compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Jacques Gillot,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Institut des Hautes études pour la science et la technologie.
La commission de la culture a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Jean-Pierre Plancade pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Communication d'un avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément à la loi organique n° 2010-837 et à la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission des lois a émis, à la majorité des votants, un vote favorable – 17 voix pour, 12 voix contre, 1 bulletin blanc – sur le projet de nomination de M. Jean-Louis Nadal aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Acte est donné de cette communication.
4
Stationnement des personnes en situation de handicap
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement prévue à l’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale et des familles sur les places de stationnement adaptées lorsque l’accès est limité dans le temps, présentée par M. Didier Guillaume et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 8, texte de la commission n° 192, rapport n° 191).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de loi.
M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que je soumets à votre examen vise à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap. À quelques jours près, elle aurait pu trouver sa place dans le cadre de la Journée internationale des personnes handicapées, qui a eu lieu le 3 décembre dernier. Cela aurait pu être un joli clin d’œil.
Je souhaite, tout d’abord, saluer le travail de notre collègue Claire-Lise Campion, dont je rappelle qu’elle a ouvert la voie à cette réflexion et a contribué à cette prise de conscience au sein de notre Haute Assemblée à l’occasion du bilan qui a été dressé, voilà quelques mois, de l’application de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, bilan auquel l’ensemble des membres de la commission pour le contrôle de l’application des lois ont participé.
Par l’objectivité des travaux qu’elle a menés, par l’exhaustivité et la transversalité des thèmes traités, elle a su nous rappeler que la tâche était loin d’être terminée.
C’est sans doute dans le cadre de ce travail remarquable que cette question du stationnement m’a, une fois de plus, interpellé.
En matière de prise en compte du handicap, je crois qu’il faut rester humble et considérer que chaque pas, chaque avancée, aussi modestes soient-ils, permettent de réduire l’écart pour tendre vers une société inclusive. Ce concept de société inclusive doit guider nos pensées et doit être notre objectif commun.
C’est bien le seul objectif de ce texte que j’ai l’honneur de proposer à la discussion : faire un pas de plus pour faciliter la vie de tous les jours des personnes concernées par le handicap.
Je connais bien la question du handicap et de l’accessibilité, bien sûr en tant que président du conseil général de la Drôme en charge du handicap, mais aussi parce que j’ai accompagné mon père, qui a passé les vingt-cinq dernières années de sa vie en fauteuil roulant. J’ai connu et vécu sa difficulté à se déplacer, ainsi que le parcours du combattant pour relier un point à l’autre en termes de mobilité. J’ai pu constater que, si l’un des maillons de la chaîne de déplacement est défaillant, c’est toute la chaîne qui est cassée ; et le stationnement en est un maillon essentiel.
Il ne s’agit pas ici de faire preuve de condescendance, mais de compréhension de ces difficultés.
Je ne veux pas de passe-droits, je ne veux pas de faveur, je ne veux pas de charité pour les personnes handicapées. Je sais que ces questions, légitimes, ont été évoquées en commission. Mais ce n’est bien évidemment pas du tout mon état d’esprit ni ma conception de la vie, et encore moins l’objectif de cette proposition de loi. Je veux simplement m’assurer que tout citoyen, quel qu’il soit, handicapé ou non, puisse se déplacer et se garer en toute autonomie. Et je veux être certain que, une fois stationnées, les personnes en situation de handicap n’auront plus à se poser la question de la durée de leur stationnement.
Faciliter ce stationnement, en levant la limitation de temps ou en instaurant la gratuité, est une mesure non discriminatoire. C’est un facteur d’inclusion dans notre société.
Le stationnement est un élément important de la mobilité, permettant d’assurer l’accessibilité d’un parcours classique de déplacement dans la vie quotidienne, pour aller de son domicile aux commerces, pour accéder aux services publics ou privés, pour participer à une association...
Mes chers collègues, pour s’épanouir socialement, pour participer à des activités sociales, professionnelles, culturelles, sportives ou éducatives, il faut être mobile et le plus autonome possible.
Je le dis ici avec force : jamais il ne faut opérer une quelconque discrimination à l’égard des personnes en situation de handicap. Ce n’est pas ce qu’elles souhaitent. En revanche, il faut tout mettre en œuvre pour faciliter leur vie et pour que chaque citoyen, quel qu’il soit, puisse prendre sa juste part dans notre société.
