M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, le sujet du débat de cet après-midi est aussi grave que complexe. Au nom du groupe UMP, je me félicite qu’il puisse être abordé dans notre hémicycle.
Je tiens à saluer le travail de notre délégation qui, depuis le mois de novembre, a organisé des réunions et des tables rondes au cours desquelles nous avons pu auditionner aussi bien des responsables d’organisations humanitaires que des chercheurs ou des professionnels du corps médical.
Je dois le dire, lors de certaines auditions, des témoignages bouleversants et difficilement soutenables ont été apportés.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Alain Gournac. Les violences faites aux femmes sont de toutes les époques, et le viol en temps de guerre n’a cessé de ponctuer l’histoire humaine. Ce dernier est un moyen d’humilier le vaincu ou de provoquer un adversaire pour que le conflit éclate.
Au début du Ve siècle, Saint-Augustin, dans La Cité de Dieu, fut le premier à noter que le viol était une pratique habituelle lors des pillages de villes, au même titre que le massacre des hommes. De ce point de vue, notre monde n’est pas plus civilisé aujourd’hui qu’hier. Et aucun continent n’échappe à cette barbarie.
S’il y eut peu d’évolution dans les faits, il y en eut dans la loi et dans le droit international. Et de cela, il faut se réjouir !
La France a véritablement œuvré en faveur de l’adoption des résolutions « Femmes, paix et sécurité » au Conseil de sécurité des Nations unies.
Entre les années 2008 et 2010, ce ne sont pas moins de cinq résolutions qui ont été défendues par notre pays. Deux supplémentaires l’ont été depuis le mois de juin 2013. Mes chers collègues, la législation internationale existe et s’adapte aux réalités et aux atrocités des conflits.
Toutefois, aussi étendue et prolixe qu’elle puisse être, la législation onusienne ne pourra véritablement s’appliquer que lorsque les conditions de son exercice seront réunies. C’est à cet instant seulement qu’elle prendra tout son sens, notamment pour les victimes qui verront enfin les auteurs de ces crimes barbares condamnés dans des instances et structures pénales internationales reconnues par tous les États membres de l’ONU.
C’est à cette seule condition et à ce moment précis que le symbole sera dépassé par la réalité et que le travail mené par tous sera enfin récompensé.
Les documents sur le sujet sont aussi abondants qu’édifiants. Ils le sont jusqu’à la nausée ! Du récit d’une jeune Berlinoise qui a tenu un journal du 20 avril au 22 juin 1945, jusqu’à ceux des femmes du Rwanda, en passant par les comptes rendus du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, les faits sont les mêmes et à des échelles géographiques proportionnellement comparables.
Malgré les moyens d’information et les aides au développement, la folie humaine fait toujours autant de ravages et les femmes en paient le très fort prix, atteintes au cœur même de leur vie, à la racine de tout épanouissement possible !
Les témoignages sur la République du Congo, sur la Libye et sur la Syrie démontrent que, au XXle siècle, l’humanité est toujours capable du pire et même de ce que jamais notre imagination n’oserait envisager, sauf à se découvrir souffrant d’une pathologie grave…
Tout d’abord, il me semble important de bien comprendre que les violences faites aux femmes ne sont en aucune situation excusables ni compréhensibles ! Elles doivent être dénoncées et combattues en temps de paix comme en temps de guerre !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Gournac. Bien que les chiffres de la maltraitance demeurent trop élevés – ils le demeureront toujours, quel qu’en soit le niveau –, nous devons nous réjouir de constater que la mobilisation nationale et internationale ne faiblit pas.
Pourtant, il reste encore beaucoup à faire quand des jeunes filles subissent des viols collectifs en Inde ou que, dans certains pays, c’est le fait d’être violé qui est condamné par la justice, non celui de commettre un viol !
Pour ce qui concerne les actes de viol commis en temps de guerre ou de conflit ethnique et religieux, il est impératif que la France et la communauté internationale réagissent beaucoup plus vivement et plus efficacement.
Mes chers collègues, je ne prétends pas que rien en ce domaine n’est fait. Comme je l’ai dit, les progrès réalisés en matière de législation internationale sont tangibles. Il faut les concrétiser. Et la délégation aux droits des femmes du Sénat, à laquelle je suis fier d’appartenir, peut véritablement se féliciter du travail qu’elle accomplit. Le rapport de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, qui la préside, constitue un véritable état des lieux. C’est une formidable synthèse qui a su conjuguer témoignages accablants et analyses. La tâche n’était pas aisée. Nous ne sommes, en effet, ni des juges internationaux, ni des géopoliticiens, ni des médecins.
