M. Charles Revet. Il faudra être vigilant, en effet !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Certes, mais si nous le sommes tous, le résultat sera d’autant mieux assuré. Du reste, sur des sujets comme celui-ci, nous devons pouvoir nous rassembler.
Monsieur le ministre, notre vote d’aujourd’hui ne sera pas un quitus ad vitam aeternam, vous l’avez compris. Dans la loi de programmation militaire, nous avons prévu une revue annuelle de l’ensemble de nos engagements extérieurs, avec un débat en séance. Cela doit nous permettre de rester lucides et de lutter, si nécessaire, contre la tentation de la sédimentation.
C’est dans cette perspective dynamique que je vous invite aujourd’hui, mes chers collègues, à voter cette autorisation, sachant que nous serons périodiquement en mesure d’en évaluer tous les effets. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en premier lieu, vous remercier toutes et tous, d’abord d’un vote qui sera, si j’ai bien compris, très massivement favorable à la prolongation de l’opération Sangaris, mais aussi de l’élévation de pensée qui s’est manifestée à cette tribune.
Nous savons que, dans les circonstances que traverse notre pays, faites de difficultés économiques, de tensions sociales, il peut être facile de faire écho à un discours que l’on entend ici ou là : « Que va faire la France en Afrique ? Ça coûte de l’argent ! Ça expose nos troupes ! Il vaudrait mieux… » Oui, mais… Vous avez su montrer, chacun avec sa sensibilité et ses mots, que la France doit, bien sûr, examiner les décisions avec attention, mais aussi avec hauteur, en sachant qu’existent une histoire, une géographie qui font que l’Afrique est proche de nous, qu’une responsabilité nous lie à un continent et à un pays qui sont un continent et un pays d’avenir.
Je n’ai évidemment pas connaissance de la tonalité et de la teneur des débats qui se déroulent en ce moment même à l’Assemblée nationale, mais je peux dire que le débat qui a eu lieu ici fait honneur autant à la Haute Assemblée qu’à la politique.
Je reprendrai simplement quelques points de chacune des interventions.
Mme Ango Ela, au nom du groupe écologiste, a insisté, à juste titre, sur le fait que cette prolongation était « une solution nécessaire et transitoire ». Cette prolongation n’en est pas moins nécessaire. Du reste, la chef d’État de la transition, une femme tout à fait remarquable, Mme Catherine Samba-Panza, vous a appelés à prendre la décision que vous vous apprêtez à prendre. Et le secrétaire général des Nations Unies, qui représente la plus haute instance de la communauté internationale, a fait de même.
Madame Ango Ela, j’ai également apprécié que vous ayez bien marqué la différence – d’autres orateurs l’ont également fait – entre l’opération qu’il faut mener à bien aujourd'hui et la perspective qui doit se dessiner pour l’avenir : il est indispensable que les Africains se dotent eux-mêmes de la capacité d’assurer leur propre sécurité.
La décision qui est prise aujourd'hui n’est donc pas du tout un blanc-seing. Il s’agit d’une décision nécessaire, transitoire et placée dans une certaine perspective, celle qui doit voir les Africains prendre leurs responsabilités.
M. Legendre, au nom de l’UMP, a parfaitement résumé la complexité de la situation, tant il est vrai qu’on ne peut décrire les choses à coup de serpe. Il a rendu avec raison un hommage particulier non seulement à nos soldats – chacun l’a fait, et c’est bien légitime –, mais aussi aux autorités religieuses. Je suis allé plusieurs fois en Centrafrique et je me suis entretenu avec ces autorités religieuses, qui incarnent parfaitement, par leur comportement, la conduite qu’il convient de tenir.
