M. Claude Dilain. Oui !
Mme Cécile Duflot, ministre. C’est pourquoi j’ai souhaité que cette exigence de participation citoyenne soit prise en compte dans l’élaboration des futurs CPER et que la programmation de ces contrats autorise le financement de projets d’initiative citoyenne.
M. Claude Dilain. Très bien !
Mme Cécile Duflot, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je veux attirer votre attention sur deux chantiers qui seront essentiels en 2014. Je m’appuierai à ce titre sur les propos qu’a tenus le Premier ministre devant le 96e congrès des maires, en novembre dernier.
Ce rendez-vous a eu lieu peu après le dernier débat consacré par la Haute Assemblée à l’égalité des territoires. Depuis lors, vous avez vu l’un des nouveaux piliers de l’égalité des territoires formalisé avec vigueur, à cette occasion, par Jean-Marc Ayrault : c’est celui de l’accès aux services.
Comme je n’ai eu de cesse de le répéter devant vous, avec une énergie constante et renouvelable, n’en doutez pas (Sourires.), il s’agit là d’une priorité absolue. En effet, là est le ferment de notre pacte républicain. Je sais combien les effets des fermetures cumulées de services dans nos communes ont pu être négatifs. À cet égard, j’ai décidé de prendre cette problématique à bras-le-corps avec l’ensemble des ministères et des opérateurs concernés.
Les précédents orateurs l’ont rappelé, des dispositions législatives relatives à l’accès aux services figurent dans le projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires. C’est une première réponse à la résolution qui a été adoptée : l’égalité des territoires ne fait pas l’objet d’un texte spécifique, mais un titre très important de ce projet de loi y sera consacré. (M. Claude Dilain acquiesce.) Il nous a semblé utile de faire figurer cette question dans un texte dédié, plus largement, aux territoires. Je suis heureuse d’avoir pu défendre ces dispositions, et je me réjouis qu’elles soient inscrites dans le projet de loi qui vous sera présenté par ma collègue Marylise Lebranchu.
Des schémas départementaux d’accessibilité des services au public seront mis en place, de manière obligatoire, dans tous les départements. Je le dis à nouveau, sur ce sujet, il convient de sortir de la vision en silos qui a trop souvent prévalu, au détriment d’une stratégie de territoires transversale.
Avant même la présentation de ce projet de loi, j’ai proposé que puissent être lancés plusieurs schémas dans des départements volontaires – il n’y a, bien sûr, aucune obligation en la matière. Je salue le volontarisme des élus qui ont manifesté leur intérêt pour ce travail anticipé. C’est ainsi que M. Camani a souhaité que le Lot-et-Garonne fasse partie de cette première vague.
Au-delà des dispositions législatives, c’est donc toute une stratégie qui a été définie, axée sur un objectif ambitieux et clair : mettre sur pied un réseau de 1 000 maisons de services au public d’ici à 2017. Il ne m’est pas revenu d’inventer les maisons de services au public. Je le souligne, car Claude Dilain me l’a indiqué : à Clichy, une telle structure existe depuis quelques années, et elle a changé le quotidien des habitants !
M. Claude Dilain. C’est vrai !
Mme Cécile Duflot, ministre. Oui, ces maisons de services au public fonctionnent. Oui, l’initiative « Plus de services au public » constituait une bonne expérimentation. Il faut aujourd’hui étendre ce dispositif à l’ensemble du territoire, et non se contenter de poursuivre les expérimentations. Dans cette optique, il faut garantir dans la durée la sécurisation financière des maisons de santé. Je me suis employée à ce que soit créé le fonds de développement des maisons de services au public, qui a vocation à assurer la pérennité de leur fonctionnement. Ce sera le cas en 2014. Ce fonds sera alimenté à 50 % par l’État et les opérateurs. Il permettra de financer la moitié des coûts de fonctionnement du réseau, et ce de manière durable.
Chacun le sait, s’il est souvent facile de financer les investissements, il peut se révéler plus difficile d’assumer régulièrement, ensuite, le fonctionnement. Nous avons tenu à résoudre cette question. La montée en charge sera évidemment progressive. Lorsque le dispositif fonctionnera à plein régime, ce sont 35 millions d’euros qui seront apportés par l’État et les opérateurs.
