M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un petit texte dont l’examen nous rassemble aujourd’hui – un seul article, quelques alinéas –, mais cette proposition de loi aura sans nul doute de grands effets : nous espérons tous ici que la voiture électrique s’imposera auprès d’un grand nombre de nos concitoyens.
La mesure proposée est simple et technique, mais nous aurions tort d’en sous-estimer la portée : comme l’a dit M. le ministre, elle est aussi politique.
Nous sommes aujourd’hui face à un tournant décisif, non seulement pour l’avenir d’une filière industrielle au sein de laquelle notre pays occupe le premier rang, mais aussi au regard de notre capacité, de notre volonté à nous engager pleinement dans la transition énergétique, en nous appuyant sur un modèle économique et industriel plus sobre en énergie carbonée.
Le véhicule électrique est le vecteur devant nous permettre d’atteindre tous ces objectifs ambitieux. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler devant la commission, il n’est plus ce que l’on a pris l’habitude d’appeler le « véhicule du futur » : la voiture électrique, c’est bien la voiture d’aujourd’hui ; il faut simplement tracer le chemin.
Premièrement, la voiture électrique permet de créer des emplois et des métiers nouveaux au sein d’une filière industrielle d’excellence, retenue au titre des trente-quatre plans de reconquête industrielle définis par le Gouvernement, d’autant que nous disposons d’un important avantage compétitif, celui de pouvoir compter sur des entreprises d’envergure mondiale, tant chez les constructeurs automobiles que chez les électriciens, comme Schneider ou Legrand.
Deuxièmement, la voiture électrique permet de réduire significativement nos émissions de gaz à effet de serre, ainsi que les nuisances sonores, puisqu’elle est silencieuse.
Troisièmement, elle nous permet de nous conformer aux exigences européennes et de ne pas être en défaut par rapport à la directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants de substitution. Celle-ci devrait être adoptée prochainement ; elle prévoit que les États membres se fixent des objectifs de déploiement de bornes de recharge électrique via des plans nationaux. Bref, nous sommes dans le sujet !
Malgré une montée en puissance significative au cours de ces dernières années, le parc de véhicules électriques reste limité, avec environ 25 000 unités à ce jour, c’est-à-dire 0,5 % du parc global. En outre, en dépit d’une augmentation des ventes de 50 % entre 2012 et 2013, les premiers chiffres pour l’année 2014 ne sont pas aussi prometteurs : ils laissent entrevoir un léger recul des ventes, qu’il nous faut enrayer sans plus attendre.
Pourquoi cette fragilité ? Monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que les causes sont connues : le prix, tout d’abord, demeure trop élevé pour un grand nombre de nos concitoyens – cela est largement dû à celui des batteries –, mais il sera bientôt amené à baisser, grâce à ce que l’on appelle l’effet de série et aux avancées de la recherche.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. Il faut aujourd'hui compter 13 000 euros en moyenne, après déduction des aides, pour une voiture électrique, auxquels s’ajoutent environ 150 euros de charges par mois, y compris la location de la batterie et les recharges en électricité. Sans doute est-ce encore beaucoup. Surtout, faute d’une communication plus incisive, le véhicule électrique est perçu comme moins rentable qu’un petit véhicule thermique.
À cet égard, les auditions ont fait apparaître des problèmes de communication manifestes : sur les dix-sept modèles de véhicule électrique existants, d’abord ; sur les coûts, ensuite, puisque, en réalité, contrairement à l’opinion communément admise, avec les pleins d’essence, le prix de revient des véhicules thermiques est souvent supérieur, d’autant que les véhicules électriques sont robustes, durent longtemps et ne nécessitent pratiquement pas de maintenance ; enfin, il semble qu’il existe des problèmes de communication dans les concessions automobiles, où les clients sont parfois réorientés vers des véhicules thermiques, dont la vente est plus rémunératrice !
