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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques
Discussion générale (suite)

Exposition aux ondes électromagnétiques

Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques
Intitulé du titre Ier

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, sobriété, transparence, concertation en matière d’ondes électromagnétiques : voilà un titre qui est clair.

Cette proposition de loi, portée à l’Assemblée nationale par Mme Laurence Abeille, députée écologiste, dont je tiens à saluer la présence dans nos tribunes (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.), a connu, certes, quelques difficultés au démarrage. Pourtant, c'est un texte qui n’est ni idéologique, ni dogmatique. Il met tout simplement en avant la garantie de la santé pour nos concitoyens, tout en assurant une bonne couverture numérique de notre territoire.

M. Bruno Sido. C'est le bonheur ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Joël Labbé. En dépit des difficultés, un compromis a pu émerger, ce qui a conduit, selon la formule de notre rapporteur Daniel Raoul, à une certaine « sédimentation d’amendements », qui s’est faite en partie au détriment de la qualité rédactionnelle de ce texte.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. C'est un euphémisme…

M. Joël Labbé. Notre commission des affaires économiques a veillé à remédier à ces défauts, et le texte est aujourd’hui beaucoup plus clair qu’il ne l’était à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale – c'est là aussi le rôle du Sénat.

Malheureusement, certaines dispositions essentielles du texte qui, d’ailleurs, étaient issues non pas directement des réflexions écologistes, mais bien de la démarche de concertation tripartite du Grenelle des ondes, ont été supprimées au passage. Nous vous proposons, au travers d’une dizaine d’amendements, de rétablir quelques-unes de ces dispositions essentielles et nécessaires, que nos concitoyens attendent.

Il nous semble en effet primordial de rétablir le caractère systématique de la concertation locale lors de l’implantation des antennes. Cela aura pour effet de rassurer les citoyens et de les informer correctement de la réalité des émissions des installations. Il s’agit d’une mesure de transparence et certainement du meilleur moyen, pour tous ceux qui soutiennent que les antennes sont sans danger, de le démontrer localement, y compris en informant le conseil d’école lors de l’implantation d’un nouveau réseau.

L’organisation de la concertation redonne un rôle au maire. Certes, celui-ci ne reçoit pas une compétence et un pouvoir de décision au niveau local, mais les élus locaux ne seront plus laissés de côté dans ce type de projet.

Ce qui est caché, ou ce qui est non dit, est toujours source d’anxiété et de fantasmes. Ayons l’aplomb de faire face à nos concitoyens et de leur parler. À ce sujet j’aimerais citer un auteur classique, Publilius Syrus (M. Bruno Sido s'exclame.), qui écrivait au premier siècle avant Jésus Christ : « En face d’un danger, il y a pour l’homme deux attitudes possibles, ou la fuite, ou la résistance ». Ne choisissons pas la fuite en avant, et nous pourrons ainsi créer ce climat de confiance que toutes et tous attendent.

Notre commission des affaires économiques a décidé de renoncer à la notion de modération, que les opérateurs rejetaient également, pour lui préférer celle de sobriété. Outre que l’objectif de modération est la conclusion du rapport Tourtelier-Girard-Le Bouler de décembre 2013, ce terme et cet objectif ont fait consensus à la gauche de l’Assemblée nationale, les écologistes ayant transigé par rapport à leur position de départ, qui était l’application du principe de précaution. De plus, la modération implique une démarche qui conduirait à la sobriété, alors que la sobriété est un état n’impliquant pas d’action.

Nous entendons bien la crainte des opérateurs de voir leurs opérations se complexifier, ou certains coûts augmenter. C’est là le souci de tous les opérateurs économiques, et aussi de nos concitoyens.

Nous soutenons l’idée que cette notion de modération permettra de développer des installations plus performantes, moins émissives et moins énergivores, donc plus compétitives et plus rentables pour nos entreprises et pour nos exportations industrielles.