En effet, non seulement ces chefs religieux refusent l’entraînement des passions et agissent ensemble, mais, comme vous le savez sans doute, ils vivent sous le même toit : le chef des musulmans vit dans la maison du chef des chrétiens. Je pense qu’il s’agit d’un symbole extrêmement fort face à des affrontements religieux qui, il faut le savoir, gagnent petit à petit, malheureusement, bien des pays de la région. Lorsqu’il m’est donné de discuter avec des personnalités aussi différentes que le chef de l’État du Cameroun ou celui de l’Angola, j’entends que ces divisions, qui n’existaient pas il y a quelques années, deviennent menaçantes.
M. Legendre a donc eu tout à fait raison, selon moi, de souligner l’importance du rôle joué par les autorités religieuses centrafricaines.
Il a en outre posé la question : « Avons-nous agi assez vite ? ». Mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse est claire comme de l’eau de roche.
Dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’est tenue comme chaque année au cours de la dernière semaine de septembre, le Président de la République a été le premier à la saisir de la question de la Centrafrique. Il a alors surpris et frappé les esprits, comme il avait, l’année précédente, surpris et frappé les esprits en saisissant l’Assemblée générale des Nations unies de la question du Mali.
À partir de ce moment, nous avons déployé beaucoup d’efforts – c’est la tâche de la diplomatie – pour que l’ONU nous autorise à intervenir, car il n’était pas question d’intervenir sans autorisation.
Alors, avons-nous agi assez vite ? Je vous rappelle que nous sommes intervenus le lendemain du jour où les Nations unies nous ont donné l’autorisation de le faire. On peut bien sûr regretter qu’entre le mois de septembre, où le Président de la République a saisi les Nations unies, et le jour de décembre où les Nations unies se sont prononcées, trois mois et demi se soient écoulés. Mais vous savez ce que sont les procédures ! Et je puis vous assurer que nous n’avons pas ménagé nos efforts, ayant de multiples entretiens, passant d’innombrables coups de téléphones ; je le répète, c’est la tâche du chef de la diplomatie et de ses représentants.
En tout cas, à partir du moment où l’autorisation a été accordée, il ne s’est pas écoulé vingt-quatre heures avant que nos soldats soient sur le terrain.
Dès lors que l’on connaît ces données, il est impossible, me semble-t-il, de prétendre que les choses auraient pu, du point de vue de la France, être faites plus rapidement. Ou alors, il eût fallu ne pas attendre l’autorisation des Nations unies ! Or, de cela, il ne pouvait être question.
M. Legendre a également eu raison d’insister, comme d’autres l’ont fait, sur la nécessité d’éviter la partition.
Il a aussi posé une question sur l’Agence française de développement. Les instructions ont été données pour que celle-ci retourne sur le terrain. En liaison avec M. Canfin, qui suit particulièrement ces sujets, des programmes sont prévus à cet effet. J’ai moi-même, quelques minutes avant de vous rejoindre, rencontré Mme Paugam, la directrice de l’Agence française de développement, pour lui confirmer ces instructions.
La question du commerce a également été posée. Il est vrai que les musulmans tiennent une grande place dans cette activité, qui est profondément désorganisée. À cet égard, il est évidemment essentiel de rétablir la liaison entre Bangui et le Cameroun. Actuellement, il y a trois séries de convois chaque semaine. Les renforts, notamment les renforts européens, qui vont arriver permettront bientôt à Sangaris de dégager cette route.
J’en viens à la question de la mobilisation des collectivités locales.
Sans doute les collectivités locales françaises n’ont-elles pas les mêmes liens avec la Centrafrique qu’avec le Mali. Cependant, je vous rappelle que le ministère des affaires étrangères a créé un fonds spécial, le Fonds d’action extérieure des collectivités territoriales, ou FACECO, pour apporter une aide d’urgence en cas de catastrophe ou d’opération à l’étranger. Dites aux maires qui vous entourent qu’ils peuvent alimenter ce fonds. Il est bien entendu rendu compte de l’utilisation des sommes versées. Si telle ou telle collectivité souhaite soutenir l’opération en République centrafricaine, elle peut le faire par le biais de ce fonds, qui est évidemment soumis à des contrôles.
