M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je parlais de moi, monsieur le ministre des finances ! (Rires.)
L’assiette de l’impôt local s’élargit donc et trouve une forme harmonieuse.
La deuxième raison a trait à la variation nominale des bases de l’impôt, c’est-à-dire à la réévaluation.
M. Philippe Dallier. Cela ne suffit pas !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne sais pas si cela suffit ou non, monsieur le sénateur, vous le direz lorsque cela aura été voté. Néanmoins, vos collègues de l’Assemblée nationale ont d’ores et déjà inscrit dans le projet de loi une augmentation des bases d’imposition de 0,9 %. Vous pourrez proposer plus, vous pourrez proposer moins…
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas ce que nous voulons !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce que nous voulons, c’est moins de contrainte !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mais ce n’est pas une contrainte, monsieur le rapporteur général, c’est une réalité ! Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté : tous les ans, nous avons ce débat.
La part de 60 % de fiscalité locale que j’évoquais augmentera de 0,9 % a minima pour les collectivités qui n’auront aucune nouvelle installation sur leur territoire, ce qui sera plutôt rare. Cette augmentation minimale des recettes du bloc principal des recettes est, je le redis, une moyenne ; elle ne tient pas compte des disparités des collectivités territoriales.
Le chiffre de 3,67 milliards d’euros n’est pas tout à fait exact, puisque le FCTVA va augmenter et que, à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé de « sortir » cette augmentation de l’enveloppe de 3,67 milliards d’euros. Vous allez me dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que c'est peu, mais cela représente tout de même 166 millions d’euros ! Par les temps qui courent, ce n’est pas rien…
Ainsi, toutes choses étant égales par ailleurs, les collectivités territoriales qui ne souhaiteront pas augmenter les impôts locaux – elles seront très nombreuses, puisque, comme vous l’avez dit, beaucoup de candidats aux élections municipales avaient, à juste titre, pris cet engagement – connaîtront une relative stabilité, en moyenne, de leurs recettes,…
M. Philippe Dallier. Mais non, monsieur le secrétaire d’État !
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas vrai !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Concernant les régions, je serai bref. Le Premier ministre a engagé avec l’Association des régions de France et le président Rousset un dialogue pour trouver des formes de ressources qui soient dynamiques. Laissons ce dialogue se poursuivre et la loi NOTRe aboutir.
S’agissant des départements, le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé la pérennisation des transferts de recettes de l’an dernier,...
M. Michel Bouvard. Il les reprend avec la péréquation !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … ce qui représente tout de même 1,5 milliard d’euros. Il pérennise les transferts, il ne les reprend pas !
M. Michel Bouvard. Avec la péréquation, si !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur Bouvard, puisque nous nous retrouvons ici après avoir souvent travaillé ensemble dans d’autres enceintes, j’en profite pour saluer non seulement votre présence, mais également l’humilité et la pertinence de votre intervention. Je l’ai déjà dit, il ne m’appartient pas de distribuer ici de bonnes ou de mauvaises notes, mais j’ai retrouvé la constance et l’esprit constructif que j’avais déjà connus ailleurs. (M. Michel Bouvard s’exclame.)
Je maintiens qu’il s’agit d’une pérennisation des recettes supplémentaires transférées l’an dernier, dont je rappelle qu’elles avaient été votées uniquement pour deux ans.
Toujours pour les départements, le Premier ministre a eu l’occasion de dire devant le congrès de l’Assemblée des départements de France à Pau qu’il était d’accord pour qu’un groupe de travail réfléchisse à une recentralisation des allocations individuelles de solidarité, à laquelle rêvent un certain nombre de présidents de conseils généraux !
Pour ce qui est du bloc communal, j’ai évoqué précédemment la structuration de ses recettes. Nous aurons l’occasion de regarder ce que les amendements parlementaires et du Gouvernement ont déjà modifié dans le texte à l’Assemblée nationale.
J’aimerais revenir sur ce que certains ont appelé le « rabot » ou la « varlope » – j’ai entendu de nombreuses expressions – s’agissant des propositions de réduction de dépenses qui sont inscrites dans ce projet de budget. Je m’inscris en faux contre l’idée que le travail du ministère des finances, en liaison avec les autres ministères, n’aurait consisté qu’à faire un tableau Excel des dépenses, ce qui n’est guère difficile, à y appliquer un coefficient de « rabot » inférieur à un, et à regarder les résultats obtenus.
