compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. Claude Dilain,
M. Jean-Pierre Leleux,
Mme Valérie Létard,
Mme Colette Mélot,
M. Jackie Pierre,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de dix sénateurs appelés à siéger comme membres titulaires, ainsi que de dix sénateurs appelés à siéger comme membres suppléants, au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.
La commission des finances, la commission des lois, la commission des affaires sociales, la commission de la culture, la commission de développement durable, la commission des affaires économiques, ainsi que la commission des affaires européennes, ont été invitées à présenter des candidats.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
3
Scrutins pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République et pour l'élection de membres représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République, ainsi que les scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Pour le scrutin relatif à la Cour de justice de la République, la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Pour être valables, les bulletins ne peuvent comporter plus de six noms pour les juges titulaires et plus de six noms pour les suppléants.
Comme sept candidatures sont parvenues à la présidence pour les titulaires, accompagnées de sept candidatures pour les suppléants, le bulletin de vote mis à votre disposition dans la salle des conférences sera nul si vous ne rayez pas l’un des sept binômes.
Par ailleurs, le nom de chaque titulaire doit être obligatoirement assorti du nom de son suppléant. En conséquence, la radiation de l’un des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l’autre.
Les juges titulaires et les juges suppléants à la Cour de justice de la République nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Pour les scrutins relatifs à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en application des articles 2 et 3 de la loi n° 49-984 du 23 juillet 1949, la majorité absolue des votants est requise. Pour être valables, les bulletins de vote ne doivent pas comporter, pour chacun des scrutins, plus de six noms, sous peine de nullité.
Les deux scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République auront lieu simultanément, dans la salle des conférences, en application de l’article 61 du règlement.
Je prie MM. Claude Dilain, Jean Pierre Leleux, Mmes Valérie Létard, Colette Mélot, M. Jackie Pierre et Mme Catherine Tasca, secrétaires du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote et de dépouillement.
Je déclare ouverts le scrutin pour l’élection de six juges titulaires et de six juges suppléants à la Cour de justice de la République ainsi que les scrutins pour l’élection de six membres titulaires et de six membres suppléants représentant la France à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Ils seront clos dans une heure.
4
Candidature à un office parlementaire et à quatre délégations parlementaires
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation : des dix-huit sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ; des trente-six membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ; des trente-six membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ; des trente-six membres de la délégation sénatoriale à la prospective ; et des vingt et un membres de la délégation sénatoriale à l’outre-mer autres que les vingt et un sénateurs d’outre-mer, membres de droit.
En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11, du règlement du Sénat, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
5
Délimitation des régions et élections régionales et départementales
Suite de la discussion en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (projet n° 6, texte de la commission n° 43, rapport n° 42).
Organisation de la discussion
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Madame la présidente, pour la clarté de nos débats, en particulier sur l’article 1er, relatif à la nouvelle carte régionale, je demande, au nom de la commission spéciale et en application de l’article 49, alinéa 2, de notre règlement, une disjonction de l’amendement n° 98, déposé par M. Ronan Dantec, de la discussion commune des vingt-neuf autres amendements visant à modifier la carte régionale. Cet amendement vise en effet à une réécriture globale de l’article 1er et présente une alternative à la carte régionale.
Mme la présidente. Je suis donc saisie par la commission d’une demande d’examen séparé de l’amendement n° 98, à l’article 1er.
Je vais consulter le Sénat sur cette demande.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Masseret. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Masseret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de situer le débat dans son cadre politique, car notre débat n’est pas technique, il est politique, avec du sens et du contenu. Ce cadre, c’est le redressement de la France. Nous connaissons la situation, et elle ne date pas d’hier. Elle résulte des difficultés que nous avons eues collectivement à considérer le réel au cours des dernières années.
Mes chers collègues, je pourrais évoquer subrepticement, au début de mon propos, la période 2002-2012.
M. Alain Néri. Par exemple !
M. Jean-François Husson. Et pourquoi pas le XVIIIe siècle ?
M. Jean-Pierre Masseret. C’est tout de même un élément du débat qu’il faut prendre en compte !
Qu’avons-nous observé au cours de cette période ? Une désindustrialisation massive, un véritable délitement de l’outil productif de la France, des réformes souffreteuses, des déficits croissants, des endettements vertigineux. Et tout cela a mis notre pays en difficulté.