S’y ajoute ce fait de société que, à l’évidence, nous n’avons pas encore intégré la « culture du véhicule électrique ». En l’occurrence, le défi porte sur les valeurs. Monsieur le ministre, j’ai bien compris que vous vouliez le relever, et nombreux ici sont ceux qui vous soutiennent.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. Il s’agit de diffuser plus encore la culture du véhicule propre, ainsi que de nouveaux comportements, dans tous les secteurs de la société.
Toutefois, la bataille à gagner n’est pas que culturelle : il faut aussi compter avec les contraintes, les freins technologiques et l’incertitude à l’égard des évolutions.
Mais l’obstacle le plus important, celui qui empêche une vraie montée en puissance des ventes de véhicules électriques, c’est l’absence d’un réseau dense et structuré de bornes de recharge électrique sur notre territoire. Nous touchons sans doute là le point dur : la résolution de cette difficulté sera le déclic qui permettra, je le crois, à la fois de rassurer les utilisateurs et de vulgariser ce mode de transport.
Je reconnais que cette situation tient pour beaucoup à des facteurs psychologiques. En effet, on sait que l’autonomie des batteries sera de plus en plus importante. Elle est actuellement de 120 kilomètres en moyenne, comme l’a rappelé M. le ministre, mais, en commission, notre collègue Alain Fouché a évoqué de nouveaux modèles, notamment développés par Renault, dont l’autonomie pourrait atteindre 300 kilomètres.
En outre, seulement 10 % des bornes de recharge, qui sont d’ailleurs les seules concernées par la proposition de loi, relèvent du domaine public, puisque 90 % des charges se font à domicile ou sur le lieu de travail. D’ailleurs, pour stimuler l’équipement des particuliers et des immeubles collectifs, un coup de pouce serait aussi nécessaire. Sur ce sujet, monsieur le ministre, ne serait-il pas envisageable de rendre ces points de recharge éligibles aux certificats d’économie d’énergie ? Cette idée recueille l’assentiment de nombreux collègues. Qu’en pensez-vous ?
Mais revenons à notre proposition de loi.
Malgré tout ce que je viens de dire en faveur du véhicule électrique, beaucoup de nos concitoyens ne franchissent pas le pas, car ils ont tout simplement peur de tomber en panne loin de chez eux. Il est donc urgent de lever cet obstacle.
Le Président de la République, lors de la conférence environnementale de 2013, a fixé un objectif clair : le pays doit être partout équipé de bornes de recharge d’ici à 2015.
Quel est l’état du réseau aujourd’hui ? On compte environ 8 000 points de charge installés ou programmés : 3 760 ont été installés par les collectivités territoriales sur les territoires – ces investissements sont soutenus par l’ADEME, à hauteur de 30 % ou de 50 % selon la nature de la borne, accélérée ou rapide – et 1 500 dossiers sont en cours d’instruction. Citons aussi les quelque 5 000 points de charge parisiens du système Autolib’ et, enfin, ceux qui relèvent d’initiatives privées.
Ce réseau est le premier d’Europe et le troisième au niveau mondial. Toutefois, nous l’avons dit, il n’est pas suffisant. J’ajouterai qu’en plus de ne pas être assez dense, il ne constitue pas un réseau à proprement parler, puisque toutes ces initiatives ont été prises parallèlement, en fonction des projets, sans véritable coordination générale, de manière un peu anarchique. Il en résulte, aujourd’hui, de fortes disparités locales. Par exemple, 2 710 bornes ont déjà été installées en Poitou-Charentes, contre seulement 30 en Champagne-Ardenne ou 50 en Bourgogne.
Le parc national de bornes de recharge existant est donc très déséquilibré, avec des « zones blanches » très faiblement équipées, et donc un risque de rupture d’égalité territoriale – soit le risque d’une nouvelle fracture venant s’ajouter à d’autres, comme la fracture numérique.
La présente proposition de loi, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 6 mai dernier, répond à cette insuffisance. Son objet est double : accélérer le déploiement des bornes de recharge et rééquilibrer les implantations en assurant un maillage national cohérent, au moyen de l’exonération de redevance pour occupation du domaine public que met en place l’article unique du texte.
Cette proposition de loi va donc tout changer !
