M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Delphine Bataille. Lors du débat du mois de novembre, j’ai évoqué les efforts accomplis en matière d’éducation, de santé, de mobilité et de logement. J’insisterai aujourd'hui sur la réduction de la fracture numérique, qui traduit la volonté du Gouvernement de favoriser l’accessibilité des services publics.
L’accès au très haut débit permet en effet de désenclaver les territoires isolés, notamment en améliorant la couverture médicale et la prise en charge des personnes âgées. C’est également un enjeu stratégique pour assurer le développement d’une économie de proximité diversifiée, car les entreprises pourront choisir de s’installer à la campagne.
Ce facteur important de croissance et de création d’emplois pourra contribuer à résorber les inégalités et à freiner l’exode rural.
L’objectif d’une couverture universelle du territoire dans les dix ans est ambitieux compte tenu du retard de la France par rapport à la plupart des pays européens et du coût important des infrastructures numériques.
On peut s’interroger sur les moyens financiers permettant de résorber les zones blanches, en particulier dans les territoires ruraux. L’intervention de l’État s’avère incontournable dans ces zones rurales pour lesquelles les opérateurs privés ne manifestent qu’un intérêt très modéré.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Delphine Bataille. D’une façon générale, la situation dans les territoires ruraux est si dégradée que le rôle régulateur de l’État sera déterminant, d’autant que les déséquilibres territoriaux sont aussi liés aux inégalités sociales. C’est le cas des territoires qui cumulent des inégalités d’accès aux services publics, de graves difficultés économiques et des situations sociales préoccupantes.
Les mesures de réduction des inégalités dans ces territoires défavorisés relèvent de la solidarité nationale et doivent prendre en compte l’interaction entre les politiques d’aménagement des territoires et les politiques sociales.
Elles doivent aussi être envisagées sur le long terme pour permettre à chacun de ces territoires de développer ses atouts.
Après le projet de loi consacré aux métropoles, ressenti par de nombreux élus des zones rurales comme un abandon de leur territoire par l’État, les volets à venir des textes relatifs à la décentralisation doivent traduire la volonté gouvernementale d’égalité des territoires.
À l’instar de nos collègues députés, qui ont voté il y a quelques jours une proposition de résolution pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, j’insiste pour que soient consacrés de nouveaux moyens dans l’accès aux services publics, dans le développement de l’ingénierie territoriale et dans l’aménagement numérique.
Je plaide par conséquent pour la refonte et l’amplification des outils de péréquation en concentrant les moyens sur les territoires les plus fragiles, pour la restauration d’une autonomie fiscale pour les collectivités, et enfin pour la mobilisation d’une partie des concours de l’État vers les investissements territoriaux.
Aujourd’hui, les populations demandent plus de solidarité nationale, et donc plus d’État. Si la politique d’égalité des territoires doit conduire à une complémentarité entre un État fort et des collectivités décentralisées, l’intervention de l’État reste fondamentale pour permettre un rééquilibrage et éviter les disparités et les inégalités entre territoires riches et territoires pauvres.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
M. Roland Courteau. C’est certain !
Mme Delphine Bataille. Ces territoires défavorisés ne méritent pas le sort qui leur semble réservé, à savoir un abandon, au regard des contraintes budgétaires et de l’orientation de certaines politiques publiques.
Les réponses du Gouvernement, madame la ministre, doivent traduire une volonté forte de l’État de combattre les inégalités et de donner un second souffle à ces territoires, donc de redonner de l’espoir à leurs habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président Mézard d’avoir ouvert à nouveau ce débat.
Pour le préparer, j’ai bien entendu relu les échanges que nous avions eus sur ce sujet en décembre 2012, puis en novembre dernier, en particulier les propos que vous aviez tenus à ces deux occasions, madame la ministre.
À lire ce que vous disiez en décembre 2012, je devine la flamme, l’ardeur qui vous animent, je perçois l’enthousiasme qui saisit tout nouveau ministre, non sans relever toutefois votre réquisitoire contre les actions publiques menées depuis de nombreuses années.
En novembre dernier, votre propos était plus mesuré, plus prudent. Il faut dire que l’épreuve…
M. Jacky Le Menn. Du feu !
M. Jean-Claude Lenoir. … des responsabilités gouvernementales endurcit, tout en modifiant le jugement que l’on peut porter sur ses propres possibilités d’action et sur celles de ses prédécesseurs.