Nous avons fait un examen ministère par ministère, mission par mission, nature de dépenses par nature de dépenses ; nous avons regardé ce qui relevait de la masse salariale, des prestations, des interventions de l’État, des dépenses de fonctionnement ; nous avons étudié comment les effectifs, l’inflation, l’environnement économique et social pouvaient influer sur l’évolution de ces dépenses. Ce travail de fond s’est traduit, pour certaines missions, par des évolutions structurelles, des modifications de politiques en matière de prestations qui ont été déclinées dans le projet de loi de finances et que nous évoquerons bien entendu lors du débat. Cela est notamment vrai en matière de prestations sociales.
J’en viens à l’idée régulièrement développée selon laquelle ces économies seraient de fausses économies. Comment les efforts d’économies budgétaires des États sont-ils appréciés au niveau international ? Toujours de la même façon, en regardant l’évolution tendancielle !
L’évolution tendancielle des dépenses dépend de l’inflation et de la croissance potentielle. C'est là que peuvent apparaître certaines difficultés. C'est un véritable sujet de discussion pour parvenir à ce que l’on appelle le déficit structurel. On examine l’évolution naturelle d’une dépense puis les crédits inscrits en loi de finances, et on calcule alors l’économie réalisée.
La Commission européenne, les agences de notation et les observateurs internationaux ont toujours fait ainsi. Alors évidemment, du haut d’une tribune, on peut toujours ergoter, nous reprocher d’annoncer des économies alors que les dépenses sont supérieures à celles de l’année dernière.
Je donne souvent l’exemple des dépenses d’assurance maladie. Alors que l’on vit plus longtemps, que les soins sont de plus en plus coûteux et que nous sommes de plus en plus nombreux, n’est-il pas normal que les dépenses d’assurance maladie augmentent plus vite que l’inflation et le produit intérieur brut ? Les spécialistes évaluent cette augmentation des dépenses à 3,9 %.
En fixant une évolution des dépenses d’assurance maladie à 2 %, nous avons la prétention de dire que nous faisons une économie par rapport à une évolution naturelle qui aurait été de 3,9 %. Tout le monde a toujours procédé de la sorte, toutes majorités confondues. On n’est pas prêt de faire autrement si l’on veut avoir des standards internationaux permettant les bonnes comparaisons.
J’aimerais maintenant évoquer les points du projet de loi de finances que nous n’avons peut-être pas suffisamment mis en avant. Je pense notamment à un certain nombre de mesures en faveur du logement et de la transition énergétique.
Personne n’a souligné – moi non plus d’ailleurs – mea culpa ! – les efforts réalisés en matière de logement, avec les abattements prévus pour les acquisitions de logements neufs, les crédits d’impôt liés à la transition énergétique, les incitations à la libération du foncier constructible et à la construction de logements neufs par l’aménagement des règles concernant les successions et les donations, ainsi que celles en faveur de l’investissement locatif.
En ce qui concerne les recettes, la mesure fiscale de réduction d’impôt consistant à supprimer la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu a été contestée, au prétexte qu’il ne s’agissait pas d’une réforme, que ce n’était pas important. Dois-je vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que, en à peine plus de deux ans, nous avons rétabli l’impôt de solidarité sur la fortune, inscrit au barème les revenus liés à la possession du capital – les dividendes, les plus-values et les intérêts –, réformé complètement la fiscalité des plus-values mobilières, avec un système qui n’a jamais été aussi favorable pour les détenteurs de valeurs mobilières, toutes majorités confondues ? Nous avons aussi créé une tranche d’impôt à 45 % ; aujourd’hui, nous supprimons la tranche à 5 %. Vous pouvez toujours dire que ce sont des réformettes, mais j’ai peu d’exemples dans notre histoire fiscale où autant d’éléments structurels et importants ont été apportés à la réforme de l’impôt, notamment de l’impôt sur le revenu, en si peu de temps.