Je voudrais préciser un point concernant les règles applicables à l’étranger en matière de seuils d’exposition aux ondes électromagnétiques. On entend souvent affirmer que, si la France adoptait un texte protecteur des populations, elle serait le seul pays au monde à agir ainsi. De même, on entend souvent dire que les seuils recommandés de 41 à 61 volts par mètre, décidés en 1998, seraient appliqués dans le monde entier, et qu’il n’y aurait donc aucune raison pour que la France les remette en cause.

Or, dans de nombreux pays, les seuils appliqués en matière d’ondes électromagnétiques sont plus restrictifs. L’exemple de la région de Bruxelles est très souvent donné : la valeur limite y est de 3 volts par mètre dans les lieux de vie, ce qui est très loin des 61 volts par mètre... En Italie, les seuils sont également plus stricts, avec une limite de 6 volts par mètre, et je pourrais également citer la Pologne, la Suisse, la Bulgarie, le Luxembourg, la Grèce, la Lituanie, la Slovénie, la Catalogne… ou encore Paris ! Alors arrêtons de nous faire peur en considérant la France comme un pays réfractaire aux nouvelles technologies et qui irait à contre-courant des politiques menées ailleurs.

Quant à ceux qui affirment que l’absence de risques avérés justifie de ne pas légiférer, je me dois de leur rappeler, mes chers collègues, que l’échelle des risques définie par l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, est un dégradé : le « risque avéré » est au sommet ; au-dessous, on trouve les « effets probables », puis, les « effets possibles » ; le « niveau de preuve insuffisant pour conclure à un effet » n’intervient qu’en avant-dernière position, et l’appréciation « probablement pas d’effet chez l’homme » se trouve tout en bas de l’échelle…

N’oublions pas que l’ANSES formule des recommandations concernant l’usage des technologies sans fil, notamment pour les personnes fragiles. Alors n’allons pas croire à une absence totale de risques : l’ANSES reconnaît l’existence d’effets biologiques, et pas uniquement thermiques comme on l’entend souvent.

Enfin, le texte évoque l’électro-hypersensibilité. Si cette pathologie est encore mal connue, nous savons que des personnes en souffrent, et il est du devoir de la puissance publique de considérer leur situation et d’apporter une réponse. De même, il est illusoire de croire que les ondes qui nous traversent en permanence n’auraient strictement aucun effet.

En rétablissant un texte mesuré et équilibré qui, en toute transparence, prenne en compte le développement des nouvelles technologies, mais aussi la préservation de la santé de nos concitoyens, nous donnerons une image du Sénat positive, celle d’une chambre douée d’intelligence collective, protectrice des citoyens et volontariste pour la qualité de notre industrie.

Il serait tout de même dommage que le groupe écologiste ne puisse pas voter le texte qu’il a lui-même proposé ! (Vifs applaudissements sur les travées groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord, si vous le permettez, saluer le travail de fond de nos deux rapporteurs, aussi bien celui de Daniel Raoul pour la commission des affaires économiques que celui de Raymond Vall pour la commission du développement durable. Je voudrais aussi souligner qu’il est assez peu courant que deux présidents de commission prennent en charge le rapport d’un texte.

M. Bruno Sido. C'est un texte tellement important ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. Deux hypothèses sont envisageables : soit ils le considèrent comme un horizon indépassable parmi tous les textes que nous avons pu examiner au cours de cette session, soit, au contraire, ils jugent que ce texte doit être dépassé…

De ce point de vue – Joël Labbé en a fait la remarque il y a quelques instants –, la proposition de loi a effectivement considérablement évolué, mais, à moins que nombre de nos amendements ne soient repris, il sera difficile pour notre groupe de le voter, tout simplement parce qu'il comporte encore des contradictions importantes et qu’il pourrait susciter des risques juridiques, eux, bien avérés.

Pour ce qui est des contradictions, le point de départ du texte est le soulagement des personnes hypersensibles aux ondes électromagnétiques. C'est une juste cause, qui doit effectivement mériter toute notre attention. Le problème, c'est que le point d’arrivée du texte risque paradoxalement de se trouver à l’opposé de l’objectif visé.

