Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation à la prospective, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord, à l’instar des orateurs qui m’ont précédée, de féliciter M. Vaugrenard, sénateur de Loire-Atlantique, pour le travail important, à la fois précis et synthétique, qu’il a réalisé sur la pauvreté en France, avec toute la force de ses convictions et de son engagement politique.
C’est donc grâce à vous, monsieur le rapporteur, et grâce à la délégation à la prospective, que nous débattons cet après-midi, ici, au Sénat, de ce sujet qui touche des millions de Français au quotidien ; je souhaite vraiment vous en remercier.
Oui, je suis pleinement d’accord avec vous, je crois que l’on peut changer les choses par l’action politique, par la volonté et par la ténacité. Nous ne pouvons plus accepter « l’irréversibilité des situations de pauvreté » décrite par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. C’est pour cela que le Gouvernement a mis en place un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, sous l’impulsion de Marie-Arlette Carlotti, qui m’a précédée dans ces fonctions. Il m’appartient désormais de poursuivre la mise en œuvre de ce plan, avec l’ensemble des ministères concernés. Soyez assurés que j’y mettrai toute ma détermination et toute mon énergie.
Comme vous l’avez dit, la pauvreté touche tous les âges, de la naissance à la mort. Elle est, bien sûr, inacceptable à toutes les époques de la vie, mais elle est particulièrement cruelle dans les situations de vulnérabilité.
Il en est ainsi, vous avez été nombreux à le dire, de la pauvreté des enfants, qui est une pauvreté héréditaire, transmise en héritage. À bien des égards, cette pauvreté est certainement l’aspect le plus révoltant des manifestations actuelles de l’exclusion. Elle touche désormais près de 2 665 000 enfants en France métropolitaine, soit un enfant sur cinq.
Tous les enfants ne sont pas confrontés de manière identique à la pauvreté. Certains, en raison des caractéristiques du ménage dans lequel ils vivent, connaissent des niveaux de pauvreté particulièrement élevés. C’est le cas des enfants vivant dans des ménages dont les parents sont sans emploi.
La situation familiale est également un élément majeur dans les situations de pauvreté. Les enfants de familles monoparentales sont plus fortement confrontés à la pauvreté que les autres. En 2010, environ 41 % des enfants vivant dans une famille monoparentale sont pauvres, contre 14,5 % chez ceux qui vivent avec des parents en couple.
En outre, la pauvreté augmente avec la taille de la fratrie. Le taux de pauvreté était en 2010 d’environ 40 % pour les fratries de trois enfants et de 60 % pour les fratries de cinq enfants.
Enfin, le phénomène est particulièrement prégnant dans certaines zones, comme les zones urbaines sensibles, où près de 49 % des moins de dix-huit ans vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Dans de nombreux cas, ces différents phénomènes se cumulent.
C’est pourquoi le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté par le comité interministériel de lutte contre les exclusions du 21 janvier 2013, comprend un certain nombre de mesures ciblées sur l’enfance.
La première des injustices, quand on est un enfant élevé dans une famille pauvre, c’est que l’on a moins souvent accès à une crèche. C’est pourquoi il est prévu, certes d’augmenter le nombre de places en crèche, avec 100 000 nouvelles places, mais aussi de réduire les inégalités sociales d’accès aux crèches. La nouvelle convention d’objectifs et de moyens de la Caisse nationale des allocations familiales prévoit donc que, sur chaque territoire, au moins 10 % des places en crèche seront réservées aux enfants vivant sous le seuil de pauvreté.
La scolarisation dès l’âge de deux à trois ans est également un bon moyen d’assurer l’égalité républicaine et de rétablir l’ascenseur social. C’est pourquoi, à chaque rentrée scolaire, de nouvelles places ouvrent en école maternelle dans les zones d’éducation prioritaire pour l’accueil des enfants, dès l’âge de deux à trois ans.
Enfin, les familles monoparentales et les familles nombreuses étant particulièrement exposées à la pauvreté – vous avez été nombreux à le souligner –, le complément familial pour les familles nombreuses modestes vient d’être revalorisé, au 1er avril, ainsi que l’allocation de soutien parental pour les parents qui élèvent seuls leurs enfants.
Venons-en maintenant aux jeunes adultes : les jeunes, notamment leur accès à l’autonomie et à l’emploi, telle est bien la grande priorité de ce quinquennat.
Monsieur le rapporteur, vous parlez de renforcer les droits des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans ? Je suis complètement en accord avec vous. C’est en effet durant cette période de la vie que les inégalités peuvent se figer, en fonction du capital social et de l’environnement familial.
Oui, vous avez raison, il est capital de renforcer l’accompagnement des jeunes les plus fragiles dans cette période, ceux qui sont « ni en emploi, ni en éducation, ni en formation », et n’ont pas de soutien de famille : il faut les aider à s’installer de façon autonome dans la vie active.
