Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très juste !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Leleux. En effet, dans toutes les instances démocratiques de décision, on constate, sous l’effet de cette doctrine, que, progressivement, la représentation des territoires ruraux – moins peuplés – se réduit comme peau de chagrin, au profit de celle, de plus en plus forte, des élus de la ville.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui, c'est insupportable !
M. Jean-Pierre Leleux. Je n’hésite pas à dire que, en toute légalité, un véritable rouleau compresseur est en train d’écraser la réalité rurale dans nos instances ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
C’est une véritable fracture entre territoires urbains et territoires ruraux que l’application de plus en plus stricte de cette doctrine est en train d’organiser. Cette fracture est une vraie rupture dans la tradition de notre pays, tradition faite d’un équilibre harmonieux entre le rural et l’urbain, qui se complètent et se nourrissent l’un l’autre.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C'est le cas de le dire !
M. Jean-Pierre Leleux. La France, sans expression rurale, ne sera plus la France !
Qui exprimera la voix de la ruralité dans les communautés de communes ou d’agglomération quand les critères démographiques écraseront la faculté d’expression des communes rurales ?
Qui exprimera la voix de la ruralité dans des conseils départementaux dont les membres, élus de cantons délimités à l’aune de moyennes départementales démographiques, ne pourront émerger que de la majoritaire partie urbaine des départements ?
Qui exprimera la voix de la ruralité dans les conseils régionaux élus au scrutin de liste à la proportionnelle, listes qui seront constituées essentiellement de candidats urbains, aux fins d’efficacité électorale ?
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Jean-Pierre Leleux. Qui, enfin, exprimera encore la voix de la ruralité dans un Sénat lui aussi de plus en plus élu au scrutin de liste, à la merci du bon vouloir d’appareils politiques…
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Leleux. … privilégiant, là aussi par souci d’efficacité électorale, des candidats urbains ? D'ailleurs, pour ce mode de scrutin, le quota de délégués grands électeurs supplémentaires a été récemment majoré pour les communes les plus peuplées. Comme vous le savez, on est passé d’un délégué supplémentaire pour 1 000 habitants à un délégué supplémentaire pour 800 habitants, ce qui accroît encore la puissance de feu de la France urbaine.
N’y aurait-il pas, dans notre société, d’autres critères que celui du nombre d’habitants, qui pourraient, reflétant d’autres richesses des territoires, figurer parmi ceux déterminant la représentation dans les instances décisionnaires ? Je pense aux grands espaces, je pense à la montagne, je pense aux ressources en eau, je pense aux forêts, je pense à l’agriculture, je pense à la chlorophylle… Autant d’éléments qui pourraient être pris en compte !
Durant la récente campagne électorale, j’ai entendu les élus des petites communes pousser ce cri avec force et insistance.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Leleux. Le Sénat, qui est tout de même le représentant des territoires, saura-t-il l’entendre lui aussi et en tenir compte ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vingt-cinquième convention nationale de l’intercommunalité s’est tenue les 9 et 10 octobre dernier à Lille, en présence du Premier ministre.
M. Jean-François Husson. Chez Mme Aubry ?
M. René Vandierendonck. En effet, mon cher collègue, ils ont même déjeuné ensemble ! (Sourires.) À cette occasion a eu lieu la passation de pouvoir entre Daniel Delaveau, ancien président de l’AdCF, auquel je rends hommage, et Charles-Éric Lemaignen, qui lui a succédé.
La question qui nous occupe aujourd'hui était véritablement au cœur des préoccupations du millier d’élus rassemblés ce jour-là. Comme l’a rappelé tout à l’heure Mme la rapporteur, 10 % des intercommunalités sont déjà directement concernées par la décision du Conseil constitutionnel et doivent, en conséquence, procéder à une nouvelle répartition entre les communes des sièges au conseil communautaire. Par ailleurs, 21 % des EPCI sont susceptibles de l’être également à court terme, en raison de procédures en cours touchant à l’annulation d’élections locales ou de l’organisation de nouvelles élections partielles à la suite de la démission de maires ou de conseillers municipaux.
Outre le fait que cette décision risque de remettre en cause les équilibres politiques locaux et, surtout, les conditions de l’adhésion à des projets de territoire, elle intervient dans un contexte de renforcement de l’intercommunalité qui constitue une des dimensions essentielles de la réforme territoriale. Le développement intercommunal a été d’une ampleur considérable sur une période très courte, même avec un seuil minimal de population actuellement fixé à 5 000 habitants.
