M. Roland Courteau, rapporteur. En effet !
Mme Françoise Laborde. L’arrivée des drones civils dans l’espace aérien pose également question. Nous savons que certaines entreprises s’y intéressent à des fins commerciales.
En outre, des efforts de financement devront être également consentis en matière d’énergie, puisque la question du carburant dans le secteur aéronautique est vitale. Alors que le prix du carburant représente presque un tiers de la charge d’exploitation aérienne, l’envolée du prix du baril, à terme, doit être pleinement intégrée dans les travaux de prospective. En effet, si les aéronefs gagnent en efficacité énergétique, puisque celle-ci a été multipliée par deux depuis 1970, la raréfaction du pétrole risque de freiner le dynamisme du transport aérien.
Le rapport offre, ainsi, un état des lieux intéressant des différentes filières de biocarburants, très prometteuses, comme les micro-algues. Cependant, les coûts de production impliqueront un soutien indispensable des pouvoirs publics et une intégration progressive du biokérosène.
Nous regrettons que d’autres énergies, telles que l’hydrogène, aient été écartées des travaux de l’OPECST, alors que des scientifiques mènent des recherches sur le transport de l’hydrogène qui, dangereux à l’état gazeux, pourrait ne pas l’être à l’état solide.
Ces énergies alternatives participeront aux objectifs de l’Union européenne en matière de transport aérien, qui visent à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre et de 80 % les émissions d’oxydes d’azote à l’horizon de 2020. En effet, les évolutions en matière d’aérodynamisme, de composants ou de motorisation ne seront pas suffisantes pour y parvenir.
L’envolée du prix du baril pèsera avant tout sur la situation économique des compagnies aériennes. Cette perspective est d’autant plus inquiétante que les compagnies européennes peinent à concurrencer les compagnies du Golfe et les compagnies asiatiques pour les long-courriers. D’un côté, Emirates, nommée meilleure compagnie de l’année, ne cesse de créer de nouvelles routes aériennes et d’agrandir sa flotte ; de l’autre, le plan Transform 2015 d’Air France ralentit les investissements.
La compagnie française pâtit d’une réelle inégalité face à la concurrence de certaines compagnies qui profitent d’une réglementation beaucoup plus souple et n’hésitent pas à utiliser des pratiques de dumping social et fiscal.
L’évolution de l’aviation civile doit également être appréhendée en prenant en compte les autres modes de transport que la France, mais aussi l’Europe prétendent développer, comme le mode ferroviaire. L’aviation civile subira sans aucun doute la concurrence de la grande vitesse ferroviaire avec l’avènement de l’Europe du rail. Il convient, comme cela a été souligné, de créer des conditions favorables à l’intermodalité entre ces deux modes de transport complémentaires en modernisant les aéroports et les connexions.
M. Roland Courteau, rapporteur. Très bien !
Mme Françoise Laborde. C’est une condition nécessaire, notamment pour ce qui concerne les questions essentielles de l’aménagement du territoire.
Face à autant de défis à relever, nous joignons nos inquiétudes à celles qu’a exprimées M. le rapporteur sur l’érosion du financement de la recherche à long terme, pourtant le seul moyen de fixer des orientations claires et durables. Les plans d’investissements d’avenir, les PIA, s’ils sont bienvenus, ne garantissent aucune visibilité aux industriels. D’ailleurs, les crédits accordés à l’aéronautique et à l’industrie spatiale lors du dernier plan, d’un montant de 1,3 milliard d’euros, ne sont pas à la hauteur des enjeux.
De même, nous ne pouvons qu’exprimer notre perplexité quant aux cessions de capital de l’État au sein d’EADS ou encore d’Aéroports de Paris, alors qu’il nous faut, dans ce secteur plus que dans tout autre, renforcer et assumer le rôle de l’État stratège.
Compte tenu de ces considérations et de la part de la valeur ajoutée que représente l’aviation civile dans notre économie, nous vous demandons de pérenniser cette filière d’excellence confrontée à de nombreuses mutations. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de l’Office, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail quantitativement très impressionnant mené par M. le rapporteur Roland Courteau sur ce sujet d’importance.
Puisqu’elles ont été évoquées tout à l’heure, je dirai tout d’abord un mot des modalités de fonctionnement de l’Office. Celui-ci existe effectivement depuis trente ans, les textes fondateurs de 1983 étant très clairs sur son esprit et ses buts. À cet égard, les sénateurs écologistes, peut-être bientôt rejoints par leurs collègues députés, souhaitent déposer une proposition de loi très précise sur le mode d’examen des rapports de l’OPECST. En effet, au regard de l’importance des sujets qu’ils traitent, de même que de l’ampleur des chiffres et des analyses qu’ils contiennent, nous estimons qu’ils méritent plus et mieux qu’un débat en séance. Nous souhaiterions pouvoir disposer d’un délai suffisant pour consulter ces travaux et les soumettre à des regards croisés.
Venons-en maintenant au rapport à proprement parler : comme cela a été souligné, l’aviation civile a connu des avancées remarquables ces dernières années.
Je tiens tout d’abord à saluer l’action de cette filière pourvoyeuse d’emplois, qui stimule la recherche et permet aussi de mettre en avant le savoir-faire français dans les technologies de pointe. Ce savoir-faire, en constante évolution et renouvellement, permet à notre pays de faire bénéficier tous les usagers d’une aviation civile de qualité répondant à leurs besoins.
Ces avancées technologiques s’adaptent en effet à une demande croissante des personnes qui souhaitent se déplacer pour leurs loisirs ou pour des raisons professionnelles. Comme le souligne le rapport, si le volume des passagers transportés par avion a doublé au cours de ces vingt dernières années, le trafic n’a, pour sa part, augmenté que de 20 %, grâce à des avions plus grands et mieux remplis. De vrais efforts et de vrais progrès ont été faits par l’industrie de l’aviation, notamment en matière d’efficacité énergétique et de remplissage des avions. Nous devons les saluer.
Je tiens également à souligner un point très important du rapport, celui de la formation des femmes et des hommes qui travaillent à chacun des maillons de la vaste chaîne de l’industrie de l’aviation, laquelle constitue un lobby puissant dans notre pays. Les évolutions technologiques ne peuvent en effet intervenir sans une adaptation des personnels aux nouvelles possibilités qui sont offertes.
Ce rapport extrêmement riche et intéressant manque toutefois, selon nous, d’un volet plus critique, plus introspectif, sur les nuisances ou les limites du transport aérien. Tel n’était sans doute pas le but de ce travail, mais nous le regrettons.
Dans le contexte actuel, qui se caractérise par une volonté de réduire les utilisations d’énergies et les émissions de gaz à effet de serre, c’est toute la filière de l’aviation civile qui doit se mobiliser afin de concevoir des avions, certes plus performants et plus attractifs, mais surtout moins énergivores et plus faiblement émetteurs de gaz à effet de serre.
La France a pris des engagements en matière environnementale ; elle doit les tenir. Elle s’est notamment engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2050, un objectif dont nous avons eu confirmation hier, en dépit de certains propos tenus dans les médias.
À l’heure où elle vient de se voir confier l’organisation de la 21e conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP 21, en 2015, la France doit montrer l’exemple et tenir ses engagements, qui vont dans le bon sens, celui d’une promotion maximale des transports respectueux de l’environnement, chaque fois que cela est possible.
Vous le savez comme moi, l’Europe s’est engagée dans la voie d’une taxation européenne du CO2, dans un but de stabilisation de ses émissions. Il faut aussi intégrer cette contrainte au développement de cette industrie qu’est l’aviation civile.
Le rapport parie par ailleurs sur une croissance importante du trafic. Celle-ci sera inévitablement corrélée à de nombreux problèmes touchant divers domaines : les capacités aéroportuaires et les infrastructures, les risques environnementaux et, parfois, la saturation de la navigation.
Pour éviter ces risques réels qui handicaperont notre pays, d’autres solutions complémentaires de l’aviation civile sont parfois possibles. Le report modal, pour les trajets internes à la France, voire à l’Europe, est une solution qui doit être favorisée. Nous plaidons à cet égard pour une action de rénovation et de modernisation des infrastructures existantes des lignes ferroviaires, lorsque cela est possible.
Pour nous, le ferroviaire ne s’oppose par l’aviation civile. Au contraire, nous devons jouer sur la complémentarité des modes de transport afin que ceux-ci soient moins énergivores et plus opérationnels.
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
Mme Corinne Bouchoux. Les compagnies aériennes européennes elles-mêmes s’intéressent aujourd’hui à des offres combinées « rail-air ». Même si cette option ne m’est pas apparue dans le rapport, il nous semble qu’il faille l’intégrer dans l’analyse présentée ce soir. Autrement dit, la réflexion sur le développement de l’aviation civile ne doit pas faire l’objet d’un raisonnement « en silo », ne prenant en considération que les éléments propres à ce secteur, mais intégrer les divers autres moyens de transport existants.
Enfin, nous rappelons que l’avion n’est pas un moyen de transport économique, loin de là ; c’est l’un des plus coûteux et cette particularité ne cessera de s’aggraver avec la raréfaction des ressources énergétiques.
Malgré les évolutions technologiques soulignées dans le rapport, nous devons envisager la situation actuelle au regard de celles, concrètes, existant sur nos territoires. Et vous voyez venir où je veux en venir, monsieur le ministre, avec mes gros sabots…
Un des arguments des défenseurs du projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes est celui du bruit. Or, la nuisance sonore n’est pas évoquée dans le rapport…
M. Roland Courteau, rapporteur. Si, le bruit a été mentionné !
Mme Corinne Bouchoux. Certes, mais pas ce cas d’espèce.
Ainsi, cette nuisance empêcherait le bon développement de Nantes et du sud de sa métropole. Or, les avions étant de moins en moins bruyants, nous considérons que l’argument de la nuisance sonore ne peut être utilisé comme prétexte pour justifier le déplacement de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes.
D’ailleurs, plusieurs plans d’exposition au bruit prévisionnels, réalisés récemment, ont clairement démontré l’inutilité d’un transfert de l’aéroport actuel. Ces nouveaux plans, commandés au cabinet Adecs Airinfra et rendus publics en septembre 2013, mettent à mal les précédentes statistiques, datant de 2003. Nous privilégions donc les statistiques de 2013, celles de 2003 nous paraissant caduques.
Monsieur le ministre, ce petit « zoom » sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sert aussi à rappeler l’existence d’aéroports vides, en Espagne par exemple ou au Canada, qui en compte deux. De même, je vous invite à visiter avec moi l’aéroport Willy Brandt, à trente kilomètres de Berlin. Modèle technologique, cet aéroport, dont l’inauguration a été reportée, ne sera vraisemblablement pas ouvert à une échéance très proche.
Ainsi, penser l’avenir de l’aviation civile est une bonne chose. Toutefois, il semble nécessaire de lier cette réflexion à la réalité de nos territoires, aux aéroports où les avions se posent. Cette réflexion nous aurait également semblé pertinente et nous aimerions que cet oubli soit réparé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, mes chers collègues, il est des débats dont l’objet prête davantage à la polémique et aux projections alarmistes que ce débat sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040. Contrairement à d’autres sujets afférents aux problématiques environnementales et énergétiques ou à des choix scientifiques, nous n’aurons pas à dresser un catalogue de chiffres ou de signaux catastrophiques, ni à nous cacher derrière des objectifs inatteignables, comme cela peut être le cas lors d’autres débats.
Il convient donc, en évoquant les progrès réalisés par l’aviation civile depuis un demi-siècle, de reconnaître la place de la France et de l’Europe dans ce développement.
Le premier progrès, parfaitement décrit dans le rapport de notre collègue Roland Courteau, concerne la rationalisation des mouvements aériens, grâce, d’une part, à l’augmentation des capacités d’emport et, d’autre part, à la croissance du taux de remplissage des avions qui est passé de 55 % en 1970, à 75 % en 2010. Grâce à cette rationalisation, nous observons une relative stabilité des mouvements aériens au cours des vingt dernières années, alors même que le trafic de passagers et de fret a considérablement augmenté.
De la même manière, nous constatons que l’efficacité énergétique a été multipliée par deux. Nous constatons également une nette diminution des nuisances sonores. Enfin, et c’est sans doute la donnée la plus satisfaisante, le taux d’accident fatal par million de décollages est passé de 40 en 1955 à 0,7 en 2010.
Tous ces chiffres témoignent des avancées technologiques incontestables réalisées depuis un demi-siècle, avancées technologiques auxquelles l’industrie aéronautique française et européenne a pris une part considérable.
Que nous apprennent ces chiffres sur les enjeux auxquels nous allons être confrontés ?
Nous savons, à la lecture du rapport sur les perspectives de l’aviation civile, que le transport de passagers dépassera au moins les 60 millions de passagers en 2030 avec une estimation haute à 80 millions de passagers. Le transport de fret connaîtra une croissance similaire de l’ordre de 15 % à 25 % d’ici à 2030.
Cependant, les progrès que réalise le secteur – industriels et compagnies aériennes – nous permettent d’entrevoir l’avenir avec une relative sérénité.
Certes, la hausse du volume de passagers et de fret transporté conduira à une hausse des mouvements aériens, mais le processus de rationalisation n’est pas encore totalement achevé.
En outre, la demande supplémentaire occasionnée par la hausse du fret et du transport de voyageurs ne conduira pas à une explosion de la consommation de carburant. Rappelons que la consommation des derniers appareils permet de descendre sous les trois litres aux cent kilomètres par passager, et qu’Airbus se lance dans un projet d’avion hybride.
Une autre interrogation porte sur les risques d’accident. Sur ce point, il est clair qu’il n’existe aucun rapport de causalité entre la quantité de mouvements aériens et le nombre d’accidents.
Enfin, sur les pollutions et notamment sur les nuisances sonores, la prise de conscience s’est accompagnée de mesures fortes avec, bien sûr, la limitation du trafic de nuit. La demande pourra donc être satisfaite sans contribuer à la hausse des pollutions, des nuisances sonores et des accidents.
Aussi, il ne faut pas craindre la hausse du transport de voyageurs et de fret, car l’industrie aéronautique et les compagnies de transport pourront y répondre.
Certes, on nous parle de saturation de la navigation aérienne ou de l’impossibilité d’étendre les capacités aéroportuaires à proximité de très grandes villes, mais ces défis, que ne manque pas de souligner le rapport de Roland Courteau, toucheront prioritairement les pays émergents qui présentent les demandes en infrastructures les plus élevées.
Une autre question se pose alors : l’industrie aéronautique française et européenne aura-t-elle sa place dans l’aviation civile des années 2020 à 2050 ? Sans excès d’optimisme, je répondrai immédiatement par l’affirmative. Cependant, son avenir nécessite de relever plusieurs défis : construire des avions moins gourmands en énergie, plus gros et qui aillent plus loin.
S’agissant de la taille des avions, la compagnie Airbus a clairement une longueur d’avance avec l’Airbus A380-800 qui peut transporter au minimum cent passagers de plus que son principal concurrent le Boeing 747-81.
En ce qui concerne le rayon d’action, facteur de désengorgement des aéroports et de diminution de la pollution, Airbus dispose, là aussi, d’une courte avance sur ses concurrents, puisque l’Airbus A350-900R a une autonomie nettement supérieure à celle du Boeing 777, à l’exception d’une de ses versions. Notons d’ailleurs que la question de l’autonomie en vol sera sûrement le critère le plus déterminant quant à la compétitivité des constructeurs aéronautiques.
Enfin, sur le point de la consommation, Airbus possède là encore une carte à jouer grâce à son programme NEO, qui fera de l’Airbus A320 le biréacteur long-courrier le plus performant au monde avec une consommation pouvant atteindre 2,4 litres aux cent kilomètres par passager.
Ces avantages certains sont encourageants pour les dix, vingt ou trente prochaines années, mais peut-on se projeter encore davantage dans l’avenir ? Là aussi, il me semble possible de pouvoir répondre positivement.
L’aéronautique européenne peut se projeter sans crainte dans l’avenir. La meilleure illustration de cette confiance est l’obtention du prix GreenTec Award 2013, catégorie « aviation », par Airbus, qui souhaite intégrer la technologie de la pile à combustible en tant que source d’énergie alternative dans les avions civils. Ajoutons également l’E-Airbus, un avion régional à propulsion hybride, qu’EADS espère voir entrer en service à l’horizon de 2030.
Un dernier mot, enfin, sur la relocalisation du siège social d’Airbus à Toulouse, symbole de l’enracinement de cette entreprise de dimension mondiale, ainsi que sur son changement de nom, puisque EADS a adopté « Airbus » comme dénomination officielle, ce qui ne manquera pas de faciliter la visibilité de la société.
Toutes ces données nous permettent donc d’envisager l’avenir de l’industrie aéronautique européenne avec une certaine sérénité, mais parler de l’aviation civile française et européenne et de son avenir à l’horizon de 2040, c’est aussi parler du sort qui sera réservé aux principales compagnies européennes.
Depuis l’après-guerre, les grandes compagnies nationales européennes ont toujours réussi à se maintenir dans le peloton de tête des principales compagnies aériennes internationales. Si ces compagnies doivent affronter aujourd’hui une concurrence en pleine expansion, notamment de la part des compagnies des pays émergents, trois groupes européens figurent toujours dans les dix plus grandes compagnies internationales : Lufthansa, Ryanair et Air France-KLM. Malheureusement, il n’est pas certain que les compagnies aériennes européennes puissent rivaliser encore longtemps avec leurs concurrents extra-communautaires.
Le premier problème réside dans la difficulté de continuer à se développer sur le marché européen. Trois facteurs expliquent cette situation. Tout d’abord, les grandes compagnies historiques viennent seulement de prendre la mesure de la concurrence des compagnies low cost. Cependant, il sera difficile de regagner les parts de marché perdues, d’autant que la croissance économique du marché est quasi nulle.
En outre, elles font face à un problème inhérent à l’ensemble des activités économiques en Europe : le coût. Vous l’aurez compris, le développement des compagnies européennes historiques, sur le sol européen, ne peut plus se poursuivre.
La deuxième difficulté à laquelle les compagnies européennes sont confrontées, qu’il s’agisse de compagnies historiques ou de nouveaux opérateurs, est l’imperméabilité des marchés émergents. Cette absence dans les pays émergents résulte, là aussi, de coûts opérationnels trop importants auxquels s’ajoutent les barrières juridiques, et notamment l’impossibilité de composer librement le capital de sa filiale, comme cela peut être le cas en Asie.
Enfin, le dernier nuage dans le ciel de nos compagnies européennes tient au caractère inéquitable de la concurrence entre les compagnies européennes et certaines compagnies asiatiques.
Si les compagnies d’Extrême-Orient opposent une belle concurrence sur leur sol – ce qui n’est pas surprenant –, les compagnies du Moyen-Orient ont, quant à elles, développé des stratégies de développement beaucoup plus agressives et beaucoup plus dangereuses pour les compagnies européennes. Ces compagnies sont subventionnées par des États qui sont prêts à tout pour augmenter leur visibilité. Ces compagnies s’appuient également sur une logistique et des plates-formes essentiellement présentes dans leurs pays d’origine et avec lesquelles nos compagnies ne peuvent pas rivaliser en termes de coûts.
Dans ce contexte, les compagnies européennes ne disposent pas d’une pluralité de solutions. Elles devront relever plusieurs défis dans un laps de temps extrêmement réduit.
Elles doivent d’abord rationaliser leurs dépenses. Tel est notamment l’objectif du plan Transform 2015 du groupe Air France, qui tente de concilier le maintien des grandes lignes dans son périmètre d’activité avec une baisse des coûts. La mise au point de ce plan n’a pas été chose facile, en raison notamment de la nécessité de procéder à une rationalisation des effectifs.
Mais existent également des coûts externes dont les compagnies ne sont pas responsables. Dans ce cas, la compétitivité des compagnies européennes dépendra de la capacité de la France et, plus généralement, des institutions européennes à favoriser le développement d’infrastructures de qualité, notamment en ce qui concerne la navigation aérienne, les aéroports et la distribution, le tout à un coût raisonnable par rapport à ceux pratiqués dans les autres régions du monde.
Songeons, par exemple, que l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle est au troisième rang mondial en matière de taxe aéroportuaire, juste derrière Londres-Heathrow et Francfort. Or les taxes aéroportuaires sont un élément déterminant dans la compétition que se livrent les compagnies, car toutes ne sollicitent pas les mêmes aéroports.
C’est à ce prix que nous paierons le développement, et peut-être aussi la survie, des grands groupes européens. Soit les efforts sont consentis, et alors les groupes poursuivront leur développement, soit nous restons les bras ballants et, dans ce cas, ils continueront d’être victimes de distorsions de concurrence.
Vient ensuite la problématique récurrente de l’insécurité juridique, dont le meilleur exemple est la suspension de l’application du système européen d’échange de permis d’émissions aux vols extra-communautaires.
Le dernier défi que devront relever les compagnies européennes est l’amélioration de la compétitivité produit. Les États n’y pourront rien. Les compagnies européennes devront capitaliser sur le prestige qui est attribué à l’Europe.
En fin de compte, il n’est pas difficile d’entrevoir quels sont les atouts et les handicaps de l’aviation civile française et européenne pour affronter la concurrence internationale. Notre industrie aéronautique sera prête à relever les défis technologiques, environnementaux et économiques qui s’offrent à elle, parce que l’innovation lui permettra de préserver son rang.
En revanche, il est temps de se pencher avec plus d’attention sur le sort des compagnies aériennes, dont on ne peut exiger concomitamment le développement international et le maintien de l’emploi sans leur fournir les infrastructures indispensables à leur développement. N’oublions pas que la préservation d’une grande compagnie nationale est un élément de puissance indispensable pour n’importe quel État, aussi bien d’un point de vue pratique que sur le plan symbolique, comme élément d’influence et de soft power. Il convient donc de mettre notre compagnie nationale dans les meilleures dispositions possibles. (Applaudissements.)
M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, notre collègue Bruno Sido, d’avoir choisi ce sujet et féliciter le rapporteur de son travail.
La France a une responsabilité particulière dans le domaine de l’aviation civile. Elle doit cette responsabilité à son histoire, marquée par la créativité de ses ingénieurs qui furent d’illustres pionniers. Elle occupe aujourd’hui un rang de premier plan. L’enjeu est important : comment garder ce rang et ce rôle de premier plan sur le long terme ?
M. Roland Courteau, rapporteur. Eh oui, c’est la question !
M. Vincent Capo-Canellas. J’aborderai successivement quatre points : l’adaptation à une concurrence renouvelée ; le besoin de maintenir un niveau de recherche élevé ; la nécessité de s’adapter aux nouvelles exigences environnementales ; la question clé du rôle de l’État dans l’aviation civile.
M. Bruno Sido, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Bien sûr !
M. Vincent Capo-Canellas. Le rapport pose parfaitement les termes du débat. L’objectif est bien de préserver l’avance de la France et de l’Europe dans le secteur stratégique de l’aviation civile. Dans l’aéronautique plus encore que dans d’autres secteurs, demain se prépare aujourd’hui. Cette certitude, nous devons la partager et surtout la traduire en actes.
J’entends parfois certains dire que le secteur aéronautique est si florissant qu’il n’est pas utile de maintenir un tel niveau de crédits publics pour aider la recherche. Ce secteur où les carnets de commande sont pleins et les résultats financiers positifs doit pourtant assurer dès aujourd’hui son avenir. Or des clignotants se sont allumés.
M. Roland Courteau, rapporteur. Eh oui !
M. Vincent Capo-Canellas. Ne pas les voir serait méconnaître totalement la réalité du secteur.
Le succès actuel de notre industrie aéronautique et de nos champions nationaux – Airbus, par exemple – ne doit pas nous faire oublier que la concurrence se renforce et croît en compétences. Cette concurrence vient non seulement des États-Unis, avec Boeing, mais également de la Chine, qui cherche à développer une gamme complète d’avions.
M. Roland Courteau, rapporteur. Exactement !
M. Vincent Capo-Canellas. Quant à l’industrie russe, elle s’est engagée dans une renaissance fortement soutenue par l’État. N’oublions pas le Canada, avec Bombardier, ni le Brésil, avec Embraer, dont les projets d’avions monocouloirs concurrenceront à terme ceux de Boeing et d’Airbus.
Le duopole Boeing-Airbus est peut-être déjà derrière nous. L’investissement dans l’innovation et la créativité est donc plus que jamais nécessaire pour maintenir la compétitivité de l’offre de l’industrie française. Pour le dire autrement, l’aviation civile de 2040 se prépare dès aujourd’hui en ne ratant pas les innovations et les ruptures technologiques. Cela passe par un soutien public fort à la recherche-développement et à l’innovation dans la production industrielle, mais aussi par un accompagnement public visant à pérenniser nos positions sur les marchés à l’exportation. La question est bien là : ne baissons pas la garde, car les ruptures technologiques arrivent vite.
Le renforcement de la concurrence concerne aussi les systémiers et les équipementiers, qui doivent faire face à des groupes américains de plus en plus présents, tandis que des pays émergents comme la Chine et la Russie veulent constituer leurs propres champions.
Tel était le premier point de mon intervention : la concurrence est là, et nous sommes à un tournant. Le deuxième élément sur lequel je veux insister, c’est l’importance de la recherche. Face à une concurrence de plus en plus rude, il est indispensable de garder une longueur d’avance en matière d’innovation et d’offre commerciale pour répondre aux attentes des clients. Ces derniers ont des exigences toujours plus fortes en termes de performance des aéronefs, de maintenance et d’impacts environnementaux.
Notre industrie et l’industrie européenne sont engagées dans une course contre la montre. Les investissements dans la recherche en amont et en aval sont indispensables pour que la France conserve sa place en 2040. Afin de préserver l’avance de la France et de l’Europe, nous devons prendre les bonnes décisions. La France doit préparer dès aujourd’hui les futures générations de moyens de transport aérien pour 2025 et au-delà, si elle veut maintenir sa compétitivité internationale.