C’est tout le sens de l’expérimentation de la garantie jeune, que nous menons aujourd’hui dans dix départements. Ce programme donne une garantie à une première expérience professionnelle, laquelle est accompagnée de ressources proches du montant du RSA. Le démarrage a été assez lent, car il a fallu construire le dispositif, former les conseillers, mais les premiers résultats sont encourageants. C’est un dossier prioritaire, piloté avec volontarisme par mon collègue François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social.
Les enfants et les jeunes adultes sont, comme leurs familles, confrontés à la difficulté de se loger, avec des compositions familiales qui bougent en fonction des aléas de la vie.
Nous avons mis en œuvre la création et la pérennisation de 7 000 places d’hébergement d’urgence, de 7 630 places en logement accompagné, et de 2 000 places en centres d’accueil pour les demandeurs d’asile.
Un grand nombre d’engagements ont été concrétisés par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », adoptée par le Parlement voilà quelques mois : la mise en place d’un encadrement des loyers en zones tendues, le renforcement de la prévention des expulsions, la lutte contre l’habitat indigne et des dispositions permettant une plus grande transparence dans le processus d’attribution des logements sociaux.
Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je continuerai à travailler avec Sylvia Pinel, ministre du logement, sur toutes ces questions, qui concernent des millions de Français.
En effet, sans logement, ou dans un logement insalubre, il n’est pas possible d’aller à l’école, pas plus qu’il n’est possible d’étudier ou de travailler.
La situation des travailleurs précaires ou modestes est préoccupante : ils sont presque 2 millions à vivre sous le seuil de pauvreté. On ne peut accepter que le travail ne prémunisse pas de la pauvreté.
Ces travailleurs pauvres sont en effet majoritairement des travailleuses, qui subissent des temps partiels aux horaires atypiques et instables. Un premier pas a toutefois été franchi, avec le minimum des vingt-quatre heures hebdomadaires imposé par l’article 8 de la loi relative à la sécurisation de l’emploi adoptée en 2013. Mais que de difficultés pour la mise en œuvre ! Les accords de branche se mettent en place, tout doucement. C’est trop long, j’en ai bien conscience, pour toutes celles et tous ceux qui survivent avec un demi-SMIC mensuel, des horaires impossibles et des enfants à élever.
Je veux aujourd’hui leur dire que leur situation, l’injustice qui leur est faite est au cœur de mon combat politique. L’exonération des cotisations pour les salariés jusqu’à 1,3 SMIC, annoncée le 8 avril, apporte une première réponse. Mais elle doit être complétée par une réforme qui profite aux travailleurs pauvres, aux travailleuses pauvres, à celles et ceux dont les revenus sont inférieurs au SMIC à cause du temps partiel.
Une réflexion est en cours pour trouver une solution qui améliorera le système, à la fois du RSA-activité et de la prime pour l’emploi – je sais, monsieur le sénateur, que vous y êtes attentif –, en complément des réformes fiscales récentes.
Enfin, je me réjouis de la mesure tout récemment annoncée par le Premier ministre permettant d’exonérer de nombreux ménages modestes de l’impôt sur le revenu dès 2014 : cette décision va contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie.
Les familles aux revenus modestes jonglent au quotidien avec des budgets à l’équilibre précaire et dans lesquels les dépenses incompressibles pèsent de plus en plus lourd.
Oui, monsieur Vaugrenard, vous avez raison de dire que, quand on est pauvre, on paie son loyer plus cher au mètre carré, on paie son téléphone portable plus cher parce qu’on utilise des cartes prépayées, on paie son assurance à un tarif plus élevé, on paie plus d’électricité ou de gaz, car le logement est mal isolé.
Il faut donc attaquer la pauvreté sur tous les fronts : des avancées ont été réalisées en ce qui concerne les tarifs sociaux de l’énergie, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, travaille sur ce sujet afin d’améliorer la situation, et des expérimentations sont en cours pour la tarification sociale de l’eau. Mais, à vrai dire, je m’inquiète également pour l’accès à internet et aux nouvelles technologies du numérique pour les familles pauvres, car je ne voudrais pas que ce que l’on appelle la « révolution du numérique » contribue à exclure ceux qui sont déjà largement menacés par l’exclusion.
Envoyer un CV, réactualiser ses droits, consulter les horaires d’ouverture, imprimer un document, ne serait-ce qu’être joignable au téléphone : ces actes sont indispensables aujourd’hui, mais ils sont rendus très complexes lorsque l’on n’est pas équipé, sans accès au numérique ou sans crédit. C’est souvent encore plus compliqué pour celles et ceux qui vivent dans un territoire rural où internet n’arrive pas.
La promesse technologique de simplification, de rapidité et de connexion sociale doit être une réalité à la portée de tous, et je vais m’y atteler avec ma collègue Axelle Lemaire.
