M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Selon cet amendement, tous les partis politiques enregistrés depuis cinq ans auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pourront être proposés aux candidats comme choix de nuance politique.

Si, effectivement, au moins un parti politique a été oublié – le ministre l’a reconnu, et je crois que nous sommes tous d’accord pour remédier à cette situation –, avec l’adoption de cet amendement, on passerait d’un excès à un autre.

Une multitude de micro-partis ont été créés, ne serait-ce que pour trouver des sources de financement ; on en a même créés dans nos conseils municipaux pour financer des sondages ou autres, les micro-partis permettant de bénéficier de certaines dispositions du droit fiscal. Mais si le ministère de l’intérieur doit répertorier dans une liste tous ces micro-partis, un livre aussi épais que la Bible, ou tout au moins que le code général des collectivités territoriales, n’y suffira pas !

C’est pourquoi, compte tenu de l’impossibilité matérielle de s’assurer de la présence dans la grille de tous les micro-partis, je demande le retrait de cet amendement auquel, sinon, je donnerai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je partage l’avis du rapporteur, qui vient d’exprimer avec beaucoup de pertinence et de sérieux ce qui est l’exacte position du Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

La présente loi est applicable aux îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)

Vote sur l'ensemble

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je veux avant toute chose remercier M. Carle d’avoir déposé cette proposition de loi et M. Courtois d’avoir rapporté fidèlement la position de la commission. Ce texte nous a donné l’occasion d’un débat riche, auquel, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir participé avec le calme et le flegme dont vous êtes coutumier.

Concernant l’acte politique lui-même, ce qu’a dit Mme Assassi est intéressant.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui, il y a une dignité à faire de la politique ! Les partis politiques, comme vous l’avez souligné, ma chère collègue, sont d’ailleurs reconnus dans la Constitution puisqu’il y est précisé que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». C’est pourquoi on peut s’étonner de la multiplication de déclarations telles que « Moi, madame, moi, monsieur, je ne fais pas de politique ». On entend cette phrase presque tous les jours, comme si faire de la politique était une sorte de mal dont il faudrait se prémunir. Je trouve donc que c’est faire preuve de dignité et de clarté que d’annoncer la couleur. Reste que les situations ne sont pas les mêmes dans les grandes villes, les villes moyennes ou les petites communes.

On a beaucoup parlé de « nuances » dans ce débat. C’est un terme que je n’avais pas beaucoup entendu depuis que je suis au Sénat ni même lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale.

M. Jean-François Husson. C’est un terme de peinture !

M. René Garrec. De pastelliste !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il me fait penser à Paul Verlaine.

Mme Nathalie Goulet. À Charles Péguy !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non, à l’Art poétique de Paul Verlaine :

« Car nous voulons la Nuance encor,

« Pas la Couleur, rien que la Nuance !

« Oh ! la Nuance seule fiance

« Le rêve au rêve et la flûte au cor ! »

Cela m’a fait aussi penser aux tableaux de Quentin de La Tour, de Chardin, de Perronneau,….

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Que c’est beau, la nuance !

Jadis, j’appartenais à un petit parti politique, le PSU, qui comportait beaucoup de nuances. On ne parlait pas alors de « nuance n° 1 », de « nuance n° 2 » ou de « troisième nuance »… J’ai ensuite été dans un plus grand parti où l’on parlait de « tendances ». Après, je ne sais pas pourquoi, on a employé le terme « courants », et j’ai constaté que cette habitude avait gagné tous les partis. Aujourd'hui, l’UMP se distingue par ses nombreux courants ou tendances. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse toujours de courants de pensée, pas plus là qu’ailleurs, mais enfin, si on est dans la nuance, on est dans l’infini…

M. Jean-François Husson. De la pensée socialiste ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … de la labellisation.

Monsieur le ministre, il faut tenir compte des réalités locales. La politique n’est pas un mal honteux, dont on devrait perpétuellement s’excuser,...

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. René Garrec. Il se soigne !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … mais de nombreuses communes comptent des listes qui sont très diverses dans leur composition. Après tout, si les candidats veulent se déclarer sans étiquette, je vois mal comment on leur ôterait cette liberté.

Il est sage que le ministère de l’intérieur fasse son office, mais notez bien que, comme l’a dit M. le rapporteur, jusqu’à une période très récente, l’office de la labellisation n’était fait par le ministère de l’intérieur qu’à partir de 3 500 habitants. En dessous de ce seuil, il n’existait pas, ce qui n’a pas empêché que d’excellentes études soient réalisées par des politologues.