Dès lors, le redressement de la France est un devoir absolu, une exigence. Certes, c’est un exercice difficile, compliqué, car il s’agit de faire comprendre la réforme à nos concitoyens, de leur faire accepter des évolutions et des remises en question de leurs habitudes. Il s’agit aussi de bien mesurer les rapports de force à partir desquels il est possible de faire bouger les lignes.
Redresser la France, aujourd'hui, c’est relever trois défis : d’abord, celui du redressement productif de notre pays, qui est l’exigence numéro un ; ensuite, celui de la mise à jour de notre champ social en respectant l’humain et les valeurs de la République ; enfin, celui de la réforme territoriale.
Engager la réforme territoriale, comme le Gouvernement nous invite à le faire, c’est refonder le bon fonctionnement de la République sur nos territoires, dans un objectif de croissance et d’emploi, d’adaptation au monde réel du XXIe siècle. Tel est l’enjeu.
M. Alain Néri. Voilà un rappel utile !
M. Jean-Pierre Masseret. Cette refondation, le Gouvernement l’a proposée : métropolisation, régionalisation, intercommunalisation, maintien des communes.
Pour la fluidité de nos travaux, la démarche a évidemment été fractionnée. Si un seul texte de réforme avait été soumis au Parlement, ce sont des mois qui auraient dû être consacrés au débat et d’autres textes n’auraient pas pu être examinés. Le fractionnement était donc une nécessité.
Aujourd'hui, bien sûr, ce fractionnement sert de prétexte à la critique : pour certains, il aurait plutôt fallu commencer par ceci, pour d’autres, par cela. Mais ce sont là davantage des postures politiciennes que des critiques fondées.
M. Jean-François Husson. Merci !
M. Jean-Pierre Masseret. Il reste que se posait une question centrale, celle du maintien des assemblées départementales.
Le maintien d’une assemblée départementale aux compétences précisées – elles seraient notamment axées sur les activités sociales et territoriales de proximité – me paraît avoir été affirmé hier par le Premier ministre : dans chaque département de la métropole et d’outre-mer, une assemblée départementale sera maintenue.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret. Quant au débat sur le périmètre des régions, il est objectivement concomitant à la connaissance des compétences transférées. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait concernant les compétences des régions !
M. Jean-Pierre Masseret. Le Premier ministre s’est exprimé. Tous les projets de loi sont connus. Faisons donc en sorte que la posture politicienne ne devienne pas une imposture démocratique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Les nouvelles régions répondront aux exigences du temps et aux attentes de nos concitoyens à travers deux thématiques : l’efficacité et la proximité. Efficacité et proximité seront au rendez-vous de la réforme.
M. François Grosdidier. Oh non !
M. Jean-Pierre Masseret. L’enjeu principal de la réforme, monsieur Grosdidier, est la croissance et l’emploi. L’efficacité sera au rendez-vous, grâce aux compétences reçues par les régions.
Il faudra, demain, définir un cap, une doctrine, des objectifs, une méthode, des moyens et des outils pour les territoires.
Fixer un cap, c’est se demander comment inscrire nos régions dans la compétition réelle de l’économie du XXIe siècle.
Définir une doctrine, c’est s’interroger sur la manière de valoriser nos potentiels sur notre territoire afin de permettre le développement économique, la croissance et l’emploi. (Mme Catherine Troendlé acquiesce.)
Les objectifs seront bien sûr déterminés selon les territoires, en fonction de leurs spécificités. Mais certains seront communs : transition énergétique, société numérique, qualité de la formation, champ de l’innovation.
La méthode, elle, consistera en une co-construction avec les différents territoires de vie qui composeront ces nouvelles régions.
Nous aurons donc tout à fait la capacité d’arrêter une stratégie ayant du sens et de la cohérence, ainsi qu’une méthode nous permettant de coordonner et de mutualiser les moyens et de définir les champs d’action qui nous paraissent les plus importants sur nos territoires, avec les outils que le Gouvernement mettra à notre disposition et les moyens qui viendront,…
Mme Catherine Troendlé. Les moyens ? Parlons-en !