Monsieur Mézard, vous avez souligné que, sur cette question, depuis dix ans, on s’en est tenu à des tentatives. Vous avez raison : un certain nombre d’’expérimentations se sont succédé. Désormais, il n’est plus temps de tenter : il faut généraliser. Je l’ai déjà indiqué devant la Haute Assemblée, notre objectif, c’est une maison de services au public dans chaque canton.
M. Jacques Mézard. Il y en aura donc bientôt deux fois moins ! (Sourires.)
Mme Cécile Duflot, ministre. Il ne s’agit évidemment pas d’appliquer cette volonté de manière mécanique. Il faut avant tout garantir une réelle proximité et un contact humain pour l’ensemble de nos concitoyens.
À ce titre, je salue l’ensemble des opérateurs, qui se sont mobilisés. Il faut reconnaître que, le travail en silos correspondant en quelque sorte à la culture de notre pays – les opérateurs ont plutôt tendance à travailler avec leur ministère de rattachement –, le travail mutualisé rompt avec nos habitudes. C’est précisément le rôle de ce nouveau ministère de l’égalité des territoires et du logement que de faire travailler ensemble les uns et les autres. Des groupes de travail techniques ont d’ores et déjà été mis en place pour préciser, avec les opérateurs, les modalités et la ventilation de leurs contributions. Je suis persuadée que nous allons aboutir rapidement.
D’un point de vue plus transversal, je tiens à évoquer aussi un sujet dont il a déjà été question lors de l’examen du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et lors des discussions consacrées à l’égalité des territoires, dit ALUR.
Alors que, dans certains territoires, l’exode rural ou le développement périphérique de lotissements pavillonnaires désagrège nos centres-bourgs, nous devons agir avec force pour garantir un maillage équilibré de notre territoire. Les conséquences de la situation actuelle sont en effet très lourdes en termes de perte de lien social ou de qualité de vie. Il faut donc recréer, là où ils n’existent plus, des centres-bourgs animés, constituant autant de lieux de centralité et regroupant autant de services de proximité essentiels. C’est toute l’ambition du programme annoncé par le Premier ministre devant les maires en novembre dernier.
Cela répond aux interrogations de M. Husson. L’articulation de ces projets avec les dynamiques territoriales, que portent notamment les SCOT, est évidente. Cela permet de recréer le maillage robuste dont nous avons besoin dans ces territoires.
Monsieur Lenoir, la contractualisation peut évidemment être mise en œuvre à ce niveau. Le Président de la République l’a indiqué hier en souhaitant l’établissement de contrats pour les espaces ruraux qui, à l’image de ce qui existe pour la politique de la ville, orienteront les crédits de l’État dans les domaines du logement, de l’offre de santé ou des emplois pour les jeunes. Cela constituera une proposition du Gouvernement à destination des territoires fragiles.
Chacun est en effet conscient que, aujourd’hui, en France, certains territoires se sentent abandonnés, que des populations pensent que, parce qu’elles sont éloignées des centres de décision, elles ne sont plus considérées et respectées. Face à cela, nous devons agir.
Ce programme, issu d’une proposition élaborée conjointement avec Marylise Lebranchu, aura pour objectif d’accompagner les collectivités pour mettre en place un projet transversal, non consommateur d’espaces agricoles et naturels, qui intègre toutes les dimensions de la revitalisation des bourgs concernés : commerces, services publics, aménagements urbains, réhabilitation des logements privés, rénovation et création de logements sociaux, rénovation du patrimoine.
Lors de la première lecture du projet de loi ALUR, votre collègue Mme Didier, maire de Conflans-en-Jarnisy, m’avait invitée à constater le travail des élus locaux sur le terrain. C’était le sens de la visite que j’ai effectuée il y a quelques jours dans le haut pays de Meurthe-et-Moselle. Je veux l’en remercier devant vous et vous dire combien il est, à mes yeux, nécessaire de s’intéresser à ces territoires. Je sais l’implication des élus locaux sur le terrain.
Vous pouvez en outre noter que je réponds facilement, et avec grand plaisir, aux invitations des sénateurs !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est noté ! (Sourires.)
Mme Cécile Duflot, ministre. J’accepte donc volontiers la vôtre, monsieur le président Mézard. La gastronomie lorraine a été une découverte fort agréable et je ne doute pas que les fromages du Cantal nous combleront également d’aise ! (Nouveaux sourires.)