M. Bockel, qui intervenait au nom de l’UDI-UC, a également bien retracé la situation. Il a dit qu’il voterait l’autorisation de la prolongation de l’intervention, mais qu’il se posait des questions, à l’instar, du reste, de beaucoup d’entre vous.
Il a en particulier demandé si le lancement d’une opération de maintien de la paix entraînerait un retrait total ou un retrait partiel des soldats français déployés en Centrafrique. Retrait total, certainement pas, car, je vous le rappelle, nous avions déjà, avant le lancement de l’opération Sangaris, selon les moments, 250 à 450 soldats stationnés en Centrafrique.
Dans notre esprit, il doit se produire la même évolution qu’au Mali, où nos effectifs ont augmenté – ils ont même atteint un niveau bien plus élevé qu’en Centrafrique –, avant de diminuer. L’intention du Gouvernement – je me suis récemment entretenu avec le Président de la République à ce sujet – est de maintenir nos effectifs au niveau que nous avons fixé aujourd'hui, avant de les réduire progressivement, lorsque l’opération de maintien de la paix sera mise sur pied.
Il n’est pas question de renoncer à toute présence en Centrafrique : non seulement, je le répète, nous avions déjà des troupes stationnées en Centrafrique, mais ce serait contre-productif du point de vue de notre demande de création d’une opération de maintien de la paix.
Je remercie Michelle Demessine de son « verdict » final, plutôt positif, même si j’en ai bien perçu toutes les nuances, puisque le groupe CRC laisse la liberté de vote à ses membres. Elle a posé la question tout à fait judicieuse de la nécessité d’une transformation rapide de Sangaris en opération de maintien de la paix. C’est ce à quoi nous travaillons. Ce n’est pas si facile, mais c’est indispensable : d'une part, nous avons besoin, sur un plan matériel, que l’ONU prenne en charge une partie des opérations ; d'autre part, comme vous l’avez souligné, madame Demessine, la situation exige une opération à la fois militaire, civile, humanitaire et financière que seule l’ONU peut mettre en œuvre.
Au nom du groupe socialiste, André Vallini a apporté son soutien au Gouvernement, en se fondant sur une analyse précise et de qualité ; je l’en remercie. Il a redéfini les objectifs de l’opération. Il a tenu, au sujet de l’Europe, qu’a également évoquée le président Carrère, des propos que je partage totalement. Oui, l’Europe va être présente ; elle en a pris la décision de principe.
L’implication de l’Europe constitue évidemment une préoccupation pour beaucoup d’entre vous. M. Adnot nous a même confié que, si l’Europe n’avait pas pris cette décision, son vote aurait peut-être été différent.
Nous savons qu’il n’existe malheureusement pas de vraie politique européenne de défense, mais nous devons avancer dans ce sens. Nous avons obtenu un vote de principe de nos partenaires européens. Maintenant, il faut « remplir les cases », et c’est difficile. Une deuxième conférence de génération de forces s’est tenue aujourd'hui même ; il y en aura une troisième dans quelques jours. Cette conférence a montré que nous n’en étions pas encore au chiffre indiqué par Mme Catherine Ashton, Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui a parlé de 1 000 soldats européens en Centrafrique. Il nous faut donc aiguillonner nos partenaires.
André Vallini a eu raison de souligner, en termes choisis – des termes de diplomate ! –, que, pour telle ou telle raison, les pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Italie, qui ont des moyens militaires importants, ne sont malheureusement pas, malgré leurs affirmations, au rendez-vous dans les proportions que l’on pouvait escompter. C’est à coup sûr le cas de la Grande-Bretagne. L’Allemagne n’a pas envoyé de troupes au sol. Quant à l’Italie, nous verrons ; je rencontrerai bientôt ma nouvelle homologue.