En effet, si l’on ne veut pas transiger pas sur la couverture du territoire – qui, parmi nous, mes chers collègues, souhaiterait amoindrir la couverture de son territoire et augmenter la fracture numérique ? – tout en rendant aux Français une qualité de service équivalente, il faudra ou bien multiplier les antennes, ou bien augmenter la puissance de réception des portables, autrement dit des terminaux. Or, vous le savez très bien, c'est ce qu’il y a de plus dangereux ! En effet, les antennes relais émettent des radiofréquences qui sont 10 000 à 100 000 fois moins élevées que celles qui sont suscitées par un terminal de portable lors d’une conversation.

Un point d’attention concerne clairement les terminaux. Ce n’est pas pour rien – Daniel Raoul l’a dit il y a quelques instants – que, très tôt, le législateur a voulu qu’un « kit mains libres » soit mis à la disposition de chaque acheteur : c'est précisément pour pallier ce risque.

Ainsi, mes chers collègues, on ne peut prétendre soulager des souffrances qui, selon moi, sont réelles sans base scientifique solide : cela reviendrait à leurrer ceux qui souffrent. M. Le Déaut, qui est vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, disait justement : « L’ensemble des rapports d’expertise internationaux, fondés sur des milliers d’études, conclue qu’il n’y a pas de risque avéré des radiofréquences en dessous des limites réglementaires ».

Voilà la première contradiction. La seconde concerne la Gouvernement. Madame la secrétaire d'État, en l’absence de base scientifique avérée, le Gouvernement doit clairement se positionner pour lever la contradiction qui consiste à entretenir le flou tout en recommandant une feuille de route assez ambitieuse sur le numérique.

Mes chers collègues, nous savons tous que l’avenir de la France dépend très largement de la troisième révolution industrielle. Le numérique représente 25 % de la croissance, 25 % de la productivité, et l’attractivité de nos territoires dépend également de la couverture numérique.

Les deux grandes infrastructures du XXIe siècle, ce sont les réseaux à très haut débit, fixes, mais aussi mobiles. Il doit en effet y avoir une complémentarité entre la fibre et le mobile ; vous en êtes d'ailleurs, monsieur le président de la commission des affaires économiques, l’un des promoteurs. Comme il ne sera pas possible d’installer la fibre dans chaque habitation, il faudra prévoir la complémentarité entre les ondes, c'est-à-dire la mobilité, et la fibre pour couvrir la totalité de notre territoire.

Il faut ajouter une autre frontière, celle du « Web 3.0 », qui utilisera des services et permettra des usages de mobilité, de nomadisme. Le Web 3.0, c’est à la fois le Cloud, le Big data, mais également les objets connectés, une connexion permanente, partout, sans fil à la patte. On voit donc bien que la mobilité et, par conséquent, les ondes et les radiofréquences seront essentielles pour la couverture du territoire et pour relever le défi de la France numérique que nous voulons bâtir. Or ce n’est pas en agitant des peurs que l’on y parviendra !

Si le risque scientifique n’est pas avéré, les risques juridiques, eux, le sont, et ce pour trois raisons.

Le premier risque vient, à mon sens, de ce qu’il n’y a de fondement constitutionnel ni au principe de modération ni au principe de sobriété. La première mouture de la proposition de loi déposée par Mme Abeille et les débats à l’Assemblée nationale témoignent de la volonté de l’auteur de relier son texte au principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement. Or je ne pense pas que l’on puisse le faire d’un point de vue juridique.

L’exposé des motifs d’un amendement de Mireille Schurch que nous examinerons ultérieurement évoque concrètement le principe ALARA, c'est-à-dire, en anglais, « aussi bas que raisonnablement possible ». Juridiquement, je pense que ce qu’il convient d’invoquer sur ce texte n’est pas le principe de précaution, mais bien plutôt le principe ALARA.

