Or les objectifs affichés ne nous permettent pas d’être aussi optimistes sur l’effet multiplicateur de ce fonds. Ce dernier est supposé soutenir des investissements stratégiques plus ou moins risqués, d’intérêt public et général, c'est-à-dire des investissements qui n’intéressent que trop peu les établissements financiers privés.

Autrement dit, il est irréaliste de penser que cette dépense publique permettra de garantir une levée de fonds privés suffisante pour que celle-ci soit véritablement efficace. Le risque est grand de voir le plan Juncker échouer en raison de cet effet de levier irréaliste, comme beaucoup d’autres avant lui.

Rappelons que l’on nous avait déjà promis une grande vague d’investissements européens en 1992, à la fin de l’ère Delors, en 2004, sous la précédente présidence italienne, ou en 2012, avec le fameux plan de relance, dont on peut, avec le recul, sérieusement mettre en question les effets. À l’échelle française, nous avons connu le même type d’annonces, combinant investissements publics et levier privé, avec le plan Chirac de 2006.

Dans certains cas, bien sûr, des projets pourront se concrétiser plus facilement, mais on peut penser qu’ils auraient de toute façon trouvé assez de soutien pour être lancés. Chaque euro public dépensé dans le cadre, par exemple, d’un soutien consenti par la BEI représenterait davantage un effet d’aubaine pour le privé qu’un investissement réellement efficace pour la collectivité.

Au sujet de la BEI, plusieurs points méritent d’ailleurs d’être relevés. Ils dépassent le cadre du plan Juncker proprement dit, mais lui font évidemment écho et doivent être pris en considération si nous voulons que cette institution contribue réellement à la relance de l’activité économique au cœur de l’Union européenne.

D’abord, la BEI n’intervient traditionnellement pas – ou très peu – dans certains secteurs, tels que l’agriculture, la défense ou l’éducation, qui ont pourtant bien besoin de fonds européens pour financer leurs investissements. Est-ce à dire qu’ils seront de fait exclus du bénéfice des fonds octroyés par la BEI dans le cadre du plan Juncker ? Ne devrait-on pas inciter la BEI à changer ses pratiques en la matière ?

Ensuite, il est parfois difficile d’établir avec précision le parcours des financements octroyés par la BEI, et donc leur efficacité. À titre d’exemple, dans notre pays, ces fonds peuvent transiter par des banques commerciales lorsqu’ils sont à destination de PME sans que l’on sache précisément le rôle de cet apport, en bout de chaîne, dans les montages de projets portés par ces entreprises. Ne faudrait-il pas, monsieur le secrétaire d'État, commanditer sur ce point précis une étude exhaustive des pratiques afin de remédier aux éventuels abus ?

De manière plus générale, ne devrait-on pas améliorer notre connaissance des effets réels qu’ont les financements européens sur nos économies, nos territoires, nos secteurs d’activité ? Ce serait pourtant la moindre des choses pour améliorer le ciblage de nos politiques et pour mieux utiliser l’argent public européen !

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la construction européenne s’est faite par la construction progressive d’institutions, l’établissement de compromis, la gestion de crises successives. Elle a toujours eu du mal à se doter de stratégies à moyen et long terme clairement définies. Les différents acteurs qui l’animent fonctionnent encore très largement chacun de leur côté, sur un mode très instrumental. Ils peinent à mettre en place les synergies qui leur permettraient d’avancer collectivement, à agir de manière cohérente au service des objectifs de l’Union européenne. Cela a pour conséquence que telle politique européenne – la politique de concurrence, par exemple – prend trop souvent le pas sur telle autre – la politique industrielle, par exemple –, ou que nous nous trouvons incapables d’engager une convergence fiscale entre des économies qui sont, pour le reste, profondément intégrées.

La répartition des compétences entre les États et l’Union européenne, d’une part, et entre les différentes institutions européennes elles-mêmes, d’autre part, a ainsi quelque chose d’étonnant, pour ne pas dire de stupéfiant ! Elles sont à la fois trop et pas assez exclusives les unes des autres. Pensez aux projets de traité de libre-échange avec le Canada ou avec les États-Unis : préparés de manière quasiment unilatérale par la Commission, on ignore encore s’ils devront être ratifiés par le seul Parlement européen ou par les vingt-huit parlements nationaux. Cette incertitude est, à elle seule, incroyable…

Si nous devons retenir quelque chose de ces négociations sur les traités transatlantiques avec nos amis Nord-Américains, c’est précisément l’efficacité de leurs modèles fédéralistes. Il ne s’agit pas de les dupliquer ou de les ériger en horizon indépassable, mais c’est en revoyant nos manières de procéder et en repensant les missions de chacun, en clarifiant et en revivifiant les institutions européennes que nous pourrons remettre l'Union européenne sur une trajectoire positive et porteuse d’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen va se tenir dans un contexte économique particulièrement tendu. Le taux de chômage ne cesse d’augmenter sans réelle perspective d’amélioration, une part de la population européenne s’est fortement paupérisée et les tendances de l’investissement en Europe restent inquiétantes.

L’Allemagne n’est pas en reste et ne peut plus cacher les effets négatifs de la politique d’austérité menée par la Chancelière Angela Merkel. Les infrastructures de l’État fédéral sont en voie d’obsolescence et 20 % de la population active allemande vivrait aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Je ne suis donc pas certain que, avec un tel palmarès, Mme Merkel ait toute légitimité pour donner des leçons d’économie à la France…

Selon de nombreuses études, la chute de l’investissement depuis 2008 est deux fois plus prononcée en Europe qu’aux États-Unis ou au Japon. Le niveau de l’investissement privé dans la zone euro était, au début de 2014, inférieur de quinze points à celui de 2007, et il ne représente plus que 19 % du PIB de la zone euro, contre 25 % aux États-Unis.

Qui pis est, le volume de l’investissement public de la zone euro était en 2013 deux fois inférieur à celui des États-Unis. En trente-cinq ans, il a été divisé par deux sous l’effet de choix européens et nationaux contre-productifs.

Pour investir au même rythme que les États-Unis, l’Europe aurait dû dépenser 540 milliards d’euros de plus en 2012 et en 2013 ! L’Europe, avec des États endettés investissant de moins en moins, doit aussi compter avec des banques plus soucieuses de leur rentabilité et de leurs ratios prudentiels que du financement de l’économie.

Aussi l’annonce d’un plan de relance de 315 milliards d’euros par M. Juncker pouvait-elle apparaître comme une bouffée d’air frais, permettant d’éviter la spirale déflationniste.

Le plan Juncker n’engage cependant que fort peu de fonds propres publics européens, puisqu’il ne mobilise que 5 milliards d’euros provenant de la BEI et 16 milliards d’euros au titre du budget de l’Union, le tout par redéploiement. L’apport des capitaux privés, très largement majoritaires, doit intervenir sans création monétaire, par la seule mobilisation de l’épargne disponible.

De fait, la crainte est grande de voir la Commission sélectionner les projets selon des critères assez évidents de rentabilité de court et moyen terme, au détriment d’un développement économique et social plus équilibré, respectant l’environnement, les hommes, les territoires et faisant reculer les déséquilibres régionaux et infranationaux.

Ce plan repose sur une logique purement financière, une logique de marché, qui met en concurrence les États et les projets.

Ainsi, les projets pouvant bénéficier du fonds seront sélectionnés par des experts dont le choix reste à définir, et non par des membres de la Commission européenne ou des représentants politiques. Sur ce dernier aspect, le président de la Commission européenne ne cache pas sa défiance à l’égard des représentations nationales.

Ces projets devront être – je cite – « attrayants, dépourvus d’obstacles réglementaires et motivés par la réalité économique ». Tout un programme, mais qui reste relativement flou, s’agissant en particulier de ce dernier critère d’éligibilité évoqué par M. Juncker devant le Parlement européen.

Enfin, ce plan reste axé sur des réformes structurelles libérales. En effet, le troisième pilier sur lequel repose le projet de M. Juncker invite à la simplification des règles afin de créer un bon environnement pour les affaires. Cela suppose « d’améliorer l’efficacité des dépenses nationales, l’efficience des systèmes fiscaux et la qualité de l’administration publique à tous les niveaux », ou encore de mettre en œuvre le troisième paquet énergie, soit une privatisation totale de ce secteur et la fin des tarifs réglementés de l’électricité. À cet égard, d’après M. Juncker, « une réglementation des prix de détail qui fausse le marché persiste dans certains États membres et il est nécessaire d’y remédier ». Il en est de même pour la mise en œuvre du quatrième paquet ferroviaire… Et ce ne sont ici que quelques exemples représentatifs des mesures contenues dans ce troisième pilier !

En fin de compte, la conception du plan Junker vise à assurer aux détenteurs de capitaux de nouvelles marges de rentabilité, en laissant aux États le soin d’éponger les désordres sociaux et économiques constatés en pareil cas.

Si cela marche, les profits tomberont dans les « bonnes poches » ; si cela ne marche pas, l’argent public viendra suppléer… Beaucoup estiment que le levier que brandit le président Junker risque d’être fait d’un bois bien moins solide que le bâton de l’austérité et de la déflation…

Pour nous, si plan de relance de l’investissement il y a, il doit viser avant tout la création de débouchés pour les entreprises, notamment en relançant la commande publique et la consommation, qui ont été particulièrement touchées par les politiques d’austérité. Nous pensons qu’il est impératif d’investir davantage dans le développement des compétences professionnelles afin d’aider les personnes à conserver leur emploi ou à réintégrer le marché du travail, de soutenir le pouvoir d’achat et de créer de la croissance.

En termes d’infrastructures, il conviendrait de répondre aux besoins, existant dans plusieurs pays de l’Union, de régénération des réseaux qui sous-tendent un aménagement du territoire équilibré et finement maillé.

Les politiques budgétaires trop restrictives et la course au moins-disant salarial engagée partout continuent d’affaiblir structurellement la demande intérieure dans la zone euro. Dès lors, un changement substantiel de l’orientation des politiques économiques européennes ne peut provenir, pour l’essentiel, que d’une réorientation des politiques nationales.

Nous ne pensons pas, comme M. Juncker, que l’investissement public, et donc la dette lorsqu’elle soutient l’investissement, constituent une trahison envers nos enfants et les générations futures. Elles constituent au contraire un devoir pour les États.

À cet égard, nous ne pouvons que regretter l’échec actuel des négociations relatives au projet de taxe sur les transactions financières, qui remet en cause l’instauration de ce prélèvement au début de 2016, comme il était prévu.

Cette taxe, avec un taux prévu de 0,1 % pour les actions et les obligations et de 0,01 % pour les produits dérivés, a aussi pour objet de faire supporter aux banques les dommages causés par les crises bancaires et la dette en Europe. Elle permettrait de lever près de 6 milliards d’euros, notamment pour financer l’aide au développement. Cela serait un bel exemple pour les générations futures ! Plusieurs médias rendent la France responsable de cet échec. J’aimerais entendre votre point de vue sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'État.

Je voudrais, pour conclure mon intervention, souligner les inquiétudes légitimes que suscitent les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États prévus dans les projets d’accord entre l’Union européenne et Singapour ou le Canada, ainsi que dans la négociation avec les États-Unis.

Ces projets de traité prévoient en effet la possibilité d’un recours à l’arbitrage privé pour les secteurs privé et public et pour les États signataires en cas d’irrégularités. Ces mécanismes, dont nous avons eu l’occasion de discuter en commission, risquent de peser lourdement sur les finances des États et de porter atteinte à leur souveraineté.

Au-delà du renforcement des règles de transparence et d’information entourant la négociation des traités commerciaux ou d’investissements, nous souhaitons que soit garanti juridiquement le droit des États à réglementer, sans qu’il puisse être limité par les « attentes légitimes » des investisseurs.

En effet, il n’est pas concevable que l’intervention légitime d’un État dans un but d’intérêt général puisse donner lieu à compensation au nom de son incidence économique sur l’investisseur. C’est pourquoi nous nous félicitons de l’adoption à l’unanimité de notre proposition de résolution par la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 15 juillet dernier, le président de la Commission européenne, tout juste désigné, avait annoncé la préparation d’un paquet sur l’emploi, la croissance et l’investissement censé générer 315 milliards d’euros d’investissements en Europe sur trois ans. En effet, Jean-Claude Junker a décidé de faire du retour de la croissance la priorité de sa présidence.

On ne peut que partager ce choix qui fait bien évidemment consensus ; je rappellerai que le Président François Hollande avait lui-même proposé, dès le mois de juin dernier, une feuille de route pour réorienter l’Europe vers plus de croissance et d’emplois. C’est une nécessité au regard de perspectives économiques encore très sombres pour la zone euro. En effet, si les pays sous assistance financière depuis la crise de la dette souveraine sortent tour à tour des plans de sauvetage, les indicateurs ne montrent pas une véritable embellie économique.

La reprise a été décevante cette année, avec une croissance du PIB qui devrait se situer autour de seulement 0,4 % pour la zone euro. Dans ces conditions, l’indicateur du sentiment économique mesuré par la Commission européenne a encore reculé en septembre, le climat des affaires restant très tendu, notamment à cause de la crise ukrainienne, qui préoccupe les investisseurs.

Quant au taux de chômage, il reste malheureusement très élevé en Europe, même s’il a légèrement baissé par rapport à 2013, pour s’établir à 10 % en octobre dernier.

Je n’oublie pas non plus le risque de déflation, qui est un vrai sujet d’inquiétude. La Banque centrale européenne, on le sait, est très vigilante sur ce point. Ses actions sur les taux directeurs ou les actifs du secteur privé ont permis jusqu’à présent de contenir ce risque, mais sans entraîner, malheureusement, un redémarrage de l’économie européenne.

