Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
Secrétaires :
Mmes Michelle Demessine, Catherine Procaccia.
2. Publication du rapport d'une commission d'enquête
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
4. Candidature à un organisme extraparlementaire
5. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
6. Modification de l'ordre du jour
7. Prescription de l'action publique des agressions sexuelles. – Adoption d'une proposition de loi
Discussion générale : Mme Muguette Dini, auteur de la proposition de loi ; M. Philippe Kaltenbach, rapporteur de la commission des lois ; Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Mmes Esther Benbassa, Joëlle Garriaud-Maylam, Chantal Jouanno, Cécile Cukierman, MM. Jean-Claude Requier, Jean-Pierre Michel, Mme Catherine Deroche.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de la commission. – M. le rapporteur, Mmes Laurence Rossignol, secrétaire d'État ; Muguette Dini, Cécile Cukierman, Nathalie Goulet, Esther Benbassa, M. Alain Gournac, Mme Chantal Jouanno. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Amendement n° 3 de la commission. – M. le rapporteur. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Amendement n° 4 de la commission. – M. le rapporteur, Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Muguette Dini. – Devenu sans objet.
Article 4. – Adoption
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
8. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
9. Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
10. Organisme extraparlementaire
11. Accueil et prise en charge des mineurs isolés étrangers. – Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi dans le texte de la commission
MM. le président, Jean-Pierre Michel, en remplacement de M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois.
Article 5 (déclaré irrecevable)
Mme Nathalie Goulet, M. Christian Favier, Mmes Esther Benbassa, Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.
Rejet de l’article.
La suppression de tous les articles entraîne le rejet de la proposition de loi.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Publication du rapport d'une commission d'enquête
M. le président. J’informe le Sénat que, ce matin, a expiré le délai de six jours nets pendant lequel pouvait être formulée la demande de constitution du Sénat en comité secret sur la publication du rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l’environnement du contrat retenu in fine pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds, créée le 27 novembre 2013, à l’initiative du groupe socialiste et apparentés, en application de l’article 6 bis du règlement.
En conséquence, ce rapport a été publié ce matin, sous le n° 543.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la politique de développement et de solidarité internationale.
J’informe le Sénat que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
4
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Comité national de l’eau.
La commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire propose la candidature de M. Thierry Repentin pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013, déposé ce jour sur le bureau de l’Assemblée nationale.
6
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par lettre en date du 27 mai 2014 et à la suite de la modification de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le Gouvernement a demandé le retrait de l’ordre du jour de la séance du jeudi 5 juin de la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du jeudi 5 juin s’établit ainsi :
À 9 heures 30 :
-Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ;
-Suite éventuelle de la deuxième lecture du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.
À 15 heures :
-Questions d’actualité au Gouvernement.
À 16 heures 15 et le soir :
-Suite éventuelle de l’ordre du jour du matin.
Acte est donné de cette communication.
7
Prescription de l'action publique des agressions sexuelles
Adoption d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, présentée par Mme Muguette Dini et plusieurs de ses collègues (proposition n° 368, résultat des travaux de la commission n° 550, rapport n° 549).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Muguette Dini, auteur de la proposition de loi.
Mme Muguette Dini, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur d’avoir permis que ce texte arrive en séance dans sa version initiale.
Pour mieux vous faire comprendre, chers collègues, le sens de ma proposition de loi, je vais vous lire le témoignage de deux victimes, et je vous demande toute votre attention.
Le premier témoignage est celui d’Ariane, haut fonctionnaire dans un ministère et présente cet après-midi dans les tribunes. Ce qu’elle raconte des événements survenus dans sa petite enfance est si violent que je n’ai pas souhaité vous en donner lecture. Il faut seulement savoir que ces événements sont confirmés par des mentions dans son carnet de santé et des précisions apportées par sa mère.
Je tiens, en revanche, à lui donner la parole concernant son père : « Il m’a violée entre huit et onze ans et demi. Ça s’est arrêté parce qu’à partir de ce moment-là, j’aurais pu me retrouver enceinte. À dix ans, j’ai fait une tentative de suicide par électrocution. J’ai amnésié tous ces viols et ma tentative de suicide. Je ne m’en suis souvenu qu’à... quarante-deux ans, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2012. Trente longues années où je n’ai pas vécu mais où j’ai survécu, dissociée et saccagée, à toutes les tortures que j’avais subies. »
Le deuxième témoignage est celui d’Olivier, cinquante-deux ans, pilote d’affaires et instructeur, qui se souvient : « Pensionnaire dans un établissement religieux, j’ai subi à dix ans des violences sexuelles graves, assorties de tortures, de la part d’un surveillant laïc. Quand j’ai quitté cet établissement pour entrer au collège, j’ai décidé que, plus jamais, je ne me laisserais faire. Je me suis procuré une carabine démontable, toujours à portée de main, y compris à l’école. J’ai enfoui tout cela, n’en ai jamais parlé à mes parents. Ces souvenirs sont remontés à la surface quarante ans plus tard, en retrouvant des camarades sur les réseaux sociaux. Je me rends compte maintenant des effets délétères de ces agressions : colères extrêmes, surréaction face à des événements anodins, perte de confiance en moi, désir d’autodestruction. » Olivier est aussi dans les tribunes, avec d’autres victimes, hommes et femmes.
Il existe même une association de joueurs de rugby, « Colosse aux pieds d’argile », dont tous les membres ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance.
Depuis le dépôt de notre proposition de loi, Chantal Jouanno et moi-même avons reçu de multiples témoignages, par lettre ou par mail, y compris d’une personne travaillant ici, au Sénat, toutes victimes trop âgées pour être entendues par la police ou la gendarmerie. Toutes espèrent que ce texte sera voté.
Il ne s’agit donc pas de cas exceptionnels ; il s’agit en vérité d’un véritable fléau, très répandu, dont beaucoup d’entre nous commencent à peine à prendre conscience.
Les chiffres sont parlants : on estime qu’une femme sur quatre, soit 25 %, et un homme sur six, soit 17 %, ont été victimes de violences sexuelles, et ce principalement durant l’enfance.
Les chiffres officiels communiqués par les services de police et de gendarmerie font état, en 2012, de 10 300 violences sexuelles – viols, agressions sexuelles, harcèlement sexuel – sur majeurs et de près de 16 000 violences sexuelles sur mineurs. Mais c’est la partie émergée de l’iceberg ! Car les chiffres officiels de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice font état, sur une population de dix-huit à soixante-quinze ans, en moyenne, chaque année, de 280 000 violences sexuelles hors ménage, de 850 000 violences physiques ou sexuelles intraménage, de 190 000 viols ou tentatives de viol ; ce qui fait, hors violences intraménage, 470 000 agressions sexuelles, à comparer aux 650 homicides commis par an. Dans cette enquête, il faut le souligner, les mineurs ne sont pas interrogés !
Par ailleurs, dans l’étude de Nathalie Bajos et de Michel Bozon, 16 % des femmes et 5 % des hommes rapportent des agressions sexuelles dans leur vie, alors que les mineurs, là encore, n’ont pas été interrogés.
Enfin, la seule étude française réalisée auprès des jeunes en utilisant une méthodologie scientifique l’a été en 2007 dans le monde du sport, après les révélations des viols de joueuses de tennis. Cette étude montre qu’un sportif interrogé sur trois a été victime de violences sexuelles, dans une proportion à peu près équivalente pour les garçons et pour les filles.
Les chiffres de la violence sexuelle qui sont en possession du ministère de l’éducation nationale, pour l’instant confidentiels mais dont nous avons pu avoir connaissance, montrent l’étendue des dégâts dans les établissements scolaires, autre facette de la violence sexuelle, liée, entre autres, à la pornographie, très présente sur les terminaux de nos enfants.
Il est intéressant de noter que, début mai, le Vatican a fourni des chiffres : 3 420 situations taxées de « crédibles », parce que fondées sur des accusations elles-mêmes jugées crédibles, ont été examinées au cours des dix dernières années, portant sur des actes commis entre 1950 et 1980. Quand on parle de 3 420 situations « crédibles », cela signifie 3 420 prédateurs dont on ignore, bien sûr, le nombre de victimes. Et si ce chiffre paraît faible, c’est que, là encore, il ne représente que la partie émergée de l’iceberg.
Tous ces chiffres ne concernent pas spécifiquement les mineurs, alors que la majorité des agressions sexuelles sont perpétrées sur des enfants, qui sont les premiers à souffrir d’amnésie post-traumatiques. Je le dis pour la troisième fois, c’est la partie émergée de l’iceberg !
Tous les jours, dans notre pays, ce sont des dizaines de milliers d’enfants qui subissent des agressions sexuelles, ce qui inclut les agressions répétées dont la plupart de ces enfants sont victimes.
Pourquoi ces victimes ne parlent-elles pas alors qu’elles pourraient dénoncer les faits quand ils se produisent, ou encore pendant les dix ou vingt années qui suivent leur majorité – selon la gravité des actes –, c'est-à-dire avant d’atteindre l’âge de vingt-huit ans ou de trente-huit ans ? C’est là que nous constatons notre ignorance sur les effets produits par ces violences. Comment des violences aussi graves ont-elles pu être occultées ou sciemment connues mais non dites par les victimes pendant aussi longtemps ?
Pour comprendre, nous avons besoin des spécialistes et j’emprunterai mes explications au docteur Violaine Guérin, gynécologue et endocrinologue, qui a rencontré dans sa pratique de multiples situations aboutissant à des symptômes très fréquents et très comparables. Je la cite :
« Il est extrêmement complexe pour une personne non familière avec le sujet des violences sexuelles de comprendre comment des violences aussi graves peuvent être occultées par les victimes. À cela, une multitude de raisons possibles, dont les plus fréquentes sont les suivantes.
« Un viol est un événement extrêmement violent, au cours duquel perdre connaissance n’est pas rare.
« La mémorisation d’un événement traumatique, quel qu’il soit, peut être déficiente, car le cerveau n’a pas le temps d’"imprimer" l’événement, à l’exemple d’une personne renversée par une voiture qui n’a pas mémorisé le traumatisme et a aussi oublié ce qu’elle faisait les minutes précédentes.
« Un viol est, de plus en plus souvent, réalisé chez des personnes alcoolisées ou droguées, qui n’ont plus le souvenir de ce qui s’est passé, mais peut aussi être effacé de la mémoire chez un enfant que l’on endort à l’éther ou par des médicaments.
« Un viol peut être "refoulé" au sens du déni ;
« Le plus souvent un viol n’est pas conscientisé comme tel, en particulier chez l’enfant, qui a tendance à faire confiance à l’adulte et a pour seul cadre de référence sa famille. » Il n’est donc pas en mesure de définir ce qu’on lui fait.
Les conséquences sont effrayantes, dit le docteur Guy Ferré, de Montpellier, médecin généraliste, médecin humanitaire en Afghanistan et au Nigéria, spécialiste des violences sexuelles : pathologies psychiques, repli, honte, culpabilité, anxiété, dépression, suicide, pathologies de la vie sexuelle, pathologies somatiques nombreuses et encore mal connues, relations humaines a minima ou distordues, secrets de famille, récurrences transgénérationnelles, passages à l’acte en tant qu’agresseur.
On comprend mieux qu’il faille du temps et quelquefois beaucoup de temps pour que les victimes parlent !
Pourquoi est-il indispensable que cette verbalisation se fasse auprès des pouvoirs publics en portant plainte contre son agresseur ? Pour quatre raisons aussi essentielles les unes que les autres : la victime a besoin d’être reconnue comme telle ; la victime a besoin d’être aidée pour aller mieux, psychologiquement et physiquement, et en conséquence, compte tenu du nombre de victimes, pour que notre société aille mieux aussi ; la victime veut empêcher son prédateur de faire d’autres victimes ; l’auteur doit être identifié, sanctionné et/ou soigné.
Nous n’avons pas le droit de faire semblant de ne rien savoir en ne prenant pas en compte les dénonciations des faits plus de vingt ans après la majorité.
L’objectif de cette proposition de loi est de donner aux victimes le temps de conscientiser leur traumatisme, le courage de le révéler et la maturité pour assumer les conséquences de cette révélation.
L’association « Stop aux violences sexuelles » milite pour la mise en place d’une meilleure évaluation des agressions sexuelles, un plan de prévention et de soins aux victimes et aux agresseurs.
Elle milite ainsi pour une obligation de soins aux auteurs, soutenue par des protocoles pertinents, avec pour objectif la diminution à terme du nombre des infractions, grâce tant aux soins prodigués aux victimes, dont un certain nombre deviennent auteurs, qu’à ceux prodigués aux auteurs, qui sont souvent d’anciennes victimes.
Mais, en attendant que tout cela se mette en place – et je n’ai aucun doute sur la réalisation de ce projet –, il est nécessaire de donner la parole à ceux et à celles qui souffrent et de les écouter : les victimes.
Voilà pourquoi il m’a semblé nécessaire de déposer cette proposition de loi qui a pour objet d’établir un strict parallélisme entre le régime de prescription des crimes et agressions sexuelles et le régime de prescription appliqué aux abus de bien sociaux et aux abus de confiance, puisque ces infractions ont en commun un mécanisme de dissimulation.
La particularité des abus de biens sociaux réside dans le fait qu’ils sont, par essence, des infractions clandestines, de sorte que la Cour de cassation, en consacrant leur caractère souterrain, a imposé une jurisprudence qui fait courir le délai de prescription de trois ans à partir de la date de la révélation de l’abus, et non de la date où celui-ci a été commis.
Cette clandestinité se retrouve aussi dans les violences sexuelles qui, en raison de leur nature, du traumatisme qu’elles entraînent et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent les victimes, peuvent faire l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive.
Un report du point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire au jour du dépôt de plainte, consacrerait, au regard des règles de prescription, une égalité de traitement, gage de sécurité juridique, entre toutes les infractions souterraines, commises tant contre les biens qu’à l’encontre des personnes.
Ces derniers temps, il m’a été dit que cette formulation « le jour où l’infraction apparaît à la victime dans les conditions permettant l’exercice de l’action publique », reprise de la jurisprudence sur les abus de biens sociaux, pouvait prêter à confusion. J’ai donc déposé un amendement qui vise à préciser très clairement que les délais de prescription doivent courir à partir du moment où la victime a porté plainte.
Avant de conclure, je veux compléter le témoignage d’Ariane, la première personne que j’ai évoquée :
« J’ai déposé plainte contre mon père en septembre 2013. J’avais quarante-trois ans, soit cinq ans trop tard pour être dans les délais de prescription.
« C’est trop tard ! disent-ils. Mais mon corps vient juste de s’en souvenir.
« C’est prescrit ! disent-ils. Mais, dans mon corps, ce n’est pas prescrit.
« Alors, aujourd’hui, je demande justice au législateur de mon pays, pour la petite fille que j’ai été ».
À ce témoignage, j’ajouterai celui de Cécile, qui a fait la une des journaux, et qui est elle aussi dans les tribunes.
Violée à l’âge de cinq ans par un cousin de trente-huit ans, le souvenir lui en est revenu avec une grande précision lors d’une séance d’hypnose, trop tard pour porter plainte puisqu’elle avait plus de trente-huit ans.
Elle a déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme pour que sa plainte soit prise en compte malgré le délai de prescription. Cette plainte a peu de chance d’aboutir.
Elle explique sa révolte :
« Lorsque les souvenirs des viols sont remontés à ma mémoire, je les ai revécus dans ma chair avec une violence inouïe, comme si je revivais ce crime une seconde fois.
« Les scènes de faits ont explosé à ma conscience avec des détails si précis que j’avais l’impression d’avoir une caméra à la main.
« C’est parce que la résurgence de ces souvenirs est d’une telle violence que le besoin de réparation judiciaire est criant, et ce quel que soit le nombre des années écoulées.
« Pour les victimes d’amnésie traumatique, la prescription, ce droit à l’oubli, ça ne peut pas exister. »
Toutes les victimes le crient : ne nous abandonnez pas ! Laissez-nous le temps de parler ! Entendez-nous ! Aidez-nous ! Aidez-nous à empêcher notre prédateur de nuire encore !
On objecte fréquemment qu’il sera bien difficile, si tardivement, d’apporter la preuve des violences sexuelles. À cette objection, je ferai deux réponses.