Afin de mener ce programme, le FNADT, a été abondé de 15 millions d’euros supplémentaires dans la loi de finances pour 2014. Contrairement à ce que certains ont indiqué, ce fonds n’est donc pas en baisse mais connaît, bien au contraire, une augmentation significative, qui manifeste l’attention réelle et appuyée que le Gouvernement accorde à cette question des bourgs.
J’ai, au surplus, décidé de consacrer une enveloppe spécifique d’aide à la pierre à ce programme, en partant du principe que, si la construction de logements doit se faire essentiellement dans les zones tendues, il nous faut également, dans la logique d’égalité des territoires, répondre aux besoins des zones moins tendues, où l’offre existante n’est plus forcément en adéquation avec les attentes des habitants.
Vous l’avez peut-être entendu – et ceux qui doutaient de l’engagement du Gouvernement y auront certainement été sensibles –, le Président de la République souhaite faire plus encore à destination des territoires ruraux et fragiles. Nous mettrons donc en œuvre ces contrats spécifiques.
Ces deux axes, les services publics et le programme à destination des centres-bourgs, constituent mes priorités en ce début d’année. J’espère pouvoir travailler avec vous à la réussite de ces deux chantiers – d’autant qu’il s’agit de sujets transcendant les divisions politiques –, car l’expérience des élus locaux est un atout pour penser des dispositifs adaptés à la réalité du terrain.
Je voudrais en outre répondre de manière très précise à M. Hervé Maurey, qui m’a interrogée sur les plans locaux d'urbanisme intercommunaux. J’ai pris devant les sénateurs un engagement qui sera tenu. J’ai défendu, en l’expliquant, leur position devant la commission de l’Assemblée nationale, mais les députés ont souhaité adopter une position différente, qui se distingue toutefois de celle qui était initialement la leur, signe que les débats au Sénat ont eu une influence.
Je déposerai donc en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, qui commencera le 14 janvier, un amendement qui reprendra la lettre exacte de ce qui avait été adopté au Sénat concernant les modes de décision relatifs aux plans locaux d'urbanisme intercommunaux. Vous pourrez ainsi constater que les engagements que je prends devant vous sont toujours tenus !
Pour conclure mon propos, je vous soumettrai une dernière piste de réflexion, sur laquelle, là encore, je serais tout à fait heureuse que vous puissiez réagir. Je souhaiterais engager en 2014 une réflexion sur nos outils d’analyse du développement des territoires et de leurs habitants. Il nous faut pour cela, selon moi, créer de nouveaux indicateurs de richesse, plus larges et plus denses que la seule mesure par le PIB, afin de mieux piloter le projet politique d’égalité des territoires. J’espère que vous serez nombreux, de votre côté, à me rejoindre sur cette question et à contribuer à cette réflexion.
Je veux croire que mon intervention, moins lyrique sans doute que celle de décembre 2012,…
M. Jean-Claude Lenoir. En effet !
Mme Cécile Duflot, ministre. … parce qu’elle visait cette fois-ci à exposer les actes qui traduisent mon engagement et celui du Gouvernement, aura permis de dresser un premier bilan de notre action en matière d’égalité des territoires et de tracer des perspectives claires dans ce domaine.
L’égalité, je ne me lasse pas de le répéter, et je vous remercie d’avoir cité Eugène Claudius-Petit, est toutefois un projet que nous devons continuer à construire ensemble. Je compte donc sur votre mobilisation, vos idées et vos initiatives pour le nourrir. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Débat sur la politique étrangère de la France
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique étrangère de la France, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, cher Laurent Fabius, permettez-moi tout d’abord de me féliciter de la tenue du présent débat, tout en souhaitant, vous le comprendrez, qu’un échange de ce type soit organisé – il faut trouver les modalités pour ce faire – de manière un peu plus régulière. Je n’ai pas d’idées précises quant à la régularité, mais on pourrait prévoir qu’il ait lieu en tant que de besoin, deux ou trois fois tous les deux ans. Il ne faut pas non plus multiplier les débats de cette nature, car cela risquerait de les affadir.
Cela étant, en programmant ce débat de fond, notre objectif est de permettre à l’ensemble des sénateurs et des formations politiques d’exprimer leurs analyses et leur perception de la politique étrangère de la France. Cet échange est particulièrement important dans un monde globalisé, un monde en transition, en adaptation, qui, après la bipolarité de la guerre froide, puis une quasi-unipolarité de l’hyperpuissance américaine, passe à une autre forme d’organisation, que nous ne discernons pas encore et que nous peinons même à deviner.
Aujourd’hui, le monde n’a pas de pôles. Mais est-il pour autant apolaire ?
Comme vous le souligniez vous-même, monsieur le ministre, lors de la XXIe conférence des ambassadeurs, à l’heure actuelle, « constitué d’acteurs nombreux, de taille et de nature diverse (étatiques et non étatiques), [le monde] se déploie en effet sans que l’un de ces acteurs ou une régulation par plusieurs d’entre eux assure une gouvernance mondiale efficace et incontestée. » C’est dire si nos clés de lecture ne sont pas évidentes. J’espère que notre débat de cet après-midi contribuera à nous éclairer sur les positions et la place de notre pays dans le concert des nations.
Dans ce monde en devenir, voici l’ambition que fixe le Président de la République à notre pays : « la France veut être un pont entre les continents et éviter ce que certains ont appelé le choc des civilisations. Elle se veut – nous en sommes d’accord – une ″puissance repère″, c’est-à-dire une nation, qui s’exprime au-delà de ses seuls intérêts. »
Lorsque la commission des affaires étrangères se rend chaque année en mission à l’ONU, ses membres appréhendent bien ce rôle de repère que joue notre pays, en réussissant à conjuguer nos intérêts nationaux et collectifs avec les valeurs universelles auxquelles l’action de la France est associée.
En effet, notre influence dépasse notre poids démographique, économique ou militaire. L’enjeu des années à venir est de savoir si cette capacité d’influence pourra être maintenue, alors même que le grand rééquilibrage au profit des nouvelles puissances, que souligne Hubert Védrine, se poursuivra inéluctablement.
Démographiquement parlant, dans dix ans, nous ne « pèserons » plus, si j’ose dire, que 0,85 % de la population mondiale. D’un point de vue économique, nous passerons vraisemblablement de la cinquième à la septième place. Or, nous en sommes bien conscients, sans redressement économique et financier, il n’y a pas de rayonnement international, pas plus qu’il n’y a, comme nous l’avons souvent souligné au sein de la commission, d’indépendance nationale. C’est ce qui justifie pleinement, selon moi, l’accent mis par le ministère des affaires étrangères sur la diplomatie économique.
Pour maintenir cette capacité d’influence, nous avons également besoin de moyens d’action, qui sont ceux que nous confèrent nos capacités militaires.
Nous avons récemment voté la loi relative à la programmation militaire – je vous en remercie d’ailleurs chaleureusement, mes chers collègues –, dont la lettre nous assure un outil de défense fiable, tout en faisant participer la défense au redressement des finances publiques. Un sacré challenge !
Mes chers amis, la tentation reste forte de faire de la défense une variable d’ajustement budgétaire. L’arbitrage du Président de la République pour préserver le budget de la défense a pourtant été rendu de manière extrêmement claire. Nous nous appuierons sur lui pour veiller à la bonne mise en œuvre de cette loi relative à la programmation militaire au cours des années à venir. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre vigilance.
M. Jean Besson. Oui !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Redressement économique et maintien d’une défense forte constituent les deux conditions pour que notre diplomatie puisse agir efficacement et pour que la France demeure cette puissance d’influence et ce repère que souhaitent tant le Président de la République que vous-même, monsieur le ministre.
À cette fin, il faut aussi que des moyens soient donnés à votre ministère. À cet égard, la commission et les rapporteurs pour avis du projet de loi relative à la programmation militaire ont exprimé les préoccupations que leur inspire la tendance baissière des crédits.
De fait, il arrive un moment où, malgré la compétence des ministres et le dévouement des diplomates, on ne peut pas faire mieux avec moins. Alain Juppé et Louis Schweitzer, dans leur rapport de 2008, faisaient déjà le constat que le ministère des affaires étrangères était « à l’os ». Que faudrait-il dire aujourd’hui, même si votre créativité et votre intelligence, monsieur le ministre, nous permettent de tenir le choc ?
Mme Nathalie Goulet. C’est aimable !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Du reste, les exemples les plus récents, à savoir ceux du Mali et de la République centrafricaine, la RCA, mettent en évidence les limites de notre action. La France peut beaucoup : elle s’est engagée sans hésiter pour défendre les intérêts et les valeurs de la communauté internationale ; mais elle ne peut pas agir seule dans la durée.
C’est pourquoi nous attendons la solidarité des autres pays, ainsi que celle des organisations internationales et régionales. Or nous avons parfois le sentiment que cette solidarité tarde à se manifester, notamment à l’échelon européen ; c’est une remarque que j’ai déjà formulée au cours du débat sur notre engagement militaire en RCA.
Comme vous l’avez fait observer, monsieur le ministre, les crises au Mali, en RCA, en Syrie et au Moyen-Orient soulèvent la question de l’amélioration de leur gestion collective et de la gouvernance mondiale. Aussi bien, sans des progrès significatifs dans ce domaine, il me paraît clair que notre pays ne pourra pas continuer à prendre seul ses responsabilités.
Dans ce contexte, deux préoccupations majeures se font jour, dont la première tient à l’évolution de la notion de responsabilité de protéger.
Nous savons tous que, dans l’application de celle-ci, l’usage de la force armée n’intervient qu’in fine, lorsque tous les autres recours, notamment les négociations et les sanctions, ont échoué.
Je constate que, au Mali comme en RCA, l’intervention de la France a été unanimement approuvée ; sans nous voiler en aucune façon les difficultés de la tâche, nous pouvons affirmer que, pour l’heure, la transition au Mali se déroule d’une manière exemplaire.
Cette observation me donne l’occasion de saluer l’action remarquable de nos soldats et, monsieur le ministre, de nos diplomates.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Le fait est que je n’ai pas entendu de critiques sur l’action d’une ancienne puissance coloniale ou sur l’ingérence des grandes puissances.
La situation n’est pas la même en Syrie, où le massacre de la population par le pouvoir de Bachar Al-Assad se poursuit sous la protection de la Russie, dont la vigilance ne se dément pas au Conseil de sécurité des Nations unies.
Pis, le pouvoir syrien, relégitimé par le désarmement de son arsenal chimique, marque des points sur le terrain. Au nom de la souveraineté de l’État syrien, la communauté internationale assiste impuissante à une véritable entreprise criminelle à grande échelle, qui risque de plonger l’ensemble de la région dans le chaos.
Le Président de la République lui-même s’est exprimé ainsi devant les ambassadeurs : « Dois-je rappeler que ce conflit a fait déjà plus de 100 000 morts, et qu’il se propage désormais à l’ensemble de la région ? Au Liban par des attentats. En Jordanie et en Turquie par l’afflux des réfugiés. En Irak par le déchaînement de violences meurtrières. Cette guerre civile menace aujourd’hui la paix du monde. »
En dépit de ce constat, rien ne bouge ; et nos récents entretiens à l’ONU ne nous incitent pas à l’optimisme sur les chances de réussite de la conférence de Genève II, qui doit se tenir dans une quinzaine de jours.
Si je partage l’analyse russe sur le danger que constituent l’islamisme radical et le terrorisme qui en est issu, je ne peux que constater que le soutien indéfectible de la Russie au régime syrien a puissamment contribué à l’essor du djihad en Syrie et au renforcement des extrêmes.
J’ai dit à nos amis russes qu’une bonne application du principe de responsabilité de protéger aurait dû les conduire à trouver par la négociation, voilà maintenant plus de deux ans, une solution politique. En vérité, c’est la radicalisation provoquée par le soutien sans concession de la Russie au régime syrien qui conduit à l’impasse dramatique et très dangereuse que nous connaissons aujourd’hui.
L’exemple syrien met en évidence une panne du système international de résolution des crises qui me paraît doublement dangereuse : dangereuse en raison des risques de contagion régionale sur le terrain, elle l’est aussi parce qu’elle révèle le blocage institutionnel de l’ONU.
Le second sujet de préoccupation que je désire aborder est l’Europe, qui est – faut-il le rappeler ? – notre priorité politique. Dans ce domaine, la réflexion a été bloquée par la perspective des élections allemandes, tant il est vrai que, sans ce pays et sans la reconstruction urgente d’une action commune franco-allemande, la panne de l’Union européenne pourrait encore s’aggraver.
Ces élections passées, nous attendons, en retenant notre souffle, les élections européennes et, surtout, la mise en place d’une nouvelle commission, en espérant qu’un nouvel élan en sortira.
Je ne souhaite pas évoquer à cet instant le manque évident de solidarité de l’Europe et des pays européens vis-à-vis de la France au Mali, et surtout en RCA.
Cela étant, j’ai été frappé par cette analyse du Président de la République : « Ou l’Europe est capable de se redessiner un projet ou, lentement mais sûrement, elle connaîtra un processus de désintégration, de déclassement, qui non seulement sera fatal à l’Europe, qui a constitué la grande aventure humaine de ces soixante-dix dernières années, mais qui sera préjudiciable pour l’ensemble du monde, parce que l’Europe est une référence, est un cadre, est même un exemple de coopération régionale. »
Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez nos inquiétudes, qui sont aussi celles des nombreux Européens convaincus de cette assemblée. Vers quoi allons-nous ? Vers une régression ? Vers une consolidation bancale – car il est évident que nous ne pouvons pas nous contenter de ce qui existe ? Vers une intégration plus forte, souhaitée par nos collègues Daniel Reiner et Jacques Gautier en matière de défense ? Vers une Europe à deux ou trois vitesses ?
Je souhaite que vous nous éclairiez sur la politique de relance que vous entendez mener après les élections européennes.
Avant de conclure, je voudrais aborder nos relations avec la Russie.
Juste avant la dernière suspension de nos travaux, j’ai conduit une courte mission à Moscou, à laquelle ont participé Christian Cambon, Michelle Demessine et Yves Pozzo di Borgo. Nous avons rencontré des responsables des ministères russes des affaires étrangères et de la défense, du parlement russe et de la commission des droits de l’homme.
Nos relations sont difficiles avec ce grand pays, qui est et ne peut qu’être un grand partenaire de la France et de l’Europe ; j’ai moi-même souligné les divergences fortes qui nous opposent, sur la Syrie et sur quelques autres sujets irritants – je pense en particulier aux problèmes récurrents en matière d’adoption.
Je ne prétends pas faire à cette tribune une analyse de nos difficultés ; je veux seulement souligner l’excellent climat de nos entretiens, avec nos collègues du Conseil de la Fédération, bien sûr, mais aussi avec les représentants de l’exécutif : nous avons senti une volonté évidente de coopérer et de faire évoluer les choses.
Pour ce qui concerne le problème syrien, qui est emblématique de nos divergences d’approche, nous comprenons bien que la menace islamiste est très prégnante en Russie, qui compte près de 20 millions de musulmans sur son sol ; les attentats récents le rappellent, à la veille des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi. Reste que le soutien à l’une des pires dictatures du moment aboutit au résultat inverse de celui qui est recherché : le succès de l’islamisme radical et, par voie de conséquence, une véritable déstabilisation régionale.
Le refroidissement momentané de nos relations avec la Russie n’est pas acceptable ; je sais, monsieur le ministre, que vous en êtes le premier persuadé.
À notre niveau, nous souhaitons plus de Russie. Mon homologue du Conseil de la Fédération, M. Marguelov, et moi-même avons décidé de multiplier les échanges. C’est ainsi que nous avons appelé ensemble à une réunion des sénats du G8 à l’occasion du prochain sommet. Nous avons également décidé de nous rencontrer plus régulièrement pour brasser des idées ; non pas d’une manière générale et désordonnée, mais sur des thèmes précis et choisis de concert. Bien sûr, nous en parlerons avec le Quai d’Orsay.
Enfin, avec Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, j’ai invité M. Rogozin, vice-premier ministre chargé de la politique d’armement, à être l’hôte d’honneur de nos universités d’été de la défense, au mois de septembre prochain à Bordeaux. (Mme Nathalie Goulet s’en félicite.) Preuve que la diplomatie parlementaire peut peut-être jouer un rôle dans notre politique étrangère, à côté, monsieur le ministre, de la politique que vous menez.
Permettez-moi, pour finir, de faire mention du passionnant ouvrage que vient de faire paraître Pierre Grosser, intitulé Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle. L’auteur traite du complexe de Munich, de celui de Suez et de celui du Vietnam, pour montrer tous les risques de la diabolisation de l’adversaire.
De fait, la diplomatie consiste à parler aussi à ses ennemis ; on ne choisit pas son interlocuteur. Raison pour laquelle, comme le montre Pierre Grosser, la diabolisation n’est pas probante.
Par ailleurs, les diables ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Le monde est plus complexe, même si le propos de Pierre Desproges cité dans l’ouvrage – permettez-moi de conclure avec cette référence sur un ton plus léger – demeure indépassable : « L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui ! » (Sourires et applaudissements.)