Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Vincent Capo-Canellas. J’ai plaisir à voir que cette dernière est associée à l’examen du texte gouvernemental.
J’en viens au fond du présent projet de loi.
Mme la ministre l’a dit, c’est un beau sujet que celui de la protection des libertés individuelles et de la mise en œuvre des nouvelles technologies. Il faut trouver une voie qui concilie le respect des libertés, l’efficacité des enquêtes judiciaires et la sûreté des procédures.
Quels sont les termes du problème ?
Les arrêts du 22 octobre 2013 de la chambre criminelle de la Cour de cassation ont empêché la géolocalisation lorsque celle-ci est mise en œuvre sur autorisation du procureur de la République. La chambre criminelle a considéré que la géolocalisation ne pouvait être réalisée que sous le contrôle d’un juge. Cette condition est justifiée par le caractère intrusif de cette mesure, qui porte atteinte à la vie privée. Elle s’applique aussi bien à la géolocalisation d’un téléphone, cas tranché par les deux arrêts du 22 octobre 2013, qu’à la géolocalisation par l’utilisation d’un dispositif dédié tel qu’une balise. Ce cas de figure a donné lieu à une décision admettant le recours à cette pratique dans le cadre d’une information judiciaire.
La Cour de cassation estime implicitement que le procureur de la République n’est pas suffisamment indépendant pour décider de cette mesure et que seul le juge est garant de la protection des libertés individuelles.
Cela a été rappelé, le projet de loi prévoit en conséquence que le procureur peut autoriser, dans les enquêtes qu’il dirige, les opérations de géolocalisation en temps réel pour une durée maximale de quinze jours. À l’issue de ce délai, c’est le juge des libertés et de la détention qui est compétent pour autoriser la poursuite de ces opérations.
Pour autant, le projet de loi ne se contente pas de placer les mesures de géolocalisation sous le contrôle d’un juge du siège. Il procède également à une définition précise de ces moyens techniques.
Rappelons que les pourvois ayant abouti aux arrêts d’octobre 2013 ne se bornaient pas à reprocher au droit interne l’absence de contrôle d’un juge sur la géolocalisation, mais soulevaient également l’absence d’un fondement légal respectueux des critères de la qualité de la loi affirmés par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt du 2 septembre 2010, celle-ci avait rappelé que la géolocalisation devait être « prévue par la loi » au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, ce qui signifiait que la mesure devait avoir un fondement en droit interne accessible, prévisible et compatible avec la prééminence du droit.
Avec le texte qui nous est soumis aujourd’hui, notre code de procédure pénale intégrera également une définition précise des opérations de géolocalisation. Ces précisions nous mettent à l’abri, espérons-le, d’une condamnation par la CEDH.
Il subsiste, malgré tout, une interrogation : dans l’hypothèse d’une géolocalisation en temps réel par le biais d’un terminal de communication, n’y a-t-il pas un risque d’atteinte injustifiée aux droits des personnes si le terminal devait être prêté ou s’il se retrouvait, pour une raison ou une autre, en possession de celui qui n’est pas son propriétaire, lequel était visé par l’enquête et par les moyens de géolocalisation ? Cela impliquerait que la géolocalisation bascule alors sur une personne qui n’a pas de raison de subir cette atteinte à sa vie privée. Le texte apporte-t-il des garanties suffisantes dans cette hypothèse ? J’espère que Mme la ministre ou notre rapporteur pourront me rassurer.
Je voudrais, en conclusion, aborder un autre aspect.
Le débat qui nous occupe aujourd’hui porte, certes, sur les moyens techniques d’enquête, mais il appelle aussi une réflexion plus large sur le statut du parquet.
Plus précisément, ce projet de loi nous donne l’occasion de réaffirmer notre attachement à ce que l’on peut appeler le « parquet à la française ». Nous avions déjà abordé cette problématique lors du débat sur la garde à vue et, en juillet dernier, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Le Sénat avait alors adopté une disposition fondamentale prévoyant que « les magistrats du parquet sont nommés sur l’avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature ». Cette disposition, qui reprend une pratique respectée tant par vous, madame la ministre, que par vos prédécesseurs, apporte des garanties statutaires importantes et réaffirme notre conception de la magistrature.