Il est donc urgent d’affirmer des ambitions fortes pour redresser la zone euro, d’autant que les États-Unis ont, eux, renoué avec la croissance. Il n’y a donc pas de fatalité : c’est une question de volonté politique.

L’annonce du plan Juncker de 315 milliards d’euros va dans le bon sens, bien que la prudence invite à se méfier des effets d’annonce. On sait que la concrétisation du plan reposera sur la conciliation des souhaits des uns et des autres, ce qui n’est pas aisé dans une Europe à vingt-huit. On le mesure d’ailleurs chaque année à l’occasion de l’élaboration du projet de budget de l’Union européenne. À cet égard, au-delà des vœux parfois divergents des États membres, les négociations au sein même des institutions communautaires sont compliquées.

C’est encore le cas cette année à propos du budget de l’Union européenne pour 2015, comme nous avons pu le voir lors de l’examen de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2015, relatif au prélèvement sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne.

Le projet de budget, arrêté à 145 milliards d’euros par le Conseil, a été remanié par le Parlement européen qui, suivant les recommandations de sa commission des budgets, a augmenté les crédits d’engagement pour les porter à un peu plus de 146 milliards d’euros. La proposition du Conseil aboutit à faire des coupes au sein de l’avant-projet de budget de la Commission européenne, coupes portant d’ailleurs sur la rubrique « compétitivité ». À ce stade, nous attendons toujours un compromis entre les deux institutions.

Quoi qu’il en soit, il est pour le moins paradoxal d’annoncer un plan de croissance pour l’Europe et d’affaiblir dans le même temps les moyens budgétaires de l’Union consacrés à la compétitivité, qui représentent seulement 12 % du budget total.

On peut donc légitimement s’inquiéter quant au contenu de ce grand plan d’investissement ! Le 26 novembre dernier, le président de la Commission européenne en a dévoilé quelques-unes des modalités, et les critiques n’ont pas manqué de pleuvoir.

Comme vous le savez, mes chers collègues, il s’agirait plutôt d’un apport net de financement de l’ordre de 21 milliards d’euros, dont 16 milliards provenant du budget européen et 5 milliards de garanties assurées par la Banque européenne d’investissement. Pour arriver à 315 milliards d’euros, la commission table sur un effet de levier de 1 à 15, grâce à l’apport des investissements privés venant s’agréger aux projets retenus. C'est un levier à très long manche, monsieur le secrétaire d'État ! (Sourires.)

Cet effet de levier jouera probablement, mais peut-être pas dans les proportions supposées… Peut-on être sûr que le secteur privé s’associera à tous les projets stratégiques et d’infrastructures, dont certains représenteront peut-être un pari risqué dans le contexte d’une demande intérieure très contrainte par les politiques d’assainissement des finances publiques en cours dans plusieurs États membres ?

J’ajouterai qu’un plan qui aboutirait effectivement à injecter 315 milliards d’euros dans l’économie européenne ne représenterait jamais que 0,55 % du PIB de l'Union européenne, soit moins que la moyenne des plans de relance.

Enfin, si ce plan d’investissement est pertinent, il doit être impérativement accompagné de réponses aux défis devant être relevés par une Europe minée par la compétition économique alors que la mondialisation devrait, au contraire, la conduire à plus de solidarité.

Je pense à la question des normes sociales, en particulier au salaire minimum, qui diffère, lorsqu’il existe, d’un pays à l’autre. Le scandale des salariés détachés en Allemagne, payés 5 euros de l’heure pour découper de la viande, illustre cette concurrence déloyale qui a abouti, chez nous, à fragiliser nos abattoirs. Heureusement, l’Allemagne vient enfin de faire un pas dans le bon sens, en promettant l’instauration d’un salaire minimum en 2015. C’est un progrès pour ce qui concerne l’harmonisation des salaires, vers laquelle devraient converger la plupart des États membres, en tout cas si l’on souhaite une Europe véritablement intégrée.

Que dire aussi de la concurrence fiscale, la navrante affaire LuxLeaks ayant encore une fois montré que le chacun pour soi prévalait en la matière ? L’harmonisation fiscale est une autre grande nécessité si l’on veut parvenir à faire de l’Europe un espace solidaire et prospère. Bien qu’il ait fallu attendre un scandale de plus, je me réjouis qu’une directive européenne anti-optimisation soit en préparation.

Je conclurai sur le principal sujet inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen en disant « oui » à un grand plan d’investissement, mais en appelant de mes vœux, conformément à l’esprit du RDSE, la mise en œuvre au sein de l’Union européenne d’une véritable coordination économique, qui doit être un objectif politique fondamental au service du projet européen et, disons-le, d’un véritable fédéralisme européen.

Il me reste peu de temps pour évoquer le second sujet qui sera examiné par le Conseil, à savoir les mesures prises pour faire face à la crise liée au virus Ebola. La France, de son côté, a décidé la mobilisation de 100 millions d’euros pour lutter contre l’épidémie. Vous le savez, mes chers collègues, ce virus a déjà fait près de 5 000 victimes, et l’on compte chaque semaine des milliers de malades supplémentaires au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Comme je viens de le dire, la France prend sa part de responsabilités dans ce combat, mais, dans une bataille mondiale, une réponse collective d’envergure est indispensable. Peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous donner des informations sur les mesures qui seront présentées la semaine prochaine à Bruxelles sur ce sujet. Là aussi, la mutualisation et la coordination des moyens constituent la meilleure réponse à un drame qui, si rien n’est fait pour en prendre la mesure, peut toucher demain nos concitoyens européens.

Pour terminer sur une note un peu plus joyeuse, je soulignerai à quel point il faut que nous vous respections, monsieur le secrétaire d’État, et que nous aimions l’Europe pour rater le match de football et être présents ce soir dans l’hémicycle ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela a été dit, le principal sujet inscrit au menu du prochain Conseil européen sera le plan de relance de M. Juncker.

Il est presque fascinant de voir cet acharnement à ne pas remettre en cause un modèle qui a pourtant montré depuis plusieurs années ses limites. Le modèle de l’Europe que vous avez construit depuis des décennies sans vous soucier de la volonté des peuples, voire à l’encontre de leur volonté – je pense ici au « non » au référendum, bafoué par l’adoption du traité de Lisbonne –, ne fonctionne pas, mais on continue à élargir les frontières de l’Union européenne, à prôner plus d’Europe et à injecter des milliards pour faire « comme si ». En fait, la politique de l’Union européenne, c’est la politique de l’autruche !

Il est intéressant de noter l’accueil plutôt sceptique réservé à ce plan de relance. M. Juncker a certes l’habitude de manipuler les milliards, en tant qu’ancien dirigeant d’un paradis fiscal, mais il n’a pas compris que le principal problème lié à l’absence de croissance et à la recrudescence du chômage est l’absence de confiance. Oui, les européistes ont perdu la confiance des peuples et, désormais, celle des investisseurs. À chaque fois, vous injectez des milliards dans un système qui ne correspond à rien, en ajoutant, comme à l’accoutumée, que « cette fois l’Europe n’a plus le droit à l’erreur ».

La cerise sur le gâteau, avec ce fameux plan à 300 milliards d’euros, c’est qu’il n’est même pas financé. Il est facile de lancer le chiffre de 300 milliards d’euros quand à peine 21 milliards sont disponibles ! Bien sûr, il existe des effets de levier, mais tabler sur un coefficient multiplicateur de 15 est, de l’avis même des spécialistes, très présomptueux.

Ces mêmes spécialistes expliquent d’ailleurs que ce plan n’aura aucun effet s’il est envisagé comme un palliatif à l’absence de plans nationaux, et non pas comme un soutien à des plans de relance par pays. Or, comme la liste à la Prévert envoyée par le Gouvernement français à Bruxelles le souligne, il semble que, à l’inverse, ce plan est en train de devenir une juxtaposition de projets nationaux. Pas besoin de l’Union européenne dans ce cas, pas besoin de nous faire croire que l’Europe fait quelque chose d’utile pour le peuple de France ! De plus, un rapide calcul indique que, finalement, ce plan ne représente que 3 milliards d’euros par pays et par an, financés pour l’instant à hauteur de 6,7 %, c’est-à-dire de 21 milliards d’euros, soit 250 millions par an et par pays ! Le levier semble donc très court, c’est le moins que l’on puisse dire.

Bref, on lance un plan que l’on ne sait même pas financer et dont on est quasiment sûr que la portée sera très limitée, voire nulle. De plus, pour que l’effet de levier fonctionne, il faut de la confiance, or il n’y en a pas. Certains d’entre vous commencent à relever que la très forte hétérogénéité des pays de l’Union constitue aujourd’hui un problème et ne permet en rien de retrouver cette confiance.

En outre, une grande partie de ces 21 milliards d’euros est issue de réaffectations. Il est très intéressant de constater qu’une partie du budget de l’Union européenne était mal utilisée, puisque l’on peut facilement trouver 16 milliards d’euros disponibles.

Il faut tout de même reconnaître un point positif à ce plan : il met en avant le fait que les projets, pour être viables et avoir un effet sur la croissance, et donc sur l’emploi, doivent s’inscrire dans le long terme, ce que la spéculation financière, qui régit une grande partie de l’économie mondiale, nous fait quotidiennement oublier.

Vous souhaitez mener une politique économique. Dès lors, reprenez en main les leviers nécessaires ! Vous n’avez plus de levier monétaire, plus de levier commercial et presque plus de levier budgétaire. Ce plan est en réalité proposé pour essayer de faire taire ceux qui, comme nous, dénoncent l’inefficacité de l’Union européenne. Malheureusement, il semble apporter de l’eau à notre moulin : il ne sera d’aucune aide pour la France, ne permettra en rien de relancer l’emploi ou la croissance, et souligne une nouvelle fois que notre pays doit retrouver au plus vite sa souveraineté.

J’évoquerai également l’autre point inscrit à l’ordre du jour, à savoir les questions de politique étrangère. Je suppose que le principal sujet sera la crise ukrainienne. Sur ce point, je souhaite exprimer mon désaccord profond avec la politique menée par la France au travers de l’Union européenne. En poussant les Ukrainiens à s’inféoder aux États-Unis, l’Union européenne se coupe de la Russie. De surcroît, les sanctions mises en place pénalisent plus les Européens, en particulier les agriculteurs et les entreprises français, que la Russie elle-même, qui se tourne désormais vers la Chine plutôt que vers l’Europe. Il sera très difficile de réparer des liens commerciaux détruits avant tout pour faire plaisir aux États-Unis. L’exemple du Mistral souligne ainsi notre manque de liberté à l’égard de Washington.

En conclusion, je tiens à remercier la commission des affaires européennes, qui a permis, au travers de la tenue de ce débat, de faire entendre ici la voix de millions de Français qui veulent un autre modèle pour la France et pour l’Europe et dont vous ne tenez pas compte, bien qu’ils aient fait du Front national, lors des élections européennes, le premier parti de France. Il me semble que vous devriez ne pas l’oublier.

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour l’UDI-UC.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne saurais commencer mon intervention sans avoir une pensée pour l’ancien commissaire européen Jacques Barrot, récemment disparu. Il était un grand Européen : il aimait l’Europe, il aimait l’idéal véhiculé par l’entreprise de la construction européenne, et il savait, monsieur Rachline, à quel point le sort de la France est indissociable de celui de notre continent. Sa disparition est une perte pour notre pays, pour l’Union européenne et pour notre famille politique démocrate-chrétienne, qui a fait l’Europe : je pense à des hommes comme Gasperi, Spaak, Schuman ou Adenauer.

M. Simon Sutour. Et beaucoup d’autres !

M. Yves Pozzo di Borgo. Bien sûr ! Leur idéal, le nôtre, était aussi celui de Jacques Barrot.

La crise économique a révélé à quel point l’Europe n’est plus une évidence pour un trop grand nombre de nos concitoyens. Les générations qui ont porté la fondation de l’Union européenne laissent peu à peu la place à des générations ayant grandi avec l’idée que la paix et la prospérité sont des acquis de l’histoire. Ces nouvelles générations nous renvoient – c’est le sens des résultats des dernières élections européennes – aux difficultés que l’Union européenne doit résoudre pour aider les États à surmonter la crise économique qui nous frappe depuis 2008.

Cette crise change de visage tous les ans : crise financière en 2007, crise bancaire en 2008, crise économique en 2009, crise de la dette souveraine depuis 2010, crise de l’investissement et de la production depuis 2011, crise sociale avec l’explosion du chômage, crise ukrainienne déstabilisant les relations entre l’Union européenne et la Russie.

Pour autant, nous ne devons pas dramatiser à outrance la situation. L’avenir économique de l’Union européenne et de la zone euro est assombri par la menace déflationniste. C’est un fait, nous le savons. Le caractère même de l’action européenne étant le pragmatisme, nous nous devons, face à un problème, d’apporter une solution concrète.

La nouvelle commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker a bien pris la mesure de la situation actuelle et de ses responsabilités pour prévenir les risques à venir.

C’est le principal point à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen : la définition et la mise en œuvre du plan d’investissement de 300 milliards d’euros annoncé voilà plusieurs semaines.

Sur ce point, j’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, attirer votre attention sur deux écueils à éviter : nous ne devons pas reproduire l’épisode du pacte sur la croissance et l’emploi de 2012, qui s’est révélé vide de contenu ; nous ne devons pas non plus limiter ce plan d’investissement à une entreprise de saupoudrage budgétaire au niveau national.