Il est un point sur lequel vous vous étiez montrée particulièrement offensive : vous nous aviez annoncé une loi sur l’égalité des territoires. Vous aviez d’ailleurs manifesté votre soutien résolu à la proposition de résolution du président Mézard. Mais cette loi n’est pas venue, et c’est finalement le Sénat qui s’est substitué à l’initiative gouvernementale.
Cela montre au passage que le Sénat joue un rôle sans doute beaucoup plus important et beaucoup plus décisif qu’il n’est parfois rapporté, y compris par certains des nôtres.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Vous voyez que nous avons certains points d’accord !
M. Jean-Claude Lenoir. En quoi donc le Sénat a-t-il agi en lieu et place du Gouvernement ? Il l’a fait à l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, texte qui témoignait de l’intérêt que le Gouvernement portait aux territoires métropolitains. C’est grâce au Sénat, sur l’initiative de sa commission, soutenue par l’ensemble des groupes que compte la Haute Assemblée, qu’un second volet a été ajouté, concernant les territoires d’équilibre, autrement dit les territoires ruraux.
Le texte qui a, en définitive, été voté montre bien que l’organisation territoriale s’appuie certes sur les métropoles, mais également sur les territoires d’équilibre, c'est-à-dire sur le reste de la France, la France rurale ou rurbaine.
Depuis, le débat s’est poursuivi. Hier encore, nous discutions de l’organisation décentralisée de la République, sujet quelque peu éloigné de celui qui nous réunit aujourd’hui, certes, mais ce qui a été dit hier rejoint pour partie les observations qui ont été formulées aujourd’hui et celles que je vais, à mon tour, vous présenter.
Première observation : je crois au rôle des pays, et ma position fait écho à la volonté que nous avons exprimée dans la loi sur les métropoles et les territoires d’équilibre.
Je sais qu’il existe en France un débat sur ce sujet : il y a ceux qui sont pour les pays et ceux qui sont contre. Généralement, les premiers sont ceux qui ont créé un pays et en tirent bénéfice tandis que les seconds n’en voient pas la nécessité.
Je crois qu’aujourd’hui un pays, un territoire d’équilibre, pour reprendre l’appellation qui figure maintenant dans la loi, est d’abord fédérateur des intercommunalités.
Souvent, le monde rural compte de nombreuses petites communautés de communes, entre lesquelles un lien doit être assuré ; c’est le rôle du pays. Ce n’est pas une structure supplémentaire. Du reste, de plus en plus, eu égard aux contraintes budgétaires qui sont les nôtres, le pays devra s’organiser avec les moyens déjà présents dans les communautés de communes.
En vérité, le pays est le lieu où les élus se rencontrent sur un territoire pertinent. Bref, c’est l’échelon approprié pour l’organisation des territoires. La preuve en est, madame la ministre, que les SCOT sont portés par les pays…
M. Jean-Louis Carrère. Peuvent être portés par les pays !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est le cas la plupart du temps, car il s’agit tout simplement de la meilleure solution pragmatique.
En outre, c’est le bon échelon pour l’organisation des services publics puisque, à ce niveau, les élus peuvent, en lien étroit avec les services de l’État, de la région, du département et des communautés de communes, trouver les sites qui sont adaptés à l’attente des populations.
M. Jean-Louis Carrère. Et les pays, c’est une idée verte ! (Mme la ministre acquiesce.)
M. Jean-Claude Lenoir. Deuxième observation : pour que le pays puisse travailler et réussir, il faut de la contractualisation. Sur ce point, je crois pouvoir compter sur votre appui, madame la ministre…
M. Jean-Louis Carrère. La réponse est oui !
M. Jean-Claude Lenoir. … puisque, dans les comptes rendus des débats publiés au Journal officiel, j’ai lu avec plaisir que vous étiez convaincue du bien-fondé de la contractualisation.
La contractualisation oblige à la concertation, à la coordination, et elle permet de surcroît de rassembler sur un territoire bien identifié les moyens de l’État, de la région, du département, auxquels s’ajoutent les moyens que l’Europe peut apporter.
M. Jean-Louis Carrère. Les présidents de conseil général jouent un rôle majeur !
M. Jean-Claude Lenoir. La contractualisation est nécessaire, et je souhaite, madame la ministre, que vous nous apportiez des assurances sur les suites qui seront données à ce dossier en 2014.