M. Jean-Pierre Masseret. … puisque le Premier ministre, hier, s’est engagé à doter les régions de ressources dynamiques, évoluant en fonction des réalités économiques de nos bassins de développement.
M. René-Paul Savary. Dans ce cas, pourquoi abandonner la taxe poids lourds ?
M. Jean-Pierre Masseret. J’ajoute que la dimension européenne pourra être prise en considération.
On a dit hier que la taille ne faisait pas la puissance ; mais la taille des régions, notamment par leur poids démographique, ne saurait être ignorée. Si vous êtes à la tête d’une région de 5 millions ou 6 millions d’habitants, le rapport de force que vous pourrez établir avec le Gouvernement sera autrement plus favorable qu’avec 2 millions d’habitants. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Et que constatez-vous aujourd’hui s’agissant des moyens affectés aux régions dans les domaines de l’innovation, de la croissance ou des programmes d’investissements d’avenir ? Que les moyens sont d’abord attribués aux grandes régions.
Mme Catherine Troendlé. Pas du tout ! Voyez l’Alsace !
M. Jean-Pierre Masseret. Le poids démographique permettra donc de rééquilibrer les moyens alloués par l’État et d’assurer une plus grande solidarité territoriale et une meilleure efficacité des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Prenez en considération cette réalité des rapports de force politiques, s’il vous plaît !
Voilà pourquoi le statu quo que certaines régions réclament me paraît aller à contre-courant.
J’en viens à la question de la proximité. On nous dit que l’extension du périmètre des territoires éloigne le citoyen des centres de décision. Je réponds que ce n’est jamais l’institution en tant que telle et encore moins son nom qui font la proximité, c’est son organisation opérationnelle.
Et vous verrez que, mécaniquement – car c’est une question de physique, de mécanique (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) –,…
M. Louis Pinton. C’est une question humaine !
M. Jean-Pierre Masseret. … l’extension du périmètre des régions entraînera la territorialisation des politiques publiques : les modalités opérationnelles seront définies à partir des objectifs stratégiques fixés pour chaque territoire ou chaque bassin de vie.
Ainsi, nous pourrons même remettre en mouvement la démocratie sociale, avec les branches professionnelles, les organisations syndicales et les citoyens eux-mêmes, qu’ils soient représentés ou non par des associations.
Ce changement ne dépendra pas de la technique administrative, mais de la seule volonté politique. On verra alors qu’il y a une vraie différence entre le camp du progrès et le camp du conservatisme et de l’immobilisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Cette opposition deviendra évidente parce que personne ne pourra interférer avec les décisions politiques qui seront prises par les élus sur les territoires.
M. Ladislas Poniatowski. Charabia !
M. Jean-Pierre Masseret. Vous verrez bien, alors, que ce que je dis est vrai ! Pour réaliser vos objectifs stratégiques, il faudra introduire de l’opérationnalité sur les territoires.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Et les moyens ?
M. Jean-Pierre Masseret. S’il vous plaît, mes chers collègues, gardez votre calme !
M. Jean-François Husson. Nous sommes zen et sereins !
M. Jean-Pierre Masseret. Patience ! Nous verrons bien comment évolueront nos territoires et, je le répète, la différence que j’ai pointée apparaîtra clairement.
Le Gouvernement nous invite à être au rendez-vous de la refondation de la République sur nos territoires. Il nous propose des clés : il nous appartient de les saisir, de leur donner du sens et de l’efficacité dans les champs de l’économique, du social, de l’humain.
C’est un projet qui correspond fondamentalement aux exigences de notre temps, à la nécessité de s’ouvrir sur le monde et d’adapter nos outils aux défis contemporains, car nous sommes capables de les relever !