Concernant le premier écueil, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, a évoqué lors de la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, qui s’est tenue à Rome, la nécessité, pour une politique budgétaire et financière, d’avoir « un nom et un prénom » : stabilité et croissance.

Depuis 1997, nous avons le pacte de stabilité et de croissance, qui fait obligation de respecter un cadre commun de sérieux budgétaire. Pendant trop longtemps, nous avons assimilé le sérieux à la rigueur.

Pendant également trop longtemps, nous avons manqué d’une véritable politique intégrée et fédéralisée d’investissements stratégiques et de croissance. L’Union européenne dispose d’un potentiel financier sous-employé, sous-exploité, dont la mobilisation permettrait de réaliser de véritables opérations d’investissements publics stratégiques que les États ne peuvent plus financer.

Cette remarque me conduit à évoquer le second écueil à éviter : le saupoudrage.

Le Gouvernement a envoyé avant-hier à la Commission une liste de trente-deux projets nécessitant la mobilisation de 48 milliards d’euros. J’aimerais pouvoir me féliciter de cette nouvelle, mais un doute me hante : ne passons-nous pas à côté de l’essentiel ? Le plan de M. Juncker doit être stratégique, pas géométrique : il s’agit non pas de reverser une quote-part au prorata de la richesse relative des États membres de l’Union, mais de financer des projets structurants pour l’avenir. Parmi les projets définis par le Gouvernement, nous trouvons le projet de gazoduc Val-de-Saône pour 700 millions d’euros, la liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle express pour 300 millions d’euros ou la prolongation de la ligne E du RER vers La Défense. On parle aussi de 15 milliards d’euros pour les usines pilotes de nouvelle génération.

Ces propositions sont intéressantes, mais qu’en est-il du programme de rénovation urbaine de 5 milliards d’euros d’ici à 2017 ? C’est à l’État de le réaliser, pas à l’Europe ! Il en va de même pour la rénovation thermique des logements ou les prêts aux PME qui investissent dans le capital technologique.

Peut-être devrions-nous nous concentrer sur les sujets qui dépassent le périmètre national : le développement durable, la croissance verte, la santé, le numérique, l’espace, l’aéronautique, l’industrie, bref tous les secteurs-clés qui dessineront l’économie de demain. Tous les pays membres sont amenés à procéder selon la même méthodologie, mais, en fin de compte, je regrette que ce ne soit pas l’Union elle-même qui définisse ses projets en totale autonomie.

J’évoquerai, à ce titre, le projet de ligne Lyon-Turin. L’Europe s’est construite selon un axe nord-sud depuis le Moyen-Âge. Notre continent manque d’une grande ligne de communication est-ouest : voilà un projet structurant pour l’avenir, vecteur de croissance pour demain. À cet égard, je m’inquiète des déclarations de Mme Karima Delli, députée européenne française. Alors que, en France, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, les parlementaires, à dix exceptions près, ont voté en faveur de ce projet, Mme Delli s’y oppose. Je tenais à attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues, qui illustre nos divergences profondes avec certains parlementaires européens français.

Les enjeux sont trop grands pour être pris à la légère. Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge. Pour l’heure, les modalités de financement du plan Juncker semblent encore incertaines. L’Union mobilisera 21 milliards d’euros : 16 milliards provenant des fonds européens, 5 milliards de la BEI pour servir de garantie à un fonds qui recevra des financements privés.

Il appartiendra ensuite à la BEI de lever ces fonds privés sur les marchés, pour un montant de 315 milliards d’euros. Je trouve cet objectif spectaculaire, mais peut-être instable, d’autant que la Commission a identifié au travers des demandes des gouvernements près de 1 200 projets, pour un montant de 1 300 milliards d’euros, dont près de 500 milliards devront être mobilisés dans les trois prochaines années.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux que souscrire à cette belle ambition. Toutefois, je souhaiterais avoir des garanties sur la solidité du mode de financement de ces projets, ainsi que sur la méthodologie retenue pour leur sélection.

Nous ne pouvons prendre le risque de l’échec. S’il faut monter un nouveau plan de relance dans les cinq prochaines années, c’est qu’il sera peut-être alors trop tard pour garantir la survie de notre idéal européen.

Vous avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d’État, que ce plan doit servir l’emploi et la croissance. Or, dans la mondialisation actuelle, on sait très bien que l’Europe est fragile, qu’elle n’a ni défense ni énergie. Aujourd'hui, la Chine est la première puissance mondiale. Nous avons rencontré récemment le chef d’état-major de la marine, qui nous a dit que la marine chinoise n’était plus une marine régionale : elle est désormais présente partout, y compris en Méditerranée. Les Chinois ont même essayé d’acheter l’Islande, pour contrôler la route de l’Arctique !

L’Europe est-elle assez forte pour résister à cette mondialisation, à la montée en puissance de ce pays fantastique ? Non ! C’est pourquoi je souhaiterais que nous réfléchissions à nos relations avec la Russie. L’Europe a un intérêt économique évident à travailler avec ce partenaire géographique naturel. Nicolas Sarkozy ne disait pas autre chose lorsqu’il proposait, dans son discours de Saint-Pétersbourg, en 2010, la création d’un ensemble économique réunissant l’Union européenne et la Russie.

J’ai pu constater à quel point le Président de la République était conscient de l’importance capitale de notre voisin russe. En tant que président délégué pour le Tadjikistan du groupe d’amitié sénatorial France-Asie centrale, j’ai participé, avec deux de mes collègues, au voyage du Président au Kazakhstan, la semaine dernière. À Almaty, au cours d’une réunion avec les chefs d’entreprise qui accompagnaient la délégation, ceux-ci ont fait part au Président de la République de leurs inquiétudes à propos des sanctions prises à l’encontre de la Russie, qui empoisonnent nos relations avec Moscou et, surtout, déstabilisent l’économie de nombreux pays européens, avec les conséquences sur l’emploi qui en découlent.

En conclusion, je tiens donc à saluer l’initiative qu’a prise François Hollande de rencontrer Vladimir Poutine. Cette rencontre, intelligemment préparée, en particulier avec le président Nazarbayev, qui l’a permise, pourrait aider le président russe de sortir de l’isolement dans lequel il s’est enfermé.

Nous ne pourrons faire l’Europe que si nous savons regarder au-delà de nos frontières européennes et élargir celles-ci, monsieur Rachline ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe UMP.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors du prochain Conseil européen de la fin du mois, les États membres examineront, à titre principal, ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « plan Juncker » pour la croissance et l’investissement. C’est sur ce point que portera mon intervention.

La situation de l’investissement dans l’Union européenne est effectivement préoccupante, car elle ne se redresse pas après la violente crise de 2007.

Ainsi, les investissements ont chuté de 15 % par rapport à cette même année, particulièrement dans cinq pays : la France, le Royaume-Uni, la Grèce, l’Italie et l’Espagne.

Dans un contexte global difficile, l’économie française est encalminée : l’investissement des entreprises a baissé de 0,5 % au deuxième trimestre de 2014, de 0,1 % au troisième trimestre, après une baisse de 0,6 % en 2013.

Si notre pays se trouve devant une telle perspective de croissance durablement faible, c’est bien du fait de handicaps structurels, d’une compétitivité en berne, de déficits et de dette publics élevés.

Le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, semble attendre beaucoup du plan Juncker et espérait même un plan financièrement plus ambitieux, même s’il faut reconnaître que ce qui soutient concrètement notre économie aujourd’hui, ce sont les circonstances, à savoir, tout particulièrement, la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l’euro par rapport au dollar.

Nous pouvons comprendre cette analyse devant la détresse de notre économie et l’inefficacité de la politique mise en œuvre depuis 2012, mais nous craignons que demander toujours plus ne soit finalement un chemin sans issue. (M. Simon Sutour s’exclame.)

En effet, il n’y a pas de croissance avec des déficits et une dette publics élevés ; cela est particulièrement vrai pour la France, qui se situe, à cet égard, au-dessus des moyennes européennes. Une procédure a d’ailleurs été engagée par la Commission européenne à l’encontre de notre pays en raison de son déficit excessif, avec un rendez-vous à la fin du mois de mars prochain.

M. Simon Sutour. Qui l’a créé, ce déficit ?

Mme Fabienne Keller. Une politique européenne de croissance et d’investissement ne doit pas être le moyen de cacher la nécessité des réformes. Comme le précisent très clairement les documents de la Commission européenne, ce plan d’investissement n’est qu’un des trois piliers de la stratégie économique européenne, les deux autres étant des réformes structurelles pour une trajectoire des finances publiques qui préserve l’avenir et une politique budgétaire responsable.

Cela est un préalable, mais il en est un autre : ce qui détermine l’investissement, c’est le carnet de commandes et la confiance des acteurs économiques, éléments très importants dans la situation où nous sommes de sous-utilisation de l’outil de production. La croissance de long terme, c’est avant tout l’investissement privé.

En somme, le plan Junker, s’il est bienvenu au regard des circonstances et constituera – souhaitons-le – un appel d’air pour les économies européennes, n’est qu’une solution de transition.

Ainsi, monsieur le secrétaire d'État, si notre groupe ne rejette pas l’initiative de M. Juncker, c’est bien parce qu’elle déçoit la gauche, d’une certaine manière ; c’est bien parce qu’elle est raisonnable et n’entre pas dans la surenchère de la dépense publique ou d’une hypothétique relance par la demande.

Le plan annoncé de 315 milliards d’euros en trois ans est raisonnable pour plusieurs raisons.

Il est raisonnable, car son montage financier préserve la notation triple A de la Banque européenne d’investissement et constitue, en fait, la mobilisation de financements existants au travers d’un véhicule dédié : le fonds européen pour les investissements stratégiques. Nous le savons tous, il était inenvisageable d’augmenter l’endettement des États européens.

Il est aussi prudent de confier le choix des projets à un comité d’experts, car il est nécessaire de sortir d’une logique de subventions et de retour national. Pensons d’abord à des projets utiles à la collectivité européenne à laquelle nous appartenons.

Toutefois, bien qu’il s’agisse d’une initiative raisonnable, nous estimons devoir être vigilants sur certains préalables qui garantiront le succès de ces mesures et nous souhaiterions que vous puissiez répondre aux questions suivantes, monsieur le secrétaire d'État.

La recherche d’un effet de levier est nécessaire afin de mobiliser ensemble des financements publics et privés, mais viser un coefficient multiplicateur de 15 paraît très ambitieux, voire illusoire : ne risque-t-on pas une déconvenue ?

Il faut avoir la certitude de financer des investissements qui ont une réelle rentabilité socioéconomique et éviter les effets d’aubaine, l’effet d’éviction de projets entièrement privés ou le financement d’un investissement dont le coût postérieur d’entretien serait exorbitant pour l’usager. Or le calcul de rentabilité est très délicat, en particulier parce qu’il est déformé en raison des taux d’intérêt extrêmement bas que nous connaissons.

Il faut donc une sélection rigoureuse des projets et des secteurs. À ce titre, il faut valoriser nos atouts dans les nouvelles technologies ou la culture ; il faut arriver à financer nos infrastructures communes dans les transports et l’énergie, les projets devant notamment porter sur ces domaines ; il faut aussi renforcer notre capital humain, en décuplant des programmes comme Erasmus ou Leonardo ou en soutenant nos laboratoires de recherche ou nos universités, dont les crédits ont été fortement « rabotés » dans le dernier projet de loi de finances.

Autre question : comment le plan Junker s’articulera-t-il avec notre programme des investissements d’avenir ? Il ne doit pas y avoir substitution de financements, comme cela a pu être le cas, monsieur le secrétaire d'État, pour l’aide publique au développement, dont le budget a été réduit à concurrence de la nouvelle ressource que représente la taxe sur les transactions financières.

Les États pourront accompagner les financements européens : la France disposera-t-elle de cette marge de manœuvre ? Comment s’intégreront, le cas échéant, la Caisse des dépôts et la BEI au financement de certains projets ?

Comment s’exercera le contrôle parlementaire sur cette initiative de la Commission ?

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'État, nos interrogations sont encore nombreuses à ce stade. Surtout, il faut dès maintenant penser à la cohérence globale de la politique économique européenne et à son inscription sur le long terme.

En découlent plusieurs questions : jusqu’où mener une politique monétaire expansionniste ? Quand mettra-t-on enfin en place une politique fiscale harmonisée, allégera-t-on les réglementations et garantira-t-on une cohérence à l’échelle européenne ? À quand un Small Business Act pour encourager les PME européennes, pour qu’elles profitent mieux de ce plan de relance ? Comment améliorer le fonctionnement du semestre européen pour faire vivre une zone économique intrinsèquement ouverte et hétérogène grâce à des outils de gouvernance de long terme ?

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne disons pas « non » au plan Junker, car le redressement après la crise est d’une difficulté historique, mais nous ne nous lasserons pas de souligner qu’une bonne politique de soutien à l’investissement est celle qui participe d’une stratégie économique claire et porteuse d’avenir pour l’ensemble des pays européens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste.

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen de décembre doit prendre des décisions cruciales pour l’Europe. Après l’Union bancaire l’an dernier, il doit valider un projet et une stratégie de croissance pour les trois prochaines années. Je centrerai mon propos sur ce sujet, qui doit recueillir toute notre attention.

La croissance est en panne dans la zone euro, et le niveau des investissements en est pour partie responsable. Non seulement ceux-ci ont considérablement ralenti depuis le début de la crise, mais ils sont inférieurs de 16 % à ce qu’ils étaient en 2008, soit 500 milliards d’euros en moins, représentant, selon la Commission, un demi-point de croissance annuelle. Ils ne représentent cette année que 2 % du produit intérieur brut européen, contre 5 % aux États-Unis, où ils ont retrouvé leur niveau d’avant la crise.

