M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un lieu commun : l’eau est un élément essentiel à la vie. C’est tellement vrai que les hommes, pour leur consommation ou leurs activités, ont toujours cherché à s’installer à proximité de l’eau, depuis les oasis jusqu’aux abords des sources, des fleuves et des rivières, ou ont utilisé leur génie pour construire des barrages ou des aqueducs.
Dans les régions du globe où l’eau est rare, les sociétés humaines ont mis en place des systèmes, plus ou moins compliqués, plus ou moins égalitaires, pour assurer l’accès de chacun à la ressource, notamment pour les activités agricoles.
En revanche, dans nos pays tempérés, l’abondance de l’eau n’a pas contraint à une régulation par la puissance publique avant le XXe siècle ! Ce n’est que dans la seconde moitié du siècle dernier, avec l’accroissement de la demande et la concurrence renforcée entre les utilisateurs, notamment l’industrie lourde et l’agriculture intensive, avec l’irrigation, que l’État a dû s’intéresser de près à la protection de la ressource et à la régulation de son utilisation.
Au-delà de ses frontières, la France a activement œuvré à la reconnaissance du droit à l’eau pour les populations, soutenant, en juillet 2010, la résolution de l’Assemblée des Nations unies qui proclamait pour la première fois au niveau international le droit à l’eau potable et à l’assainissement.
Une fois ce droit reconnu, encore faut-il préciser de quelle façon il peut être mis en œuvre…
Certains font l’erreur de comparer l’eau que nous buvons à l’air que nous respirons. L’air est inépuisable, il n’a besoin ni d’être acheminé vers nous ni d’être traité ou conditionné pour être inhalé – même s’il faut, de temps en temps, prendre des mesures pour éviter qu’il ne soit trop pollué.
Au contraire, les ressources en eau sont limitées et nécessitent, pour parvenir aux consommateurs, des réseaux et des traitements impliquant un niveau de technicité de plus en plus élevé, en particulier quand il est nécessaire de dépolluer. Il ne suffit plus de prendre l’eau à la source et de la conduire au lieu de consommation comme le faisaient les aqueducs de l’Antiquité : il faut désormais mettre en œuvre des processus physico-chimiques et biochimiques toujours plus complexes, surtout pour l’assainissement, afin d’assurer la protection de la santé des consommateurs.
Les pouvoirs publics ont un devoir de veille quant à la qualité de l’eau livrée aux consommateurs.
En particulier, les élus communaux et intercommunaux ont des responsabilités importantes dans le dispositif. Ils doivent superviser la distribution de l’eau potable, la collecte et le traitement des eaux usées, les investissements nécessaires – avec le soutien des agences de l’eau et des collectivités territoriales – et le choix du mode de gestion, qui peut aller de la régie à la délégation de service public, la DSP.
Sur cette question, ceux qui estiment qu’il n’y a de salut que dans la gestion publique directe de l’eau potable me semblent défendre des positions dogmatiques. (Mme Évelyne Didier et M. Philippe Kaltenbach protestent.)
Les solutions choisies par les élus locaux sont très diverses, quelle que soit leur appartenance politique !
MM. Henri de Raincourt et Christian Cambon. Très bien !
M. Raymond Couderc. Il n’y a pas de solution modèle qui pourrait être généralisée à tout le pays.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Voilà !
M. Raymond Couderc. L’examen des chiffres ne permet pas non plus d’affirmer que la régie serait plus ou moins chère que la DSP.
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. Raymond Couderc. Il faut également rappeler que certaines régies sont des DSP déguisées, à travers la passation de contrats de prestation de services. Ce sont des faux-nez !
M. Christian Cambon. Comme à Paris, où la Ville a de nouveau conclu un contrat avec Veolia !
M. Philippe Kaltenbach. C’est moins cher !
M. Raymond Couderc. Enfin, la possibilité de choix entre plusieurs modes de gestion et plusieurs délégataires permet la mise en œuvre d’une vraie concurrence.
M. Philippe Kaltenbach. Lisez Que choisir !
M. Raymond Couderc. Certes, il y a une bonne décennie, les grandes sociétés du monde de l’eau n’avaient pas véritablement la possibilité ni, d'ailleurs, la volonté d’engager une vraie concurrence susceptible d’aboutir aux prix et aux conditions les plus favorables aux consommateurs et de recourir aux techniques les plus pointues pour le traitement et pour la distribution. Mais, aujourd'hui, la situation a changé !
N’oublions pas non plus que la France, à travers ses grandes entreprises de l’eau, jouit d’un savoir-faire reconnu dans le monde entier, grâce au haut niveau de technicité mis au point sur le territoire national.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. Ce n’est pas à l’usager de payer !
M. Raymond Couderc. Au vu de l’importance vitale que revêt cet élément indispensable, nous devons laisser une large marge de manœuvre aux collectivités locales dans l’appréciation du mode de gestion de l’eau le plus adapté à leur territoire, en fonction, notamment, des critères de coût et de qualité de service.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Raymond Couderc. Ne soyons pas dogmatiques sur ce sujet !
M. Philippe Kaltenbach. C’est pour vous que vous pouvez dire cela !
M. Raymond Couderc. Ne cherchons pas à appliquer une solution unique à une multitude de situations.
Au contraire, les élus tant nationaux que locaux doivent prendre leurs responsabilités et s’adapter à la diversité des territoires, afin de fournir les réponses de distribution et de traitement de l’eau adéquates. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Henri Tandonnet et François Fortassin applaudissent également.)
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Discours très raisonnable !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Gaouyer.
Mme Marie-Françoise Gaouyer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous prenons chaque jour un peu plus la mesure des enjeux environnementaux auxquels doit faire face notre société contemporaine. Dans notre quotidien d’élus locaux, nous en éprouvons les complexités multiples et prenons conscience d’interconnexions dont nous ne pouvons plus faire l’économie.
Il est pourtant un sujet qui reste relativement confidentiel, au regard de ce qu’il devrait être et de la place qu’il est appelé à prendre dans un avenir plus proche que ce que nous imaginons : le droit à l’eau.
C’est pourquoi je me réjouis que notre assemblée ait pris la décision d’organiser ce débat, qui, bien que limité dans le temps, permettra de resituer un certain nombre d’éléments de compréhension et de pistes de réflexion.
Une des raisons pour lesquelles la question du droit à l’eau reste si souvent secondaire tient peut-être à la difficulté d’isoler les problèmes et de répertorier les enjeux. Derrière son apparence simple, l’énonciation du droit à l’eau dissimule une réalité complexe où tout se tient.
En effet, finalement, l’eau est partout : elle fait partie de notre environnement quotidien.
Nous avons évoqué le petit cycle, celui qui débouche sur sa distribution chez les particuliers pour une utilisation domestique et qui soulève, notamment, la question de la tarification sociale, que mes collègues n’ont pas manqué d’évoquer. Mais, dans le cadre du débat d’aujourd'hui, nous devons tout autant nous préoccuper du cycle, plus grand, des fleuves et des rivières.
C'est la raison pour laquelle je souhaite évoquer cette eau qui nous entoure, que nous oublions parfois de voir, mais qui nous est si essentielle.
Dans son rapport intitulé « Les efforts de surveillance de la qualité des cours d’eau », l’Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, dénombrait, en 2010, 11 500 masses d’eau de surface sur le territoire – métropole et outre-mer –, dont 10 800 cours d’eau.
Les cours d’eau constituent l’un des premiers maillages naturels de notre pays, si ce n’est le premier. Ils sont autant de traits d’union qui relient les citoyens de l’amont et ceux de l’aval. Ils rendent possibles nos activités, qu’il s’agisse des échanges commerciaux, de l’agriculture, du tourisme ou encore de l’industrie.
Ils sont aussi de véritables remparts écologiques, qui peuvent nous protéger. En effet, un cours d’eau dont le rythme et les équilibres initiaux sont optimaux a moins de risques d’être ou en crue ou asséché ; il retient ses berges, stabilise les sols, favorise la biodiversité et la photosynthèse.
Le plus souvent, on parle – à juste titre, du reste – de l’influence des hommes sur les cours d’eau. Il serait tout aussi pertinent de s’intéresser à l’influence des cours d’eau sur la vie et les activités des hommes.
En effet, les nombreux bénéfices que nous tirons, individuellement et collectivement, de ce maillage naturel sont à la fois nécessaires et fragiles, car ils portent en eux les germes de leur propre destruction. À cet égard, je suis convaincue que ces bénéfices sont d’autant plus importants que les cours d’eau sont gérés de manière équilibrée et économe.
C’est pourquoi il est tout à fait opportun et nécessaire de parler du droit à l’eau à grande échelle : le droit à l’eau, c’est aussi le droit à des cours d’eau de bonne qualité, dont les rythmes naturels sont respectés et les activités humaines qui s’y croisent le sont aussi. Pourtant, notre connaissance du grand cycle demeure insuffisante, ainsi que l’a constaté le Conseil d’État, dans son rapport annuel de 2010 – rapport de référence – intitulé « L’eau et son droit ».
Nous manquons de visibilité sur l’ampleur de la ressource en eau exploitable, maîtrisons encore mal les conséquences du réchauffement climatique, devons progresser dans l’amélioration de la qualité, la lutte contre les pollutions diffuses et dans la connaissance des milieux aquatiques et de la continuité écologique. La gestion du grand cycle est aussi largement perfectible : des problèmes quantitatifs demeurent pendant les périodes d’étiage à cause des besoins d’irrigation importants. En ce qui concerne la lutte contre les inondations, nous avons récemment fait un grand pas en avant, mais notre marge de progression peut être encore importante.
Les faiblesses que je viens de décrire constituent un sérieux handicap lorsqu’il s’agit de rendre effectif ce droit de chacun à bénéficier, dans la limite d’un usage durable et responsable, de tous les bienfaits offerts par les masses d’eau de surface. Ce droit est radical en ce qu’il doit bénéficier autant aux habitants de l’aval qu’à ceux de l’amont. Or tout ce qui se fait en amont a des répercussions sur l’aval ! Nous ne pouvons ni ne devons décréter que les cours d’eau concernés appartiennent à une activité plutôt qu’à une autre.
Il est donc indispensable de réguler, de gérer, de connaître et de protéger. Pour ce faire, il faut des instances compétentes, à double titre : d’une part, en matière de savoir-faire, d’expérience, d’expertise et, d’autre part, sur une unité géographique pertinente, c’est-à-dire, ici, le bassin versant hydrographique. Cette double compétence est la seule à même d’améliorer nos outils de gestion et de prévenir les conflits d’usage.
Permettez-moi de citer l’exemple de l’établissement public territorial de bassin – EPTB –, dont j’ai été présidente : l’EPTB de la Bresle, fleuve qui sépare la Haute-Normandie de la Picardie.
Dans le cadre de l’aménagement du territoire, cet établissement propose aux élus locaux une ingénierie de qualité permettant de lutter contre les érosions et contre le ruissellement. L’EPTB intervient à la bonne échelle pour trouver des solutions à des problèmes d’eau qui n’ont rien à faire des limites administratives. Cette échelle permet de faire exister la notion de continuité écologique, que nous nous devons de prendre en compte.
Notre territoire est pour le moins hétérogène en ce qui concerne sa couverture par des instances de gestion et de régulation des cours d’eau.
Les EPTB, au nombre de trente-six en France, sont de taille et d’importance extrêmement variées ; un peu plus de 50 % du territoire est couvert par un schéma d’aménagement et de gestion des eaux, ou SAGE. Enfin, les six agences françaises de l’eau assurent une présence à l'échelle de très grands bassins versants.
Les EPTB présentent de bons résultats, et nous en connaissons les mérites. Il est donc absolument nécessaire de renforcer les EPTB déjà existants et d’encourager leur développement. Il est indispensable de disposer, même si ce n’est pas toujours simple d’instances locales, car on ne peut tout centraliser.
Certaines zones où il y aurait un grand intérêt à créer un EPTB et à établir un SAGE en sont dépourvues. Or ces outils permettent de répondre à un double objectif de qualité, en respectant les critères de la directive-cadre sur l’eau avec le moins de retard possible et en instaurant un dialogue démocratique autour de cette richesse commune via les commissions locales de l’eau.
Mais les résistances politiques locales sont parfois tenaces. Il est vrai que le principe de la gestion concertée par bassin versant des EPTB et leur structuration en syndicat mixte ou en institution interdépartementale peuvent être déroutants. C’est un type particulier de coopération.
Cette échelle est pourtant la plus à même d’assurer la solidarité de bassin, c’est-à-dire la cohérence de l’intervention de chaque acteur local sur son territoire, pour éviter les actions redondantes ou contradictoires.
Mes chers collègues, s’il y a un objet de l’action publique pour lequel la notion d’intérêt général doit s’appliquer avec encore plus de rigueur, c’est bien l’eau. C’est le sens de mon intervention d’aujourd’hui, et je sais que nous sommes nombreux, ici, à partager ce point de vue.
Le mode de gouvernance que nous choisissons pour la gestion du grand cycle de l’eau nous dit quelque chose de notre façon d’envisager la gestion de nos territoires. En d’autres termes, la qualité du droit de jouir durablement des bénéfices offerts par les réseaux de notre grand cycle de l’eau dépend de notre capacité à gérer collectivement cet enjeu.
C’est une grande opportunité pour nos territoires et nos collectivités car, si la problématique de l’eau, malgré son importance, n’est pas encore ressentie comme essentielle par la plupart de nos concitoyens, c’est à n’en pas douter leur préoccupation de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Ronan Dantec et Henri Tandonnet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.
M. Félix Desplan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'histoire prête à la Guadeloupe un second nom que lui donnèrent les Indiens Caraïbes en hommage à sa considérable richesse naturelle : Karukéra, ce qui signifie « l’île aux belles eaux ».
Quelle ironie quand on connaît les problèmes liés à l’eau en Guadeloupe ! Certes, la ressource y est abondante. Mais sa disponibilité connaît une répartition spatiale et temporelle très inégale, qui engendre des inadéquations entre besoins, disponibilités et moyens mobilisables.
La Basse-Terre, qui représente 70 % de la ressource, est le château d’eau de la Guadeloupe. Mais c’est en Grande-Terre que les usages sont principalement localisés.
En saison sèche, l’eau est plus rare alors que la demande est plus forte. De nombreuses communes connaissent alors de longues périodes de coupures.
Les volumes disponibles pour l’irrigation sont insuffisants et des tours d’eau sont organisés presque chaque année, avec des dégâts importants pour les cultures.
À ces deux inadéquations naturelles viennent s’ajouter d’autres problèmes mettant à nu l’état actuel de la distribution de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe.
Pour les trente-deux communes que compte le département, pas moins de douze collectivités ont la compétence pour assurer ce service public, avec une importante disparité géographique des prix de l’eau. On estime aujourd’hui que 40 % de la population est raccordée au réseau collectif, contre 90 % dans l'Hexagone. Les volumes de stockage d’eau actuels ne permettent qu’une autonomie de 0,65 jour, bien inférieure aux valeurs préconisées, comprises entre un et deux jours.
L’insuffisante interconnexion du réseau est telle que les différentes unités de distribution ne peuvent se secourir en cas de crise. Même si la qualité bactériologique des eaux distribuées est globalement satisfaisante, certaines sources présentent des pollutions diffuses d’origine agricole, majoritairement liées au chlordécone.
Les équipements datent, pour la plupart, des années soixante, voire du XIXe siècle, et ne sont plus adaptés. Ce mauvais état général se traduit par un faible rendement des réseaux d’adduction et de distribution, avec des pertes de l’ordre de 50 %.
Régulièrement, les médias se font les relais de ces abonnés sans eau d’un service public qui devrait pourtant leur en fournir…
Des familles privées d’eau plusieurs jours consécutifs doivent s'approvisionner quotidiennement à l’aide de jerricanes et se lever dans la nuit pour aller chercher l’eau nécessaire aux usages domestiques. Et il ne s’agit pas de cas isolés puisque toute une partie de la population de la Côte-sous-le-vent, du nord Basse-Terre et du nord Grande-Terre est concernée. La situation est telle que certains ont choisi d’unir leurs voix, à l’instar du collectif de défense des intérêts de la population de Port-Louis, qui n’a de cesse de multiplier les actions.
Égrener cette liste, aussi incomplète qu’elle soit, des problématiques liées à la question de l’eau permet de mettre en perspective une ultime inadéquation : celle du prix rapporté au service rendu.
Avec un prix moyen de l’ordre de 3,61 euros par mètre cube en 2006 – ce qui recouvre la fourniture d’eau potable et l’assainissement –, le poids de la facture dans le revenu des ménages guadeloupéens, bien supérieur à celui de la France hexagonale, est aussi le plus élevé des départements d’outre-mer.
Le prix de l’eau poursuit sa progression alors même que l’usager limite sa consommation. Ainsi, le rapport annuel de l’institut d’émission des départements d’outre-mer de 2012 faisait état d’un repli de 10,6 % de la consommation globale d’eau potable en 2011 par rapport à l’année précédente. Cette situation peut laisser perplexe...
Mon intention n’est nullement, ici, de faire le procès de la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en Guadeloupe, dont on ne peut nier qu’elle a enregistré de réels progrès. L’analyse de la situation, au travers du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, a mis en évidence huit orientations constituant le socle de la stratégie à mettre en place pour améliorer l’existant d’ici à 2015. Du reste, le conseil général et l’office de l’eau de la Guadeloupe viennent de lancer un avis d’appel public à la concurrence pour une étude de faisabilité sur la mise en place d’une structure unique de production d’eau potable. À terme, le prix de l’eau pourrait ainsi être harmonisé.
Nonobstant son caractère vital, le droit à l’eau a été codifié tardivement, en décembre 2006. En dépit de cette consécration, l’état des lieux dont j’ai présenté un résumé nous aura aussi permis de constater le caractère encore abstrait de ce que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a érigé en droit fondamental. Un droit concédé au goutte-à-goutte… (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec un grand plaisir que je me trouve aujourd'hui devant vous, car j’attache une importance particulière à la problématique de l'eau.
Cependant, j’en appellerai à votre indulgence. Chacun sait l'intérêt que mon collègue Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, porte à cette problématique, notamment au regard des études qu’il a menées dans son propre département, le Gers, et je puis vous assurer qu’il aurait souhaité répondre lui-même à vos interventions. Néanmoins, je m’efforcerai de répondre, autant que je le pourrai, à vos interventions.
Ces interventions, je les ai toutes trouvées fort intéressantes, en mesurant le pas que nous avons accompli depuis les aqueducs, sans oublier le tribunal des eaux de Valence sur les marches de sa cathédrale, jusqu’à l'EPTB de la vallée de la Bresle – que je connais bien – ou aux problèmes spécifiques de la Guadeloupe, que M. Desplan vient d’exposer avec beaucoup de pertinence.
Je tiens à remercier tous ceux qui sont intervenus, à commencer par vous, monsieur Favier, qui avez ouvert ce débat sur le sujet essentiel qu’est le droit à l'eau, droit à portée universelle s’il en est, ainsi que l’a souligné Mme Didier.
Le dossier du droit à l’eau a plusieurs dimensions : sociales, sanitaires, environnementales, économiques. Vous avez, les uns et les autres, parfaitement mis en lumière les enjeux de la qualité, de la tarification et de la gestion publique, et nous avons bien compris que le devoir essentiel des gestionnaires publics était de garantir, d’une manière ou d’une autre, le service rendu au citoyen.
Je note également que plusieurs d’entre vous n’ont pas manqué d’insister sur le problème récurrent des non-abonnés à la distribution de l'eau et des solutions qu’il convenait d’y apporter.
Voilà tout un ensemble de problématiques sur lesquelles j’essaierai de vous apporter quelques informations, même si, bien entendu, je ne le ferai sans doute pas aussi bien que Philippe Martin l’aurait fait.
Tous les orateurs ont rappelé que l'eau est un bien commun de l'humanité, une ressource indispensable, une préoccupation quotidienne, pour les Français comme pour tous les peuples. Les chiffres concernant l'eau sont bien connus : l’eau couvre 71 % de la superficie de la planète, mais 1 % seulement de cette ressource est utilisable et consommable. C’est donc aussi un bien précieux, rare, auquel nous devons accorder une attention particulière.
L’un d’entre vous évoquait tout à l'heure la nécessité de mesurer sa consommation personnelle. Eh bien, je crois que c’est un point essentiel, qui mérite toute notre vigilance.
Compte tenu de l’importance du sujet, le Gouvernement a lancé une évaluation de la politique de l’eau dans le cadre de la modernisation de l’action publique, évaluation à laquelle Philippe Martin avait lui-même participé, en tant que parlementaire élu du Gers, avec toute l’attention que justifie la situation de ce département.
Les conclusions de cette évaluation ont été présentées lors de la table ronde consacrée à l’eau à l’occasion de la Conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013, et des décisions résultant de ces conclusions ont été retranscrites dans la feuille de route rendue publique le 27 septembre.
Je signale tout particulièrement à votre attention, monsieur Desplan, que, parmi ces décisions, figure un plan pluriannuel qui devra être décliné dans les départements et collectivités d’outre-mer. C’est là, monsieur le sénateur, un élément de réponse à la spécificité de votre territoire.
Un constat s’impose, tout d’abord. Avoir accès à l’eau potable et à l’assainissement est essentiel pour vivre dans la dignité et garantir les droits de l’homme. Sans accès à une eau de bonne qualité et à des infrastructures d’assainissement, personne ne peut espérer disposer des droits fondamentaux que sont l’hygiène ou la salubrité.
L’accès à l’eau participe au développement de nos sociétés ; il est l’une des conditions de la santé et du bien-être des populations. Des centaines de millions de personnes dans le monde ne jouissent toujours pas de ces droits et six millions de personnes meurent, chaque année, à la suite de maladies liées à l’absence ou à la mauvaise qualité de l’eau.
C’est pourquoi l’inscription, au mois septembre 2000, de l’accès à l’eau et à l’assainissement parmi les huit objectifs du millénaire adoptés lors du Sommet du millénaire de l’Organisation des Nations unies est si importante. L’objectif est clair : réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a accès ni à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base.
Depuis 2000, des progrès ont été accomplis, mais ils restent encore très insuffisants. Ainsi, 11 % de la population mondiale, soit plus de 780 millions de personnes, ne disposent toujours pas d’un accès à l’eau potable. La situation est particulièrement critique en Afrique subsaharienne, et les disparités régionales restent fortes et peuvent être sources de tensions entre les populations.
Malgré la reconnaissance du droit à l’eau comme un droit humain par les Nations unies en 2010, le chemin est encore long pour réduire les inégalités et permettre aux populations défavorisées d’accéder enfin à des conditions de vie et d’hygiène acceptables.
Face à l’immense défi posé au niveau mondial, la France, parce qu’elle est la patrie des droits de l’homme, a une responsabilité particulière dans la recherche des solutions pour mettre en œuvre efficacement le droit de l’eau pour les populations les plus défavorisées à l’échelle mondiale.
La France a été pionnière dans la reconnaissance d’un droit à l’eau, que vous avez à nouveau essayé de définir, mesdames, messieurs les sénateurs.
Dès 1992, le législateur a affirmé : « L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. »
La loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, à laquelle plusieurs d’entre vous ont fait référence, a consacré le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous.
Toutefois, chacun d’entre vous en est conscient dans cette enceinte, il reste beaucoup à réaliser pour rendre ce droit à l’eau effectif. La mise en œuvre de ce droit ne peut se faire que si elle s’appuie sur une gouvernance forte, transparente, permettant les initiatives locales et la participation de toutes les parties prenantes.
Vous le savez, la France promeut la gestion par bassin versant, associée à une planification, une instance de concertation et un recouvrement des coûts. L’affirmation du rôle des autorités locales dans la gestion de l’eau et de l’assainissement est une certitude partagée ; elle est indispensable pour la résolution des conflits, le développement des compétences et la planification financière.
À cet égard, je me permets de rappeler que le Sénat a été à l’origine d’une disposition particulière sur la gestion des milieux aquatiques introduite dans la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles qui vient d’être promulguée. Je pense à la mise en place des établissements publics territoriaux de bassin et des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau, afin de mieux valoriser les schémas d’aménagement et de gestion des eaux. C’était un point important.
Mettre en œuvre le droit à l’eau, c’est aussi garantir le financement de l’eau pour tous. Cela ne signifie pas la gratuité totale : si la ressource en eau est un bien public inaliénable, l’accès à ce bien repose sur l’engagement de lourds investissements qui ne sauraient s’accommoder du principe de la gratuité.