Aussi la démarche renferme-t-elle en elle-même plusieurs problématiques. Cet excellent rapport est une première pierre. Nous nous sommes attachés à l’ensemble des enjeux propres à cette question. Il convient désormais– la tâche n’est pas simple – d’esquisser des pistes pour aboutir à des propositions concrètes.
Quel rôle la France peut-elle tenir face à ces atrocités et à quel niveau ? Pour cette raison, je pense que ce rapport doit dépasser le cadre de notre hémicycle.
Aussi je ne puis que regretter que les ministres des affaires étrangères et du développement n’aient pas été auditionnés. Certes, nous avons reçu la ministre déléguée chargée de la francophonie.
Je souhaite rappeler en cet instant à quel point l’audition relative à la République démocratique du Congo fut l’une des plus pénibles pour la délégation. Les exactions commises sur les nourrissons au Kivu, une région située à l’Est du pays, limitrophe de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi, sont terrifiantes !
Pour que notre cause progresse, il faut une diplomatie plus active, qui dépasse le strict cadre de la francophonie. Je fais cette remarque en dehors de toute considération politique, car le sujet concerne ce qu’il y a de plus vital physiquement et moralement chez l’être humain. Aussi ne saurait-il en aucune façon être politisé, ce qui serait une insulte de plus faite aux victimes. On ne saurait tolérer aucune polémique lorsqu’on aborde des sujets aussi graves que le viol sur des nourrissons. Ce serait le comble de l’indignité !
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Face à l’horreur, il n’y a pas de majorité politique qui tienne, seul le consensus est de mise !
Je travaille dans la délégation aux droits des femmes depuis assez longtemps pour savoir que ces sujets, aussi tragiques soient-ils, ont du mal à trouver dans les agendas la place qui, de droit, leur revient.
Mme Michelle Meunier. C’est vrai !
M. Alain Gournac. Mais si nous sommes là aujourd’hui, c’est pour regarder devant nous, pour aller de l’avant, pour mobiliser nos concitoyens, les pouvoirs publics, nos partenaires européens et internationaux, et pour proposer, car c’est notre rôle de parlementaire !
Le rapport de la présidente de la délégation est très riche et très dense. Il retrace notamment les auditions des responsables du monde associatif, qui se sont exprimés avec beaucoup de franchise, avec des accents de vérité, éprouvant parfois des difficultés à parler tant les choses étaient graves ! Ils regardent l’horreur droit dans les yeux, continuent sans relâche un formidable travail, qui est une véritable promesse d’espoir : Amnesty international, Gynécologie sans frontières, l’UNICEF, le Comité international de la Croix-Rouge, d’autres encore ont répondu aux sollicitations de notre délégation.
Je tiens également, après Mme Gonthier-Maurin, à me réjouir que des représentants du ministère de la défense aient aussi participé à nos auditions. Cela démontre bien la pluralité des enjeux et l’ampleur du sujet.
Je ne peux revenir sur tous les aspects de la question. En revanche, je souhaite insister à cette tribune sur quelques aspects essentiels.
Tout d’abord, si le viol de femmes, d’enfants et de personnes âgées est un phénomène inhérent aux conflits armés, il ne faut surtout pas pour autant le banaliser. Il faut s’en émouvoir, s’en alarmer au plus haut point, le dénoncer vigoureusement, le punir.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre pays connaît ce bien précieux entre tous qu’est la paix. Notre conscience en est presque émoussée par l’habitude, au point que pour beaucoup, notamment pour les jeunes générations, la guerre n’est plus qu’un spectacle dont on suit les épisodes à la télévision. Ses effets, ses conséquences, les atrocités qu’elle charrie virent à la fiction, quand il faudrait que les médias les explicitent plus souvent pour attiser une prise de conscience générale.
Le viol, cet acte ignoble, part, chez le guerrier, d’une volonté de souiller l’ennemi afin de nuire, par une descendance au sang mêlé, à son unité ethnique. Il entend également avilir la femme comme telle, en en faisant un objet sexuel, un exutoire pour la soldatesque. C’est insupportable ! Nombre de pages du journal de cette jeune Berlinoise dont je vous ai parlé au début de mon intervention, sont littéralement glaçantes d’effroi.