Cependant, ce principe, qui concernait le risque, avéré sur le plan scientifique, que faisaient courir les rayonnements ionisants, ne cadre pas avec l’article 5 de la Charte de l’environnement. En effet, il va bien au-delà du principe de précaution, qui doit rester connecté à l’analyse scientifique et à un danger potentiel. Ainsi, à mon sens, on ne peut pas donner une base juridique à ce texte sur le fondement constitutionnel de l’article 5 de la Charte.

Le deuxième risque juridique concerne le principe de proportionnalité. Je pense en outre que le principe anglo-saxon ALARA s’accommode mal avec le principe de proportionnalité. Pourquoi ? Le principe de proportionnalité, consacré à la fois par le droit européen, le droit constitutionnel et le droit administratif, implique que les mesures de précaution soient proportionnées, c'est-à-dire réalisables, avec un coût acceptable. Le principe ALARA dépasse de très loin cette problématique. Comme vous le savez, une expérimentation menée dans seize quartiers avait montré que, pour réduire l’exposition à 0,6 volt par mètre, il faudrait multiplier par trois le nombre des antennes. Si la faisabilité technique est présente, il en va donc différemment de l’acceptabilité et de la portée économique.

Le troisième risque juridique, qui est important, vient de ce que ce texte crée une discrimination et une atteinte au principe d’égalité devant la loi. En effet, pourquoi prévoir un régime juridique spécifique pour les seules antennes relais, alors que le rapport Girard-Tourtelier, dont la grande qualité a été soulignée à plusieurs reprises à cette tribune, reconnaît que « l’exposition des personnes aux champs électromagnétiques est composite et ne fait pas une place prépondérante aux antennes relais » ?

Mes chers collègues, pourquoi, de façon rationnelle, avoir laissé de côté les fours à micro-ondes, les radars, les lignes à haute tension, les nombreux appareils qui émettent des ondes ? Il y a bien une discrimination et, par conséquent, une atteinte au principe juridique d’égalité.

En conclusion, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions,…

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Bruno Retailleau. … lesquelles créent des approximations juridiques, qui conduiront immanquablement à un manque de sécurité juridique du texte.

Ces approximations susciteront un foisonnement de contentieux, qui touchera prioritairement les élus locaux, n’en doutez pas, mes chers collègues ! Si ce texte était voté en l’état, ceux-ci seraient soumis à une double menace : une menace sur le terrain de la légalité, interne et externe – je n’ai pas le temps de développer ce point –, au terme des actions de consultation et de concertation ; une menace sur le terrain de la responsabilité mettant en cause d’éventuelles carences quand la consultation aura été mal organisée, avec de possibles actions en réparation.

Bref, pour conclure d’un trait d’humour, mais qui renvoie tout de même à un problème sérieux, ceux qui ont aimé les tête-à-queue jurisprudentiels en matière d’urbanisme vont adorer le contentieux électromagnétique ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, Bruno Retailleau ayant déjà évoqué de nombreux points, comme la majeure partie des orateurs qui se sont succédé, je serai brève afin que nous nous consacrions à l’examen des amendements.

L’exposition du public aux ondes électromagnétiques n’est pas un sujet anodin. Elle est le point de rencontre et d’achoppement de problématiques diverses et contradictoires. Je dois vous dire que, sur ce texte, ma religion n’est pas faite.

En tant que vice-présidente de la mission commune d’information sur le Mediator, j’ai pu constater que, sur ce type de sujets, nous avions toujours les mêmes réflexes, les mêmes peurs et, malheureusement, toujours les mêmes procédures et toujours le même retard.

L’affaire du Mediator, comme vous le savez, a succédé de dix ans à l’affaire du Vioxx. Si les préconisations d’alors avaient été mises en pratique, les problèmes liés au Mediator auraient probablement été évités. Nous avons donc perdu dix ans, avec un scandale sanitaire majeur. Les rapports parlementaires n’ont jamais été pris en considération, et l’on peut se demander à quoi sert notre travail s’il ne se retrouve pas dans la loi.