Mme Des Esgaulx évoquait la concentration de l’impôt sur le revenu, qui deviendrait insupportable. Il s’agit d’une excellente question. Je vous invite – je l’ai fait personnellement – à regarder les courbes sur la concentration de l’impôt sur le revenu et sur la concentration des revenus. Vous verrez que, dans notre pays, les revenus – tous revenus confondus – sont extrêmement concentrés. Ce n’est ni un commentaire ni une appréciation, c'est une réalité. Si l’on examine la courbe de l’impôt sur le revenu décile par décile, voire, pour le dernier décile, centile par centile, vous constaterez que la concentration est quasiment la même, à peine plus forte que celle des revenus. On constate, en quelque sorte, un parallélisme des situations. Je regrette de ne pas pouvoir vous montrer ces courbes – il est difficile de projeter des graphiques dans l’hémicycle –, mais le résultat est tout à fait patent.
J’en viens maintenant aux crédits de la défense. J’ai vu et lu des courriers rendus publics, notamment aujourd’hui, qui relayaient certaines inquiétudes. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Rappelons d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, que, chaque année, quelle que soit la majorité, nous intégrons, nous régularisons, si j’ose dire, les dépenses liées aux OPEX, les opérations extérieures de l’État.
M. Michel Bouvard. Ce n’est pas très glorieux, mais c'est un fait.
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas le sujet !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas le sujet ; le sujet, c’est le compte d’affectation spéciale « Fréquences ».
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le rapporteur général, c’est un sujet,…
M. Philippe Dallier. C’est un vrai sujet !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … parce que lorsque nous faisons la répartition chaque année en prenant sur la réserve de précaution et en procédant aux derniers ajustements budgétaires en loi de finances rectificative, nous faisons participer y compris la défense à ces crédits de la mission « Défense » !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et le compte d’affectation spéciale « Fréquences » ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’y viens, monsieur le rapporteur général. Vous m’avez demandé de faire preuve de patience – j’attends toujours le détail de vos mesures… –, alors faites de même ! Pour ma part, je ne vous ferai pas attendre longtemps : j’affirme ici haut et fort que les 31,4 milliards d’euros de crédits de la loi de programmation militaire sont parfaitement inscrits dans le projet de budget incluant – je vais y venir – le compte d’affectation spéciale « Fréquences » ou, plus généralement, les recettes exceptionnelles, ou REX, liées à la défense.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à regarder comment ont été respectées les précédentes lois de programmation militaire. Je vais vous faire une confidence : les statisticiens de Bercy parlent de courbes « en Iroquois »,…
M. Jean Germain. Oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … car, depuis vingt ans, les prévisions de crédits sont toujours très nettement inférieures aux crédits exécutés. À chaque loi de programmation militaire, c'est la même chose ! Pour notre part, nous respectons le montant annoncé de 31,4 milliards d’euros.
Vous avez légitimement une interrogation sur les recettes exceptionnelles. Il y a quelques mois, j’ai reçu à Bercy le président et des membres de votre commission des affaires étrangères et de la défense, qui m’avaient très courtoisement prévenu qu’ils venaient faire une inspection de l’état des prévisions sur les recettes exceptionnelles. C'est bien entendu un droit des parlementaires, et je n’y vois là ni malice ni vexation. Je suis d’ailleurs prêt, comme je le leur ai dit, à me livrer à cet échange régulièrement et à mettre à leur disposition tous les documents nécessaires, sous couvert évidemment du secret lié à ces opérations, qu’ils ont parfaitement respecté.
En ce qui concerne la vente des fréquences, nul ne sait aujourd'hui quand elles seront vendues,…
M. Philippe Dallier. C'est bien le problème !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … pas plus vous que moi ! (M. Philippe Dallier s’exclame.) Vous ne pouvez pas dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes certains qu’elles ne seront pas vendues en 2015 : vous n’en savez rien !
M. Philippe Dallier. C'est le problème !
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous avons étudié, monsieur le sénateur, les conditions de mise en vente de ces fréquences. Un certain nombre d’informations sont liées au secret des affaires. Nous savons pertinemment que, en fonction de la date à laquelle elles seront mises en vente et du besoin des opérateurs, nous pourrons en tirer des recettes variables, pour ne pas dire plus.