Parmi les charges incompressibles, il faut compter aussi les frais bancaires. Une grande avancée du plan a consisté, de manière très concrète, à mettre en œuvre le plafonnement des frais bancaires, au moyen d’un plafonnement spécifique des commissions d’intervention pour les clients les plus fragiles ou les bénéficiaires des services bancaires de base et d’une obligation pour les établissements de crédit de proposer à leur clientèle fragile une offre de moyens de paiements et de services adaptés à leur situation, afin de limiter les incidents et les risques de précarisation, ces dispositions figurant dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013.
Et, pour conseiller et accompagner les ménages dans leur gestion budgétaire et leurs relations avec le secteur bancaire, il est prévu dès cette année d’expérimenter des « points conseils budget », destinés à accueillir tout citoyen qui éprouverait des difficultés de paiement de factures et de relations avec sa banque, afin de le conseiller sur les droits existants, les démarches possibles et les contacts lui permettant de trouver des solutions, comme la mise en place d’un microcrédit personnel.
À propos du gaspillage alimentaire dont parlait François Fortassin, je signale que l’une des mesures du plan de lutte contre la pauvreté prévoit la défiscalisation des dons pour les producteurs ; cette mesure sera mise en œuvre. Par ailleurs, le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, lancé par le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, en juin dernier, prévoit une diminution du gaspillage alimentaire d’ici à 2025.
Autre poste de dépense qui pèse lourd pour les ménages, et qui est souvent sacrifié, la santé : c’est pour cela que le Gouvernement a rehaussé le plafond de l’accès à la CMU complémentaire et à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. De plus, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé a été revalorisée, passant de 500 à 550 euros.
À la fin du mois d’avril, madame Archimbaud, car je sais que cette question, qui nous tient tous à cœur, vous est particulièrement chère, ces différentes mesures ont permis à 690 000 nouvelles personnes de bénéficier soit de la CMU soit de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé.
Bien entendu, madame Archimbaud, j’ai pris connaissance de votre excellent rapport, complémentaire de celui du Défenseur des droits. Certaines mesures que vous proposez pourront être reprises dans le futur projet de loi sur la stratégie nationale de santé, mais je sais que vous êtes déjà en contact avec Marisol Touraine à ce sujet.
Je le répète, la pauvreté touche tous les âges, et elle concerne aussi les personnes âgées. Les 564 400 retraités modestes de plus de soixante-cinq ans qui perçoivent le minimum vieillesse – l’aide sociale aux personnes âgées ou ASPA en langage technocratique – bénéficieront bien des deux revalorisations prévues en 2014, aux mois d’avril et d’octobre, qui porteront l’allocation à plus de 800 euros, ce qui est une bonne chose.
Le Gouvernement a fait le choix de la justice dans son plan d’économies : les minima sociaux sont préservés, je tiens à le redire, et ma collègue Laurence Rossignol, chargée, entre autres, des personnes âgées, est très investie sur ce sujet. De même, pour ce qui concerne le handicap, l’allocation pour les adultes handicapés est revalorisée suivant l’inflation.
La question de la pauvreté ne doit néanmoins pas être envisagée uniquement sous un aspect monétaire. Comment notre société considère-t-elle les plus pauvres ? Les mots se bousculent, tous plus violents, tous plus méprisants les uns que les autres : assisté, marginal, asocial, profiteur, fraudeur…
Notre rôle est donc aussi de faire évoluer les mentalités, car la discrimination sociale est aussi grave que toutes les autres formes de discrimination. Pour cela, la première mesure à prendre consiste à « faire ensemble » : construire, évaluer, avec l’aide des personnes elles-mêmes, elles qui sont expertes de la pauvreté, pour la vivre au quotidien.
Tel est le sens du huitième collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale : il permet aux premiers intéressés d’être pleinement acteurs. Je rencontre demain les huit personnes qui suivront les travaux du Conseil. Elles ont beaucoup à nous apprendre, par exemple pour faciliter l’accès aux droits, sujet que je juge prioritaire et que vous avez longuement évoqué, monsieur le sénateur.
Vous plaidez pour la simplification de nos procédures de façon générale et vous avez entièrement raison. Pour tout vous dire, je suis effarée par le degré de complexité qu’a atteint notre système de solidarité. Pour bénéficier de la moindre aide financière, la procédure est incroyable : il faut remplir des dossiers de trente-deux pages, fournir une multitude de pièces – jamais les mêmes ! – et lire des courriers difficilement compréhensibles. C’est un véritable parcours du combattant !
J’ai peine à croire que l’avancée des technologies informatiques ne permette pas de faciliter ces démarches. À cet égard, je suis particulièrement attentive à un projet expérimenté dans deux départements d’un dossier de demande simplifiée ouvrant des droits à plusieurs prestations.
Surtout, à mon sens, le dossier est le problème de l’administration, et non celui de la personne. Soyons clairs : la simplification du dossier n’est pas l’objectif, c’est un moyen de faciliter la vie de personnes ayant déjà beaucoup d’autres tracas par ailleurs.