Est-il plus facile d’établir la preuve quand la victime porte plainte à trente-sept ans et onze mois que lorsqu’elle a trente-huit ans et trois jours ?
Il ne faut pas oublier que beaucoup d’auteurs sont des prédateurs, qui auront fait et qui font encore d’autres victimes qu’on pourra retrouver.
Par ailleurs, si la qualité des expertises médicales judiciaires s’améliore, le problème des preuves ne se posera plus ou plus guère. Le groupe de médecins et le groupe juridique de l’association « Stop aux violences sexuelles » travaillent activement à établir un dossier type d’expertise.
On me dit aussi que, si le parcours judiciaire n’aboutit pas, la victime sera encore plus traumatisée. Les professionnels de la réparation et les victimes elles-mêmes rétorquent que l’échec de la procédure judiciaire est moins douloureux que l’impossibilité d’y avoir recours.
Il ne faut pas négliger non plus la douleur et la culpabilité des victimes qui n’auront pas su ou pas pu protéger d’autres enfants, ou d’autres adultes, des méfaits de l’auteur de leur traumatisme.
Mes chers collègues, ne laissez pas ces appels sans réponse !
Je connais les arguments qui plaident en faveur d’« un droit de la prescription moderne et cohérent », selon le titre du rapport de MM. Hyest, Portelli et Yung publié en 2007. Je note toutefois que, selon la recommandation n° 5 de ce rapport, il faut « consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation tendant, pour les infractions occultes ou dissimulées, à repousser le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est révélée, et étendre cette solution à d’autres infractions occultes ou dissimulées dans d’autres domaines du droit pénal et, en particulier, la matière criminelle ».
Je vous demande, chers collègues, de ne pas attendre d’avoir établi la liste des autres infractions qui sont évoquées dans cette recommandation et d’aligner dès aujourd’hui le départ du délai de prescription des violences sexuelles sur celui qui s’applique en matière d’abus de biens sociaux.
Ne laissez pas les victimes plus longtemps dans le désespoir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. Pierre Martin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la présente proposition de loi, déposée par Mmes Dini et Jouanno, tend à modifier le délai de prescription de l’action publique pour les agressions sexuelles.
Nos deux collègues partent du constat que ces délais de prescription applicables aux violences sexuelles sont inadaptés, et l’on ne peut qu’être touché par la force des arguments employés par Mme Dini dans sa belle démonstration. Elles nous proposent donc de replacer la victime au centre du dispositif et de ne faire courir le délai de prescription des viols et des agressions sexuelles aggravées qu’à compter du moment où la victime est en mesure de révéler l’infraction.
En cela, le dispositif présenté s’inspire du régime jurisprudentiel applicable aux infractions occultes ou dissimulées, pour lesquelles le délai de prescription commence à courir « au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ».
Cette proposition de loi, si elle concerne l’ensemble des victimes d’agressions sexuelles ou de viols, s’adresse prioritairement – nous l’avons vu à travers les divers témoignages qui ont été rapportés – à celles qui ont subi ces faits lorsqu’elles étaient enfants.
Le choc émotionnel subi, tout particulièrement lorsque les faits ont été commis dans la durée par un parent ou une personne ayant autorité sur l’enfant, est en effet de nature à provoquer un traumatisme profond, pouvant aller jusqu’à la plus parfaite amnésie : c’est ce qu’on appelle l’amnésie post-traumatique.
Si le mécanisme de cette amnésie est encore largement méconnu, son constat clinique est aujourd’hui très bien documenté, ainsi que des professeurs et des médecins me l’ont confirmé lors des auditions que j’ai menées.
Eu égard à ce phénomène d’amnésie, les délais de prescription applicables aux infractions sexuelles commises sur des mineurs peuvent effectivement apparaître comme inadaptés, dès lors que les faits commis resurgissent brutalement dans la mémoire de la victime de nombreuses années après.
Même si je n’oublie pas que cette proposition de loi vise les délais de prescription et non les peines, je veux rappeler que le droit pénal français réprime lourdement les violences sexuelles : l’auteur d’un viol encourt quinze années de réclusion criminelle, et même vingt années si les faits sont commis avec circonstances aggravantes. Les autres agressions sexuelles sont, en principe, punies de cinq ans d’emprisonnement, ces peines pouvant être portées à dix ans notamment lorsque la victime est un mineur de quinze ans.
Les statistiques du casier judiciaire attestent la sévérité des peines prononcées à l’encontre des auteurs reconnus coupables de viols et d’agressions sexuelles. Cela étant, comme l’a souligné Mme Dini, les affaires déférées devant la justice ne sont que la partie émergée de l’iceberg : peut-être moins de 10 % de l’ensemble des viols et agressions sexuelles commis chaque année.
Le nombre moyen des condamnations inscrites au casier judiciaire est de 7 000 à 8 000 par an. Or l’enquête conjointe menée par l’INSEE et l’Observatoire national de la délinquance en 2012 auprès de personnes âgées de dix-huit à soixante-quinze ans a révélé que 400 000 personnes avaient été victimes de violences sexuelles en 2010 ou en 2011, soit 200 000 par an.
J’en viens aux actuels délais de prescription.
Afin de tenir compte des difficultés particulières rencontrées par les mineurs pour dénoncer des faits de viol ou d’abus sexuels, le législateur a progressivement allongé le délai de prescription applicable à certains crimes et délits commis sur des mineurs.
Depuis l’adoption de la loi du 10 juillet 1989, qui a disposé que les délais couraient à partir de la majorité de la victime, six modifications sont intervenues, dont la dernière remonte à 2004. C’est ainsi que le délai de prescription de l’action publique en matière de viol a été porté à vingt ans après la majorité de la victime, soit jusqu’à l’âge de trente-huit ans. Les autres agressions sexuelles et atteintes sexuelles contre des mineurs ont vu le délai de prescription de l’action publique porté à dix ans après la majorité.
La question qui se pose aujourd’hui est simple, et Mme Dini l’a très bien posée : dix ans après l’adoption de la loi de 2004, ces délais de prescription sont-ils adaptés, suffisants ? C’est à cette question que nous devons trouver la meilleure réponse possible.
Aux viols et agressions sexuelles commis sur des majeurs s’appliquent les délais de droit commun en matière de prescription : respectivement dix ans ou trois ans après les faits.
En revanche, la loi de 2004 a introduit une spécificité pour les actes commis à l’encontre des mineurs, de manière à permettre à un enfant victime d’un viol de révéler les faits et de porter plainte lorsque sa maturité et son détachement du lien familial – ces violences sont souvent intrafamiliales – le lui permettent.
De fait, l’emprise exercée par l’auteur de l’infraction, le sentiment de culpabilité dont souffre la victime, parfois – malheureusement – la complicité de l’entourage et le dénigrement systématique de la parole de l’enfant sont autant d’obstacles à la parole de la victime.
De façon plus générale, le sentiment de honte et d’humiliation qui concerne toutes les victimes de violences sexuelles constitue un obstacle majeur à la dénonciation des faits et explique en partie la faiblesse du taux de plainte.
De tels obstacles doivent toutefois être distingués, à mon sens, du phénomène d’amnésie traumatique, déjà évoqué précédemment, et dont souffrent certaines victimes à la suite d’un choc émotionnel profond.
Cet état de fait, qui est établi sur le plan médical, conduit la personne soumise à un stress extrême à occulter, pendant une période variable, le souvenir des faits subis. La mémoire est, en quelque sorte, stockée dans le corps de la victime, qui présente alors un risque plus important de développer certaines pathologies. Ce n’est que plusieurs années après l’infraction, à l’occasion d’une prise en charge psychothérapeutique adaptée, que la victime peut prendre conscience des violences subies, de façon souvent brutale et très douloureuse.
Lors de son audition, le professeur Jehel, psychiatre et ancien responsable de l’unité de psychotraumatologie de l’hôpital Tenon, a tenu à attirer mon attention sur le fait que cette « conscientisation » des faits vécus dans l’enfance pouvait intervenir tardivement, fréquemment aux alentours de quarante ans, soit à l’expiration du délai de prescription tel qu’il est prévu actuellement.
C’est face à cette problématique que nous nous trouvons aujourd’hui. Nous partageons avec les auteurs de la proposition de loi le même constat. Qu’en est-il des solutions suggérées ?
Le présent texte soumis à la Haute Assemblée soulève des difficultés juridiques.
Muguette Dini et Chantal Jouanno nous proposent de modifier le délai de prescription des viols et agressions sexuelles aggravées et de prévoir qu’il ne commence « à courir qu’à partir du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. » Ce faisant, elles suggèrent d’instaurer un parallèle entre le régime de prescription applicable aux viols et agressions sexuelles et celui qui concerne les infractions occultes ou dissimulées, résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation. Or cette proposition présente de grandes fragilités sur le plan juridique.
Tout d’abord, une telle assimilation est inadaptée, dans la mesure où le droit de prescription en matière pénale, progressivement établi par la Cour de cassation, est ciblé sur certaines infractions économiques et financières, par exemple l’abus de biens sociaux, au cours desquelles leur auteur dissimule ses agissements. La victime ne pouvant pas être au courant de l’escroquerie, le délai de trois ans ne court qu’à partir du moment où les faits lui sont révélés. À cet égard, la jurisprudence de la Cour de cassation est extrêmement fine : si des éléments permettant de démontrer l’infraction figurent dans des livres de comptes, le délai court seulement à partir de la publication de ces derniers.
Tout le travail mené par la Cour de cassation a été, je le répète, ciblé précisément sur ces infractions économiques et financières. À ce jour, cette juridiction a refusé d’étendre le bénéfice de ce droit de prescription à de nouvelles branches du droit pénal, notamment, dans un arrêt récent du 18 décembre dernier portant sur la confirmation par la cour d’appel d’une ordonnance du juge d’instruction refusant, pour cause de prescription, d’informer une plainte avec constitution de partie civile du chef de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité.
J’ajoute que, comme l’a développé l’avocat général dans ses conclusions, la chambre criminelle n’a recours à cette notion que dans des affaires où l’auteur a dissimulé des faits pour en assurer la clandestinité. Or, lorsqu’il s’agit d’un viol, la situation est évidemment différente.
En cas d’amnésie, les faits sont ignorés en raison d’un processus psychique propre à la victime. C’est là que résident toute la nuance et la difficulté.
En outre, comme l’a souligné le doyen de la chambre criminelle lors de son audition par la commission, cette jurisprudence repose toujours sur des éléments objectifs, comme la date de publication des comptes d’une entreprise, alors que le souvenir d’événements traumatisants à la suite d’une amnésie dissociative repose nécessairement sur des éléments subjectifs, liés au psychisme de la victime. De surcroît, des délais précis protégeraient, d’une certaine façon, les victimes, qui connaissent le point de départ de ceux-ci.
Si toute la procédure dépend d’un élément qui n’est pas objectif, les actions engagées seront grandement fragilisées. Les victimes risquent même d’être perdantes par rapport à la situation actuelle, qui est claire et précise : elles peuvent déposer plainte dans un délai de vingt ans à compter de leur majorité, soit jusqu’à ce qu’elles soient âgées de trente-huit ans.
Imaginons que, à la suite d’un dépôt de plainte dans ce délai, la partie adverse démontre l’absence d’amnésie traumatique et prouve que les faits ont été révélés avant le délai de prescription de dix ans. On lâcherait alors la proie pour l’ombre en créant des conditions favorisant la confusion. Demain, les victimes seraient lésées : elles ne pourraient plus porter plainte, car elles devraient apporter la preuve de leur amnésie traumatique et de la fin de cette amnésie dans le délai prévu.
Dans ces conditions, on comprend la forte réticence des magistrats à prendre en considération des éléments subjectifs.
Outre les fragilités que je viens de soulever, la présente proposition de loi comporte de sérieux risques d’inconstitutionnalité.
En effet, un risque existe au regard du principe de légalité des délits et des peines. Celui-ci impose au législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.
De ce point de vue, en faisant dépendre le champ des poursuites de l’évolution du psychisme de la victime, qui relève de facteurs personnels, le dispositif privilégié dans le présent texte introduirait une incertitude sur le point de départ du délai de prescription, qui pourrait ensuite être valablement contesté devant le Conseil constitutionnel. Les accusés recourraient à la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, et l’on devine ce qu’il adviendrait s’ils étaient suivis par le Conseil constitutionnel…
Il existe aussi un risque important au regard du principe d’égalité, qui commande au législateur de traiter les auteurs d’une même infraction dans des conditions similaires. Or la présente proposition de loi faisant reposer le point de départ du délai de prescription sur l’évolution du psychisme de la victime, son adoption en l’état aboutirait, dans certains cas, à une imprescriptibilité, de facto, des faits commis, tandis que dans d’autres, le délai de prescription serait beaucoup plus court en raison d’une conscientisation précoce par la victime des faits subis. Par conséquent, les traitements seraient différenciés en fonction de la situation des victimes.
Quoi qu’il en soit, le constat est partagé sur la délicate question dont nous traitons ce jour, mais la solution juridique n’est pas satisfaisante. D’ailleurs, Mme Dini l’a bien compris, puisqu’elle a déposé un amendement sur son propre texte visant à fixer le point de départ du délai de prescription au jour du dépôt de plainte par la victime.
Dans ce cas, on aboutirait, de fait, à l’imprescriptibilité des viols. Or en France, comme presque partout, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Un seul pays a déclaré récemment le crime de viol imprescriptible : la Suisse. Des débats de la commission, il ressort clairement qu’aucun de ses membres ne souhaite aller jusqu’à cette imprescriptibilité, qui placerait le viol au même niveau que le crime contre l’humanité ; ils veulent conserver une échelle en matière de prescription et faire en sorte que les crimes contre l’humanité, imprescriptibles, soient vraiment à part.
En raison de toutes ces faiblesses juridiques, la commission a émis, mercredi dernier, un avis défavorable sur la présente proposition de loi telle qu’elle est rédigée. J’ai proposé des amendements tendant à allonger le délai de prescription ; ils ont recueilli ce matin l’avis favorable de la commission.
Je souhaite également insister sur le fait que la commission des lois du Sénat, cela a été rappelé, s’est prononcée de manière constante pour une révision d’ensemble des délais de prescription. Un rapport rendu en 2007 à la suite des travaux de la mission d’information conduite par Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung a appelé à veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant des réformes partielles et en privilégiant une refonte d’ensemble du dispositif.
Cette mission a aussi considéré que toute modification devrait préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de prescription. Comme je l’ai indiqué, la commission des lois s’est prononcée de façon constante contre toute extension du régime d’imprescriptibilité, limité aujourd’hui aux seuls crimes contre l’humanité.
Cependant, à l’heure actuelle, l’existence de délais fortement dérogatoires au droit commun pour ce qui concerne les viols et agressions commis sur les mineurs témoigne déjà de la sévérité du législateur dans des cas particuliers.
Afin de tenir compte du constat partagé par tous dans cet hémicycle et d’aller dans le sens des auteurs de la proposition de loi tout en restant dans un cadre juridique défini, je vous présenterai, mes chers collègues, deux amendements – ils ont recueilli l’avis favorable de la commission des lois ce matin – tendant à porter le délai de prescription du viol de vingt ans à trente ans après la majorité de la victime, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle soit âgée de quarante-huit ans. En effet, l’écoute des victimes et des médecins démontre que ce délai supplémentaire ne sera pas de trop pour permettre à une personne, après une amnésie post-traumatique, d’engager des poursuites destinées à empêcher le prédateur d’agir de nouveau et à se reconstruire elle-même.
Une telle évolution aurait l’avantage d’être cohérente avec le régime de prescription spécial applicable à certaines infractions, puisqu’un délai de trente ans est prévu en droit français pour les crimes terroristes ou liés au trafic de stupéfiants. Elle permettrait de mieux répondre aux difficultés rencontrées par les victimes ayant subi une amnésie traumatique puisque souvent les traumatismes se révèlent au-delà de l’âge de quarante ans.
Certes, nous nous heurterons encore à un effet de seuil, mais c’est toujours le cas avec les délais. Néanmoins, en permettant aux victimes de porter plainte jusqu’à l’âge non pas de trente-huit ans mais de quarante-huit ans, nous toucherons un nombre beaucoup plus important de personnes. Un tel progrès devrait répondre en grande partie aux attentes des auteurs du présent texte.
Je formulerai ces propositions en accord avec Mme Dini. Je ne les ai pas soumises la semaine dernière à la commission pour permettre l’examen en séance publique de la proposition de loi dans la forme où l’avait présentée notre collègue. Selon moi, le débat devait avoir lieu intégralement, les propositions devaient être mises sur la table et le constat partagé, afin, ensuite, de trouver la meilleure solution juridique, adaptée, correspondant aux attentes des victimes, aux possibilités de la justice, tout en respectant la Constitution.
En conclusion, la commission est défavorable à la proposition de loi telle qu’elle est actuellement rédigée, mais si ces amendements sont adoptés, elle soutiendra le texte ainsi amendé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine cet après-midi la proposition de loi visant à reporter le point de départ du délai de prescription des agressions sexuelles au « jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. »
Le mécanisme de prescription proposé par les auteurs de ce texte s’inspire de celui qui est appliqué aux infractions clandestines, telles que l’abus de bien sociaux ou l’abus de confiance.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, on lit que les agressions sexuelles, « en raison de leur nature, du traumatisme qu’elles entraînent, et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent la victime, peuvent faire l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive » ; c’est un fait que vous avez, madame Dini, fort bien illustré dans votre propos.
La mesure proposée est louable dès lors qu’elle a pour objet de mieux protéger les victimes d’agressions sexuelles et, surtout, de leur permettre de mieux faire valoir leurs droits.
La question soulevée par les auteurs de la proposition de loi, extrêmement importante, fait écho à des situations très douloureuses : pour les victimes de violences sexuelles, en effet, la douleur est imprescriptible.
Cependant, madame Dini, votre texte pose plusieurs difficultés sur le plan technique et, surtout, se heurte à un grave problème de constitutionnalité. C’est pourquoi le Gouvernement y est défavorable dans sa rédaction actuelle.
L’article 3 de la proposition de loi vise à insérer un article 8-1 dans le code de procédure pénale. Aux termes de ce nouvel article, les délais de prescription de l’action publique ne commenceraient « à courir qu’à partir du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. »
Par coordination avec l’article 3, les articles 1er et 2 suppriment, au sein des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, la disposition prévoyant que les délais de prescription pour les infractions en cause ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de la victime.
Les infractions visées par le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique concernent tant les mineurs que les majeurs.
Jusqu’à présent, le mécanisme de prescription appliqué aux infractions occultes ou clandestines commises contre les personnes ne concerne que des faits dont la victime ne peut pas avoir eu connaissance, l’agissement frauduleux ayant été dissimulé ; en pareils cas, le point de départ de la prescription ne peut être fixé qu’au moment où les agissements apparaissent.
Or si la victime d’un abus de bien sociaux ou d’un abus de confiance peut ne pas avoir immédiatement connaissance de l’infraction qui la lèse, ce schéma semble difficilement transposable aux violences ayant entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité temporaire de travail de plus de huit jours – infractions qui font partie de celles qui sont visées par la proposition de loi.
Le mécanisme de prescription actuellement en vigueur tend à protéger les victimes les plus vulnérables.
S’agissant des infractions commises à l’encontre de mineurs, le législateur a d’ores et déjà adopté des règles dérogatoires en matière de prescription. En effet, il est apparu nécessaire de permettre aux victimes mineures d’acquérir la maturité et la force suffisantes pour déposer une plainte et dénoncer des faits indicibles qui peuvent concerner un père, un oncle ou un autre proche.
Ainsi, en 1985, le délai de prescription a de nouveau été ouvert à compter de la majorité de la victime, lorsque l’auteur du crime ou du délit est un ascendant ou une personne ayant autorité sur le mineur.
Ensuite, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, défendue par Élisabeth Guigou, a supprimé la condition d’ascendance ou d’autorité de l’auteur de l’infraction sur la victime mineure. Par conséquent, pour tous les crimes et délits visés par la législation relative aux infractions sexuelles, le délai de prescription court seulement à compter de la majorité de la victime mineure.
En 2004, le législateur a allongé les délais de prescription pour les faits de nature criminelle ou correctionnelle aggravés commis sur un mineur : les victimes de telles infractions peuvent déposer plainte dans un délai de vingt ans à compter de leur majorité, de sorte qu’elles peuvent agir jusqu’à ce qu’elles soient âgées de trente-huit ans.
Ces dérogations aux règles de prescription ont été introduites dans l’intention de permettre à un mineur devenu majeur de mieux faire valoir ses droits, notamment lorsque l’auteur des faits est l’un de ses parents ou de ses proches.
Si l’objectif poursuivi répond à la fragilité avérée de l’enfant victime, il n’en demeure pas moins que la procédure engagée, parfois plus de trente ans après les faits, est complexe, longue et difficile, compte tenu de la déperdition des preuves et des difficultés rencontrées pour obtenir des témoignages, notamment lorsque les faits ont eu lieu au sein de la cellule familiale.
Sur le plan de la prescription, assimiler totalement les victimes majeures à des victimes mineures ne va pas de soi, car cette identification reviendrait, en quelque sorte, à infantiliser les premières.
En outre, la mesure proposée par les auteurs de la proposition de loi pourrait constituer un retour en arrière, car l’abrogation des dispositions du code de procédure pénale qui reportent le point de départ du délai de prescription à la majorité conduirait les magistrats à s’interroger sur le degré de conscience de l’infraction qu’avaient toutes les victimes mineures au moment des faits.
Ce système n’est pas satisfaisant et pose un problème de principe, puisque l’on reviendrait sur la protection accordée à ces victimes. En effet, le point de départ du délai de prescription ne serait plus systématiquement reporté pour certaines victimes mineures : celles qui sont proches de la majorité – âgées par exemple de seize ou dix-sept ans – et auxquelles l’infraction sera d’emblée apparue dans des conditions leur permettant d’exercer l’action publique.
Cet effet secondaire de la proposition de loi, potentiellement pervers, constituerait un retour en arrière dans la protection par le législateur des mineurs victimes d’infractions sexuelles. Or je sais bien, madame Dini, que tel n’est pas l’objectif que vous recherchez.
Par ailleurs, le présent texte soulève une difficulté d’ordre constitutionnel. En effet, au-delà des considérations que je viens de présenter, importantes quoique techniques, le report du point de départ du délai de prescription à un moment totalement indéterminé, laissé à la seule appréciation de la victime, poserait un évident problème de conformité à la Constitution.
Ainsi, laisser à la seule appréciation de la victime le point de départ du délai de prescription aurait pour conséquence de créer des différences entre des personnes mises en cause pour des faits commis à la même date et dans les mêmes circonstances.
Bien plus, ce système introduirait des distinctions entre deux victimes placées dans la même situation : l’une se verrait opposer la prescription, tandis que l’autre verrait sa plainte suivie d’effets, simplement parce qu’elle soutiendrait, pour des raisons éminemment subjectives, n’avoir pas été en état de prendre conscience du caractère infractionnel des faits qui auraient été commis à son encontre.
Un tel dispositif porterait atteinte à trois exigences constitutionnelles.
En premier lieu, il contreviendrait aux principes de légalité, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi pénale.
Le principe de légalité des délits et des peines oblige le législateur, selon le Conseil constitutionnel, à « fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale » et à « définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ». Il se rattache à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, fondé sur les articles IV, V, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En l’espèce, on ne peut, à l’évidence, considérer comme claire et précise une disposition reportant le point de départ du délai de prescription des agressions sexuelles au « jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. » De fait, le point de départ serait totalement indéterminé, puisqu’il résulterait de considérations subjectives déterminant la manière dont la victime perçoit son agression.
En deuxième lieu, le dispositif proposé porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi et devant la justice.
En effet, selon la perception de la victime, une même infraction pourrait être prescrite dans une affaire et pas dans une autre. Des personnes mises en cause pour des infractions exactement identiques seraient donc traitées différemment : certaines pourraient être poursuivies et condamnées quand d’autres échapperaient à la répression en vertu de la prescription, ce qui serait contraire au principe d’égalité.
Or le Conseil constitutionnel, même en présence de certaines différences, objectives et justifiées, entre deux situations de fait – différences qui n’existent pas forcément dans les cas dont nous parlons –, est particulièrement rigoureux dans l’application du principe d’égalité, notamment pour ce qui concerne le point de départ de la prescription ; il n’hésite pas à censurer des inégalités de traitement disproportionnées.
En troisième lieu, ce dispositif porterait atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité.
Supposons, en effet, qu’une mineure abusée à l’âge de huit ans par son frère de douze ans ne se souvienne des faits qu’à l’âge de soixante ans, et qu’elle décide de déposer plainte, ce qu’elle peut faire dans un délai de dix ans à compter du moment où les faits lui ont été révélés, la proposition de loi permettrait que des poursuites soient engagées contre l’auteur présumé des faits près de soixante-dix ans après la commission de l’infraction alléguée.
Outre les difficultés qui résulteraient d’une telle situation pour produire des preuves, des poursuites de ce genre paraissent manifestement disproportionnées et non nécessaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je mesure la souffrance immense, incommensurable, des victimes d’infractions sexuelles, atteintes dans leur chair, dans leur corps et dans leur âme, comme les auteurs de la proposition de loi le soulignent très justement dans l’exposé des motifs.
Cependant, il est particulièrement délicat de toucher à l’économie générale du droit de la prescription, qui est complexe, essentiellement jurisprudentiel et ancien, dans le cadre d’une proposition de loi portant sur un seul domaine du droit pénal.
En outre, les poursuites engagées de très nombreuses années après les faits pourraient être affaiblies par le dépérissement des preuves.
La recherche d’une aléatoire réparation judiciaire ne peut se substituer, pour les victimes, à la réparation médicale, à l’accompagnement et à la prise en charge. Si rendre justice à la victime est l’un des fondements de la reconstruction de celle-ci, c’est à la condition qu’une quête inaboutie n’y devienne pas au contraire un obstacle.
Madame Dini, je vous remercie de votre travail et de la visibilité que vous avez donnée à un domaine du droit entaché par le secret : le secret de l’enfance, le secret des familles, le secret de l’inconscient.
Je souhaite vivement que, grâce au travail accompli par M. le rapporteur, par la commission des lois, par vous-même, madame la sénatrice, et par le Sénat tout entier cet après-midi, nous puissions trouver ensemble la voie qui permette de mieux protéger les victimes, ce qui est un très juste devoir, sans porter atteinte aux principes que j’ai rappelés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je voudrais revenir sur la question de procédure que M. le rapporteur a excellemment exposée.
Ainsi qu’il l’a expliqué, la commission a souhaité répondre au désir de Mme Dini de voir sa proposition de loi examinée en séance publique dans la forme où elle l’avait présentée. Je comprends tout à fait ce désir de notre collègue. En vérité, les groupes politiques peuvent parfaitement être attachés à l’idée de voir leur proposition de loi discutée en séance publique dans la forme où ils l’ont déposée.
Toutefois, je me dois de souligner que ce souhait, pour légitime et compréhensible qu’il soit, peut entrer en contradiction avec un principe auquel nous sommes tous très attachés : le droit d’amendement, autrement dit le droit imprescriptible pour tout parlementaire de défendre, à toutes les étapes de la procédure législative, les modifications qu’il juge devoir être apportées au texte en discussion.
La difficulté tient sans doute, selon moi, au fait que les propositions de loi sont mises à l’ordre du jour dans le cadre de temps réservés aux groupes politiques. La durée des débats étant limitée, il est évident que les opposants à la proposition de loi en discussion ont la possibilité, en usant surabondamment du droit imprescriptible d’amendement, d’empêcher que celle-ci soit soumise au vote.
Il y a là une vraie question sur laquelle je tenais à insister, d’autant que j’ai quelque idée sur la réponse qui pourrait lui être apportée. Cette réponse possible, j’en ai fait part à M. le président du Sénat, qui a instauré une concertation sur le sujet. Il s’agirait tout simplement de réserver plus de temps, dans l’ordre du jour parlementaire, à l’examen des propositions de loi.
Actuellement, sur quatre semaines, deux sont réservées aux projets de loi, une aux propositions de loi et une au contrôle du Gouvernement. Or je ne suis pas sûr que tous les jours et toutes les nuits de cette dernière semaine soient utilement mis à profit, d’autant que le contrôle s’exerce davantage par les commissions d’enquête et par les questions que nous posons au Gouvernement, entre autres procédures.
M. Antoine Lefèvre. Nous sommes bien d’accord !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je crois que si l’on attribuait, par exemple, vingt jours à l’examen des projets de loi et dix jours à l’examen des propositions de loi, la question qui a été soulevée pourrait être résolue. En vérité, il me semble qu’elle tient simplement au temps limité dont nous disposons pour débattre des propositions de loi.
Sans doute, mes chers collègues, une telle réforme nécessite de changer la Constitution, ce qui est une lourde contrainte ; je tenais toutefois à exposer ce problème.
La commission des lois a tenu compte du souhait de Mme Dini, comme elle tient compte du souhait d’un certain nombre de nos collègues de tous les groupes. Reste que, en tant que parlementaires, nous devons être attentifs au droit d’amendement, qui est tout à fait essentiel pour chacune et chacun d’entre nous.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi, en première lecture, la proposition de loi présentée par Muguette Dini et Chantal Jouanno visant à modifier le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles.
Ces quelques mots suffisent à laisser entrevoir la difficulté de la question qui nous est soumise. En effet, nous parlons des victimes féminines et masculines d’agressions sexuelles, notamment de viols ; l’extrême gravité de ces infractions est aujourd’hui unanimement reconnue et le législateur comme l’ensemble de la société doivent s’assurer qu’elles sont lourdement sanctionnées.
En préambule, je veux assurer de mon amitié mes collègues qui sont à l’origine de la proposition de loi, et saluer le courage dont elles ont fait preuve en se saisissant d’une question aussi sensible que douloureuse. Je sais la générosité qui les anime et qui a présidé à l’élaboration du présent texte.
Toutefois, je veux souligner que notre rôle, en tant que législateur, est de faire le droit et, au besoin, de l’améliorer, en gardant toujours à l’esprit les principes fondamentaux qui sont à la base de notre société.
En fonction du droit actuel, en matière de prescription des infractions sexuelles, il faut différencier selon que la victime est majeure ou mineure au moment des faits.
Si la victime est majeure, le délai de prescription est de dix ans à compter de la date des faits pour le viol et de trois ans pour les autres infractions sexuelles, en conformité avec les délais généraux de prescription de l’action publique en matière pénale : dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits, un an pour les contraventions.
Si la victime est mineure, les délais sont allongés, pour tenir compte justement de la grande vulnérabilité des enfants et de l’extrême difficulté, pour les plus jeunes, de parler de l’indicible. Ainsi, le dépôt de plainte peut se faire vingt ans après la majorité pour les infractions les plus graves : viol, attouchements sexuels sur mineurs de quinze ans, attouchements commis par un ascendant, par une personne ayant autorité, ou par plusieurs personnes.
Pour ce qui concerne le point de départ du délai, il s’agit, là aussi, d’un principe fondateur de la procédure pénale : il prend effet le lendemain du jour de la réalisation de l’infraction.
Le texte que nous examinons prévoit de reporter ce point de départ au « jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. »
Il est avéré que des agressions sexuelles peuvent faire l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive, je cite l’exposé des motifs, « en raison de leur nature, du traumatisme qu’elles entraînent, et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent la victime ». Elles possèdent, en outre, « un énorme pouvoir de sidération et de colonisation du psychisme des victimes ».
Un parallèle est dès lors établi avec le régime des infractions dissimulées, dont le délai de prescription court à compter du jour où l’infraction est révélée dans des conditions permettant l’action publique.
Si, dans le cas de telles infractions, c’est un fait objectif qui permet de révéler l’infraction, dans le dispositif qui nous est proposé, c’est un élément tout à fait subjectif – l’apparition de l’infraction à la victime – qui constituerait le point de départ du délai de prescription.
Dans le contexte actuel d’efflorescence de discours victimaires de toutes natures et de valorisation de la condition de victime, un tel risque ne semble pas devoir être pris. La complexité des processus psychologiques en jeu, leur ténuité et leur labilité sur la longue durée invitent, au contraire, à la plus grande prudence.
Les membres du groupe écologiste s’opposent de longue date à l’instauration d’un droit de plus en plus d’exception, en quelque domaine que ce soit.
L’adoption de la présente proposition de loi reviendrait, enfin, à rendre les agressions sexuelles imprescriptibles, et donc à les placer au même rang que les crimes contre l’humanité. Cela pose un réel problème éthique, même si nul ne conteste le respect et l’empathie dus à la personne qui a subi des violences sexuelles et dont le souvenir s’est perdu dans le traumatisme vécu sur le moment. Le meurtre, quant à lui, continuerait à être prescrit au bout de dix ans, ce qui ne semble pas vraiment raisonnable.
Par conséquent, les membres du groupe écologique s’abstiendront sur ce texte en l’état. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, combien de femmes et d’hommes ont regretté de n’avoir pas eu la force de dénoncer leur agresseur devant la justice avant que le délai de prescription ne les en empêche ? Certains ont mis des années à réaliser leur drame, parfois occulté dans l’enfance. Cette amnésie paralysant la parole se rompt un jour, bien souvent pour une raison inexplicable. Ces souvenirs, ou plutôt ces cauchemars, jaillissent brusquement dans leur mémoire et reviennent les hanter. Mais il est trop tard !
À l’automne 2013, le cas de Cécile T. avait ému la France entière. Cette victime de viols présumés n’était sortie de l’amnésie dans laquelle elle s’était enfermée qu’après trente-deux ans de thérapie. Son cas avait suscité tant de débats que la Cour de cassation avait été sollicitée. La plus haute instance judiciaire avait cependant refusé de repousser le délai de prescription en matière de crime sexuel.
Je souhaite faire un bref rappel des fondements de la prescription dans notre état de droit.
Avant 1989, l’article 7 du code de procédure pénale se contentait de fixer à dix années révolues la prescription de l’action publique en matière de crimes, le point de départ de ce délai étant le jour où le crime avait été commis. L’article 8 du même code se contentait, pour sa part, de fixer à trois années le délai de prescription en matière de délits et renvoyait à l’article 7 pour les distinctions spécifiées.
La loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance a ajouté un alinéa à l’article 7 susvisé, précisant que le point de départ du délai était reporté à la majorité de la victime dans le cas où celle-ci aurait été mineure au moment des faits et où le crime aurait été commis par un ascendant ou par une personne ayant autorité sur elle.
Le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique a été généralisé à l’ensemble des crimes commis contre les mineurs, et étendu également à de plus nombreux délits commis contre des mineurs, désormais expressément visés. Le délai de prescription a, en outre, été allongé à dix ans pour certains délits lorsque la victime est mineure, notamment les agressions sexuelles sur mineur âgé de quinze ans par ascendant.
La justification première du principe même de la prescription tient au dépérissement des preuves et au risque d’erreur judiciaire qui en résulte.
Dans un domaine où les éléments physiques – blessures, traces biologiques ou autres – s’altèrent rapidement, il est souvent particulièrement difficile d’apporter la preuve de l’infraction plusieurs années après les faits, au moyen des techniques modernes d’investigation, telles que la comparaison ADN, le relevé de traces par rayonnement lumineux, la révélation de taches de sang, si des relevés d’indices n’ont pu être effectués immédiatement.
Face aux dénégations courantes des personnes suspectées, la grande majorité des enquêtes reposent donc sur l’évaluation de la crédibilité des dires de la victime, par recoupement avec des constatations matérielles, des témoignages ou des éléments indirects. Or ceux-ci dépérissent ou deviennent très imprécis avec le temps.
Du strict point de vue du droit, il est donc impératif que les règles soient claires et connues. Le délai de prescription a un caractère d’ordre public : il est de nature à éviter de plus grands désordres encore que ceux qui ont été initialement causés par la commission d’une infraction.
Aujourd’hui, le délai de prescription de l’action publique est de dix ans pour les crimes, c’est le cas pour le viol ; il est ramené à trois ans pour les délits, dont font partie les agressions sexuelles qui nous concernent particulièrement aujourd’hui ; enfin, il est d’un an pour les contraventions.
Cette répartition connaît des dérogations, notamment en matière d’infractions sexuelles commises sur des mineurs, comme je l’ai évoqué précédemment ; cette exception est liée à l’âge de la victime. Il ne s’agit en aucun cas de contester l’importance du traumatisme subi par les victimes majeures. Mais il est fondamental de comprendre que l’allongement du délai prévu pour les mineurs doit permettre à ceux-ci de dénoncer les faits lorsqu’ils atteignent l’âge adulte et acquièrent la maturité nécessaire pour le faire.
Vous proposez aujourd’hui, chère Muguette Dini, de modifier, non le délai de prescription en tant que tel, mais son point de départ, c’est-à-dire de « donner le temps nécessaire à la dénonciation des faits », comme vous l’avez si bien exprimé, avec une émotion que nous comprenons, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi.
Je me souviens d’une discussion que nous avons eue en 2012 au sujet d’une proposition de loi que vous aviez déposée, déjà, et qui créait une nouvelle dérogation, en assimilant l’agression sexuelle au viol et en alignant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur celui des viols.
Lorsque nous légiférons en matière de prescription – car tel est bien le sujet de fond –, ainsi que le recommandaient déjà en 2007 nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, dont je tiens à saluer le travail approfondi, relaté dans un rapport d’information très complet, que vous avez d’ailleurs mentionné, nous devons veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant des réformes partielles, à la préservation du lien entre la gravité de l’infraction et la durée de la prescription de l’action publique, afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires.
Oui, ces actes, qualifiés d’agressions sexuelles, sont graves, extrêmement graves même, qu’ils aient été commis à l’encontre de mineurs ou de majeurs.
Les traumatismes physiques et psychiques sont si profonds qu’ils engendrent des troubles cognitifs considérables, perturbant la révélation de la vérité. En tant que législateur, nous ne pouvons négliger ces pathologies médicalement reconnues. Toutefois, nous ne pouvons non plus perdre de vue la cohérence de notre arsenal pénal, en l’occurrence de la procédure pénale.
Aussi, ma chère collègue, les membres du groupe UMP ne peuvent souscrire à votre amendement tendant à modifier le point de départ du délai de prescription et à le fixer au jour où la victime porte plainte, ni même à votre proposition initiale de ne faire courir ce délai « qu’à partir du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique. »
En revanche, la proposition de M. le rapporteur d’allonger de manière exceptionnelle le délai de prescription de l’action publique constitue, selon nous, une idée très intéressante, que nous soutiendrons.
Ainsi, les victimes d’agressions sexuelles très douloureuses qui ont trop longtemps, trop souvent été ignorées, méprisées, au point que certaines d’entre elles ont parfois été considérées, ou se considéraient elles-mêmes, comme partiellement responsables, trouveraient le temps nécessaire pour dévoiler ces secrets enfouis si profondément. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le débat sur la présente proposition de loi, je souhaite vous alerter sur l’état de notre société. Nous ne sommes pas des moralisateurs, mais il me semble nécessaire d’en avoir conscience et connaissance pour jouer notre rôle de responsables politiques.
À l’occasion de la préparation de mon rapport sur l’hypersexualisation des enfants, j’avais été choquée par les chiffres que j’ai découverts, et par la déliquescence de notre relation à la sexualité. Ainsi, 82 % des enfants âgés de onze à treize ans ont été confrontés à des images pornographiques violentes ; or entre 50 % et 80 % des agresseurs adultes commencent à commettre des infractions à l’adolescence. Ce sont là de véritables motifs d’inquiétude.
Mon collègue Jean-Pierre Godefroy et moi-même avions également été choqués, lors de notre travail sur la prostitution, par l’acceptation, la tolérance dont fait preuve notre société à l’égard des violences que subissent les personnes prostituées.
Nous constatons un certain oubli des principes fondamentaux : la sexualité doit être consentie ; elle ne doit s’exercer ni au sein de la famille ni avant la puberté.
Nous pouvons fermer les yeux et nous lamenter sur le coût de telles pratiques pour la société. Mais nous pouvons aussi fixer des limites.
Notre droit, la Constitution, notre bel ordonnancement juridique et la belle architecture du principe de prescription ne peuvent pas être pensés en dehors de la société et des hommes. Tout à l'heure, Muguette Dini a rappelé les chiffres colossaux : 383 000 personnes victimes de violences sexuelles, 26 000 dépôts de plainte, dont 6 000 pour viols sur mineurs. À côté de tous les discours que l’on entend sur les accidents de la route, on parle bien ici, je le répète, de 6 000 viols sur mineurs !
De surcroît, comme l’a rappelé Muguette Dini, ces chiffres sont doublement minorés : d’une part, il n’y a pas d’enquête sur les mineurs et, d’autre part, les petites victimes n’ont pas toujours conscience du caractère criminel de l’acte commis. Les violences sexuelles ne sont pas conscientisées comme telles par l’enfant dont le parent – père ou mère – lui explique que c’est normal et qu’il agit ainsi pour son bien. Dès lors, comment l’enfant peut-il avoir conscience qu’il s’agit d’un crime ? Comment peut-il même assumer ce conflit de loyauté ?
Par ailleurs, à la suite de ces violences sexuelles, qui sont décrites par les victimes comme une torture, peut se développer une amnésie post-traumatique, qui est nécessaire à la survie de la victime et est reconnue sur le plan médical.
Nous parlons donc de milliers de cas potentiels de violences sexuelles. Aussi ai-je été choquée de lire dans le rapport de la commission des lois que la présente proposition de loi s’inspirerait d’un fait divers et qu’elle aurait même été déposée sous la pression de lobbies sécuritaires !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Ce n’est pas dans le rapport !
Mme Chantal Jouanno. Certes, mais les lobbies sécuritaires sont là ! Quand sont en cause plusieurs milliers de cas, il s’agit non pas de faits divers, mais d’un fait de société.
Cela étant, nous devons évoluer parce que nos connaissances ont progressé. La réalité des viols est mieux documentée et révélée.
L’amnésie post-traumatique ne cesse pas en fonction de la loi ; elle peut prendre fin après le délai de prescription.
Oui, le délai de prescription est nécessaire à notre société pour sa stabilité, pour le droit à l’oubli et, surtout, au pardon. Mais quand l’amnésie prend fin, la victime se retrouve à la case départ, c'est-à-dire très exactement dans la peau de la petite fille ou du petit garçon qu’elle était, avec la peur. Elle ne peut commencer son travail de reconstruction, de pardon ou de recherche de vérité qu’à compter de ce moment.
Aussi, le délai de prescription, tel qu’il est – vous l’avez d’ailleurs très bien souligné dans votre rapport, monsieur Kaltenbach –, est inadapté. Il constitue même presque une source d’inégalité.
J’ai également lu dans les comptes rendus de la commission des lois que l’agresseur pouvait avoir reconstruit un nouvel équilibre social qu’il ne fallait pas bouleverser trop longtemps après. Mais qui peut croire qu’un adulte qui viole un enfant, qui l’oblige à la fellation ou à la sodomie est un adulte normal ? Qu’il pourra, même très longtemps après les faits, retrouver, sans traitement, sans accompagnement, une vie normale ? Qu’y a-t-il de plus inconcevable et d’ignoble que ces actes de torture physique et morale sur des enfants, qui ont d’ailleurs bien souvent lieu au sein des familles ?
Oui, c’est certain, notre texte n’est pas parfait. Oui, il prend le parti des victimes, précisément parce qu’on ne l’a peut-être pas assez fait jusqu’à présent.
Oui, les conditions proposées pour exercer l’action publique sont peut-être incertaines pour être légales. Et encore ! L’amnésie post-traumatique peut être médicalement constatée et être intégrée à l’expertise d’une autorité judiciaire. En l’espèce, je veux bien prendre le risque de voir cette proposition de loi frappée d’inconstitutionnalité. Il est cependant étrange de constater que, pour certains textes, on n’hésite pas à prendre ce risque...
J’ai lu que cette proposition de loi crée une imprescriptibilité de facto. L’enquête permettra peut-être d’éviter ce risque, un risque qui, d’ailleurs, ne semble pas avoir posé de problème pour les abus de biens sociaux…
Certains s’inquiètent des difficultés probatoires. Or les techniques ont évolué. Est-ce plus difficile d’apporter la preuve d’un fait trente ans après que vingt ans après ? Non !
Je sais que vous auriez préféré une remise à plat de l’ensemble des régimes de prescription. Nous aussi ! Voilà un sujet qui a d’ailleurs été brillamment examiné lors de la rédaction d’un rapport sénatorial remis en 2007. Il y a deux ans, j’ai entendu qu’on allait procéder à cette remise à plat, qu’elle était imminente. Les promesses sont identiques. Mais, sept ans après, rien n’a bougé !
M. Charles Revet. C’est vrai, malheureusement !
Mme Chantal Jouanno. Pourtant, dans le rigoureux édifice de la prescription, bien des brèches ont, il est vrai, été ouvertes : j’ai cité l’abus de biens sociaux, mais je pourrais tout autant évoquer les trafics de stupéfiants, le terrorisme. Il semble donc que certaines brèches dans l’ordre juridique soient plus acceptables que d’autres.
Nous sommes tous désireux d’un changement du régime de prescription, mais encore faut-il que nous soyons assurés de délais clairs, précis et sincères. Nous pourrions même finalement poser la question de l’imprescriptibilité des crimes commis à l’encontre d’enfants.
Nous n’avons pas totalement confiance dans ces promesses. C’est pourquoi nous préférons vous proposer d’agir au lieu d’attendre.
Je tiens à remercier Muguette Dini de sa constance et de son combat. Je vous remercie également, monsieur le rapporteur, car je sais que, à l’origine, vous n’aviez pas les mêmes orientations que nous. Or vous êtes aussi aujourd'hui un défenseur de nos propositions. En tout cas, vous avez reconnu la véracité des faits. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du groupe écologiste. – Mme Michèle André applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de saluer le travail de Muguette Dini qui, loin de chercher à mener une politique d’affichage, a fait, avec d’autres élus, de la lutte contre les violences sexuelles un combat.
Le texte qui nous est proposé pose une véritable question. En effet, son analyse nous a conduits à reconnaître les réelles difficultés d’application du régime de prescription en matière d’infractions sexuelles. Mais, en poussant l’analyse un peu plus loin, nous avons aussi constaté que les difficultés liées à la prescription en matière pénale dépassent les cas d’infractions sexuelles, comme le révèlent de récentes décisions rendues par la chambre criminelle de la Cour de cassation, et appellent une réforme plus globale.
Avant de développer ce point, je voudrais nuancer les arguments ayant motivé le rejet du texte en commission.
S’agissant des difficultés probatoires, elles sont réelles, et le dépérissement des preuves est l’un des fondements traditionnels qui justifient la prescription. Toutefois, je tiens à réfuter l’argument selon lequel le non-lieu prononcé faute de preuves suffisantes serait douloureusement ressenti par la victime, car il n’est pas certain qu’un refus d’instruire pour cause de prescription soit mieux perçu par cette dernière.
M. le rapporteur a lui-même nuancé cet argument : il a soutenu que les difficultés en matière de preuves ne doivent pas forcément être un obstacle à l’instruction d’une affaire. Donner la possibilité à une personne se disant victime de voir son affaire instruite peut aussi conduire à délier la parole. D’autres victimes du même suspect pourront alors se manifester et, par conséquent, de nouvelles agressions pourront être évitées.
Concernant la nécessité d’envisager toute réforme de la prescription de manière globale, il n’est pas absurde de considérer que la spécificité des infractions sexuelles par rapport à d’autres crimes ou délits mérite une prise en compte particulière de la législation relative à la prescription. Des exceptions ont d’ores et déjà été prévues et des réformes parcellaires adoptées. Je pense au trafic de stupéfiants, au terrorisme, comme vient de le rappeler notre collègue Chantal Jouanno, ou encore aux infractions d’affaires.
En effet, si le mutisme des victimes rend difficiles les études des violences sexuelles, les médecins et les spécialistes en victimologie insistent sur la spécificité de ces violences par rapport à d’autres crimes ou délits.
Cependant, certaines études ont été menées, ainsi que vous l’avez relevé, madame Dini. L’une d’entre elles, conduite sur cent patients – 88 femmes et 12 hommes –, montre que la conscientisation des agressions sexuelles s’est faite chez 40,7 % des patients au-delà du délai de prescription et que, dans 90 % des cas, la possibilité de parler n’est survenue qu’après un long, voire très long, travail thérapeutique de réparation.