Un accord local a été conclu dans environ 90 % des 1 903 communautés de communes, qui regroupent 31 246 communes. Un tel accord ne traduit pas simplement, de façon arithmétique, la répartition de la population de l’EPCI entre les différentes communes membres ; il constitue aussi un accord de gouvernance, symbolisant une adhésion partagée à un projet de territoire.
Je remercie vivement Alain Richard et Jean-Pierre Sueur d’avoir déposé avec une réactivité tout à fait remarquable, un mois après la décision du Conseil constitutionnel, une proposition de loi dont les dispositions permettront, en tenant compte de la jurisprudence de ce dernier, d’établir un mode de gouvernance approprié pour les intercommunalités, dans le respect des prérogatives des maires et des projets de territoire.
Monsieur Dupont, j’accepte volontiers la perspective d’une réforme constitutionnelle, mais il n’en est pas moins nécessaire de réagir immédiatement, d’autant que l’article 14 du projet de loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République prévoit de relever le seuil minimal de population des EPCI de 5 000 à 20 000 habitants dans le cadre des futurs schémas départementaux. (Mme la rapporteur approuve.) J’attire l’attention sur ce point, sans préjuger du travail que le Parlement effectuera dans les prochaines semaines.
Sur cette question, le 9 octobre dernier, à Lille, Olivier Dussopt, rapporteur du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles à l’Assemblée nationale et président de l’Association des petites villes de France, prenant l’exemple de son département, l’Ardèche, a expliqué que l’application de cette disposition conduirait à la création d’intercommunalités regroupant plus de 200 communes !
Certes, le travail parlementaire permettra sans doute de revenir à la raison, mais il est bien évident que, pour des intercommunalités de cette taille, il devient absolument essentiel de pouvoir conclure des accords locaux. (Marques d’approbation sur diverses travées.) En outre, les critères posés par le Conseil constitutionnel devront nécessairement – je le dis avec beaucoup de respect pour cette institution – faire l’objet d’adaptations et pouvoir être assouplis. Sinon, je ne vois pas comment des accords locaux seront possibles. Or, sans accord local, il n’y a pas de projet de territoire, et sans projet de territoire, il n’y a pas d’intercommunalité.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Absolument !
M. René Vandierendonck. Je me félicite du caractère non hémiplégique du travail mené par la commission des lois et de l’unanimité qui s’est fait jour. Nous aimerions avoir un jour l’occasion d’échanger, dans le respect de la séparation des pouvoirs, avec le Conseil constitutionnel lui-même, afin qu’il puisse appréhender la place essentielle que tient sa jurisprudence dans la construction des accords locaux, surtout au regard de l’article 14 du projet de loi NOTRe tendant à relever à 20 000 habitants le seuil minimal de population. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de MM. Alain Richard et Jean-Pierre Sueur est accueillie très positivement par tous les élus et leurs associations, après la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin dernier faisant suite à la question prioritaire de constitutionnalité posée par la commune de Salbris. Je remercie les deux auteurs de ce texte de leur initiative.
Cela a été dit et redit, le Conseil constitutionnel a déclaré que, de manière générale, conclure un accord local était désormais impossible pour définir la répartition des sièges au sein de l’organe délibérant entre les communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération.
Les dispositions portant sur ces accords locaux avaient donné lieu à de nombreux débats lors des différentes lectures, en 2010, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Nous avions passé beaucoup de temps sur ce sujet, et nous étions parvenus, me semble-t-il, à une solution équilibrée, le principe de base étant que chaque commune dispose d’au moins un siège et qu’aucune ne peut détenir plus de la moitié des sièges.
Sachant que 90 % des intercommunalités ont choisi l’accord local, on mesure les conséquences très importantes que pourrait avoir la décision du Conseil constitutionnel.
À Salbris, est arrivé ce que je craignais qu’il arrivât, comme je l’avais dit en commission des lois. Monsieur Leleux, je comprends bien votre position, mais mon département, le Loir-et-Cher, est bien plus rural que les Alpes-Maritimes !
M. Jean-Pierre Leleux. À voir !
Mme Jacqueline Gourault. Je suis convaincue qu’il faut éviter d’opposer le rural et l’urbain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Joyandet. Ce n’est pas ce que l’on fait !