Vous préconisez un contrôle a posteriori. L’idée est, bien sûr, séduisante. Néanmoins, comme vous, j’en suis sûre, j’ai rencontré lors de mes permanences des personnes à qui l’on réclamait des indus d’allocations : c’est catastrophique pour celles qui sont à quelques euros près pour finir le mois. Des avancées sont possibles dans ce domaine, par exemple, la fixation des droits pour trois mois. Nous y travaillons.
Enfin, la loi de 2002 nous a permis d’avancer de façon substantielle sur la participation collective des personnes, notamment avec l’instauration des conseils de la vie sociale dans les établissements sociaux et de divers comités consultatifs.
Je veillerai à ce que tout soit fait pour que le citoyen puisse agir et participer en conscience aux décisions qui l’intéressent et pour qu’il ait réellement accès aux informations le concernant. Plus que jamais, l’autonomie de la personne doit être au cœur du travail social.
Comme vous, je pense qu’il est important de réfléchir à la notion de référent unique de parcours et de réinterroger les savoirs et les compétences nécessaires au travail social d’aujourd’hui, mais aussi la place du bénévolat, l’importance de la prévention, la participation des citoyens.
J’évoquerai un autre engagement majeur du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : les états généraux du travail social. Il s’agit de faire un état des lieux du travail social en France et d’établir des priorités, avec l’ensemble des parties prenantes, afin que l’intervention sociale réponde au mieux aux besoins des citoyens. Je piloterai ces états généraux, avec les départements, avec les régions, ces collectivités étant impliquées au quotidien auprès de la population au titre de la solidarité et de la formation professionnelle.
Pour conclure, le combat contre la pauvreté ne peut être uniquement l’apanage de l’État, car c’est dans les territoires et au plus près des personnes que l’on peut agir le plus efficacement. Services de l’État, collectivités territoriales – le Sénat, je le sais, y est particulièrement attentif –, établissements publics, organismes de sécurité sociale, associations : tous ont un rôle à jouer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne l’oublions jamais, au-delà des politiques publiques, au-delà des dossiers, au-delà du langage administratif, le politique n’a d’autre raison d’être que de s’occuper des gens, s’occuper de tous, sans exception et sans exclusion. C’est mon engagement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. –M. Michel Savin applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat : « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? ».
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires d’Indonésie
Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de parlementaires de la Chambre des représentants de la République d’Indonésie, présidée par Mme Ayu Kus Indriyah, vice-présidente de la commission des finances. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, se lèvent.)
Après une rencontre avec des collègues du groupe interparlementaire d’amitié « France-Indonésie et Timor Est », présidé par notre collègue Catherine Procaccia, cette délégation a consacré son après-midi à des entretiens à la commission des finances. Elle y a notamment rencontré le rapporteur général, François Marc, afin d’évoquer des questions relatives aux finances locales et au budget de l’État.
Cette visite atteste l’excellence des relations interparlementaires entre nos deux pays.
Au nom du Sénat tout entier, je forme le vœu qu’elle renforce encore nos liens et souhaite la plus cordiale bienvenue à nos collègues indonésiens. (Applaudissements.)
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Débat sur les perspectives de la construction européenne
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires européennes, le débat sur les perspectives de la construction européenne.
La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat. Je veux remercier le président du Sénat et la conférence des présidents de l’avoir inscrit à notre ordre du jour. Je remercie également M. le secrétaire d’État de sa disponibilité pour cet échange, qui arrive à un moment particulièrement important.
Nous sommes en effet à quelques jours d’un scrutin qui va donner une nouvelle composition au Parlement européen. Depuis le traité de Lisbonne, celui-ci joue un rôle essentiel de codécideur dans de très nombreux domaines. Le choix des citoyens européens sera donc déterminant pour l’orientation des politiques dans les cinq prochaines années. Pour la première fois, les citoyens pèseront directement sur le choix du président de la Commission européenne.
Cependant – pourquoi ne pas le dire ? –, ce scrutin intervient dans un climat morose pour le projet européen. L’Europe apparaît trop souvent comme le bouc émissaire : elle serait responsable de tous les problèmes. Les dysfonctionnements sont amplement soulignés et commentés. En revanche, les réalisations sont trop souvent passées sous silence.
Pourtant, quelque quatorze millions d’Européens ont profité de la libre circulation pour s’installer dans un autre État membre. Le programme Erasmus a bénéficié à plus de trois millions d’étudiants depuis sa création. La politique agricole commune, la PAC, ce sont chaque année quelque 10 milliards d’euros pour notre agriculture. La politique de cohésion, ce seront 14 milliards d’euros au profit de nos territoires.
Sans doute certains voudraient-ils que l’on ignore désormais cette réalité, mais la construction européenne a permis à notre continent de vivre en paix de façon durable. C’est vraiment un acquis essentiel. Nous devons le redire, en particulier aux jeunes générations. Par ailleurs, comment imaginer répondre au défi de la mondialisation sans conforter l’Union européenne ?