Quant au parallélisme établi entre les infractions sexuelles et les infractions clandestines, toute extension du champ de ces infractions doit être envisagée avec attention, sous peine de mettre en péril le régime juridique déjà fragile des infractions clandestines, qui, parce qu’il est de source prétorienne, fait l’objet de nombreuses critiques.
Il est en effet reproché à cette jurisprudence, qui s’applique surtout aux délits d’affaires, d’être contraire au principe de légalité. Malgré cette critique, la solution adoptée par la jurisprudence est, dans la pratique, cohérente ; elle permet notamment de sanctionner la « criminalité des cols blancs » et de poursuivre un type de criminalité très technique.
Cette théorie relève d’une idée qui n’est pas fausse, qui correspond à la philosophie de la prescription. Cependant, l’absence de définition législative a rendu difficile la détermination d’un critère objectif caractérisant les infractions clandestines. Aussi, la solution du report du délai de prescription pour certains délits peut paraître arbitraire en ce qu’elle ne concerne qu’une partie des infractions, comme le souligne en filigrane nos collègues Muguette Dini et Chantal Jouanno dans leur proposition de loi.
Pour autant, doit-on considérer que les agressions sexuelles relèvent des infractions clandestines ? Pour le déterminer, il faut tenter d’identifier les critères que retiennent les juges pour évaluer ce qui dépend de cette catégorie ou non.
La plupart du temps, le caractère de « clandestinité » concerne l’acte incriminé lui-même, c’est-à-dire son élément matériel. Cet acte, cet élément matériel, a fait l’objet de manœuvres de la part de l’auteur pour dissimuler l’infraction. Dès lors, on peut considérer que les infractions sexuelles ne relèvent pas de la catégorie des infractions clandestines, car l’occultation liée souvent aux agressions sexuelles ne relève pas de l’acte répréhensible lui-même ; elle dépend de la victime, comme cela a été rappelé.
La référence à la clandestinité, notamment pour ce qui concerne les délits d’affaires, faite dans l’exposé des motifs ne peut donc être retenue, mais il est vrai que l’idée se conçoit tant l’absence de définition législative engendre des confusions.
Et la confusion figure parfois même dans la législation. En effet, la loi du 14 mars 2011 a introduit un article dans le code de procédure pénale disposant que, s’agissant des personnes vulnérables, le délai ne court qu’« ’à compter du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique » pour certains délits.
En l’occurrence, la vulnérabilité, qui ne se trouve pas dans l’élément matériel de l’infraction mais concerne la victime, conditionne bien la clandestinité au prix d’une certaine dénaturation de cette dernière. Les infractions clandestines tiennent donc à l’ignorance de leur existence par la victime et le ministère public.
Comme je vous le disais, de nombreuses affaires révèlent les difficultés des différents régimes de prescription en matière pénale. Ces difficultés dépassent, mais englobent aussi, les infractions sexuelles.
Voilà quelques jours, une cour d’appel, statuant sur renvoi après cassation, a tenu tête à la haute juridiction concernant le report du point de départ du délai de prescription dans une affaire d’infanticide. Les juges de la cour d’appel, qui ne doutent pas qu’ils seront censurés une seconde fois, appellent implicitement à une réforme.
Une réflexion a déjà été menée : un rapport d’information sur la prescription, fait au nom de la commission des lois, a été déposé le 20 juin 2007, ainsi que l’a évoqué M. le rapporteur. Je vous propose, mes chers collègues, de nous en saisir, afin de trouver des solutions pérennes, rationnelles et rassurantes à l’ensemble de ces situations.
En attendant, vous l’aurez compris, les membres du groupe CRC s’abstiendront sur la présente proposition de loi telle qu’elle est rédigée : même si nous partageons le constat, nous doutons du dispositif proposé.
Pour terminer, permettez-moi d’évoquer les trois amendements de la commission dont l’adoption reviendrait à rédiger un nouveau texte.
Les agressions ou crimes sur mineurs sont des actes graves, mais, nous le savons, l’allongement du délai de prescription ne diminuera en rien leur nombre, contrairement à ce que nous avons entendu. Pour parvenir à un tel résultat, il faut en effet agir en matière de prévention et aider à délier la parole. En l’espèce, des progrès sont encore possibles, car, ne l’oublions pas, le viol n’a fait son entrée dans le code pénal qu’en 1992 !
Par ailleurs, le temps nécessaire pour s’émanciper de la cellule familiale qui a été évoqué pour justifier le dépôt de ces amendements peut aussi l’être pour une victime majeure. Je pense au mariage forcé, qui est un viol en soi. Peut-on justifier qu’un mineur âgé de dix-sept ans puisse agir pendant trente ans et qu’une personne âgée de dix-huit ans ne puisse le faire que pendant dix ans ?
Enfin, si l’amnésie traumatique touche très fortement les enfants, elle concerne également les adultes.
L’argument invoqué ce matin par la commission pour rejeter le texte initial – on ne saurait modifier un délai de prescription sans l’intégrer dans une réflexion globale – peut donc aussi être opposé aux amendements qui nous seront soumis ultérieurement.
Au final, même si la réponse apportée est peut-être, nous l’avons dit, maladroite, la question initiale posée par nos collègues est réelle : à partir de quand faut-il faire courir le délai de prescription ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la modification du délai de prescription des agressions sexuelles est désormais un sujet que nous connaissons bien. Notre collègue Muguette Dini avait déjà déposé une proposition de loi à ce sujet qui avait été rejetée par le Sénat au mois de janvier 2012.
Une nouvelle fois, je tiens à le dire d’emblée, les membres du RDSE ne voteront pas le texte présenté en l’état. Bien que les intentions de ses auteurs soient louables, nous nous prononçons, entre autres, contre les modifications à tout va des prescriptions en matière pénale, qui créent des prescriptions « à la carte ».
Au final, la non-prescription des crimes contre l’humanité a transformé le sens de la loi de prescription en établissant une sorte d’échelle de gravité concurrente de celle des peines, ce qui n’était pas la fonction première de ce texte.
Le législateur n’a cessé d’introduire des exceptions à la règle, qui était celle du « un, trois, dix » : prescription d’un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. Les années soixante ont vu naître des exceptions à la règle générale relative au point de départ du délai de prescription. Puis, dans les années quatre-vingt-dix, ont été introduites des exceptions aux règles générales relatives aux délais de prescription eux-mêmes.
Les précédents orateurs l’ont souligné, les infractions sexuelles font déjà l’objet d’un régime dérogatoire au titre de la prescription, notamment lorsque les victimes sont mineures. Le point de départ du délai de prescription de l’action publique a été reporté à la majorité de la victime, qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit.
Ainsi, les interventions du législateur se sont succédé à un rythme soutenu. Elles ont créé de réels problèmes d’application de la loi dans le temps sans pour autant parvenir à résoudre les difficultés inhérentes au mécanisme de la prescription.
La suppression de toute prescription en matière pénale peut paraître séduisante à bien des égards. C’est ce vers quoi tendrait in fine la proposition de loi de nos collègues centristes, si elle était votée. Si l’on se fondait sur un critère purement subjectif, à savoir la prise de conscience de la victime, pour faire courir le délai de prescription, les agressions sexuelles deviendraient pour ainsi dire imprescriptibles.
Non seulement cette suppression de la prescription irait à l’encontre de l’équilibre aujourd’hui atteint entre droits des victimes et procès équitable, mais elle emporterait d’innombrables conséquences pratiques, qu’il semble difficile de gérer sans lui substituer d’autres mécanismes juridiques.
En effet, comment rendre la justice quand le dépérissement des preuves empêche toute reconstitution des faits, notamment en matière d’agressions sexuelles ? L’argument est imparable ; il a été invoqué à de nombreuses reprises. À ce titre, la prescription paraît être un mal nécessaire de la procédure pénale. Par ce biais, le législateur parvient à contenir une expansion sans fin de la réponse pénale.
La modification des prescriptions exige un peu plus de réflexion. Cela a été dit en commission des lois, la prescription en matière pénale mériterait une véritable remise à plat, sur la base du rapport de nos collègues Hyest, Portelli et Yung.
Nous ne nions pas les difficultés liées à la prescription en matière d’agressions sexuelles, mais nous contestons le bien-fondé et l’efficacité du dispositif proposé via le présent texte. Comment ne pas laisser les infractions sexuelles tomber dans l’oubli et se banaliser ? Telle est la véritable question qui se pose. La modification des règles de prescription n’est manifestement pas une réponse adaptée à la nature des agressions sexuelles.
Alors que le sujet restait tabou pour les générations précédentes, des études attestent que « la reconnaissance sociale de ces violences contribue à une modification du seuil de rejet à l’égard des agressions sexuelles. »
Toutefois, aujourd’hui encore, seule une minorité des infractions sexuelles – probablement les plus graves – est portée à la connaissance des autorités. Une enquête de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales montre que seuls 11 % des femmes et 2 % des hommes ont porté plainte pour des infractions à caractère sexuel hors ménage. Ainsi, parce que ces dernières sont le fruit de certaines mentalités et de certains comportements parfois institutionnalisés et normalisés, des moyens supplémentaires doivent être mobilisés pour faire connaître leurs droits aux victimes, les inciter à porter plainte ou leur permettre d’être mieux prises en charge par des professionnels du monde judiciaire et par des psychothérapeutes.
Ce chantier passe également par une sensibilisation du grand public à la violence des agressions sexuelles.
L’agression survenue dans le métro de Lille au mois d’avril dernier montre combien il est urgent d’agir. Poursuivie sur le quai puis dans la rue, une jeune femme a subi pendant une trentaine de minutes les assauts d’un jeune homme alcoolisé, avant d’aller chercher elle-même du secours, et ce devant une dizaine de témoins impassibles et indifférents.
C’est cette indifférence-là qu’il faut désamorcer, afin que le taux des agressions sexuelles diminue.
C’est également cette indifférence qui rend parfois difficile une dénonciation de tels faits.
En l’occurrence, le droit à l’oubli mis en jeu dans la prescription est moins en cause que l’inadaptation des réponses pénales vingt ou trente ans après les faits d’agression sexuelle.
Dans ces conditions, je le répète, les membres du RDSE ne pourront apporter leur soutien à ce texte, car il constitue, à leurs yeux, une fausse bonne réponse juridique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer l’initiative des signataires – notamment Mme Dini – de la proposition de loi que nous examinons qui nous permettent de débattre cette après-midi d’un sujet important, horrible : les crimes commis sur des mineurs, garçons ou filles, par des membres ou des amis de leur famille, par des proches, par des éducateurs ou par des ministres du culte.
Nous connaissons ces réalités – de loin – pour avoir entendu des victimes exprimer leurs plaintes dans nos permanences parlementaires, très longtemps après les faits et ne sachant parfois plus à qui s’adresser. Il s’agit, en pareil cas, non de réparer mais de dire ce qui s’est produit des années auparavant.
Pour tenter de faire face à de telles situations, les auteurs du présent texte nous proposent d’allonger le délai de prescription pour ces crimes et délits.
Je souligne d’emblée que la prescription en vigueur en la matière est déjà exceptionnelle : elle court vingt ans après la majorité des victimes, qui peuvent donc porter plainte jusqu’à leurs trente-huit ans. Pourquoi cette exception a-t-elle été introduite dans l’échelle des prescriptions ?
On le sait très bien : dans un premier temps, ces victimes restent sous l’emprise des auteurs des faits, particulièrement lorsqu’il s’agit de membres de leur famille, d’éducateurs, de professeurs ou de maîtres d’internat, comme on l’a vu récemment. Elles éprouvent, de longues années durant, un sentiment de culpabilité extrême.
De surcroît, l’entourage connaît bien souvent l’auteur des faits et s’en rend complice : nous avons tous en tête l’exemple de mères couvrant un père incestueux, ne serait-ce que parce qu’il doit rapporter de l’argent à la maison, pour que le ménage tourne.
Qui plus est, la parole de l’enfant, souvent dénigrée, est rarement entendue, sans compter qu’il est très difficile de se rendre auprès des services de police ou de gendarmerie.
Ces facteurs constituent autant d’obstacles majeurs. Voilà pourquoi la loi permet déjà d’attendre que la victime ait atteint un stade de sa vie auquel sa maturité, les changements survenus dans son existence – elle a pu se marier ou avoir des enfants à son tour – lui permettent de révéler ce qui, quelques années plus tôt, relevait encore de l’indicible.
Le présent texte va encore plus loin : selon sa rédaction actuelle, il fait courir le délai de prescription à partir du moment où la plainte a été déposée ou de l’instant où la victime est à même de réaliser ce qui s’est passé, pour mettre en mouvement l’action publique.
Cette proposition se justifie par une raison qui est aujourd’hui médicalement connue et reconnue, et qui s’ajoute aux difficultés que je viens d’énumérer : c’est le phénomène d’amnésie traumatique, par lequel les victimes enfouissent ce qui s’est passé au fond d’elles-mêmes et le nient. Peut-être s’agit-il pour elles de se reconstruire. Hélas, elles mènent souvent une vie chaotique, parfois faite d’addictions. Dans certains cas, il faut attendre une analyse, une psychanalyse, voire des séances d’hypnose pour que l’horrible souvenir resurgisse tout d’un coup. En cet instant, la victime est en quelque sorte atteinte ou violée une seconde fois. C’est ce qu’expliquent les psychiatres et les médecins spécialistes de ces questions.
Ce moment peut bien entendu survenir après l’âge de trente-huit ans qui, en l’état actuel, marque la limite de la prescription. C’est la raison pour laquelle nos collègues ont déposé la proposition de loi qui nous est soumise.
J’en suis certain, nous toutes, nous tous dans cet hémicycle souscrivons au constat dressé par Mmes Dini et Jouanno, et voudrions apporter une réponse à ce problème.
Néanmoins, plusieurs orateurs l’ont déjà dit, cette proposition de loi, en l’état, n’est pas acceptable, ce pour plusieurs raisons.
Au premier chef, elle tend à l’imprescriptibilité des actes commis. Or seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.
Ensuite, elle vise à suggérer que c’est la victime qui exerce l’action publique, ce qui est impossible – même si nous avons quelque peu corrigé cette rédaction. (Mme Muguette Dini acquiesce.)
De surcroît – ce motif est, à mon sens, plus important encore – il faut s’interroger sur ce qu’est la prescription. Pour quelle raison existe-t-elle en droit pénal ?
En théorie, on pourrait concevoir que l’on puisse dénoncer les crimes et les délits dont on a été victime jusqu’à la fin de sa vie. Mais dans les faits, il faut ménager un équilibre entre, d’une part, le droit à l’oubli, qui assure la stabilité sociale, et, de l’autre, la répression des coupables et la réparation pour les victimes. Cet équilibre se traduit par les délais de prescription plus ou moins longs. Je le rappelle à mon tour, en matière criminelle, le délai normal est de dix ans. Mais plusieurs exceptions ont été ajoutées au fil des ans pour un certain nombre de situations.
Madame Dini, la commission des lois s’est penchée à plusieurs reprises sur cette question – il faut bien dire que vous l’avez un peu bouleversée, je ne peux pas employer un autre terme. Dans un récent rapport, MM. Hyest, Portelli et Yung ont proposé de revoir totalement le régime de la prescription, pour mieux l’adapter à l’échelle des peines. Ce critère est l’une des raisons pour lesquelles la rédaction que vous proposez ne serait pas acceptée par le Conseil constitutionnel, s’il était saisi du présent texte – je note qu’il pourrait l’être, après son éventuelle entrée en vigueur, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Bien entendu, la commission des lois a eu du mal à accepter la rédaction proposée.
Au surplus, le parallèle que vous tracez avec les infractions occultes ou dissimulées n’est pas acceptable. Cette catégorie regroupe l’abus de biens sociaux, l’abus de confiance, etc.
Mme Annie David. D’une certaine manière, il s’agit pourtant d’un abus de confiance !
M. Jean-Pierre Michel. Les actes en question ont été occultés ou dissimulés par la victime elle-même. Longtemps, elle n’a pu s’exprimer. Puis, un beau jour, la vérité a éclaté, la victime a pu parler ! En la matière, comparaison n’est pas raison.
Par ailleurs, je rappelle que les crimes de guerre qui, on le sait, impliquent des viols en série, des assassinats, des meurtres, entre autres, font l’objet d’une prescription de trente ans.
De plus, il faut bien se poser cette question : après tant d’années, quelle pourrait être l’issue d’un procès ? Bien sûr, on pourrait retrouver des preuves. La modernisation des méthodes d’investigation, notamment sur la base de l’ADN, a permis des avancées considérables.
Toutefois, après un tel laps de temps, les auteurs de l’infraction peuvent soit être décédés, soit avoir refait leur vie. Dans ce second cas, voilà qui ajouterait encore un traumatisme à leur famille qui ignore tout.
Enfin, il ne faut pas non plus donner aux victimes le sentiment qu’elles atteindraient le but qu’elles poursuivent après tant d’années. Car le procès pénal n’est pas fait pour les victimes, il n’a pas vocation à réparer le traumatisme qu’elles ont subi. Le procès pénal a d’abord pour objet de réprimer, de sanctionner une infraction.
Si les victimes ne sont pas toujours satisfaites des condamnations, c’est qu’elles attendent autre chose d’un procès : elles veulent que l’auteur de l’infraction leur présente ses excuses dans l’enceinte publique du tribunal, qu’il exprime des regrets. Or cela arrive rarement… La proposition de loi qui nous est soumise doit donc être regardée avec prudence.
Les membres de mon groupe se sont longuement interrogés, à deux reprises, sur ce qu’il y avait lieu de faire. Nous sommes tous d’accord avec le constat établi et l’esprit du texte, mais nous ne pouvons accepter celui-ci en l’état, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, voire d’autres encore. Pour autant, nous ne l’avons pas balayé d’un revers de main, sort qui est parfois réservé à des propositions de loi émanant de l’opposition… Mais il est vrai, madame Dini, que vous siégez au centre de l’hémicycle… (Sourires.)
En cet instant, je veux saluer le travail de Philippe Kaltenbach, qui a conduit de nombreuses auditions et qui nous propose – certains parleront de demi-mesure, d’autres d’un progrès – d’éviter l’écueil de l’inconstitutionnalité en ajoutant dix ans au délai de prescription. On ne pourra donc plus reprocher au texte de permettre aux victimes de porter l’action publique. Ces dernières, qui ont subi ces traumatismes horribles dans leur enfance ou leur jeunesse, auront jusqu’à l’âge de quarante-huit ans pour engager des poursuites. Certes, la révélation peut ne survenir qu’à cinquante ans, mais ce nouveau délai permettra d’englober un certain nombre des cas douloureux que vous avez cités, ma chère collègue, et que vous connaissez. Ces victimes qui n’ont pu faire valoir leur parole, le délai de prescription étant expiré, le pourront désormais grâce à ces dix années supplémentaires…
Les membres du groupe socialiste voteront en faveur des amendements que nous présentera M. Kaltenbach et, s’ils sont adoptés par notre assemblée, voteront également en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la forte prévalence au sein de la société française des violences sexuelles est inacceptable.
Parce qu’elles atteignent la victime dans son intimité, les violences sexuelles diffèrent des autres types de violences et justifient la mise en place de dispositifs spécifiques de prise en charge et d’accompagnement des victimes.
Je rappellerai que l’INSEE et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ont mené une enquête conjointe auprès de personnes âgées de dix-huit à soixante-quinze ans. Selon les évaluations réalisées, cela a été dit, 383 000 personnes ont été victimes de violences sexuelles en 2010 et 83 000 femmes ont été victimes de viol ou de tentative de viol.
Ces chiffres alarmants démontrent à quel point ce type de violences constitue un véritable fléau contre lequel nous devons lutter. Qui plus est, comme l’a souligné Muguette Dini, l’ampleur de ces phénomènes est largement sous-estimée : d’une part, les enquêtes ne comptabilisent pas les agressions perpétrées sur les mineurs – or l’on sait les ravages de ces agressions sur les enfants ; on touche souvent là à l’inimaginable –, d’autre part, les déclarations auprès des autorités et les dépôts de plainte ne correspondent qu’à un faible pourcentage du nombre réel d’abus.
En effet, une victime sur six de violences conjugales, physiques ou sexuelles déclare avoir porté plainte et une victime sur dix de viol ou de tentative de viol porte plainte. Le nombre de condamnations inscrites au casier judiciaire s’élève en moyenne entre 7 000 et 8 000 par an, alors que les faits de violences sexuelles constatés par la police et la gendarmerie sont de l’ordre de 22 000 à 23 000.
Les victimes d’agressions sexuelles éprouvent toujours les plus grandes difficultés à parler du drame qu’elles ont vécu. Les raisons en sont multiples : la peur, la honte, le déni, mais aussi, cela a été souligné, l’amnésie traumatique qui suit le choc émotionnel profond. Le traumatisme subi peut placer la victime dans l’impossibilité de dénoncer les faits subis pendant une période très longue.
À l’occasion des assises nationales sur les violences sexuelles organisées au mois de janvier dernier par notre collègue Muguette Dini, en partenariat avec l’association Stop aux violences sexuelles, le docteur Violaine Guérin, médecin endocrinologue et gynécologue et présidente de cette association, a bien exposé ce traumatisme. Elle a d’ailleurs précisé – ce point est important – que l’amnésie traumatique pouvait être médicalement constatée : un médecin psychiatre formé à cette problématique est en mesure de l’établir scientifiquement.
Dans le même sens, dans le cadre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, le docteur Muriel Salmona nous a présenté ses travaux sur la mémoire traumatique, qui peut être révélée scientifiquement par l’imagerie médicale.
Plusieurs raisons peuvent expliquer que ces violences sont souvent occultées par les victimes. Tout d’abord, lors du viol, la perte de connaissance n’est pas rare. De plus, un viol peut également engendrer des mécanismes de déconnexion du cerveau. Muguette Dini l’a rappelé, le viol est en outre de plus en plus souvent perpétré sur des personnes alcoolisées ou droguées, qui n’ont plus le souvenir de ce qui s’est passé. Enfin, un viol subi dans la très jeune enfance peut faire partie des souvenirs oubliés ou n’être pas conscientisé comme tel.
Le syndrome de stress post-traumatique peut conduire la victime à trois types de réactions. Elle peut tout d’abord se remémorer périodiquement les événements ou bien être sujette à cauchemars ou à des rappels d’images récurrents. Elle peut ensuite tout faire pour éviter d’être confrontée à une situation lui remémorant l’événement traumatisant. Dans ce cas, la victime éprouve un sentiment de culpabilité qui la conduit au silence et au repli sur soi. Enfin, elle peut rencontrer des difficultés à se concentrer et à mener à terme ses activités, ce qui provoque des phénomènes d’insomnie, d’instabilité, d’irritabilité ou d’agressivité. C’est ce que l’on appelle l’hyperstimulation. Et je n’évoque pas toutes les conséquences physiques multiples que décrivent les victimes.
Selon plusieurs études, chez 42,8 % des femmes et 33,3 % des hommes, la conscientisation des agressions est apparue après l’âge de trente-huit ans. Dans plus de 90 % des cas, la possibilité de parler des faits n’est survenue qu’après un travail thérapeutique de réparation et au-delà des trente-huit ans. Cet âge de conscientisation tardif a pour conséquence d’empêcher la victime d’obtenir réparation, puisque le délai de prescription est écoulé. Les délais de prescription actuels sont donc inadaptés.
Partant de ce constat, je soutiens, à titre personnel, l’esprit de la proposition de loi déposée par mes collègues Muguette Dini et Chantal Jouanno visant à reporter le point de départ du délai de la prescription à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l’infraction dont elle a été victime.
Bien entendu, je suis consciente des obstacles juridiques soulevés par ce texte. Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, transposer aux agressions sexuelles la jurisprudence relative aux infractions occultes est délicat.
D’autre part, et Mme la secrétaire d’État l’a souligné, il existerait un risque d’inconstitutionnalité au regard du principe de légalité et du principe d’égalité. Mais Chantal Jouanno l’a bien dit, ce risque est souvent présent dans les textes que nous examinons. (Mme Chantal Jouanno opine.)
La question des délais de prescription, voire de l’imprescriptibilité, est complexe. Le débat que nous tenons cet après-midi le prouve. Monsieur le rapporteur, vous allez nous présenter des amendements dont l’adoption, selon vous, permettrait de sécuriser les dispositions juridiques de la présente proposition de loi et constituerait un premier pas vers une meilleure législation en faveur de toutes les victimes de ces drames avant le dépôt d’un texte global sur la prescription.
Je rappellerai toutefois que la lenteur du travail législatif est difficilement acceptable par des victimes pour qui chaque jour passé est un jour douloureux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles
Article 1er
Au dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, les mots : « et ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de ces derniers » sont supprimés.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Comme je l’ai indiqué lors de mon intervention au cours de la discussion générale, j’ai recherché une solution juridique qui, si elle ne va pas aussi loin que l’auraient souhaité les auteurs de la proposition de loi, puisse tout de même être considérée – Jean-Pierre Michel l’a relevé – comme un premier pas.
Cet amendement vise donc à modifier l’article 7 du code de procédure pénale pour faire passer le délai de prescription du viol sur mineur de vingt à trente ans.
Cette solution permettra de couvrir nombre des cas dont a fait état Mme Dini. Les médecins que j’ai eu l’occasion d’auditionner m’ont tous confirmé que la révélation des faits intervenait souvent autour de la quarantaine. Or ce nouveau délai permettra à la victime de déposer plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans.
Cette durée de trente ans n’est pas exceptionnelle, elle est déjà en vigueur pour les crimes de guerre, les crimes terroristes depuis les années quatre-vingt-dix et les crimes liés au trafic de stupéfiants. Il n’y a donc là rien d’aberrant ; un tel délai s’intègre parfaitement dans l’architecture générale du régime des prescriptions. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous soumets cet amendement, adopté ce matin par la commission des lois.
Je tiens maintenant à faire remarquer que, dans mon rapport, je n’ai jamais écrit que cette proposition de loi était le fruit d’un travail de lobbying mené par des associations sécuritaires…
Mme Chantal Jouanno. Nous ne pensions pas à vous, monsieur le rapporteur !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Ce qui m’engage, c’est le rapport que j’ai rédigé, auquel sont annexés les comptes rendus des débats en commission et donc les interventions des commissaires dont je ne puis être tenu responsable. Chaque membre de la commission se doit d’assumer ses propos... (Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno opinent.)
Enfin, s’agissant de l’aspect inconstitutionnel de cette proposition de loi, il nous faut faire preuve de prudence. On peut toujours voter un texte et attendre de voir quelle sera la réaction du Conseil constitutionnel,…
Mme Chantal Jouanno. Nous saurons vous le rappeler ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. … mais, si nous ne sommes pas attentifs, nous encourrons sa censure, comme ce fut le cas du dispositif mis en place pour lutter contre le harcèlement sexuel, annulé par les Sages à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Madame Dini, madame Jouanno, si votre proposition de loi était adoptée en l’état, aux termes de l’article 1er, confirmé par l’article 2, le délai de prescription ne courrait plus à compter de la majorité de la victime. Or, s’il était saisi, le Conseil constitutionnel n’annulerait que l’article 3. Nous nous retrouverions donc dans une situation – le point de départ du délai n’étant plus fixé à la majorité de la victime et votre dispositif ayant été censuré – antérieure à celle de 1986. Quel retour en arrière considérable !
Nous devons par conséquent être extrêmement méfiants. Le risque constitutionnel a été soulevé par le Gouvernement et par la commission des lois. Faisons preuve de prudence et adoptons un amendement qui, s’il ne vous donne pas entière satisfaction, constitue néanmoins une avancée ne comportant aucun risque d’inconstitutionnalité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Avec votre permission, monsieur le président, je donnerai l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 2 et 3 de la commission, joints par leur cohérence et leur logique.
Ces amendements ont une première qualité : ils ne soulèvent aucun problème de constitutionnalité. Nous pouvons donc porter sur eux un regard plus confiant que sur la proposition de loi. (Sourires.)
Toute l’ambiguïté et la difficulté du sujet sur lequel vous travaillez, madame Dini, consistent à trouver la moins mauvaise solution pour les victimes. Il ne faut pas minorer le fait que plus on allonge le délai de prescription, plus les preuves vont être difficiles à rapporter. Il s’agit alors non plus de trouver des preuves matérielles, mais de s’appuyer essentiellement sur des témoignages.
Or, plus le temps passe, plus il est difficile de recueillir les témoignages. Il ne faudrait pas imposer à ces victimes une deuxième blessure, une deuxième souffrance : le classement sans suite de l’affaire, un non-lieu, ou, tout simplement, la difficulté à obtenir justice, ce qui reviendrait, pour elles, à un deuxième déni.
Il n’est pas aisé d’évaluer cette difficulté : autant de victimes, autant de situations différentes, autant de chemins psychologiques différents, autant de capacités différentes à faire valoir des témoignages, autant d’instructions et d’actions en justice qui se concluent différemment. Je tenais seulement à attirer votre attention sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs, qui vaut aussi pour les amendements déposés par M. le rapporteur.
En outre, attention à la proportionnalité. Certes, il s’agit là d’un système dérogatoire au droit commun de la prescription, qui, en principe, part des faits. En l’occurrence, nous partons non pas des faits, mais de la victime ; le point de vue est déplacé. Néanmoins, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut maintenir une proportionnalité.
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce qu’il sensible s’inscrit dans la démarche engagée ici et qu’il mène une réflexion globale et plus cohérente sur les délais de prescription, que l’on ne peut pas toujours traiter au cas par cas, le Gouvernement, sur les amendements nos 2 et 3, s’en remet à la sagesse du Sénat, et je sais à quel point elle est grande ! (Sourires.)
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
M. le président. Merci de votre mémoire, madame la ministre !
La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.
Mme Muguette Dini. Nos débats montrent, de manière évidente, tout l’intérêt que nos collègues portent à la question qui nous anime, et toute leur sensibilité à la douleur des victimes.
Personnellement, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, je suis sensible au fait que vous nous proposez une solution, même si elle n’est pas aussi complète que celle que j’aurais souhaitée, mais vous mettez en avant les risques d’inconstitutionnalité.
Il est certain que, si le texte d’origine proposé par Chantal Jouanno et moi-même devait être rejeté, nous prendrions le risque de n’avoir rien du tout, alors que notre souci est d’aider les victimes à pouvoir s’exprimer. L’allongement de dix ans des délais de prescription, puisque les deux amendements peuvent être traités ensemble, est un progrès, auquel, j’en suis sûre, les personnes concernées seront sensibles.
Vous avez parlé d’« imprescriptibilité », monsieur le rapporteur. J’ai trop de respect pour les personnes victimes de crimes contre l’humanité pour souhaiter que l’on puisse prononcer ce mot s’agissant des situations que nous évoquons. Je rappellerai simplement que les crimes contre l’humanité apparaissent dans l’opposition d’un groupe contre un autre. Dans les cas qui nous occupent, il s’agit plutôt d’un individu contre un autre, et même d’un grand nombre d’individus contre un grand nombre d’autres.
Cela étant dit, nous pourrions faire un parallèle entre les crimes contre l’humanité et les crimes dont nous débattons : les personnes victimes d’agression sexuelle se sont vu retirer une partie de leur humanité ; les personnes victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, quant à elles, se sont souvent vu retirer leur humanité avant de se voir retirer leur vie. Je n’irai pas plus loin, car j’ai bien compris que l’on ne pouvait prévoir cette même imprescriptibilité pour les violences sexuelles.
Pour conclure, je tiens à remercier M. le rapporteur ; il a, je dois le dire, compris très rapidement l’importance du texte qui lui était soumis. Les auditions qu’il a menées ont, je le crois, contribué à l’éclairer et à le convaincre.
Je remercie également tous les sénateurs cosignataires de ce texte, ainsi que ceux qui m’ont écrit pour me témoigner de leur soutien. Il s’agit donc bien d’un sujet qui nous intéresse et nous touche, certainement parce qu’il traite d’événements dont, à un moment ou à un autre, nous avons pu avoir l’impression qu’ils n’étaient pas si loin de nous. En effet, s’il y a autant de prédateurs, c’est bien qu’ils sont quelque part, jusqu’à ce que, parfois, on les découvre et la situation est alors dramatique pour tout le monde, et d’abord pour la victime.