Mme Jacqueline Gourault. Si vous le voulez, mes chers collègues, je vais organiser un déplacement à Salbris ! Il s’agit d’une commune de taille assez modeste, comptant un peu plus de 6 000 habitants, qui est le cœur de la communauté de communes Sologne des rivières. Pour des questions de personnes, bien davantage que pour des raisons politiques, la ville-centre de Salbris, qui regroupe 49 % de la population de l’intercommunalité, s’est vu imposer par les autres communes une répartition des sièges au conseil communautaire manifestement disproportionnée, puisqu’elle n’en détient que sept sur vingt-trois. En effet, les villages entourant Salbris ont le dernier mot, dans la mesure où ils représentent plus des deux tiers des communes de l’intercommunalité et plus de 50 % de la population de celle-ci. Je rappelle que l’on a fait sauter le verrou qui permettait autrefois à la ville-centre de s’opposer à la volonté des autres communes.
C’est une communauté de communes de la ruralité profonde qui se bat, qui a déjà perdu des sites de GIAT Industries et de Matra et qui perdra dans quelques mois son dernier régiment. Il ne s’agit donc pas ici d’une opposition entre le rural et l’urbain. Simplement, en raison de la mésentente d’hommes et de femmes et de la règle de la majorité qualifiée, la ville-centre de la communauté de communes s’est vu imposer une sous-représentation manifeste au sein du conseil communautaire.
Il faut bien sûr se réjouir du dépôt de cette proposition de loi. Monsieur le ministre, vous avez indiqué que, dans sa sagesse, le Conseil constitutionnel n’imposait pas à toutes les communautés de communes ou d’agglomération d’abroger immédiatement les accords locaux. Dieu soit loué ! Mais on aurait pu imaginer qu’il exige de la communauté de communes Sologne des rivières une nouvelle répartition des sièges au conseil communautaire, sans appliquer cette décision à d’autres intercommunalités, alors que, malheureusement, elle s’imposera en cas de contentieux en cours concernant la composition d’une assemblée communautaire ou de renouvellement partiel ou intégral du conseil municipal d’au moins une commune membre de l’EPCI.
Je rappelle en outre, même si cela a déjà été dit plusieurs fois, que depuis le 23 juin 2014 toute communauté de communes nouvellement créée – par création ex nihilo, par fusion de communautés de communes, par extension de périmètre ou par transformation-extension – est contrainte de respecter la décision du Conseil constitutionnel : il ne peut plus y avoir d’accord local ; c’est le tableau qui s’impose.
Monsieur le ministre, nous allons bientôt discuter de l’intercommunalité – j’en suis une partisane –, de son importance dans notre pays. À cette occasion, nous reviendrons sur le minimum de population requis pour créer une intercommunalité. Dès lors, cette proposition de loi revêt évidemment une importance majeure en ce qu’un certain nombre de fusions futures, pour être effectives, même si le seuil de 20 000 habitants n’est pas nécessairement atteint, devront se soumettre aux règles définies à la suite de la décision du Conseil constitutionnel. Celle-ci constitue donc un frein à toute évolution de l’intercommunalité.
En conclusion, je remercie à nouveau nos collègues. Bien sûr, ainsi que Jean-Léonce Dupont l’a déjà indiqué, nous voterons cette proposition de loi avec enthousiasme. Mais il faut veiller à bien la « border » pour que le Conseil constitutionnel n’y trouve rien à redire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous pourrons tous convenir de la difficulté que représente, pour les héritiers d’une France jacobine et napoléonienne, la réforme territoriale. Mais chacun d’entre nous sera en même temps d’accord pour souligner la nécessité de procéder à une telle réforme.
Par-delà les mots, par-delà les intentions ou les volontés, voire par-delà les nécessités, il y a des réalités géographiques, des réalités démographiques, mais aussi des réalités économiques et politiques.
Dans la France d’aujourd’hui, un territoire ne s’apparente en rien au no man’s land de la conquête de l’Ouest. C’est un espace de vie, souvent doté d’une identité culturelle, réelle ou fantasmée, mais en toute hypothèse présente dans l’inconscient collectif.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Alain Milon. La structure de cet édifice, dont les différentes strates se sont sédimentées au fil des ans, au fil des siècles, rend tout ajustement et a fortiori tout changement délicats. Il suscite émoi, parfois même rejet.
Au-delà de l’apparence d’une simplification purement administrative et institutionnelle, il existe une dimension humaine et psychologique qu’il ne faut surtout pas négliger.
À l’heure où nous procédons à l’examen de cette proposition de loi autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération, il convient de rappeler quelques éléments de contexte, même si d’autres collègues l’ont fort bien fait avant moi.
Cette proposition de loi déposée par nos collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur résulte de la désormais fameuse décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 consécutive au recours introduit par la commune de Salbris et qui a donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité.
Dans cette décision, les juges de la rue de Montpensier ont estimé – après avoir affirmé le contraire quelques mois auparavant – que « l’accord local » en matière de répartition des sièges au conseil communautaire était contraire à la Constitution et qu’en cas d’instance en cours ou de renouvellement d’un conseil municipal d’une commune membre d’une intercommunalité, la déclaration d’inconstitutionnalité s’appliquait.
La motivation principale de cette abrogation repose sur l’absence de critère de proportionnalité à l’alinéa 2, paragraphe 1, de l’article L. 5211–6–1 du code général des collectivités territoriales.
Cette décision, qui nous impose de nous remettre aujourd’hui sur l’ouvrage législatif « accord local », engendre, je le crains, autant de questions que de solutions à des situations d’inégalité.
En effet, le Conseil constitutionnel appuie son argumentation pour déclarer inconstitutionnel l’accord local sur la base de la méconnaissance du principe d’égalité devant le suffrage.
Si l’on ne peut que se féliciter de voir prévaloir ce principe, force est de s’interroger sur la façon dont celui-ci va être appliqué à la suite de la décision du 20 juin dernier.
En effet, celle-ci pose clairement la question du traitement différencié des élus. Des élus communautaires élus au suffrage universel direct en mars dernier seront déchus de leur mandat dans l’hypothèse où leur commune verrait le nombre de ses représentants au conseil communautaire diminuer. À l’inverse, d’autres représentants communautaires seront issus non pas du suffrage universel direct en qualité de conseiller communautaire, mais d’une élection au sein de leur conseil municipal. Enfin, certaines communes verront le nombre de leurs représentants demeurer identique.
Ainsi, au sein d’un même EPCI, sur un territoire limité, trois types d’élus cohabiteraient. Ne peut-on alors s’interroger sur le respect de l’égalité de traitement entre élus ?
Qu’en est-il, par ailleurs, de l’égalité entre les intercommunalités qui vont conserver durant toute leur mandature la même composition communautaire et celles dont la composition se trouvera modifiée en cours de mandature ?
Question d’égalité, question de légitimité, question de sécurité juridique…
En vertu de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution, le Conseil constitutionnel a opté pour une mise en œuvre différenciée de sa décision, au nom de « l’effet utile de la déclaration d’inconstitutionnalité à la solution des instances en cours » et « de la garantie du respect du principe d’égalité devant le suffrage pour les élections à venir ».
N’est-ce pas ajouter de l’insécurité juridique et politique dans un paysage institutionnel déjà bien perturbé ?
Je crains, pour dire les choses gentiment, que les neuf Sages n’aient pas pris la juste mesure des effets de leur décision.
Dans le département de Vaucluse, petit département s’il en est, deux intercommunalités sont déjà concernées : la communauté d’agglomération du Grand Avignon – 200 000 habitants – et la communauté de communes des pays de Rhône et Ouvèze – 75 000 habitants –, que je préside. Dans le premier cas, c’est une élection municipale – celle du Pontet – qui a été annulée ; dans le second, un recours formé par le maire d’Orange est en instance.
Il me semble en outre que cette décision ignore d’autres critères que la démographie et sa proportionnalité. Mes chers collègues, si la population doit être un critère, il ne saurait faire abstraction du respect des « petites communes » et de la ruralité ; il ne saurait faire abstraction de l’apport de richesse dans la corbeille de la mariée !
La solidarité sur un territoire ne se mesure pas uniquement au nombre d’habitants. Imposer une représentation fondée essentiellement sur ce critère, nécessairement au profit des grosses communes, revient à sanctuariser l’opposition urbain-rural sur des territoires « rurbains ».
C’est d’ailleurs cette approche qui a longtemps prévalu et qui, me semble-t-il, prévaut toujours pour les élections municipales : la représentativité est inversement proportionnelle à la population.
S’il convient effectivement de respecter la progressivité, il convient aussi d’intégrer la richesse fiscale et économique des communes. Ne pas prendre en considération ces données, ne pas accorder une représentation « majorée » aux petites communes exacerbe la méfiance à l’égard de l’intercommunalité et le sentiment de dépouillement sans contrepartie.
À l’inverse, je sais que les communes centres éprouvent le sentiment de supporter lourdement les charges de centralité – je suis moi-même le maire de la commune centre de l’intercommunalité. À défaut de résoudre cette équation, il nous incombe d’entendre les positions de chacun,…
Mme Jacqueline Gourault. Eh oui !
M. Alain Milon. … il nous incombe de respecter la démocratie dans sa double composante : démographique, d’une part, et territoriale, d’autre part.
En notre qualité de sénateurs représentant les territoires, il n’était pas incongru que nous ayons en son temps défendu l’accord local.
Pour cette raison, je me réjouis de la proposition de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard, qui redonne un fondement aux accords locaux tout en les encadrant.
Néanmoins, cette proposition de loi n’apporte pas de réponse précise à la question de savoir dans quel délai une nouvelle composition du conseil communautaire conforme à cette décision du Conseil constitutionnel doit entrer en vigueur.
Cette question doit donc, de toute évidence, faire l’objet d’un traitement législatif, étant entendu que les préfets ont d’ores et déjà reçu instruction d’édicter rapidement de nouveaux arrêtés de composition des conseils communautaires, souvent avant même que les arrêtés en cours n’aient fait l’objet d’une quelconque annulation.
La Haute Assemblée doit rappeler fermement que de nouveaux arrêtés préfectoraux porteraient atteinte au principe sacré du suffrage universel, en l’espèce à la volonté populaire exprimée lors des élections municipales et communautaires du mois de mars 2014 ; à moins, bien entendu, que celles-ci n’aient fait l’objet d’une contestation.
S’il semble logique que des opérations électorales contestées – et pendantes devant le juge administratif – donnent lieu à censure du tribunal administratif ou du Conseil d’État au vu de la décision du Conseil constitutionnel, il est acquis que, dans le cas contraire, on ne saurait permettre l’édiction d’un nouvel arrêté préfectoral jusqu’au prochain renouvellement général des élections municipales et communautaires sans mettre en péril le suffrage universel.
C’est pourquoi j’ai déposé un amendement tendant à garantir la sécurité juridique des élections municipales et communautaires organisées en application de la loi du 17 mai 2013, leur conférant un caractère politique et consacrant le suffrage universel.
Telles sont les observations que je souhaitais vous faire et telle est la proposition que le groupe UMP a entendu vous soumettre, mes chers collègues.
La discussion d’aujourd’hui montre combien le droit est une co-construction et une matière en évolution permanente. S’il est important que le droit s’adapte aux évolutions de la société, voire les anticipe, il doit également apporter une sécurité, garantir une certaine permanence.
Sans remettre en cause la légitimité du Conseil constitutionnel ni le bien-fondé de la mise en œuvre des questions prioritaires de constitutionnalité, je pense qu’il faudra apprendre à gérer, à utiliser ces nouvelles armes. Nous sommes dans une société où l’exigence de transparence n’a d’égal que la suspicion qui entoure tout détenteur d’un pouvoir.
Le juge constitutionnel devient, dans ce contexte, l’unique garant de la démocratie contre les représentants que le peuple a élus… Le peuple, les élus eux-mêmes remettent entre les mains des neuf Sages les destinées de la démocratie ! Ce paradoxe doit nous conduire à nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec le suffrage universel et sur la confiance que nous éprouvons envers les instances qui en sont issues.
La question qui nous intéresse aujourd’hui illustre parfaitement ce rapport complexe entre expertise et élection et exprime vraisemblablement une crise profonde de la représentation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération
Article 1er
Le I de l’article L. 5211–6–1 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« I. – Sans préjudice des dispositions de l’article L. 5212–7, le nombre et la répartition des délégués sont établis :
« a) Soit selon les modalités prévues aux II à VI du présent article ;
« b) Soit, dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération, par accord des deux tiers des conseils municipaux des communes intéressées représentant la moitié de la population totale de celles-ci ou de la moitié des conseils municipaux des communes intéressées représentant les deux tiers de la population totale.
« La répartition fixée par l’accord prévu au b ci-dessus est fonction de la population des communes. Chaque commune dispose d’au moins un siège. Aucune commune ne peut détenir plus de la moitié des sièges. Une commune ne peut ni avoir une représentation supérieure de plus d’un siège à celle qui résulterait de l’application du 1° du IV du présent article, ni recevoir une part des sièges dans le conseil communautaire inférieure à 80 % de sa proportion dans la population totale de la communauté, sauf le cas où ce chiffre lui conférerait la majorité. Si, à l’issue de cette répartition, la représentation d’une commune ayant obtenu un siège en application du 2° du IV est inférieure de plus d’un cinquième à sa part dans la population totale de la communauté, un siège supplémentaire lui est attribué. Le nombre total de sièges répartis en application de l’accord ne peut excéder de plus de 25 % celui qui serait attribué en vertu des III et IV du présent article. »
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l'article.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je salue l’initiative des auteurs de cette proposition de loi.
Il est vrai que la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin dernier a été, dans nos territoires, et notamment dans nos territoires ruraux, un véritable coup de tonnerre.
Je rappelle que, déjà, la loi de décembre 2010 avait été assez mal vécue dans la mesure où elle avait conduit dans de très nombreux cas à réduire le nombre de conseillers communautaires, puis la représentation des petites communes dans les conseils communautaires. C’est pour cette raison que nous avions accueilli avec beaucoup de soulagement les accords dérogatoires initialement prévus par la loi de décembre 2010, puis améliorés dans la proposition de loi de notre collègue Alain Richard, en 2012.
Dans le département de l’Eure, où je suis élu, près de 80 % des intercommunalités avaient conclu de tels accords dérogatoires.
La décision du Conseil constitutionnel est apparue comme extrêmement douloureuse et brutale, car, si elle ne s’applique en principe qu’à la fin de l’actuel mandat municipal, en 2020, les exceptions donnant lieu à une application antérieure, que prévoit cette même décision, vont concerner un nombre non négligeable de cas.
Il en sera notamment ainsi pour les fusions d’intercommunalités, et nous savons tous ici qu’il s’en produira au 1er janvier 2017. De même, la décision devra s’appliquer avant le renouvellement de 2020 en cas d’élections partielles.
Toujours dans le département de l’Eure, cinq intercommunalités ont déjà connu des élections partielles du fait de décès d’élus municipaux. Il convient d’y ajouter trois élections partielles qui vont sans doute survenir du fait d’annulations de scrutins.
On constate donc que, quelques mois seulement après la publication de cette décision, celle-ci va faire évoluer le paysage des conseils communautaires.
Je salue donc l’initiative qui a été prise avec cette proposition de loi, qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, en la respectant, bien sûr, mais en rouvrant la voie à des accords locaux encadrés. Sans doute les futurs accords dérogatoires seront-ils moins confortables et moins favorables aux petites communes, mais, comme on dit dans ma Normandie, c’est « moins pire » que l’application pure et simple de la décision du Conseil constitutionnel.
Si nous voulons aller au-delà, Jean-Léonce Dupont l’a souligné dans la discussion générale, nous devons envisager une modification de la Constitution. Notre groupe compte d’ailleurs déposer une proposition de loi constitutionnelle sur ce sujet.
Cela correspond d'ailleurs tout à fait aux propos qu’a tenus hier, à mon immense satisfaction, le président Gérard Larcher. Arrêtons de prendre uniquement en considération le critère démographique, disait-il en substance, et sachons également tenir compte de celui des territoires. Cela implique, la jurisprudence du Conseil constitutionnel le montre – la décision du 20 juin dernier, mais aussi celles qui concernent les découpages électoraux –, une révision de la Constitution.
Une telle réforme sera utile, nous le constaterons sans doute dans les semaines qui viennent, lorsque nous débattrons du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, avec le seuil minimal de 20 000 habitants qu’il est prévu d’instaurer pour les communautés de communes. Car la situation n’est pas la même selon les territoires !
Je suis évidemment très attaché à ce que l’on puisse aller dans ce sens d’une prise en compte des territoires et, sans attendre le dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle, j’apporterai mon soutien à cet article 1er ainsi qu’à l’ensemble de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)