Malheureusement, le sens du projet européen s’est effiloché au fil du temps. Les pères fondateurs de l’Europe étaient animés par une vision qui fait défaut aujourd’hui. Nos concitoyens ressentent ce manque. C’est pourquoi ils commencent à douter. Ce doute ne peut que faire le lit de tous les populismes. Il est de notre devoir de le combattre en redonnant à ce grand projet toute sa dimension. Nous le devons aux jeunes, qui doivent vivre l’Europe comme une chance et non comme une menace.
Nous avons donc jugé nécessaire, au sein de la commission des affaires européennes, de mener une réflexion approfondie sur les perspectives de la construction européenne. Notre collègue Pierre Bernard-Reymond, que je salue tout particulièrement, a bien voulu se charger de conduire cette réflexion. Il l’a fait avec la foi d’un Européen convaincu et expérimenté, mais pas dupe des « ratés » de la construction européenne. Dans un rapport très complet et argumenté, notre collègue dresse des constats lucides. Il formule des propositions pertinentes, même si certaines demanderont du temps avant de se traduire dans la réalité.
Ce rapport a suscité un débat approfondi dans notre commission, et a recueilli l’approbation unanime de nos collègues.
Quelle Europe voulons-nous ? C’est bien la première question à laquelle nous devons répondre.
Nous pouvons au préalable dire de quelle Europe nous ne voulons pas.
Nous ne pouvons pas accepter que les peuples subissent les conséquences des errements de la finance. Dans trop d’États membres, les populations doivent supporter des politiques d’austérité qui visent à réparer les manquements graves de quelques-uns.
Nous ne pouvons laisser se développer le chômage et la précarité sans réagir. Quel peut être l’avenir d’un continent dans lequel le chômage continuerait à toucher plus de 25 % des jeunes, comme c’est le cas dans beaucoup d’États membres ?
Oui, le rétablissement des comptes publics est indispensable. Oui, il faut réduire l’endettement abyssal qui obère les perspectives. Cependant, l’assainissement budgétaire doit impérativement se conjuguer avec des politiques ambitieuses au service de la croissance. Les peuples peuvent accepter des efforts, mais il faut leur donner des motifs d’espérer.
Il est possible de promouvoir une politique alternative à l’austérité. Nous voulons une Europe plus sociale, qui investisse davantage, lutte contre le chômage et pour l’harmonisation fiscale. C’est là que sont les attentes des citoyens européens touchés par la crise. Nous devons bâtir une Europe qui protège mieux les droits sociaux et les libertés fondamentales.
Gardons-nous aussi de diviser les Européens. Il n’y a pas, d’un côté, une Europe du Nord qui serait parée de toutes les vertus et, de l’autre, une Europe du Sud qui serait affligée de toutes les turpitudes.
La France porte ce message en Europe depuis 2012. Sous son impulsion, l’action pour la croissance est redevenue une priorité. L’emploi des jeunes a été inscrit à l’agenda européen : 8 milliards d’euros ont été débloqués par le Conseil européen pour apporter des réponses à ce défi majeur.
La France a aussi joué un rôle moteur pour qu’un texte soit adopté afin de lutter plus efficacement contre le véritable dumping social pratiqué à travers le détachement des travailleurs. En avril 2013, notre commission avait donné l’alerte sur ces pratiques, par le biais d’un rapport très argumenté de notre collègue Éric Bocquet. Le Sénat avait adopté une résolution demandant qu’il y soit mis un terme. Nous avons aussi voté récemment une proposition de loi visant à combattre plus efficacement les fraudes.
Nous n’aurons pas un espace commun sans harmonisation non seulement fiscale mais aussi sociale. La création d’un SMIC en Allemagne annoncée dans le cadre de l’accord de grande coalition va dans le bon sens. Il faut aller plus loin et s’engager sur la voie d’une véritable harmonisation en Europe.
L’Europe doit aussi retrouver le sens des grands projets, car eux seuls peuvent dessiner l’avenir de façon positive. Elle a su le faire dans le passé. Chacun garde à l’esprit le succès d’Airbus ou encore le processus de Bologne pour l’enseignement supérieur. C’est à l’échelle européenne que de grands projets peuvent avoir un effet de levier sur la croissance économique. C’est ensemble que nous pourrons réunir les moyens d’entrer de plain-pied dans l’économie numérique. Notre collègue Catherine Morin-Desailly l’avait parfaitement montré dans son rapport d’information : l’Europe ne doit pas devenir la « colonie » numérique.
La protection des données personnelles est une garantie essentielle que nous devons aux citoyens. Le scandale récent de l’espionnage américain à grande échelle agit comme une piqûre de rappel. L’Europe doit conforter son propre modèle de protection des données et le défendre au plan international. J’avais souligné cette exigence ici même, en ma qualité de rapporteur, lorsque nous avions examiné, il y a maintenant deux ans, la proposition de réforme de Viviane Reding. Les révélations inquiétantes de ces derniers mois ne peuvent, hélas, que conforter cette analyse.