Ce déficit d’investissement a provoqué un vieillissement de l’équipement des entreprises, de nos infrastructures, entraînant une perte de compétitivité et l’augmentation du chômage, notamment celui des jeunes.

En matière d’innovation, de recherche, les pays européens ont perdu du terrain, sous l’effet conjugué du manque d’investissements privés et de la réduction des budgets publics : l’énorme succès de Rosetta et la promesse d’avenir que constitue Ariane 6 ne doivent pas occulter la réalité.

Pourtant, l’alignement des astres n’a jamais été aussi favorable à une reprise de la croissance. L’euro, sous l’impulsion de la Banque centrale européenne, et avec l’indulgence de la Réserve fédérale américaine, baisse enfin par rapport au dollar. Le prix du pétrole frôle les 80 dollars le baril, ce qui permet aux entreprises de dégager des marges et de soulager les ménages. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, ce qui n’est certes pas bon signe, mais permet d’emprunter aux meilleures conditions. Enfin, nous disposons en Europe d’une liquidité importante, qui alimente les bas de laine plutôt que l’investissement, du fait d’une aversion au risque résultant d’une forte crise de confiance.

C’est donc le bon moment pour prendre l’initiative, et c’est ce qu’a fait le président Juncker en dévoilant son plan de 315 milliards d’euros pour la croissance et l’emploi.

Comment ne pas voir dans l’annonce de ce plan la marque de l’action de la France depuis deux ans et demi ? Sous l’impulsion du Président de la République, François Hollande, notre pays n’a pas cessé d’appeler à une réorientation des choix économiques de l’Europe pour soutenir l’investissement et l’emploi. Si nous avons pu convaincre nos partenaires et créer les conditions de ce virage historique, c’est aussi grâce aux réformes soutenues par la majorité et à la crédibilité retrouvée de la parole de la France.

Cette initiative, qui sera présentée et débattue lors du prochain Conseil européen, marque une réelle inflexion de la politique européenne : nous tournons le dos au « tout-austérité ».

La question de l’investissement est désormais au cœur de l’agenda européen : ne boudons pas notre plaisir !

Ce plan affiche de bonnes intentions. On doit noter avec satisfaction la création du fonds européen pour les investissements stratégiques au sein de la Banque européenne d’investissement, qui devient ainsi l’outil financier nécessaire au retour de la croissance.

On peut se féliciter du consensus qui prévaut sur la définition des chantiers prioritaires : recherche, développement et innovation, économie numérique, infrastructures et interconnexions en matière de transports, transition énergétique, formation initiale et continue pour l’emploi des jeunes.

On peut aussi saluer la mise en place d’un comité indépendant pour la sélection des projets et la volonté de ne pas allouer d’enveloppe par pays ou par secteur, afin de garantir rapidité et efficacité d’action.

Enfin, on peut se réjouir que, pour la première fois, la Commission européenne accepte d’exclure du calcul des déficits publics nationaux une partie des dépenses d’investissement des États qui abonderaient cet effort.

Voilà pour les aspects positifs. Il n’en demeure pas moins que les annonces faites à ce jour soulèvent quelques incertitudes, voire des inquiétudes.

Tout d’abord, le montant affiché de 315 milliards d’euros sur trois ans sera-t-il suffisant pour relancer la croissance ?

Le Gouvernement français, par la voix de son ministre de l’économie, a indiqué que ce plan devrait reposer sur un apport d’argent frais de 60 milliards à 80 milliards d’euros de la part de l’Union européenne. Nous en sommes encore loin.

Récemment, la Pologne, par la voix de son ministre des finances, a estimé que 300 milliards d’euros constituaient un minimum et a souhaité la mise en place d’un dispositif permettant de mobiliser jusqu’à 700 milliards d’euros.

Les libéraux, au Parlement européen, plaident pour un apport de 700 milliards d’euros, quand le groupe socialiste chiffre le besoin à 800 milliards d’euros.

Hier, la task force a publié son rapport. Il y est indiqué que plus de 2 000 projets ont déjà été déposés par les États membres, sans que les collectivités territoriales y aient encore été associées, correspondant à 1 300 milliards d’euros d’investissements ; c’est dire si les besoins existent et sont considérables !

Le plan Junker, aussi bienvenu soit-il, ne peut être qu’un premier pas ; il doit être amplifié, accéléré. Il faut le rendre plus concret et y investir autant d’ambitions que dans les mesures de stabilité financière.

C’est pourquoi on peut regretter que le fonds européen pour les investissements stratégiques ne soit doté que de 21 milliards d’euros de capital, provenant principalement d’un redéploiement du budget européen. Certes, la Banque européenne d’investissement l’a doté de 5 milliards d’euros, mais les 16 autres milliards proviennent pour partie du mécanisme d’interconnexion du programme Horizon 2020 et des marges de réserve du budget. Ce n’est pas suffisant : il faudra à l’avenir faire appel aux disponibilités existant dans le cadre du mécanisme européen de stabilité, même si, pour l’heure, nos amis Allemands s’y refusent.

La Banque européenne d’investissement pourrait en outre réinvestir une part plus importante de ses bénéfices, prendre davantage de risques et assouplir ses conditions de financement afin de participer plus directement à la relance de l’investissement.

Enfin, si certaines flexibilités dans le calcul des déficits et des dettes publics sont envisagées au titre de la participation des États membres à la capitalisation du fonds, elles devraient l’être aussi à celui de leur engagement dans les projets d’investissement eux-mêmes.

On peut aussi se demander si l’annonce d’un coefficient multiplicateur de 15, qui transformera 1 milliard d’euros de fonds publics, en garantie ou en capital, en 15 milliards d’euros d’investissements privés est réaliste, et si ces derniers seront bien au rendez-vous.

Certains s’interrogent d’ailleurs sur la possibilité d’attirer des fonds privés pour des projets de recherche fondamentale ou de transport dont les retours sur investissement sont longs et incertains, et sur la part de fonds publics qui leur sera destinée.

Il faudra par ailleurs éviter l’enlisement procédural d’un mécanisme qui apparaît encore à ce jour complexe, à l’image de ce qui se passe pour l’initiative « Garantie pour la jeunesse », dotée de 8 milliards d’euros, mais qui décolle laborieusement du fait de la lourdeur de sa mise en œuvre.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en résumé, il faut donc éviter de recycler le budget européen existant, engager plus d’argent public et veiller à ce que les mesures soient d’effet immédiat.

À cet égard, on peut se féliciter du dépôt d’une trentaine de projets par la France, pour un montant de 48 milliards d’euros. Ils peuvent démarrer rapidement et 40 % d’entre eux portent sur le numérique et l’innovation.

Monsieur le secrétaire d’État, il convient également – je sais que vous en êtes convaincu, le Gouvernement plaidant en ce sens depuis deux ans et demi – de conforter cette stratégie pour la croissance et l’emploi par des décisions permettant à l’Europe de dégager des ressources propres, d’envisager l’émission d’obligations par la BEI, ou encore de créer un livret d’épargne européen.

L’Europe doit s’engager dans la mise en œuvre d’une fiscalité convergente, taxer les profits là où ils sont réalisés, notamment ceux de l’économie digitale, engager enfin une démarche d’harmonisation sociale susceptible de réduire les disparités et supprimer le dumping social.

Nous devons par ailleurs lutter sans merci contre l’évasion fiscale, et nous pouvons saluer à ce titre l’accord intervenu hier au Conseil Ecofin.

La mise en œuvre de ce plan doit s’accompagner d’un débat sur la flexibilité permettant de dépasser le dogme des 3 % de déficit, alpha et oméga de la Commission Barroso, responsable de l’austérité, et nous attendons avec impatience la communication sur les règles de flexibilité budgétaire que devrait publier la Commission en janvier.

Pour conclure, de nombreuses avancées ont été réalisées ces derniers mois pour réorienter l’Europe vers un projet qui a du sens, et nous vous en félicitons.

Maintenant, il nous faut un budget européen offensif, soutenant la demande. Monsieur le secrétaire d’État, le chômage de masse, le risque de déflation, le développement de la précarité obligent l’Europe à réagir. C’est la voie à suivre pour sauver cette dernière du populisme et du risque de désintégration. Il faut oser et innover. Nous accueillons donc positivement ce plan Junker, mais nous souhaitons que la France poursuive son action pour aller plus loin, plus vite, afin que, après ce premier pas, nous puissions continuer à avancer sur le chemin de la restauration de l’idéal européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat intervient entre le vote final, hier soir, sur le projet de loi de finances et le début de l’examen du projet de loi de finances rectificative, prévu demain.

Or, déjà, nous nous projetons dans les textes financiers de l’année prochaine, puisque, lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre, la Commission européenne présentera son examen annuel de croissance.

Cette présentation marque le début du semestre européen, au cours duquel la France exposera son programme de stabilité et son programme national de réforme et qui se conclura en juin ou en juillet par l’adoption des recommandations du Conseil, dont nous devrons tenir compte pour l’élaboration de notre prochain budget.

Le Conseil examinera la semaine prochaine « de nouvelles mesures pour stimuler la croissance, l’emploi et la compétitivité européenne ».

Pour atteindre cet objectif, le plan d’investissement proposé par le nouveau président de la Commission est important, mais son impact macroéconomique, même s’il représentait 0,8 point de produit intérieur brut comme envisagé, ne nous dispenserait pas de conduire à l’échelle européenne une politique économique adaptée aux circonstances.

Les finances publiques constituent un élément essentiel de la politique macroéconomique, et si la poursuite du redressement budgétaire constitue une nécessité, la consolidation budgétaire ne doit pas être obtenue au détriment de la croissance économique, sauf à devenir inefficace. La Commission européenne elle-même appelle à des « politiques budgétaires responsables et propices à la croissance ».

C’est ce à quoi s’attache le Gouvernement à travers la baisse de la fiscalité des ménages, le déploiement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et la mise en œuvre du pacte de responsabilité. Une telle logique nous paraît devoir être défendue et étendue au sein de la zone euro.

La France, elle l’a montré avec l’effort supplémentaire de 3,6 milliards d’euros consenti pour 2015, joue le jeu européen. Toutefois, la croissance européenne sera menacée si, dans le même temps, les États qui disposent de marges de manœuvre budgétaires ne suivent pas les recommandations qui leur sont adressées. Je vous rappelle que, dans son avis sur le projet de budget de l’Allemagne, la Commission européenne invite cette dernière, eu égard à ses marges budgétaires et à ses taux d’intérêt, à accroître ses investissements publics. Le fera-t-elle ?

En tout état de cause, la France doit continuer de soutenir au sein des institutions européennes l’idée que le rythme de réduction des déficits ne doit pas compromettre la reprise.

Pour stimuler la croissance et l’emploi dans la zone euro, la politique monétaire est évidemment essentielle, mais c’est l’initiative de la Commission visant à mobiliser 310 milliards d’euros en faveur de l’investissement sur la période 2015-2017 qui est à l’ordre du jour du Conseil. La part des investissements dans le produit intérieur brut de la zone euro a reculé de plus de 3 points entre 2007 et 2013, et il ne fait aucun doute qu’une relance est indispensable.

À une semaine du Conseil, ce plan d’investissement ressemble à un ensemble de poupées gigognes, puisque 8 milliards d’euros issus du budget européen deviendraient 16 milliards, puis 21 milliards d’euros de garanties accordées par l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement, qui émettrait 60 milliards d’euros d’obligations, destinés à être investis dans des projets d’un montant de 315 milliards d’euros. L’effet de levier, cela a été dit à plusieurs reprises, serait de 1 à 15.

Au-delà des modalités pratiques qui devront être trouvées pour orienter les fonds levés vers les projets qui en ont le plus besoin, la question qui se pose est de savoir dans quelles conditions un tel dispositif parviendra à susciter plus d’investissements que ceux que le secteur privé avait de toute façon prévu de réaliser.

Je conclurai en évoquant le sujet de la réforme bancaire, car la Commission européenne a laissé entendre qu’elle pourrait ne plus faire partie des priorités de l’agenda. Cette réforme, qui séparerait également l’activité de tenue de marché opérée par les banques françaises, n’a pas les mêmes contours que celle qui a été adoptée en France en 2013.

Faut-il laisser vivre notre dispositif français ou faut-il déjà le modifier en mettant en œuvre la réforme qui était envisagée par Michel Barnier ? Je souhaite que la commission des finances étudie les conséquences de la mise en œuvre de la réforme votée en 2013, qui est applicable depuis cette année.

Monsieur le secrétaire d’État, disposez-vous d’informations sur les intentions de la Commission européenne s’agissant de l’inscription à l’ordre du jour européen de cette réforme proposée par l’ancienne Commission ?

Je compte sur vous pour nous indiquer dans quelles dispositions d’esprit le Gouvernement aborde l’ensemble de ces sujets, à une semaine du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la commission des affaires européennes.

Mme Colette Mélot, pour la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le président Jean Bizet, retenu par des obligations impératives.

La commission des affaires européennes se félicite de la tenue de ce débat, qui permet au Sénat d’avoir avec le Gouvernement un dialogue approfondi à la veille d’un Conseil européen important.

Le Conseil européen va en effet débattre de nouvelles mesures pour stimuler la croissance, l’emploi et la compétitivité européenne. Il discutera en particulier du plan d’investissement que vient de proposer la Commission européenne. Le Conseil européen se prononcera à la suite de la présentation, par la Commission européenne, de l’examen annuel de croissance qui marque le début du semestre européen.