Il faut absolument que, par le jeu de nos influences respectives, nous les convainquions que, de même qu’il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, il n’y a pas de défense européenne, il n’y a que des preuves de défense européenne ! (Sourires.)
Si nous nous engageons sur la voie d’une défense et d’une sécurité européennes, il faut en tirer les conséquences.
Jean-Pierre Chevènement a, lui aussi, apporté au Gouvernement le soutien de son groupe, le RDSE. Il a souligné à quel point la création d’une opération de maintien de la paix était nécessaire. Il a posé, à la manière facétieuse dont il a le secret, une question sur l’attitude des États-Unis. Nous sommes évidemment en discussion avec nos partenaires américains, qui, pour différentes raisons, notamment financières, ne sont jamais très enclins à approuver de tels dispositifs. J’ai cependant bon espoir de parvenir à les convaincre, comme cela avait été le cas au sujet du Mali. Les Américains savent en effet que, en matière africaine, il existe un leadership et qu’il faut faire en sorte qu’il puisse s’exercer.
À la fin de son intervention, Jean-Pierre Chevènement a posé une question centrale, celle que nous posent nos électeurs lorsque nous bavardons avec eux, quand ils dressent la liste des enjeux et même des inconvénients de la décision que nous nous apprêtons à prendre. La sphère de la politique n’est pas l’empyrée ! Aucune solution ne présente 100 % d’avantages !
Comme souvent, il faut ici comparer le coût de la décision et celui de la non-décision ; c’est ainsi que se présente une problématique de premier rang comme celle qui nous occupe aujourd'hui. Or le coût de la non-décision, c'est-à-dire d’une interruption de l’opération Sangaris, c’est quelque chose que l’on ne peut même pas envisager ; votre vote va d'ailleurs montrer l’absurdité d’une telle hypothèse.
De la même manière – chacun d’entre vous l’a dit avec ses mots –, il eût été inconcevable que la France, seul pays ayant des troupes à proximité, n’intervînt pas alors que la RCA avait déjà un pied dans le gouffre.
Jean-Pierre Chevènement a posé la question comme elle devait l’être.
J’y ai déjà fait allusion, Philippe Adnot a déclaré que, si nos partenaires européens n’avaient pas pris la décision de principe que j’ai évoquée, son vote aurait sans doute été différent. Son vote sera finalement positif, et je l’en remercie.
Le président Carrère a commencé par évoquer l’Ukraine, et je le remercie des propos qu’il a bien voulu tenir. Bien sûr, l’Ukraine, c’est un autre sujet, mais il recoupe malgré tout celui qui est au centre de ce débat. Jean-Louis Carrère a salué la contribution de l’Europe à la résolution de la tragédie ukrainienne.
On fait beaucoup de reproches à l’Europe et, souvent, ils ne sont pas infondés. Cependant, force est de reconnaître que, en l’espèce, mes homologues allemand et polonais et moi-même sommes arrivés un matin dans une ville en état de siège, où des snipers avaient déjà tué plusieurs dizaines de personnes, mais que, quand nous sommes repartis, un accord avait été conclu, même si ses termes ont ensuite été modifiés par la dynamique de la situation révolutionnaire. Le président Ianoukovitch, qu’à Kiev on appelle « Ianoucescu » (Rires.), avait accepté, contraint et forcé, d’abréger son mandat, et la majorité avait basculé. C’est ce qui a permis les développements ultérieurs, qui ne sont pas encore achevés.
S’agissant de la Centrafrique, le président Carrère a raison lorsqu’il dit que tout repose sur un trépied composé de l’Union africaine, de l’Union européenne et de l’ONU. C’est la ligne de conduite de la France.