J’ai retenu aussi de vos propos que vous aviez envisagé de mettre en place des contrats de ville. Nous avons deviné les contours de cette mesure, mais ils restent relativement flous, et le moment est venu pour vous de nous en dire plus.
Troisième observation : à quoi servent ces territoires organisés que sont les pays ? Ils sont d’abord destinés à confirmer la place, voire à amplifier le rôle des services apportés au public. Je choisis d’employer cette expression plutôt que celle de « services publics », qui laisse toujours plus ou moins entendre que ce sont l’État et quelques grandes structures qui, notamment à travers de grands équipements, sont concernés. Les services auxquels je pense sont infiniment variés : ce sont tous les services apportés au public par les administrations déconcentrées de l’État, bien sûr, mais aussi par les collectivités locales, par un certain nombre d’associations généralement animées par des bénévoles...
À ces trois observations j’ajouterai quelques remarques.
Premièrement, il faut se garder de penser que les nouvelles technologies répondent actuellement aux besoins de l’ensemble des citoyens, quel que soit leur lieu de résidence.
J’entends trop souvent que, grâce à Internet, grâce à la 3G, ou à la 4G – on ne sait d’ailleurs plus très bien où on en est en la matière ! –,…
M. Jean-Louis Carrère. On twitte moins en province !
M. Jean-Claude Lenoir. … grâce au mobile, il est possible d’exercer une activité professionnelle dans le monde rural comme en ville. Malheureusement, c’est faux : il y a un décalage considérable entre ce qui est proclamé et la réalité, et nos concitoyens nous reprochent à tous de ne pas être en mesure de faciliter l’accès à ces nouvelles technologies.
Deuxièmement, j’ai relevé dans vos propos, madame la ministre, une formule qui m’a plu : vous avez déclaré en décembre 2012 qu’il ne fallait pas avoir une pensée « par silos », c'est-à-dire qu’il ne faut pas raisonner structure ministérielle par structure ministérielle, chacun voulant avoir son champ d’activité propre ; car, il faut bien le reconnaître, tous les fonctionnaires ne sont pas préparés à travailler ensemble dès lors qu’ils relèvent d’administrations centrales différentes.
Troisièmement, il faut faire place à l’innovation, ce qui implique de régler un problème préalable. Je viens d’en parler très rapidement et, soucieux d’être compendieux, je n’y insisterai pas davantage, sinon pour dire que l’accès au très haut débit et l’amélioration de la qualité des réseaux permettant de téléphoner avec des mobiles sont des nécessités absolues.
Quatrièmement, à la suite du président Mézard, je dirai que nous avons besoin d’axes routiers performants. Je profite de ma présence à la tribune pour le répéter : il y a un axe routier qui intéresse l’ensemble des sénateurs, car, je le sais, vous êtes tous attirés par la Bretagne (Sourires.),…
M. Jean-François Husson. Ça, c’est vrai !
M. Jean-Claude Lenoir. … et je suis sûr que vous êtes tous désireux, lorsque vous vous y rendez, de faire étape à Mortagne-au-Perche, très jolie sous-préfecture…
M. Gérard Larcher. Dans un très beau département ! (Rires.)
M. Jean-Claude Lenoir. … dont je suis le maire.
Il existe donc, pour se rendre en Bretagne, une très belle route, qui est une quatre-voies. Dans un trait d’humour, notre collègue Jean-François Husson nous expliquait tout à l’heure que le Meurthe-et-Moselle était un département « bi-SCOT ». Pour ma part, j’évoquerai ce député breton qui, voilà bien longtemps, s’exprimant nuitamment, faute de trouver le mot pour désigner ces routes à deux fois deux voies, avait parlé des « bi-routes ». (Rires.)
Malheureusement, à l’heure actuelle, cette quatre-voies ne couvre pas la totalité du trajet entre Paris et Brest. Or, madame la ministre, notre développement impose que cette question soit réglée.
Cinquièmement, l’innovation passe notamment par la recherche de la mutualisation. Il y a peu, j’ai entendu avec beaucoup d’intérêt le président de La Poste, Philippe Wahl, faire part devant la commission des affaires économiques de ses idées afin que La Poste continue de jouer un rôle important dans notre pays malgré la diminution sensible du volume du courrier.