Je pense que le Sénat a pris une position de sagesse : au-dessus de 3 500 habitants, le ministère de l’intérieur s’attachera à faire son office, dans le respect, naturellement, des réalités, car, même dans ces villes de plus de 3 500 habitants, il existe encore bien des candidats à l’intérieur d’une même liste qui appartiennent à des formations politiques différentes, voire qui n’appartiennent à aucune formation politique, et qui votent de manière très diverse aux autres élections. Tout le monde le sait ici !

Je crois que ce texte a permis un bon débat et une réflexion intéressante. J’espère, une fois de plus, qu’une fois voté par le Sénat, ce dont je ne doute pas, il ne manquera pas d’être examiné par nos collègues de l’Assemblée nationale. À cet égard, je vais sans doute écrire une lettre au Premier ministre et peut-être même au président de l’Assemblée nationale ainsi qu’au président du Sénat dans laquelle je dresserai la liste des nombreuses propositions de loi utiles qui ont été adoptées par le Sénat et qui n’ont jamais été examinées par l’Assemblée nationale, ce qui pose un vrai problème.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. René Garrec. Question de nuances…

M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler, pour explication de vote.

Mme Esther Sittler. Comme cela a été dit, l’organisation des dernières élections municipales a suscité un très vif émoi parmi les élus des communes rurales. J’en ai moi-même été témoin quand j’ai déposé ma liste à la sous-préfecture. Ces élus étant pour la plupart à mille lieues de toute considération partisane, ils ont été extrêmement choqués que la préfecture leur demande ou leur affecte une étiquette politique.

Je suis moi-même maire d’un petit village. Quand j’ai été élue, je n’étais pas membre de l’UMP. Ce n’est que vingt ans plus tard que j’ai adhéré à ce parti. J’ai donc fait le chemin inverse : ce sont les difficultés administratives qui se sont accumulées au fil de mon mandat qui m’ont poussée à adhérer à l’UMP.

Le fichier des élus est donc totalement inadapté aux communes de moins de 3 500 habitants.

À une époque où il est souvent bien difficile de trouver des candidats – là aussi, j’en ai été témoin – pour boucler les listes aux municipales et où le sens de l’engagement décline, il était urgent de réagir.

Je remercie vivement notre collègue Jean-Claude Carle de son excellente initiative.

Nos débats ont prouvé, une fois encore, que le Sénat demeure le grand conseil des communes de France et que, quand l’intérêt de nos élus locaux est en jeu, il sait taire ses clivages politiques pour voter des lois consensuelles. C’est pourquoi je voterai bien naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

(M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. La proposition de loi que nous défendons aujourd’hui est pleine de sens. Il suffit de constater les complications engendrées par la législation actuelle lors des dernières élections municipales pour les communes de moins de 3 500 habitants pour s’en convaincre.

En effet, dans la plupart de nos départements, de nombreux élus se sont fait l’écho auprès de leur association de maires de leur étonnement, voire de leur mécontentement, de « se faire étiqueter ». Ils ont été contraints de modifier leur statut électoral en devenant l’égal des communes ayant passé la barre des 3 500 habitants ! Outre les changements de modes de scrutin, qui ont souvent rendu difficile la composition des équipes, il a aussi fallu que les têtes de listes se déclarent, à la préfecture, d’une couleur ou nuance politique, alors que tout leur engagement électoral reposait sur une pluralité de convictions formée par la richesse et la diversité des candidats figurant sur leur liste. Ainsi, en Loire-Atlantique, selon les services de la préfecture, 85 % des listes qui se sont présentées souhaitaient, dans un premier temps, se déclarer sans étiquette. Contraintes à un affichage, elles n’ont pas pu aller au bout de cette démarche, qui voulait afficher une véritable représentation plurielle.

Si un décret de 2001 a créé un fichier d’élus et l’a accompagné de renseignements destinés à intégrer leur couleur politique, il n’est certainement pas le reflet des équipes en place puisqu’il est fondé sur les déclarations de la tête de liste. Or comment savoir si la tête de liste a indiqué sa propre identité politique ou l’identité générale de sa liste ? Par défaut, la nuance a-t-elle été apportée par le préfet ? On voit bien que l’on ne peut porter crédit à un tel fichier.

J’ajouterai même que le seuil de 3 500 habitants, puis de 1 000 habitants, pour fabriquer des fichiers colorés est également un leurre, puisque des villes bien plus importantes ont, elles aussi, porté aux suffrages des listes obligatoirement estampillées, à cause de la préférence politique de leur tête de liste, alors que la majorité des colistiers se revendiquaient d’autres étiquettes, voire sans étiquette.

Afin de revenir à une solution de sagesse, manifestement souhaitée tant par les électeurs que par les candidats des communes de moins de 3 500 habitants, nous voterons cette proposition de loi qui non seulement remettra un peu d’ordre dans la vie politique, mais également permettra de réellement simplifier le dépôt des listes dans les services préfectoraux.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Je voterai cette proposition de loi, parce qu’elle a le mérite de poser le problème. En revanche, je tiens à dire qu’elle ne me satisfait pas pleinement puisqu’elle circonscrit la question aux cas des communes de moins de 3 500 habitants. Pour celles-ci, le problème est bien réel, mais ce qui est en cause, c'est le principe même d’un nuancier imposé avec des choix limitativement énumérés et des partis politiques choisis de manière tout à fait arbitraire. Il s’agit d’une atteinte profonde aux droits des élus et à la démocratie !

Si cette proposition de loi constitue une petite avancée, elle ne répond toutefois pas pleinement aux problèmes qui se posent.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants
 

4

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin
Discussion générale (suite)

Législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin

Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, présentée par M. André Reichardt et plusieurs de ses collègues (proposition n° 826, texte de la commission n° 613, rapport n° 612).

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Reichardt, auteur de la proposition de loi.

M. André Reichardt, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter aujourd'hui une proposition de loi tendant à moderniser différentes dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Ces départements attendent ce texte avec impatience. Comme vous le savez, ils ont une législation qui leur est propre dans différents domaines du droit. Le terme exact employé après la fin de la Première Guerre mondiale est celui de « droit local alsacien-mosellan ». Ce droit a bien entendu une histoire, liée à l’histoire même des trois départements de l’Est. Au lendemain de leur annexion en 1870, le droit français y fut, dans beaucoup de domaines, progressivement remplacé par les lois d’Empire allemandes, ainsi que par des dispositions locales émanant d’instances législatives propres au land d’Alsace-Lorraine. En fait, sous l’expression « Alsace-Lorraine », il faut entendre « Alsace-Moselle ». J’apporte cette précision en raison d’une actualité particulièrement brûlante…

Lors du retour de l’Alsace-Lorraine à la France en 1918, le législateur préféra, à une introduction brutale et massive de l’ensemble de la législation française, une introduction par matières, ainsi que le maintien de dispositions de droit local inconnues du droit français ou reconnues techniquement supérieures à la législation française équivalente. L’introduction de la législation française a notamment été réalisée par deux grandes lois du 1er juin 1924, l’une pour la législation civile et l’autre pour la législation commerciale. Toutefois, ces deux textes ont également maintenu diverses dispositions de droit local, dont le caractère temporaire d’origine s’est en réalité perpétué.

À partir des années soixante-dix, des pans entiers ont disparu du fait de l’évolution considérable du droit français, qui s’inspirait d’ailleurs parfois du droit local. Cependant, il reste encore certains domaines où la législation spécifique paraît toujours préférable. L’idée d’un droit local est largement acceptée – c'est un euphémisme ! – dans nos trois départements de l’Est et ne fait aucunement, quoi qu’en pensent certains, l’objet d’une remise en cause globale. Reste qu’il s’agit à présent de veiller à faire évoluer les règles locales, qui, n’ayant pas ou pas assez été modifiées depuis plusieurs décennies, nécessitent une mise à jour. Tel est l’objet de la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui.

Avant tout, permettez-moi de vous dire que le contenu de ce texte a recueilli, sur le fondement des travaux de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, l’avis favorable de la Commission d’harmonisation du droit privé. Les modifications que je vais vous détailler ont été longuement étudiées et constituent des avancées à mon sens nécessaires à la modernisation de ce droit local.

La proposition de loi porte sur six sujets distincts ; cinq d’entre eux figuraient dans la proposition de loi initiale, et j’ai fait adopter le sixième par voie d’amendement lors de la discussion du texte en commission des lois. Ces six sujets sont le financement des corporations de droit local, le cadastre, la taxe des riverains, les associations coopératives, le repos dominical et pendant les jours fériés et la procédure de partage judiciaire de droit local.

Commençons par le financement des corporations.

Dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le régime de l’artisanat est régi par le code local des professions. Les artisans sont regroupés en corporations, dont la mission première est d’assurer la défense des intérêts professionnels de leurs membres qui dépendent de chambres de métiers – ces dernières étant chargées de représenter les intérêts généraux de l’artisanat et non les métiers. À la différence des syndicats, les corporations représentent à la fois – on l’oublie souvent ! – les employeurs et les salariés, appelés les compagnons, sur une circonscription déterminée.

Jusqu’au 30 novembre 2012, ces corporations pouvaient être libres ou obligatoires. La très grande majorité d’entre elles, plus d’une centaine, étaient obligatoires ; une petite minorité, libre. À cette date, le Conseil constitutionnel, par une décision issue d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclarait contraires à la Constitution deux importants articles du code local des professions. Il en est résulté que les corporations obligatoires chargées de l’administration et de la représentation de certains métiers dans l’artisanat ont perdu le droit d’affilier d’office les artisans de leur ressort, ainsi que le droit d’utiliser une procédure de recouvrement forcée des cotisations, qui existait auparavant. Cependant, cette décision du Conseil constitutionnel ne concerne pas la mission des corporations et a maintenu l’existence de ces dernières, en ne les libérant pas de l’obligation d’accomplir leurs missions.

Il s’agit, par conséquent, de trouver un mode alternatif de financement pour ces institutions auxquelles les artisans et la population des trois départements concernés sont très attachés. C’est pour cette raison que les articles 1er à 3 de la proposition de loi visent à permettre aux chambres de métiers d’Alsace et de Moselle, si elles le souhaitent, et seulement dans ce cas, de financer les corporations et à autoriser ces dernières à percevoir des redevances pour service rendu. S’agissant tout particulièrement de l’article 1er, il s’agit simplement d’ouvrir à l’Alsace-Moselle une possibilité d’ores et déjà offerte aux chambres de métiers des autres départements par l’article 23 du code de l’artisanat. Quant aux redevances pour service rendu, elles doivent bien sûr trouver leur contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ; elles ne devraient donc pas poser problème. De telles redevances existent dans le droit général ; pourquoi n’existeraient-elles pas en droit local ?

La deuxième partie de la proposition de loi concerne la modernisation du droit local applicable en matière de cadastre.

Dans les trois départements de l’Est, la publicité foncière n’est pas organisée comme dans le reste de la France, où elle est régie par la conservation des hypothèques, dépendant du ministère des finances. En Alsace-Moselle, elle est assurée par le livre foncier, tenu par un magistrat spécialisé, et relève du ministère de la justice. L’inscription au livre foncier emporte présomption simple d’existence d’un droit de propriété en raison du contrôle exercé par le juge du livre foncier.

Une loi du 29 avril 1994 avait déjà autorisé la création du GILFAM, le groupement d’intérêt public pour l’informatisation du livre foncier d’Alsace-Moselle, basé à Colmar, qui devait informatiser le livre foncier. Cette informatisation est achevée depuis 2008, date à laquelle le GILFAM a été remplacé par l’EPELFI, l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé.

Dans la proposition de loi que je vous soumets, il est proposé d’étendre les compétences de l’EPELFI à l’informatisation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Cette nouvelle compétence se situera tout naturellement dans le prolongement de la mission actuelle de l’EPELFI, car cadastre et livre foncier sont indissociables et complémentaires. La publicité foncière fonctionne chez nous sur le principe de la concordance parfaite, absolue entre le cadastre et le livre foncier. Un échange systématique d’informations existe entre les bureaux du cadastre et les greffes du livre foncier.

Mes chers collègues, pour bien comprendre de quoi il s’agit, je voudrais préciser que, dans nos départements, la loi concernant le renouvellement du cadastre du 31 mars 1884 associe, au plan cadastral à l’échelle, des croquis de levé cotés résultant de mesurages terrestres. C'est une spécificité remarquable de l’Alsace-Moselle. Ces croquis sont réalisés par les services du cadastre pour la conservation du plan et par les géomètres-experts au moment de l’établissement des documents d’arpentage chaque fois qu’une limite parcellaire est modifiée. Ils sont conservés dans les annexes du livre foncier.

Le problème est que le nombre de croquis augmente en permanence et que l’état de ces documents, régulièrement utilisés par les experts ou encore par les notaires, se dégrade fortement. Il faut donc passer à la dématérialisation de ces croquis pour permettre leur conservation. J’ai pris contact avec la direction générale des finances publiques, la DGFIP, qui ne s’est pas montrée hostile à cette proposition, mais a suggéré une autre rédaction pour le second alinéa de l’article 4 du texte. Tel est l’objet de l’amendement n° 4, que j’ai déposé en ce sens.

Enfin, sur ce même sujet de la modernisation du cadastre, il est également proposé de toiletter la loi du 31 mars 1884 afin d’en harmoniser les dispositions avec les règles du droit civil régissant la prescription acquisitive trentenaire et d’abroger une disposition de droit transitoire surannée. Tel est l’objet de l’article 5 de la proposition de loi.

Le troisième sujet phare concerne la taxe des riverains.

C’est la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 – je le précise pour sortir de toute considération politicienne – qui a abrogé, à partir du 1er janvier 2015, la législation locale relative à la taxe des riverains, applicable dans les seuls départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. À l’époque, cette suppression est intervenue sans aucune concertation avec les associations des maires des trois départements de l’Est, et sans étude d’impact sur les incidences financières pour les communes. Par ailleurs, la Commission d’harmonisation du droit privé n’avait même pas été consultée.

Dans ces conditions, la proposition de loi prévoit de supprimer l’abrogation des dispositions de droit local régissant la taxe de riverains et, ainsi, de pérenniser l’existence de cette dernière.

Le maintien de la taxe des riverains se justifie pour au moins trois raisons.

M. Roland Ries. C’est de l’autoconviction !

M. André Reichardt. En premier lieu, cette taxe se caractérise par son efficacité et par sa simplicité en termes de mise en place et de gestion : les différents riverains contribuent à hauteur du nombre de mètres linéaires de leur parcelle donnant sur la voie en cours de viabilisation. Ces qualités sont reconnues par un grand nombre de maires, lesquels m’ont régulièrement sollicité sur l’évolution législative en la matière.

En deuxième lieu, le maintien de la taxe serait en symbiose avec le principe constitutionnel d’autonomie financière posé par l’article 72-2 de la Constitution du 4 octobre 1958. Dans ce cadre juridique, les communes d’Alsace et de la Moselle doivent pouvoir disposer de la liberté d’instituer ou non la taxe des riverains, parallèlement aux deux nouvelles taxes instaurées par la loi de finances rectificative pour 2010, dont la taxe d’aménagement.

Quant au cumul éventuel de la taxe d’aménagement et de la taxe des riverains, il peut être envisagé pour autant que les deux taxes ne financent pas les mêmes travaux. À titre d’illustration, la jurisprudence antérieure à la réforme de la fiscalité de l’urbanisme de 2010, qui demeurera pertinente avec la disposition proposée, a considéré que la taxe des riverains était une contribution additionnelle qui peut se cumuler avec la taxe locale d’équipement prévue à l’article 1585 A du code général des impôts.

Enfin, la conservation de la taxe des riverains repose également sur la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2011, dite « société Somodia », dont nous reparlerons tout à l'heure et qui érige l’existence du droit local en un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

La quatrième partie de la proposition de loi a trait à la modernisation du droit local des associations coopératives.

Dans les trois départements de l’Est, le droit des associations coopératives de production et de consommation est régi par la loi du 1er mai 1889, modifiée par la loi du 20 mai 1898. On le sait, les associations coopératives contribuent fortement à l’économie sociale dans différents secteurs, qu’il s’agisse d’achats en commun de produits, de logement, de bâtiment ou encore d’alimentation en gros. Elles participent à la mobilisation pour l’emploi et, plus généralement, à la cohésion sociale. Afin de rendre le droit des associations coopératives plus attractif, il est proposé de simplifier la création et le développement de ces organismes en assouplissant les règles d’acquisition et de perte de la qualité de sociétaire ainsi qu’en abrogeant une série de dispositions devenues obsolètes. Cette abrogation participe d’une meilleure lisibilité de la loi et apporte une sécurité juridique.

La cinquième partie est relative à la modernisation du droit local du repos dominical et pendant les jours fériés.

Mes chers collègues, la question du travail le dimanche est en débat non seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe, sinon dans l’ensemble des sociétés occidentales.

Dans les trois départements de l’Est, la réglementation est schématiquement la suivante. Dans l’industrie, il est interdit d’employer des salariés le dimanche, sauf dérogation. Dans le commerce, en revanche, la loi autorise, en principe, une ouverture dominicale pour une durée maximale de cinq heures, mais l’existence de statuts locaux aboutit à une interdiction quasi générale d’ouverture ; des dérogations sont néanmoins possibles. Enfin, il existe deux jours fériés légaux supplémentaires dans nos trois départements. Essayez donc de téléphoner en Alsace ou en Moselle le Vendredi saint ou à la saint Étienne : il n’y aura pas grand monde pour vous répondre !

Des enquêtes et des consultations organisées par l’Institut du droit local alsacien-mosellan, il ressort qu’il existe en Alsace et en Moselle un très large consensus pour conserver la réglementation locale régissant les activités du dimanche et des jours fériés, laquelle prévoit une forte protection du repos dominical et pendant les jours fériés tout en permettant certaines dérogations pour tenir compte des besoins du public. Ce consensus pour le maintien du droit local va des organisations représentatives de salariés aux représentants de la grande distribution et aux associations de consommateurs, en passant par les responsables politiques, les chambres consulaires et, même, les médias.

Ce consensus est aussi réfléchi que responsable : il est le résultat d’une réflexion approfondie et d’une perception claire des enjeux et de la complexité du sujet, mais il tient aussi à la fragilité du droit local et aux menaces qui pèsent sur lui, dont tous les acteurs sont également conscients. De ce consensus, il serait erroné de déduire que le système applicable en Alsace-Moselle est stable et parfait, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’en occuper. Bien au contraire, il est grand temps de le renforcer et, pour ce faire, d’en corriger certaines faiblesses. Un travail de modernisation et de clarification a d’ores et déjà commencé. L’insertion des dispositions locales dans le code du travail les a rendues plus accessibles et a notamment permis d’établir de manière formelle l’applicabilité dans les trois départements de l’Est de la règle du repos hebdomadaire, règle non prévue par le droit local. Toutefois, d’autres aménagements sont aussi nécessaires.

La présente proposition de loi vise à clarifier, simplifier et adapter les dispositions locales au contexte contemporain et, dans le même temps, à renforcer leur effectivité et à préciser les sanctions applicables. Ces adaptations relèvent tant du domaine de la loi que du règlement – bien entendu, je me contenterai d’évoquer le seul domaine législatif.

À cet égard, il nous semble, à l’Institut du droit local alsacien-mosellan, à la commission du droit local d’Alsace-Moselle et à moi-même, qu’il faut apporter à la législation locale du repos dominical les retouches techniques souhaitables. Il faut ainsi prévoir l’obligation éventuelle de fermeture un jour de semaine si l’ouverture est autorisée le dimanche, clarifier le statut du Vendredi saint, simplifier le régime des dimanches avant Noël, préciser les modalités de consultation des employeurs et des salariés en cas de modification des statuts locaux, abroger les dispositions devenues inutiles et corriger les erreurs de rédaction résultant de codifications précédentes.

Bien entendu, parallèlement au travail engagé dans le cadre de cette proposition de loi, des négociations entre partenaires sociaux devaient également être menées sur les contreparties accordées aux salariés travaillant le dimanche. C’est ainsi qu’un accord collectif territorial a été conclu le 6 janvier dernier dans le secteur du commerce. Cet accord est en cours d’extension, ce dont on ne peut que se féliciter.

Pour finir, le dernier article de la proposition de loi, article que j’ai souhaité introduire en commission des lois, vise à clarifier l’un des outils emblématiques de la procédure de partage judiciaire de droit local, afin d’atteindre pleinement les objectifs ayant conduit au vote de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, tout en conservant les mécanismes fondamentaux de cette procédure. Cet article résulte d’un vœu adopté par le XIème congrès interrégional des notaires des cours d’appel de Colmar et de Metz en octobre 2012 et a fait l’objet d’une approbation unanime de la Commission d’harmonisation du droit privé, lors de sa séance du 21 décembre 2012.

Mes chers collègues, je vous prie de m’excuser si mon exposé a été trop long ou trop technique.

Comme je l’ai indiqué au début de mon propos, les modifications figurant dans la proposition de loi ont été scrupuleusement et longuement étudiées par l’Institut du droit local alsacien-mosellan et par la Commission d’harmonisation du droit privé. Elles traduisent les besoins et les demandes de ces deux institutions, ainsi que des partenaires sociaux, pour ce qui concerne le régime du dimanche. Elles font consensus chez les usagers et les utilisateurs du droit local des trois départements de l’Est, et elles constituent des avancées nécessaires pour moderniser le droit local alsacien-mosellan. À titre personnel, je me suis contenté d’en être le véhicule législatif. Dans ces conditions, je souhaite que ce texte soit voté le plus largement possible, voire par tous les groupes de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)