Nous traitons mal l’information dont nous disposons sur ce type de problèmes. Il convient aussi de recenser et de prendre en considération les lanceurs d’alertes, que ce soit l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont les travaux sont notoirement inconnus, mais également les compagnies d’assurance ou les associations, autant de clignotants, autant d’indices à examiner.

Je rentre d’un séminaire de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, sur les lanceurs d’alerte, qui s’est tenu aujourd'hui, et je dois dire que nous avons besoin d’améliorer les dispositifs, parcellaires, en la matière. Nous ne disposons même pas d’une définition claire du lanceur d’alerte !

Je veux bien admettre que certaines associations soient jugées fantaisistes, que certaines craintes ne soient probablement pas avérées, mais, dans l’absolu, nous avons connu des dossiers dans lesquels ces problèmes se posaient exactement de la même façon. Les questions de sécurité sanitaire et environnementale en sont des exemples patents.

Dans les départements ruraux, l’inquiétude concernant l’exposition aux ondes électromagnétiques est également présente. Plusieurs acteurs de la société civile demandent le respect par les opérateurs de la recommandation de l’Agence européenne pour l’environnement, qui préconise de maintenir un seuil de 0,6 volt par mètre.

La création de l’association Toxic Ondes, dans le département de l’Orne que j’ai l’honneur de représenter, reflète d'ailleurs cette inquiétude. Sur l’initiative d’une habitante d’Alençon, soucieuse des effets des ondes sur la santé de sa famille, Toxic Ondes a effectué en 2009 des mesures dans un appartement proche d’antennes relais. Elles ont permis de constater une intensité de 3 à 5 volts, un résultat bien au-delà des recommandations. Il s’agit donc d’un vrai sujet, qui intéresse les populations.

Les ondes électromagnétiques sont aussi une source d’inquiétude parce que leur existence est naturellement impalpable. L’association Robin des Toits a beaucoup travaillé, depuis 2006, sur les implantations d’antennes, notamment près des écoles. Elle a finalement obtenu satisfaction, le sujet étant maintenant très réglementé, ce qui prouve tout de même que la société civile et les associations font également avancer les débats. Et heureusement qu’elles étaient présentes, car même le parlementaire le plus initié n’y aurait probablement pas prêté attention.

C’est un enjeu sanitaire ; c’est également un enjeu de compétitivité et d’aménagement numérique. Il faut sortir du débat manichéen entre, d’un côté, les partisans de la modernité, et, de l’autre, les Cassandre qui voudraient freiner la modernité au motif que cela pose des problèmes techniques ou sanitaires.

Mme Nathalie Goulet. C'est la raison pour laquelle je vous disais au début de mon intervention que ma religion n’était pas faite. Je ne suis pas certaine que chacun puisse appréhender la réalité des difficultés aujourd’hui. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques devrait opérer, sur ce type de dossier, des mises à jour, car la technologie évolue et les rapports, aussi bons soient-ils, ne sont parfois plus d’actualité une année plus tard.

Les travaux doivent se dérouler en toute indépendance, et je sais que la question des conflits d’intérêts est toujours en ligne de mire ; M. le rapporteur l’a évoquée. Il n’en demeure pas moins que nous devons légiférer sur les bases scientifiques les plus fiables possible, ce qui constitue toujours une source d’incertitude.

M. Bruno Retailleau a mentionné les objets connectés, dont nous avons parlé récemment dans cet hémicycle à propos de la géolocalisation. J’avais cité à Mme Taubira un article intitulé : « Objets connectés, avez-vous donc une âme ? » Il suffit de répertorier, heure par heure, le nombre d’objets auxquels nous sommes connectés pour constater que nous le sommes de plus en plus. Il y a donc, d’un côté, une demande des consommateurs, qui cherchent un produit sur ce qui est devenu un marché, et, de l’autre, les risques qui y sont afférents. Il est évident qu’il existe, sur le sujet, beaucoup de contradictions.

La concertation doit donc être approfondie entre les différents acteurs, ce que prévoyait le Grenelle des ondes. Notre collègue Chantal Jouanno, qui y avait activement participé, défendra d'ailleurs un certain nombre d’amendements.

