Mme Nathalie Goulet. Ça, c’est sûr !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. … sans impératifs de qualifications, sans carrière certaine, sans concours, sans entretiens d’embauche, sans échelons à gravir d’année en année.
Le travail et la réflexion sont encore devant nous pour construire un statut de l’élu local en tirant les leçons des conditions actuelles de la démocratie décentralisée et de la loi relative à la limitation du cumul des mandats. Cependant, la présente proposition de loi apporte sa pierre à l’édifice.
Je conclurai par une réflexion de Vladimir Jankélévitch pouvant s’appliquer au travail persévérant du législateur : « L’entreprise humaine se développe dans un monde de facteurs occasionnels qui à la fois l’entravent et la favorisent. L’homme est l’ingénieur des occasions. »
Mes chers collègues, la proposition de loi que Jean-Pierre Sueur et moi-même vous présentons aujourd’hui marque une nouvelle étape dans la construction du statut de l’élu local. Madame la ministre, je forme un double vœu : que le Sénat, dans sa sagesse, adopte le présent texte et que sa discussion soit inscrite le plus tôt possible à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que ses dispositions puissent profiter à ceux qui seront élus lors du scrutin municipal de mars prochain ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste. – M. Christian Favier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, au nom de la commission des lois, dont le président, M. Sueur, nous rejoindra tout à l’heure, souligner l’attachement particulier du Sénat à ce texte, qui constitue une amorce de statut de l’élu local.
Au cours des deux dernières semaines, la commission des lois a consacré quatre heures de discussion à cette proposition de loi. En effet, à une très forte majorité, ses membres ont jugé qu’il fallait aboutir à un accord, à la fois avec nos collègues députés et avec le Gouvernement. Notre rapporteur, Bernard Saugey, s’y est employé : je tiens à l’en remercier au nom de la commission des lois.
Pour parvenir à cet accord, la commission des lois compte sur une deuxième lecture devant l’Assemblée nationale et la tenue d’une commission mixte paritaire. Elle vous demande donc instamment, madame la ministre, de ne pas brusquer les choses ce soir et de faire en sorte que la discussion de cette proposition de loi en deuxième lecture soit inscrite le plus rapidement possible à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que le texte puisse être adopté définitivement et promulgué avant la fin du mois de février. Il convient, comme l’a souligné Mme Gourault, qu’il puisse s’appliquer à ceux qui seront élus en mars.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je ne puis manquer d’évoquer, en préambule, un sujet connexe à celui qui nous occupe ce soir.
Alors que le présent texte vise notamment à encadrer les indemnités des élus, la banque des collectivités territoriales, Dexia, a décidé d’augmenter de plus de 30 % la rémunération de trois de ses dirigeants,…
M. Pierre-Yves Collombat. Ils sont si performants…
Mme Nathalie Goulet. … en la faisant passer de 340 000 à 450 000 euros par an, son patron émargeant quant à lui à 600 000 euros annuels. Rappelons que les contribuables ont renfloué à hauteur de 5,5 milliards d’euros cette banque, qui a perdu 15 milliards d’euros en trois ans !
M. Antoine Lefèvre. C’est scandaleux !
Mme Nathalie Goulet. Je veux bien que les dotations des collectivités locales soient réduites,…
M. Antoine Lefèvre. Nous, nous ne le voulons pas !
Mme Nathalie Goulet. … je veux bien que l’on joue la transparence à outrance, mais dans ces conditions il m’aurait été difficile de passer ces faits sous silence,…
Mme Nathalie Goulet. … d’autant que je ne suis pas certaine qu’il en soit fait état demain, à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle également que la banque en question est responsable des emprunts toxiques qui ont empoisonné la vie de nos collectivités locales, lesquelles ne s’en sont pas encore remises.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
Mme Nathalie Goulet. J’ajoute que Dexia a réduit ses effectifs de 22 000 à 1 300 salariés. Je me devais d’évoquer ce sujet, sur lequel le groupe UDI-UC a publié hier un communiqué !
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. J’en viens maintenant au texte qui nous est soumis ce soir, un an après sa première lecture, le 29 janvier 2013. Le 18 janvier 2001, déjà, le Sénat avait adopté un texte tout à fait intéressant consacré au statut de l’élu, dont Jean-Paul Delevoye était le rapporteur. Il s’agissait d’un texte complet, concis et parfaitement calibré. Las, il n’a jamais pu franchir le boulevard Saint-Germain pour être examiné par l’Assemblée nationale ! Avec l’appui de Jean Arthuis, Daniel Goulet avait déposé à l’époque plusieurs amendements, visant notamment à assurer la protection de l’élu. Cette question a finalement trouvé réponse dans la présente proposition de loi, du moins en partie, car le problème de la protection du candidat à une élection n’est, lui, toujours pas réglé. J’avais défendu un amendement sur ce point en première lecture, mais, compte tenu de la règle dite « de l’entonnoir », je n’ai pu le déposer de nouveau.
Madame le ministre, le duo de choc Gourault-Sueur a encore frappé (Sourires.)…
M. Antoine Lefèvre. C’est le choc de simplification !
Mme Nathalie Goulet. … avec ce texte, qui vient compléter notre arsenal juridique. Toutefois, en dépit de l’amitié et de l’admiration indéfectibles que j’éprouve pour Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur (Exclamations amusées.), je dois dire qu’il ne s’agit là encore que d’une rustine !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Certes !
Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas en accumulant les petits textes et les rustines que l’on construit une législation cohérente.
Madame le ministre, cette intervention est dictée par la mauvaise humeur…
Tout ou presque a déjà été dit sur ce texte. Nous redessinons les cantons, nous avons redessiné les intercommunalités, on nous promet l’acte III de la décentralisation, et le Président de la République a annoncé une révision de la carte des régions. Tout cela manque quelque peu de cohérence ! Nous avions d’ailleurs vécu une situation analogue avec l’annonce d’une grande réforme fiscale alors que nous abordions l’examen de la loi de finances.
On dit souvent qu’il faut faire confiance à l’intelligence territoriale, madame le ministre, mais allez-vous laisser les territoires respirer et s’organiser, comme dans la région lyonnaise sous l’impulsion de Michel Mercier et de Gérard Collomb ?
J’ajoute que nous examinons ce texte alors que l’Assemblée nationale vient de voter l’interdiction du cumul des mandats. La présente proposition de loi fait d’ailleurs très judicieusement référence à l’exercice, par les élus locaux, de « leur mandat », au singulier, ce qui est tout de même un très bon signal…
Cela étant, la prochaine suspension d’un mois des travaux du Parlement est destinée, manifestement, à encourager les cumulards : députés et sénateurs candidats à un mandat municipal pourront faire campagne tranquillement ! Cela ne m’apparaît pas non plus très cohérent.
Madame le ministre, de fusions d’intercommunalités mal comprises en découpages cantonaux, de réforme en réforme, on décourage et on démotive les élus.
M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !
Mme Nathalie Goulet. Je ne dis pas cela pour mon département, où la règle des « ciseaux d’or » ne s’est pas appliquée. D’ailleurs, dans la mesure où aucun conseiller général ou presque ne vote pour moi, je ne suis pas du tout concernée !
Il sera de plus en plus difficile de trouver des candidats aux élections municipales, d’autant que les multiples réformes des modes de scrutin n’ont pas simplifié les choses, bien au contraire : les règles se sont opacifiées, et les élus se trouvent en situation d’insécurité juridique. Vous ne pouvez pas ne pas le savoir, madame le ministre ! Nos élus, vous l’avez dit, sont compétents, généreux, bénévoles, mais ils sont profondément démotivés.
Quoi qu’il en soit, il faut remercier Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur de cette petite rustine, même si elle ne règle en rien le problème. Nous devons nous attacher à ne pas légiférer par morceaux, car on aboutit à un puzzle totalement illisible. Les élections municipales verront une avalanche de votes pour le Front national, dont nous ne voulons pas !
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte constitue une étape dans l’amélioration de l’exercice de leur mandat par les élus locaux.
La mise en place d’un véritable statut de l’élu est une exigence démocratique maintes fois rappelée par l’immense majorité des élus. Il s’agit en effet d’un outil indispensable à la mise en œuvre de l’article 1er de notre Constitution, aux termes duquel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
Il faut bien le reconnaître, cette égalité affirmée par notre Constitution ne transparaît pas toujours dans nos assemblées locales, communales, départementales et régionales, qui sont loin d’être à l’image de notre société. Malgré les progrès obtenus grâce à l’évolution des modes de scrutin communal et régional, femmes, jeunes, citoyens issus de l’immigration, salariés du privé, ouvriers et employés sont insuffisamment représentés. Le pluralisme est trop souvent absent, sans parler du droit de vote des étrangers non communautaires, qui, malgré les promesses, reste l’arlésienne de cette mandature.
Mme Nathalie Goulet. Elle n’est pas encore terminée !
M. Christian Favier. Notre groupe, comme l’ensemble de la gauche, s’est toujours fixé pour objectif de mettre en place un statut de l’élu, afin que chacun, sans condition d’origine ethnique, sociale ou professionnelle, puisse être représenté, voire se présenter pour faire partie des 550 000 élus locaux que compte notre pays et qui constituent le poumon de notre démocratie.
Ainsi, entre deux actes de la décentralisation, poursuivre le débat sur le statut de l’élu nous semble nécessaire. Je salue, à ce titre, la démarche entreprise par nos collègues, même si elle est de portée limitée.
Dans un premier temps, il faut souligner les avancées que permet ce texte : quelles que soient ses limites, il nous semble que nous faisons ici œuvre utile. Eu égard à la loi de décentralisation votée il y a quelques semaines et à celle qui reste à venir, nous sommes incités à aborder l’ensemble des problématiques pour définir un véritable statut de l’élu, codifiant les droits et les devoirs de celui-ci.
Nous saluons les mesures contenues dans ce texte tendant à harmoniser le niveau d’indemnisation des maires. De même, nous approuvons l’attribution d’une indemnité de fonction aux membres de l’organe délibérant des communautés de communes ayant reçu délégation du président. Nous apprécions, en outre, la clarification portant sur la nature fiscale de l’indemnisation des frais d’emploi.
Le deuxième axe de cette proposition de loi vise à faciliter l’exercice d’un mandat par des salariés du privé. Nous ne pouvons que soutenir toute amélioration dans ce domaine, car les difficultés rencontrées par ces citoyens freinent fortement leur engagement dans un mandat électif. Cependant, comme nous l’avions souligné en première lecture, il conviendrait, dans un souci d’efficacité et de lisibilité, que ces dispositions soient également inscrites dans le code du travail, seule référence juridique pour les relations entre un salarié et son entreprise.
La proposition de loi tend, en troisième lieu, à encourager la formation des élus locaux par l’instauration d’un plancher de dépenses obligatoires pour la formation des membres des assemblées délibérantes, d’un dispositif de report des sommes non dépensées d’une année sur le budget suivant de la collectivité, dans la limite du renouvellement général du conseil, et d’une obligation, pour la collectivité, d’organiser une formation au cours de la première année du mandat des conseillers municipaux, généraux, régionaux et des conseillers communautaires ayant reçu délégation.
Nous partageons ces principes et ces exigences, mais, afin de rendre effectif ce droit à la formation des élus, il nous paraît nécessaire, compte tenu du coût des stages de formation et des moyens financiers limités d’un grand nombre de nos communes, d’envisager une forme de mutualisation de ces dépenses. Cela permettrait à tout élu, quelles que soient la taille et la richesse de sa collectivité, d’avoir accès à une formation de qualité. La réflexion sur ce point mériterait d’être poussée.
Nous comprenons toutefois que nos collègues se soient limités à quelques dimensions de la question du statut de l’élu, qu’ils aient cherché à régler des difficultés d’application de mesures déjà prises et à élargir le champ de ces dernières.
Malgré quelques obstacles institutionnels, nous arrivons ainsi, par petits pas, à faire avancer les choses, sans attendre le Grand Soir du statut de l’élu ; je salue le pragmatisme de nos collègues.
Les députés ont aussi, de leur côté, apporté leur pierre à l’édifice, en permettant, par exemple, l’institution d’une charte de l’élu local pour « préciser les normes de comportement que les élus doivent adopter dans l’exercice de leurs fonctions ».
En effet, le statut de l’élu ne saurait être constitué que de droits. Ses devoirs doivent faire l’objet du second volet de notre réflexion, si nous ne voulons pas que le dispositif de ce texte soit perçu comme un ensemble d’avantages supplémentaires octroyés aux élus. Nous saluons, là aussi, la démarche constructive adoptée, même si nous aurions pu souhaiter que cette charte soit mieux équilibrée et fasse état non seulement des devoirs des élus, mais aussi de leurs droits.
S’agissant de la nouvelle définition du champ des poursuites du délit de prise illégale d’intérêt, je me range, madame la ministre, à l’avis de sagesse que vient d’exprimer notre collègue Jean-Pierre Michel : ne bousculons pas ce soir la position adoptée par la commission des lois du Sénat. Toute demande de vote bloqué serait, de ce point de vue, très mal perçue !
En conclusion, mes chers collègues, nous ne pouvons qu’exprimer notre accord avec les objectifs visés au travers de ce texte, en attendant la réforme globale qui instituera un véritable statut de l’élu, dont il est question depuis trente ans.
Cette réforme reste nécessaire, afin que chacun retrouve confiance en nos institutions et soit encouragé à participer plus largement à la vie citoyenne. La restauration de la confiance passera notamment par l’adoption d’un texte précisant clairement l’ensemble des droits et devoirs des élus, en toute transparence. Ce texte devra également revoir nos modes de scrutin, de manière que tous les citoyens soient équitablement représentés dans chacune des assemblées de notre République. Il devra s’attacher à revivifier le débat politique local, et concerner non pas seulement les membres des exécutifs, comme c’est souvent le cas actuellement, mais bien tous les élus, qui font la vraie richesse de notre démocratie.
Enfin, il faudra veiller à garantir aux élus qui gèrent nos collectivités les moyens financiers nécessaires pour mener à bien leurs missions et leurs actions.
Eu égard aux conditions d’examen des propositions de loi, qui interdisent d’envisager de mettre en place des réformes de grande ampleur par ce moyen, et au couperet de l’article 40, qui empêche les parlementaires d’aller au bout de leur démarche, seul un texte du Gouvernement permettra de remédier véritablement aux difficultés rencontrées par nos élus, rappelées très fortement lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés au Sénat en octobre 2012.
Je vous engage donc, madame la ministre, à consacrer du temps parlementaire à la discussion d’un projet de loi complet portant sur les sujets que je viens d’évoquer. Dans cette attente, nous saluons les avancées contenues dans le texte qui nous est soumis : le groupe CRC le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en place d’un statut de l’élu peut être envisagée de deux manières.
La première, c’est le Grand Soir dont tout le monde rêve : l’élaboration d’un texte exhaustif, qui modifie tout et satisfait toutes les demandes de nos élus locaux en termes de disponibilité, d’indemnité, de protection sociale et de droit à la retraite. C’est une possibilité, qui avait été envisagée en 1982 : on pensait même, alors, qu’un quatrième chapitre pourrait être ajouté au statut de la fonction publique, consacré à une sorte de fonction publique élective. Toutefois, cette idée n’a pas prospéré.
En réalité, ce rêve se heurte à la diversité des situations,…
M. Pierre-Yves Collombat. Et à l’absence de volonté politique !
M. Alain Anziani. … entre membres des professions libérales et fonctionnaires, entre actifs et retraités, pour ne prendre que ces exemples. La situation familiale joue également : une personne qui a des enfants rencontre des difficultés particulières pour exercer un mandat. À cet égard, d’ailleurs, le présent texte comporte des avancées : il prévoit que les frais de garde pourront être remboursés sous certaines conditions.
Il m’apparaît donc que nous devons renoncer au Grand Soir du statut de l’élu, pour nous satisfaire d’un texte aux ambitions plus modestes, plus pragmatiques, en revenant ainsi à la pratique mise en œuvre depuis la grande loi de 1982. La loi du 27 février 2002, sous l’impulsion de Lionel Jospin, avait ainsi institué un congé pour campagne électorale, des allocations de fin de mandat et une formation professionnelle.
La proposition de loi présentée par Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault s’inscrit dans cette lignée. Elle ajoute à l’édifice une nouvelle pierre, également travaillée par le rapporteur, Bernard Saugey.
Une dimension importante du texte a trait aux indemnités : il faut faire front contre une vision populiste selon laquelle les élus coûtent trop cher, alors que, d’une part, beaucoup d’entre eux sont bénévoles, et que, d’autre part, le coût total des indemnités est nettement inférieur à 1 % du budget des collectivités territoriales.
Ce texte traite de deux autres points que je qualifierai de sensibles : la prise illégale d’intérêt et la définition d’une charte des élus.
Concernant la prise illégale d’intérêt et la modification envisagée du code de procédure pénale, il existe, me semble-t-il, trois solutions.
La première consiste à en rester à la législation actuelle, qui date, certes, de 1994, mais qui présente l’avantage d’avoir suscité une jurisprudence : celle-ci peut plaire ou déplaire, mais, en tout cas, avec elle, nous savons où nous allons. Cette jurisprudence souligne notamment que, en matière de prise illégale d’intérêt, l’intérêt en cause peut être d’ordre non seulement matériel, mais également moral.
Mais voilà que nos collègues de l'Assemblée nationale ont renversé la table, en introduisant une nouvelle définition : l’intérêt en cause doit être « de nature à compromettre l’impartialité, l’objectivité ou l’indépendance de la personne ».
Personnellement, je le dis franchement, je ne vois que des inconvénients à la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale. Tout d’abord, elle rouvrira un long chapitre en matière de jurisprudence, ce qui créera une incertitude juridique. Nous perdrons tous les repères offerts par la jurisprudence actuelle. Avec cette nouvelle rédaction, nous placerons nos élus locaux en situation de risque. Il faudra que la Cour de cassation définisse ce qu’elle entend par « impartialité », « objectivité » et « indépendance ».
M. Alain Anziani. Cela va prendre dix ans ! Pendant ce temps, pour les mêmes faits, un élu local sera condamné à Bordeaux et relaxé à Strasbourg.
Si nous ne voulons pas créer une telle incertitude, n’adoptons pas le texte de l'Assemblée nationale.
La troisième solution, c’est le texte que le Sénat a adopté à deux reprises.
M. Bernard Saugey, rapporteur. À l’unanimité !
M. Alain Anziani. Certes, il n’est peut-être pas parfait, mais il a le mérite de substituer à la notion d’« intérêt quelconque », d’un flou extraordinaire, celle d’« intérêt personnel distinct de l’intérêt général ».
Pour ma part, je pense que la jurisprudence de la Cour de cassation se calera sur cette dernière notion, un intérêt personnel distinct de l’intérêt général pouvant être d’ordre matériel ou moral. Cette rédaction engendrera moins d’incertitudes que celle de l’Assemblée nationale, c’est pourquoi j’estime que nous devrions voter l’amendement que nous présentera tout à l'heure, à l’article 1er A, notre collègue Pierre-Yves Collombat. C’est la voie de la sagesse, d’autant que la rédaction voulue par le Sénat est issue des états généraux de la démocratie territoriale, qui ont notamment porté sur la question des normes et sur celle du statut de l’élu. Franchement, si elle devait être écartée d’un revers de main, cela ne témoignerait pas d’une grande considération pour le Sénat.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Alain Anziani. Sur la question de la charte de l’élu local, je suis davantage en désaccord avec certains de mes collègues.
Je le reconnais, la charte de l’élu local, telle qu’elle est prévue dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, peut prêter à sourire. Est-il nécessaire de préciser que les élus doivent appliquer la loi ou se conformer aux règles budgétaires ?... Cela va de soi.
M. Bernard Saugey, rapporteur. En effet !
M. Alain Anziani. On ne comprend donc pas très bien la portée du texte adopté par l'Assemblée nationale. À cet égard, je veux remercier M. le rapporteur d’avoir récrit cette charte pour la raccourcir.
Cela étant, je suis en désaccord avec ceux de mes collègues qui affirment qu’il ne faut pas du tout de charte. Pour ma part, j’estime que l’idée d’en instaurer une n’est pas mauvaise, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, même si cet argument n’est pas totalement convaincant, une charte de l’élu existe dans plusieurs pays : au Québec, bien entendu, mais aussi en Allemagne.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale s’est dotée – on l’oublie souvent – d’un code de déontologie, qui impose aux députés les devoirs d’indépendance, d’objectivité, de responsabilité, de probité et d’exemplarité. Pourquoi ce qui est bon pour les députés ne le serait-il pas pour les élus locaux ?
En réalité, instituer une telle charte ne constitue pas une révolution : comme nous le soulignions ce matin encore en commission, elle a pour fonction de rappeler des exigences que certains pourraient avoir négligées ou oubliées.
Du reste, il ne s’agit au fond que d’étendre aux élus une pratique qui prévaut dans nombre de professions.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Alain Anziani. Ainsi, les architectes, les experts-comptables, les commissaires aux comptes doivent prêter serment d’exercer leur profession avec conscience et probité. Les magistrats, quant à eux, doivent jurer de se conduire en tout de façon digne et loyale, et les avocats d’exercer leurs fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et même humanité.
M. René Garrec. Et les médecins, avec le serment d’Esculape !
M. Alain Anziani. Dans ces conditions, pourquoi ne pas nous appliquer à nous-mêmes ce qui est bon pour les autres ? Il ne me semble pas choquant de rappeler que les élus doivent se comporter avec dignité et probité.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Alain Anziani. En adoptant cette charte dans la formulation retenue par la commission, nous avons plus à gagner qu’à perdre.
Je terminerai mon intervention en évoquant l’une de mes marottes, la formation. Je l’avais dit en première lecture, les élus semblent se croire omniscients. Parce que nous avons reçu l’onction du suffrage universel, nous élus saurions tout sur tout ! Ce n’est bien entendu pas le cas, et il faut donc prévoir une obligation de formation.
Enfin, il convient d’y insister, il serait bon que ce texte soit adopté avant les élections municipales, pour qu’il puisse s’appliquer dès cette année. Dans le cas contraire, certaines dispositions, parfois très importantes, ne s’appliqueraient qu’en 2020, ce qui serait tout de même étrange ! Il importe donc que nos collègues députés nous fassent l’honneur d’accepter d’inscrire deux heures de débat sur cette proposition de loi dans leur ordre du jour, aussi chargé celui-ci soit-il. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)