J’en reviens à la remarque que j’ai faite tout à l'heure en répondant à Kalliopi Ango Ela : nous n’avons pas vocation à intervenir dans chaque crise. Lors du sommet de l’Élysée de décembre, qui a été très intéressant, la cinquantaine de chefs d'État et de gouvernement représentant les pays membres de l’Union africaine et le Président de la République se sont mis d'accord pour que, en 2015 – j’espère que cette date sera respectée –, il y ait une force interafricaine qui permette à l’Afrique elle-même d’intervenir. Encore faut-il que cette force soit bien équipée et qu’elle puisse être mobilisée rapidement, ce qui suppose notamment qu’elle dispose des moyens de transport nécessaires. L’Europe et les États-Unis, mais aussi les pays du Golfe et les pays asiatiques, devront aider, y compris sur le plan financier, à la constitution de cette force. Nous sommes dans une situation transitoire ; c’est ainsi qu’il faut comprendre notre intervention.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vous cache pas qu’il n’est pas si facile de convaincre les pays membres de l’Union africaine de soutenir la création d’une opération de maintien de la paix. Une idée a cours, selon laquelle la MISCA, composée d’Africains, serait désavouée si l’ONU prenait le contrôle des opérations. Pas du tout ! Il y aurait un continuum entre Sangaris, la MISCA, les forces européennes et l’opération de maintien de la paix, qui, sous d’autres formes, avec une composante civile et humanitaire, prendrait le contrôle de l’ensemble.
De même qu’il faut continuer à faire pression auprès des Nations unies et de l’Union européenne, il faut essayer de convaincre les pays membres de l’Union africaine qui ne sont pas encore totalement convaincus. J’ai bon espoir que les choses finiront par évoluer comme nous le souhaitons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie vivement du vote que vous vous apprêtez à émettre. J’achèverai mon propos en citant deux mots, que plusieurs d’entre vous ont utilisés et qui résument fort bien à la fois le fond de vos positions et la tonalité de notre débat. Ce sont deux mots qu’il ne faut pas galvauder : responsabilité et honneur.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. La France prend ses responsabilités ; elle agit, non sans difficulté, parce que c’est son honneur. Je vous remercie de l’avoir si clairement démontré cet après-midi. (Applaudissements.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine.
Aucune explication de vote n’est admise.
En application de l’article 73-1, alinéa 2, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire, dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 158 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 328 |
Contre | 3 |
Le Sénat a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC.)
L’Assemblée nationale ayant elle-même émis un vote favorable, je constate, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, que le Parlement a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par courrier en date de ce jour, M. Jean Claude Gaudin, président du groupe UMP, a demandé de compléter l’ordre du jour réservé à son groupe du mercredi 30 avril 2014 par l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade.
Acte est donné de cette demande.
Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au lundi 28 avril, à 11 heures, et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.
Il n’y a pas d’observation ?...
Il en est ainsi décidé.
5
Transition énergétique
Adoption d'une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, l’examen de la proposition de résolution relative à la transition énergétique, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Jean-Claude Gaudin, Ladislas Poniatowski et les membres du groupe UMP (proposition de résolution n° 194).
Dans le débat, la parole est à M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution.
M. Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution relative à la transition énergétique est l’occasion pour le groupe UMP, au nom duquel je m’exprime, de préciser avec la plus grande rigueur sa vision de l’ensemble des enjeux à caractère énergétique.
Cette initiative de notre groupe vient compléter le débat sur l’avenir de la filière du nucléaire et les nouvelles filières de production d’énergie que nous avons eu le mois dernier, sur l’initiative du RDSE.
Transition énergétique, avenir des filières : ces débats sont complémentaires.
Pour résumer la position de notre groupe sur ce sujet, je dirai que, face à l’ampleur du défi énergétique que la France doit relever, entre les préoccupations environnementales, économiques, technologiques et géopolitiques, nous avons souhaité rappeler avec force que notre pays ne pourra ignorer aucune filière.
Notre proposition de résolution sur la transition énergétique exige que nous prenions de la hauteur et surtout que nous répondions aux différentes questions dans l’ordre où elles se posent.