En substituant au principe de modération des objectifs de sobriété, la commission a, selon moi, mieux équilibré la question des connaissances scientifiques avec la réalité juridique des concepts, même si on peut évidemment en discuter.

Quant à la procédure de concertation et d’information sur les projets d’installation d’antennes, l’article 1er clarifie le rôle du maire. Au cœur du dispositif d’installation, le maire pourra choisir, s’il le souhaite, une phase de concertation dont il sera l’arbitre tout en n’émettant pas d’avis à proprement parler, cette phase étant le préalable à l’autorisation donnée. La rédaction de la commission me semble, de ce point de vue, tout à fait pertinente.

Le fait de prendre les meilleures mesures possible afin de protéger les populations à risque, dont les enfants, me semble être une évidence. Sur ce sujet potentiellement anxiogène, il faut mesurer notre propre degré d’anxiété, ainsi que nos capacités de légiférer. Un travail d’éducation doit en outre être engagé.

Lorsque je vois, notamment aux États-Unis, des jouets connectés destinés à de très jeunes enfants, comme des iPad pour des enfants de deux ou trois ans, je m’inquiète de l’évolution de cette société de consommation qui nous pousse de plus en plus vers ce type d’objets dont on ne peut aujourd’hui mesurer exactement les effets.

Nous avons déposé un certain nombre d’amendements. Je pense que le groupe UDI-UC, dans sa très grande majorité, s’abstiendra sur ce texte. Encore une fois, à titre personnel, j’attendrai la fin des débats pour me faire une opinion. (M. Bruno Sido manifeste son impatience.)

Il s’agit d’un sujet important et, monsieur le président, je pense qu’il faut absolument trouver un moyen, lors de la prochaine législature, d’assurer le suivi de ces dossiers essentiels par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Bruno Sido. Il les suit déjà !

M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.

M. Claude Dilain. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi me paraît à la fois importante et ambitieuse.

Elle est importante, car il s’agit de légiférer sur le quotidien de chacun d’entre nous. Elle est ambitieuse, car elle traduit la volonté de trouver un point d’équilibre entre, d’une part, les avancées des sciences et des techniques que l’on ne peut freiner, et, d’autre part, le principe de précaution. Elle est aussi courageuse, car bien souvent notre point d’équilibre n’est pas exactement le même que celui du voisin, et à vouloir plaire à tout le monde, on risque de ne faire plaisir à personne.

Comme l’avait dit Mme Fleur Pellerin à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi vise à mettre en place un dispositif conciliant progrès technologique et modération en matière d’ondes électromagnétiques. Son auteur, notre collègue députée Laurence Abeille, a souligné toute son importance en nous rappelant que nous vivions dans un bain d’ondes.

En effet, les ondes électromagnétiques non ionisantes nous accompagnent jour et nuit, quelle que soit leur fréquence. Je ne vais pas reprendre la liste de tous les objets émetteurs, mais, comme l’a dit le président Vall ou, je crois, Bruno Retailleau, n’oublions pas que certains de ces objets n’entrent pas dans le champ du présent texte : fours à micro-ondes, plaques de cuisson à induction (M. le rapporteur opine), télécommandes et même ces clefs magnétiques d’automobiles qui quittent rarement notre poche.

Mme Nathalie Goulet. Et la domotique !

M. Claude Dilain. Il ne s’agit que des objets d’aujourd’hui ; ceux de demain seront plus nombreux encore.

L’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a révélé, dans son fameux rapport de 2013, que, en un trimestre, quelque 51 milliards de messages textes, ou SMS, ont été émis en France. Nous ne pourrons freiner cette avancée technologique. D’ailleurs, le voulons-nous ? Comme l’a pertinemment rappelé Bruno Retailleau, nous nous battons tous pour une meilleure couverture du territoire français. Ce faisant, nous encourageons le développement de cette technologie.

La question qui se pose aujourd’hui est donc de savoir si ce bain d’ondes est dangereux. Il ne s’agit pas d’une question nouvelle : on se la posait déjà au moment de l’invention du télégraphe – vous pouvez vous amuser à relire les commentaires de l’époque, mes chers collègues –, ou lors de la pose d’une antenne au sommet de la tour Eiffel. Avec le recul, cela peut prêter à sourire. Pourtant, je m’en garderai bien : les ondes sont mystérieuses. Invisibles, inodores, impalpables, silencieuses, elles accomplissent des prodiges. Dès lors, pourquoi ne pourraient-elles pas se révéler dangereuses ?

Que dit la science ? Je me référerai à mon tour au rapport de l’ANSES, qui fait quelque peu autorité. Selon cet organisme, « l’exposition aux ondes électromagnétiques n’a aucun effet sanitaire avéré ». Fort bien ! Toutefois, dans le même rapport, on peut lire que les niveaux d’exposition liés à l’utilisation des terminaux mobiles sont bien supérieurs à ceux qui sont liés aux antennes relais et qu’il ne faut pas en abuser.

Pour l’opinion publique, pour ceux qui ne sont pas spécialistes de la question, il s’agit d’une contradiction, qui n’est pas de nature à donner confiance, et ce d’autant plus que l’Académie de médecine n’a pas approuvé ce rapport !

Reste que l’électro-hypersensibilité est un fait. Et si, comme l’a rappelé le président Raoul, aucun véritable lien de causalité n’a pu être établi, il s’agit de souffrances que l’on ne peut ignorer. D’autres études sont en cours, mais, à ce jour, il n’existe aucune preuve de la dangerosité ou de l’innocuité totale des ondes. C’est dans ce contexte difficile qu’il nous faut légiférer.

Au moment d’évoquer le principe de précaution, on oublie souvent de le définir. Or les définitions changent avec les auteurs et les nuances peuvent être de taille : le principe 15 de la déclaration de Rio de 1992 mentionne un « risque de dommages graves ou irréversibles » ; la loi Barnier de 1995 évoque l’« absence de certitudes » – ce qui n’est pas la même chose qu’un dommage grave ou irréversible – et dispose que la réponse doit être proportionnée au risque et se faire – cet élément est nouveau et important – à un coût économiquement acceptable ; enfin, dans sa communication du 2 février 2000, la Commission européenne a exposé la position de l’Union sur le principe de précaution, qui ne peut être invoqué que dans l’hypothèse d’un risque potentiel et qui ne peut en aucun cas justifier une prise de décision arbitraire.

Pour la Commission européenne, le recours au principe de précaution n’est donc justifié que lorsque trois conditions sont remplies : l’identification des effets potentiellement négatifs, l’évaluation des données scientifiques disponibles et l’étendue de l’incertitude scientifique.

Mes chers collègues, comme l’a rappelé Nathalie Goulet, c’est dans ce contexte difficile que nous devons légiférer. Cette proposition de loi constitue malgré tout un bon point d’équilibre entre avancée technologique et principe de précaution, me semble-t-il.

Je ne vais pas énumérer toutes les dispositions de ce texte qui me semblent aller tout à fait dans le bon sens. Je pense notamment aux mesures facilitant la transmission des informations aux propriétaires et aux habitants ou à l’information des consommateurs et des élus locaux. Bien sûr, nous débattrons également de la façon dont s’organisera la concertation, en sus du comité national de dialogue. Permettez-moi, enfin, d’insister sur les dispositions des articles 5 et 7, qui protègent mieux les enfants, ce qui est peut-être la priorité des priorités.

Cette proposition de loi a déjà été enrichie très largement par la commission. Je voudrais féliciter et remercier le président et rapporteur Daniel Raoul et lui dire que, à titre personnel, je suis tout à fait solidaire des propos qu’il a tenus sur l’indépendance de la commission. Je pense d’ailleurs pouvoir m’exprimer ici au nom du groupe socialiste.

Nous allons encore débattre, et je crois que ce texte va continuer à s’enrichir. Dans ces conditions, le groupe socialiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)