Il nous a expliqué qu’un certain nombre de services étaient proposés par La Poste, notamment des services à la personne, plus particulièrement en faveur des personnes plus isolées. Il peut s’agir, par exemple, de leur porter à domicile les DVD ou les livres qu’elles empruntent à une médiathèque, puis de les retourner à cette dernière, de livrer des médicaments, ou tout simplement d’assurer une présence.
Le monde rural recèle de véritables trésors d’imagination : beaucoup de personnes sont capables de concevoir un environnement finalement mieux organisé, plus simple et, disons-le, moins coûteux que celui dont ont besoin les zones urbaines.
Cela m’amène, madame la ministre, à mon sixième point : il nous faut accepter de laisser une grande place à ce que je n’hésite pas à appeler des différences de traitement dans nos territoires. En effet, nous avons des formules standardisées qui nous conduisent à avoir les mêmes comportements, quel que soit le département, la Meurthe-et-Moselle, le Morbihan, l’Orne ou le Tarn-et-Garonne. Sans doute du fait de notre culture jacobine, nous appliquons les mêmes standards et nous ne savons pas adapter la loi, le cadre et les outils juridiques à la réalité telle qu’elle est vécue ou souhaitée par les élus. Nous disposons par conséquent, à cet égard, de marges de progrès considérables.
Madame la ministre, ne faisons pas la même chose partout : laissons l’intelligence des territoires s’exprimer !
Je suis persuadé que, au-delà des clivages politiques, les collectivités peuvent apporter énormément à un État en quête d’économies. Quelles que soient les travées que nous occupons dans cet hémicycle, nous adhérons tous à l’idée que nous devons vivre autrement et nous organiser avec des moyens qui vont sans doute aller de plus en plus en diminuant.
À partir de là, voyons comment nous pouvons, avec moins d’argent, faire aussi bien. Dans cette optique, je suis sûr que le monde rural a beaucoup à apporter. Il s’agit non pas d’adresser des leçons à qui que ce soit, mais d’offrir des exemples à retenir.
Souvenez-vous : à partir des années soixante, la ville a été consacrée comme le modèle de vie et d’organisation du territoire. Il était même question de « nouvelles villes », de « métropoles d’équilibre ». En somme, tout a été fait en faveur de l’urbain.
On assiste actuellement, c’est incontestable, à un retour de balancier. En examinant récemment les résultats des recensements faits dans mon territoire, à l’est de l’Orne, en particulier dans la petite province du Perche, j’ai pu constater que le nombre d’actifs de 18 à 40 ans venant de l’extérieur était plus important que celui des membres de cette classe d’âge qui quittaient cette région, pourtant très rurale.
Or des territoires comme celui-là ont la capacité d’accueillir l’imagination et le travail, attirés par l’esprit de solidarité qui est la marque du monde rural. Veillons donc à enrichir et conforter cette évolution en leur donnant les moyens adéquats.
Madame la ministre, en définitive, je considère que vous êtes plus chargée de l’équilibre que de l’égalité des territoires. Je vous l’ai déjà dit, je ne crois pas vraiment à cette valeur d’égalité en matière d’aménagement du territoire ; je demande au minimum l’équité et, si possible, l’équilibre, mot citoyen susceptible de nous rassembler. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai récemment eu l’occasion d’aborder le sujet qui nous réunit aujourd'hui au cours d’une séance de questions cribles thématiques relatives à la montagne. Vous vous souvenez certainement, madame la ministre, que j’avais évoqué le sort du sud du département de la Haute-Garonne, où pas moins de quatre cantons avaient été dévastés par les inondations de juin 2013, lesquelles avaient en quelque sorte révélé la situation de ces territoires ruraux, victimes de leur enclavement et prisonniers de leur mono-activité économique.
Cet exemple illustre, en vérité, une situation que connaissent de nombreuses régions. Elle résulte, bien sûr, de particularismes géographiques, mais pas uniquement. À cet égard, je me dois, après d’autres orateurs, de rappeler ici, n’en déplaise aux amnésiques, que la tristement célèbre RGPP, portée par la précédente majorité, a causé des dégâts durables et aggravé des inégalités préexistantes.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, à l’occasion du congrès des maires, Jean-Marc Ayrault a rappelé combien le défi que s’est attaché à relever le Président de la République en s’attaquant à la réduction de la fracture territoriale était complexe. Il l’a fait, du reste, en affirmant de manière forte son engagement pour l’égalité des territoires et en annonçant six mesures au service de cet objectif, que Pierre Camani a évoquées tout à l’heure.
Je les rappelle néanmoins, car elles sont importantes : création d’ici à 2017 de 1 000 maisons de services publics sur les territoires les moins denses ; création de 64 zones de sécurité prioritaires où le rural n’est pas oublié ; ouverture de 500 postes supplémentaires dans la police et la gendarmerie ; accélération du déploiement du très haut débit ; programme en direction des bourgs ; association de tous les échelons de collectivités aux négociations des contrats de plan État-région et, en même temps, décentralisation des fonds européens. Ce n’est pas mince !
Par ailleurs, le Gouvernement apportera son soutien aux communes en dotant de 570 millions d’euros le Fonds de péréquation des ressources communales et en créant une nouvelle agence de financement des collectivités locales qui permettra aux communes de taille modeste d’accéder aux marchés financiers, ce qu’elles sont actuellement dans l’impossibilité de faire. Ces collectivités seront du reste confortées par la politique de simplification des normes du Gouvernement, tant réclamée à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale organisée au Sénat par le président Bel. Cette orientation a d’ailleurs été renforcée par la nomination récente d’un médiateur dédié. S’ajoute à ces décisions, sur votre initiative, madame la ministre, la création du Commissariat général à l’égalité des territoires.
Pour autant, ces mesures, aussi bienvenues soient-elles – personne ne peut le nier –, ne sauraient à mon sens suffire à définir une politique globale en adéquation avec les véritables enjeux du XXIe siècle et, surtout, avec le futur paysage institutionnel de nos territoires.
Le débat que nous menons aujourd’hui est donc au carrefour de toutes les interrogations, mais aussi de toutes les inquiétudes : les nôtres, bien sûr, mais également celles que nous portons au nom des élus locaux, au premier rang desquels figurent les maires des communes rurales.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. Comme l’ont rappelé certains orateurs, ce ne sont pas moins de deux rapports et d’une dizaine de débats organisés notamment dans le cadre des états généraux de la démocratie territoriale, mais également hier au Sénat, qui ont traité de ce sujet récurrent. À l’évidence, mes chers collègues, il est temps de passer à la concrétisation législative de ces réflexions à la faveur de la troisième étape de la décentralisation.
Celle-ci viendra compléter la loi portant notamment sur la création des métropoles qui inquiète à juste titre, suis-je tenté de dire, les élus ruraux, car ils y voient un facteur d’affaiblissement supplémentaire de leurs territoires.
Cette inquiétude, madame la ministre, doit être prise au sérieux. Nous vous demandons donc de tout mettre en œuvre pour que l’égalité des territoires, dont vous avez la charge, s’inscrive pleinement dans le texte qui sera bientôt présenté par le Gouvernement et qui traitera des solidarités territoriales et de la démocratie locale.
Nous sommes en effet nombreux à être persuadés que tous les acteurs d’un territoire doivent penser ensemble l’essor du rural et de l’urbain, dans leur complémentarité. Cela exige – et la future loi devra le garantir – un mode de pensée qui refuse d’opposer une ruralité vitrifiée dans sa pseudo-appartenance au siècle dernier à un monde urbain symbole de modernité.
Pour terminer, mes chers collègues, je ne peux passer sous silence, car il y va de la pérennité du département, les nouvelles modalités de désignation des conseils généraux ni la redéfinition des cantons. Tout le monde s’accorde désormais pour reconnaître, et ce fut encore fait avec force hier au Sénat, que le département continuera à jouer son rôle dans le paysage institutionnel, tout simplement parce que, à l’évidence, il est indispensable.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Mirassou. Le département demeurera facteur de cohésion sociale et de solidarité territoriale, même si, par ailleurs, la définition des nouveaux cantons, fondée essentiellement sur une approche démographique, n’échappe pas à certaines critiques. Cela étant, j’observe que les charges les plus violentes proviennent des rangs de l’ancienne majorité, laquelle avait acté avec beaucoup de désinvolture la disparition même des départements. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Allons, monsieur Mirassou !
M. Jean-Jacques Mirassou. J’ai presque envie de dire que cette disparition avait été programmée par l’« ancien régime » ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Je veux également rappeler que le nouveau mode de désignation des conseillers généraux va automatiquement et mécaniquement introduire la parité dans les institutions départementales.
M. Jackie Pierre. Mécaniquement ?
Mme Michelle Meunier. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. Qui oserait d’ailleurs prétendre aujourd’hui que la parité ne sera pas un facteur d’égalité des territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Cet argument-là, vous êtes allé le chercher vraiment loin !
M. Jean-Jacques Mirassou. Pour conclure, je voudrais souligner que tous les outils existants et à venir seront, là comme ailleurs, ce que les élus en feront. Les représentants des territoires ruraux ne devront pas hésiter à se les approprier pour en tirer les meilleurs profits.
C’est à ce prix, du reste, que l’égalité des territoires reviendra à l’ordre du jour, car je reste persuadé, en ce qui me concerne, qu’entre la résignation, d’un côté, et la gesticulation, de l’autre, il reste toute la place pour l’action. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est avec très grand plaisir que je vous retrouve en ce tout début d’année 2014 pour traiter de l’égalité des territoires. Je remercie donc le RDSE et son président d’avoir mis ce thème à l’ordre du jour de vos travaux.
Comme certains l’ont rappelé, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet majeur avec vous lors du débat de contrôle qui s’est tenu ici le 18 novembre 2013. Mais la matière est loin d’être épuisée…
« L’unité de l’État, c’est également l’égalité entre les territoires », a déclaré hier le Président de la République lors de ses vœux aux corps constitués avant de développer sa pensée sur ce thème.
Avant que je ne réponde aux interrogations précises que vous m’avez adressées, vous me permettrez de rappeler cette ambition réaffirmée hier par François Hollande, ainsi que mon action et celle du Gouvernement pour ce projet politique majeur.
Au passage, monsieur Lenoir, je peux vous rassurer : mon énergie, mon enthousiasme et ma détermination n’ont absolument pas faibli depuis presque vingt mois que nous sommes aux responsabilités.
M. Jean-Claude Lenoir. Nous allons le vérifier ! (Sourires.)
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. En effet, puisque mon intervention a justement pour objet de recenser toutes les avancées rendues possibles par l’action du Gouvernement, sachez que les propos que j’ai tenus devant cette assemblée voilà quelques semaines ne sont pas que des mots ! Ils sont bien la traduction d’un objectif constant, d’un effort continu et régulier que je porte depuis ma prise de fonctions.
Monsieur Requier, vous avez raison, le temps est venu d’élargir notre champ d’action. À cet égard, je vous confirme qu’une rupture avec les politiques précédentes est engagée.
J’ai souhaité recomposer les principes d’un nouveau projet pour l’égalité entre les territoires – je dis bien « égalité », vertu cardinale de la République, et cela avait fait l’objet d’un long échange entre nous au mois de novembre dernier –, fondé sur la solidarité, sur la reconnaissance de la diversité et des capacités de chaque parcelle de notre territoire.
M. Jean-Claude Lenoir. Nous sommes d’accord !
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Sans prétendre à l’exhaustivité, je souhaite tout d’abord, à l’aide de quelques exemples, vous faire la démonstration de cet engagement du Gouvernement pour l’égalité des territoires.
Vous avez été plusieurs à le souligner, l’égalité passe d’abord par une répartition plus juste et plus solidaire des dotations aux collectivités. C’est pourquoi, depuis 2012, a été engagé un accroissement progressif de la péréquation. Dans cette période contrainte pour les finances publiques de l’État et des collectivités, il ne faut pas que la péréquation soit la variable d’ajustement. Le Gouvernement a bien compris que l’exigence de solidarité nous oblige encore plus en ce moment.
Aussi le projet de loi de finances pour 2014 prévoit-il de sécuriser le financement des trois allocations de solidarité en rétrocédant aux départements des frais de gestion de la fiscalité locale.
Par ailleurs, un fonds de solidarité doté de 570 millions d’euros sera créé pour alimenter les départements qui ont le plus fort reste-à-charge et dont le potentiel fiscal est le plus faible, tandis que la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale augmenteront de 4 % en 2014.
Ainsi que l’ont annoncé Marylise Lebranchu et Anne-Marie Escoffier, un travail est envisagé pour faire évoluer la dotation globale de fonctionnement afin de mieux l’adapter à la réalité des territoires et de leurs besoins. C’est un travail lourd, mais essentiel et, à mon sens, il répond pour partie à la demande de M. Le Cam de voir approfondir cette question.
Cela étant, lorsqu’on s’attelle au sujet de la solidarité ou à la réparation des inégalités territoriales, on ne peut se dispenser d’évoquer la présence médicale et l’accès aux soins. (M. Jean-Louis Carrère opine.) À cet égard, le Gouvernement est tout à fait déterminé. Madame Bataille, vous aviez longuement abordé cette question lors du débat du 18 novembre dernier. Je vous l’avais alors rappelé, et je le répète aujourd’hui, mon ministère a contribué au renforcement de la présence médicale dans les territoires en déficit en subventionnant des maisons de santé pluridisciplinaires.
Constatant le nombre important de projets en germe, j’ai d’ailleurs souhaité, en 2013, que 50 maisons supplémentaires soient accompagnées financièrement en mobilisant le fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT. Le nombre total de ces équipements financés par l’État sera ainsi porté à 300 sur trois ans, de manière que le maillage de notre territoire en maisons de santé soit particulièrement dense. Cette action est évidemment menée en parfaite complémentarité avec le pacte territoire-santé soutenu par Marisol Touraine.
Au-delà de la solidarité et de la réparation, la mise en capacité des territoires passe par leur connexion les uns aux autres. En d’autres termes, il faut traiter les liens autant que les lieux : j’emprunte ces mots très justes à la résolution pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, adoptée par l’Assemblée nationale le 17 décembre dernier. À mon sens, cet impératif est l’une des clefs du développement.
À cet égard, au-delà des infrastructures de transports, qui sont très importantes en la matière, j’insisterai sur un chantier majeur : celui du très haut débit.
Pour ne pas éluder la question des transports, et pour ne pas paraître ignorer les remarques de M. Mézard, je rappelle que, le 4 décembre dernier, le Premier ministre a fait cette mise au point : la taxe poids lourds est nécessaire, notamment, comme chacun sait, pour alimenter l’agence de financement des infrastructures de transport, l’AFIT. Le système adopté par l’ensemble des parlementaires, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, était fondé sur une contribution du transport routier destinée à financer l’ensemble des infrastructures de transports, et en particulier les réseaux secondaires. J’ai entendu les inquiétudes de la fédération nationale des associations d’usagers des transports, la FNAUT, quant aux risques pesant sur un certain nombre de petites lignes fragiles et souffrant de sous-investissement.
Monsieur Mézard, vous l’avez constaté, lors de la présentation du programme d’investissements d’avenir, Jean-Marc Ayrault a insisté sur la nécessaire rénovation du réseau ferré secondaire de notre pays. Au-delà des investissements dans le transport à grande vitesse, ces chantiers sont indispensables pour maintenir la desserte d’un certain nombre de territoires.
En outre, le Premier ministre l’a clairement dit : sur un tel sujet d’intérêt national, il souhaite que les parties ayant voté cette disposition puissent aboutir à un consensus. Mon collègue Pierre Moscovici l’a rappelé au nom du Gouvernement, et je l’affirme à mon tour : la taxation des poids lourds est suspendue, afin de permettre d’analyser les termes du contrat actuel et d’améliorer son fonctionnement. L’objectif du Gouvernement est bien de retrouver un équilibre, en prévenant tout risque d’amputation des financements des infrastructures de transports, notamment de l’affectation du produit de la taxe à l’AFIT. Nous sommes tous, j’en suis certaine, convaincus de cette nécessité.
J’en viens au plan « France très haut débit », annoncé par le Premier ministre au premier trimestre de 2013.
Madame Bataille, en dix ans, ce sont 20 milliards d’euros de financements publics et privés qui seront mobilisés pour atteindre l’objectif de couverture de l’ensemble le territoire. Pour commencer, 4,7 milliards d’euros de crédits publics seront investis d’ici à 2017.
Les projets se multiplient aux guichets de financement : depuis l’annonce de ce plan, deux à trois projets, représentant plusieurs dizaines de millions d’euros chacun, sont déposés et examinés chaque mois !
Contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, ce plan ne néglige pas les territoires ruraux et montagnards. Je ne fais pas abstraction des difficultés relatives aux zones blanches, et, j’en conviens tout à fait, traiter la question de l’accès au très haut débit ne dispense en rien de résoudre des difficultés qui persistent concernant la couverture en téléphonie mobile. Les opérateurs sont conscients de ces problèmes, et tous les acteurs sont mobilisés pour les résoudre. Ils ne concernent plus de vastes zones blanches, mais se cantonnent dans des sites particuliers, qui restent mal couverts par la téléphonie mobile.
Je tiens à rappeler à cette tribune les modalités de soutien de l’État en la matière, qui sont largement réorientées pour accentuer l’effort de péréquation vers les territoires ruraux. De fait, les taux de subvention sont fortement majorés dans ces espaces, afin de tenir compte des spécificités géographiques et des contraintes naturelles.
Pour ma part, j’ai tenu à engager des travaux relatifs au développement des usages et des services numériques. L’État doit être en mesure de présenter une vision stratégique sur ce sujet. C’est là que se situe la valeur ajoutée pour les territoires. Les initiatives, d’ailleurs, existent déjà. Il faut savoir les encourager, les valoriser et les accompagner. En 2014, je souhaite pouvoir concrétiser l’action de l’État en la matière.
« Traiter les liens », c’est aussi encourager la coopération au sein des territoires. Il s’agit là d’un axe central du changement de paradigme de l’aménagement du territoire que j’ai évoqué en préambule. Dans cette perspective, j’ai décidé de soutenir les pôles territoriaux de coopération économique. Quelque 2 millions d’euros du budget de la DATAR y seront consacrés dès 2014. Ces pôles, mis en œuvre avec Benoît Hamon, ministre de l’économie sociale et solidaire, et François Lamy – dans la mesure où ils concernent également les territoires spécifiques de la politique de la ville – constituent de réels projets de coopération entre les entreprises de l’économie sociale et solidaire, d’une part, et les entreprises au sens classique, les structures de formation et les associations, d'autre part.
Cette coopération permet de proposer de nouveaux services et de répondre à des besoins sociaux, en partant du principe que la concurrence n’est pas le seul levier pour créer des dynamiques de développement. Des initiatives existent déjà, et il est de la responsabilité de l’État de les soutenir !
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces exemples pourront, je l’espère, vous convaincre de mon engagement et de celui du Gouvernement tout entier en matière territoriale.
Cette implication trouvera une traduction administrative et opérationnelle. Je remercie M. Camani d’avoir cité la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, prévue pour le début de cette année. Conçue pour être le fer de lance de cette ambition, cette instance est essentielle.
Je le souligne, il ne s’agit pas de la simple transformation du nom d’une organisation, mais bien d’une création : celle de la charnière indispensable de la relation renouvelée entre l’État et les collectivités. Il ne s’agira pas d’un outil de planification centralisée. Ce temps est bel et bien révolu. Le CGET sera le garant de la continuité territoriale. Il sera le catalyseur des initiatives locales. Je veux qu’il soit l’instrument d’une relation essentiellement ascendante, des territoires vers l’État, car c’est ainsi que nous pourrons répondre aux attentes et aux besoins spécifiques de chacun, toujours animés par ce souci d’égalité qui est le socle du modèle républicain.
Monsieur Lenoir, vous avez raison de souligner l’importance de la contractualisation : sur ce point, je tiens à évoquer les nouveaux contrats de projets État-région, les CPER, qui sont en cours d’élaboration et qui comptent au nombre des échéances importantes de l’année 2014. Dans ce domaine également, nous faisons bien sûr confiance aux régions comme à l’ensemble des collectivités pour proposer des projets stratégiques majeurs en cohérence avec les grands axes de la politique nationale.
Ces contrats contiennent des novations dont, personnellement, je me réjouis. Ils font la part belle à la transition énergétique et écologique, qui fait désormais l’objet d’un chapitre spécifique dans ces contrats. C’est, je le répète, l’un des axes stratégiques en la matière.
Par ailleurs, les CPER comportent désormais un volet territorial obligatoire. C’est à mon sens une mesure essentielle, qui traduit la volonté forte du Gouvernement d’apporter une réponse aux inégalités infrarégionales, dont on sait qu’elles se sont renforcées au cours des dernières années.
Enfin, ces nouveaux contrats devront tenir compte d’une demande qui se fait de plus en plus prégnante : il s’agit de la volonté de nos concitoyens de prendre part plus directement et plus fortement à l’élaboration des politiques publiques et des projets. Mme Benbassa l’a rappelé, et je l’affirme à mon tour : cette volonté est légitime. Nous aurions bien tort de nous en effrayer. C’est au contraire un moyen formidable de renouer une relation de confiance entre les citoyens et la politique.