M. Philippe Dallier. C’est bien le problème !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. En tout état de cause, nous nous sommes engagés, vis-à-vis du ministère de la défense, à mettre en vente ces fréquences au moment où nos services et nous-mêmes l’estimerons le plus opportun, le plus juste et le plus à même de respecter les intérêts de l’État. Et, si ces recettes exceptionnelles n’étaient pas au rendez-vous, nous trouverons ces sommes d’une autre façon, notamment en faisant appel au programme d’investissements d’avenir, le PIA, procédé auquel il est régulièrement recouru pour compenser les recettes exceptionnelles qui ne se confirment pas.
Je m’inscris donc en faux contre l’affirmation selon laquelle les recettes exceptionnelles ne seront pas réalisées en 2015. Vous n’en savez rien ! D'ailleurs, j’ai une petite idée à ce sujet, et le ministère de l’économie, qui est bien évidemment concerné, en a une également. Au regard de l’état de la concurrence dans ce secteur, et sans vouloir porter un jugement de valeur sur celle-ci, je vous demande donc de faire preuve de prudence.
L’engagement de ressources à hauteur de 31,4 milliards d’euros en crédits de paiement pour la mission « Défense » sera donc tenu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai toujours souhaité que nos débats soient aussi clairs et transparents que possible. Nous aurons bien sûr l’occasion d’y revenir dans les jours et les nuits à venir. (MM. Richard Yung, Daniel Raoul et André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Favier, Mme Beaufils, MM. Bocquet, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° I–414.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2015 (n° 107, 2014–2015).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Christian Favier, pour la motion.
M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’Assemblée nationale a adopté, mardi dernier, le projet de loi de finances pour 2015, avec, vous l’aurez noté, une majorité particulièrement étriquée, puisque le texte n’a recueilli le soutien que de 266 députés sur 577.
M. Thierry Foucaud. Il importe de le rappeler !
M. Christian Favier. Il apparaît donc de plus en plus clairement que les choix de rigueur budgétaire opérés lors de la législature précédente, comme depuis le début de la présente mandature, ne permettent pas au pays de sortir de l’ornière des déficits et de la progression de la dette.
La France demeure confrontée à une situation préoccupante de ses finances publiques, loin des objectifs que d’aucuns s’étaient jusqu’à présent fixés. Malheureusement, tout laisse penser que les choix politiques effectués ne permettront pas d’aller dans une meilleure direction.
Le fait que la loi de programmation des finances publiques ait finalement repoussé la date à laquelle l’équilibre budgétaire devra être atteint n’est qu’un rappel, sans doute douloureux pour quelques libéraux dogmatiques,…
M. Vincent Capo-Canellas. Il en existe encore ?
M. Christian Favier. … du principe de réalité.
Comme le dit notre collègue Henri Guaino, qui n’est pourtant pas l’un de nos amis politiques, « un déficit, cela ne se décrète pas ! » (M. Michel Bouvard s’exclame.)
M. Vincent Capo-Canellas. Si vous citez M. Guaino…
M. Thierry Foucaud. À chacun ses sources !
M. Christian Favier. Et c’est bien là que nous en sommes. Il nous faut choisir, mes chers collègues. Soit nous discutons d’un projet loi de finances pour 2015 qui ressasse les recettes éculées ayant conduit à la situation que nous connaissons, les divergences politiques se réduisant aux dosages des efforts demandés aux ménages, en particulier aux plus modestes, aux entreprises – mais pas aux plus grosses –, aux fonctionnaires – encore et toujours ! – et aux collectivités locales, surtout cette année. Soit nous posons les bases d’une nouvelle politique, conforme aux intérêts du pays et de ses habitants, et nous remisons au magasin des vieilles lunes certains principes libéraux, imposés par une convergence européenne que l’on sait défaillante.
Dans un monde confronté à des enjeux d’importance planétaire, portant sur la misère, le climat, la lutte contre les pandémies, le développement social, les avancées démocratiques, le combat contre la corruption, le pillage des ressources naturelles, le gaspillage des capacités humaines, il nous faut donner à la politique de notre pays une dimension nouvelle et audacieuse. D’ailleurs, une loi de finances transformée radicalement, comme nous l’appelons de nos vœux, n’est pas le seul outil législatif qu’il conviendrait alors de mettre en œuvre. Cependant, nous nous en tiendrons là aujourd’hui, en posant, d’emblée, quelques questions.
