M. le président. La parole est à M. Serge Dassault, pour explication de vote.
M. Serge Dassault. Je voudrais signaler en cet instant que je suis le seul, dans cet hémicycle, à avoir subi une garde à vue, laquelle a duré deux jours tout récemment. Je peux donc vous donner quelques précisions sur la façon dont cela se passe.
Mme Éliane Assassi. Vous parlez d’expérience...
M. Serge Dassault. Durant ces deux jours, mon avocat n’a pas eu accès à mon dossier. Il a pu le consulter aujourd’hui seulement, alors que ma garde à vue s’est achevée vendredi dernier.
Je n’ai, moi-même, jamais été informé de ce qui m’était reproché.
J’ai répondu à toutes les questions qui m’ont été posées, et j’ai finalement compris que toute l’affaire tournait autour de prétendus achats de voix, ce que j’ai contesté puisqu’il n’y a jamais rien eu de tel ; tous les témoignages qui l’affirment sont des mensonges.
Cela dit, j’indique que suis tout à fait favorable à l’amendement présenté par Mme Lipietz.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je voudrais, tout d’abord, démentir mon excellent collègue Serge Dassault : il n’est pas le seul membre de cette assemblée à avoir subi une garde à vue.
Il m’est également arrivé à plusieurs reprises, en qualité de trésorier du parti politique auquel j’appartenais au cours du siècle dernier, d’être placé en garde à vue. C’est donc une expérience que je connais, même si cette procédure était alors encadrée par une loi antérieure.
Madame le garde des sceaux, vous avez dit des choses très importantes et très justes. Pour autant, j’ai envie de défendre – une fois n’est pas coutume ! – l’amendement de Mme Lipietz, laquelle joue dans ce débat exactement le même rôle que les écologistes dans la vie publique et dans votre majorité : celui d’empêcheur de tourner en rond. En posant la question de l’accès de l’avocat à l’entièreté du dossier, afin qu’il puisse accompagner et soutenir son client placé en garde à vue, notre collègue soulève un problème de fond.
Vous répondez avec conviction, madame le garde des sceaux, et avec une certaine habileté, qu’il s’agit d’un véritable problème, que la directive du 22 octobre 2013 sera bientôt transposée et qu’il faut tout resituer dans une réflexion globale. Vous avez tout à fait raison, parce qu’il y a en réalité trois étapes.
La première, l’enquête préliminaire, est totalement unilatérale et à la charge, à la responsabilité et à la discrétion du parquet.
Le problème est que le parquet n’est pas nécessairement discret et que vous pouvez être « mis en examen » par la presse au bénéfice d’une enquête préliminaire parfaitement unilatérale, à laquelle vous n’avez strictement aucun accès. Il y a là, déjà, une première injustice, un premier déséquilibre, dans cette rencontre entre le simple particulier et l’autorité, la majesté et la puissance de l’État, qui s’expriment au travers du parquet et des services de police judiciaire.
La deuxième étape, inaugurée voilà quelques décennies, est la garde à vue, par laquelle le magistrat instructeur délègue à la police judiciaire une procédure contraignante, qui a le mérite de faire éclater d’éventuelles contradictions, dès lors que les événements sont suffisamment récents. D’ailleurs, quel est le sens d’une garde à vue intervenant deux, trois, cinq ans, voire davantage, après les faits, lesquels ont changé de nature ? L’interrogation simultanée et séparée de différents comparses n’a simplement aucune valeur d’instruction, puisque tout a pu être reconstitué entretemps.
En autorisant la présence de l’avocat auprès de la personne gardée à vue, on crée un droit nouveau. En effet, de deux choses l’une : soit l’avocat constate simplement le caractère formel de la garde à vue, ce qui présente peu d’intérêt ; soit il accède au dossier, comme le demande Mme Lipietz. Dans ce dernier cas, la garde à vue marque le commencement d’une instruction inquisitoire, laquelle tend à prendre, au travers de cet amendement, un caractère contradictoire.
Car il est vrai que notre instruction inquisitoire, qui devrait être à charge et à décharge, est en réalité le plus souvent seulement à charge et ne donne pas le sentiment au justiciable, en particulier lorsqu’il fait l’objet d’une garde à vue, d’être équilibrée.
