Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’État a bien évidemment le devoir de protéger les biens des citoyens, mais c’est la protection des personnes qui doit primer. Tel est le message que nous devons adresser, y compris à travers le code pénal.
Ce travail de refonte du droit des peines est donc indispensable. J’ai installé, en mars 2014, une mission dirigée par Bruno Cotte. Actuellement président de chambre à la Cour pénale internationale, ce dernier a été, par le passé, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il s’agit d’un magistrat hors pair, absolument incontestable et incontesté. Avec une douzaine de personnalités – magistrats, avocats, directeurs d’établissement pénitentiaire, universitaires –, il est chargé de réfléchir sur l’échelle des peines, les longues peines, les mesures de sûreté. Cette mission devra remettre son rapport à la fin de 2015 et nous dire s’il y a simplement lieu de modifier notre droit des peines ou si nous devons écrire un code de l’exécution des peines. Elle s’est déjà mise à l’ouvrage et ses conclusions seront susceptibles de nourrir une réforme dense sur le fondement du triptyque amende-contrainte pénale-incarcération.
Avant de conclure, je voudrais encore m’adresser à M. Hyest…
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai l’impression que vous avez seulement exposé votre politique pénale et que vous n’avez retenu qu’un zeste de mon intervention ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en ai fait tout un citronnier, monsieur Hyest ! (Nouveaux sourires. –M. Philippe Bas applaudit.)
M. Mézard, parmi d’autres intervenants, a évoqué l’exécution des peines. Ce sujet est double.
Tout d’abord, il est erroné de dire qu’il existe un stock de peines non exécutées. Ce n’est pas la réalité : il y a un flux de peines.
M. André Reichardt. C’est la même chose !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, ce n’est pas la même chose. M. Bas est d’ailleurs d’accord avec moi.
M. Philippe Bas. Je suis d’accord avec mon collègue !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les juridictions prononcent des peines tous les jours. Par exemple, en 2012, pour 129 000 peines d’incarcération ferme prononcées, 128 000 environ ont été mises à exécution. Il y a donc une production continue de peines et, parallèlement, une exécution continue des peines, selon un délai moyen de neuf mois, sachant toutefois que, en fait, la moitié des peines sont exécutées en quatre mois et 36 % le sont en un mois. Au passage, permettez-moi de saluer le travail des juges de l’application des peines. Par ailleurs, 74 % des peines sont mises à exécution en douze mois et 83 % en dix-huit mois. Les peines sont donc bien exécutées.
J’en viens au second sujet. Comme vous le savez, la loi pénitentiaire dispose que, pour une peine inférieure à deux années d’incarcération ferme, s’il n’y a pas mandat de dépôt, la peine est susceptible d’être aménagée. C’est non pas une obligation, mais une option, une possibilité. Le juge de l’application des peines doit donc examiner les faits, la personnalité de l’auteur de ceux-ci, les conditions dans lesquelles il peut éventuellement prononcer un aménagement de la peine. Chaque année, 83 000 peines prononcées sont ainsi susceptibles de faire l’objet d’un aménagement, mais cette procédure prend du temps, car le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, puis le juge de l’application des peines, doivent étudier les éléments que j’évoquais avant la prise de décision.
Avec la contrainte pénale, nous échapperons à ces délais, car elle sera exécutoire par provision. Dès le prononcé à l’audience, le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation devra être en mesure de présenter les éléments qui permettront au juge de l’application des peines de prononcer les obligations et interdictions.
Je terminerai avec M. Hyest : chose promise, chose due ! (Sourires.)
Vous nous avez reproché, monsieur Hyest, d’être bavards ; nous ne le sommes pas. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Disons alors que vous avez reproché à la loi d’être bavarde ! (Nouveaux sourires.)
Monsieur Hyest, vous avez indiqué ne pas percevoir la différence entre finalité et fonction de la peine. La finalité de la peine concerne la société et se conçoit à sa hauteur : le corps social doit rappeler l’existence de ce que Durkheim appelait « les états forts et définis de la conscience collective », c’est-à-dire tout un corpus de principes, de valeurs, de règles qui nous permettent de « faire société ». La peine rappelle la gravité de leur transgression. Quant à la fonction de la peine, elle a trait au condamné, dont la réinsertion doit être préparée pendant l’exécution de sa peine. Telle est, monsieur Hyest, la distinction que nous faisons entre finalité et fonction de la peine. Cette fois, j’en ai vraiment terminé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bas, Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer l'efficacité des sanctions pénales (n° 642, 2013-2014).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Philippe Bas, pour la motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la réforme dont nous débattons fait partie de celles dont l’inspiration peut paraître cohérente,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. Philippe Bas. … tandis que, malheureusement, les modalités de sa mise en œuvre se révèlent dangereusement sources de confusion et de contradictions.