Force est de le constater, la barbarie a ouvert une nouvelle porte dans l’enfer lors de la guerre en ex-Yougoslavie. Le viol y a été théorisé et combiné avec une volonté génocidaire.
L’organisation de camps de « femmes-à-violer » – entendez-vous, mes chers collègues ? – auxquelles on a imposé des grossesses est une tragédie épouvantable. Ces camps étaient des « usines » à enfants, destinées à servir une politique démographique ethnique.
Oui, mes chers collègues, les termes peuvent choquer, mais ce fut la réalité. C’était hier !
Trente ans après ces terribles événements et à l’heure où l’Union européenne s’apprête à mettre en place des processus et des mécanismes préalables à l’intégration de certains pays de l’ex-Yougoslavie, il importe de connaître la réalité historique et humaine. Que sont devenues ces femmes ? Que sont devenus ces enfants ?
Il en est de même pour ce qui se passe aujourd’hui en République démocratique du Congo, où des viols sont commis sur des femmes et des enfants. Ce sont des escadrons entiers qui bafouent les droits de l’homme et ceux de l’enfant.
C’est pour cela, mes chers collègues, que ce sujet doit trouver un relais diplomatique fort. A-t-il été abordé lors du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique au mois de décembre dernier, alors que bon nombre de chefs d’État africains étaient présents ? Hélas, non ! C’est à travers des programmes d’aide au développement, axés aussi sur l’éducation, que la France pourra œuvrer et aider ces femmes meurtries.
De plus, il me semble très important que ces femmes puissent se reconstruire tant psychologiquement que physiquement. Madame la ministre, dans le domaine de la chirurgie réparatrice, la France a un savoir-faire spécifique. Il serait très intéressant que des coopérations universitaires et médicales puissent être mises en place entre les pays où les viols ont eu lieu et notre pays.
Je pense notamment au docteur Pierre Foldes et à l’Institut de santé génésique qu’avec d’autres il a créé à Saint-Germain-en-Laye. Cet expert international prodigue ses conseils depuis des années auprès de certaines ONG.
Il est du devoir de la France de mettre ce savoir et cette expérience au service de toutes ces femmes ; c’est également sa vocation. Ce sera le meilleur moyen d’endiguer l’horreur et de redonner un tant soit peu à ces femmes le goût de la vie qu’elles ont perdu.
En tant que membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je pense que les politiques de coopération doivent être multiformes et innovantes ! Pourquoi alors ne pas aller de l’avant et sortir des coopérations classiques ? Pourquoi ne pas adapter notre coopération aux besoins des pays à qui nous la destinons ? La coopération médicale peut être un formidable moyen de retour à la vie pour ces femmes. Sachons saisir cette opportunité !
Pour conclure, madame la ministre, je forme le vœu que la diplomatie de notre pays puisse se faire mieux entendre sur ce sujet des violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés. Pour cela, qu’elle décide de hausser le ton en rappelant des principes intangibles, dont aucun relativisme culturel ne doit nous faire douter ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’exprimait en ces termes en 2009 : « Les violences sexuelles contre les femmes sont un crime contre l’humanité. Elles vont à l’encontre de toutes les valeurs défendues par l’Organisation des Nations unies. [Elles] sont donc autant d’agressions à l’encontre de nous tous, qui sapent les fondements mêmes de la civilisation. »
Si les violences sexuelles faites aux femmes, qu’il s’agisse du viol, de l’esclavage sexuel, de la grossesse ou de la prostitution forcées, ont accompagné toutes les guerres de l’histoire, cette réalité dramatique a pourtant longtemps été passée sous silence.
C’est la découverte, au début des années quatre-vingt-dix, des atrocités sexuelles commises pendant la guerre en ex-Yougoslavie qui a provoqué une prise de conscience de la communauté internationale. En effet, selon les estimations des Nations unies, près de 50 000 femmes ont subi des violences sexuelles en Bosnie-Herzégovine. Quelques autres exemples tragiques existent. Ainsi, on avance le chiffre de 500 000 femmes violées lors du génocide au Rwanda ; plus de 50 000 femmes ont subi des violences sexuelles durant le conflit en Sierra Leone ; près de 40 viols seraient commis chaque jour dans la région du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo...
Alors que les civils restent les principales victimes des conflits contemporains, force est de constater que ces actes de violence sexuelle ne se produisent pas de manière sporadique. Ils sont conçus comme de véritables stratégies de la terreur, s’inscrivant dans le cadre d’attaques systématiques ayant pour finalité de détruire, terroriser, humilier ou faire déplacer des communautés entières, au-delà de la douleur infligée aux femmes victimes. On peut donc très clairement parler de la violence sexuelle comme d’une arme de guerre.
La principale difficulté à laquelle nous nous heurtons pour appréhender ces violences dévastatrices est le silence des victimes dû en partie à la crainte que celles-ci ont d’être stigmatisées et à la peur de représailles et qui explique le faible nombre des dénonciations et l’impunité des responsables de ces crimes. C’est notamment ce qui ressort du travail réalisé par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes à la fin de l’année 2013, travail que je tiens à mon tour à saluer.
Ce sentiment d’impunité est également alimenté par les dysfonctionnements du système judiciaire des pays concernés, qui laissent les victimes face à leur souffrance et nient leur droit à la justice et à la réparation.
Au Tchad, par exemple, les auteurs de viols et d’autres actes de violences perpétrés contre des réfugiées sont rarement traduits en justice, comme le rapporte Amnesty International. La faiblesse du cadre juridique tchadien, le manque de personnel judiciaire compétent et l’absence d’une réelle volonté politique de la part des pouvoirs publics expliquent cette situation, que l’on retrouve malheureusement dans de nombreuses zones de conflit...
Des progrès judiciaires importants ont toutefois été accomplis ces dernières années. Ainsi, le droit pénal international prend progressivement en compte les violences sexuelles faites aux femmes au cours des conflits armés. Aussi, les statuts des tribunaux internationaux ad hoc ainsi que ceux de la Cour pénale internationale incriminent explicitement les actes de violence sexuelle comme des crimes contre l’humanité ou crimes de guerre, même si très peu de condamnations ont été prononcées à ce jour par rapport au nombre de victimes.
Le Conseil de sécurité des Nations unies s’est également saisi de cette problématique à travers un corpus de résolutions intitulé « Femmes, paix et sécurité » fondant son action sur la résolution 1325. Celle-ci prévoit l’accroissement du rôle des femmes dans les opérations des Nations unies et appelle les parties à un conflit armé à prendre des mesures particulières pour protéger les femmes contre les actes de violence sexuelle.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous réjouir de l’existence de ce cadre juridique, dont l’élaboration a été rendue possible notamment grâce au soutien de la France. Dans la lignée des résolutions « Femmes, paix et sécurité », la France a d’ailleurs adopté, comme une trentaine de pays dans le monde, un plan national d’action.
Alors que l’armée française est l’une des plus féminisées au monde, ce plan d’action a permis, sous l’impulsion du haut fonctionnaire à l’égalité des droits au ministère de la défense, de renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes au sein des armées, d’une part, la place des femmes au sein des opérations extérieures, d’autre part. Madame la ministre, au moment où le plan d’action français arrive à échéance, quels seront les principaux axes de sa mise à jour ? Êtes-vous en mesure de nous apporter quelques précisions à ce sujet ?
Quoi qu’il en soit, la plus-value liée à la présence de femmes sur le terrain est indéniable, comme en attestent les retours d’expérience qui nous parviennent de théâtres extérieurs, en Afghanistan ou ailleurs. Il faut désormais développer ces bonnes pratiques, qui facilitent les échanges avec les ONG et les acteurs locaux. Quid, par exemple, d’une présence féminine accrue dans les structures judiciaires post-conflit et les camps de réfugiés qui pourrait permettre de nouer un dialogue de confiance avec les femmes victimes de violences ?
Par ailleurs, il est impératif que la France apporte un soutien plein et entier aux efforts du Secrétaire général des Nations unies et de sa représentante spéciale. Je pense à la politique de « tolérance zéro » pour les actes d’atteinte sexuelle commis dans le cadre des missions de maintien de la paix, qui doit être poursuivie. Sur ce sujet, nous attendons aussi beaucoup de l’Europe. L’Union européenne devrait accroître le nombre de femmes travaillant dans ses propres institutions et nommer un représentant de haut niveau pour les questions « Femmes, paix et sécurité ».
Finalement, dans le domaine normatif, le traité sur le commerce des armes, ouvert à signature au mois de juin dernier, revêt une importance particulière dans la mesure où son article 7 vise explicitement les violences faites aux femmes et engage les États exportateurs à s’assurer que les armes classiques ne puissent servir à commettre des actes de violence graves contre des femmes ou des enfants. Les membres du groupe UDI-UC appellent la France à tout mettre en œuvre pour encourager sa ratification en vue de son entrée en vigueur dans les meilleurs délais.
En dépit de ces diverses initiatives, l’action internationale reste défaillante et les violences sexuelles sont encore très présentes dans les zones de conflit, République démocratique du Congo, Syrie, Centrafrique, Darfour, Sud-Soudan, etc.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Marie Bockel. La fin de l’impunité reste un but à atteindre et, le plus souvent, la communauté internationale se trouve incapable d’agir.
Pour conclure, j’évoquerai quatre aspects sur lesquels nous devons, selon moi, concentrer notre action.
Premièrement, il faut accroître la prévention. La société civile a joué un rôle crucial pour porter le débat au sein de la communauté internationale, tout en agissant localement dans des conditions difficiles aux côtés des victimes de violences sexuelles. Les moyens des ONG et associations devraient donc être confortés, en mettant particulièrement l’accent sur les programmes d’éducation à l’égalité entre hommes et femmes.
Deuxièmement, il faut renforcer la protection. L’ONU devrait prendre des mesures pour permettre aux missions de maintien de la paix, dans le respect de leur mandat, de protéger les femmes contre toutes formes de violence, de faciliter le travail de la justice, d’identifier et d’évacuer les victimes lorsque de tels actes surviennent. L’octroi du statut de réfugié pour des motifs humanitaires aux femmes victimes de violences pendant un conflit devrait être systématisé.
Troisièmement, il faut développer l’assistance. L’un des éléments les plus fondamentaux consiste à restaurer la dignité des femmes victimes, car elles ont souvent un sentiment de honte et de culpabilité après de telles agressions. Au-delà de l’aide d’urgence, les services de soutien devraient inclure les besoins plus complexes et à plus long terme des victimes et de leur famille : soins médicaux, soutien psycho-social, logement, assistance juridique, services liés à l’emploi, etc. La déclaration du G8 de Londres sur la prévention des violences sexuelles en 2013 s’inscrivait dans cette démarche, mais quid des mesures concrètes ?
Quatrièmement, il faut intensifier les poursuites. Afin que la victime ne porte plus le stigmate du crime qu’elle a subi, il faut en finir avec l’impunité. Les gouvernements nationaux portent la responsabilité première de poursuivre et de punir les responsables de ces crimes. Pourquoi ne pas utiliser de nouveaux outils, comme les institutions de la francophonie, pour sensibiliser les États à la nécessité de sanctionner les auteurs de ces violences, via un renforcement de leur système judiciaire ? Sur ce point, je rejoins la suggestion de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin.
En définitive, nous sommes face à un paradoxe. Malgré un engagement de la communauté internationale et une montée en puissance normative, les violences sexuelles perdurent dans les zones de guerre. Ce sentiment d’impuissance appelle une réponse globale, qui nécessite volonté politique, ressources adéquates et engagement concerté et durable des multiples acteurs.
Il est urgent d’agir, car, pour reprendre les mots de Ban Ki-moon, les « conséquences [de ces violences faites aux femmes] dépassent de loin ce qui est visible et immédiat ». C’est finalement un véritable enjeu de civilisation...
Le débat qui a lieu aujourd'hui doit contribuer à accélérer la prise de conscience dans notre pays. La France est présente sur les théâtres de conflits et ne reste pas égoïstement repliée sur elle-même. Sa tradition la conduit, plus que d’autres pays peut-être, à se sentir concernée par ce qui se passe sur la scène internationale. En tant que pays des droits de l’homme, c'est-à-dire aussi des droits de la femme, elle a une responsabilité particulière.
Le plaidoyer vibrant et convaincant de notre collègue qui m’a précédé à cette tribune et le travail de Mme la présidente de la délégation sont une contribution remarquable à cette démarche. Nous devons tous apporter, modestement, mais avec beaucoup de force et de conviction, notre pierre à l’édifice. Madame la ministre, je vous remercie de nous y encourager. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, dans les conflits armés qui font aujourd’hui la une de l’actualité, en Syrie, au Sud-Soudan ou en Centrafrique, les violences sexuelles dont sont victimes les femmes, malheureusement trop souvent passées sous silence, s’ajoutent au chapitre des atrocités. Elles ont pris une dimension insoutenable et insupportable.
L’un des grands mérites du rapport de la délégation aux droits des femmes est de nous permettre de débattre de ce sujet – je félicite Mme Gonthier-Maurin d’avoir choisi de mettre plus spécialement en lumière ces atrocités – à partir d’éléments précis et concrets, afin de dépasser les faciles condamnations morales, les vœux pieux, et de proposer des solutions pour éradiquer ce fléau.
Ce rapport dresse notamment un état des lieux qui est, pour reprendre l’expression choisie, proprement « bouleversant ».
Mais il met aussi heureusement en évidence la prise de conscience croissante de la communauté internationale sur ce sujet, laquelle s’est traduite par de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, et par la construction d’un cadre juridique, en particulier après 2008, à la suite du regain de violence au Kivu, qui s’est exprimé par le viol de 30 000 femmes en une seule année.
Ces résolutions constituent une étape importante, car on ne peut efficacement combattre ces drames par les seules condamnations morales, aussi unanimes et solennelles soient-elles.
Il faut nécessairement que les engagements des États et des institutions internationales soient concrets, publics, et surtout assortis d’obligations.
Ainsi, pour appuyer avec détermination la lutte contre les viols et violences sexuelles commis lors des conflits armés, il nous faut apprécier à leur juste valeur les évolutions, mais aussi les insuffisances de ces diverses résolutions du Conseil de sécurité.
À cet égard, le rapport de la délégation aux droits des femmes nous donne des informations très utiles pour prendre la mesure des responsabilités des États en la matière.
Même si, la plupart du temps, ils ont des effets limités, ces textes, qui contribuent au droit international, sont toujours le reflet et la traduction d’âpres discussions, d’échanges et de la volonté de trouver des solutions.
Ils nous incitent en cela à observer avec un certain optimisme des relations internationales trop souvent conflictuelles, parce qu’elles sont fondées uniquement sur la défense d’intérêts contradictoires. La résolution 1325, adoptée au mois d’octobre 2000 par le Conseil de sécurité, à l’application de laquelle ce rapport nous invite à réfléchir et en faveur de laquelle il nous incite à nous mobiliser, participe de ce mouvement encourageant.
Cette résolution a pu être qualifiée de « véritable révolution » par la représentante française d’ONU Femmes, Fanny Benedetti, que votre délégation a auditionnée, madame Gonthier-Maurin.
En effet, un pas décisif a été franchi, puisque désormais toutes les institutions chargées de la paix et de la sécurité internationales à l’ONU ont la compétence pour s’emparer des questions de viols et de violences sexuelles commis en temps de guerre.
De manière solennelle, je reprends à mon compte ce mot de « révolution », car j’estime que l’acte le plus marquant de la résolution 1325 est de reconnaître les viols et violences sexuelles perpétrés lors des conflits comme un véritable crime contre l’humanité.
En outre, cette résolution souligne clairement le lien qui doit être établi entre les violences subies par les femmes dans ces situations et le rôle qu’elles peuvent jouer en général en matière de reconstruction et de rétablissement de la paix dans les pays concernés.
Dans cette perspective, la résolution exige donc des pays qu’ils mettent en œuvre des mesures concrètes lorsqu’ils participent à des opérations militaires de maintien de la paix, comme cela peut être le cas de la France dans le cadre des OPEX, les opérations extérieures, au Mali, en République démocratique du Congo ou en Centrafrique.
Pour ce faire, le rapport de la délégation rappelle très justement que les mesures de la résolution 1325 doivent être déclinées en un plan national d’action, autour des « 3 P » : prévention des violences, protection et participation accrue des femmes au règlement des conflits.
Il y a là, me semble-t-il, une traduction fidèle des exigences de la résolution, puisque, selon le dernier point, il s’agit non plus seulement de penser les femmes comme des victimes, mais surtout de prendre en considération, sur les théâtres d’opération, le rôle décisif que peuvent jouer les femmes de ces pays en tant qu’acteurs de règlement pacifique des conflits.
Ce programme national prévoit également le renforcement de la participation des femmes militaires aux missions de maintien de la paix et aux opérations de reconstruction, ainsi que la sensibilisation au respect du droit des femmes au travers des formations spécifiques pour les personnels, hommes et femmes, militaires et civils envoyés en opérations extérieures.
Il faut vraiment considérer comme un important changement de mentalité cette vision du rôle des femmes.
Je voudrais dire, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que j’ai particulièrement apprécié la précision des informations et les explications fournies par les deux représentants de l’état-major de nos forces armées lors de leur audition par la délégation, ainsi que leur exposé des difficultés de mise en œuvre de ces mesures.
Comme l’a d’ailleurs relevé, au cours d’une audition, Mme Castagnos-Sen, représentante d’Amnesty International, le ministère de la défense serait le seul à avoir véritablement tiré les conséquences de l’application du plan d’action national de la France, notamment à travers l’élaboration d’un programme de formation de ses personnels composant les forces de maintien de la paix.
Ces efforts, méconnus, destinés à introduire des principes éthiques et moraux dans nos interventions militaires à l’étranger, méritent vraiment d’être notés et popularisés, notamment lors des auditions effectuées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à laquelle plusieurs d’entre vous appartiennent également, mes chers collègues. Celle-ci accorde une grande attention à tous les aspects des opérations extérieures. (M. Alain Gournac approuve.)
Je propose – vous en êtes les témoins aujourd’hui – que le sujet qui nous occupe aujourd’hui soit davantage placé au cœur des préoccupations de notre commission. (Marques d’approbation sur plusieurs travées.) Nous aurions alors le sentiment d’avoir mieux accompli notre devoir sur cette question. D’ailleurs, nous inscrirons ce thème à l’ordre du jour des questions que nous poserons lors de la prochaine visite que nous rendrons à nos soldats en mission en Centrafrique. Pour ma part, je profiterai de cette occasion pour m’informer des dispositions qui sont prises par nos forces pour traiter de ces diverses exactions. En l’absence d’informations précises, je crains malheureusement que les exactions commises au cours de cette guerre civile ne soient particulièrement atroces.
C’est aussi par le biais d’un cas concret comme celui-ci que je conçois le contrôle parlementaire sur l’application de cette résolution par notre pays.
Au plan international, parmi les avancées dans la prise de conscience de l’horreur des violences sexuelles faites aux femmes, je voudrais également mentionner le traité sur le commerce des armes, dont nous avons voté ici même la ratification au mois d’octobre dernier.
L’article 7 de ce texte vise explicitement les violences faites aux femmes et engage les États exportateurs à s’assurer que les armes classiques ne puissent servir à commettre des actes de violences sexuelles ou des actes graves contre des femmes et des enfants. Voilà encore une tâche à laquelle nous pourrions nous atteler dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le rapport de la délégation aux droits des femmes note enfin qu’il reste bien entendu beaucoup à faire, au plan tant international que national, pour lutter efficacement contre ces phénomènes inhumains et les éradiquer, en particulier s’agissant du traitement de l’impunité, quasi totale, dont bénéficient aujourd’hui encore les auteurs de ces violences.
De ce point de vue, l’apport d’une aide importante au renforcement des moyens de fonctionnement des institutions judiciaires des pays concernés après les conflits préconisé par le rapport me paraît essentiel.
À cet égard, le procès qui s’ouvre aujourd’hui devant la cour d’assises de Paris à l’encontre d’une personne accusée d’avoir commis voilà plusieurs années des crimes contre l’humanité au Rwanda mérite d’être suivi avec attention et pourrait avoir valeur d’exemple. Nous devons y prêter une attention particulière.
Par ailleurs, je souscris totalement à la nécessité d’un plus grand soutien aux ONG et aux associations qui, sur le terrain, au plus près des populations, jouent un rôle considérable de prévention puis aident les victimes à l’issue des conflits. D’ailleurs, si nous pouvons aujourd’hui dénoncer avec force certaines situations, c’est en grande partie grâce au travail efficace d’alerte qu’elles ont mené.
Les ONG agissent donc bien souvent comme lanceurs d’alerte, et sont ensuite plus facilement acceptées par les victimes que les États en tant que tels.
Telles sont les principales réflexions que m’inspire ce rapport de grande qualité. Pour ma part, j’en soutiens les préconisations et je veillerai, dans l’exercice de mes responsabilités, à ce qu’elles puissent être rapidement mises en œuvre.
Ce serait ainsi une contribution éminente de notre assemblée à la lutte contre les viols et les violences sexuelles faites aux femmes à travers le monde. (Applaudissements.)