De même, la crise ukrainienne est là pour nous rappeler que l’Union européenne aurait tout intérêt à intégrer davantage ses politiques énergétiques. Dans ce domaine plus encore que dans d’autres, avancer en ordre dispersé, c’est affaiblir la position de l’Union européenne mais aussi celle de chaque État membre face à nos partenaires des États tiers.
Pouvons-nous réaliser ces ambitions dans une Europe à vingt-huit où les intérêts sont souvent divergents et où le sens du projet européen n’est pas toujours défini de façon identique ? Le rapport de Pierre Bernard-Reymond a l’immense mérite de poser clairement la question. Il s’agit non pas d’exclure certains, mais de savoir qui veut réellement avancer dans le sens d’une véritable ambition européenne, d’une ambition qui laisse de côté les égoïsmes nationaux et affirme clairement les valeurs d’intégration et de solidarité.
Dans le passé, les coopérations renforcées ont surmonté les blocages, souvent en dehors des traités, comme pour Schengen ou l’interconnexion des casiers judiciaires, plus récemment dans le cadre des traités, avec le règlement des divorces transfrontaliers ou le brevet de l’Union. N’ayons pas peur de laisser les États qui le veulent agir pour approfondir le projet européen : les autres pourront les suivre ultérieurement.
Il faut rechercher davantage d’intégration au sein de la zone euro. Nous avons beaucoup réformé la gouvernance au cours des dernières années. L’union bancaire prend enfin forme. La coordination des politiques économiques et budgétaires a beaucoup progressé, même s’il est légitime de débattre de la forme et du rythme de cette coordination.
Pour construire une « Europe puissance », nous devons rénover les institutions européennes. Il faut les rendre plus crédibles et plus visibles. Il faut aussi un budget à la hauteur des ambitions. On ne peut plus continuer avec un budget européen aussi faible : il ne dépasse pas 143 milliards d’euros en 2014. Cependant, pour l’augmenter, il faut retrouver la lettre et l’esprit des traités en définissant de nouvelles ressources propres. Sous l’impulsion du Parlement européen, un groupe de travail interinstitutionnel a été créé. Il est présidé par Mario Monti. Nous étudierons ses propositions avec attention.
L’Union européenne devra aussi affirmer une ambition en matière de politique étrangère et de défense. Dans un monde incertain, comme nous le rappelle le conflit ukrainien, les Européens doivent unir leurs voix et leurs forces pour peser dans les affaires du monde.
Nous voulons aussi une Europe plus démocratique, dans laquelle les citoyens puissent exprimer clairement leur choix, avec un réel pouvoir de contrôle. La composition du Parlement européen doit évoluer. Il faut corriger les inégalités de représentation, qui nuisent à la légitimité démocratique.
Nous, parlements nationaux, avons aussi un rôle essentiel pour rapprocher les citoyens de l’Europe. Le traité de Lisbonne - c’est un progrès essentiel - nous confie un rôle important dans le contrôle de subsidiarité, et le Sénat, je dois le dire, l’exerce avec un grand sérieux. À deux reprises, les parlements nationaux ont adressé un « carton jaune » à la Commission européenne.
Ainsi la Commission a-t-elle retiré un texte qui pouvait mettre en cause le droit de grève. Il s’agissait du règlement dit « Monti II », qui concernait le droit de grève des travailleurs détachés ; c’est sur l’initiative de notre commission des affaires européennes que plus d’un tiers des parlements de l’Union ont manifesté leur opposition avec nous. La Commission européenne s’est ainsi trouvée contrainte de réexaminer son texte ; elle l’a si bien réexaminé qu’elle l’a retiré !
Elle a en revanche maintenu son texte sur le parquet européen, mais elle a indiqué que les avis des parlements nationaux seraient pris en compte dans la discussion du texte.
Le contrôle de subsidiarité permet aux parlements nationaux de s’opposer à une action qu’ils ne jugent pas justifiée. Nous devons aller plus loin, beaucoup plus loin. Un droit d’initiative nous permettrait de proposer, de façon positive, des actions à mener au niveau de l’Union européenne.
Les parlements nationaux sont progressivement associés aux procédures de contrôle pour un nombre croissant de politiques. En matière économique et financière, une conférence a été mise en place par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Un comité mixte assure le contrôle des politiques étrangères et de défense. Cette association sera prochainement établie pour le contrôle d’Europol et l’évaluation d’Eurojust. Les parlements nationaux doivent se saisir de ces opportunités pour mieux contrôler ce qui se passe à Bruxelles.
Pour conclure, madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux à nouveau me féliciter que le Sénat ait ce débat aujourd’hui. L’Europe est un grand projet. Ce projet a permis des avancées considérables. Des dysfonctionnements existent, certes. Il faut les identifier lucidement et jeter enfin les bases d’une nouvelle ambition. C’est ainsi que nous dessinerons l’Europe que nous voulons, une Europe proche de nos concitoyens et qui réponde à leurs attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, de l’UDI-UC et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, vivons-nous une simple crise financière, économique, sociale, morale, née aux États-Unis et qui a déferlé sur le monde, en particulier sur l’Europe qui, n’ayant pas achevé sa construction, n’a pas eu immédiatement à sa disposition tous les instruments nécessaires pour y répondre ?