Il faut d’abord établir le cahier des charges de cette nouvelle politique publique de l’énergie que nous appelons de nos vœux. C’est ce que nous avons fait dans l’exposé des motifs de notre proposition de résolution, en partant d’un constat : aujourd’hui, dans le monde, plus de 80 % de l’énergie produite est issue des énergies fossiles.
Or ces sources d’énergie, auxquelles nos sociétés doivent tant, ont fini par créer un phénomène de dépendance qui n’est pas sans conséquence. Qu’il s’agisse du pétrole, du gaz, du charbon, tous, nous connaissons les dommages de ces productions sur l’environnement, causés notamment par les émissions de gaz à effet de serre.
Nous savons également tous que ces sources d’énergie s’épuisent. Dans le cas du pétrole, on parle de réserves qui permettraient de conserver notre rythme de production actuel pour quarante ans,…
M. Daniel Raoul. Cinquante ans !
M. Ladislas Poniatowski. … mais personne ne peut dire avec certitude que ce chiffre est exact.
Depuis plus de vingt ans, les réserves prouvées se maintiennent à un niveau voisin de quarante ans de consommation de l’année courante. Pourquoi les réserves arrivent-elles donc à se maintenir à ce niveau ? Parce que l’exploitation du pétrole non conventionnel comble la chute de production du pétrole conventionnel.
Jusqu’où pourrons-nous aller dans l’exploitation de réserves non conventionnelles ? Je répondrai à cette question de manière lapidaire : jusqu’à ce que notre sous-sol et, accessoirement, notre porte-monnaie soient prêts à le supporter.
Au-delà de la disparition de ces énergies, se pose le problème du pic de production : interviendra-t-il avant ou après 2020 ? Les experts ne s’accordant pas sur ce sujet, nous autres, législateurs, devons donc rester prudents, mais, quelles que soient les réponses à ces questions, nous savons que cette raréfaction des matières premières, à l’exception du charbon, pose une somme de difficultés qui se nourrissent les unes les autres.
Moins de réserves, cela veut dire des prix en augmentation ; l’augmentation des prix conduit à rendre économiquement viables les gisements non conventionnels, lesquels ne sont pas neutres écologiquement et présentent, au-delà de leur rentabilité économique, des rendements mécaniquement plus faibles – je pense ici aux gisements offshore profonds, aux pétroles lourds ou aux bitumes.
Ainsi, plus les énergies se font rares, plus les prix augmentent, plus les dommages environnementaux progressent, le tout dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Ladislas Poniatowski. Pour ces raisons, comme nous l’avons expliqué dans notre proposition de résolution, nous devons planifier le basculement d’une partie de notre consommation en énergies fossiles vers une consommation électrique, hors thermique classique. C’est ce basculement qui doit être considéré comme la première des transitions énergétiques.
La raréfaction des énergies fossiles, l’insécurité dans l’approvisionnement de ces dernières, la hausse de la facture énergétique et la détérioration de l’environnement qui en découle imposent donc de s’émanciper des matières fossiles.
C’est pourquoi le groupe UMP appelle à la vigilance lorsque certains dressent l’éventail du futur mix énergétique en partant du postulat selon lequel, à terme, nous réduirons significativement notre consommation électrique. En général, ceux-là cherchent ainsi à accréditer la thèse selon laquelle le nucléaire n’est pas indispensable. Ils nous parlent, à raison, d’économies d’énergie, mais ils oublient trop souvent que la transition énergétique doit aussi accompagner, pour les décennies à venir, la raréfaction des matières premières qui couvrent, pour la France, environ 60 % de notre consommation aujourd’hui.
La vraie question est donc : qui peut assurer aujourd’hui que les économies d’énergie pourront compenser le basculement de la consommation d’énergies fossiles vers la consommation électrique ? Personne !
C’est la raison pour laquelle le cahier des charges qui s’impose à la puissance publique en matière de transition énergétique est des plus contraignants. Il comporte deux étapes.