Aujourd’hui, seules les collectivités territoriales peuvent installer des bornes de recharge électrique sur leur propre domaine public. Elles le font avec l’aide de l’ADEME que je viens d’évoquer. À l’avenir, l’État ou un opérateur pourront aussi installer des bornes sur le domaine public des collectivités, sans avoir à payer de redevance.
Sur ce point, la commission a adopté, sur ma proposition, un certain nombre de modifications visant à garantir qu’il n’y aura aucune rupture d’égalité. Le texte de la commission est clair : pourront être chargés du déploiement d’infrastructures de recharge sur le territoire des collectivités l’État, un opérateur, qu’il soit public ou privé, ou même plusieurs opérateurs. Tous ces schémas seront possibles. La commission a également étendu le champ de cette exonération de redevance au domaine public de l’État et à celui des établissements publics de coopération intercommunale.
Toutefois, le bénéfice de cette exonération de redevance sera soumis à plusieurs conditions impératives.
Première condition, l’État, le ou les opérateurs concernés devront soumettre un plan de déploiement de bornes de recharge à l’approbation des ministres chargés de l’industrie et de l’écologie, qui devront en contrôler la « dimension nationale ».
Qu’y a-t-il derrière cette notion de « dimension nationale » ? La commission du développement durable a considéré que si un décret devrait bien sûr préciser les modalités pratiques de cette nouvelle procédure d’agrément par les ministres, la rédaction du deuxième alinéa n’était sur ce point pas assez précise : il fallait lui donner un peu plus de consistance. Elle a donc récrit cet alinéa en indiquant qu’un projet de dimension nationale s’entend d’un projet qui, premièrement, se déploie sur deux régions au moins – il s’agit d’un minimum, j’insiste sur ce point, et beaucoup de ces plans concerneront sans doute l’ensemble du territoire national, comme j’ai pu le constater, lors des auditions, pour les projets en préparation chez un candidat comme Bolloré –, et, deuxièmement, assurera un aménagement équilibré du territoire eu égard au nombre et à la répartition des bornes.
La seconde condition impérative, pour l’État ou les opérateurs candidats, c’est d’avoir soumis leur plan de déploiement à une concertation rassemblant le porteur du projet, les collectivités territoriales et les responsables des réseaux de distribution d’électricité. La commission a ajouté à cette liste les personnes publiques gestionnaires du domaine public concerné, pour les cas où il ne s’agit pas des collectivités. Elle a par ailleurs supprimé la mention des réseaux de distribution de gaz, qui ne sont pas concernés par ce texte.
Ainsi, le dispositif prévu est clair : si le plan de l’opérateur respecte ces conditions, il sera alors validé par les ministres et il pourra être déployé sans qu’une redevance soit perçue.
Cette exonération, mes chers collègues, sera un « plus » pour les acteurs privés. En effet, les entreprises qui deviendront opérateurs ne s’engageront pas, avec ces plans de déploiement, dans des projets rentables à court terme. Les bornes coûtent en moyenne de 12 000 à 35 000 euros. Il s’agit d’investissements importants, d’un véritable pari industriel sur l’avenir. Nous devons faciliter ces investissements via l’exonération de redevance.
Je crois que nous partageons tous cette ambition, quelle que soit notre couleur politique. Elle s’inscrit dans le droit fil des préconisations du Livre vert de notre collègue Louis Nègre, et je voudrais souligner que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des membres de la commission du développement durable.
Je voudrais enfin insister sur un point très important, sur lequel s'interrogent les collectivités territoriales : la possibilité ouverte à l’État ou à des opérateurs nouveaux ne fera pas disparaître les initiatives locales.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. Votre parole, monsieur le ministre, a été entendue !
D’une part, les collectivités territoriales continueront à implanter sur leur propre domaine public des bornes de recharge avec le soutien de l’ADEME. Ces initiatives devraient même monter en puissance, puisque l’ADEME devrait assouplir les critères d’éligibilité en exigeant, par exemple, une borne pour 3 000 habitants et en ramenant à environ 200 000 euros le seuil de coût des projets. Sur l’enveloppe de 50 millions d’euros gérée par l’ADEME au titre des investissements d’avenir, 12 millions d’euros seulement ont été dépensés. Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous donner plus de précisions sur cette faible consommation des crédits.
D’autre part, les initiatives de l’État ou des opérateurs n’entreront pas en « concurrence » avec les plans des collectivités : elles concerneront au contraire des zones où les collectivités n’interviennent pas, par exemple des axes interrégionaux ou des autoroutes, avec l’implantation de bornes de charge rapide. Il y aura donc bien complémentarité.
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. C’est l’ensemble de ces initiatives – celles des collectivités territoriales, celles de l’État ou des opérateurs, ainsi que les initiatives privées – qui constitueront le fameux « réseau essentiel ».
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois que nous avons là un texte équilibré et pragmatique. Il permettra d’accélérer le déploiement sur notre territoire de bornes de recharge, ce qui donnera à tous la possibilité de faire le choix d’un véhicule électrique, quelle que soit la région.
Je conclurai, monsieur le ministre, en vous adressant quelques questions.
Avez-vous des précisions à nous donner sur les candidatures qui se profilent pour être opérateur du déploiement des points de charge ?
Par ailleurs, nous sommes nombreux ici, sur toutes les travées – je pense notamment à certains de nos collègues de la commission –, à regretter la formulation trop restrictive du décret relatif au bonus écologique, qui n’englobe pas les cas de locations de longue durée ou avec option d’achat. Allez-vous modifier ce décret ?
M. Charles Revet. On va tout savoir !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous en remercie.
L’extension du dispositif d’exonération par la commission au domaine public de l’État et des EPCI, au bénéfice de tous les opérateurs, publics comme privés, pourrait avoir des conséquences financières pour les collectivités locales. Sur ce point, vous nous avez apporté des informations dans votre propos liminaire ; je n’y insiste pas.
Enfin, vous engagez-vous à ce que l’État prenne en charge lui-même la desserte des « zones blanches » qui ne seraient toujours pas couvertes, y compris par les opérateurs ? Il importe que l’État assure ce que l’on appelle la couverture globale ou la couverture essentielle. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui vise à développer la filière des véhicules électriques et hybrides rechargeables en facilitant l’installation d’infrastructures de recharge de batteries et en levant ainsi l’un des freins à l’achat de ce type de véhicules, à savoir la crainte de la panne sèche électrique loin de toute prise.
Le développement du véhicule électrique est l’une des composantes possibles de la mutation industrielle du secteur automobile en cours. Cela, nous ne le nions pas, même si les écologistes font un lien entre le développement du véhicule électrique et le maintien, voire la survie, de l’industrie nucléaire. Ce lien n’existe pas, à mon avis, mais on peut en établir un entre le développement du véhicule électrique et celui des énergies renouvelables ; j’y reviendrai.
Explorer le développement du véhicule électrique est donc de bonne politique. Nous connaissons les contraintes nouvelles qui obligent aujourd'hui à une mutation rapide de notre secteur automobile : pollution atmosphérique, changement climatique, raréfaction du pétrole et flambée de son prix.
J’insiste sur ces obligations de mutation. Je le crois, nous nous fragiliserions et nous fragiliserions nos filières automobiles en les niant ou en cédant à la tentation de retarder cette mutation au prétexte, précisément, de la trop grande fragilité du secteur. Il est rare que l’on sauve un malade en retardant la prise des médicaments…
L’histoire nous apprend même que retarder les échéances conduit toujours à payer plus cher les mutations industrielles, voire à être confrontés à un krach : l’histoire industrielle française est pleine de ces désastres liés à des dénis de réalité.
En observant la situation actuelle du marché automobile, on pourrait presque se croire revenu aux premiers temps de l’automobile. En 1900, sur la voie publique, on pouvait croiser les voitures à vapeur d’Amédée Bollée ou celles de Serpollet-Peugeot, qui mit au point la chaudière à « vaporisation instantanée », des voitures à moteur à explosion à allumage électrique et refroidissement à eau, ou encore des véhicules à moteur à cycle thermodynamique à quatre temps, fonctionnant au carbure de pétrole. J’arrête là l’énumération – on pourrait y passer l'après-midi –, mais c’était une période extrêmement créative de l’histoire de l’automobile.
Plus d’un siècle plus tard, nous nous retrouvons un peu dans la même situation. Plusieurs technologies sont sur la table – ou plutôt sur la route –, et il est probablement impossible, aujourd’hui, de prédire laquelle sortira du lot pour se développer massivement. Mentionnons les véhicules thermiques légers à très basse consommation – la fameuse voiture « à deux litres aux 100 » sur laquelle le Gouvernement s'est également engagé –, les véhicules hybrides, les hybrides rechargeables, les véhicules électriques, ceux à moteur à hydrogène ou à pile à combustible…
Ce foisonnement technologique autour de la voiture du futur appelle un soutien des pouvoirs publics. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’État a un rôle à jouer pour orienter et accompagner l’émergence du véhicule le plus adapté aux besoins actuels et aux enjeux futurs, cela alors que la situation de l’emploi dans la filière est particulièrement fragile sur le territoire national. L’enjeu est donc absolument essentiel.
L’excellent rapport réalisé par la sénatrice Fabienne Keller et le député Denis Baupin au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques insiste d’ailleurs sur le fait que « la voiture de demain exige d’accepter de faire preuve d’imagination ». Cela signifie aussi qu’il ne serait pas raisonnable de mettre tous nos œufs dans le même panier, si je puis m’exprimer ainsi.
L’État a donc un rôle crucial à jouer pour coordonner la recherche et le développement, mais il ne doit en aucun cas se focaliser sur le soutien à une seule technologie : ce serait prendre un risque – ou un pari, pour reprendre le terme employé par M. le rapporteur – tout à fait excessif.
Rien ne dit, en effet, que le véhicule électrique sera à terme « la » solution de mobilité individuelle. Les véhicules électriques pâtissent aussi de plusieurs inconvénients propres, tels que l’autonomie des batteries, le fort appel de puissance électrique des recharges rapides et les pollutions causées par ces mêmes batteries. Ces inconvénients se cumulent aux problèmes habituels liés aux voitures qui fonctionnent aux énergies fossiles, à savoir la congestion des routes, la consommation d’énergie « grise » pour produire le véhicule.
La question qu’il convient de se poser pourrait donc être la suivante : parmi l’ensemble des technologies en cours d’évolution, laquelle est la plus pertinente selon le secteur géographique, le besoin précis à couvrir ? Concernant le véhicule électrique, l’usage partagé et urbain semble aujourd’hui le mieux adapté au regard des technologies proposées, comme l’atteste son développement depuis quelques années.
Il s’agit de veiller à ne pas surdimensionner les investissements, au risque d’engendrer des coûts inutiles pour des usages qui seront couverts, à l’avenir, par d’autres offres techniques ou de mobilité collective.
Concernant l’objet même de cette proposition de loi, je voudrais insister sur le fait que le réseau de bornes de recharge doit s’inscrire dans un réseau intelligent. La mutation du modèle électrique en cours implique en effet le déploiement de réseaux intelligents, mettant en relation l’offre et la demande, les producteurs et les consommateurs d’électricité.
Si le véhicule électrique vient à se développer massivement, il faut envisager que les véhicules et les bornes soient en réseau. Cela permettrait notamment de moduler le tarif des recharges selon l’offre d’électricité, afin d’éviter que l’alimentation des véhicules électriques accentue trop les pointes de consommation électrique,…
M. Ronan Dantec. … voire, dans certains cas, que les véhicules servent de stockage d’appoint et puissent réinjecter de l’électricité dans le réseau. Une voiture utile même immobile, c’est une utopie intéressante ! (Sourires.)
Bref, s’il reste encore de nombreuses pistes de réflexion à explorer et des sauts technologiques à réaliser, cette proposition de loi va dans le bon sens pour favoriser le développement de cette filière.
Toutefois, vous l’aurez compris, les écologistes croient à la complémentarité des modes de déplacement. Dès lors, les investissements en faveur de la mobilité durable et le soutien à la filière doivent s’opérer dans plusieurs directions : recharge des batteries, autopartage, parkings pour le covoiturage, aménagement de voies réservées, incitations diverses aux transports en commun, etc.