Cette réforme vise à assurer un meilleur fonctionnement de la République sur nos territoires. On peut trouver tous les prétextes politiciens pour ne pas la prendre en considération. Pour sa part, le groupe socialiste la votera, non pas pour faire plaisir au Gouvernement, que nous soutenons par ailleurs, mais parce que nous sommes persuadés que c’est la bonne voie pour répondre aux préoccupations essentielles de notre temps : la croissance, l’emploi et l’humain à l’échelle de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Franchement, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, comment peut-on se moquer autant du monde ? Je parle du bonneteau régional et des palinodies sur le calendrier électoral,…
M. Jacques Mézard. Excellent !
M. Pierre-Yves Collombat. … qui sont l’objet de ce texte.
Souvenez-vous, mes chers collègues ! Jusqu’en juillet de cette année, les prochaines élections cantonales et régionales devaient se dérouler le même jour – il paraît que c’est le remède souverain contre l’absentéisme ! –, en mars 2015. Au terme de la première lecture du texte, leur date était reculée à décembre 2015. Deux mois plus tard, le Premier ministre changeait d’avis : retour à mars 2015 pour les élections cantonales et maintien des élections régionales en décembre 2015.
Une sénatrice du groupe UDI-UC. C’est le tango argentin ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Pierre-Yves Collombat. La lutte contre l’absentéisme devra attendre mars 2020, quand prendront fin les mandats départementaux de cinq ans et les mandats régionaux de quatre ans et trois mois…
Visiblement, la durée des mandats est devenue la variable d’ajustement des poussées de fièvre réformatrice.
Pour faire bonne mesure, les « binômes » candidats aux élections départementales dans des circonscriptions toutes nouvelles n’auront qu’une vague idée du rôle des conseils départementaux dégradables auxquels ils aspirent à être élus. (M. Bruno Sido s’esclaffe.)
Du grand n’importe quoi, donc, auquel notre commission spéciale a prêté la main, sa majorité n’étant probablement pas fâchée à la perspective de deux défaites successives de la gauche plutôt qu’une seule le même jour. On la comprend !
Qu’est-ce qui peut bien justifier un tel chamboulement qui, même s’il devait porter des fruits à terme – ce qui est loin d’être prouvé –, va paralyser les administrations régionales, focalisées sur leurs restructurations au moment même où elles devraient l’être contre la crise ?
M. André Reichardt. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Selon l’exposé des motifs, le présent projet de loi « se fonde sur la nécessité d’améliorer la gouvernance territoriale ainsi que l’efficacité et l’efficience des politiques publiques mises en œuvre dans les territoires ». Il y est précisé : « Cette volonté se traduit par un renforcement de l’échelon régional en clarifiant les compétences des régions mais aussi en donnant à ces dernières une taille critique sur le plan géographique, démographique et économique. »
Selon l’étude d’impact, il s’agit, en outre, d’appuyer le redressement financier et économique du pays « sur une réforme structurelle renforçant l’efficacité de l’action des collectivités territoriales ». On nous a suffisamment asséné cette idée pour que je n’insiste pas !
Le problème, c’est que nos brillants réformateurs sont bien incapables de nous expliquer le lien entre le redressement national et l’augmentation de la taille des régions. Ce n’est pas en répétant tous les quarts d’heure qu’un tel lien existe que son existence sera démontrée !
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Si l’Île-de-France représente 44 % du PIB du pays, avec seulement 20 % de sa population, elle ne le doit pas à sa taille. Elle le doit, pour partie, au mode de calcul du PIB – assez intéressant, d’ailleurs… –, aux ressources financières qu’elle tire de la centralisation nationale et aux modes de calcul des dotations d’État. Elle le doit à sa position, le carrefour national étant devenu mondial, position évidemment non transposable ailleurs.
L’Alsace, avec 1,857 million d’habitants, a le même PIB par habitant que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui compte près de 5 millions d’habitants. La Corse, dont le PIB par habitant est équivalent à celui de Nord-Pas-de-Calais, est 12,7 fois moins peuplée.
En un mot, il n’y a pas de lien entre la taille des régions et leur dynamisme économique mesuré par le PIB par habitant.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Penser en termes de moyennes régionales à l’échelle d’un pays, ce qu’on fait quand on compare la France à l’Allemagne, n’a strictement aucun sens.
Même la bureaucratie libérale a des doutes sur la portée de cette chirurgie régionale. Ainsi, la dernière note de l’OCDE consacrée aux réformes structurelles françaises, publiée en octobre 2014, nous apprend que « le nouveau dessin de la carte régionale ne peut encore être évalué, d’autant que l’allocation des compétences n’est pas encore connue ».
Autrement dit, on est bien incapable d’évaluer l’effet de la réforme régionale sur la dynamique économique et la compétitivité française !