Des sommes très importantes sont aujourd’hui utilisées pour alléger les impositions et les cotisations sociales, en particulier des entreprises. Ce sont les entreprises qui captent l’essentiel des 82 milliards d’euros de dépenses fiscales, l’essentiel des 100 milliards consacrés par l’État aux remboursements et dégrèvements d’impositions de toute nature ou encore des 62 milliards de dépenses fiscales déclassées et, bien sûr, des 33 milliards d’allégements de cotisations sociales. Et ce sont toujours les entreprises, mes chers collègues, qui ont tiré parti de la baisse de l’impôt sur les sociétés, passé en trente ans de 50 % à 33,3 %, mais aussi de la disparition de la taxe professionnelle et du quasi-gel des cotisations sociales, malgré les difficultés financières de la sécurité sociale.
On pourrait dire que la France est devenue, aujourd'hui, pour M. Gattaz et ses amis, une forme de paradis fiscal. (M. Vincent Capo-Canellas s’exclame.) Aujourd’hui, il est prévu que 10 milliards d’euros soient consacrés, pendant une année supplémentaire, à financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et la facture est présentée, pour une large partie, aux collectivités locales, puisque les dotations budgétaires que l’État verse à ces dernières sont appelées à subir une réduction de 11 milliards d’euros sur trois ans, après une première ponction de 1,5 milliard en 2014.
Arrêtons-nous quelques instants sur cette question.
Tout d’abord, si le CICE, mesure particulièrement coûteuse, est censé améliorer la compétitivité des entreprises pour favoriser l’emploi – c’est ce qu’a indiqué M. le ministre –, où sont les résultats ? En Val-de-Marne, département que je connais bien, 65 millions d’euros ont été restitués à plus de 2 000 entreprises, mais, dans le même temps, le chômage a progressé de près de 10 %. C’est donc bien là un cadeau sans aucune contrepartie ! C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’installer, dans chaque département, un observatoire chargé d’évaluer l’utilisation de ces sommes, conformément à la proposition que nous formulons. Nous avons besoin de cette transparence, que nous avons un peu de mal à obtenir.
Ensuite, au motif que la dépense publique locale constituerait aujourd’hui environ 20 % de la dépense publique totale, il a été décidé de réduire de 20 % les dotations budgétaires aux collectivités. Or, du fait de la décentralisation, les collectivités territoriales ont vu croître leurs interventions dans la vie publique, accomplissant de plus en plus, à la place de l’État, un certain nombre de missions essentielles. Aussi, c’est sans doute pour les remercier d’avoir pris à leur charge l’essentiel du réseau routier du pays, les transports ferroviaires de voyageurs, la rénovation et la construction du parc d’établissements scolaires secondaires et d’avoir assumé des missions sociales décisives en matière d’autonomie des personnes âgées, de prévention de la dépendance et d’action contre l’exclusion sociale que l’État décide, cette année, d’accélérer et de renforcer le mouvement de réduction de leurs moyens financiers, à un niveau jamais atteint !
On nous dit qu’il faut « partager » l’effort entre l’État et les collectivités locales. Toutefois, mes chers collègues, cet effort, voilà des années que les collectivités locales le produisent ! Ainsi, avec le RSA, qui a pris la suite du RMI, depuis 2003, les départements ont pris en charge 48 milliards d’euros sur leurs propres budgets, bien au-delà des maigres compensations accordées par l’État.
Cela dit, cette ligne est loin d’être nouvelle, puisque les lois de programmation votées sous la précédente législature organisaient déjà le gel des dotations et concours de l’État aux collectivités locales. (M. Philippe Dallier s’exclame.) La mesure figurait ainsi en toutes lettres dans la loi du 28 décembre 2010. Elle consistait, en fait, à partager entre l’État et les autres administrations publiques les effets de la norme « zéro valeur ». Mais, monsieur le secrétaire d'État, de zéro, on est aujourd'hui passé à 30 % de diminution de la DGF à l’horizon 2017 !
Aujourd’hui, certains pensent ou laissent penser que l’effort demandé ne serait pas si considérable. Jugez-en par vous-mêmes : 11 milliards d’euros, cela ne représenterait que moins de 2 % des ressources des collectivités locales… Cependant, mes chers collègues, une telle analyse ne résiste pas cinq secondes à l’examen des réalités.