Ne sommes-nous pas plutôt à l’aube d’une grande mutation, caractérisée par l’explosion démographique, l’évolution climatique et l’émergence de nouvelles puissances sur fond de mondialisation, qui va, pendant plusieurs décennies, rebattre les cartes avant de retrouver une nouvelle stabilité et un nouvel ordre du monde, sans qu’aucune nation ne puisse dire aujourd’hui quelle place elle y occupera ?
Ou bien encore, troisième hypothèse, ce petit cap de l’Asie, l’Europe, qui, depuis plus de 2 000 ans, a forgé une civilisation en apportant au monde les valeurs de liberté, de progrès et de solidarité, cette Europe-là a-t-elle amorcé son déclin ? Autrement dit, le Bas-Empire européen a-t-il commencé ?
Ces interrogations, cette peur n’expliquent-elles pas confusément, en partie, la radicalisation du débat dont nous sommes les témoins à l’occasion de ces élections européennes ? N’expliquent-elles pas l’hostilité, le désamour ou l’indifférence que nous constatons à l’égard de l’Europe ?
Entre ceux qui, face à ce défi, veulent de nouveau se réfugier sur la seule nation et ceux qui sont partisans de la fuite en avant vers un super-État, ou encore ceux dont l’horizon se résume à une échéance électorale et qui s’efforcent, chacun en ce qui les concerne, de concilier des contraires, nous percevons bien le trouble profond que créent ces différents avenirs possibles.
Au cours des siècles, notre continent s’est organisé d’abord sous la forme de l’impérialisme, c’est-à-dire de la domination des peuples par l’un d’entre eux, puis, en réaction, a été inventée la nation, que l’on a parée de toutes les vertus, jusqu’à ce que l’on constate que le nationalisme avait aussi donné deux guerres mondiales, et le centième anniversaire de la première nous en rappelle les atrocités.
De ces horreurs répétées est née l’intuition historique des pères fondateurs de l’Europe qui, en proposant de transcender les nations sans les effacer, ont fait émerger l’idée d’une lente maturation vers une « Communauté de nations » fondée sur la libre adhésion, la démocratie, la solidarité, le progrès et la recherche constante de la paix.
Cette paix fut le premier défi, et il a été gagné : la paix règne au sein de l’Union européenne depuis presque soixante-dix ans !
Le deuxième défi a, lui aussi, été relevé : il s’agit de la réunification du continent, puisque les pays ayant décidé d’abandonner la dictature comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, puis ceux qui ont été libérés par l’implosion de l’URSS, sont venus nous rejoindre. Auparavant, ceux qui doutaient de la pertinence et de la clairvoyance de cette démarche de dépassement, tels que les pays nordiques et le Royaume-Uni, en étaient venus à penser qu’en définitive il valait mieux être dedans que dehors…
Le troisième grand défi qui se présente maintenant à nous est celui de la mondialisation ou, plus précisément, celui de la façon dont nous allons aborder et gérer les profondes transformations et convulsions auxquelles nous devons nous attendre.
La tâche ne sera pas facile, mais la question est simple : vaut-il mieux aborder ce défi seuls ou à plusieurs ? Le contexte qui nous attend appelle la réponse.
En 1950, c’était hier, la population mondiale comptait deux milliards et demi d’habitants ; en 2050, elle dépassera neuf milliards. Il s’agit de la plus grande révolution de tous les temps, qui se développe presque dans l’indifférence. D’ici là, tous les continents verront leur population augmenter, sauf l’Europe, qui passera de 530 millions d’habitants en 2030 à 515 millions en 2050. À ce moment-là, aucun pays de l’Union européenne ne représentera 1 % de la population mondiale et, dès 2030, aucun pays de l’Union ne figurera plus dans les huit premières puissances du monde.
Devant de tels chiffres, on pense au proverbe touareg : « Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ».
Voulons-nous être encore demain des acteurs de l’organisation de la planète et y défendre nos valeurs, nos intérêts, notre niveau et notre qualité de vie, ou bien, usés, fatigués, désabusés, divisés, allons-nous nous contenter d’en être les spectateurs repliés sur chacune de nos nations livrées à la puissance d’États-continents ?
J’espère que nous sommes nombreux en France et en Europe à vouloir relever ce troisième grand défi, après celui de la paix et de la réunification : notre participation à l’élaboration du destin de la planète et la défense de nos valeurs et de nos intérêts !
Les résultats des élections du 25 mai prochain nous montreront certainement que, si ce défi n’est pas gagné, il n’est pas perdu non plus.