Cette proposition de loi vient de loin. Il ne s’agit pas de changer la vie de ces personnes, mais bien de l’améliorer, de résoudre simplement les petits soucis du quotidien.
On pourrait dire que le concept d’accessibilité est somme toute récent, puisqu’il trouve sa source dans la loi fondatrice de 1975.
En effet, dès 1967, un rapport sur le handicap de François Bloch-Lainé, haut fonctionnaire et militant associatif, remis au Premier ministre Georges Pompidou, ouvrait la voie à cette loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées. Un peu moins de quarante ans nous séparent de ce texte !
Si cette loi fixe le cadre juridique de l’action des pouvoirs publics avec, notamment, la mise en place pour la reconnaissance du handicap de la commission départementale de l’éducation spéciale, la CDES, pour les jeunes, et de la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel, la COTOREP, pour les adultes, elle prévoit également – et c’est bien là l’objet de notre discussion – l’obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés, l’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population, et le maintien, chaque fois que c’est possible, dans un cadre ordinaire de travail et de vie.
C’est donc bien à ce moment qu’est né le concept d’accessibilité : la nécessité d’adaptation et d’aménagement de l’espace social, destinée à en faciliter l’accès aux personnes handicapées ou à mobilité réduite.
L’article 49 de la loi du 30 juin 1975 disposait ainsi : « Les dispositions architecturales et aménagements des locaux d’habitation et des installations ouvertes au public, notamment les locaux scolaires, universitaires et de formation doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles aux personnes handicapées. »
Pour la première fois, le législateur imposait aux collectivités de prendre en compte les différents besoins de la population, de favoriser l’accès de la ville et de ses équipements à tous, quel que soit leur degré de mobilité.
Depuis cette date, de grands progrès ont été réalisés. Il y eut, évidemment, le formidable bond en avant de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Cette loi majeure est le fruit de trois années de réflexions partagées entre les gouvernements successifs, le Parlement et les associations, et les conseils généraux y ont aussi pris totalement leur part. Ce texte a profondément réformé la politique en faveur des personnes en situation de handicap, trente ans après la loi fondatrice de 1975.
C’est le fruit d’un combat acharné de longue date. Je rappelle que les membres de l’Association des paralysés de France, l’APF, laquelle a été créée en 1933, ont manifesté dès 1982 pour demander une meilleure accessibilité aux lieux publics et privés.
Il faut saluer ici le courage des associations de personnes en situation de handicap et de leurs familles : APF, FNATH, UNAPEI, APAHJ... Ces associations ont osé affronter les regards, les idées reçues ; aujourd'hui ; elles continuent à militer pour faire avancer leurs causes.
Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps on ne voyait pas ou peu de personnes en fauteuil roulant circuler en ville. Il a fallu l’engagement de ces bénévoles et cet acharnement pour que la ville, en tant qu’espace urbain, commence à devenir praticable par tous.
Souvenons-nous que l’existence des annonces sonores dans les bus est toute récente et que nous devons ce progrès à l’action des associations malvoyantes.
Ayons en mémoire les propos de certains qui, au hasard d’une conversation anodine, trouvent anormal qu’autant de places soient réservées au stationnement des personnes handicapées. Ces places sont parfois inoccupées au plus près de l’entrée des grandes surfaces, alors qu’eux-mêmes doivent se garer très loin ! Oui, ces propos existent encore, mais nous sommes de plus en plus nombreux, citoyens ou élus, à répliquer, voire à intervenir lorsqu’une personne valide occupe sans scrupule l’une de ces places.
L’examen de cette proposition de loi me donne également l’occasion de saluer les politiques, trop souvent décriés de nos jours, qui savent dépasser leurs clivages pour une cause méritant consensus et unanimité. J’en citerai quelques-uns en remontant un peu loin dans le temps.
Je pense à notre collègue Michel Delebarre qui, en tant que ministre de l’équipement, du logement, des transports et de la mer, s’est engagé sur le contrôle renforcé du respect de l’accessibilité par une réglementation adaptée et étendue et par des actions exemplaires développées par les pouvoirs publics.
Je pense également à Jack Lang, qui a signé en 1990, lorsqu’il était ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du Bicentenaire, un protocole pour faciliter l’accès des équipements culturels aux personnes handicapées.
Je veux également rappeler l’action menée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin qui, en 2003, alors qu’il était Premier ministre, a engagé un plan de 9 milliards d’euros sur quatre ans en faveur du développement de l’autonomie personnelle.
Je pense encore à la mobilisation de Marie-Anne Montchamp pour l’emploi des personnes handicapées, quand elle était secrétaire d'État.
Bien évidemment, je veux saluer la force de l’engagement du président Jacques Chirac. C’est en effet sous son mandat que la loi du 11 février 2005 a été adoptée. Ce texte portait une magnifique ambition, celle de couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées. Son adoption a soulevé l’enthousiasme des familles qui voyaient enfin poindre à l’horizon de dix ans une compensation effective des conséquences du handicap subi par leurs proches. Sept ans après, au mois de juillet 2012, notre collègue Claire-Lise Campion a présenté avec Isabelle Debré un remarquable rapport d’information sur l’application de cette loi et son bilan à trois ans de l’échéance du mois du 1er janvier 2015.
Avec cet important travail, nos deux collègues ont souligné combien le texte du mois de février 2005 avait modifié la politique en faveur des personnes handicapées : « Très ambitieuse, la loi dite “ Handicap ” entend couvrir tous les aspects de la vie des personnes handicapées. Cette approche transversale constitue sa force, mais aussi sa faiblesse, car elle exige un travail important de pilotage et de mise en œuvre qui, sept ans après son adoption, n’est pas encore achevé. »
Dans le cadre de ce rapport d’information, Claire-Lise Campion et Isabelle Debré ont toutes les deux décidé de se concentrer sur quatre principaux axes : la compensation du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées, ou MDPH, la scolarisation des enfants handicapés, qui se heurte encore sur le terrain à de nombreuses difficultés, la formation et l’emploi des personnes handicapées, avec un bilan en demi-teinte, selon elles, enfin, l’accessibilité à la cité, chantier d’une ambition sociétale considérable qui, malgré les avancées, accuse encore un sérieux retard. Sur ce dernier point, elles ont émis des propositions pour « donner un nouvel élan à l’accessibilité » et ont regretté que, à trois ans de l’échéance fixée par la loi, force était de reconnaître que la mise en accessibilité de l’ensemble du cadre bâti, de la voirie et des transports n’était pas encore totalement réalisée.
Mes chers collègues, cette proposition de loi que je soumets aujourd’hui à votre approbation est une modeste contribution à la voie que Claire-Lise Campion et Isabelle Debré ont tracée à travers les préconisations de ce rapport d’information. Elle aurait pu largement prendre sa place dans le cadre de cet important travail, mais, par le hasard du calendrier du Sénat, elle se trouve aujourd’hui inscrite à l’ordre du jour de nos travaux, dans le cadre de la niche parlementaire, ce qui, je le sais, a donné lieu à discussion. Ce texte s’inscrit naturellement dans le volet relatif à l’accessibilité de la voirie.
Vous l’avez noté, mes chers collègues, il s’agit là d’un débat qui dépasse les partis. Le Président de la République, François Hollande, dans la lignée de ses prédécesseurs, a souhaité marquer l’importance de cette question en consacrant l’existence d’un volet handicap dans chaque texte de loi.
Et je veux à cet instant saluer l’engagement sans faille et l’implication très forte de Mme Carlotti, ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion.
C’est ainsi que nous avons discuté voilà quelques mois, dans cet hémicycle, des conditions de l’accès à l’école des élèves en situation de handicap dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Des avancées significatives ont pu avoir lieu.
Il nous revient à notre tour, dans le cadre de l’ordre du jour réservé à l’initiative parlementaire, d’apporter notre contribution en faveur d’une accessibilité la plus importante possible. Cette proposition de loi, si elle était adoptée, irait dans ce sens.
Ainsi, fort de mon expérience de terrain, je constate que, si la mise en accessibilité des espaces publics et privés est réelle, il n’est bien souvent pas possible de se garer à proximité de ces lieux. Cela signifie peut-être que nous avons raté la cible... Lorsque des personnes en situation de handicap se rendent en centre-ville, à la préfecture ou au conseil général pour assister aux réunions des commissions départementales d’accessibilité, elles doivent laisser leur véhicule dans le quartier où ne se trouvent bien souvent que des parkings payants, ou aller plus loin pour profiter des parkings en zone bleue.
C’est pour combattre cette discrimination, pour éviter à ces personnes de subir cette difficulté supplémentaire que j’ai déposé cette proposition de loi pour la gratuité des parkings sans limite de durée autour des lieux publics ou privés. Ce texte entend œuvrer en faveur d’une société inclusive. Le travail accompli par la commission des affaires sociales a permis des avancées : j’accepte bien volontiers les amendements qui ont été présentés et adoptés.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas d’autre objectif que de s’inscrire dans le débat général sur le handicap. Elle vise à faire en sorte que nos concitoyens handicapés ne soient pas victimes d’une double peine quand ils se déplacent. Ils doivent pouvoir laisser leur véhicule à proximité de l’endroit où ils se rendent en bénéficiant d’un stationnement sans limitation de durée. Cela leur permettra de se sentir un peu moins différents et ils pourront ainsi, comme les personnes valides, se rendre dans un commerce ou dans un espace public, ou continuer à participer aux réunions d’une association.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler sur cette proposition de loi. Je tiens à remercier la présidente de la commission des affaires sociales et le rapporteur, Ronan Kerdraon, de la compréhension dont ils ont fait montre et du travail qu’ils ont accompli.
J’ai conscience d’avoir perturbé, par cette proposition de loi, l’ordre traditionnel de nos travaux et la réflexion en cours. Comme je l’ai souligné, les hasards du calendrier parlementaire nous conduisent à examiner ce texte ce matin. L’objectif n’est pas la gratuité, mais la gratuité est la réponse à un constat que nous dressons. Il nous revient aujourd'hui de faire cesser une discrimination supplémentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis d’impulser une réelle dynamique en faveur de l’accessibilité, portée par cette intention : « l’accès à tout pour tous ».
Même si d’indéniables progrès ont été accomplis, en matière tant de logements neufs, d’établissements recevant du public que de transports, des efforts importants restent à réaliser pour que cet objectif se traduise concrètement dans la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap. Notre collègue Claire-Lise Campion, chargée par le Premier ministre d’une mission sur ce sujet l’année dernière, l’a excellemment démontré dans son rapport intitulé « Réussir 2015 ».
Parmi les nombreux volets que recouvre le sujet de l’accessibilité, celui du stationnement, qui nous préoccupe aujourd’hui, est fondamental. En effet, comment garantir aux personnes en situation de handicap une participation pleine et entière aux activités sociales, professionnelles, éducatives, culturelles, sportives, si elles sont régulièrement confrontées à des difficultés de stationnement dans nos communes ?
Faut-il le rappeler, les contraintes de déplacement que connaissent tous les automobilistes, comme retourner à son véhicule pour recharger un horodateur ou modifier un temps de stationnement sur un disque, sont bien plus prégnantes pour ces personnes.
C’est cette préoccupation qui a conduit notre collègue Didier Guillaume et, avec lui, l’ensemble des membres du groupe socialiste à déposer cette proposition de loi.
L’objectif de ce texte est simple : faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap en leur permettant d’utiliser gratuitement et sans limitation de durée les places réservées et aménagées à leur effet.
De leur propre initiative, une centaine de communes françaises, parmi lesquelles Saint-Brieuc, dans mon département des Côtes-d’Armor, Lille, Paris, Dijon, Grenoble, Nice, Toulouse, Bordeaux, ont déjà mis en place une telle mesure qui, de l’avis général, améliore indéniablement la vie quotidienne de ces personnes. Notre volonté est désormais de la rendre applicable sur l’ensemble du territoire.
À l’heure où la politique d’accessibilité universelle bénéficie d’un second souffle grâce à votre volontarisme et à votre détermination, madame la ministre – j’en veux pour preuve la feuille de route ambitieuse définie lors du comité interministériel du handicap du 25 septembre dernier –, cette proposition de loi nous offre l’occasion de franchir un pas supplémentaire vers une société inclusive.
À l’issue des auditions que j’ai menées, j’ai même acquis la conviction que nous pouvions aller encore plus loin que le texte initial. Pourquoi en effet nous arrêter en si bon chemin alors que d’autres obstacles subsistent ? Il arrive ainsi qu’une personne en situation de handicap doive stationner en dehors des places réservées, soit parce que celles-ci sont déjà toutes occupées, soit parce qu’il n’en existe pas à proximité du lieu où elle se rend. Aussi, c’est d’un commun accord avec Didier Guillaume que j’ai proposé la semaine dernière à la commission un amendement, qu’elle a adopté, visant à étendre le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement à toutes les places, que celles-ci soient réservées ou non.
Afin de laisser le temps aux autorités compétentes d’intégrer cette nouvelle règle dans leur politique de stationnement, il est prévu que son entrée en vigueur soit différée de deux mois suivant la date de promulgation de la loi.
J’indique que la ville de Saint-Etienne, dont notre collègue Maurice Vincent est le maire, semble pionnière dans ce domaine, puisqu’elle a mis en place, pour les personnes en situation de handicap, la gratuité et la non-limitation de la durée du stationnement sur l’ensemble des places dès 1988, autant dire au siècle dernier ! (Sourires.)
Par ailleurs, je suis conscient que la non-limitation de la durée du stationnement pourrait donner lieu à des pratiques abusives se traduisant par un stationnement d’une durée manifestement excessive – plusieurs jours, une semaine, voire plus –, ce qui, de fait, pénaliserait les autres usagers, qu’ils soient en situation de handicap ou non.
Pour éviter ce phénomène bien connu dit des « voitures ventouses », le texte adopté par la commission prévoit que les autorités compétentes auront la possibilité de fixer une durée maximale de stationnement, qui ne pourra toutefois être inférieure à douze heures, afin de ne pas retomber dans les travers actuels d’une durée limitée à quelques heures seulement.
Cet ajout a le mérite de prévenir les dérives, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales, auquel le Sénat est particulièrement attaché.
Le texte de la commission lève une dernière difficulté concernant les contrats de délégation de service public relatifs à la gestion des parkings publics. Afin de ne pas bouleverser l’économie des contrats en cours, ce qui aurait été une source de contentieux, la nouvelle rédaction précise que le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement ne s’applique, pour ces parkings, qu’à compter du renouvellement des contrats.
Comme toujours lorsque notre commission débat de la politique du handicap, les échanges ont été nourris et constructifs.
Plusieurs collègues se sont émus du fait que, en accordant aux personnes en situation de handicap la gratuité du stationnement sur l’ensemble des places, ce texte créait une forme de discrimination au bénéfice de ces personnes, lesquelles demandent pourtant à être traitées de la même manière que l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens.
Cet argument insiste sur la difficulté de la politique du handicap qui est de trouver un juste équilibre entre la volonté de garantir l’égalité de traitement entre tous les citoyens, qu’ils soient valides ou non, et la nécessité d’accorder aux personnes handicapées des droits spécifiques compte tenu de leur situation particulière.
Si l’on pousse cet argument de la discrimination jusqu’au bout, il n’aurait pas fallu instaurer un quota de 2 % de places de stationnement réservées, ni même un quota de 6 % de travailleurs handicapés dans les effectifs des entreprises ! Or, mes chers collègues, qui voudrait aujourd’hui remettre en cause ces mesures ?
Je rappelle que, dans toute politique publique, en particulier dans le champ social, des droits spécifiques sont accordés à certains publics. C’est ainsi que les titulaires de minima sociaux bénéficient de tarifs réduits dans les transports publics ou dans certains musées.
Avec cette proposition de loi, il ne s’agit en aucun cas d’ériger en principe général la gratuité pour les personnes en situation de handicap, mais d’apporter une réponse pratique aux difficultés de stationnement que ces dernières rencontrent quotidiennement, afin de tendre vers plus d’inclusion, conformément à l’esprit de la loi de 2005.
Je souhaite pour finir insister sur le fait que cette proposition de loi ne prétend pas résoudre l’ensemble des difficultés posées par la carte de stationnement, parmi lesquelles deux me paraissent devoir être mentionnées.
Tout d’abord, face à l’augmentation régulière du nombre de titulaires de la carte, due notamment au vieillissement de la population, le quota de places réservées est sans doute insuffisant. Les consultations actuellement en cours sur le dossier de l’accessibilité, sous l’égide de notre collègue Claire-Lise Campion, devraient aborder au début de l’année prochaine cette question sensible, dont les conséquences sont importantes pour les communes.
Ensuite, même s’il est délicat de mesurer précisément l’ampleur du phénomène, les MDPH et les titulaires de la carte de stationnement eux-mêmes constatent clairement une recrudescence des pratiques abusives et frauduleuses – utilisation injustifiée, falsification, photocopies de cartes, etc. Une réflexion est actuellement menée dans le cadre de la modernisation de l’action publique en vue de sécuriser l’utilisation de cette carte et de permettre un meilleur contrôle de l’identité de ses bénéficiaires. Mme la ministre nous en parlera sans doute plus précisément au cours de notre débat.
L’objectif de cette proposition de loi est autre : il s’agit de faciliter la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap en leur permettant de stationner gratuitement et sans limitation de durée. Elle est donc porteuse d’une avancée majeure pour ces personnes, mais aussi pour l’ensemble de notre société, car, je le rappelle, l’accessibilité est l’affaire de tous.
Aussi suis-je convaincu que ce texte peut fédérer l’ensemble des groupes de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, monsieur Didier Guillaume, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui doit être saluée à bien des égards.
Elle est d’abord l’occasion pour moi de rappeler que je partage les valeurs fondamentales dont ce texte témoigne, à savoir la société inclusive, qui suppose l’accessibilité universelle. De ce point de vue, comme vous l’avez souligné l’un et l’autre, messieurs, la loi de 2005 est une grande loi de la République ; néanmoins, elle n’a pas été suffisamment portée par les gouvernements précédents. Les derniers décrets permettant son application ont été publiés en 2009, alors que le délai fixé pour l’accessibilité universelle est le 1er janvier 2015.
Dans ce cadre, et afin de maintenir la dynamique de mise en accessibilité, j’ai demandé à Claire-Lise Campion de présider deux chantiers de concertation – j’insiste sur le terme « chantiers », car la tâche est particulièrement complexe.
Le premier vise à définir, avec l’ensemble des acteurs concernés, dont les collectivités locales au premier chef, les agendas d’accessibilité programmée ou Ad’AP. Il s’agira en fait de contrats signés par les gestionnaires des établissements recevant du public et des services de transports qui ne seront pas en situation d’accessibilité au 1er janvier 2015, et donc pas au rendez-vous prévu. Ces contrats préciseront les mesures à prendre pour parvenir à l’accessibilité, ainsi que les délais. Ces Ad’AP, qui nous permettront de maintenir et de renforcer la dynamique de mise en accessibilité après 2015, sont issus du rapport très dense et précis de Claire-Lise Campion, « Réussir 2015 », que je tiens à saluer.
Je remercie également Claire-Lise Campion et Isabelle Debré pour le travail qu’elles sont venues me présenter ensemble sur le bilan de la loi de 2005. Grâce à ce rapport, j’ai pu avancer sur la question des auxiliaires de vie scolaire, les AVS, qui permettent aujourd’hui un meilleur accompagnement des enfants en situation de handicap qui sont scolarisés.
Madame la présidente Annie David, je veux vous dire combien la commission des affaires sociales du Sénat, combien, plus généralement, la Haute Assemblée constitue un lieu de travail important.
Sur les deux chantiers qui sont les miens, le travail de qualité produit par le Sénat représente un apport précieux, et je voudrais que vous en soyez tous collectivement remerciés, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements.)
Je ne le dis pas par démagogie, mais parce que c’est toujours un plaisir de travailler sur des dossiers bien ficelés, bien portés, et de voir que vous êtes capables de surmonter vos divergences politiques dans un but d’intérêt général.
Un second chantier, lui aussi piloté par Claire-Lise Campion, adaptera les normes actuelles d’accessibilité, afin notamment de les simplifier.
Ce faisant, il s’agit non pas de revenir en arrière, mais d’ouvrir l’accessibilité à tous les types de handicaps.
Ces mesures seront introduites dans la loi par ordonnances, processus auquel vous serez pleinement associés par l’examen des projets de loi d’habilitation et de ratification.
Votre souci de voir garanti aux personnes à mobilité réduite un réel accès à la vie en société est manifeste dans cette proposition de loi. Cela me rend optimiste sur nos capacités à avancer ensemble vers l’accessibilité universelle.
Comme vous le rappeliez dans votre exposé des motifs, monsieur Guillaume, la mobilité est un élément central de la société inclusive. Elle conditionne l’accès à l’emploi, à la vie sociale et culturelle, à l’administration – c’est-à-dire aux besoins essentiels et aux services publics –, à l’éducation, aux commerces, notamment de proximité, ou encore, parfois, à la vie affective.
Dans l’esprit de la loi de 2005, nous devons donc compenser les freins à la mobilité des personnes en situation de handicap, dont le stationnement fait bien entendu partie.
Le stationnement constitue un obstacle, parce que nombre de personnes feignent d’ignorer la règle, notamment l’article R. 417-11 du code de la route. La citoyenneté et le civisme commencent par le respect des règles.
Ces places adaptées sont soumises à des normes particulières, dont on ne mesure l’importance que si l’on accepte réellement de se mettre à la place des personnes à mobilité réduite. Ce qui semble être à l’origine un détail peut rapidement devenir un enfer lorsque les règles ne sont pas respectées. Le slogan : « tu veux ma place, prend mon handicap », défendu par de nombreuses associations, trouve là tout son sens.
Le trajet à effectuer entre la voiture et le parcmètre peut également constituer un frein important au stationnement, et donc à la mobilité.
Penser l’accessibilité universelle, c’est tenter de faciliter la vie concrète d’un très grand nombre de nos concitoyens. C’est une ambition qui dépasse largement le champ des personnes en situation de handicap.
Aujourd’hui, 44 % des demandes de carte européenne de stationnement émanent de personnes de plus de soixante ans. Les personnes âgées – rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je n’inclus pas dans cette catégorie tous les plus de soixante ans ! (Sourires.) –, qui constituent une part croissante de la population, sont concernées par l’accessibilité.
Je dis cela, car les débats en commission sur cette proposition de loi ont fait référence au danger de créer une discrimination positive. La discrimination dite « positive » est un traitement différentiel réservé à une catégorie de personnes en fonction de critères qui peuvent être illégitimes d’un point de vue républicain, mais, surtout, qui catégorisent. Elle pense compenser une discrimination de fait, mais souvent l’aggrave dans les esprits.
Le chemin vers l’accessibilité universelle vise au contraire à éliminer tous les obstacles dans l’accès concret à la cité, au sens large. Elle ne catégorise pas, car la mobilité réduite peut concerner chaque personne à un moment où à un autre de son parcours de vie. (M. Jean Desessard applaudit.)
Méconnaître cette différence, c’est faire fi de l’esprit même de la loi de 2005.
La proposition de loi telle que modifiée en commission vise donc la gratuité et la quasi-absence de limitation dans le temps du stationnement sur l’ensemble des places de stationnement ouvertes au public. Le champ actuel du texte est donc beaucoup plus large que celui qui était défini par la version initiale du texte, qui se limitait aux places adaptées.
M. le rapporteur a également laissé la possibilité au maire de fixer une durée maximale de stationnement supérieure ou égale à douze heures, afin de lutter contre le stationnement dit « ventouse ». Cela me paraît raisonnable, tout comme les délais d’adaptation pour les communes et les délégataires.
En conséquence, le principe de la gratuité des places de stationnement pour les personnes titulaires d’une carte européenne de stationnement me paraît justifié, pour des raisons qui ont trait non pas à la discrimination, mais à la compensation d’un handicap.
J’ajouterai une précision : actuellement, la liberté de prendre des dispositions en faveur des titulaires de la carte européenne de stationnement est laissée aux communes. Beaucoup de ces dernières ont déjà adopté la gratuité, partielle ou totale, et je tiens à les féliciter. Le texte de cette proposition de loi laisse cette liberté aux communes, qui pourront ainsi continuer à agir pour les personnes à mobilité réduite. J’insiste, car je ne voudrais pas que ce texte soit interprété comme une façon de recentraliser cette compétence. Tel n’est pas, me semble-t-il, le but de cette proposition de loi.