Dans un rapport d’information déposé le 12 novembre dernier sur le bureau du Sénat, trois de nos collègues, Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard, ont étudié la question des perspectives des finances locales d’ici à 2017. Je n’en citerai que quelques sous-titres : « l’effet de ciseaux entre recettes et dépenses était d’ores et déjà difficilement soutenable » ; « sans ajustement, la baisse de 11 milliards ferait de l’impasse financière la situation de "droit commun" des collectivités françaises », « sans mesures correctives, les difficultés financières risquent de devenir la norme », « le retour des dépenses de fonctionnement au rythme de l’inflation ne suffira pas », conduisant, d’ailleurs, à l’« inévitable baisse des investissements ». Le rapport de nos collègues ne laisse planer aucun doute ! Les dépenses de fonctionnement des collectivités locales augmentant plus vite que leurs recettes, leur capacité d’autofinancement diminue. Ainsi, leur dette croît désormais deux fois plus vite que leurs recettes.
Quelles seront les conséquences de cette situation ?
Pour maintenir leurs investissements, absolument nécessaires dans la période que nous connaissons, les collectivités risquent évidemment de devoir continuer à s’endetter davantage, de creuser leurs déficits et, parallèlement, d’augmenter leur fiscalité, pour faire face à des dépenses de fonctionnement qui, aujourd'hui, sont parfois devenues, pour beaucoup d’entre elles, totalement incompressibles. Autrement dit, sans être assurés que la croissance soit au rendez-vous des sacrifices demandés à tous les Français, nous risquons fort, au contraire, de voir s’accroître la dette publique. Tout cela conduira au résultat exactement inverse de celui qui est apparemment recherché.
La conclusion du rapport de nos collègues pose toute une série de questions, tout à fait pertinentes, bien qu’elles ne soient que des interrogations.
Je tiens à vous rassurer tout de suite sur le contenu des réponses que les élus locaux seront parfois contraints de mettre en œuvre : ils devront faire des arbitrages difficiles, tout en constatant que certaines dépenses continuent de progresser.
Ils arbitreront en diminuant le volume de l’emploi public, au détriment des chômeurs et, notamment, des jeunes, mais aussi du maintien de certains services à la population. Malheureusement, ils arbitreront souvent en rognant sur les investissements directs, ce qui, on le sait, va peser sur la situation des entreprises prestataires de services et donc aussi, bien souvent, sur l’emploi local. Chacun sait le lien mécanique qui unit investissement public et emploi : tous les pays d’Europe qui, ces dernières années, ont vu leur niveau d’investissement public diminuer ont été confrontés à une progression du chômage à un rythme exactement identique. Parfois, les élus locaux devront également arbitrer en augmentant les impôts locaux.
Pour ce qui concerne la fiscalité, désormais largement orientée sur le produit de la taxe d’habitation, des taxes foncières et, de manière marginale, de la cotisation foncière des entreprises, ce sont là encore les ménages qui auront à payer l’essentiel de la facture. Le présent projet de loi de finances peut prévoir de supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu : cela ne mettra pas les contribuables à l’abri d’une hausse de la taxe d’habitation ni d’une augmentation de la CSG ou la TVA ! Tout cela, on le sait, pour restaurer les marges des entreprises et réduire les déficits – autrement dit, accroître les profits du secteur marchand et alimenter la rente…
Aussi, dans ces conditions et compte tenu des risques, il est indispensable, mes chers collègues, que les moyens des collectivités locales soient préservés.
Il faut que la loi de finances tourne le dos à l’objectif de réduction des dotations, qui constituera finalement, il faut bien le dire, une forme d’impôt supplémentaire, de près de 100 euros annuels pour chaque foyer fiscal de notre pays en 2015. Cet impôt supplémentaire, qui passera à 200 euros en 2016 et à 300 euros en 2017, pour moins de service public, moins de proximité et moins de réponse aux besoins publics, n’est évidemment pas acceptable.
Dans ces conditions, il est plus que temps de mettre en œuvre la profonde réforme fiscale que nos compatriotes attendent maintenant depuis si longtemps et qu’ils espéraient voir arriver avec l’élection de 2012.