Dans un premier temps, il nous faut diminuer notre dépendance à l’égard des matières premières, de fait non renouvelables. Cette première tâche est indispensable pour que la France tienne ses engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre – je pense à l’objectif contraignant de réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne d’ici à 2030 –, mais également pour que notre pays ne soit pas otage des tensions géopolitiques qui accompagnent l’extraction de ces matières premières.
Dans un second temps, il nous faut rendre notre appareil de production électrique apte à absorber une éventuelle hausse de notre consommation électrique. J’ajoute que ladite production devra s’adapter aux fluctuations de production liées aux énergies nouvelles, ce qui n’est pas simple.
Ce n’est qu’en satisfaisant à ces deux exigences que la puissance publique rendra à la France sa pleine souveraineté énergétique.
Pour le premier de ces défis, à savoir diminuer notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles, de nombreuses pistes existent, mais aucune ne relève de la solution miracle.
Les produits pétroliers et le gaz représentent aujourd’hui environ 50 % de la consommation énergétique des secteurs résidentiel et tertiaire. Naturellement, on serait tenté de vouloir transférer cette consommation vers l’électricité, mais c’est oublier que le tertiaire et, surtout, l’habitation sont responsables des pics de production que nous avons de plus en plus de mal à gérer.
Très concrètement, si l’on souhaite que les ménages français diminuent leur consommation de fioul, il n’y a pas de meilleur moyen que d’aider à renouveler le parc des chaudières. Soyons plus précis : un changement de chaudière représente quasiment 100 kilowattheures par mètre carré par an d’économie. L’ensemble des autres opérations d’isolation dans une maison permettent d’économiser de nouveau 100 kilowattheures par mètre carré par an.
Il faudra donc inscrire les aides fiscales dans la durée, ne pas se focaliser uniquement sur l’isolation des bâtiments et ne pas dire promptement qu’une nouvelle chaudière ne sert à rien si l’isolation n’est pas achevée, car cela est faux.
L’autre espoir de voir diminuer significativement notre consommation en combustibles fossiles réside dans l’optimisation de la consommation liée à l’automobile. Les produits pétroliers représentent aujourd’hui toujours plus de 90 % des besoins du secteur automobile en France. Les transports et le secteur de l’automobile absorbent les deux tiers de notre consommation en produits pétroliers.
Sur cet aspect, nous avons constaté les progrès du véhicule électrique, grâce en particulier aux batteries au lithium. Malheureusement, là encore, aucune solution n’est parfaite : le lithium fait partie de ces matières rares dont l’extraction n’est pas neutre en émission de CO2.
On nous dit que les chercheurs travaillent sur de nouveaux types d’électrodes, capables de stocker plus d’ions, comme l’oxyde de manganèse ou l’oxyde de nickel, améliorant ainsi la capacité de stockage des batteries, mais cela ne règle pas le problème du recyclage des batteries ou de l’extraction du lithium, qui se fait au rythme de 30 000 tonnes par an, et essentiellement dans des régions peu stables politiquement.
La voiture électrique sera malgré tout le principal levier pour réduire notre dépendance en hydrocarbures, mais je confesse ne pas en savoir plus que les chercheurs, qui, aujourd’hui, ne peuvent pas nous dire ce qui est viable sur le long terme, en ce qui concerne aussi bien le coût que les ressources naturelles.
J’en viens au second défi qui se dresse face à la puissance publique : comment optimiser et adapter notre production et notre consommation électrique ? C’est, vous l’avez compris, la question du mix énergétique.
Mais avant de dire comment nous allons produire notre électricité, encore faut-il savoir de quel volume d’électricité nous aurons besoin.
En premier lieu, j’espère que notre consommation en électricité va baisser, à l’instar de notre consommation en combustibles fossiles. Toutefois, elle ne chutera pas brutalement, même si des économies d’énergie sont envisageables.
Les secteurs résidentiel et tertiaire, qui représentent à eux deux près de 70 % de notre consommation d’électricité, peuvent faire l’objet d’économies significatives, mais, comme pour le fioul, ces progrès ne seront pas gratuits pour la puissance publique, qui devra nécessairement avoir recours aux aides fiscales.
Pour autant, la rénovation thermique est sans doute le point cardinal de cette future politique énergétique. Il nous faut donc conserver et simplifier les aides existantes, plutôt que pratiquer une écologie préventive. Aussi me suis-je demandé à quels dispositifs nos concitoyens pouvaient faire appel.
Sachez qu’il existe huit interlocuteurs possibles ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? En effet, il y a l’État, les collectivités, l’ANAH, la Caisse nationale d’assurance vieillesse, PROCIVIS, la Mutualité sociale agricole, les caisses d’allocations familiales et les banques. Chacune de ces entités fournit une aide qui lui est propre, selon des modalités qui lui sont propres.
Avec cette complexité, la puissance publique « se tire une balle dans le pied ». Comment pouvons-nous rendre visibles des aides éparpillées tel un puzzle ?
Cette question n’est pas politique puisque les gouvernements de droite et du centre ont leur part de responsabilité tout autant que ceux de gauche. Cependant, monsieur le ministre, j’espère que cette simplification des aides à la rénovation thermique aura une place de choix dans votre futur projet de loi.
J’ajouterai que les aides actuelles, si elles sont ciblées en priorité vers les publics fragiles, ce qui est normal, excluent trop souvent des publics jeunes ou des classes moyennes, qui, parce qu’ils ne répondent pas aux conditions de ressources sont exclus du dispositif alors qu’ils sont les plus sensibles à la question de rénovation thermique.
Il est évident que, grâce à la rénovation thermique, des économies très importantes peuvent être réalisées. Mais je n’irai pas, comme certains, jusqu’à avancer le chiffre de 50 % d’économies d’énergie d’ici à 2030, car il me paraît tout à fait irréaliste ! Songez, par exemple, que malgré les dispositifs existants, la consommation actuelle des ménages et du tertiaire est de 290 térawattheures, contre 288 térawattheures en 2008, et cela malgré la crise.
En outre, avec l’engouement pour le véhicule électrique, et si nous tablons sur une progression du nombre de véhicules électriques de l’ordre de 2 millions entre aujourd’hui et 2030, telle qu’elle figure dans les projets actuels, celle-ci va entraîner une consommation de 4 térawattheures à 5 térawattheures supplémentaires, soit presque l’équivalent de la production d’un réacteur nucléaire.
Mes chers collègues, ne fermons aucune porte, que ce soit par optimisme ou par dogmatisme : continuons de donner à la France les moyens de son indépendance énergétique et ne soyons pas candides.
Nous devons préserver l’appareil de production électrique français à son niveau d’aujourd’hui, et lui permettre, s’il le faut, d’augmenter ses capacités. C’est à partir de ce constat que nous devons élaborer le mix énergétique, et donc évaluer la part de chaque source d’énergie dans notre production électrique globale.
Nous produisons aujourd’hui environ 550 térawattheures d’énergie électrique, dont environ 420 térawattheures d’origine nucléaire. Nous savons de source sûre que nos capacités hydrauliques sont à leur maximum : environ 90 % du potentiel est exploité. Le biogaz sera une réponse pertinente, mais celui-ci servira surtout à remplacer la production des centrales thermiques utilisant des combustibles fossiles. En effet, ces dernières, bien qu’indispensables pour fournir les pointes d’électricité, sont très polluantes et très gourmandes en combustibles pour des rendements plus faibles : autant utiliser directement ces combustibles.
Que devons-nous conclure ? Tout simplement que notre potentiel de croissance repose quasi uniquement sur les énergies renouvelables de type éolien ou photovoltaïque.