Malheureusement, force est de constater que cette réforme est au point mort. Notre collègue Michel Mercier le rappelait en commission mercredi dernier : mieux vaut faire aboutir une réforme constitutionnelle, certes ponctuelle, mais consensuelle, et qui représente un réel progrès, que vouloir imposer d’autres modifications alors que la majorité des trois cinquièmes vous fait largement défaut.
Je conclurai en saluant l’excellent travail réalisé par notre commission des lois et par son rapporteur, le président Jean-Pierre Sueur, dans des délais brefs vu l’urgence de la situation.
Les amendements adoptés par la commission des lois nous semblent aller dans le bon sens, notamment celui qui tend à préserver, dans les cas d’urgence, une marge d’initiative pour l’officier de police judiciaire, en lui permettant de poser une balise sans avoir recueilli l’accord d’un magistrat.
Sur les points qui font encore débat, je pense que la discussion à venir nous permettra de progresser.
Le groupe UDI-UC considère que nous aboutissons à un texte équilibré, précis, qui va permettre aux policiers, aux gendarmes et aux magistrats de pouvoir à nouveau s’appuyer sur ces moyens technologiques avec la sécurité juridique requise. Il soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE. – M. le rapporteur et M. Serge Larcher applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « La géolocalisation est pire que Big Brother », déclarait, au début de 2011, Alex Türk, alors président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL –, en faisant référence au célèbre roman de George Orwell. Il avait tout à fait raison, car le système de contrôle imaginé par le romancier dépendait d’une seule organisation dictatoriale : on savait à qui et à quoi l’on avait affaire.
Aujourd’hui, avec des milliers de systèmes de géolocalisation différents, il n’y a plus aucun contrôle. C’est d’autant plus effrayant que, demain, les nanotechnologies permettront une miniaturisation propre à rendre la géolocalisation totalement invisible. Si l’on y ajoute, entre autres, la multiplication des caméras de vidéoprotection publique et privée, les radars automatiques et mobiles, les débits de nos cartes bleues, Navigo, Velib’ et Autolib’, les péages d’autoroute et le GPS, un nombre considérable de personnes peuvent nous suivre pas à pas, littéralement « à la trace ».
Au premier rang de ces personnes se trouvent les employeurs, qui peuvent être tentés d’avoir recours à cette technologie à l’encontre de leurs salariés. Permettez-moi d’ouvrir ici une petite parenthèse qui ne concerne pas directement le texte.
Depuis plusieurs années, la géolocalisation a fait son entrée dans le monde du travail. Cette technologie permet aux employeurs de prendre connaissance de la position géographique de leurs salariés à un instant donné ou en continu, par la localisation d’objets dont ils ont l’usage – badge, téléphone mobile – ou des véhicules qui leur sont confiés.
Cette technique peut être utile pour la préservation de la santé et de la sécurité. On songe notamment au travailleur isolé qui, confronté à un danger, peut être secouru dans la mesure où l’entreprise arrive à le localiser. Toutefois, la géolocalisation n’est pas toujours très respectueuse des droits et libertés des salariés, les tribunaux l’ont rappelé à plusieurs reprises, et c’est en particulier la vie privée qui risque d’être malmenée.
Ainsi, comme toute technologie, la géolocalisation n’est pas bonne ou mauvaise en soi. Si elle a de bons usages, nous avons la responsabilité de légiférer dans tous les domaines où elle est utilisée et de trouver le juste équilibre en chaque matière.
C’est ce que nous invitent précisément à faire les arrêts rendus le 22 octobre 2013 par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dans ces arrêts, la haute juridiction judiciaire se prononce sur la question de la légalité de la géolocalisation et sur celle du contrôle judiciaire du recours à cette technologie en matière pénale.
Sur la question de la légalité de la géolocalisation, en choisissant le visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dans son intégralité, la chambre criminelle de la Cour de cassation suggère la nécessité de légiférer en matière de géolocalisation. En effet, aucune disposition n’est prévue actuellement dans le code de procédure pénale, comme c’est déjà le cas pour les techniques intrusives telles l’interception, l’infiltration, la captation de données à distance.
Nous devons donc, après avoir vérifié qu’aucune autre mesure d’investigation moins attentatoire à la liberté individuelle n’est envisageable, prévoir, dans des termes suffisamment clairs, sous quelles conditions l’autorité publique est habilitée à y recourir et quelles infractions suffisamment graves pourraient être concernées.