Nous avons besoin d’investir pour la mobilité durable, ce qui implique non seulement de susciter des flux financiers à destination de ces investissements de mobilité, mais aussi d’établir une cohérence d’action. En matière de flux financiers, la taxe sur les poids lourds est évidemment un outil pertinent pour engendrer des recettes affectées aux transports de demain. J’espère que des annonces et des propositions seront faites dans les prochains jours sur ce point.
Le bonus-malus automobile est également un outil pertinent ; nous avions eu l’occasion d’en discuter, monsieur le ministre. Dans cette perspective, si l’on considère que l’État doit accompagner la mutation de l’industrie automobile dans toute sa diversité, le bonus automobile doit répondre à l’ensemble des enjeux. Il peut évidemment soutenir le développement du véhicule électrique – il le fait aujourd’hui assez massivement –, mais il doit aussi servir à résoudre l’ensemble des autres questions : je pense notamment à celle de la pollution atmosphérique liée à un parc diesel vieillissant. Sur ce plan aussi, le bonus-malus est un outil absolument essentiel. Il doit être utilisé à cette fin, c’est une question de cohérence.
Alors que le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre, la réorientation des transports vers la mobilité durable doit rester la priorité. C’est un pan essentiel de la transition écologique, et une opportunité en termes de création d’emplois et d’amélioration de la qualité de vie.
Les mesures à prendre sont donc nombreuses et diverses. Le texte qui nous est proposé aujourd’hui constitue une partie de la réponse. Le groupe écologiste votera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, mais sans perdre de vue le fait que celle-ci n’a de sens que dans une vision d’ensemble. Il s’agit non pas de « faire des coups », mais d’avoir les idées claires sur le calendrier, les usages privilégiés, la hiérarchisation des investissements : nous avons la responsabilité collective de construire cette cohérence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, mon intervention s’articulera selon quatre points : l’évolution de la filière, le texte de la proposition de loi, le contexte actuel et la présentation de quelques propositions.
En préambule, je voudrais remercier mes collègues pour la qualité du travail de coproduction accompli au sein de la commission du développement durable et saluer la grande ouverture d’esprit du président de celle-ci, Raymond Vall, et du rapporteur, Jean-Jacques Filleul. (Marques d’approbation sur de nombreuses travées.)
En ce qui concerne tout d’abord l’évolution de la filière du véhicule électrique, il faut souligner que celle-ci est une vraie filière industrielle d’avenir et d’excellence. Les constructeurs français captent 80 % du marché, contre 53 % pour les autres véhicules particuliers. La France est le premier marché du véhicule électrique en Europe, et le troisième mondial.
La filière repose, en France, sur des atouts considérables : une filière automobile puissante, qui possède les compétences nécessaires et nous permet de détenir cette avance technologique ; une ingénierie et un centre de recherche, le CEA, renommés ; un constructeur mondial, Renault, qui mène une politique très volontariste, avec 4 milliards d’euros d’investissements ; un mix énergétique favorable, ne produisant pas de gaz à effet de serre car il est à base d’énergie nucléaire ; une politique industrielle d’État qui, malgré quelques ralentissements malheureux et l’alternance de sensibilités politiques différentes, trace néanmoins sa route, depuis le Grenelle 2, en 2010, à l’inscription, en 2013, de cette filière au sein des trente-quatre plans de la nouvelle France industrielle, en passant par le Livre vert, en 2011, dont j’ai eu l’honneur d’avoir la responsabilité, les missions Hirtzman, en 2012, et Vuibert, aujourd'hui, ainsi que les appels à manifestation d’intérêt successifs.
Le véhicule électrique est donc, à nos yeux, une filière stratégique pour la France, qui doit susciter l’union sacrée de tous les acteurs,…
M. Philippe Bas. Exactement !
M. Louis Nègre. … d’autant que le développement de cette filière d’excellence entraîne de fortes retombées positives en termes environnementaux, économiques et sociétaux, ainsi que sur le plan de la santé publique, ce qui est au moins aussi important, monsieur Dantec !
Les premiers résultats permis par ce volontarisme d’État sont significatifs. En France, en 2013, 13 954 véhicules électriques ont été vendus, soit 50 % de plus qu’en 2012. À plus longue échéance, une étude que vous avez citée, monsieur le ministre, prévoit que, en 2022, 35 millions de véhicules fonctionnant sur la base d’une technologie électrique seront en circulation dans le monde. On peut ajouter que, à terme, les véhicules électriques représenteront de 10 % à 15 % du marché automobile, qui est, je le rappelle, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’unités vendues par an, tous pays confondus.
Il est significatif de constater que, au cours des trois dernières années, les ventes de véhicules électriques ont été vingt fois plus importantes que les ventes des premiers modèles de véhicules hybrides, il y a quinze ans ! Cette accélération du tempo commercial confirme le développement positif de la filière.
Au vu de ces prévisions et de ces statistiques concrètes, la France est donc leader. Elle se doit de conserver sa place dans le peloton de tête des pays champions de l’électromobilité, ne serait-ce que pour l’emploi industriel de demain, ainsi que pour notre balance du commerce extérieur…
Parallèlement à l’action de l’État, nombre de collectivités locales, à l’image de la métropole Nice Côte d’Azur – que vous avez malencontreusement oublié de citer, monsieur le ministre –, se sont engagées elles aussi résolument dans cette voie.
J’en veux pour preuve que Nice Côte d’Azur a été la première agglomération, avant Paris et le service Autolib’, à créer dans un environnement de smart grid, sur l’initiative de Christian Estrosi, ancien ministre de l’industrie, un système d’autopartage de véhicules électriques. Ce dernier met aujourd’hui à disposition 66 stations, 198 voitures, 66 bornes de recharge et 132 places destinées à la recharge de véhicules électriques privés. Motif de satisfaction supplémentaire, cette mobilité décarbonée rencontre, sur le terrain, un grand succès auprès des utilisateurs azuréens.
Cet engouement se comprend dès lors que l’on sait que 85 % des Français parcourent moins de 65 kilomètres par jour. Par conséquent, même si l’autonomie du véhicule électrique est aujourd'hui limitée, celui-ci peut tout à fait répondre aux besoins de la plupart de nos concitoyens. Ayant eu l’occasion de tester un véhicule électrique Renault pendant un an, je puis en témoigner : il m’a permis d’effectuer 95 % de mes déplacements dans mon département. Cet élément n’est pas intégré dans l’appréhension de la « dimension culturelle » du véhicule électrique et des déplacements en France.
La voiture électrique apparaît donc bien adaptée aux attentes de la grande majorité de nos concitoyens, y compris en milieu rural. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, 75 % des Zoé sont vendues en milieu rural. Qui l’eût cru ? Ce chiffre surprenant est inconnu de la plupart des Français.
Pour autant, c’est loin d’être la « fin de l’histoire » ; nous n’en sommes qu’aux prémices. De 25 000 à 30 000 véhicules électriques sont en circulation aujourd’hui. Le Livre vert envisageait la présence de 2 millions de véhicules électriques sur nos routes en 2020 ; au mieux, nous atteindrons la moitié de ce chiffre ! On compte à ce jour environ 8 000 points de recharge, chiffre inférieur, là encore, aux prévisions initiales. Quant aux collectivités locales, elles n’ont utilisé que 12 millions d’euros sur les 50 millions d’euros de l’enveloppe mise à disposition.
Bref, monsieur le ministre, le bilan est contrasté. Je le regrette. Ce n’est pas être négatif que de le dire, c’est être réaliste, tout simplement, et ce réalisme nous confirme dans la conviction qu’il est absolument nécessaire de poursuivre à marche forcée la mise en œuvre de la politique engagée depuis quatre ans, d’autant que l’Europe, dans son projet de directive, prévoit l’installation de 55 000 points de recharge. En France, nous en sommes loin !
Aussi cette proposition de loi facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public est-elle accueillie favorablement par le groupe UMP.