Elle repose sur un système de pensée auquel nous ne pouvons adhérer que partiellement, s’agissant d’un domaine particulièrement sensible, celui de la lutte contre la violence et l’insécurité, dans lequel notre société a besoin de fermeté, de détermination et de continuité dans l’action.
Pour les auteurs de ce projet de loi, tout doit être tenté afin d’éviter la prison aux délinquants. Ceux qui ne voudraient pas partager entièrement ce point de vue et seraient tentés de le nuancer sont soupçonnés d’être partisans du « tout carcéral ».
Nous sommes pourtant nombreux à ne vouloir ni du « tout carcéral » ni du « tout sauf la prison », formule qui pourrait résumer la philosophie de ce texte. Notre but principal est non pas de faire dans l’absolu un choix théorique, idéologique ou philosophique entre l’incarcération et les alternatives à l’emprisonnement, mais de permettre aux juges de prononcer et d’exécuter effectivement des peines appropriées à la sanction des crimes et des délits, en ayant la possibilité de recourir à la palette la plus large possible de sanctions, les peines ne s’excluant pas a priori les unes les autres. C’est ainsi que le principe d’individualisation des peines, auquel nous sommes tous attachés, peut recevoir sa pleine application.
Madame le garde des sceaux, vous ne trouverez pas, au sein du groupe UMP, de sénateurs hostiles au développement des peines alternatives à la prison et à l’aménagement des peines.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. Philippe Bas. Je vous rappelle d’ailleurs que c’est nous qui avons inventé les centres éducatifs fermés, dont François Hollande s’était engagé à doubler le nombre pour le porter à quatre-vingts : encore un engagement oublié !
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Philippe Bas. C’est également nous qui avons considérablement développé le recours au bracelet électronique. Ces deux mesures furent inscrites dans les lois de 2002 et de 2009.
Entre 2005 et 2012, le nombre de personnes purgeant une peine aménagée a augmenté de 345 % ! Le nombre de personnes bénéficiant d’une surveillance électronique avoisine aujourd’hui les 10 000, après avoir augmenté de 50 % pour la seule année 2011. Depuis, il a baissé.
Cependant, nous pensons que les alternatives à la prison et l’aménagement des peines ont une portée d’autant plus grande, à l’égard du délinquant, que la menace de la prison continue à exister. C’est d’ailleurs si vrai que notre rapporteur, après avoir proposé de supprimer la possibilité de prononcer des peines de prison, même avec sursis, pour certains délits, au bénéfice de la contrainte pénale, s’est empressé de proposer la création d’un délit de non-observation des obligations décidées dans le cadre de la contrainte pénale, pour que le tribunal puisse placer en détention le délinquant qui manquerait auxdites obligations.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est tout à fait cohérent !
M. Philippe Bas. Nous nous opposons donc aussi fermement à la doctrine du « tout sauf la prison » qu’à celle du « tout carcéral », parce qu’elle est constitutive d’une politique pénale délibérément moins sévère, dont la mise en œuvre contribuerait à affaiblir la lutte contre la violence. Une telle politique pénale est à contre-courant des attentes profondes de nos compatriotes.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous ne prônons ni l’une ni l’autre !
M. Philippe Bas. Si notre rapporteur s’est efforcé de l’embellir en la qualifiant d’« humaniste », elle peut aussi se voir reprocher une certaine naïveté, au sens où le Premier ministre Lionel Jospin avait employé ce mot pour regretter les insuffisances de sa politique en matière de lutte contre l’insécurité.
Sachez que nous nous proclamons nous aussi humanistes. C’est cet humanisme qui nous pousse à vouloir une société plus sûre pour chacun de ses membres, alors qu’elle est de plus en plus violente.
Ce qui doit inspirer la politique pénale, c’est la nécessité de mettre à la disposition des magistrats des sanctions qui rendent la punition certaine, effective, immédiate ou, du moins, rapide, connue à l’avance, dissuasive et légitime parce que proportionnée à la faute. C’est pourquoi tout ce qui contribue à la confusion de l’échelle des peines, à l’incertitude dans le quantum des sanctions, au retard dans l’exécution des condamnations et rend aléatoire la punition met en péril l’autorité de l’État et diffuse le sentiment de l’impunité.