En portant aux infractions punies de cinq ans le seuil permettant le recours à cette procédure par les forces de l’ordre et en l’encadrant de manière précise, la commission a trouvé un juste équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection de la vie privée. Elle a ainsi, nous semble-t-il, parachevé le projet de loi, qui était déjà globalement satisfaisant.
J’en viens au contrôle judiciaire du recours à cette technologie. Si ce recours est, j’en conviens, d’une certaine utilité dans les enquêtes, nous devons quand même garder à l’esprit que la géolocalisation constitue une ingérence dans la vie privée des individus. C’est pour cela que la chambre criminelle de la Cour de cassation considère qu’elle ne peut être réalisée que sous le contrôle d’un juge.
Sans reprendre clairement la motivation des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, la haute juridiction estime implicitement que le procureur de la République n’est pas suffisamment indépendant pour diligenter cette mesure et que seul le juge est garant de la protection des libertés individuelles.
La solution que vient de rappeler la chambre criminelle pose la question de la restriction des pouvoirs d’enquête du ministère public. En effet, d’autres prérogatives du parquet sont susceptibles d’être, à l’avenir, remises en question de la même manière.
Comme mes collègues, je rappellerai donc, madame la garde des sceaux, la nécessité et l’urgence de voir aboutir la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
En attendant, nous voterons, bien entendu, le présent projet de loi, amélioré par les travaux de la commission des lois. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la géolocalisation ne peut être réduite à une simple question technique et procédurale.
Débattre de la géolocalisation, c’est surtout débattre de la nécessaire conciliation des libertés fondamentales, d’une part, de la sécurité et de la sûreté, d’autre part. Nous devons rechercher sans cesse le point d’équilibre entre respect de la vie privée de chacun et maintien de l’ordre face à une insécurité croissante. C’est une exigence démocratique à laquelle les membres du RDSE sont fondamentalement attachés. Le sentiment d’insécurité ne doit pas se traduire par un renforcement et un durcissement incessants du contrôle social, au risque de sacrifier les libertés individuelles qui garantissent pourtant l’état de droit.
Si aux États-Unis, le Patriot Act, dont la plupart des dispositions ont été prorogées jusqu’en 2015, a considérablement accru les pouvoirs de collecte et de partage d’information accordés aux services fédéraux du renseignement, il n’a pas empêché de nombreuses dérives et de nombreuses atteintes aux libertés individuelles, pourtant chères aux citoyens américains.
Par balise GSM ou par téléphone portable, la géolocalisation permet non seulement de suivre en temps réel le parcours d’un individu, mais aussi de retracer ensuite ses déplacements, ce qui peut la rendre attentatoire aux libertés individuelles. Elle a d’ailleurs été reconnue comme étant une atteinte à la vie privée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Cette dernière a ainsi rappelé et déterminé, dans sa jurisprudence Uzun contre Allemagne, les garde-fous qu’il convient de mettre à cette ingérence. Elle a, dans cette optique, fixé quatre critères.
Premièrement, la mesure de géolocalisation doit être prévue par la loi, et ce dans des termes suffisamment clairs pour indiquer à tous en quelles circonstances et sous quelles conditions l’autorité publique est habilitée à y recourir.
Deuxièmement, cette mesure ne peut être autorisée que pour des infractions suffisamment graves.
Troisièmement, elle doit remplir un critère de nécessité et de proportionnalité.
Quatrièmement, les législations nationales autorisant ces mesures doivent offrir des garanties adéquates et suffisantes contre les risques d’abus. Ces garanties, précisées par la Cour européenne et sur lesquelles elle exerce un contrôle, recouvrent notamment l’étendue et la durée de la mesure, les raisons pouvant servir de fondement à leur mise en œuvre, la qualité des autorités compétentes pour les prescrire, ainsi que le type de recours offert par le droit interne.
Pour satisfaire à ces exigences, la Cour de cassation, dans deux arrêts du 22 octobre 2013, a estimé que la géolocalisation constituait une telle ingérence dans la vie privée qu’elle devait être exécutée sous le contrôle d’un juge. À la suite de ces arrêts, il n’apparaissait donc plus possible de procéder à des mesures de géolocalisation en temps réel lors d’une enquête placée sous l’autorité du parquet.
C’est dans ce contexte, madame la garde des sceaux, que vous avez déposé le présent projet de loi dont l’objet est de remédier au vide législatif en matière de géolocalisation et d’autoriser de nouveau les mesures de géolocalisation sous l’autorité du procureur de la République. Il était, en effet, de bon aloi de combler cette lacune de notre droit et de donner à cette technique d’enquête nouvelle, efficace mais non réglementée, un cadre juridique. C’était une question de sécurité juridique, d’abord, et de sécurité publique, ensuite, pour permettre aux enquêteurs de poursuivre leurs investigations, en toute légalité, à l’aide de la géolocalisation.
Vous proposez donc, à cette fin, d’insérer dans le code de procédure pénale un nouveau chapitre encadrant la géolocalisation en temps réel.
Le RDSE partage l’essentiel de votre appréciation, madame la garde des sceaux, et soutiendra votre projet de loi.
Comme vous, nous pensons que la sécurité ne peut pas justifier toutes les atteintes aux libertés de nos concitoyens.
À mesure que les techniques de surveillance se font de plus en plus intrusives et qu’elles sont de plus en plus autorisées, la séparation primordiale entre ce qui relève du domaine privé et ce qui relève du domaine public tend à s’effacer, menaçant ainsi les libertés acquises souvent au prix de durs combats historiques.
Qu’il me soit permis de rappeler ici que la procédure pénale n’est autre que la forme du droit pénal, son enveloppe charnelle, mais aussi son principal garde-fou contre les atteintes aux libertés et face à l’arbitraire. Aujourd’hui, le défi de la politique pénale est donc bien de ne pas céder aux sirènes de la culture de la peur et de la surveillance généralisée, tout en garantissant aux citoyens qu’ils pourront vivre en toute sûreté et sécurité. Cet équilibre, c’est ce que nous, radicaux, appelons l’ordre républicain.
Ce texte redonne au procureur de la République le pouvoir d’autoriser les opérations de géolocalisation, sans prendre en compte la jurisprudence de la Cour de cassation du 22 octobre 2013, mais aussi la position des juges de Strasbourg sur la question sensible du statut du procureur de la République. C’est un choix, mais ne pouvons-nous pas craindre, dans les prochains mois ou les prochaines années, d’avoir à connaître ce qu’en pense la Cour européenne des droits de l’homme ?
Vous avez, partant, fixé à quinze jours le délai de saisine du juge des libertés et de la détention, délai qui correspond aussi à la durée de l’enquête de flagrance. Nous sommes très réservés sur ce délai, qui nous semble pour le moins excessif ; c’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à le ramener à huit jours.
Si la Cour de Strasbourg a donné un satisfecit à la procédure allemande, il reste que les mesures de géolocalisation sont ordonnées par le parquet ou par les fonctionnaires de la police judiciaire lorsque la surveillance ne dure pas plus de vingt-quatre heures d’affilée ou, si elle est fractionnée, ne dépasse pas deux jours au total. Cette surveillance dite « de longue durée » doit, dans tous les autres cas, être ordonnée par un juge. La sagesse et la prudence nous font pencher du côté de cette réduction du délai de saisine.
Ce délai doit être également précisé dans le cas où les mesures de géolocalisation sont mises en œuvre dans un lieu privé, a fortiori s’il s’agit d’un lieu d’habitation.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la politique pénale est le fruit d’un subtil et fragile équilibre partant du constat de la réalité des dangers, de l’imprévisibilité inhérente aux comportements humains, un équilibre entre la sécurité et la liberté. L’une ne pouvant aller sans l’autre, il faut assurer la première sans jamais sacrifier la seconde, non plus que la dignité de chacun. C’est parce que nous savons, madame la ministre, que vous partagez avec nous cette vision que nous vous proposerons quelques amendements au projet de loi. (M. le rapporteur, Mmes Muguette Dini et Nathalie Goulet, ainsi que M. Serge Larcher applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, mes chers collègues, Jean Desessard, qui souhaitait intervenir dans cette discussion, n’a malheureusement pas pu être présent et m’a demandé de le remplacer.
Vous le savez, la Cour de cassation vient d’affirmer que la géolocalisation « constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge », au sens de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. L’autorisation d’un juge indépendant est donc indispensable et celle du procureur seul ne peut permettre de recourir à cette méthode d’enquête.
Pourtant, le texte que nous examinons ne remplit pas les critères posés par cette jurisprudence, car le procureur de la République garde le pouvoir de « primo-géolocaliser », en quelque sorte, sans doute parce qu’il est plus réactif qu’un juge du siège, ou plus corvéable. Cependant, nos libertés individuelles doivent-elles s’incliner devant des raisons financières ?
Certes, ce pouvoir ne lui reste acquis que pour un délai de quinze jours au maximum et des exceptions sont prévues en cas d’intrusion dans un lieu d’habitation, mais ces garanties ne suffisent pas à protéger de manière satisfaisante la vie privée des suspects, qui sont, faut-il le rappeler, madame la ministre, présumés innocents et ne sont pas forcément « en délicatesse » avec la loi.
C’est pourquoi je salue les amendements de notre président-rapporteur qui ont été adoptés en commission la semaine dernière, ainsi que les nouveaux amendements dont nous avons débattu tout à l'heure, qui ont par exemple pour objet de relever le seuil de gravité de l’infraction pour mettre en place une procédure de géolocalisation. Je me réjouis également du dépôt par le Gouvernement de l’amendement de bon sens qui tend à ne pas appliquer ces nouvelles dispositions à des victimes, à des personnes disparues ou à des objets qui ont été dérobés à la victime. Je veux encore saluer le principe de la géolocalisation « sous X » lors de l’instruction, ou bien la saisine du juge dans les douze heures et non plus dans les quarante-huit heures.
Ces amendements, s’ils améliorent le projet de loi, ne suffisent cependant pas à rendre celui-ci adoptable par les écologistes.
Notre opposition porte sur le principe même du recours au procureur, statuant seul, pour quinze jours, même si la CEDH peut éventuellement s’en satisfaire. Celui-ci dépend en effet directement du ministère de la justice, donc du pouvoir exécutif. Nous sommes aujourd'hui dans une démocratie, mais qu’en sera-t-il demain ?
Les écoutes, notamment de journalistes, nous rappellent que la frontière est ténue entre la vie privée et la raison d’État. Le texte, dans sa rédaction actuelle, peut donc mener à des abus. Comment protéger les familles, les connaissances, les relations de personnes suspectées dans le cadre d’une enquête ? Qu’est-ce qui empêcherait de surveiller certaines personnes sous le prétexte qu’elles connaissent celui qui connaîtrait celui qui connaît…
Seul le juge des libertés, par son indépendance, est à même d’assurer une protection des données et de la vie privée, en accord avec la décision de la Cour de cassation et avec les exigences de la Cour européenne.
Pour la géolocalisation en suivi dynamique, c'est-à-dire sans intrusion physique dans un bien appartenant à un citoyen, le texte va au-delà des seuls téléphones portables et suscite des inquiétudes. Il est en effet prévu une autorisation de recourir à « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national ».
S’il faut prévoir les évolutions technologiques pour ne pas avoir à légiférer pour chaque innovation, il n’en reste pas moins vrai que le risque d’être suivi à la trace augmente dangereusement à travers des objets aussi courants que des montres connectées, des pacemakers et bientôt même des brosses à dents !
Déjà, les données fournies par nos simples ordinateurs intéressent nos gouvernants et ceux d’autres nations : en témoignent l’affaire Snowden, l’espionnage des institutions ou de dirigeants européens par la NSA – l’agence nationale de la sécurité américaine –, ou les récentes révélations sur le système d’espionnage français. Ces affaires doivent nous inciter, en tant que parlementaires, à définir des limites et des cadres juridiques stricts pour assurer la protection de nos concitoyens.
Ce projet de loi soulève donc les mêmes questions que l’article 20 de la loi de programmation militaire, même si nous avons bien compris qu’il ne s’agissait pas de la même procédure : procédure administrative dans un cas, procédure judiciaire dans l’autre. Je vous rappelle que les écologistes n’avaient pas voté cet article, qui a déjà suscité l’indignation de nombreuses organisations non gouvernementales et de réseaux de citoyens soucieux de préserver leurs libertés individuelles face à l’ingérence étatique.
Leurs prises de position et leurs avertissements doivent nous alerter, car l’inquiétude de l’opinion publique est réelle, et c’est notre rôle que d’écouter et de prendre en compte l’expression citoyenne.
Jusqu’où la protection de nos biens, l’intérêt public, la sûreté peuvent-ils primer sur nos libertés individuelles ? Accepter de telles atteintes au nom de ces valeurs, n’est-ce pas déjà reconnaître que les terroristes, les criminels ont gagné la partie puisque, comme l’a dit Benjamin Franklin, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux » ?
Mme Nathalie Goulet. C’était à une autre époque !
Mme Hélène Lipietz. Les écologistes ont toujours été très attachés à la protection des données et au respect de la vie privée. Nous réaffirmons ici cet engagement. En outre, parce que nous avons confiance dans le juge à la fois pour protéger nos vies et nos biens, mais aussi notre liberté, nous réaffirmons qu’il est indispensable qu’un juge indépendant ait seul la possibilité de recourir à la géolocalisation. Nous voterons donc contre ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte concerne des techniques permettant de localiser en temps réel des personnes grâce à un véhicule dans lequel elles se trouvent ou à un objet qu’elles transportent avec elles.
Chaque fois que la police scientifique a bénéficié de techniques nouvelles, celles-ci ont fait l’objet d’un débat et, chaque fois, les belles âmes se sont récriées, dénonçant une atteinte aux libertés individuelles. Mais des libertés individuelles de qui s’agit-il en l’occurrence ? Des libertés de personnes qui sont suspectées ou mises en examen par un juge d’instruction, donc pas de n’importe qui !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes ici dans le cadre judiciaire, en présence soit d’une enquête préliminaire – donc menée par le procureur, qui dispose d'ailleurs de quinze jours supplémentaires pour les enquêtes préliminaires prolongées –, soit d’une instruction. Dans ce cas, il paraît normal que les forces de police et de gendarmerie emploient les moyens techniques qui sont à leur disposition, moyens dont usent et abusent celles et ceux qui sont recherchés ou mis en examen. Comme nous le savons, les truands utilisent aujourd'hui ce genre de moyens.
Ce texte ne peut donc absolument pas être comparé à l’article 20 de la loi de programmation militaire, qui a fait l’objet de grands débats. Au demeurant, cet article représente un progrès, et cela grâce au Sénat, en particulier grâce à Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, par rapport à l’article 13 auquel il s’est substitué. D’une certaine manière, ce fameux article 20 est plus « liberticide » que le texte qui nous occupe puisqu’il concerne des services de renseignement, intérieur et extérieur, dont on peut penser qu’ils sont utiles mais sur lesquels on est en droit de nourrir quelques interrogations, et qui usent de ces moyens pour combattre le terrorisme, les grands trafics de drogue, etc.
Nous sommes donc ici dans le cadre judiciaire. Dans ce cadre-là, on peut recourir à ces techniques pour rechercher soit des personnes suspectées, mises en examen, soit des personnes disparues, mineures ou majeures protégées, et cela dans l’intérêt de la société et de la justice.
Pourquoi un tel texte ? J’avoue que je suis, pour ma part, quelque peu dubitatif. Toutefois, si on nous le présente, c’est qu’il doit être nécessaire.
Actuellement, l’article 41 du code de procédure pénale, en ce qui concerne le parquet, et l’article 81 du même code, en ce qui concerne le juge d’instruction, prévoient un certain nombre de dispositions générales.
Faudra-t-il donc une loi supplémentaire chaque fois qu’un nouveau moyen d’investigation se présentera ? Je vous invite à relire les articles du code de procédure pénale que je viens de citer : ils permettent au parquet, dans le cadre de l’enquête préliminaire, et au juge d’instruction de procéder à tous les actes d’investigation nécessaires à la manifestation de la vérité, y compris donc celui-là.
Il reste que deux personnes mises en examen ont déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rendu une décision modérée, je peux l’affirmer pour suivre attentivement sa jurisprudence en tant que membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Elle indique que le procédé de géolocalisation ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la convention européenne, à condition que la mesure soit subordonnée au respect de certaines conditions, qu’elle soit limitée à des circonstances particulières, qu’elle ne soit employée que lorsque d’autres techniques ne sont plus opérantes. Mais elle s’arrête là !
Cela a conduit deux personnes mises en examen en France à saisir la Cour de cassation, laquelle a rendu, le 22 octobre 2013, deux arrêts semblables. Or la Cour de cassation est allée, dans ces deux arrêts, beaucoup plus loin que la CEDH.
J’entends ici ou là des magistrats de tous grades et de tous horizons bêler qu’il faut garantir l’unité de la magistrature. Très bien ! Je suis moi-même très partagé sur ce point, mais disons que je suis favorable à l’unité de la magistrature. Il est bien évident que tous les magistrats, qui passent par la même école et suivent le même recrutement, sont égaux. Qu’ils soient magistrats du siège ou magistrats du parquet, ce sont des magistrats !
Malheureusement, pour des raisons qui m’échappent – mais, pour dire le vrai, je ne les subodore que trop ! –, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas suivi les réquisitions du ministère public. Elle a même cru bon d’en rajouter par rapport à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, au point d’écrire en toutes lettres : « Les membres du parquet ne sont pas des juges. » Ce faisant, elle a joué sur l’ambiguïté des termes et les traductions des arrêts de la CEDH. Celle-ci n’évoque jamais que les « magistrats et, pour elle, les magistrats sont des juges.
En France, les magistrats du parquet bénéficient d’un statut spécifique, et nous y tenons. Nous avons tenté de faire adopter un projet de loi constitutionnelle visant à garantir davantage encore leur indépendance par rapport au pouvoir politique ; nous allons peut-être y revenir. Même s’il est possible de passer du parquet au siège et du siège au parquet, la Cour de cassation a jugé que les membres du parquet n’étaient pas des juges, invalidant par là même le recours à la géolocalisation.
Ces deux arrêts ont provoqué, je dois le dire, une espèce de sidération parmi les membres du parquet que j’ai rencontrés au cours des audiences solennelles auxquelles j’ai été invité – pas à Paris, car c’est réservé à des personnes plus haut placées que moi, mais en province ! (Sourires.) –, que ce soit à la cour d’appel dans le ressort de laquelle je suis ou au tribunal de grande instance. Des procédures qui pouvaient concerner des trafics importants – notamment entre un pays limitrophe et ma région – ont été ainsi annulées ou arrêtées.
Les membres du parquet avec lesquels j’ai parlé m’ont demandé : « Comment faire si nous ne pouvons plus employer ces moyens-là, alors que tous ceux que l’on recherche et poursuit les utilisent abondamment ? » Je me suis efforcé de les rassurer en leur expliquant que le Gouvernement était particulièrement habile, Mme la garde des sceaux et le ministère de la justice aussi, et qu’un projet de loi serait bientôt discuté au Sénat, grâce auquel le parquet allait pouvoir autoriser les procédés de géolocalisation, soit dans le cadre des enquêtes préliminaires, soit dans le cadre d’une instruction, ajoutant que, dans les cas d’urgence, les forces de police pourraient anticiper l’autorisation du parquet. Ces mêmes membres du parquet m’ont d’ailleurs confirmé qu’ils seraient joignables à tout moment pour délivrer les autorisations sans délai, par fax, par mail ou par tout autre truchement, comme cela se fait pour les gardes à vue.
C’est à cette situation que le Gouvernement répond, et nous vous en remercions, madame le garde des sceaux.
Pour le groupe socialiste, ce texte est équilibré, puisqu’il soumet le recours à ces moyens à un certain nombre de conditions que la commission des lois a d’ailleurs entendu préciser, comme nous pourrons le constater lors de la discussion des articles.
Nous sommes donc favorables à ce texte, qui permet que les autorités de poursuite – gendarmerie, police, parquet – puissent employer des moyens nouveaux, des moyens de police scientifique, pour rechercher des délinquants, suspectés ou supposés, des gens mis en examen, voire des personnes qui ont disparu, comme il y en a tant si l’on en croit la télévision.
Compte tenu des amendements adoptés par la commission des lois à une très large majorité, presque à l’unanimité, à l’exception d’un certain nombre de nos collègues particulièrement attachés aux libertés individuelles de tous, quels qu’ils soient, le groupe socialiste votera ce projet de loi. (M. le rapporteur applaudit.)