Le désamour actuel à l’égard de l’Europe est réel, et en grande partie explicable : on peut lui trouver de nombreuses causes qui dictent autant de remèdes et d’inflexions. La crise financière née aux États-Unis de l’ultralibéralisme, d’un capitalisme non régulé, a provoqué beaucoup de chômage et beaucoup de souffrances, sans que l’Europe soit apparue comme protectrice face à cette vague.
Pendant longtemps, la plupart des chefs d’État et des hommes politiques n’ont pas osé dire à leurs peuples que les trente glorieuses étaient terminées et que l’on ne pourrait plus vivre tout à fait comme avant. Ils ont camouflé cette réalité en endettant leurs pays, ce qui rend beaucoup plus difficile, voire impossible au niveau de chaque État, une relance qui serait pourtant nécessaire.
Les bulles, financière en Irlande et immobilière en Espagne, ont prospéré jusqu’à leur éclatement et jusqu’à ce que l’Europe se dote, bien tard, de règles de régulation et d’une surveillance bancaire qui n’existait pas jusqu’ici. Quant aux règles budgétaires, elles ont été transgressées peu de temps après avoir été élaborées.
La facilité a consisté également, dans chaque État, à s’attribuer ce qui fonctionnait bien et à rejeter sur l’Europe, bouc émissaire commode, tout ce qui n’allait pas. L’évolution des pratiques de gouvernance n’est certainement pas allée non plus dans le sens d’une meilleure qualité.
Les horizons politiques se sont considérablement raccourcis – la prochaine élection plutôt que la prochaine génération ! –, et les pratiques politiques forment aujourd’hui un carré tragique fait essentiellement de sondages, de marketing, de tactique électorale et de communication, au détriment de la réflexion à long terme, des valeurs et du courage.
Les chefs d’État, qui prennent tous goût, et c’est légitime, à l’exercice du pouvoir, ont bien du mal à déléguer une partie de leur souveraineté. La politique de chacun d’eux devrait pourtant reposer sur deux piliers : le développement économique et la construction de l’Europe. Ce n’est malheureusement pas l’impression que nous avons en ce qui concerne le second pilier, et ce dans tous les pays de l’Union.
Les hommes politiques qui vantaient l’Europe il y a encore quelques années n’osent plus en parler, devant la montée du nationalisme, du populisme et du séparatisme, avec lesquels certains sont tentés de composer.
Les médias dans leur ensemble jugent que la question de l’Europe ne fait pas recette sur les antennes et, entre deux élections, ne s’y intéressent qu’au travers des dérapages de la Commission. À cet égard, je remercie Public Sénat d’avoir retransmis le débat entre les principaux candidats à la présidence de la Commission et j’appelle de mes vœux une telle émission tous les semestres.
Par ailleurs, la gestion de la Commission est apparue, souvent à juste titre, comme trop lointaine, trop tatillonne, trop technocratique et souvent maladroite, s’abandonnant à une inflation normative devenue parfois ridicule, parfois insupportable, alors que, par ailleurs, un travail important a été accompli, comme le prouve, par exemple, le bilan de l’action de Michel Barnier.
La politique commerciale a souvent donné l’impression d’une certaine naïveté à l’égard de nos concurrents. De même, l’absence d’une politique de change, qui contribue à un euro fort, lequel ne présente certes pas que des inconvénients, est surtout ressentie comme un obstacle à nos exportations.
La politique de concurrence dans l’Union apparaît aussi parfois comme une entrave à la constitution de grands groupes en mesure d’exister face aux géants de la concurrence internationale.
Surtout, la démocratie en Europe est largement inachevée. Le Président du Conseil européen est nommé et non élu, alors que l’Europe aurait besoin, comme toutes les grandes puissances, d’une voix, d’un visage et d’un patron. Le président de la Commission sera quant à lui désigné par le Conseil, certes en tenant compte du résultat des élections européennes, du moins l’espère-t-on, puis avalisé par le Parlement. Quant au mode d’élection des parlementaires, il conduit à ce que les électeurs ne les voient au mieux qu’une fois tous les cinq ans.
Le couple franco-allemand, qui a été le moteur de l’Europe, est aujourd’hui profondément déséquilibré, pour ce qui est tant des performances économiques que de la politique énergétique ou des perspectives démographiques.
La faiblesse du budget européen est également un grave handicap : 1 % du PNB européen, à comparer aux 25 % pour le budget fédéral des États-Unis. Certes, il ne s’agit pas de faire l’Europe sur le modèle américain, mais un budget représentant 1 % du PNB pose incontestablement un problème de crédibilité.
Cela est d’autant plus regrettable que, si une politique de désendettement est absolument nécessaire au niveau de chacun de nos États, elle ne l’est pas au niveau de l’Europe, puisque celle-ci, qui n’a pas le droit d’emprunter, n’est donc, par définition, pas endettée. C’est donc à cet échelon que l’on aurait dû faire la relance, mais les États ne l’ont pas voulu.
Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait !