M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, ce projet de loi répond à une nécessité et à une urgence. Vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la ministre.
Les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre et du 19 novembre derniers ont créé un vide juridique et privé les enquêteurs de moyens d’enquête précieux pour résoudre des affaires allant de la grande criminalité aux déplacements illicites d’enfants. Il était donc légitime de légiférer dans les meilleurs délais pour leur permettre d’y avoir de nouveau accès.
Cependant, et c’est un principe qui nous est cher ici, au Sénat, rapidité ne doit pas être confondue avec précipitation. Ce projet de loi n’est pas une simple formalité juridique qui devrait rétablir un ordre perturbé par la Cour de cassation. Les enjeux en termes de protection de la vie privée des citoyens sont bien réels.
La Cour de cassation a estimé que la géolocalisation de portables constituait « une ingérence dans la vie privée, dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge » et pas sous le seul contrôle du parquet. S’appuyant sur la jurisprudence européenne, elle a estimé également qu’en l’état la géolocalisation violait l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, qui proclame le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
L’enjeu est d’autant plus important que la géolocalisation est en train de changer d’échelle. Marginale voilà quelques années, elle se systématise. Il y aurait environ 20 000 mesures de géolocalisation par an grâce à la téléphonie, chiffre qui aurait doublé en l’espace de seulement trois ans. La géolocalisation par la réquisition des données des opérateurs téléphoniques est en train de prendre le relais des écoutes judiciaires en bonne et due forme, dont le nombre se trouve, quant à lui, en chute. Le risque de dérive est réel et des garde-fous sont indispensables.
En tant qu’élue responsable, membre de la commission des affaires étrangères et préoccupée des enjeux de sécurité à l’échelle internationale et nationale, bien sûr, je voterai ce texte, qui apporte une indispensable base légale à des pratiques jusqu’à présent trop peu encadrées. Cela étant, je ne voudrais pas qu’il étende de manière inconsidérée et inavouée, subrepticement, le champ légal de la géolocalisation.
Ainsi que le révèle l’étude d’impact, l’enjeu consiste à donner un cadre légal au suivi d’un téléphone portable ou d’une balise installée sur un moyen de transport. Toutefois, le projet de loi va bien plus loin en autorisant le suivi dynamique de n’importe quel objet, y compris les objets connectés, appelés à se diffuser massivement au cours des prochaines années. Au regard de la rapidité des progrès techniques dans ce domaine, je m’inquiète de cette formulation excessivement vague, qui ouvre la porte à une surveillance bien plus étendue que celle dont on nous parle aujourd’hui. Je ne suis pas par principe opposée à l’utilisation de nouveaux objets comme « mouchards », mais si cette possibilité est introduite dans la loi, je souhaite que cela soit fait dans la transparence, à la suite d’un débat public, et surtout pas en catimini !
Un autre point de rédaction m’inquiète : la possibilité de mettre en œuvre un dispositif de géolocalisation pendant quinze jours sans autorisation préalable d’un juge. Ce qui se justifie pleinement en cas de flagrant délit ou d’urgence avérée n’a pas à être étendu aux enquêtes ordinaires, me semble-t-il. J’ai donc déposé un amendement visant à exclure les enquêtes ordinaires du champ de la géolocalisation sans autorisation judiciaire. L’argument de la prévention ne peut suffire à légitimer l’extension de la géolocalisation extrajudiciaire en l’absence de toute urgence avérée.
Le 6 décembre dernier, le Conseil national du numérique soulignait que la confiance était le socle sur lequel devaient se construire la société et l’économie numériques. Il appelait à l’organisation d’une large concertation sur cette question. Le vote de ce texte selon la procédure accélérée ne doit pas occulter ce débat.
Il ne s’agit pas non plus de se prononcer une fois pour toutes sur les fondements légaux de la géolocalisation. Étant donné l’évolution rapide des technologies de géolocalisation, il faudra probablement compléter à nouveau ce cadre légal. Dans ce contexte, il est indispensable de disposer d’éléments factuels précis quant à l’ampleur du recours à ce dispositif et à son efficacité. Il est donc nécessaire qu’un rapport annuel soit remis au Parlement et c’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé.
Il s’agit non pas de tomber dans la paranoïa, mais d’offrir des garanties procédurales suffisantes pour éviter les dérives en matière de surveillance des données personnelles. Ce débat, engagé à l’occasion de l’examen de la loi de programmation militaire, a été trop rapidement éludé. Ne commettons pas la même erreur une nouvelle fois en votant une loi fourre-tout susceptible d’autoriser à l’avenir des pratiques que nous ne soupçonnons pas aujourd’hui.
L’enjeu est aussi économique. Les entreprises « high-tech » américaines l’ont bien compris, elles qui demandent à Barack Obama une réforme moins cosmétique de la NSA, pour mieux garantir la confidentialité des données et éviter ainsi une perte de crédibilité à l’échelon international. Ne pensez-vous pas qu’il y a en France une contradiction à faire du développement des objets connectés une priorité du redressement productif tout en votant une loi qui placera ces derniers dans une zone de flou juridique ?
Pour beaucoup, les questions de surveillance des données personnelles relèvent encore de la science-fiction et ne suscitent qu’indifférence. Le scandale de la NSA a récemment laissé entrevoir l’ampleur des enjeux. Prenons garde à ne pas accepter un cadre légal trop lâche, qui légaliserait des pratiques douteuses sur le plan du respect de la vie privée. À l’ère du big data, le progrès technologique nous obligera de toute façon à ajuster de nouveau la législation d’ici à quelques années. Au lieu de donner un blanc-seing, dotons le Parlement des outils d’information qui lui permettront de pouvoir rapidement et régulièrement exercer une fonction de contrôle sur les pratiques de géolocalisation.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le président, je souhaite poser à Mme Lipietz une question concernant l’article 20 de la loi de programmation militaire 2014-2019.
Ma chère collègue, vous avez déclaré que cet article portait atteinte aux libertés individuelles. Pourriez-vous donc me dire quel paragraphe, quel alinéa ou quelle phrase de cet article vous conduit à faire une telle assertion, au regard du droit existant, constitué par les lois de 1991 et de 2006 ?
M. le président. À titre exceptionnel, puisque la discussion générale a été close, la parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Je me rappelle avoir indiqué que l’article 20 de la loi de programmation militaire soulevait un certain nombre de questions. J’ai ajouté qu’il ne s’agissait certes pas de la même procédure que celle qui est visée dans le texte que nous examinons aujourd'hui. En effet, l'article 20 de la loi de programmation militaire a apporté des précisions sur une procédure administrative qui existait déjà.
Quoi qu'il en soit, ces deux articles – celui de la loi de programmation militaire et celui du texte qui nous est aujourd'hui soumis – qui arrivent l’un après l’autre ont bouleversé les citoyens, peut-être à tort, mais j’incline fortement à penser que c’est à raison ! En effet, comme cela a été souligné tout à l’heure, nous sommes en train de découvrir que notre vie privée peut être espionnée en permanence. Au-delà de la question de savoir si c’est bien ou mal, cela suscite une angoisse chez les citoyens et, en tant qu’élus, il est de notre devoir d’en tenir compte.
On m’a aussi objecté que ma position revenait à vouloir protéger les libertés individuelles de certains, les délinquants, alors qu’il fallait se soucier avant tout de celles des citoyens honnêtes. Non ! Il s’agit de protéger les libertés individuelles en tant que telles.
Mis côte à côte, ces deux textes posent problème et les citoyens sont profondément inquiets. Je me fais donc leur relais, quand bien même ce serait à tort !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Quelle que soit la sympathie que j’ai pour Mme Lipietz, elle le sait, je m’inscris en faux contre la confusion qui a présidé à sa réponse.
Certes, des angoisses et des inquiétudes parfaitement légitimes se font jour, car les pratiques de certains services de renseignement dans le champ d’internet et du numérique posent de sérieux problèmes en termes de protection des libertés. M. Snowden l’a montré avec éclat, et j’ai moi-même précisé que nous n’étions pas rassurés par les déclarations récentes du président Obama, même si elles traduisent aussi certaines avancées.
Un point doit être parfaitement clair : la question ici en cause n’est pas la même que celle qui était en cause dans la loi de programmation militaire. Cette dernière visait des dispositions d’ordre administratif, alors que nous sommes, avec le projet de loi en discussion, en présence de dispositions d’ordre judiciaire.
En ce qui concerne les dispositions d’ordre administratif contenues dans la loi de programmation militaire, on peut faire tous les commentaires que l’on veut, propager toutes les informations que l’on veut, mêler le faux et le vrai ; il n’en demeure pas moins que, si l’on considère l’article 20 de cette loi au regard des lois de 1991 et de 2006, on ne trouve aucune ligne qui puisse constituer une régression. D’ailleurs, vous n’en avez pas cité une seule, ma chère collègue.
Lorsqu’on passe, pour la géolocalisation en matière administrative, d’un dispositif qui relève du seul ministre de l’intérieur à un dispositif qui relève de la responsabilité du Premier ministre, avec de surcroît la nécessité d’une demande écrite et d’une réponse écrite, que l’on renforce les prérogatives de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, et que, s’agissant des « fadettes », on va rigoureusement dans le même sens, il n’est pas possible de dire qu’il s’agit d’une régression au regard des libertés. C’est au contraire un progrès en matière administrative.
Et, aujourd’hui, avec le présent texte, nous progressons également dans l’ordre judiciaire.
Ces deux progrès acquis, il restera beaucoup de problèmes à traiter. À cet égard, j’ai moi-même appelé de mes vœux une nouvelle grande loi qui traiterait l’ensemble de ce champ législatif. Je vous annonce d’ailleurs que nous allons prochainement organiser au Sénat une journée entière de travail sur ce sujet.
Mais quels que soient les problèmes qui restent à régler, il me semble qu’un apport du Sénat et de l’Assemblée nationale ne peut pas être balayé d’un revers de main sous prétexte que certaines personnes font campagne pour faire dire à un texte ce qu’il ne dit pas.
Excusez-moi d’avoir pris ces quelques minutes, monsieur le président, pour faire cette mise au point, mais elle m’est apparue nécessaire.
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
Le titre IV du livre Ier du code de procédure pénale est complété par un chapitre V ainsi rédigé :
« Chapitre V
« De la géolocalisation
« Art. 230-32. – Si les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans ou à des procédures prévues par les articles 74 à 74-2 et 80-4 l’exigent, tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, peut être mis en place par l’officier de police judiciaire, ou sous sa responsabilité par l’agent de police judiciaire, ou prescrit sur réquisitions de l’officier de police judiciaire, dans les conditions et selon les modalités prévues par le présent chapitre.
« Art. 230-33. – Les opérations mentionnées à l’article 230-32 sont autorisées :
« 1° Dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou d’une procédure prévue par les articles 74 à 74-2, par le procureur de la République, pour une durée maximum de quinze jours consécutifs. À l’issue de ce délai de quinze jours consécutifs, ces opérations sont autorisées par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République, pour une durée maximum d’un mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée ;
« 2° Dans le cadre d’une instruction ou d’une information pour recherche des causes de la mort ou des causes de la disparition mentionnées aux articles 74, 74-1 et 80-4 par le juge d’instruction pour une durée maximum de quatre mois, renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée.
« La décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction est écrite. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours.
« Art. 230-34. – Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’information l’exigent, le procureur de la République ou le juge d’instruction, selon les distinctions prévues à l’article 230-33, peut, aux seules fins de mettre en place ou de retirer le moyen technique mentionné à l’article 230-32, autoriser par décision écrite l’introduction, y compris hors les heures prévues par l’article 59, dans des lieux privés ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l’occupant des lieux ou du véhicule, ou de toute personne titulaire d’un droit sur ceux-ci.
« Si le lieu privé est un lieu d’habitation, l’autorisation est, au cours de l’enquête, délivrée par décision écrite du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République ; au cours de l’instruction, et si l’opération doit intervenir en dehors des heures prévues à l’article 59, cette autorisation est délivrée par décision écrite du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d’instruction.
« La mise en place du moyen technique mentionné à l’article 230-32 ne peut concerner les lieux visés aux articles 56-1, 56-2 et 56-3 ou le bureau ou le domicile des personnes visées à l’article 100-7. »
« Art. 230-35. – En cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, les opérations mentionnées à l’article 230-32 peuvent être mises en place ou prescrites par un officier de police judiciaire. Celui-ci en informe immédiatement, par tout moyen, le procureur de la République ou le juge d’instruction, suivant les distinctions énoncées aux articles 230-33 et 230-34.
« Toutefois, si l’introduction dans un lieu d’habitation est nécessaire, l’officier de police judiciaire doit recueillir l’accord préalable, donné par tout moyen, du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République.
« Ce ou ces magistrats disposent d’un délai de douze heures pour prescrire, par décision écrite, la poursuite des opérations. À défaut d’une telle autorisation dans ce délai, il est mis fin à la géolocalisation.
« Art. 230-36. – (Non modifié) Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui ou autorisé par le procureur de la République peut requérir tout agent qualifié d’un service, d’une unité ou d’un organisme placé sous l’autorité du ministre de l’intérieur et dont la liste est fixée par décret en vue de procéder à l’installation des dispositifs techniques mentionnés à l’article 230-32.
« Art. 230-37. – (Non modifié) Les opérations prévues au présent chapitre sont conduites sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées ou qui a autorisé leur poursuite.
« Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision de ce magistrat ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.
« Art. 230-38. – (Non modifié) Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables lorsque la géolocalisation se fait à partir de données obtenues auprès des opérateurs de communications électroniques et des personnes mentionnées à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et qu’elles sont relatives à la localisation d’un équipement terminal de communication électronique détenu par la victime de l’infraction.
« Dans ce cas, ces données font l’objet des réquisitions prévues par les articles 60-1, 60-2, 77-1-1, 77-1-2, 99-3 ou 99-4 du présent code. »
« Art. 230-39 (nouveau). – L’officier de police judiciaire dresse procès-verbal de chacune des opérations de mise en place du dispositif technique et des opérations d’enregistrement des données de localisation. Ce procès-verbal mentionne la date et l’heure auxquelles l’opération a commencé et celles auxquelles elle s’est terminée.
« Les enregistrements sont placés sous scellés fermés.
« Art. 230-40 (nouveau). – L’officier de police judiciaire décrit ou transcrit, dans un procès-verbal qui est versé au dossier, les données enregistrées qui sont utiles à la manifestation de la vérité.
« Art. 230-41 (nouveau). – Lorsque, dans une enquête ou une instruction concernant l’un des crimes ou délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-73, la connaissance de ces informations est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne et qu’elle n’est pas utile à la manifestation de la vérité, le juge des libertés et de la détention, saisi à tout moment par requête motivée du procureur de la République ou du juge d’instruction, peut, par décision motivée, autoriser que la date, l’heure et le lieu où le moyen technique destiné à la localisation en temps réel est mis en place ainsi que les premières données de localisation n’apparaisse pas dans le dossier de la procédure.
« La décision du juge des libertés et de la détention qui ne fait pas apparaître la date, l’heure et le lieu où le moyen technique destiné à la localisation en temps réel est mis en place, est jointe au dossier de la procédure. La date, l’heure et le lieu ainsi que les premières données de localisation sont inscrites dans un autre procès-verbal, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête prévue à l’alinéa précédent. Ces informations sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance.
« Art. 230-42 (nouveau). – La personne mise en examen ou le témoin assisté peut, dans les dix jours à compter de la date à laquelle il lui a été donné connaissance du contenu de la géolocalisation réalisée dans les conditions de l’article 230-41, contester, devant le président de la chambre de l’instruction, le recours à la procédure prévue par cet article. Le président de la chambre de l’instruction statue par décision motivée qui n’est pas susceptible de recours au vu des pièces de la procédure et de celles figurant dans le dossier mentionné au deuxième alinéa de l’article 230-41. S’il estime la contestation justifiée, il ordonne l’annulation de la géolocalisation.
« Art. 230-43 (nouveau). – Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des éléments recueillis dans les conditions prévues par l’article 230-41.
« Art. 230-44 (nouveau). – Les enregistrements de données de localisation sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l’expiration du délai de prescription de l’action publique.
« Il est dressé procès-verbal de l’opération de destruction. »
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Cette journée de travail que vous venez d’annoncer, monsieur le président de la commission des lois, me semble plus que nécessaire tant il est vrai que ces sujets touchant aux rapports entre les libertés, internet et le droit de la presse suscitent des inquiétudes. À l’évidence, nous sommes aujourd'hui à l’aube d’une évolution que nous ne maîtrisons ni les uns ni les autres.
J’espère que les travaux dont vous avez parlé seront ouverts aux sénateurs qui ne sont pas membres de la commission des lois, afin que nous puissions tous y participer et en tirer profit.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ils seront publics !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
En réalité, nous sommes confrontés à la géolocalisation chaque fois que nous allumons notre téléphone. En effet, dès que l’on ouvre une application, une fenêtre s’ouvre pour nous demander si nous souhaitons être géolocalisés.
Il est vrai que le présent texte arrive après la loi de programmation militaire, ce qui a peut-être contribué à renforcer certaines inquiétudes.
Rassurez-vous, monsieur le président de la commission, madame le garde des sceaux, je n’ai nullement le sentiment que vous soyez liberticides !
Moi qui, sous un autre « régime », n’ai pas voté en faveur des lois d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – les LOPPSI 1 et 2 –, je ne pense pas que nous soyons ici confrontés au même genre de dispositions. En effet, il s’agit en l’occurrence d’encadrer juridiquement des dispositions qui ne bénéficiaient jusqu’à présent d’aucun encadrement.
Vous avez évoqué, monsieur le président de la commission, les déclarations du président Obama. Il a tout de même indiqué que la NSA avait intercepté – le chiffre est éloquent – 200 millions de SMS par jour, partout dans le monde. C’est tout sauf négligeable, et il est important de savoir comment ces données sont traitées et stockées.
J’indique, monsieur le président, que cette intervention vaudra défense de mon amendement n° 10, qui vise à apporter une précision après les mots « tout autre objet », à l’alinéa 4.
Employée seule, cette expression me semble en effet assez vague. À cet égard, je me permets de vous renvoyer à un excellent article récemment paru dans le quotidien L’Opinion, intitulé « Objets connectés : avez-vous donc une âme ? » et accompagné d’une infographie particulièrement éloquente, présentée sous le titre : « Heure par heure, ma journée connectée ». Celle-ci détaille les nombreux objets connectés que nous utilisons de sept heures du matin à huit heures du soir, qui sont d’ores et déjà dans le commerce et qui représentent un chiffre d’affaires absolument astronomique, en même temps qu’un enjeu extraordinaire en termes de recherche et développement.
Je ne détiens pas d’actions de ce journal, mais je dois dire que l’ensemble de l’article est absolument remarquable et mérite d’être lu avec la plus grande attention, car tout cela soulève de nombreuses questions.
Un autre amendement a pour objet de préciser, toujours à l’article 1er, que seules les personnes ayant un lien avec l’enquête ou l’instruction peuvent faire l’objet d’une géolocalisation.
J’ai déposé d’autres amendements, mais je pense que je vais les retirer après ma rencontre, ce week-end, avec les forces de police et de gendarmerie de mon département. Au passage, madame le garde des sceaux, cela prouve que l’on peut être un parlementaire de terrain sans avoir de mandat local !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Les gendarmes de la brigade d’Argentan ont scruté avec moi ce projet de loi et m’ont donné un blanc-seing absolu. Ils souscrivent en effet entièrement au texte issu des travaux de la commission des lois.
Il est tout de même assez réconfortant pour nous, parlementaires, de voir que la police ou la gendarmerie et la justice peuvent se mettre d’accord sur un texte.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans
par les mots :
ou à un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement, ou d’au moins cinq ans s’il est prévu par le livre III du code pénal,
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président, c’est la version rectifiée de cet amendement que je souhaite présenter.
M. le président. Je suis en effet saisi d’un amendement n° 15 rectifié, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :
Alinéa 4
après les mots :
ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans
insérer les mots :
ou, s'il s'agit d'un délit prévu par le livre II du code pénal, d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à trois ans
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avant d’exposer l’objet de cet amendement, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous remercier de vos interventions et de votre implication sur ce texte.
Vos contributions, d’abord en commission des lois, ensuite lors de la discussion générale, nous aident à rédiger un texte aussi précis que possible, respectueux des libertés individuelles, garant de l’efficacité des enquêtes et permettant de sécuriser les procédures de façon à éviter toute mauvaise surprise.
J’aurai l’occasion de répondre plus spécifiquement à des observations que les uns et les autres ont formulées au fil de l’examen des amendements.
Avec le présent amendement, comme je l’ai dit tout à l'heure à la tribune, il s’agit de faire en sorte que certaines infractions concernant des atteintes à la personne, pour lesquelles la peine encourue est de trois ans d’emprisonnement, n’échappent pas à la possibilité d’une géolocalisation.
J’ai donné l’exemple des menaces de mort ou du délit d’évasion, mais je pense aussi à deux autres infractions, le harcèlement sexuel aggravé et la non-présentation d’enfants aggravée, à propos desquelles nous partageons sans aucun doute le souci de protéger les victimes.
Dans ces cas, la géolocalisation pourrait s’avérer utile et c’est pourquoi je souhaiterais que le seuil soit abaissé à trois ans pour les atteintes aux personnes.
J’ai bien noté que l’amendement déposé par M. le président de la commission des lois incluait les deux premières infractions que j’ai citées à la tribune, mais la méthode consistant à faire figurer une liste dans un texte de loi suscite toujours en moi quelques inquiétudes, car une liste n’est jamais totalement exhaustive et l’on court toujours le risque d’un oubli. Je n’ignore pas qu’il existe déjà dans notre code des énoncés qui présentent cette forme – je pense notamment à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou à la composition pénale –, mais je crois préférable de procéder autrement.
Nous avons donc « balayé » le code pénal pour procéder à des vérifications et nous avons finalement retenu ces deux infractions supplémentaires.
Par ailleurs, madame Goulet, oui, on peut être législateur sans mandat local et être néanmoins très impliqué sur le terrain ! Et oui, les ministères de la justice et de l’intérieur travaillent régulièrement de concert, car nous œuvrons ensemble au service de l’État et de la société. Nous avons le souci de l’efficacité de l’action publique ; c’est ainsi que nous arrivons régulièrement à travailler en bonne intelligence, y compris sur des textes très difficiles.