La lecture des données de la loi de finances est, de ce point de vue, sans appel. Les inégalités fiscales sont criantes. L’impôt sur le revenu des ménages, c’est 69 milliards d’euros. Le produit de la CSG et de la CRDS s’élève à 100 milliards d’euros. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques frappe les ménages à hauteur de 27 milliards d’euros. Quant à la TVA, son rendement représente 143 milliards d’euros, prélevés sur tous les ménages, quels que soient leurs revenus – on sait bien qu’il s'agit de l’un des impôts les plus injustes. Enfin, les ménages doivent acquitter d’autres impôts directs, pour un produit de 17 milliards d’euros, et les taxes d’enregistrement, à hauteur de 20 milliards d’euros. Pendant ce temps, l’impôt sur les sociétés, c’est 33 milliards d’euros, soit environ 1,5 % du PIB !
La simple connaissance de ces données atteste de profondes inégalités de traitement fiscal entre revenus et patrimoines. Ainsi, 170 milliards d’euros de fiscalité indirecte frappent lourdement les couches les plus modestes et les plus populaires.
Et je ne parle pas ici des impositions locales, singulièrement celles qui concernent les ménages modestes, victimes du retard pris à réévaluer les bases d’imposition. Or, pendant ce temps, les logements sociaux des années soixante, par exemple, correspondant aux exigences de confort et de modernité de leur époque, continuent d’être plus lourdement taxés que les appartements de centre-ville historique, rénovés, parfois, à grands frais.
Sur l’ensemble des enjeux sociaux clés, il nous faut donc clairement changer de logiciel !
En matière de dépenses de logement, nous ne pouvons pas nous contenter des quelque 171 millions d’euros destinés à financer la construction et la réhabilitation, quand plus de 1,8 milliard d’euros est mobilisé pour assurer la rentabilité financière des investissements immobiliers privés ! En outre, comment ne pas souligner, une fois de plus, que l’État mobilise plus de 20 milliards d’euros pour indemniser la sécurité sociale des exonérations de cotisations sociales générales, génératrices de bas salaires ?
Je pourrais ainsi, mission après mission, pointer l’ordre des priorités que nous devons désormais imprimer aux politiques publiques pour sortir de l’étau dans lequel nous nous trouvons enfermés, étau qui résulte de deux facteurs : d’une part, une politique de réduction des impôts et des cotisations sociales au bénéfice des entreprises, dont le seul véritable objectif a toujours été la restauration des marges, et, d’autre part, des politiques publiques asphyxiées par les conséquences de la crise économique et sociale.
La politique nationale du logement ? On le sait, c’est malheureusement d’abord l’aide publique à la spéculation immobilière. On est très loin des grandes politiques volontaristes qu’il faudrait mener pour répondre aux besoins des populations.
La politique nationale de l’emploi ? C’est hélas d’abord des exonérations de cotisations sociales et la prise en charge publique des licenciements de masse.
La politique industrielle ? C’est, là encore malheureusement, une multiplication de crédits et réductions d’impôt, ne faisant que conforter la position dominante des plus grands groupes. Que pèsent, en effet, les 200 ou 300 euros d’exonérations de cotisations sociales mensuelles du patron d’une très petite entreprise – une TPE – face aux millions d’euros dont profitent certains groupes pour réaliser, au jour le jour, des placements financiers particulièrement juteux ?
D’ailleurs, pour discuter très souvent avec des chefs d’entreprise, je suis en mesure d’ajouter que ceux-ci réclament, non pas des exonérations, mais des carnets de commandes remplis afin de pouvoir travailler. De ce point de vue, la commande publique est absolument indispensable. Malheureusement, c’est sur elle que le Gouvernement porte les coups les plus sévères.
Une véritable réforme fiscale, revisitant l’ensemble de nos impôts et reposant la question des priorités de l’action publique, est donc urgente. Elle ne figure pas dans ce projet de loi de finances, qui restreint l’action de l’État à la rémunération de la rente des marchés financiers et conduit les collectivités locales, à leur corps défendant, à prendre à leur charge une partie de cette rente.
Il est donc grand temps que l’intérêt général prime sur toute autre considération. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)