À part ça, l’étude d’impact du projet de loi est tout à fait satisfaisante… Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs confirmé.
L’incidence du redécoupage peut d’autant moins être évaluée que, comme cela a été souligné plusieurs fois, on a mis la charrue avant les bœufs, la forme du contenant avant la définition du contenu : compétences, rôles et moyens financiers des nouvelles régions, par ailleurs mises à contribution dans la course à l’équilibre budgétaire de l’État. Telle est, apparemment, la philosophie politique du Gouvernement.
Or mettre en place une dizaine de régions aux compétences strictement « stratégiques », comme le proposait le rapport Krattinger-Raffarin, n’a rien à voir avec treize ou quatorze régions qui s’occuperont des collèges, répareront les routes ou géreront les offices de tourisme.
MM. André Reichardt et René-Paul Savary. Tout à fait !
M. Pierre-Yves Collombat. « Aujourd’hui, nous avons une carte, ce qui veut dire que, demain, nous aurons une réforme », a prédit, visiblement soulagé, le ministre de l’intérieur sur Europe 1 le lendemain du vote de la première lecture du projet à l’Assemblée nationale. Tout est dit : on annonce une réforme spectaculaire – la réduction du nombre de régions, ce qui sonne bien pour Bruxelles – et après… on voit !
En réalité, c’est la notion même de « taille régionale critique » qui est contestable. En effet, la dynamique économique d’un territoire dépend bien plus de réseaux d’entreprises dépassant largement la maille locale, quelle que soit sa taille, et de ses débouchés extérieurs que de politiques publiques aux moyens financiers par ailleurs anémiés.
Quant à expliquer comment le rattachement du Cantal à la région Rhône-Alpes ou celui de la Creuse à la région Aquitaine dynamisera ces territoires, je ne m’y risquerai pas !
Même en Allemagne, d’où est censée venir la lumière, les Länder sont de tailles très disparates, comme cela a été rappelé. Le Land de Bavière, le plus grand, est vingt et une fois plus peuplé que le Land de Brême, le plus petit, dont le PIB est seize fois et demie inférieur à celui de la Bavière. Je pourrais multiplier les exemples. Visiblement, le succès économique allemand – au reste moins assuré qu’on ne le croit – ne doit rien à une quelconque « taille critique » des collectivités territoriales de ce pays.
On aura compris que la finalité de ce texte, comme de ceux qui vont avec, n’est aucunement l’amélioration de l’efficacité de notre administration territoriale. Sa finalité, c’est d’envoyer un message d’allégeance à Bruxelles, à Berlin et aux lobbys libéraux qui font l’opinion.
D’où la désinvolture avec laquelle le Gouvernement accueille toutes les objections de bon sens que le Sénat peut lui faire : il n’est pas le vrai destinataire du message. Rendez-vous donc en mars 2015 ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme territoriale n’est pas nécessaire, elle est indispensable !
Nous sommes tous d’accord dans cette assemblée, et les orateurs précédents l’ont rappelé, pour constater que notre pays est en crise et que les réformes sont urgentes.
Parmi les grands chantiers à engager ou à poursuivre, figure bien évidemment la refonte de notre organisation territoriale, qui devra, pour réussir, intégrer une réforme en profondeur de « l’État territorial ». Ce n’est pas le cas aujourd’hui ; je le regrette et je souhaite que, au Sénat, nous travaillions à formuler des propositions en ce sens.
Mais revenons au sujet qui nous intéresse directement ici et qui suscite de vives crispations : la réforme des collectivités territoriales.
Loin des clivages partisans et des intérêts personnels, je crois que la situation du pays exige que nous soyons solidaires. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, l’avancement des travaux en seconde lecture au sein de la commission spéciale du Sénat, témoigne de la volonté collective de proposer un texte répondant à l’intérêt général.
Aussi, je voudrais saluer le travail de notre commission, qui est à la hauteur des enjeux de cette réforme. C’est le fruit d’une tâche réalisée dans un climat apaisé, parce qu’il y va de ce qui nous unit tous ici : la France.
L’objectif du Gouvernement est de réduire le nombre de régions, et tous les groupes de cette assemblée se sont associés pour œuvrer en vue de dégager des solutions constructives.