On ne mettra pas fin au scandale – je pèse mes mots – des peines non exécutées en regroupant sous le vocable de « contrainte pénale » des alternatives à la prison et des aménagements de peines qui existent déjà. On y mettra fin en se donnant les moyens de rendre ces dispositifs effectifs et d’adapter les capacités de nos centres de détention, notoirement insuffisantes.
Nous n’avons pas de surcapacité carcérale en France : nous disposons de 84 places de prison pour 100 000 habitants, tandis que la moyenne, pour les pays membres du Conseil de l’Europe, s’établit à 138 places pour 100 000 habitants. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que notre densité carcérale soit en même temps de 15 % supérieure à la moyenne de ces pays et que nous détenions le record européen en matière de taux d’inexécution des condamnations. Madame le garde des sceaux, vous ne changerez pas cette situation d’un trait de plume législatif ; c’est un leurre que de le croire !
À nos yeux, c’est une faute d’avoir abandonné le programme de création de 24 000 places de prison supplémentaires que nous avions adopté au début de 2012.
M. Philippe Kaltenbach. Avec quel financement ?
M. Philippe Bas. Loin d’être incompatible avec la volonté d’amplifier le recours aux alternatives à l’enfermement, il était au contraire complémentaire de cette politique. Nous avons besoin de ces deux outils et nous devons pouvoir jouer sur tout l’éventail des sanctions pour faire reculer la délinquance.
Puisque vous vous prévalez de votre humanisme, sachez que nous ne demandons pas mieux que de le voir à l’œuvre dans un effort exceptionnel de mise à niveau des conditions de détention, trop souvent indignes encore aujourd’hui, et dans de nouvelles dispositions permettant de préparer la réinsertion des condamnés pendant leur détention, cet aspect étant curieusement absent du projet de loi dont nous sommes saisis.
Si mon groupe a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On se demande bien pourquoi !
M. Philippe Bas. … ce n’est pourtant pas parce que ce texte ne comporterait que de mauvaises mesures.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Justement ! Il faut donc délibérer !
M. Philippe Bas. Nous sommes d’accord avec la généralisation de la présence des bureaux de l’exécution des peines dans les tribunaux de grande instance.
Nous sommes satisfaits quand, en matière d’aménagement des peines, la commission des lois, sur proposition de son rapporteur, rétablit la nécessaire distinction entre récidiviste et non-récidiviste.
Nous sommes aussi favorables à l’obligation de soins en cas d’altération du discernement du délinquant au moment de la commission de l’infraction. Ces dispositions sur l’atténuation de responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental font enfin droit à l’excellente proposition de loi de Jean-René Lecerf votée par le Sénat en janvier 2011.
Nous apprécions également l’effort d’acclimatation de la justice dite « restaurative » et nous accueillons positivement l’ouverture de la possibilité que le condamné fasse un versement au fonds de garantie des victimes.
Enfin, nous reconnaissons volontiers que le chapitre III du titre II du projet de loi sur les missions du service public pénitentiaire en matière de suivi et de contrôle des personnes condamnées comporte des propositions intéressantes.
Nous allons même jusqu’à reconnaître un certain nombre d’apports positifs de la commission des lois, introduits sur l’initiative de son rapporteur pour améliorer plusieurs dispositions du texte voté par l’Assemblée nationale, qui comportait des surenchères dangereuses de notre point de vue.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. Philippe Bas. Ainsi, le parquet pourrait demander la révocation du sursis d’un condamné quand un tribunal aura prononcé une seconde condamnation sans avoir eu connaissance de la première. De même, il ne serait pas possible de convertir en contraintes pénales des peines de prison prononcées avant le vote de la réforme. Les modalités d’exécution de la contrainte pénale seraient simplifiées par rapport au texte voté par l’Assemblée nationale, en renforçant le pouvoir du juge de l’application des peines. Enfin, la loi ne déléguerait aucune responsabilité du procureur de la République aux officiers de police judiciaire, contrairement à ce que voulait le Gouvernement.
Si le projet de loi n’avait comporté que ces dispositions, nous n’aurions pas eu à déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, mais, hélas, il en contient d’autres !
M. Roger Karoutchi. Hélas !
M. Philippe Bas. Certaines sont inutiles ou de pur affichage, d’autres nous paraissent réellement nuisibles, voire toxiques, d’autres encore risquent de provoquer de graves confusions dans la politique pénale.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il faut en parler !