Par conséquent, je voterai les amendements nos 2 et 3 présentés par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je l’ai laissé entendre au cours de la discussion générale, le groupe CRC va s’abstenir sur les trois amendements déposés par M. le rapporteur. En effet, ils ne répondent pas au problème soulevé en commission des lois lors de l’examen du texte dans sa version initiale, émanant notamment de Muguette Dini.
En réalité, ces amendements vont à l’encontre des principes dont nous nous targuons souvent en séance, et qui font l’unanimité au sein de la commission des lois, selon lesquels l’allongement des délais de prescription pour tous ne se justifie pas en soi.
Ces amendements, s’ils sont adoptés, concerneront tous les mineurs, indépendamment du traumatisme qu’ils ont connu, et qui fut à l’origine du dépôt de la proposition de loi.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que ces amendements tendent à complètement changer l’optique de la proposition de loi dans sa version initiale. Bien sûr, cette dernière posait des problèmes de constitutionnalité ; bien sûr, il y avait sans doute des choses à revoir. Certaines formulations, et ce point a été souligné, aboutissaient à priver les victimes de garanties contenues dans la procédure actuellement en vigueur. Mais nous aurions pu discuter de tout cela et retravailler le texte.
Avec cette proposition de loi, je vous le redis ici, madame Dini, vous posiez une vraie question, qui disparaîtra de la version finale du texte si ces amendements sont adoptés. En effet, l’agression sexuelle ou le viol, perpétrés sur une personne mineure ou sur une personne majeure, peuvent entraîner un tel traumatisme, un tel questionnement sur ce qu’est réellement cet acte – ou sur ce qu’il n’est pas –, qu’il est nécessaire de s’interroger sur le moment à partir duquel le délai de prescription doit courir.
Je ne reviendrai pas sur la situation des mineurs, sur leur souffrance, que tout le monde reconnaît. Prenons le cas des majeurs et des violences qui peuvent être commises, par exemple, au sein d’un couple marié. Certaines femmes peuvent ne réaliser que quinze, vingt, ou vingt-cinq ans après la prononciation du divorce que ce qu’elles ont subi dans le cadre du mariage, dans le lit conjugal, était un viol.
D’autres personnes majeures, je l’ai signalé, peuvent également subir ce traumatisme et n’en prendre conscience que plusieurs années après. Certains orateurs ont indiqué que les personnes victimes de violences sexuelles au cours de leur minorité pouvaient en prendre de conscience vers la quarantaine. Mais cela peut attendre plus longtemps. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on n’allongerait pas encore par la suite les délais de prescription.
L’argument qui visait à détruire la proposition de loi, dans sa version initiale, était qu’elle tendait à l’imprescriptibilité. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais en allongeant toujours plus les délais de prescription pour ces violences, on se rapproche aussi de l’imprescriptibilité !
Les amendements de la commission peuvent avoir leur sens pour une meilleure protection des mineurs. Je vais peut-être vous choquer, mes chers collègues, en disant ce qu’aucun de vous n’a dit ici ou en commission, je le sais très bien : ces amendements reviennent à affirmer qu’une personne majeure victime d’un viol n’a qu’à faire un petit effort pour s’en souvenir dans le délai de prescription. Ce n’est pas vrai, mais c’est ce que, in fine, inconsciemment, nous sous-entendons si nous adoptons ces amendements.
L’enfant, le mineur, mérite d’être protégé par l’allongement de dix ans du délai de prescription. Je l’entends très bien ; personne, d’ailleurs, n’oserait le remettre en cause : ce qu’il a subi est affreux ! Or, mes chers collègues, pourquoi ne nous interrogeons-nous pas sur les raisons pour lesquelles nous n’allons pas au bout de ce débat ? Pourquoi ne nous demandons-nous pas à partir de quel moment le délai de prescription en matière d’agression sexuelle doit-il courir ? J’ai eu l’occasion de faire cette même remarque au sein de mon groupe, lorsque nous évoquions les problèmes liés à la formulation initiale du texte.
Nous n’avons pas étudié cette question à fond parce que, quelque part, elle nous dérange ; nous ne l’avons pas fait parce que, quelque part, inconsciemment, et de manière collective, nous considérons qu’une personne majeure qui a été violée aurait pu faire un effort pour ne pas l’être, ou qu’il est fondamentalement impossible qu’elle ne puisse pas s’en souvenir, tellement l’acte est violent.
Adopter ces amendements, c’est, en somme, refuser de mener le débat jusqu’à son terme. C’est pourtant ce que nous voulions.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC, après un échange de vues poussé en son sein, s’abstiendra sur les amendements présentés par la commission. (Mmes Éliane Assassi et Gisèle Printz applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la discussion générale, Chantal Jouanno a parlé d’un « conflit de loyautés ». Je trouve l’expression parfaitement opportune. Elle vaut pour les amendements qui ont été déposés.
La proposition de loi initiale visait à trouver une solution. Ce dont nous discutons ne peut, d’ailleurs, que nous rappeler nos cours de droit, et le concept de « conditions purement potestatives ». Ces conditions sont réputées non écrites, puisqu’on ne peut décider soi-même de conditions que l’on ne va pas remplir.
La rigueur du droit est une chose très importante dans cette maison, monsieur le président de la commission des lois, même si, Chantal Jouanno et d’autres orateurs l’ont souligné, nous en manquons parfois cruellement : quand nous sommes moins rigoureux sur le caractère non normatif et bavard de la loi, on l’a vu à plusieurs reprises ces derniers jours, et dans les mois qui ont précédé ; ce n’est pas nouveau.
Ce conflit de loyautés, je reprends les propos de Muguette Dini, se pose entre l’humanité qu’il nous faut pour essayer de résoudre ce problème et la question de la constitutionnalité de certaines dispositions, que nous percevons bien.
Vous avez trouvé une cote mal taillée pour y répondre. Néanmoins, la question reste entière. En cela, je rejoins tout à fait les propos tenus à l’instant par Cécile Cukierman. Je dirai même que les amendements déposés posent plus de problèmes qu’ils n’en règlent, en nous obligeant à changer de logique, ce qui n’était pas dans l’esprit des rédacteurs et cosignataires de la proposition de loi, dont je suis.
Pour autant, mes chers collègues, peut-on prendre le risque de ne pas voir un délai de prescription allongé de dix ans pour les victimes qui en ont besoin ? Tout cela, madame la secrétaire d’État, mérite une réflexion très approfondie.
Voilà sept ans que je suis sénateur. C’est au forceps que nous avons réussi à modifier quelques dispositions relatives à la prescription, dans la loi sur la presse, par exemple. Bien sûr, je ne parle pas des dispositions qui ont trait aux abus de biens sociaux, que l’on ne peut pas toucher.
Ce grand débat sur l’harmonisation des prescriptions est un problème absolu, madame la secrétaire d’État. Mais ce qui nous occupe aujourd’hui c’est un problème humain. Je dois dire que je n’ai pas encore décidé si j’allais m’abstenir ou bien voter les amendements présentés par M. le rapporteur, tant le sujet est poignant et important. Je pose néanmoins la question : en restant sur des principes, ne risque-t-on pas d’être à l’origine de plus de victimes, de plus de traumatismes ?
En tout état de cause, je remercie Muguette Dini et Chantal Jouanno de nous avoir proposé ce texte, d’avoir fait preuve d’obstination, car ce n’est pas la première fois qu’un tel texte est déposé. Espérons qu’il sera voté aujourd’hui, même si ce doit être dans des termes peut-être insatisfaisants. Espérons, surtout, que l’Assemblée nationale l’examine assez vite, pour que l’on ait moins de victimes à déplorer dans les mois et années qui viennent. (Mmes Chantal Jouanno et Colette Mélot applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai eu l’occasion de le dire lors de la discussion générale, le groupe écologiste est opposé depuis longtemps à l’instauration d’un droit qui soit toujours plus un droit d’exception, et ce en quelque domaine que ce soit.
En l’occurrence, nous avons l’impression, avec ce texte, que l’on attend de la teneur des peines et des nouveaux délais de prescription qu’ils empêchent les prédateurs d’agir.
Nous le voyons bien, les discussions sur cette proposition de loi ont été nombreuses au sein des groupes. C’est aussi le cas pour les écologistes. Des échanges ont eu lieu avec les personnes du parti compétentes en la matière et au sein du groupe écologiste au Sénat. Jean Desessard était partisan de voter pour, les autres membres ont décidé de s’abstenir.
Toutefois, et nous le voyons bien, nous sommes désarçonnés face aux violences sexuelles et aux questions qu’elles soulèvent.
Si les amendements qui nous sont soumis ici ont le mérite de rendre le dispositif juridiquement plus « acceptable », leur adoption aurait pour conséquence de déroger un peu plus encore aux principes généraux qui régissent la prescription de l’action publique en matière pénale. Elle créerait une distinction difficilement justifiable entre victimes majeures et mineures. Je rappelle que le droit dérogatoire applicable à ces dernières prend déjà en compte à la fois la gravité des faits et la vulnérabilité des victimes.
Nous sommes prêts à contribuer activement à tout texte qui tendrait à remettre à plat l’ensemble des dispositions relatives à la prescription.
Indépendamment des arguments que je viens d’avancer, le texte amendé par notre rapporteur, malgré ses efforts très importants et louables, n’est plus celui de Mmes Dini et Jouanno ; c’est un autre texte.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste, à l’exception de Jean Desessard, s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote.
M. Alain Gournac. Vous l’avez noté, je suis l’un des cosignataires de la présente proposition de loi ; je l’ai soutenue dès qu’elle m’a été soumise.
Je me souviens de conversations que j’ai eues avec Mme Dini lorsqu’elle présidait la commission des affaires sociales. Les réflexions que nous échangions alors sont pleinement d’actualité.
Je regrette évidemment que la démarche engagée ne puisse pas totalement aboutir. À l’instar de Mme Jouanno, je trouve assez curieux l’argument constitutionnel que l’on nous oppose. D’ailleurs, nous avons vu récemment ce qu’il en était de certains arguments constitutionnels…
Mais, à la réflexion, même si ce qui sera mis aux voix n’est plus notre proposition initiale, j’estime que nous ne pouvons pas faire le choix de l’inaction. S’il y a des avancées dans le texte, même modifié par les amendements du rapporteur et de la commission des lois, pourquoi ne pas les soutenir ?
Une remise à plat s’imposera tôt ou tard. À cet égard, je rejoins Mme Jouanno. Nous avons déjà parlé du sujet voilà quatre ou cinq ans. En quoi avons-nous progressé depuis ? En quoi ? Si quelqu’un a noté des améliorations, qu’il n’hésite pas à me les signaler…
Nous parlons de phénomènes qui brisent les individus ! Dans mon département, il y a des zones, que je ne citerai pas, où il faut se taire, des zones où la famille fait pression sur la victime en prétendant qu’il s’agit seulement d’histoires internes, dont il ne faut surtout pas parler !
Cela brise l’individu ; nous avons entendu les réactions tout à l’heure ! Et j’irai plus loin : cela brise aussi la vie des couples ! Nous sommes confrontés à des difficultés terribles, car le traumatisme revient toujours.
Aussi, je serais plutôt d’avis d’accepter, certes avec regret, la rédaction qui nous est proposée par le rapporteur – c’est toujours mieux que rien – et de faire ainsi un pas en avant.
Ce n’est pas nous qui inventons les statistiques. Si une victime s’exprime longtemps après les faits concernés alors qu’elle avait la possibilité de se manifester plus tôt, c’est parce qu’il y a tout un processus, une construction qui l’amène à vouloir un jour sortir de son état.
Je tenais à le souligner, car je soutiens depuis le début l’initiative dont nous débattons aujourd'hui.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. Mon explication de vote vaudra pour l’ensemble du texte.
Madame la secrétaire d’État, notre proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’un plan plus général sur les violences sexuelles, plan qui vous sera bientôt présenté. Comme l’a rappelé Mme Dini, nous travaillons avec l’association « Stop aux violences sexuelles ». Nous voulons éradiquer le phénomène, qui peut être considéré comme une forme d’épidémie, en traitant aussi bien les agresseurs que les victimes.
Monsieur le rapporteur, je ne voterai pas contre vos amendements. D’une part, ils sont empreints de bonne volonté. D’autre part, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation existante. Connaissant le travail parlementaire et gouvernemental, je sais très bien que nous pourrions vous battre, vous et le Gouvernement, dans cet hémicycle et voir ensuite notre démarche s’interrompre. Là, nous avons une chance qu’elle se prolonge et que le texte soit examiné au cours de la navette.
Pour autant, je ne voterai pas pour non plus. Au fond, vos amendements reviennent en quelque sorte à nier le phénomène de l’amnésie post-traumatique et à ignorer combien les violences sexuelles – je pense tout particulièrement aux viols sur les personnes mineures, même s’il y a aussi, cela a été rappelé, des violences au sein des couples – sont destructrices. Comme cela a été souligné, les victimes parlent de torture, au sens propre du terme !
Par conséquent, je m’abstiendrai.
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.
Article 2
À l’article 8 du code de procédure pénale, les mots : « ; ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de la victime » sont supprimés.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « vingt » et le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Cet amendement, en cohérence avec l’amendement précédent, vise à allonger de dix ans les délais de prescription pour les agressions concernées.
Je profite de l’occasion pour répondre à certaines interventions.
L’amendement que j’ai proposé ne modifie effectivement pas la logique sur laquelle est fondé aujourd'hui le délai de prescription. Le Sénat réclame depuis 2007 une remise à plat globale, un vaste débat et un nouveau texte législatif. J’espère que cela sera rapidement inscrit à l’ordre du jour ; encore faut-il que le Gouvernement en ait la volonté. De toute manière, une discussion sur les délais de prescription pour les différents délits et crimes, en intégrant la question du point de départ et celle de la durée, sera tôt ou tard nécessaire.
Mais nous sommes aujourd'hui saisis d’un sujet précis, celui des violences sexuelles, en particulier sur les personnes mineures. Madame Cukierman, j’ai centré mon propos sur ce dernier aspect, car c’est principalement sur ce point que mon attention a été attirée lors des auditions que j’ai menées.
La présente proposition de loi n’a pas forcément vocation à traiter de l’ensemble des violences faites aux mineurs, aux femmes, voire aux hommes. D’ailleurs, le Gouvernement travaille sur un plan de lutte contre ces violences ; des textes législatifs sont en préparation. De même, un plan d’actions pour mieux protéger nos enfants est sûrement nécessaire aujourd'hui. Il faudra en débattre dans un cadre plus large.
En l’occurrence, nous sommes invités à nous prononcer sur une proposition de loi de quatre articles portant sur un point spécifique : les délais de prescription. Le sujet est important, mais il faut certainement l’intégrer dans une réflexion plus globale. Le Gouvernement y est, je le sais, très sensibilisé. Mme la secrétaire d’État fera écho de nos débats auprès, notamment, de Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui suit ces questions de près ; j’ai eu l’occasion d’auditionner des membres de son ministère.
Le texte dont nous débattons est une première étape. Il faudra évidemment aller plus loin, dans la lutte contre toutes les violences faites aux adultes et aux enfants comme dans la remise à plat des délais de prescription et de leur point de départ. Mais, aujourd'hui, nous devons tenir compte de l’architecture globale du système. Pour le reste, attendons le débat à venir sur les prescriptions en général.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé.
Article 3
Après l’article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un article 8-1 ainsi rédigé :
« Art. 8-1. – Les délais de prescription de l’action publique :
« 1° des crimes mentionnés à l'article 706–47 du présent code et du crime prévu à l'article 222–10 du code pénal, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs ;
« 2° des crimes prévus aux articles 222–23 à 222–26 et 222–31–2 du code pénal ;
« 3° des délits mentionnés à l'article 706–47 du présent code et commis contre des mineurs ;
« 4° des délits prévus aux articles 222–12, 222–28 à 222–31–2 et 227-25 à 227–27 du code pénal ;
« ne commencent à courir qu’à partir du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l'action publique. »
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Kaltenbach, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec les deux amendements précédents.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 3 est supprimé.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mmes Dini et Jouanno, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique
par les mots :
la victime porte plainte
L’article 3 ayant été supprimé, cet amendement n’a plus d’objet.
Article 4
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je remercie les auteurs de la proposition de loi que nous examinons. Mmes Dini et Jouanno nous obligent en effet à regarder en face la situation, le plus souvent de femmes, mais également parfois d’hommes, ayant vécu l’insoutenable, l’indicible : un viol ou une agression sexuelle.
Je salue leur détermination, ainsi que la pudeur avec laquelle elles nous ont invités à la réflexion et rappelé la nécessité, au regard de la législation actuelle, d’être forces de propositions.
Nos collègues nous interpellent sur une question juridique, le délai de prescription, en décrivant avec humanité les conséquences des viols ou des agressions sexuelles, ce que le docteur Violaine Guérin, médecin gynécologue et endocrinologue, qualifie de « meurtre de l’âme ».
Il s’agit de situations terriblement fréquentes. En deux ans, il y a eu près de 400 000 cas. Trop souvent, cela reste un secret de conscience ou un secret de famille ; vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État. Les drames vécus par les enfants ont des conséquences physiques et psychiques qui ne guérissent jamais pour les adultes, souvent avec une amnésie post-traumatique et une cécité psychique, parce que les faits ont été commis au sein de la famille, ou par l’entourage proche le plus souvent, dans l’intimité de vie de la victime. Ces blessures rendent le regard sur soi-même insoutenable, avec, très souvent, un profond sentiment de culpabilité.
Face à ces traumatismes de la vie si profonds, je veux remercier notre rapporteur, qui, au-delà d’arguments juridiques imparables concernant la législation actuelle sur le délai de prescription – il y a eu un vaste débat sur la question, et les arguments avancés sont parfois difficilement audibles pour les non-spécialistes du discours juridique –, a proposé par voie d’amendement d’allonger le délai pendant lequel les victimes peuvent porter plainte, afin que la sanction, la réparation aient lieu et que le prédateur n’agisse plus.
Nous l’avons tous souligné, la réponse juridique apportée est imparfaite. Elle ne clôt pas le débat, qui reste totalement d’actualité. Je sais votre détermination à traiter le sujet des violences faites aux femmes, madame la secrétaire d’État.
Mais, malgré ses imperfections, le dispositif envisagé constitue, me semble-t-il, un progrès. C’est pourquoi le groupe socialiste votera la proposition de loi ainsi amendée.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la politique de développement et de solidarité internationale.
La liste des candidats établie par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a été publiée, conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean-Louis Carrère, Jean-Claude Peyronnet, Gilbert Roger, Michel Billout, Christian Cambon, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam et Nathalie Goulet ;
Suppléants : Mme Leila Aïchi, MM. René Beaumont, Jacques Berthou, Michel Delebarre, Robert Hue, Yves Pozzo di Borgo et André Trillard.
9
Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Thierry Repentin membre du Comité national de l’eau.
10
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national de la montagne.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire est invitée à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par le règlement.
11
Accueil et prise en charge des mineurs isolés étrangers
Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers, présentée par M. Jean Arthuis et plusieurs de ses collègues (proposition n° 154, texte de la commission n° 341, rapport n° 340).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 3, l’article 1er ayant été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution et l’article 2 n’ayant pas été adopté lors de notre séance du 12 février dernier.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, en remplacement de M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite faire un point rapide concernant l’examen de ce texte.
La discussion de cette proposition de loi, déposée par M. Jean Arthuis et plusieurs de ses collègues, a été entamée le 12 février dernier, voilà donc un certain temps, et n’a pu être menée à son terme. Le groupe UDI-UC a donc demandé son inscription à l’ordre du jour d’aujourd'hui.
Les articles 1er et 5 du texte ont été déclarés irrecevables par le président de la commission des finances, après invocation par le Gouvernement de l’article 40 de la Constitution.
Il nous reste donc à examiner les articles 3 et 4, l’article 6, qui est relatif à la création d’un fichier national des jeunes évalués, ainsi que l’article 7, lequel constitue le « gage » de la proposition de loi.
Pour préparer la suite de l’examen de ce texte en séance publique, M. le rapporteur René Vandierendonck, qui ne peut être présent aujourd'hui pour des raisons de santé, avait demandé au ministère de la justice de faire le point sur le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers. Je tiens à votre disposition ce document.
Les premiers éléments d’évaluation du dispositif font apparaître le nombre de mineurs isolés étrangers accueillis sur l’année. Il atteint environ 4 000, ce qui représente 46 % des personnes évaluées par les départements. L’âge moyen est de 16,1 ans.
Toutefois, une question reste pendante, celle des jeunes majeurs isolés.
J’en reviens à l’article 6 du texte, relatif à la création d’un fichier recensant les jeunes évalués dans le cadre du dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers. La CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, a été saisie de cette question. Au mois de février dernier, elle n’avait pas donné son avis. Depuis lors, elle a émis des réserves sur la création de ce fichier.
Tels sont les quelques points que je souhaitais vous remettre en mémoire, mes chers collègues.
Article 3
(Non modifié)
Au début du premier alinéa de l’article L. 226–3 du code de l’action sociale et des familles, sont insérés les mots : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 345–1–1, ».
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 n'est pas adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Au début du premier alinéa de l’article L. 228–3 du code de l’action sociale et des familles, sont insérés les mots : « Sous réserve des dispositions des 11° et 12° de l’article L. 121–7, ».
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 n'est pas adopté.)
Article 5 (déclaré irrecevable)
(Non modifié)
Après l’article L. 345–1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 345–1–1 ainsi rédigé :
« Art. L. 345–1–1. – Au niveau régional ou interrégional, au moins un centre provisoire d’hébergement mentionné à l’article L. 345–1, ou un service ou établissement conventionné ou habilité par la protection judiciaire de la jeunesse, reçoit compétence pour accueillir, héberger et accompagner, sur décision judiciaire de placement provisoire, les mineurs mentionnés au 1° de l’article L. 511–4 et à l’article L. 521–4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
« Dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, ces centres d’accueil ont pour mission de mettre en œuvre des procédures d’investigation, d’évaluation et d’orientation afin :
« – de déterminer l’identité, le statut et la situation des jeunes étrangers ;
« – de rechercher leurs familles et d’étudier les possibilités de retour dans leur pays d’origine ou au sein de leur famille ;
« – de définir, lorsque la situation des intéressés justifie leur maintien sur le territoire national, les conditions de prise en charge adaptées à leur cas.
« Les informations recueillies sont communiquées sans délai à l’autorité judiciaire. »
M. le président. Je rappelle que l’article 5 a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Article 6
(Non modifié)
Après l’article L. 611–7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 611-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 611–7–1. – Afin de mieux assurer la protection des mineurs mentionnés au 1° de l’article L. 511–4 et à l’article L. 521–4, les empreintes digitales ainsi qu’une photographie des jeunes étrangers invoquant le bénéfice de ces dispositions peuvent être relevées, mémorisées et faire l’objet d’un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les informations enregistrées, leur durée de conservation et les conditions de leur mise à jour, les catégories de personnes pouvant y accéder et les modalités d’habilitation de celles-ci ainsi que, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer leur droit d’accès. »
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je souhaite m’exprimer dès à présent, car, dans la mesure où tous les articles vont être rejetés, je ne pourrai expliquer mon vote sur l’ensemble, puisqu’il n’y aura plus de texte !
M. le président. Vous avez bien compris. (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Un peu d’expérience finit tout de même par être utile dans cette maison ! (Nouveaux sourires.)
Cette proposition de loi, issue du travail de terrain mené par Jean Arthuis, présente quand même un certain nombre de difficultés. Permettez-moi d’adresser un clin d’œil à notre ancien collègue, qui a quitté notre maison au profit du Parlement européen. Il me semble en effet qu’il y a une certaine justice à ce que son texte tombe sous la férule de l’article 40 de la Constitution. Une telle sanction me paraît tout à fait légitime, si l’on considère ce qu’il nous a fait subir pendant des années… (Rires.)
Malgré tout, il y a là un vrai sujet, et j’espère que nous pourrons trouver des solutions pour ces mineurs isolés étrangers, qui sont finalement à la charge des départements, lesquels, comme vous le savez, doivent supporter de lourdes charges. Ce texte s’appuie donc sur un vrai constat, qui nécessite de vraies mesures. Le Sénat en a décidé autrement, pour ne pas pénaliser encore les départements et, surtout, les finances de l’État. Toutefois, le problème demeure. J’espère que, à un moment ou à un autre, nous apporterons une réponse à ce problème.
Au demeurant, vous l’aurez compris, monsieur le président, je ne pouvais pas me priver de ce clin d’œil en cette fin d’après-midi et début de week-end
M. le président. Le clin d’œil est apprécié.
La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puisqu’il semble en effet que l’on s’achemine vers un rejet de la totalité des articles et qu’il n’y aura donc probablement pas de vote sur l’ensemble, je souhaite expliquer la position de notre groupe.
Je voudrais tout d’abord rappeler que les départements, malgré leurs difficultés financières, ont déployé des efforts notables pour développer une prise en charge adaptée des mineurs isolés étrangers, lesquels, je le rappelle, ne représentent que 4 % des enfants protégés par des mesures d’assistance éducative.
Pour ce qui concerne plus particulièrement le Val-de-Marne, je m’honore que mon département assume pleinement ce devoir de solidarité, même si, depuis un an, il accueille plus de jeunes que le nombre fixé selon la répartition nationale par le décret publié l’an dernier.
Aussi, trois jours après le résultat alarmant des élections européennes, je souhaite rappeler ici l’irresponsabilité des propos et des raccourcis de ceux qui, plutôt que de combattre les vrais coupables de nos difficultés économiques, préfèrent chercher en permanence des boucs émissaires.
C’est le cas lorsque certains confondent encore « personnes étrangères » et « personnes en situation irrégulière ». Nous le répétons, les mineurs isolés étrangers ne sont pas en situation irrégulière sur le territoire français, contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.
En effet, en totale contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, et nos valeurs républicaines, ce texte vise à opérer, parmi les mineurs en difficultés, une distinction plus que contestable entre les nationaux et les non-nationaux, au nom des difficultés budgétaires des collectivités, qui ne pourraient plus prendre en charge que certains et pas d’autres. Nous ne pouvons bien sûr que dénoncer une telle volonté d’opérer un glissement de la protection de l’enfance vers le contrôle migratoire.
Face aux difficultés budgétaires rencontrées par les conseils généraux, qui sont tout à fait réelles, mon objectif est de savoir non pas comment exclure, mais comment donner aux départements les moyens de prendre en charge l’ensemble des mineurs en difficultés, qu’ils soient ou non étrangers.
Pour ma part, j’invite donc l’État à améliorer son intervention, en respectant notamment les engagements pris par le Président de la République en octobre 2012 en faveur de la compensation intégrale des allocations individuelles de solidarité portées par les départements pour le compte de l’État, je pense au RSA – le revenu de solidarité active –, à la PCH – la prestation de compensation du handicap – et à l’APA – l’allocation personnalisée d’autonomie. Aujourd'hui, en effet, les départements ne bénéficient que de quelques mesures de compensation, qui sont très loin de faire le compte !
Parce que nous refusons toutes les exclusions, parce que nous sommes attachés aux principes républicains d’égalité et de fraternité, nous voterons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, contre cette proposition de loi, qui tend à réduire la problématique des mineurs isolés à une simple question de nationalité, sans résoudre pour autant les difficultés budgétaires auxquelles sont confrontés les départements.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant que pays démocratique attaché aux droits humains, pouvons-nous, quelles que soient les difficultés financières de certains départements, laisser les mineurs étrangers dans la rue, les filles mineures à la merci des proxénètes, et aggraver encore leur vulnérabilité ? Qu’il y ait des filières pour les conduire jusqu’en Europe n’est pas entièrement faux, mais alors que fait-on ?
Qu’on soit mineur ou jeune majeur, partir n’est pas une mince aventure. Quitter sa famille, même pauvre, prendre le risque de traverser des régions dangereuses dans la clandestinité, être l’objet de la cupidité des réseaux, mettre parfois sa vie en jeu, toutes ces dimensions du phénomène sont à prendre en considération avec le plus grand sérieux, avec humanité aussi, sans pour autant verser dans l’angélisme.
Dès l’été 2013, la Mayenne et le Bas-Rhin annonçaient qu’ils n’accueilleraient plus de mineurs isolés étrangers. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui constitue la suite inévitable d’une telle attitude. Allons-nous sacrifier les quelques valeurs d’humanisme qu’il nous reste, au nom du poids financier, lourd à assumer, que représentent ces mineurs isolés ?
Il n’est certes pas exclu qu’il y ait de jeunes fraudeurs, allant jusqu’à tricher sur leur âge. Disons-le pourtant tout net : ce ne sont pas les mineurs des pays développés qui frappent à nos portes, mais ceux de pays en conflit grave et où la situation politique et sociale est proprement intenable. Quand on a seulement de quoi manger, on ne prend pas de tels risques, ni lorsqu’on peut travailler, même à un jeune âge, dans son pays.
J’ajouterai enfin que les mineurs isolés étrangers ne représentent que 4 % du public global accueilli par l’Aide sociale à l’enfance, ce qui n’est donc pas près de faire exploser les services !
L’urgence, aujourd’hui, est de chercher plutôt les moyens d’insérer ces jeunes, de leur donner une éducation idoine, de leur apprendre le français, de leur procurer un métier et de les initier aux démarches à faire à leur majorité pour leur permettre de demander un statut de réfugié.
En cette période où le rejet prend le dessus, nous, parlementaires, appuyons-nous sur notre héritage d’accueil et d’intégration pour que les jeunes générations ne grandissent pas dans la haine.
Mon groupe votera contre ce texte. (M. Jean-Vincent Placé et Mme Annie David applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. La proposition de loi dont nous discutons touche à la protection de l’enfance. C’est d'ailleurs à ce titre que je participe aujourd'hui à l’examen de ce texte.
La protection de l’enfance n’est pas en soi un outil de lutte contre l’immigration clandestine, le Gouvernement s’attachant à lutter contre ce phénomène mais dans un autre cadre et avec d’autres outils.
Il ne faut pas confondre la traque des organisations criminelles, qui repose sur des informations judiciaires complexes et un travail de surveillance et de renseignement des forces de l’ordre, et le fichage systématique de mineurs bénéficiant d’un droit à une protection, qui ne serait d’aucune utilité pour les forces de l’ordre.
L’article 6 de cette proposition de loi recèle de nombreuses difficultés.
Le fichier proposé semble s’inspirer des finalités du traitement « OSCAR », dédié aux bénéficiaires de l’aide au retour. Mais les mineurs isolés étrangers sont protégés par la loi contre l’éloignement.
Je rappelle aussi que l’accueil des mineurs isolés étrangers en situation irrégulière s’inscrit dans l’obligation constitutionnelle de l’État d’assurer leur protection sans considération de leur nationalité ni de leurs conditions d’entrée.
Au surplus, le caractère biométrique de ce fichier ne paraît pas conforme aux critères établis par la loi « informatique et libertés »
La CNIL rappelle qu’elle considère que le traitement de telles données ne peut être admis que dans la mesure où des exigences fortes en matière de sécurité ou d’ordre public le justifient. Les mineurs isolés étrangers ne peuvent faire l’objet de reconduite ni d’expulsion. Par conséquent, les exigences en matière de sécurité ou d’ordre public ne seraient pas identifiées.
En outre, la rédaction de cet article est inappropriée, car il faudrait définir ce qui distingue les mineurs isolés étrangers des autres mineurs étrangers accompagnés par leurs parents. À ce jour, les mineurs isolés étrangers n’existent pas dans la loi comme une catégorie spéciale d’usagers de la protection de l’enfance, et nous ne souhaitons pas créer une telle catégorie.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet article.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 n'est pas adopté.)
Article 7
(Non modifié)
Les conséquences financières pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 n'est pas adopté.)
M. le président. Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 3 juin 2014 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales
(Le texte des questions figure en annexe)
À quatorze heures trente :
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public (n° 505, 2013-2014) ;
Rapport de M. Jean-Jacques Filleul, fait au nom de la commission du développement durable (n° 561, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 562, 2013-2014).
3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires (n° 552, 2013-2014) ;
Rapport de Mme Odette Herviaux, rapporteur pour le Sénat (n° 551, 2013-2014).
Le soir :
4. Suite éventuelle de l’ordre du jour de l’après-midi.
5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence (n° 542, 2013-2014) ;
Rapport de M. François Marc, rapporteur pour le Sénat (n° 541, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures trente.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART