compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaire :
Mme Michelle Demessine.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Loi de finances pour 2014
Suite de la discussion d'un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 155, rapport n° 156).
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen, au sein de la première partie du projet de loi de finances, des dispositions relatives aux ressources.
PREMIÈRE PARTIE (suite)
CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER
TITRE IER (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES
I. – IMPÔTS ET RESSOURCES AUTORISÉS (suite)
B. – Mesures fiscales (suite)
Mme la présidente. Nous en sommes parvenus à l’article 8.
Article 8
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
A. – L’article 641 bis est ainsi rédigé :
« Art. 641 bis. – Les délais prévus à l’article 641 sont portés à vingt-quatre mois pour les déclarations de succession comportant des immeubles ou des droits immobiliers pour lesquels le droit de propriété du défunt n’a pas été constaté avant son décès par un acte régulièrement transcrit ou publié, à la condition que les attestations notariées mentionnées au 3° de l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, relatives à ces biens, soient publiées dans ce même délai. » ;
B. – Le b du 2 du B du VI de la section II du chapitre Ier du titre IV de la première partie du livre Ier est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° : Frais de reconstitution de titres de propriété des biens immeubles et des droits immobiliers
« Art. 775 sexies. – Les frais de reconstitution des titres de propriété d’immeubles ou de droits immobiliers pour lesquels le droit de propriété du défunt n’a pas été constaté avant son décès par un acte régulièrement transcrit ou publié, mis à la charge des héritiers par le notaire, sont admis, sur justificatifs, en déduction de l’actif successoral dans la limite de la valeur déclarée de ces biens, à la condition que les attestations notariées mentionnées au 3° de l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, relatives à ces biens, soient publiées dans un délai de vingt-quatre mois à compter du décès. » ;
C. – Le D du VI de la section II du chapitre Ier du titre IV de la première partie du livre Ier est complété par un article 797 ainsi rétabli :
« Art. 797. – I. – Les immeubles non bâtis et les droits portant sur ces immeubles sont exonérés de droits de mutation par décès aux conditions suivantes :
« 1° Les immeubles considérés sont indivis au sein d’une parcelle cadastrale ;
« 2° La valeur totale de l’immeuble est inférieure à 5 000 € lorsqu’il est constitué d’une seule parcelle et à 10 000 € lorsqu’il est constitué de deux parcelles contiguës ;
« 3° Le droit de propriété du défunt n’a pas été constaté avant son décès par un acte régulièrement transcrit ou publié ;
« 4° Les attestations notariées mentionnées au 3° de l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière et relatives à ces biens sont publiées dans un délai de vingt-quatre mois à compter du décès.
« II. – L’exonération prévue au I n’est applicable qu’à raison d’une seule parcelle ou de deux parcelles contiguës en indivision par succession. »
II. – Le I s’applique aux successions ouvertes à compter de la date de publication de la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 8
Mme la présidente. L'amendement n° I-44 rectifié, présenté par Mme Férat, M. Détraigne, Mme Morin-Desailly et MM. Deneux, Amoudry, Dubois, Delahaye et Savary, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les deux premiers alinéas du c du 4° du I de l’article 793 du code général des impôts sont supprimés.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais présenter également les amendements nos I-54 rectifié et I-49 rectifié, qui traitent, comme l’amendement n° I-44 rectifié, du foncier des agriculteurs.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion les deux amendements suivants.
L'amendement n° I-54 rectifié, présenté par M. Détraigne, Mme Férat, M. Delahaye, Mme Morin-Desailly et MM. Deneux, Amoudry, Dubois et Savary, est ainsi libellé :
Après l'article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – À la première phrase du deuxième alinéa de l’article 793 bis du code général des impôts, le montant : « 101 897 € » est remplacé par le montant : « 250 000 € ».
II. – La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L'amendement n° I-49 rectifié, présenté par M. Détraigne, Mme Férat, M. Delahaye, Mme Morin-Desailly et MM. Deneux, Amoudry, Dubois et Savary, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 793 bis est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La limitation prévue au deuxième alinéa ne s’applique pas aux parts de groupements fonciers agricoles répondant aux conditions prévues au 4° du 1 de l’article 793 lorsque le bail a été consenti à une personne autre que le donateur ou le donataire, leur conjoint, leurs ascendants ou descendants, leurs frères ou sœurs, ou à une société contrôlée par une ou plusieurs de ces personnes. Dans ce cas, la valeur de ces parts n’est pas prise en compte pour apprécier la limite fixée au deuxième alinéa. » ;
2° Après le mot : « quarts », la fin de l’avant-dernier alinéa de l’article 885 H est ainsi rédigée : « de leur valeur. Toutefois, l’exonération est limitée à 50 % de la valeur des parts excédant cette limite lorsque le bail a été consenti au détenteur des parts, à son conjoint, à leurs ascendants ou descendants, leurs frères ou sœurs ou à une société contrôlée par une ou plusieurs de ces personnes. »
II – La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Vincent Delahaye. Nous avons déjà eu en partie ce débat en examinant la question des avantages fiscaux liés aux GFA, les groupements fonciers agricoles.
C'est encore l'enjeu de l'amendement n° I-44 rectifié, qui tend à supprimer le délai de deux ans pour l'octroi des avantages fiscaux destinés aux détenteurs de parts de GFA mutuels ou investisseurs.
L'amendement n° I-54 rectifié vise à étendre aux patrimoines fonciers les dispositifs d'exonération des droits de mutation à titre gratuit applicables aux biens professionnels, et ce afin de faciliter la transmission des exploitations agricoles.
L'amendement n° I-49 rectifié, quant à lui, tend à déplafonner l'exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit et d'ISF sur les parts de GFA louant leurs biens par bail à long terme.
Tous ces amendements vont dans la même direction : protéger les agriculteurs et les transmissions d'exploitations agricoles, et donc maintenir le dynamisme de nos territoires.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.
L'amendement n° I-44 rectifié tend à assouplir les conditions d'octroi d'un avantage fiscal concernant la transmission à titre gratuit des parts de groupements fonciers agricoles. La commission des finances considère qu’il n’est pas opportun, dans le contexte budgétaire actuel, d’étendre cette niche fiscale.
L'amendement n° I-54 rectifié avait été jugé utile et pertinent pour la transmission des exploitations agricoles par de nombreux collègues de la commission des finances. Néanmoins, le coût, qui n’a pas été chiffré par les auteurs de l’amendement, pourrait être très important.
L'amendement n° I-49 rectifié tend également à étendre une niche fiscale qui, en l'espèce, bénéficie à certains contribuables aisés en matière d'ISF et de droits de mutation à titre gratuit.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous prier de bien vouloir excuser mon collègue ministre du budget, qui est retenu par l'ouverture des négociations avec les partenaires sociaux sur la remise à plat de notre système fiscal.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je vous souhaite bien du plaisir !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je n’en ai ni l'éloquence ni la technique, mais je m'efforcerai de représenter le Gouvernement aussi bien que possible. Je vous prie également de bien vouloir excuser Pierre Moscovici qui se trouve, lui, en Chine, avec laquelle il essaye de doper nos échanges dans le cadre du Dialogue économique de haut niveau franco-chinois.
Sur ces trois amendements, le Gouvernement émet, comme la commission, un avis défavorable : il ne lui semble pas légitime d'élargir, à ce stade, les avantages fiscaux déjà importants qui existent.
Mme la présidente. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-86, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l'article 885 A, le montant : « 1 300 000 » est remplacé par le montant « 800 000 » ;
2° L’article 885 U est ainsi modifié :
a. La seconde colonne du tableau constituant le second alinéa du 1 est ainsi rédigée :
Tarif applicable |
0 |
0.55 |
0.70 |
1 |
1.35 |
1.80 |
b. Le 2 est abrogé.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la remise à plat de notre système fiscal, le Gouvernement oublie – peut-être un peu vite – de se poser la question de la fiscalité patrimoniale. Il est évident que nous ne pouvons l'accepter tout à fait.
À la vérité, nous avons cependant quelques traces de l’évolution de cette fiscalité dans le nouveau régime de taxation des plus-values, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est assez clairement éloigné de la fiscalité punitive parfois décrite et qu’il est loin de permettre d’établir une égalité de traitement entre les revenus du patrimoine et du capital et les revenus du travail.
L’amendement n° I-86 vise clairement à accroître le rendement de l'impôt de solidarité sur la fortune, en utilisant deux outils principaux.
Le premier, c’est celui de l’abaissement du plancher de l’impôt à 800 000 euros en vue de retrouver un nombre de contribuables plus conforme à la réalité des inégalités de patrimoine dans ce pays et une mise à contribution plus représentative de la capacité de ces redevables.
Le second outil, c’est la modification des tranches du tarif afin d'améliorer le rendement de l'ISF pour le compte de l’État et, plus fondamentalement, de renforcer la solidarité nationale.
À ce titre, mes chers collègues, permettez-moi simplement de souligner ici qu’il ne me paraît pas tout à fait logique du point de vue de l’égalité – principe fondateur de notre République – que nous financions le RSA en mobilisant 6 milliards d’euros de taxe intérieure de consommation des produits énergétiques perçus indistinctement auprès de l’ensemble de nos compatriotes.
Pour tout dire, le financement du RSA est devenu une forme de solidarité horizontale entre les plus modestes dont les plus aisés sont, de fait, largement dispensés. C’est là une situation que l’on ne peut vraiment accepter et qui motive pleinement que nous sollicitions quelque peu les plus fortunés.
Accessoirement, monsieur le ministre, comme cet amendement tend plutôt à engendrer des ressources budgétaires nouvelles, vous comprendrez que son adoption serait bienvenue pour corriger la détérioration du solde résultant des votes du Sénat sur les articles antérieurs.
C’est donc au bénéfice de ces observations que nous vous invitons à adopter cet amendement, mes chers collègues.
Mme la présidente. L'amendement n° I-419 rectifié, présenté par M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la fin du premier alinéa de l’article 885 A du code général des impôts, le montant : « 1 300 000 € » est remplacé par le montant : « 800 000 € ».
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° I-418 rectifié, présenté par M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le tableau constituant le second alinéa du 1. de l’article 885 U du code général des impôts est ainsi rédigé :
«
Fraction de la valeur nette taxable du patrimoine |
Tarif applicable |
Supérieure à 800 000 € et inférieure ou égale à 1 300 000 € |
0,55 |
Supérieure à 1 300 000 € et inférieure ou égale à 2 570 000 € |
0,75 |
Supérieure à 2 570 000 € et inférieure ou égale à 4 040 000 € |
1 |
Supérieure à 4 040 000 € et inférieure ou égale à 7 710 000 € |
1,3 |
Supérieure à 7 710 000 € et inférieure ou égale à 16 790 000 € |
1,65 |
Supérieure à 16 790 000 € |
1,8 |
»
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l'amendement n° I-86 ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. La commission émet un avis défavorable. L'ISF a déjà été substantiellement alourdi l'année dernière : la prévision de recettes en 2014 pour l’ISF est de 4,7 milliards d'euros, contre seulement 3 milliards d'euros pour 2012 – c’est le chiffre prévu par l'ancien gouvernement et qui tient compte des allégements votés à l’époque. Nous avons donc le sentiment que l'alourdissement de l'ISF est déjà très conséquent…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très conséquent, en effet !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … et que, dans l'attente des réflexions à venir sur la fiscalité – tout sera remis à plat, et peut-être irons-nous dans le sens que vous souhaitez… –, il faut en rester à l'équilibre actuel. L'avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement émet également un avis défavorable. L'ISF avait été considérablement réduit à l'été 2011, son taux ayant été ramené à 0,5 %. Nous l'avons multiplié par trois, ce qui engendre une recette supplémentaire de un milliard d'euros. Cela justifie que le Gouvernement ne souhaite pas aller plus loin.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, j’entends bien vos argumentations, mais l'idée était simplement d'ajuster le rendement de cet ISF à la valeur 2013. En effet, le magasine Challenge a publié en juillet dernier un dossier qui montrait que les 500 premières fortunes professionnelles de France avaient augmenté de 25 %.
En pleine période de crise, vous comprendrez que cette idée nous soit parue pertinente…
Mme la présidente. L'amendement n° I-87, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 885 I bis, 885 I ter et 885 I quater du code général des impôts sont abrogés.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Cet amendement consacre notre position de fond, maintes fois exprimée et justifiée, sur le dispositif Dutreil et des dispositifs proches, qui sont d’un coût non négligeable pour les finances publiques. Ils minent le rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune pour une justification sociale et économique qui n’est pas assurée.
En effet, si nous souhaitons remettre à plat notre système de prélèvements obligatoires, les niches fiscales doivent être revues et corrigées.
En voici trois, issues du même texte – la loi Dutreil –, qui, réunies, réduisent de 261 millions d’euros le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune et posent par ailleurs un problème évident de justice fiscale et, partant, de justice sociale. Le dispositif Dutreil vient en effet se superposer inutilement aux multiples exonérations d’assiette dont souffre l'ISF, et contribue ainsi à miner une recette fiscale dont le dynamisme et la réalité mériteraient d’être encouragés plutôt que bridés.
Il est complété – faut-il le rappeler ? – par le dispositif ISF-PME, dispositif assez coûteux – 570 millions d’euros prévus en 2014 pour un peu plus de 40 000 ménages – dont l’efficience demeure à prouver et qui constitue, au regard des autres incitations fiscales à l’investissement en fonds propres dans les entreprises, l’opération la plus gourmande en fonds publics.
Difficulté supplémentaire pour les dispositifs issus de la loi « Dutreil », l’évaluation des voies et moyens permet de connaître la réalité de la dépense fiscale mais ne permet plus, aujourd’hui, de déterminer le nombre des bénéficiaires. Encouragement à la signature ou à l’accord sur les pactes d’actionnaires, l’ensemble de ces dispositifs n’a cependant jamais concerné grand-monde parmi les contribuables assujettis à l'ISF.
Il a surtout été invoqué pour lutter contre les délocalisations fiscales, ce qui, évidemment, ne peut manquer de faire sourire quand on voit que, malgré cela, une bonne partie des membres de la famille Mulliez a émigré en Belgique ou que M. Paul Dubrule, notre ex-collègue de Seine-et-Marne et PDG du groupe Accor, a préféré, quant à lui, résider en Suisse, où il s’accommode fort bien des légères contraintes du forfait fiscal.
D’ailleurs, s’il fallait revenir sur la question de l’expatriation fiscale, sans doute serait-il plus judicieux de parler d’expatriation professionnelle, puisque la très grande majorité de nos compatriotes qui ont pu partir vivre à l’étranger ces temps derniers n’étaient pas spécialement riches – avec des revenus inférieurs à ceux qui vont être touchés par le plafonnement du quotient familial – ni détenteurs d’un patrimoine particulièrement important.
En définitive, qui part à l’étranger ? Essentiellement de jeunes cadres envoyés faire leurs armes par leur entreprise ou encore de jeunes Français issus de l’immigration bardés de diplômes et victimes, sur le territoire national, de discriminations à l’embauche qui sont autant d'incitations à l'expatriation.
Enfin, une dernière raison justifie le dépôt de cet amendement. De manière évidente, le dispositif Dutreil n’a été sollicité que par des contribuables avertis, conseillés, et, de fait, relativement plus fortunés que les autres. Il crée, d’ailleurs, une évidente inégalité de traitement entre actionnaires soumis à l’ISF et actionnaires qui, eux, ne le sont pas. Pourquoi faudrait-il que les uns disposent d’un avantage comparatif, alors qu’ils sont justement plus riches ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement va à rebours du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, et à l'encontre du principe de stabilité fiscale des mesures favorisant l'investissement dans les PME. Le Gouvernement s'est ainsi engagé à maintenir cinq années durant la fiscalité applicable aux investissements dans les PME et les ETI, les entreprises de taille intermédiaire.
Il nous a semblé devoir nous inscrire dans cette ligne, en veillant à éviter l’instabilité que nous reprocheraient les investisseurs, et donc le risque que des investissements ne soient différés.
Souhaitant rester dans l’épure actuelle, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je rappellerai simplement à M. Bocquet une observation importante de la Commission européenne, qui soulignait encore récemment l’existence en France d’une distorsion forte en faveur de l’endettement au détriment de l’investissement en fonds propres des entreprises, notamment des PME.
Or l’adoption de cet amendement non seulement remettrait en cause la stabilité du capital des entreprises mais risquerait de favoriser le passage de ces dernières dans des mains étrangères, notamment au moment de leur transmission.
C'est la raison pour laquelle, à l’appui également des arguments du rapporteur général, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° I-89, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au début du premier alinéa de l’article 885 N du code général des impôts, sont insérés les mots : « Dans la limite de deux millions d’euros, ».
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Cet amendement tend à rappeler que le patrimoine industriel et économique, auquel je faisais référence tout à l’heure, constitue un élément non négligeable de la fortune des personnes les plus aisées de notre pays, et que cette question n’est toujours pas tranchée dans le cadre législatif définissant précisément l’impôt de solidarité sur la fortune.
Les dispositions votées dans le cadre de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, ont ouvert largement les portes de l’optimisation fiscale en matière d’ISF pour les contribuables de cet impôt. Je dois avouer que la remise en forme de cet impôt, depuis le printemps 2012, a finalement entériné une bonne partie des orientations fixées sous la législature précédente. Le nombre de redevables s’est en effet réduit de manière assez importante, sans pour autant que son rendement n’en soit dramatiquement affecté, ce qui témoigne de la poursuite d’un processus d’enrichissement des plus fortunés depuis le début du siècle, déjà rendu perceptible entre 2005 et 2012 par l’accroissement constant du nombre de contribuables de l’ISF.
Pour autant, les mesures prises et l’équilibre trouvé pour le moment n’ont pas fait, de notre point de vue, la pleine démonstration de leur moindre efficacité sociale et économique.
Je ne reviendrai pas sur notre argumentation contre les discours idéologiques des partisans de la suppression de l’ISF. Le discours tenu en particulier sur l’exil fiscal des talents et des cerveaux s’est révélé largement battu en brèche par les éléments fournis par le ministère sur les mouvements de « foyers fiscaux » vers l’étranger, dont il s’est avéré que le nombre singulièrement réduit ne pouvait préjuger une « émigration fiscale » massive.
Notre proposition est d’une très grande simplicité : elle vise à maintenir un certain niveau d’exonération, notamment pour les actifs professionnels détenus par des redevables qui seraient aussi patrons de PME ou d’entreprises de taille intermédiaire.
Elle vise en revanche, en pleine application du tarif de l’impôt de solidarité sur la fortune, à placer ces actifs dans le patrimoine taxable à partir d’un montant de deux millions d’euros. Ensuite, l’impôt de solidarité sur la fortune ayant un caractère progressif, c’est à raison de l’importance de ces actifs professionnels que le rendement serait majoré.
Notre proposition est une mesure de justice sociale, s’appuyant sur les qualités actuelles de l’ISF pour rendre cet impôt plus juste, plus efficace et plus rentable pour les finances publiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il ne semble pas opportun à la commission des finances de procéder à cette évolution. Nous nous situons dans un principe général dont l’intérêt économique est clair. Le fait de soumettre les biens professionnels à l’impôt de solidarité sur la fortune pourrait avoir un effet massif sur l’activité économique.
Je vous rappelle, mon cher collègue, que l’exonération des biens professionnels a toujours été un principe fondateur de l’ISF. Ceux-ci étaient d'ailleurs déjà exclus de l’impôt sur les grandes fortunes instauré, après l’élection de François Mitterrand, par la loi de finances pour 1982 que votre groupe avait à l’époque soutenue.
Nous préférons maintenir cet équilibre, et c'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.