La nouvelle Commission européenne qui vient de prendre ses fonctions a retenu trois grands piliers pour fonder la politique économique et sociale de l’Union européenne : d’abord, un coup de fouet aux investissements, avec l’annonce d’un plan de 315 milliards d’euros sur la période 2015-2017 ; ensuite, un renouvellement de l’engagement en faveur de réformes structurelles ; enfin, la poursuite de l’assainissement budgétaire.

Mettre de l’ordre dans les finances publiques est indispensable. Il est urgent de rompre avec l’endettement et les déficits que nos pays ont accumulés. L’action engagée est conforme aux règles communes que nous avons librement négociées avec nos partenaires. Il faut les respecter et mettre en œuvre les réformes structurelles indispensables !

Nos collègues François Marc et Fabienne Keller ont fait un point, devant la commission des affaires européennes, sur la procédure d’examen des budgets nationaux. Que constate-t-on ? Selon l’évaluation de la Commission européenne, sept pays, dont la France, présentent un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance.

La Commission européenne a décidé que les cas de la Belgique, de l’Italie et de la France feront l’objet d’un suivi particulier au printemps. À ce stade, elle estime l’effort structurel de la France pour 2015 à 0,3 point de PIB, très loin de l’objectif de 0,8 point recommandé par le Conseil en 2013. À l’instar du Haut Conseil des finances publiques dans son avis rendu fin octobre, la Commission européenne a jugé que les prévisions macroéconomiques du Gouvernement étaient un peu trop optimistes, surtout pour 2015.

Le rendez-vous du mois de mars est très proche. Notre pays doit démontrer à ses partenaires européens sa volonté d’agir pour assainir ses finances publiques et mener les réformes structurelles propres à assurer la viabilité budgétaire.

L’Europe doit, dans le même temps, retrouver le chemin de la compétitivité. Notre base industrielle a considérablement régressé. Nos entreprises sont handicapées par l’excès de charges et de réglementations. C’est sur les petites et moyennes entreprises que les politiques européennes doivent se concentrer en priorité. C’est là que se trouvent les gisements pour l’innovation et la création d’emplois.

L’effort en matière de recherche et développement est essentiel. Or l’évaluation à mi-parcours de la stratégie « Europe 2020 » témoigne dans l’ensemble d’un bilan plutôt décevant. L’objectif symbolique de 3 % n’est pas atteint. L’effort stagne autour de 2 % – 2,3 % en France –, contre 2,8 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Nous attendons de la Commission Juncker qu’elle place cette ambition au cœur de ses prochaines initiatives.

Le contexte économique complique la tâche. Le chômage demeure à des niveaux très élevés : je pense en particulier au chômage des jeunes, extrêmement préoccupant, qui atteint des niveaux insupportables, et à la situation des chômeurs de longue durée. La Commission européenne fait valoir que des actions ciblées sont nécessaires, mais leur mise en œuvre est laborieuse et peu efficace. Dans le cadre de l’initiative « Garantie pour la jeunesse », 6,4 milliards d’euros ont été alloués à l’emploi des jeunes, mais les délais sont trop longs !

Nous approuvons les orientations proposées par M. Juncker. Nous soutiendrons la nouvelle Commission lorsqu’elle traduira sa volonté de simplifier les réglementations en actes et prendra des initiatives pour relever les défis actuels. La mise en place d’un marché unique du numérique et la création d’une union de l’énergie doivent être des priorités. Il ne pourra pas y avoir de réindustrialisation sans maîtrise de l’énergie nécessaire à la production. Voilà un domaine où la coopération entre la France et l’Allemagne doit être recherchée !

En outre, il faut parachever l’union bancaire en créant un mécanisme de résolution unique. Les contribuables ne doivent plus supporter les conséquences des défaillances bancaires !

Le plan d’investissement de 315 milliards d’euros de la Commission européenne peut favoriser le nouvel élan dont l’Europe a besoin. Néanmoins, beaucoup de questions demeurent en suspens ; MM. Jean-Paul Emorine et Didier Marie en ont dressé la liste au nom de notre commission.

Nous souhaitons une clarification des sources de financement du plan d’investissement, dont la contribution de la Banque européenne d’investissement, la BEI, et des parts respectives des investissements publics et privés des financements européens et nationaux. En particulier, nous redoutons que le financement de ce plan ne détourne les fonds structurels européens de leur objet. Nous le savons bien, à l’heure où les dotations de l’État aux collectivités subissent des baisses drastiques, ces fonds sont très attendus dans les territoires.

Nous avons indiqué à la Commission européenne que la contribution éventuelle au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020 devait être très précisément détaillée. Nous souhaitons connaître les conclusions de la task force instituée sous la direction de la Commission européenne et de la BEI. Quels délais seront fixés pour la réalisation des investissements ainsi ciblés ? Quels résultats en sont attendus ?

Les travaux de la task force devront être rapidement suivis d’une estimation financière. Les projets qu’elle proposera doivent contribuer effectivement à la réindustrialisation de l’Europe, en présentant une véritable dimension européenne, en étant rapidement réalisables et en étant orientés vers des secteurs d’avenir, dont l’économie de l’immatériel.

Le Sénat insistera sur la nécessaire territorialisation des projets. Il s’engagera à veiller activement à la bonne consommation des crédits. Nous avons évoqué ces enjeux avec les membres du Secrétariat général des affaires européennes, le SGAE. Nous sommes prêts à agir avec lui pour atteindre ces objectifs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – MM. Jean-Claude Requier et André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier les orateurs qui viennent de se succéder à la tribune.

Ainsi que cela a été rappelé, notamment par M. Requier, le point de départ de nos réflexions, c’est le constat, unanimement dressé, de la stagnation de l’économie européenne. (M. Jean-Claude Requier acquiesce.) J’aimerais rappeler quelques éléments chiffrés.

Au troisième trimestre de l’année 2014, la croissance au sein de la zone euro n’a été que de 0,2 %,…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Eh oui !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … contre près de 1 % aux États-Unis.

L’inflation est à des niveaux exceptionnellement bas, à 0,3 % au mois de novembre – c’est la tendance observée sur l’ensemble de l’année –, la cible de la Banque centrale européenne étant de l’ordre de 2 %. Elle atteint même des taux négatifs dans plusieurs pays, dont la Grèce et l’Espagne.

La situation de faible croissance et de faible inflation est généralisée au sein de la zone euro. Par ailleurs, la production industrielle y est largement inférieure à son niveau d’avant la crise. Elle a reculé de 15 %, voire de près de 30 % dans des pays comme l’Espagne et l’Italie par rapport à 2008.

Tant mieux si l’on a pu noter un redémarrage de l’activité économique en Espagne ou au Portugal au cours de l’année ! Mais cette reprise est loin de leur permettre de renouer avec leurs niveaux de production industrielle ou de revenu national brut antérieurs à la crise.

Le taux de chômage est, en moyenne, de 11,6 % au sein de la zone euro.

Madame Keller, l’ensemble des États européens doivent aujourd’hui faire face à une telle situation. La croissance française au troisième trimestre, qui s’est élevée à 0,3 %, a été légèrement supérieure à la moyenne de la zone euro. Cela ne suffit évidemment pas. Mais, force est de le constater, d’autres pays, dont l’Italie, ont connu des taux de croissance négatifs. Et, même au sein de la plus forte économie de la zone euro, l’Allemagne, le taux de croissance a plafonné à 0,1 %. Je ne crois donc pas que l’on puisse mettre en cause nos choix de politique économique.

Le prochain Conseil européen débattra d’une nouvelle coordination des politiques économique, monétaire, d’investissement et de réforme. Vous avez insisté à juste titre sur la nécessaire articulation de ces politiques pour renouer avec la croissance et éviter une dégradation de la croissance potentielle.

Le fait que l’économie ne redémarre pas dans la zone euro n’est en aucun cas une fatalité. La croissance a repris ailleurs, hors zone euro, par exemple aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Certes, il faut distinguer les situations des divers continents. Mais plusieurs pays émergents connaissent des niveaux de croissance élevés.

Ainsi que M. Didier Marie l’a souligné, la réorientation de la politique européenne a été un succès pour la France. L’Europe ne peut pas retrouver une dynamique de croissance sans redonner la priorité au soutien aux investissements publics et privés, deux domaines dans lesquels nous avons pris de retard.

N’opposons pas la stratégie d’investissement et la nécessité, admise par ailleurs, d’une politique monétaire très dynamique. C’est sans doute l’une des clés du redémarrage aux États-Unis et au Royaume-Uni.

En outre, et nous agissons en ce sens en France, il faut une politique de réformes structurelles, réformes qui ont contribué au succès économique là où elles ont été menées. L’Allemagne a engagé les siennes voilà plus de dix ans, en 2003, sous le gouvernement de Gerhard Schröder. Elle en a tiré les bénéfices. Si nos voisins d’outre-Rhin subissent eux aussi la faible croissance de la zone euro, ils sont avantagés sur le plan des exportations et de la compétitivité. Et si les réformes que nous mettons en œuvre sont urgentes, c’est parce qu’elles n’ont pas été menées plus tôt !

M. Simon Sutour. Très juste !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Elles sont en train de produire leurs effets. On observe ainsi un rééquilibrage du coût du travail entre la France et l’Allemagne. Et le projet de loi présenté ce matin même en conseil des ministres vise à accentuer ce mouvement. Nous allons continuer le travail de réformes dans un ensemble de domaines, afin de renforcer la compétitivité et la dynamique de création d’activité dans notre pays.

Nous avons besoin d’une logique continentale de soutien aux investissements.

Au-delà des clivages partisans, les Français attendent aujourd’hui un redémarrage de l’activité, monsieur Rachline !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Il est parti…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Et heureusement !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il faudra lui transmettre le message ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Dans les grands domaines d’avenir qui concernent la compétitivité, la création d’emplois, le développement d’activités au profit de nos entreprises, grandes ou petites – je songe au numérique, à l’énergie, et plus particulièrement à la transition énergétique, aux grands réseaux à l’échelle du continent –, on ne peut pas prétendre agir simplement au niveau national, en laissant chacun des Vingt-huit déployer sa propre stratégie. Les États conserveront évidemment toujours des marges de manœuvre. Mais nous avons besoin de travailler à l’échelle continentale.

M. Yves Pozzo di Borgo a affirmé que l’Europe n’y arriverait pas, déplorant que, contrairement à d’autres continents, nous ne soyons pas en mesure de prendre les décisions nécessaires. Or le plan Juncker traduit précisément la volonté des Vingt-huit de répondre ensemble à un tel défi. Il s’agit de créer les conditions de la confiance des investisseurs.

Chaque État membre a identifié des besoins et des projets dans les domaines que je viens d’évoquer. La Commission européenne faisait état de plus de 1 000 milliards d’euros d’investissements dans son rapport. Et Jean-Claude Juncker a admis dans un entretien accordé ce matin à un quotidien français que les besoins actuels légitimaient largement à ses yeux 1 000 milliards d’euros d’investissements à l’échelle européenne. Toutefois, de tels montants n’étant pas encore à l’ordre du jour, il plaide pour une utilisation intelligente des ressources actuellement à notre disposition.

Madame Keller, vous le constatez, je me trouve dans la situation un peu paradoxale – c’est le charme des débats européens – de devoir défendre Jean-Claude Juncker face à vous. (Sourires.) Cela étant, vous aussi, j’en suis certain, souhaiterez le succès de son plan. Après tout, si M. Juncker préside la Commission européenne, c’est également grâce au soutien que votre famille politique lui a apporté au niveau européen.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Il fallait le rappeler !

M. Simon Sutour. Ce que c’est que l’ingratitude ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous-mêmes avons accepté de soutenir M. Juncker dans cette fonction. Il disposait d’une majorité, et il fallait que l’Europe avance. Néanmoins, nous l’avons appuyé sur la base d’un programme, celui dont nous souhaitons l’adoption lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre prochains. La priorité ne doit plus être l’austérité ; ce doit être le soutien à l’investissement et aux projets européens ! N’opposons pas une telle logique et la nécessité de coordonner nos politiques budgétaires.

Dans son rapport consacré aux politiques budgétaires, la Commission constate que sept pays membres, dont la France, l’Autriche et l’Italie, pourraient ne pas être en mesure de ramener dès l’année prochaine leurs déficits sous la barre des 3 % de PIB. Elle admet que la situation résulte de la stagnation économique et de la faible inflation au sein de notre zone monétaire. Ce sont là des phénomènes exceptionnels ; je les ai déjà évoqués. Elle en conclut que nous devons continuer dans le sens de la réduction des déficits et de l’endettement avec le sérieux budgétaire nécessaire.

Encore une fois, le déficit, l’endettement ne datent pas de 2013 ou de 2014 ! En 2011, quelques mois avant notre arrivée aux affaires, le déficit de la France était de 5,3 %. Nous allons le réduire à 4,1 %. Nous faisons bel et bien des efforts ! Mais nous ne voulons pas compromettre le soutien à notre croissance par des mesures trop brutales. Cela ne rendrait pas service à l’économie, française comme européenne.

La Commission partage elle-même un tel constat. Elle a décidé de prendre le temps nécessaire pour examiner plus précisément la situation de la France. Pour commencer, elle va attendre de disposer des chiffres définitifs de l’exécution du budget français pour 2014. Par conséquent, elle a reporté la publication de ses recommandations pays par pays au mois de mars, soit après l’adoption du plan Juncker.

Aujourd’hui, nous répondons pleinement à la nécessité de redynamiser les investissements.

André Gattolin a indiqué sans le dire ouvertement que, pour le succès de cette politique, la Banque européenne d’investissement devrait accepter d’assumer davantage de risques en soutenant tel ou tel projet. (M. André Gattolin acquiesce.) Cela suppose d’étendre son action à de nouveaux domaines. Elle commence à évoluer en ce sens, par exemple en se tournant vers le champ de l’éducation.