La sagesse du Sénat et son esprit républicain, que nous devons incarner, ont permis de tendre vers un équilibre pragmatique entre le besoin d’efficacité et de progrès au service de la Nation, d'une part, et le besoin de prise en compte de la richesse et de la diversité de nos territoires, d'autre part.
Ce nouveau visage de la France des régions est le premier maillon de la réforme, et je souhaite, mes chers collègues, que les propositions de la commission spéciale soient suivies lors de nos débats en séance publique.
M. Bruno Sido. On verra !
M. Claude Kern. Je le souhaite pour les raisons que je viens d’évoquer, mais aussi pour des raisons particulières, qui tiennent à la région que je représente ici, avec quelques collègues : l’Alsace.
Notre position n’est en aucun cas une position de rejet des régions voisines. Certes, l’Alsace est un territoire avec une identité forte, qui présente une cohérence à la fois historique, culturelle et économique.
Cette cohérence, associée à la démarche consistant à créer un conseil d’Alsace unique pour une meilleure efficacité, a été entendue par la commission spéciale puisque nous avons pu faire adopter, avec le soutien de notre rapporteur, des amendements tendant à préserver le périmètre actuel de notre région.
C’est une étape importante, pour l’Alsace et pour l’ensemble des régions françaises, car ce premier projet, relatif à la délimitation des régions, est bien le début d’un processus dont l’aboutissement sera la « nouvelle organisation territoriale de la République ».
Cette nouvelle organisation sera encore plus impérieuse demain puisque, au travers du renforcement des compétences des régions, elle soutiendra la puissance et le rayonnement nécessaires à nos territoires pour rivaliser avec les grandes régions européennes.
En effet, si nous voulons donner à notre pays des chances de redevenir une puissance économique de premier plan, nous devons doter nos régions de véritables moyens pour se battre à armes égales dans la compétition internationale.
Il y va de la prospérité et de la croissance, que nos territoires doivent retrouver. Il y va de la création d’entreprises et d’emplois. Il y va de la promotion des filières d’avenir. Il y va du développement de notre tissu économique, notamment des entreprises de taille intermédiaire. En voisins de l’Allemagne, nous savons que la force de ce pays réside dans sa capacité réactive d’exportation grâce à son Mittelstand, c’est-à dire les ETI, et les PME.
Je veux ici rassurer certains de mes collègues, qui manifestent régulièrement contre cette « obsession » des germanophiles. Loin de moi l’idée de vouloir reproduire le modèle allemand, mais je crois qu’il est utile de l’étudier et de s’en inspirer.
Nos territoires français sont riches de leurs diversités et présentent un immense potentiel. Appuyons-nous sur eux et faisons-leur confiance, donnons-leur les moyens de s’exprimer.
La réforme de l’organisation territoriale, la clarification des compétences des collectivités sont indispensables pour redonner à la France une attractivité et un dimensionnement économique à la hauteur des ambitions de nos concitoyens.
Car tel est bien l’enjeu de la gouvernance renouvelée des territoires, une gouvernance qui doit s’appuyer, à mon sens, sur le trio région, département, bloc communal.
Je souhaite insister tout particulièrement sur le « bloc communal », car je crois que les communes et les intercommunalités doivent prendre toute leur place dans cette réforme : la commune, comme socle de la démocratie de proximité, doit conserver son rôle clé ; l’intercommunalité, comme appui au développement des territoires, doit être renforcée.
Sur ce point, c’est une intercommunalité cohérente, assise sur les bassins de vie et non sur un critère unique de population, qui sera l’interlocuteur pertinent de régions puissantes.
Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez autant que nous, l’intercommunalité, pour être efficace, doit relever d’une démarche volontaire des communes, et en aucun cas d’un mariage forcé.
Mais nous aurons tout le loisir de débattre de ces questions lors de la première lecture du second volet de la réforme territoriale, annoncée pour début décembre.
En commission, sur ce texte relatif au redécoupage des régions, nous avons su trouver, par la sagesse, les ressources nécessaires pour faire émerger des équilibres stables dans le but de poser le premier jalon.
Le texte que nous adopterons ici, j’en suis persuadé, ouvrira la voie au second jalon que les territoires de la République attendent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)