M. Philippe Bas. Il faut en parler au moment de la discussion de cette motion tendant à opposer la question préalable, monsieur le président de la commission, vous avez tout à fait raison !
Est inutile, tout d’abord, le nouvel article 130-1 du code pénal, définissant la fonction de la peine dans un jargon que l’on rencontre encore rarement, heureusement, dans notre code pénal. Cet article inscrit d’entrée de jeu le texte dans un droit proclamatoire, où transparaît surtout la volonté de mettre en forme juridique un discours politique.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Philippe Bas. Pis encore, l’article 2 du projet de loi, parce qu’il enfonce une porte ouverte en disposant que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée », est tout à fait incantatoire et inutile. Aurions-nous vécu, jusqu’à aujourd’hui, sous un régime d’automaticité des peines ? Chacun sait que non, car le principe de l’individualisation des peines est depuis longtemps un principe de valeur constitutionnelle, auquel le législateur ne saurait porter atteinte. Cette sorte de profession de foi légale que vous avez inscrite dans votre projet de loi, madame le garde des sceaux, est le point d’ancrage d’un discours accusatoire qui, de mon point de vue, est fondamentalement erroné, parce qu’il voudrait que les peines planchers, puisque ce sont surtout elles que vous visez, soient des peines automatiques, alors qu’il appartient au magistrat de les écarter chaque fois que la situation du délinquant le justifie à ses yeux.
Il n’y a pas plus d’automaticité dans les peines planchers que le projet de loi, dans sa rédaction initiale, n’en mettait dans la contrainte pénale, puisque le Gouvernement avait souhaité inscrire le recours à celle-ci comme une simple possibilité ajoutée à la gamme des sanctions, et non comme une peine excluant la possibilité de l’emprisonnement.
Aucune disposition pénale d’aucune sorte n’autorise actuellement les juridictions à renoncer à leur obligation d’appréciation des faits et de la situation du délinquant.
Plus préoccupantes encore sont les dispositions qui, prises isolément, nous paraîtraient déjà critiquables, mais qui, mises bout à bout, dégagent par leur convergence et par touches impressionnistes la physionomie d’ensemble du texte. Celui-ci repose sur la volonté de dissuader autant qu’il est possible les magistrats de prononcer des peines de prison.
M. Didier Guillaume. Mais non !
M. Philippe Bas. Les peines planchers seraient supprimées. Les peines d’emprisonnement devraient être motivées, mais non pas la contrainte pénale. La révocation des sursis en cas de récidive ne serait plus automatique. Une même peine pourrait donner lieu à plusieurs révocations partielles sans révocation définitive. Le régime des récidivistes serait aligné sur celui des primo-délinquants en matière de révocation de sursis. Les tribunaux correctionnels pour mineurs seraient abandonnés, la rétention de sûreté supprimée.
L’ensemble de ces mesures éclaire le contexte dans lequel s’inscrit la création de la nouvelle contrainte pénale. Nous pourrions sans doute n’opposer à cette peine qu’une relative indifférence, voire lui témoigner une certaine bienveillance, en considérant qu’elle ne comporte pas d’innovation fondamentale par rapport aux très nombreuses alternatives à l’emprisonnement et aux nombreux systèmes d’aménagements de peines que comporte déjà notre code pénal : amendes, sursis, travaux d’intérêt général, stages de citoyenneté, mesures privatives ou restrictives de droits, sanctions complémentaires, sanction-réparation, orientation du mineur vers un centre éducatif fermé, personnalisation des peines, avec la semi-liberté, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique, le fractionnement de peine, la dispense de peine, l’ajournement. Ce bref inventaire souligne la très grande richesse du régime des peines, tel qu’il a été construit par le législateur au fil des décennies.
Rien n’empêche d’enrichir encore ce double arsenal des alternatives aux peines de prison et des aménagements de peines, mais le projet de loi se borne à donner la possibilité au juge d’inscrire sous le régime de la contrainte pénale tout ou partie des mesures qui sont déjà à sa disposition. Ce faisant, il rend aussi applicables sous le régime de la contrainte pénale des mesures qui relèvent aujourd’hui non pas du prononcé de la sanction, mais de son exécution, avec toutes sortes d’obligations, d’interdictions ou de systèmes d’autorisation qui s’imposent au condamné.
Dans ces conditions, il apparaît clairement que l’originalité de la contrainte pénale tient non pas aux mesures qu’elle peut comporter, mais à la combinaison de ces mesures et à la procédure applicable pour sa mise en œuvre. Une partie des prérogatives confiées, jusqu’à présent, au juge de l’application des peines remonterait à la juridiction de jugement. Mais cette nouvelle répartition n’est pas réaliste : elle augmenterait considérablement la charge pesant sur les juridictions et retarderait les jugements, en prolongeant, dans bien des cas, la détention préventive.
De plus, la contrainte pénale est une peine floue, à géométrie variable, faiblement dissuasive. C’est d’ailleurs son essence même ! Au principe fondamental de la légalité des peines, vous opposez non pas seulement l’individualisation des peines, dont vous vous réclamez, mais aussi l’incertitude sur le contenu réel de la peine.
Il y a plus, car l’amendement de notre rapporteur visant à interdire que des peines de prison, fussent-elles assorties du sursis, soient prononcées pour un certain nombre de délits altère encore ce texte par rapport aux arbitrages gouvernementaux si difficiles qui avaient été arrêtés pour concilier les positions du ministre de l’intérieur et celles de la garde des sceaux.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il faudrait conclure !
M. Philippe Bas. À moins, monsieur le rapporteur, que ces arbitrages gouvernementaux n’aient dénaturé le texte initial du projet de loi de Mme le garde des sceaux, et que vous ayez seulement voulu aller à la rencontre de ses attentes !
Chaque année, 50 000 condamnations à des peines de prison, avec ou sans sursis, sont prononcées à l’encontre d’auteurs de délits contre lesquels les juridictions ne pourraient plus recourir à la prison, si cet article était adopté. Sachez que ces peines de prison ne sont pas prononcées faute de mieux par les magistrats, puisque ceux-ci déposent déjà de tout un éventail de peines alternatives. S’ils ne recourent pas à ces peines de substitution, c’est qu’ils considèrent que la peine de prison est la sanction la plus appropriée dans les cas où ils décident de la prononcer.
À l’évidence, cette réforme ne peut lever aucun des obstacles qui ont jusqu’à présent entravé le développement des alternatives à la prison et des aménagements de peines. La contrainte pénale est d’abord une contrainte exercée sur les magistrats eux-mêmes. Vous allez les placer devant une double impasse : celle de la surpopulation carcérale, qui empêche, si rien n’est fait, de mettre en œuvre les peines de prison, et, désormais, celle d’une sanction globale, difficile à décider pour la juridiction, longue à élaborer et qui ne se développera pas davantage que les obligations éparses dont elle est constituée ne sont aujourd’hui appliquées.
Voulue par l’Assemblée nationale, la généralisation dans deux ans du système de la contrainte pénale à toutes les infractions passibles de peines allant jusqu’à dix ans de prison relève d’une utopie dangereuse que nous devons aussi dénoncer. Un dispositif prévoyant une expérimentation suivie d’une évaluation avant toute extension aurait seul été raisonnable, mais une véritable fuite en avant s’est enclenchée, contre toute prudence. Les deux assemblées sont tentées d’y participer, sous le regard bienveillant du Gouvernement, qui ne tient pas à préserver les équilibres du texte adopté par le conseil des ministres. Notre rôle n’est pas d’y contribuer par de nouvelles surenchères, mais de nous y opposer.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je demande à notre assemblée de décider qu’il n’y a pas lieu, en l’état, de délibérer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On ne comprend vraiment pas pourquoi !
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, contre la motion.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous rassurer : contrairement à M. Bas, dont les arguments m’ont beaucoup étonné, je ne parlerai pas dix-neuf minutes et j’essaierai d’aller à l’essentiel.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. M. Bas a en effet déposé une motion tendant à opposer la question préalable pour nous expliquer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion de ce projet de loi,…
M. Philippe Bas. Vous avez parfaitement compris !
M. Philippe Kaltenbach. … puisque tout est déjà prévu par la loi pénitentiaire et qu’il suffit d’appliquer celle-ci. Selon lui, nous n’avons donc pas à modifier le droit existant et le présent texte est parfaitement inutile.
On l’a bien vu, son intervention témoigne en fait surtout de la volonté du groupe UMP de disposer de dix-neuf minutes de temps de parole supplémentaires pour répéter en boucle les arguments qui fondent son opposition à ce projet de loi. J’y vois un détournement de la procédure de la question préalable.
M. Philippe Bas. Vous êtes orfèvre en la matière !