J’irai demain signer avec le vice-président français de la Banque européenne d’investissement et les présidents des deux conseils régionaux concernés une convention de prêt de la BEI pour la rénovation, notamment thermique, des lycées de Bourgogne et de Franche-Comté. Le chantier, qui s’inscrit dans le cadre de la transition énergétique, représente un total de 100 millions d’euros.

Au demeurant, la BEI participe déjà avec la Caisse des dépôts et consignations au financement du plan Campus, qui permettra de construire treize nouveaux campus universitaires dans notre pays. Parallèlement, cette instance doit venir en aide aux petites et moyennes entreprises. Le futur fonds d’investissement, dont elle assurera le pilotage – elle aura ainsi plus de capacités qu’aujourd’hui, notamment grâce aux apports du budget européen –, devra permettre d’épauler des projets avec une part de risque.

Certes, ces projets devront être évidemment bien choisis et présenter une rentabilité suffisante. Cependant, quand il s’agit de financer l’innovation, la recherche dans les énergies de demain, le développement des réseaux numériques, il faut accepter que la garantie publique serve à protéger les investisseurs privés, qui, eux, manifestent certaines réticences face au risque. La puissance publique doit les assurer qu’elle sera là pour couvrir les aléas.

Veillons à faire en sorte que l’effet de levier soit suffisamment puissant pour dégager plus de 300 milliards d’euros dans les faits.

Au mois de juin 2012, les décisions prises sur la base du pacte de croissance ont assuré à la BEI une augmentation de capital de l’ordre de 10 milliards d’euros. C’est ainsi que 60 milliards d’euros de prêts supplémentaires ont pu être assurés et contribuer à des opérations de financement représentant 180 milliards d’euros au total, d’où un effet de levier observé, selon les chiffres, d’un à dix-huit ou d’un à vingt.

C’est sur la base d’une telle expérience que le plan Juncker a été élaboré. Nous allons poursuivre en ce sens. En France, la BEI, grâce à l’augmentation de son capital, a pu porter le montant de ses interventions de 4,5 milliards d’euros à plus de 7 milliards d’euros. Ce plan a donc eu un effet. Mais il faut aller plus loin. C’est pourquoi la France a érigé l’établissement d’un nouveau plan à l’échelle européenne en priorité. Cela a été adopté.

Je ne veux pas opposer cet axe majeur, qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen, aux autres sujets sur lesquels nous souhaitons également avancer. J’ai fait référence à l’harmonisation fiscale et à la lutte contre l’optimisation fiscale.

M. Billout a évoqué la taxe sur les transactions financières. Nous devons parvenir à un accord sur ce point. Nous avons émis des propositions relatives à la territorialité et au champ d’application de la mesure. Commençons par taxer les actions cotées et les produits dérivés les plus spéculatifs. Je pense en particulier aux contrats de couverture du risque de défaillance, les CDS, ou credit default swaps, qui ont donné lieu aux plus grands effets spéculatifs et aux risques les plus graves sur les marchés financiers durant la crise de 2008. Nous souhaitons le respect du calendrier prévu : un accord doit être trouvé dès le début de l’année 2015 pour que la taxe sur les transactions financières entre en vigueur au 1er janvier 2016.

M. Jean-Claude Requier a abordé le budget de l’Union européenne. Voilà quelques semaines, lorsque nous avions débattu du prélèvement sur recettes, nous avions constaté l’absence d’accord entre le Conseil et le Parlement européen sur les budgets rectificatifs pour 2014, ainsi que, par ricochet, sur le budget de l’Union européenne pour 2015.

Un accord a été trouvé depuis. Il prévoit une augmentation de 3,6 milliards d’euros sur les budgets rectificatifs pour 2014 pour résorber les factures du passé. Pour 2015, le budget sera de 144,8 milliards d’euros en autorisations d'engagement et de 140,9 milliards d’euros en crédits de paiement.

Dès lors, l’Union européenne pourra commencer l’année, mettre en place le nouveau plan Juncker, mais aussi utiliser son cadre financier dans les conditions qui ont été fixées globalement pour les sept prochaines années. Le budget permettra de financer non seulement la recherche, avec le programme Horizon 2020, mais également, grâce au mécanisme d’interconnexion pour l’Europe, des grands projets d’infrastructures, comme le canal Seine-Nord ou le Lyon-Turin, projet que nous soutenons et dont nous continuerons à débattre avec les parlementaires européens ayant des doutes. À nos yeux, il est structurant et répond à des objectifs économiques, mais aussi de développement durable, en permettant la traversée des Alpes par le rail plutôt que par camions. La France et l’Italie ayant obtenu que 40 % des travaux nécessaires soient financés sur le budget européen, elles ont évidemment tout intérêt à ce que ce projet aboutisse.

Il sera peut-être question du virus Ebola lors du Conseil européen, même si les décisions qui ont été prises sont mises en œuvre. La France a engagé 110 millions d’euros sur les années 2014 et 2015 en faveur de la lutte contre l’épidémie, avec l’ouverture de centres à Macenta, en Guinée forestière, ainsi qu’à Conakry. Il s’agit de soigner non seulement les malades, mais également les soignants eux-mêmes ; c’est l’une des conditions à la mise en place du dispositif. L’Union européenne, sous l’égide du commissaire Christos Stylianides, a engagé 61 millions d’euros supplémentaires pour appuyer ce plan d’action.

Mme la présidente de la commission des finances m’a interrogé sur la réforme bancaire et sur les intentions de la Commission européenne. Ainsi que cela a été rappelé, la France a adopté une loi qui, sans porter atteinte au caractère universel de nos banques, sépare les activités les plus spéculatives du financement de l’économie.

Ce modèle nous semble un bon équilibre pour la France. D’autres, à l’instar de nos amis britanniques, peuvent prendre des dispositions différentes. Mais la Commission européenne doit proposer une législation qui tienne compte de la situation spécifique de chaque pays.

Je le rappelle, le système bancaire français vient de passer avec succès les stress tests de la Banque centrale européenne. Nos banques universelles, qui sont parmi les plus grands établissements européens, sont surveillées, capitalisées et gérées dans des conditions conformes à toutes les normes prudentielles, de Bâle III comme de Solvency II. La BCE les considère comme parfaitement solides.

Nous estimons donc que la Commission européenne doit revoir son projet initial. Elle publiera la semaine prochaine son programme de travail pour 2015. Elle mettra en avant de nombreuses autres priorités, que nous soutenons, comme l’union des marchés de capitaux ou l’harmonisation fiscale. La taxe sur les transactions financières est également une priorité à nos yeux, même si elle n’est mise en place que dans le cadre d’une coordination renforcée à onze pays, et non à vingt-huit.

La réforme bancaire à l’échelle européenne doit aboutir. Le pas le plus important a été fait avec la mise en œuvre de l’union bancaire, emportant le mécanisme et le fonds de résolution unique, qui a fait l’objet d’un vote de votre part. Un accord est d’ailleurs intervenu sur le sujet lors du conseil Ecofin cette semaine. Il ne serait donc absolument pas justifié qu’une directive sur la séparation des activités bancaires amène la France à reconsidérer sa législation ; celle que vous avez adoptée nous semble sûre.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Absolument !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. C’est dans cet esprit que la discussion va avoir lieu.

Madame la présidente de la commission des finances, les parlements devront suivre la mise en œuvre du plan. Le Parlement européen devra même se prononcer sur une proposition législative permettant d’utiliser une partie du budget communautaire comme garantie pour le futur fonds d’investissement. Et nous rendrons compte devant le Sénat et l’Assemblée nationale de chacune des étapes de l’adoption par le Conseil des dispositions de mise en place du fonds européen.

Nous souhaitons que cette étape intervienne très rapidement et que le comité chargé de sélectionner les projets susceptibles de bénéficier de financements puisse faire son travail au plus vite.

À nos yeux, c’est une base de départ. Nous sommes d’accord avec ceux qui ont exprimé le souhait d’aller au-delà des 21 milliards d’euros. Mais c’est un premier pas. Peut-être les banques nationales permettront-elles demain d’augmenter les capacités d’intervention du fonds par des contributions des États et des mécanismes permettant d’associer davantage des instances comme la Caisse des dépôts et consignations.

L’année 2015 doit marquer le tournant de la priorité aux investissements et à la croissance. L’Europe en a tant besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Le débat de ce soir est largement consacré aux 300 milliards d’euros d’investissements pour les deux années à venir. Nous souhaiterions la même énergie pour adopter une stratégie diplomatique commune sur l’Irak et la Syrie.

Quelle est l’approche de l’Union européenne sur ce conflit alors que la coalition internationale peine à établir une stratégie claire ? Dispose-t-elle d’une politique coordonnée et d’une stratégie commune ?

Nous assistons depuis 2011 à la lente agonie des Syriens, dont plus de 200 000 ont été sacrifiés. Depuis bientôt quatre mois, la France intervient militairement pour stopper la progression de Daech, dont la barbarie est sans limites ! L’Union européenne ne peut pas rester inactive face à l’effondrement des États irakien et syrien. Elle doit surtout mettre en œuvre une politique à long terme d’anticipation des enjeux futurs. À défaut, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Aux portes de l’Europe, la Turquie se trouve dans une situation extrêmement difficile. Elle doit gérer un flot ininterrompu de réfugiés syriens. De sanglants combats font rage à sa propre frontière. La ville de Kobané est devenue un symbole de résistance, où les Kurdes d’Irak ont rejoint les Kurdes syriens. Derrière les combats d’aujourd’hui se pose la question d’un territoire kurde véritablement autonome demain, de part et d’autre des frontières syrienne et turque.

En 2009, M. Erdogan lançait « l’initiative kurde », alors qualifiée d’« ouverture démocratique ». Ce processus de paix est aujourd’hui au point mort. Le positionnement politique de la Turquie face à Daech et son refus d’accueillir des réfugiés kurdes syriens ont attisé les rancœurs.

Cette question est-elle anticipée par l’Union européenne ? C’est un sujet déterminant. La reconstruction politique de la zone est cruciale pour la paix européenne et mondiale. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous le savez, la France a été parmi les premiers pays à réagir dès cet été à l’offensive du groupe Daech, qui menaçait de prendre Bagdad.

Les frappes aériennes que nous avons ainsi décidé de mener ont permis de mettre un coup d’arrêt à Daech. Ce groupe terroriste sème la terreur dans les territoires qu’il conquiert, en massacrant tous ceux qui ne partagent pas sa vision du monde, quelle que soit d’ailleurs leur religion : les Yézidis, les chrétiens d’Orient, d’autres musulmans, chiites ou sunnites. Cela prouve bien qu’il ne peut pas se réclamer de l’Islam, contrairement à ce que laisse entendre son nom, pas plus qu’il n’a la légitimité ou le comportement d’un État.

Nous avons également contribué à la constitution d’une coalition internationale dont sont membres les États-Unis, plusieurs pays européens, ainsi que des pays arabes. Et, cela ne vous a pas échappé, l’Iran, qui n’appartient certes pas à cette coalition, intervient maintenant contre Daech.

En Syrie aussi, nous voulons une solution politique pour combattre ce groupe, qui martyrise également les villes de ce pays. Mais nous ne soutenons pas le gouvernement syrien, qui a déclenché une guerre civile et qui porte la responsabilité du massacre de 200 000 citoyens et de l’exode de millions d’autres vers des camps au Liban, en Jordanie ou en Turquie, certains d’entre eux gagnant ensuite les pays de l’Union européenne.

Nous approuvons donc la démarche du représentant du secrétaire général des Nations unies, M. Staffan de Mistura, pour trouver une solution politique. L’urgence était la défense de Kobané, afin d’empêcher que la ville ne tombe entre les mains de Daech. Ce groupe tente maintenant de prendre le contrôle d’Alep. Nous déployons tous les efforts nécessaires pour que l’action internationale la protège. Au-delà, il faut faire en sorte que les Syriens modérés, ceux qui souhaitent un autre avenir pour ce pays, permettent de définir une solution politique.

Il est nécessaire de nous coordonner à l'échelle européenne en matière de lutte contre le terrorisme et de prise en considération du problème des combattants étrangers. Beaucoup de jeunes de tous les pays de l’Union européenne et d’ailleurs ont été attirés dans ce conflit par une propagande sur internet jouant sur la fascination de la haine et de la mort. Ils s’exposent aux plus grands risques. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs trouvé la mort lors de bombardements ou de combats après avoir été utilisés comme chair à canon. Eux-mêmes commettent des crimes en étant associés aux activités de ce groupe. Il faut pouvoir les identifier et nous assurer qu’ils ne s’apprêtent pas à commettre des attentats ou des crimes quand ils reviennent.

C’est pourquoi la France a modifié sa législation. Nous avons également fait voter une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour demander à la communauté internationale de prendre des dispositions similaires, afin qu’une coopération s’instaure, en premier lieu entre les pays de l’Union européenne.

Nous faisons une priorité de la coordination européenne dans la lutte contre ce groupe terroriste en Irak et en Syrie et contre les risques liés au retour des combattants étrangers en Europe.

Il nous faut aussi lutter sur internet contre la propagande, notamment en responsabilisant les opérateurs et les hébergeurs. La France a pris l’initiative de réunir les ministres de l’intérieur de l’Union européenne. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a également fait en sorte de créer une dynamique commune en Europe.

C’est une priorité. Le combat sera de longue haleine. Nous devons le mener de manière très coordonnée à l’échelle européenne.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais d’abord saluer le geste du Président de la République. Samedi dernier, il a été le premier chef d’État d’un pays membre de l’OTAN à se rendre à Moscou depuis le début de la crise ukrainienne.

Depuis l’été 2013, la Russie fait face à une situation économique de plus en plus complexe. L’évolution actuelle des prix de l’énergie complique encore la situation. Cela rend la conduite des affaires du pays relativement instable. Pourtant, il est indispensable de trouver ensemble des solutions pour dépasser la crise ukrainienne. On ne peut pas se résoudre à une escalade qui condamnerait non seulement l’économie européenne, mais aussi la paix. On ne peut pas se résoudre au gel d’un conflit dans un pays tel que l’Ukraine, alors que la crise sociale et humanitaire se développe et risque de s’étendre à l’ensemble du continent.

La crise ukrainienne est une crise européenne. Elle remet en cause la capacité de l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, à assurer sa sécurité, mais également à être un pôle de stabilité dans le monde.

Le non-respect des accords négociés à Minsk après le cessez-le-feu du 5 septembre par les séparatistes avec le soutien de la Russie, lorsqu’ils ont organisé des élections législatives « pirates » sur les territoires qu’ils contrôlaient, a balayé le plan de paix négocié durant deux mois.

Il est aujourd’hui important de trouver des solutions pour renouer les voies du dialogue. L’initiative du Président de la République était donc bienvenue. Il n’est pas acceptable que la souveraineté d’un peuple soit contestée sur notre continent au nom des intérêts géopolitiques supposés d’un autre pays.

Il faut nous débarrasser définitivement de ce que nous avons encore inconsciemment en tête : le partage de Yalta de 1945 !

La crise dure. L’Europe centrale se sent de plus en plus menacée. Le format de Weimar, initialement mis en place pour répondre à la crise ukrainienne, est indispensable pour rétablir la confiance sur l’ensemble de notre continent.

Comment pouvons-nous perpétuer les efforts du Président de la République en vue de permettre à l’ensemble du continent de retrouver confiance ? À notre sens, cela doit passer par le format Weimar.

Avons-nous aujourd’hui plus de possibilités d’avancer sur les projets, annoncés il y a un peu plus d’un mois, de drones français et allemands surveillant la frontière entre l’Ukraine et la Russie en vue de s’assurer de son étanchéité ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, l’initiative du Président de la République est effectivement intervenue à un moment décisif. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, elle doit marquer un tournant. C’est le sens du message que le chef de l’État a délivré au président Poutine.

M. Pozzo di Borgo, qui faisait partie de la délégation accompagnant le Président de la République au Kazakhstan, a eu l’occasion d’aller avec lui à Moscou. Il a souligné – mais, vous le comprendrez, nous ne pouvons pas entrer dans les détails – que cette rencontre, à laquelle le président Nazerbaïev a contribué, avait été préparée et faisait suite au précédent entretien de François Hollande avec le président Poutine lors du G20 de Brisbane, en Australie.

La rencontre s’inscrit également dans le cadre du dialogue que nous avons voulu maintenir avec la Russie, et établir entre la Russie et le président Porochenko, après son élection au mois de mai dernier, à l’occasion de sa venue en France pour les commémorations du Débarquement.

Depuis lors, nous avons toujours cherché à maintenir le fil du dialogue. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre issue à cette crise. Il n’y a pas d’autre moyen d’assurer le retour de la légalité internationale, le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, et donc le respect des accords de Minsk du 5 septembre dernier. Ce protocole fixe une feuille de route qu’il convient désormais de mettre en œuvre, c’est-à-dire la mise en place d’un cessez-le-feu et sa surveillance par l’OSCE – cette organisation, qui est constituée d’observateurs reconnus par tous et dont sont membres la Russie, l’Ukraine, tous les pays de l’Union européenne, les États-Unis et le Canada, constitue un cadre légitime –, la démilitarisation des zones frontalières, le retrait des armes lourdes, la libération des otages et des prisonniers, un point sur lequel nous pouvons désormais avancer, et une discussion sur le statut des régions de l’est de l’Ukraine.

Si nous ne pouvons pas accepter les activités des séparatistes dans ces régions, il nous faut toutefois prendre en compte la situation particulière des populations russophones, en leur permettant d’avoir un statut dans la constitution ukrainienne, donc d’élire des représentants dans des conditions acceptables. Le vote intervenu au mois de novembre dernier n’avait aucune légitimité. Nous ne l’avons donc pas reconnu.

Enfin, ces accords de Minsk prévoient le rétablissement de relations politiques et économiques normales, pacifiées, entre l’Ukraine et la Russie, dont je rappelle qu’il s’agit de pays voisins.

C’est l’objectif du Président de la République et de notre diplomatie. Nous voulons garantir la stabilité et la paix dans la région, ainsi que le rétablissement de relations normales entre l’Ukraine, la Russie et l’Union européenne.

Selon nous, la Russie ne doit pas être un adversaire. Il y a eu violation du droit international, et nous avons adopté des sanctions à l’échelle européenne. Mais les sanctions ne sont pas une fin en soi. Nous avons toujours considéré qu’elles devaient constituer un outil pour retrouver la voie du dialogue et rechercher une solution politique.

Nous menons cette politique avec l’ensemble de nos partenaires, y compris ceux que nous avons rencontrés dans le cadre du format de Weimar. Mais ce processus doit bien évidemment être soutenu par les Vingt-huit. Ce sera l’objet de notre discussion au sein du Conseil européen.

Le Président de la République a été en contact avec la chancelière Merkel, ainsi qu’avec les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, à la suite de sa rencontre avec le président Poutine et des échanges qu’il a eus avant et après cette rencontre avec le président Porochenko. Ce sera un point très important de la réunion du Conseil européen.

L’Union européenne dans son ensemble doit soutenir absolument la démarche de la France. Il faut permettre de revenir à la solution politique souhaitée par tous.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Le commissaire Günther Oettinger, chargé de la société et de l’économie numériques, a indiqué que, sur les 315 milliards d’euros annoncés pour le plan d’investissement, plus de 10 milliards seraient sans doute consacrés au financement des réseaux à haut débit. C’est un motif de satisfaction, surtout après la déception suscitée par le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, le MIE.

Ce mécanisme, créé il y a un an, devait viser l’achèvement des réseaux transeuropéens importants en matière de transports, d’énergie et de télécommunications. Or, sur les 30 milliards d’euros qui lui seront dédiés pour la période 2014-2020, seul 1 milliard d’euros doit finalement aller aux réseaux de télécommunications, contre plus de 23 milliards pour les transports et plus de 5 milliards pour l’énergie. L’annonce du commissaire Oettinger mérite donc d’être saluée. Elle permet d’espérer que l’Union européenne parviendra à se doter des infrastructures de télécommunications qui conditionnent son avenir.

La place de l’Europe dans le nouveau monde numérique exige aussi de revoir la régulation de ce secteur. À quoi bon construire des réseaux si leur valeur ajoutée échappe à l’Europe ?

J’y insiste, il faut revoir sans attendre les règles. Les entreprises européennes doivent pouvoir lutter à armes égales contre les géants américains de l’internet. C’était l’une des préconisations les plus importantes de mon rapport de 2013 intitulé L’Union européenne, colonie du monde numérique et adopté par la commission des affaires européennes. C’est aussi et surtout l’une des conclusions saillantes de la mission commune d’information sur la gouvernance de l’internet. Je parle sous le contrôle des collègues qui en furent membres.

Le Parlement européen en semble désormais convaincu. Il vient d’adopter une résolution prônant une meilleure régulation concurrentielle du secteur numérique. Face à l’abus de position dominante de Google sur le marché de la recherche en ligne, le texte propose plusieurs solutions, dont une rotation des résultats de recherche pour redonner de la visibilité aux services concurrents de ceux de Google. Cela concernerait de nombreux secteurs de l’économie et beaucoup d’entreprises. Il envisage même le dégroupage de Google. J’avais moi-même plaidé dans nos rapports pour que soient imposées des obligations d’équité et de non-discrimination à certains acteurs de l’internet.

Je voudrais m’assurer que le Gouvernement plaidera aussi en ce sens à Bruxelles. Plus généralement, compte-t-il soutenir la nécessité absolue d’une politique industrielle du numérique plus ambitieuse et plus offensive, qui pourrait commencer par une collaboration franco-allemande sur un projet concret et décisif pour l’autonomie de notre continent dans le monde numérique ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, le numérique est en effet l’un des sujets principaux du plan Juncker. Comme vous l’avez souligné, le commissaire Oettinger estime qu’une dizaine de milliards d’euros pourraient y être consacrés.

Sur les trente et un projets transmis à titre indicatif par la France à la task force, dix concernent l’économie numérique. Nous partageons également cette priorité.

Le soutien aux investissements est une dimension importante. L’Europe ne peut pas être seulement un espace de consommation du numérique ; elle doit aussi être un espace où émergent des acteurs autres que les seules grandes multinationales américaines. Mais, au-delà, il y a aussi une dimension de régulation des plateformes. Selon nous, ce doit être une priorité du mandat de la prochaine Commission.

En outre, nous ne pouvons pas accepter que les choses demeurent en l’état en matière de fiscalité. Cela suppose de lutter contre la disparité sociale au sein de l’Union européenne, mais aussi de respecter le principe selon lequel les impôts doivent être payés là où se réalisent le bénéfice et le chiffre d’affaires. On ne peut pas localiser tous les bénéfices d’une holding dans un seul État membre au motif que l’impôt sur les sociétés y est moins important, alors que les grandes multinationales du numérique réalisent leur chiffre d’affaires dans l’ensemble des pays de l’Union européenne !

La réforme de l’ICANN, c’est-à-dire Internet corporation for assigned names and numbers, est très importante.

Tel est l’agenda que nous soutenons. Il tient compte des travaux que vous avez menés au nom du Sénat, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le plan Juncker suscite beaucoup d’espoir. J’espère qu’il ne s’agira pas de faux espoirs !

Les documents publiés à ce stade par la Commission européenne montrent bien que l’objectif est double : d’une part, un appel d’air pour l’investissement dans cette période de morosité économique ; d’autre part, la base d’une relance de l’investissement privé sur le long terme.

Ainsi que l’a souligné ma collègue Fabienne Keller, nous comprenons la logique d’une telle initiative. Toutefois, il me semble absolument nécessaire que la représentation nationale puisse en être informée dans le détail des projets éligibles présentés par le Gouvernement à la task force. Or ce n’est manifestement pas le cas, à moins de lire la presse… Les projets des grands programmes d’infrastructures sont-ils ceux qui ont été adoptés dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 ?

Nous souhaitons avoir la certitude que les investissements financés s’inscrivent bien dans la logique de l’achèvement du marché unique ou qu’ils aident à construire un espace européen mieux intégré, par exemple en matière d’énergie ou de numérique.

Autrement dit, le plan Juncker ne doit pas seulement être un moyen de recyclage et de financement des projets pour État impécunieux. Il doit créer une dynamique d’investissements européenne avec des partenaires privés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la liste, qui a d’ailleurs été rendue publique, des projets transmis par la France était indicative. Une coordination est prévue. Un organe de sélection des projets sera mis en place, et les critères précis seront établis lors de la constitution du fonds. Nous nous réservons donc la possibilité de transmettre d’autres projets.

Pour l’instant, les projets en lice ne sont pas financés par le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe ou par le programme Horizon 2020. Ils bénéficieront déjà de l’aide du budget européen. Parmi les autres projets, il y en a certains que nous souhaitons de toute manière voir aboutir, et cela irait plus rapidement avec le soutien du fonds d’investissement ; d’autres, que nous pensons également utiles, ont une valeur ajoutée européenne. Ils pourraient donc s’ajouter aux projets que nous avons déjà prévu de faire financer par les fonds structurels ou par les autres programmes européens. Nous sommes prêts à œuvrer en ce sens.

Le processus d’identification des projets que nous présenterons pour le fonds d’investissement est en cours. Nous en rendrons compte devant le Parlement, en particulier devant le Sénat. Nous le ferons d’autant plus volontiers que nous aurons certainement besoin de nous prévaloir de l’appui et du soutien du Parlement devant la Commission européenne pour plaider notre cause. Ce sera facile ; nous le ferons en insistant sur les conséquences positives non seulement pour la France, mais aussi au regard des priorités européennes : la transition énergétique, le numérique, l’innovation, la formation et l’éducation, ainsi que la ressource en capital humain. À mon avis, cela ne devrait pas nous diviser.

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. La présidence italienne qui s’achève a été efficace et positive, car elle a beaucoup pesé en faveur de la réorientation de la politique européenne en matière de croissance et d’emploi.

La Lettonie présidera l’Union européenne à partir du 1er janvier prochain. D’après ce qui nous a été indiqué lors de la réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, ou COSAC, voilà quelques jours, elle envisage de faire du partenariat oriental une priorité. La présidence lituanienne avait fait de même avec le « succès » que chacun a pu constater…

Les deux récentes présidences méditerranéennes, celles de la Grèce et de l’Italie, ont eu une position équilibrée en matière de politique de voisinage, en maintenant l’équilibre entre la politique euro-méditerranéenne et le partenariat oriental. Je le rappelle, aux termes de la politique européenne de voisinage, qui recouvre ces deux politiques, les deux tiers des financements sont destinés à la politique euro-méditerranéenne, contre un tiers pour le partenariat oriental.