En admettant la présence de l’avocat durant la garde à vue, ce dont je me réjouis, nous ouvrons donc, non pas la boîte de Pandore, mais une nouvelle procédure, au terme de laquelle nous ne sommes pas allés. Je comprends votre malaise, madame le garde des sceaux : vous vous rendez compte que cette situation intermédiaire n’est pas satisfaisante.
Je soutiendrai, non pas au nom du groupe UMP, mais à titre personnel, l’amendement de Mme Lipietz, car il a le mérite de mettre le pied dans la porte. Nous aurions la certitude, s’il était adopté, que ce problème ne sera pas éternellement différé.
Vous nous dites, madame le garde des sceaux, qu’une mission a été mise en place, avec un magistrat qui préside, des gens compétents.... Je m’en réjouis, mais « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » !
Nous avons l’occasion, avec l’examen de cet amendement, de ne pas laisser se refermer ce dossier difficile. Je suggère donc que nous l’adoptions, tout en sachant qu’il ne réglera pas – bien au contraire – l’entièreté du problème et que nous devrons mener une réflexion collective sur la signification, aujourd’hui, de l’instruction inquisitoire dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je prends acte des expériences personnelles de nos collègues, lesquelles, bien sûr, n’ont pas été de nature à les réjouir. Nous devons cependant être très attentifs à ce que nous allons faire.
Lorsqu’une personne est placée en garde à vue, elle n’est ni inculpée, ni mise en examen, ni coupable ; ...
M. Gérard Longuet. Pour la presse, si !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … elle est interrogée.
La phase judiciaire n’est alors pas commencée, monsieur Longuet. Elle le sera lors de la traduction devant le tribunal correctionnel, ou devant le juge d’instruction.
Le droit en vigueur autorise la présence de l’avocat durant la garde à vue. Je remarque d’ailleurs, que lorsque cette mesure a été introduite, mes collègues siégeant sur les travées de droite n’y étaient pas tellement favorables, mais passons...
L’avocat est présent durant la garde à vue pour aider son client, l’assister et l’informer. Il a accès à un certain nombre de pièces : le certificat médical, les procès-verbaux des interrogatoires et des auditions...
Sans doute faudra-t-il aller plus loin, mais on ne peut admettre qu’il puisse accéder à tout. Il se peut en effet que, pendant la garde à vue, à la suite des propos tenus par la personne entendue, on décide de procéder à des perquisitions ou d’entendre des témoins, lesquels ne sont pas protégés.
On ne peut pas transmettre à l’avocat de la personne gardée à vue toutes les pièces du dossier. Cela fragiliserait considérablement l’enquête, tout comme le témoignage de personnes extérieures au dossier.
M. Hyest posait cette question : produira-t-on le résultat d’écoutes téléphoniques légales ? Il faut faire attention !
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je considère donc qu’il n’est pas possible de voter en l’état l’amendement de Mme Lipietz. En revanche, comme l’a dit Mme le garde des sceaux, lorsque le rapport de M. le procureur général Jacques Beaume sera rendu – et j’ai demandé qu’il soit alors rapidement soumis au Parlement –, nous pourrons aller plus loin et envisager d’autoriser la production d’autres pièces.
M. Gérard Longuet. Ce sera difficile !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Si l’amendement de Mme Lipietz était adopté aujourd’hui – je suis certain, monsieur Longuet, que vous serez particulièrement sensible à cet argument –, nous devrions faire face aux nombreuses réactions, non pas des procureurs, mais des officiers de police judiciaire, des policiers et des gendarmes, qui font un travail difficile et auxquels il n’est pas possible de demander, à l’heure actuelle, de tout communiquer.
C’est la raison pour laquelle, même si je suis très favorable aux droits de la défense, notamment à ceux des personnes qui ne sont pas encore inculpées, et donc toujours innocentes, je pense qu’il faut mesure garder et, pour cela, ne pas adopter l’amendement de Mme Lipietz.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je note que le droit en vigueur prévoit, y compris au niveau de l’instruction, un certain nombre de restrictions, de garanties et d’obligations concernant les pièces du dossier. Avec cet amendement, qui vise les pièces « utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense », tout est généralisé : on aurait accès à l’ensemble des pièces, je dis bien toutes les pièces !
Je vais reprendre l’exemple que je citais antérieurement. Imaginez que, dans un cas de suspicion de terrorisme, les services de police aient procédé, sous l’autorité du procureur, à des écoutes avant le placement en garde à vue. Va-t-on communiquer l’identité des complices à l’avocat ? C’est inimaginable !
On peut certes aller plus loin, dans la perspective de la transposition de la directive, et c’est ce que nous finirons par faire. Mais, je le répète, l’adoption du présent amendement conduirait à une généralisation de la communication des pièces, sans que soit prévue la moindre précaution... Je ne suis donc pas disposé à voter cet amendement en l’état, car je le trouve très dangereux.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suivrai l’avis de Jean-Jacques Hyest et de Mme le garde des sceaux. Ce n’est pas parce que je trouve l’inspiration de cet amendement critiquable : je considère, bien au contraire, qu’il part d’une intention heureuse et nécessaire.
Mais il est apparu à plusieurs occasions – nous en avons encore eu récemment la démonstration lors des travaux de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale constituée à la demande de notre excellent collègue Éric Bocquet –, que certaines personnes mises en examen ou convoquées devant la justice disposaient d’une batterie d’avocats qui déstabilisaient les magistrats instructeurs et les enquêteurs et rendaient leur travail très difficile. Dans une affaire célèbre, le montant des honoraires des avocats dépassait même de loin le budget de fonctionnement des services d’instruction du tribunal de grande instance de Paris...
Imaginons que la personne gardée à vue ait plusieurs avocats : dans le cas d’un dossier très complexe, la proposition de Mme Lipietz pourrait créer une grande insécurité et de sérieux problèmes dans le fonctionnement de l’instruction. Or si nous voulons assurer la protection des personnes gardées à vue, nous cherchons surtout à garantir le bon fonctionnement des enquêtes. Il est très important de maintenir cet équilibre.
C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement.
M. Gérard Longuet. Je demande la parole.
M. le président. Mon cher collègue, vous avez déjà expliqué votre vote, vous ne pouvez donc vous exprimer à nouveau, sauf si vous étiez mis en cause à un moment ou à un autre par Mme la garde des sceaux qui, vous citant, pourrait vous permettre de lui répondre.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai aucune raison de mettre en cause M. Longuet ni aucun autre sénateur ici présent. Je veux simplement insister sur les progrès accomplis dans ce nouveau texte de loi.
En l’état actuel du droit, l’avocat a déjà accès à un certain nombre d’informations, notamment au procès-verbal de notification des droits. Or nous améliorons encore la notification des droits à travers ce texte : il aura accès aux procès-verbaux d’audition et au certificat médical. Dans ce texte, nous permettons aussi au justiciable lui-même d’avoir accès à ces éléments. De plus, les motifs pour lesquels la personne est gardée à vue seront énoncés dans le formulaire de notification des droits.
Mais que signifie avoir accès à l’intégralité du dossier ? Ce dernier continue de se constituer au cours de la garde à vue. (M. Gérard Longuet opine.) À partir de quel moment peut-on parler d’accès à l’intégralité du dossier et quelle est-elle ?
Vous évoquiez mon malaise, monsieur Longuet. Il ne s’agit pas d’un malaise personnel. J’ai expliqué, argumenté et dit comment les choses ont été faites jusqu’à maintenant. Je crois qu’il nous faut aujourd’hui changer de méthode.
En l’instant, nous transposons la directive B strictement, c’est-à-dire en garantissant les conditions dans lesquelles l’avocat ou le justiciable directement peuvent mettre en cause, contester cette garde à vue. Nous mettons à leur disposition tous les éléments nécessaires pour le faire. Notre droit positif sera ainsi en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Nous allons encore progresser grâce aux conclusions de la mission chargée de travailler en profondeur sur la question du principe du contradictoire.
J’entends aussi – mais ce sont là les inconvénients de la démocratie – la presse qui condamne avant l’heure (Mme Nathalie Goulet opine), j’entends aussi la presse qui met en examen avant l’heure. À cet égard, je rappellerai que les parties sont libres de donner un certain nombre d’informations pour rétablir la vérité (M. Gérard Longuet s’exclame.) et que le procureur de la République lui-même, dans certaines circonstances, peut également donner des informations afin d’éviter tout discrédit pouvant s’abattre sur le justiciable. Mais ne confondons pas la phase policière, au cours de laquelle l’enquête se construit et les éléments sont collectés, avec la phase judiciaire et l’ensemble des procédures juridictionnelles et des garanties qui l’accompagnent.
Je ne suis pas gênée de dire qu’il s’agit d’un vrai sujet. Je ne suis pas gênée non plus de dire que nous avons progressé et que nous continuons à progresser. Grâce à la mission Beaume, les modifications que nous allons introduire dans le cadre de la transposition de la directive C seront plus cohérentes et permettront de consolider l’architecture de notre procédure pénale.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote.
Mme Hélène Lipietz. Premièrement, je m’étonne, car je suis persuadée que le droit d’accès de l’avocat aux pièces du dossier est déjà inscrit dans la directive B, à l’article 7 alinéa 1, dont je vous ai donné lecture voilà quelques instants.
Deuxièmement, je pense que l’accès de l’avocat aux pièces du dossier ne relève pas du respect du principe du contradictoire, mais de quelque chose d’encore plus profond et plus vaste, à savoir le respect des droits de la défense. Il s’agit non seulement du droit de savoir réellement ce que l’on vous reproche, mais aussi du droit au respect de la présomption d’innocence. C’est pourquoi l’avocat doit réellement savoir ce qu’il y a dans le dossier au moment où il intervient ! (Mme Nathalie Goulet opine.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il le sait !
Mme Hélène Lipietz. Il est évident que de nouvelles pièces vont apparaître. C’est donc au moment où l’avocat – et uniquement l’avocat – va voir son client qu’il doit pouvoir accéder à l’ensemble des pièces du dossier.
Troisièmement, je pense que la présence d’un avocat en garde à vue est un droit quelque peu dispendieux au regard du peu de chose que peut faire ce dernier, n’ayant pas accès aux pièces du dossier et ignorant ce qui s’y trouve. La majorité des gardes à vue, comme vous le savez, est financée par l’aide juridictionnelle. Ce dispositif coûte très cher, alors que les avocats se disent eux-mêmes incapables d’agir utilement en raison du peu d’éléments auxquels ils ont accès.
Je vais retirer mon amendement, et j’en suis désolée, car j’ai vraiment apprécié l’appui de M. Longuet. Je suis bien consciente qu’il faut protéger à la fois les victimes, les coïnculpés ou co-mis en examen et toutes les personnes qui sont concernées par les éléments établis par la police.
J’avais préparé un amendement de repli visant à placer sous le contrôle du juge des libertés et de la détention la possibilité qu’a la police de demander au procureur de la République de limiter le droit d’accès. J’ai finalement renoncé à déposer cet amendement, car il est extrêmement difficile à rédiger de manière simple (M. Jean-Jacques Hyest opine.).
Je suis ravie que la discussion ait eu lieu. Il me paraît évident que nous nous honorerons, en tant que pays démocratique, le jour où nous aurons enfin accordé aux avocats un véritable droit d’accès au dossier. Il ne faut pas avoir peur des avocats : ils ont une déontologie, ce qui est fondamental.
Lorsque ces derniers ont eu le droit d’intervenir au cours des gardes à vue, on a craint que les services de police ne puissent plus mener cette procédure comme ils l’entendaient. Or il y a toujours des gardes à vue, et toujours des mises en examen à l’issue de ces gardes à vue. Garantir l’accès des avocats au dossier n’y fera pas obstacle non plus.
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié est retiré.
M. Gérard Longuet. Je le reprends, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 10 rectifié bis, présenté par M. Longuet, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 10 rectifié.
Vous avez la parole pour le défendre, mon cher collègue.
M. Gérard Longuet. Je ne voterai pas cet amendement (Sourires.) et me contenterai d’adresser un conseil au groupe de travail du procureur général Beaume : si le secret de l’instruction était enfin respecté, toute une série de préventions contre les méthodes nécessaires pour progresser dans l’établissement de la vérité, tant au cours de l’enquête préliminaire que durant la garde à vue, tomberait. On ne trouverait plus, en effet, cette culpabilité prévendue dans la presse et si lourde à porter. (Mme Nathalie Goulet et M. Serge Dassault applaudissent.)
M. Jean-Jacques Hyest. C’est l’idéal !
M. Gérard Longuet. Cela étant dit, je retire mon amendement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quelle maîtrise de la procédure ! (Sourires.)
M. le président. C’est une bonne gestion du temps de parole.
L’amendement n° 10 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 19, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
III. - L’article 706–73 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions de l’article 706–88 permettant une garde à vue de quatre jours ne sont toutefois pas applicables au délit prévu par le 8° bis du présent article ou, lorsqu’elles concernent ce délit, aux infractions mentionnées aux 14°, 15° et 16° du présent article. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement tend à tirer conséquence de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013 sur la loi du 13 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition ouvrant la possibilité de porter la durée d’une garde à vue à quatre-vingt-seize heures pour des délits de corruption, de trafic d’influence et de fraude fiscale. Le Conseil a estimé que ces délits n’étaient pas susceptibles en eux-mêmes de porter atteinte à la dignité, à la sécurité, à la vie des personnes et, se référant au principe de proportionnalité, il a considéré qu’une garde à vue de quatre-vingt-seize heures ne se justifiait pas.
Nous en tirons les conséquences pour le délit d’escroquerie en bande organisée auquel peut s’appliquer l’observation du Conseil constitutionnel sur le principe de proportionnalité. Ce délit n’est en effet pas susceptible de porter en lui-même directement atteinte à la sécurité, à la dignité et à la vie des personnes. Cet amendement, qui tend à modifier l’article 706–73 du code de procédure pénale, permettra de sécuriser les procédures en cours et d’éviter que des enquêtes pénales ne soient censurées sur la base de cette décision du Conseil constitutionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission a émis, avec regret, un avis favorable sur cet amendement.
Je dis avec regret, car le considérant du Conseil constitutionnel est critiquable. Nous sommes engagés dans une lutte contre la fraude fiscale, dans une lutte contre des délits financiers à ramification internationale.
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Et le Conseil constitutionnel prétend qu’en quarante-huit heures seulement les agents spécialisés de la police judiciaire auront le temps de faire toutes les investigations nécessaires ? C’est faux, radicalement faux !
Mme Éliane Assassi. C’est tout simplement impossible !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je laisse au Conseil constitutionnel la responsabilité de son considérant qui, selon moi, offre une éventuelle protection à d’importants fraudeurs.
Mais, madame la ministre, nous sommes bien obligés d’accepter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne m’aventurerai évidemment pas sur le terrain de l’appréciation des décisions du Conseil constitutionnel. Pour ma part, ayant le souci de la sécurité des procédures, je serais très très malheureuse et perturbée – politiquement et moralement – si, demain, des enquêtes pénales conduites dans le cadre de ces articles et concernant des faits graves étaient censurées et donc les procédures annulées parce que le Conseil constitutionnel dans sa logique, sa cohérence et sa continuité affirmait que ce qu’il a censuré en décembre, il le censure de nouveau.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il suffirait d’une simple question prioritaire de constitutionnalité défendue par un très bon avocat !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout à fait, monsieur le rapporteur : une question prioritaire de constitutionnalité, et c’en est fait de ces procédures !
Aujourd’hui, non seulement les actes doivent être conformes aux lois, mais les lois elles-mêmes doivent être conformes, a posteriori, à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.
Il s’agit d’une précaution de procédure afin d’éviter que le Conseil constitutionnel, dans la logique de son raisonnement, ne censure ces dispositions et que des enquêtes ne soient pénalisées.
Par ailleurs, je voudrais rappeler que nous avons beaucoup travaillé sur ce texte relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui a notamment permis d’améliorer le statut de ceux que l’on appelle officiellement les « collaborateurs de justice », c’est-à-dire les « repentis ».
Lors de la discussion, en première lecture, du projet de loi relatif à la géolocalisation, vous avez d’ailleurs adopté un amendement visant à donner une base légale au financement par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC, des collaborateurs de justice.
Le statut créé par la loi du 9 mars 2004 pour ces derniers n’a en effet jamais pu être mis en œuvre, aucun décret d’application n’ayant été publié, faute d’accord entre les trois ministères concernés, à savoir le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur et le ministère des finances.
Sur mon initiative, les discussions entre ces trois ministères ont repris en septembre 2012. Elles ont abouti et un projet de décret a été validé en décembre 2013 par le Conseil d’État, à l’exception de la disposition permettant à l’AGRASC de prendre en charge financièrement les collaborateurs de justice ou repentis.
Les textes de loi que nous avons adoptés, cette disposition relative à l’AGRASC que vous avez votée, tout cela nous arme davantage. Nous sommes donc en mesure de compenser ces difficultés.
Il est vrai que l’escroquerie en bande organisée n’engendre pas d’atteinte à la vie des personnes. Il ne s’agit que d’histoires de sous, grossièrement et vulgairement. Or les collaborateurs de justice nous permettent de gagner du temps dans ces affaires difficiles, où nous sommes confrontés à des procédés et techniques complexes fonctionnant par étapes et faisant intervenir des sociétés écrans et d’autres dispositifs à l’étranger.
Ce sont souvent les repentis – appelons-les ainsi –, grâce aux divers éléments qu’ils fournissent, qui permettent aux enquêtes d’avancer très vite ou qui aident à démanteler des réseaux, beaucoup plus qu’une garde à vue prolongée de vingt-quatre heures. Je ne dis pas que cette dernière n’est pas nécessaire, je souligne seulement qu’elle ne suffit pas toujours pour repérer toutes les sophistications techniques des actions criminelles.
Par conséquent, avec les mesures que nous avons prises, nous sommes un peu mieux armés que ne l’étaient les enquêteurs ou les juridictions avec les articles 706 et suivants du code de procédure pénale. Je le dis aussi pour vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs : ces dispositifs, que nous avons introduits, permettent de faire face à la suppression de la garde à vue de quatre-vingt-seize heures.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Une fois de plus, je suivrai la position de Mme le garde des sceaux et voterai cet amendement.
J’ai été vice-présidente de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, et membre de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. À ce titre, il me semble préférable que les procédures se déroulent dans les conditions que vous venez de nous indiquer, madame le garde des sceaux, plutôt qu’elles ne soient annulées pour un problème ultérieur.
Je comprends bien la position de M. le rapporteur, pour qui le présent amendement ne peut être adopté qu’à regret. Je lui signale néanmoins que la législation en matière de fraude fiscale évolue. Je pense – en tout cas j’espère – que l’on n’a pas fini d’introduire des mesures additionnelles en la matière, afin d’améliorer le dispositif. Le dernier G20, où les questions d’évasion et d’optimisation fiscales ont été mises à l’honneur, peut faire penser que des mesures d’harmonisation pourraient – enfin ! – être prises.
Dès lors, il me semble plus sage de suivre des procédures qui se tiennent, plutôt que de courir le risque de les voir annulées parce que nous n’aurions pas respecté la décision du Conseil constitutionnel, décision qui, d’ailleurs, s’impose à nous.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Section 2
Dispositions relatives à la déclaration des droits devant être remise aux personnes privées de liberté
Article 4
I. – Après l’article 803–5 du même code, il est inséré un article 803–6 ainsi rédigé :
« Art. 803–6. – Toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en application d’une disposition du présent code se voit remettre, après la notification de cette mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu’elle comprend, les droits suivants tels qu’ils s’appliquent au cours de la procédure en vertu des dispositions du présent code :
« - le droit d’être informée de l’infraction qui lui est reprochée ;
« - le droit, lors des auditions ou interrogatoires, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;
« - le droit à l’assistance d’un avocat ;
« - s’il y a lieu, le droit à l’interprétation et à la traduction ;
« - s’il y a lieu, le droit d’accès aux pièces du dossier ;
« - le droit qu’au moins un tiers ainsi que, le cas échéant, les autorités consulaires du pays dont elle est ressortissante, soient informés de la mesure privative de liberté dont elle fait l’objet ;
« - le droit d’être examinée par un médecin ;
« - le nombre maximal d’heures ou de jours pendant lesquels elle peut être privée de liberté avant de comparaître devant une autorité judiciaire ;
« - les conditions dans lesquelles elle a la possibilité de contester la légalité de l’arrestation, d’obtenir un réexamen de sa privation de liberté ou de demander sa mise en liberté.
« La personne est autorisée à conserver ce document pendant toute la durée de sa privation de liberté.
« Si le document n’est pas disponible dans une langue comprise par la personne, celle-ci est informée oralement des droits prévus au présent article dans une langue qu’elle comprend. L’information donnée est mentionnée sur un procès-verbal. Une version du document dans une langue qu’elle comprend est ensuite remise à la personne sans retard. »
II. – Au deuxième alinéa du I de l’article 4 de l’ordonnance n° 45–174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, après les mots : « du présent article », sont insérés les mots : « et de l’article 803–6 du code de procédure pénale ».