La France envisage-t-elle de peser pour rappeler à la Lettonie que l’on ne préside pas l’Union européenne uniquement en fonction de sa position géographique et de ses intérêts géopolitiques et que la politique euro-méditerranéenne doit continuer à être considérée comme une priorité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, j’ai eu l’occasion de me rendre à Riga pour rencontrer le gouvernement et le président de Lettonie, afin de discuter avec eux des priorités de ce semestre très important pour leur pays. C’est une très bonne chose qu’un pays ayant adhéré depuis quelques années seulement à l’Union européenne en assure la présidence tournante.

Nous avons évidemment parlé du partenariat oriental et du sommet qui se tiendra à Riga le 22 mai prochain. Il réunira, outre les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-huit, six pays avec lesquels est engagé ce partenariat oriental : la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Nous pouvons comprendre que la Lettonie attache beaucoup d’importance à cette stratégie de voisinage. Mais nous avons rappelé un certain nombre de points, à commencer par la nécessité de tirer les leçons de la période précédente et de ne pas confondre politique de voisinage et politique d’élargissement.

Nous avons besoin d’une politique de voisinage : le cas de l’Ukraine en témoigne. Chacun des pays que j’ai mentionnés est confronté à des titres différents à des problèmes de stabilité, de développement économique, à une demande de partenariat intense avec l’Union européenne.

Cependant, il ne faut pas entretenir l’ambiguïté. Cette politique, qui passe par des accords d’association et par toutes sortes de coopération, commerciale, économique, relative aux droits de l’homme, est une chose. La perspective d’adhésion en est une autre. Elle peut concerner certains pays, par exemple ceux des Balkans occidentaux ou de l’ex-Yougoslavie. Des processus sont d’ailleurs engagés. Mais ils ne concernent pas tous les pays du voisinage.

La politique européenne de voisinage comprend le voisinage oriental et le voisinage Sud. Nous continuons de défendre cette approche, comme la répartition financière des aides économiques : deux tiers des fonds au voisinage Sud contre un tiers pour le partenariat oriental, qui doit être maintenu. Il n’est qu’à voir la situation en Méditerranée, les défis auxquels sont confrontés des pays comme la Tunisie, qui vient de réussir sa transition démocratique. Tout cela nous conforte dans l’idée qu’il faut continuer à accompagner le développement des pays du voisinage Sud. Pour autant, nous ne perdons pas de vue la crise très grave à l’Est ; nous y consacrons d’ailleurs beaucoup d’énergie diplomatique et politique.

Certes, la présidence lettone aura à assurer le succès du sommet de Riga. Mais il ne faut pas renoncer à la priorité accordée au voisinage Sud.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le secrétaire d’État, M. Juncker, qui préside aujourd’hui aux destinées de la Commission européenne, est l’un de ceux qui, en exerçant la double mission de chef de gouvernement et de ministre des finances de son pays, s’est affranchi de la règle commune pendant des années.

Le Luxembourg est devenu une plateforme idéale pour la fraude et l’évasion fiscales à l’échelle européenne. Les déficits constatés par les autres pays de l’Union européenne procèdent pour une part importante des manipulations comptables encouragées sur le territoire grand-ducal.

De nouvelles révélations viennent de paraître dans plusieurs médias. S’appuyant sur quelque 28 000 pages de documents obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation, la nouvelle vague de documents baptisés Lux Leaks 2 implique trente-cinq nouvelles sociétés, parmi lesquelles Skype, Walt Disney Company, Koch Industries, propriétaire de la marque Lycra, mais aussi Bombardier ou Telecom Italia. Les rulings ont été conclus entre 2003 et 2011. Pour mémoire, le système du rescrit fiscal, le tax ruling, permet à une entreprise de demander à l’avance comment sa situation fiscale sera traitée dans un pays. Il est utilisé par les multinationales pour faire de l’évasion fiscale.

« Disney [...] a mis au point un dispositif fiscal sophistiqué centré sur le Grand-Duché, dans le but de réduire sa charge d’impôts aux États-Unis et en Europe », en particulier en France, souligne Le Monde. Selon Le Soir, les accords conclus dans le cadre de ce Lux Leaks 2 ont été mis au point par les quatre grands cabinets d’audit et de conseil, PricewaterhouseCoopers, KPMG, Ernst & Young et Deloitte. Le journal belge évoque des outils hybrides concernant Bombardier, des déductions fiscales spectaculaires : 95 % des revenus pour Skype, qui ne paye donc des impôts que sur les 5 % restants, ou des taux réels d’imposition extrêmement faibles, de l’ordre de 0,28 % pour Walt Disney Luxembourg. C’est tout simplement insupportable !

Le Gouvernement demandera-t-il des comptes au Luxembourg concernant le détail des accords fiscaux conclus par cet État avec des entreprises étrangères, comme y invite enfin le gouvernement luxembourgeois ? Quelles actions compte-t-il conduire pour combattre l’évasion fiscale au sein même de l’Union européenne ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, à la suite des révélations du Lux Leaks 2, le président de la Commission européenne a été amené à s’engager très clairement sur la lutte contre l’optimisation fiscale. C’est ce que nous lui demandons.

Le système du rescrit fiscal, tel qu’il a été pratiqué, notamment au Luxembourg, n’est pas acceptable.

D’une manière générale, toutes les astuces qui ont pu être mises en place avec l’accord d’un certain nombre d’États membres pour permettre à des grandes entreprises – les petites et moyennes entreprises ne peuvent bénéficier de tels systèmes – de ne pas payer la part d’impôt due dans le pays où elles réalisent leur activité ne sont pas supportables. C’est autant de concurrence déloyale vis-à-vis des autres entreprises, celles qui n’ont pas le choix et qui doivent payer leur impôt. Cela provoque des délocalisations d’activité. C’est un manque à gagner pour les finances publiques des autres pays de l’Union européenne. Tout cela va à l’encontre de tous les objectifs que nous pouvons nous fixer en commun.

Pour financer notre service public, nos mécanismes de solidarité sociale, mais aussi les infrastructures dont nous avons longuement parlé ce soir, nous avons besoin que chacun, citoyen, mais entreprise, petite ou grande, paie sa part de l’impôt.

Il est absolument vital pour l’avenir de l’économie européenne de combattre le système du rescrit !

Selon nous, il faut une transparence totale sur ces mécanismes, qui doivent être encadrés. En réalité, ils n’ont pas beaucoup de raisons d’être. La Commission européenne doit donc viser leur suppression.

Par ailleurs, nous voulons un échange automatique d’informations dans tous les domaines de la fiscalité. Il faut même nous donner comme objectif une forme de « serpent fiscal européen » en matière de fiscalité sur le bénéfice des sociétés, avec un plancher et peut-être un plafond. Cela relève de l’intérêt commun. Chaque État membre peut garder la possibilité d’ajuster son taux d’impôt sur les sociétés en fonction d’un niveau moyen, comme c’est le cas pour la TVA. Dans un système qui compte un marché unique, une liberté de circulation des capitaux et de tous les facteurs de la production, du travail, des investissements, il ne peut pas y avoir de niveaux de fiscalité totalement discordants d’un point à l’autre de l’Union européenne.

La Commission Juncker doit inscrire dans son programme une plus grande harmonisation fiscale et une lutte absolue de tous les mécanismes de fraude fiscale.

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Monsieur le secrétaire d’État, je reviens sur l’Ukraine. Malgré la tenue, à la fin du mois d’octobre dernier, d’élections législatives qui, de l’avis des observateurs internationaux, se sont plutôt bien déroulées, la situation ne s’améliore guère.

Le processus politique semble figé ; la vie est extrêmement difficile pour les Ukrainiens, compte tenu de la situation économique. Et les affrontements armés dans l’est de l’Ukraine n’ont jamais vraiment cessé, malgré la trêve signée au début du mois de septembre. Qu’en sera-t-il d’ailleurs de la nouvelle trêve signée voilà quelques jours ?

Les sanctions internationales sont-elles – je ne remets pas en cause leur nécessité – adaptées ? Jusqu’à présent, elles n’ont que peu infléchi la position russe, même si leurs conséquences ne sont pas négligeables. Il semblerait que la Russie perde environ 32 milliards d’euros par an. Faut-il s’en féliciter alors que ces sanctions semblent renforcer la légitimité de la politique du président Poutine aux yeux de certains Russes ?

Et les mesures de rétorsion russes coûtent cher à l’Union européenne, en particulier à la France et à l’Ukraine, leur effet étant plus limité sur l’économie américaine.

En fin de compte, la Russie cherche à se redéployer vers l’Asie et noue des partenariats privilégiés, notamment avec la Turquie. L’Europe a tout à y perdre. Ces tensions renforcent également les sentiments antirusses en Ukraine et antieuropéens, voire antioccidentaux en Russie. Pourtant, au regard de l’histoire et de la géographie, l’Ukraine et la Russie sont intimement liées, à la confluence du monde russe et de l’espace européen.

Pouvons-nous offrir d’autres perspectives à l’Ukraine qu’un choix cornélien entre la Russie et l’Union européenne ?

Faute de résolution dans le cadre d’un dialogue équilibré avec tous les acteurs du dossier, la crise ukrainienne pourrait en appeler d’autres, notamment après les élections législatives en Moldavie, remportées voilà quelques semaines par les pro-européens, dans un pays exsangue et plombé par la situation en Transnistrie. Les pays voisins s’inquiètent des possibles réactions de Moscou.

Dans ce contexte, les initiatives de la France, que l’on salue, sont-elles suffisantes et surtout suffisamment ciblées pour débloquer la situation en Ukraine et parer à de futures crises en Europe orientale ? Aider l’Ukraine est évidemment un devoir pour les Européens ; mais est-il pour autant nécessaire de radicaliser la Russie ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, les sanctions, qui ne constituent pas une fin en soi, ont un effet sur la Russie, contre qui elles sont dirigées, notamment sur son économie, car elles s’ajoutent, par exemple, à la baisse du prix du pétrole. On constate aujourd'hui une diminution des capitaux, des investissements et des échanges commerciaux. Par contrecoup, il y a aussi des répercussions sur l’économie européenne, notamment sur l’économie de l’Allemagne, principal partenaire économique de la Russie en Europe.

L’objectif n’est pas d’alourdir les conséquences des sanctions ; il est de sortir de la situation actuelle, de mettre fin à la violation du droit international, ainsi qu’à l’escalade de la confrontation militaire et à l’armement des séparatistes. Cet été, nous sommes passés près d’une confrontation directe, qui a peut-être eu lieu, entre l’armée ukrainienne et l’armée russe. La situation ne peut que conduire à un désastre pour les populations de l’est de l’Ukraine et de la Crimée.

La priorité est donc de parvenir à un cessez-le-feu, de retrouver un dialogue politique et de rechercher une solution négociée, comme le prévoit l’accord de Minsk. Après l’élection en Ukraine du président Porochenko et d’une majorité pro-européenne, qui souhaite une modernisation démocratique du pays, de nombreuses réformes doivent maintenant être entreprises.

L’Union européenne est solidaire de l’Ukraine. Elle a encore très récemment décidé de lui venir en aide en lui octroyant une aide importante, d’un montant de 500 millions d’euros. D’autres aides seront probablement nécessaires. Elles sont conditionnées à la mise en œuvre de réformes en Ukraine en matière de lutte contre la corruption, d’État de droit et d’assainissement de la vie économique. Ces sujets font partie du dialogue que nous avons avec l’Ukraine.

L’avenir pour l’Ukraine, qui a fait le choix de la démocratie et du partenariat avec l’Europe, est de mener ces réformes et de rétablir des relations pacifiées avec la Russie, son voisin. Cela suppose évidemment que la Russie cesse d’aider les séparatistes et respecte les engagements du protocole de Minsk. Ce fut l’objet de la rencontre entre le président Hollande et le président Poutine.

L’Ukraine doit ensuite mettre en œuvre un partenariat avec l’Union européenne, sans que cela la conduise à devoir choisir entre ses relations avec son voisin russe et celles avec l’Union européenne. La géographie ne changera pas. L’Ukraine a pour voisins la Russie et l’Union européenne. Personne ne doit placer ce pays dans la situation d’avoir à effectuer un choix cornélien. L’objectif de la diplomatie européenne doit être d’aider l’Ukraine, en respectant ses choix souverains et démocratiques de vivre en paix avec ses deux voisins.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. À l’avenir, la question des relations entre l’Union européenne et l’Union eurasiatique, cette union douanière que la Russie a constituée avec un certain nombre de pays, pourrait également se poser ; pour l’instant, l’Ukraine n’a pas fait le choix d’en être membre. Elle se posera pour d’autres, dont le Kazakhstan, pays dans lequel certains d’entre vous ont accompagné le président Hollande.

Ces sujets, qui sont ouverts, ne doivent pas se poser en termes antagoniques. La géographie et l’histoire nous ont enseigné que nous devions construire notre avenir comme partenaires et peuples souhaitant vivre en paix, et non en confrontation. Nous devons tout faire pour éviter qu’un nouveau rideau de fer ne divise l’Europe. C’est le sens de notre politique aujourd'hui à l’est du continent.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 18 et 19 décembre 2014.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 11 décembre 2014 :

De neuf heures à treize heures :

1. Proposition de résolution sur la reconnaissance de l’État de Palestine, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution (n° 151, 2014-2015).

2. Proposition de loi relative à la protection de l’enfant (n° 799, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 146, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 147, 2014-2015) ;

Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 139, 2014-2015).

À quinze heures :

3. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze :

4. Proposition de résolution relative à un moratoire sur la mise en œuvre des plans de prévention des risques technologiques issus de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages et des lois subséquentes, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution (n° 128, 2014-2015).

À vingt et une heures trente :

5. Projet de loi de finances rectificative pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale (n° 155, 2014-2015) ;

Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 159, tomes I et II, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART