M. Bruno Retailleau. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi de notre collègue Marcel-Pierre Cléach intervient quelques jours après le 11 novembre, une commémoration désormais dédiée à tous ceux qui ont combattu et sont morts pour la France. Comme pour tout ce qui touche à l’histoire de notre pays, à ses différentes mémoires et aux guerres dont il a été victime ou qu’il a menées, souvenons-nous que, au mois de janvier de l’année dernière, cette décision du précédent président de la République n’avait pas été sans susciter de vives controverses.
Pour notre part, nous avions contesté l’idée selon laquelle tous les conflits seraient de même nature et qu’ils pourraient être mis sur le même plan. Nous avions souligné le risque d’aboutir, en ne distinguant plus les choses, en confondant les conflits, à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permette plus de comprendre le passé et de construire lucidement l’avenir.
Avec ces considérations générales, sommes-nous si éloignés du sujet de cet après-midi ? Je ne le pense pas, car l’intérêt et les passions sont toujours aussi vifs dans nos mémoires pour ce qui a trait aux combats en Algérie dans les années cinquante et soixante, mais également, quoique dans une moindre mesure, pour les opérations militaires plus récentes auxquelles notre pays a participé. Ces sentiments sont compréhensibles, car, en arrière-plan, se trouve non seulement la conception que l’on a de notre pays, mais aussi des valeurs et des principes au nom desquels la République envoie des hommes au combat, au prix parfois de leur vie.
Cette proposition de loi a donc un sens et une portée.
Au nom de l’égalité entre les différentes générations du feu, il nous est proposé, d’une part, d’élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens d’Algérie, jusqu’au retrait total de nos troupes en 1964, et, d’autre part, de simplifier, en définissant des conditions identiques pour tous les combattants, la délivrance de ce document aux anciens combattants ayant participé aux conflits dans lesquels nos armées ont été engagées après 1964.
Ces deux mesures sont des droits à réparation revendiqués depuis de nombreuses années par l’ensemble des associations du monde combattant. Les adopter peut sembler logique, car elles paraissent aller dans le sens d’une juste reconnaissance de droits légitimes. Pourtant, à y regarder de plus près, elles soulèvent des questions de principe et présentent des difficultés de mise en œuvre. Par ailleurs, elles ont été, nous semble-t-il, partiellement, voire très largement satisfaites, ou sont en voie de l’être.
Pour ce qui concerne l’Algérie, la possibilité d’extension des droits à la carte du combattant au-delà du 2 juillet 1962 – date officielle de l’indépendance –, si elle est confirmée par le débat budgétaire, existera désormais avec ce qu’on appelle la carte « à cheval ». La carte du combattant pourra en effet être attribuée dès lors que la date du premier séjour en Afrique du Nord est antérieure au 2 juillet 1962. Nous tiendrons ainsi un engagement pris depuis de nombreuses années,…
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Cécile Cukierman. … régulièrement rappelé dans les différentes assemblées générales de la FNACA auxquelles nous avons participé. Nous avons, les uns et les autres, été régulièrement interpellés sur cette promesse qui ne s’est jamais traduite en actes. Si le débat budgétaire nous permet d’y parvenir, nous ne pourrons que nous en féliciter.
J’estime qu’il y a manifestement sur cette question, au travers de la proposition de loi qui nous est présentée, une volonté sous-jacente de réécrire l’histoire. En effet, le texte prévoit que la carte pourra être attribuée à ceux qui ont été présents en Algérie au moins quatre mois entre le 1er juillet 1962 et le 1er juillet 1964, avec certains critères d’attribution qui se fondent sur la notion de « participation à des opérations en zone d’insécurité comportant un risque d’ordre militaire ». Or il faut également prendre en compte le contexte « historico-politique » et les conditions dans lesquelles se sont déroulées, ou non, des opérations militaires comportant « un risque d’ordre militaire ».
Dans le cas de l’Algérie, le cessez-le-feu entre l’armée française et les troupes du FNL, qui deviendra l’ALN, l’Armée de libération nationale, est intervenu le 19 mars 1962. Nous avons voté au Sénat une proposition de loi visant à reconnaître officiellement cette date.
Après cette date, conformément aux accords d’Évian, il ne pouvait y avoir, et il n’y eut pas, d’engagement de nos troupes contre celles de l’ALN. En outre, nous commencions à rapatrier nos troupes, en priorité celles qui comprenaient une majorité d’appelés du contingent.
Bien que la situation d’insécurité fût avérée, il n’y eut pas d’opérations militaires après le 19 mars 1962, donc, par définition, pas de « risque d’ordre militaire » proprement dit. En revanche, de nombreuses représailles furent commises par la population civile algérienne, comme le massacre des harkis et de leurs familles, ou les exactions contre les Européens à Oran le 5 juillet 1962, qui firent plus de 500 victimes. C’est d’ailleurs à cet événement que la proposition de loi fait explicitement référence dans l’exposé des motifs, avec, me semble-t-il, l’intention, consciente ou non, de reprendre les arguments de ceux qui ont reproché à nos troupes leur non-intervention pour y mettre fin.
Pour ce qui est des anciens combattants ayant participé à des OPEX – c’est la deuxième partie de la proposition de loi –, il est considéré, à juste titre, que les critères d’attribution de la carte ne correspondent plus à la réalité de ces engagements et que les conditions pour l’obtenir sont trop complexes et restrictives.
Telle qu’elle est rédigée, la proposition de loi impliquerait de reconnaître le statut d’anciens combattants aux militaires engagés à l’étranger avant 1991, c’est-à-dire essentiellement les casques bleus de la FINUL. Or ceux-ci avaient un statut particulier puisqu’ils participaient à une opération dépendant directement de l’ONU, à la différence des opérations menées en Afghanistan, au Rwanda, en Libye, au Mali ou bien encore contre la piraterie maritime au large de la corne de l’Afrique, qui ont toutes reçu la qualification « d’opérations extérieures ».
Cela nécessiterait en outre que soient traitées rétroactivement les situations des unités envoyées à l’étranger dans un cadre bilatéral, ou sous mandat de l’ONU, et de vérifier le statut de ces militaires eu égard à leur qualité d’anciens combattants. Il faudrait aussi modifier les critères généraux prévus par le code de la défense, en retenant par exemple ceux appliqués pour l’Afrique du Nord, soit quatre mois de présence.
Monsieur le ministre, les engagements que vous avez pris sur ce sujet lors du débat budgétaire à l’Assemblée nationale et rappelés devant la commission des affaires sociales du Sénat seront de nature à régler équitablement cette question.
Au final, le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre cette proposition de loi, en raison des implications qu’elle entraîne concernant la période de la guerre d’Algérie. Notre position ne s’explique pas par des raisons budgétaires puisque l’attribution de la carte du combattant ouvre des droits en vertu des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. Nous ne voterons pas ce texte parce que le droit à réparation pour la carte « à cheval » nous semble quasiment satisfait, sous la réserve d’un vote, et parce qu’il soulève une question de principe et sous-entend une certaine vision de l’histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Didier Guillaume remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain du 11 novembre, à quelques semaines de l’année du centenaire de la Grande Guerre, nos anciens combattants retiennent, aujourd’hui encore, toutes nos pensées. C’est la reconnaissance juste et légale que nous devons à ceux qui se sont battus pour sauver notre pays, à ces jeunes appelés, à ces soldats qui ont permis à notre pays, à travers les quatre générations du feu, d’être une nation forte, de rester une République attachée à ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Je ne doute pas que nous soyons tous ici attachés à ces valeurs et que nous ayons le souci de la reconnaissance et de l’accompagnement de nos anciens combattants. La proposition de loi qui a été déposée par notre collègue Marcel-Pierre Cléach participe de cette préoccupation. C’est pourquoi je souhaite l’aborder en évitant que, à l’issue de l’examen de celle-ci, on oppose, d’un côté, les partisans de l’élargissement des conditions d’attribution de la carte du combattant, symbole de la dette de la nation envers ses soldats, et, de l’autre, ceux qui voudraient le contraire. Il serait malvenu de nous livrer à cette polémique à l’heure où des soldats français sont encore déployés sur plusieurs théâtres d’opérations à travers le monde pour assurer la paix. Il serait également déplacé de nous livrer à une surenchère sur le dos de ceux qui ont combattu pour notre pays. Selon moi, il n’y a pas deux catégories de combattants. Il n’y a que des engagés au service de la France et de ses valeurs.
Nous partageons donc tous la même volonté que ces combattants soient reconnus ; ce qui nous différencie, c’est la méthode.
La proposition de loi de M. Cléach vise deux objectifs : d’une part, attribuer la carte du combattant aux soldats restés en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964, c’est-à-dire au moment de l’indépendance, et, d’autre part, clarifier les critères d’attribution de ladite carte aux soldats déployés en opérations extérieures, par la création de nouveaux critères.
La carte du combattant est réglementée. En effet, comme l’indique le nom de cette dernière, la règle de base pour bénéficier de la carte est d’avoir combattu dans le cadre d’un conflit.
Pour tenir compte de la situation spécifique en Afrique du Nord, un assouplissement de cette règle a été accordé, le critère de participation au feu remplaçant le critère de présence durant la période de conflit. Ainsi, pour la guerre d’Algérie, la carte du combattant est attribuée aux personnes justifiant de quatre mois de présence, avec ou sans reconnaissance d’une situation de feu.
Aux termes de la réglementation, cette particularité est spécifique à la situation de guérilla en Afrique du Nord et ne vaut plus une fois la guerre terminée. C’est pourquoi le droit à la carte du combattant s’éteint au moment où la guerre d’Algérie s’arrête, soit le 2 juillet 1962. A contrario, ceux qui furent présents après cette date bénéficient d’une autre reconnaissance spécifique : le titre de reconnaissance de la nation.
Par conséquent, l’argument de l’égalité ne tient pas, toutes les personnes présentes au même moment bénéficiant du même régime. Ce n’est pas parce que les acteurs restent des appelés et parce que la tâche demeure dangereuse qu’il s’agit de la même mission.
La proposition de loi de M. Cléach est louable puisqu’elle vise à renforcer la reconnaissance des anciens combattants. Cependant, en voulant étendre des droits, elle casse ce qui fait l’essence même de la carte du combattant, c’est-à-dire un titre de guerre, lié à des actions de guerre.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Gisèle Printz. Ce texte conduirait à une destruction du code des pensions. Il permettrait à des appelés, arrivés plus d’un an et demi après l’indépendance de l’Algérie, donc plus d’un an et demi après la fin de la guerre, de demander malgré tout la carte du combattant.
M. Robert Tropeano. Eh oui !
Mme Gisèle Printz. Cette situation reviendrait à minorer la reconnaissance déjà délivrée aux soldats ayant démontré leur participation à cette guerre.
La proposition de loi reviendrait également à considérer que l’état de guerre a continué jusqu’au 1er juillet 1964 et à remettre en cause l’indépendance de l’Algérie puisque la carte est liée à des faits de guerre.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Gisèle Printz. Une telle extension serait également incohérente avec la loi adoptée il y a quelques mois visant à reconnaître la date du 19 mars 1962, c’est-à-dire la date du cessez-le-feu en Algérie, comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Monsieur le ministre, l’élargissement des conditions d’attribution de la carte du combattant ne peut se faire que dans le cadre que vous avez évoqué lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014. La solution retenue, que nos collègues de l’Assemblée nationale ont déjà votée et qu’avait défendue, au Sénat, mon collègue Alain Néri, consiste à accorder la carte du combattant aux militaires qui se sont engagés en Algérie avant le 2 juillet 1962, qui ont poursuivi leur mission au-delà de cette date et qui totalisent au moins quatre mois de présence. Nous formulons le souhait de pouvoir voter cette disposition dans quelques jours au Sénat.
Pour ce qui concerne les opérations extérieures, je m’interroge.
Le législateur peut-il créer une forme de régression pour les soldats servant en OPEX ? Non ! C’est pourtant ce que prévoit finalement cette proposition de loi (M. Charles Revet proteste.), dont l’adoption aboutirait à appliquer à ces soldats le critère de quatre mois de présence sur le sol d’un territoire en phase de conflit, alors que trois mois de présence dans une unité combattante leur suffisent aujourd'hui pour pouvoir bénéficier de la carte du combattant. En outre, on peut se demander si trois mois de situation de combats sont comparables à quatre mois de simple présence…
On en revient à la même problématique : on détruit le lien entre le motif pour lequel la carte du combattant a été créée et celui pour lequel on l’a délivrée. Il est donc préférable, pour le moment, de ne pas modifier la règle concernant les OPEX.
Cela étant, monsieur le ministre, nous avons entendu que ce dossier était perfectible, et nous serons attentifs à son évolution. Pour toutes les raisons que j’ai exprimées, nous ne voterons pas cette proposition de loi, et nous attendons vos propositions pour améliorer la situation des OPEX. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Tropeano. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’énonce le premier article du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, « la République française, reconnaissante envers les anciens combattants et victimes de la guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s’incline devant eux et devant leurs familles ». Le principe de la dette de la nation à l’égard des anciens combattants est ainsi fondamentalement posé.
Le législateur en a tiré les conséquences en instaurant le droit à réparation. Pour bénéficier totalement de celui-ci, il faut être titulaire de la carte du combattant. En effet, ce titre donne accès aux principaux dispositifs que notre rapporteur a énumérés, de la retraite du combattant jusqu’au privilège du drapeau tricolore sur le cercueil.
Comme vous le savez, mes chers collègues, chacun des grands combats de notre histoire a forgé ce que l’on appelle les quatre générations du feu, progressivement reconnues par le législateur.
La loi du 19 décembre 1926 a créé la carte du combattant, essentiellement en direction des poilus de la Grande Guerre. C’est la première génération du feu, celle des tranchées, de l’enfer de Verdun ou du funeste Chemin des Dames. Parce qu’ils ont tous disparu, ces soldats sont naturellement sortis des dispositifs de réparation. Mais, à l’aube des grandes commémorations du centenaire de la guerre de 14-18, je tiens à souligner que les hommes et les femmes victimes de la Grande Guerre sont aujourd’hui plus que jamais au cœur du devoir de mémoire, forme de reconnaissance que nous devrons éternellement aux anciens combattants.
La « der des ders » n’a malheureusement pas été la dernière. La deuxième génération du feu, constituée des anciens de la Seconde Guerre mondiale, est reconnue par le décret du 29 janvier 1948. Les mêmes critères d’attribution de la carte du combattant sont requis : avoir appartenu à une unité combattante ou avoir participé collectivement ou personnellement à une action de feu ou de combat. L’ajout du critère de blessure ou de captivité selon certaines conditions permettra notamment de prendre en compte la spécificité du combat résistant.
S’agissant de la troisième génération du feu, qui nous occupe plus particulièrement aujourd’hui, le processus de reconnaissance sera plus lent. Tout le monde en connaît les raisons. Longtemps, les autorités françaises ont parlé d’« opérations » en Algérie, au regard de l’état de colonie de ce pays. Il a fallu attendre la loi du 18 octobre 1999, adoptée sous le gouvernement de Lionel Jospin, pour rompre un tabou et mettre fin à plusieurs décennies de cécité politique. « Les événements d’Algérie » sont enfin devenus « la guerre d’Algérie ». Pour avoir moi-même participé à ce conflit pendant vingt-huit mois, j’ai bien le sentiment d’avoir vécu une guerre et pas autre chose.
Il suffit de rappeler son bilan humain pour l’illustrer : plusieurs dizaines de milliers de militaires tués au combat et des civils tragiquement disparus dans les massacres d’Oran ou de la Toussaint sanglante, sans compter les nombreuses pertes algériennes. La tragédie des harkis et le retour douloureux des rapatriés achèveront de donner à ce conflit des ressorts passionnels encore très prégnants aujourd’hui.
Les dégâts psychologiques et la violence endurée par tous les appelés, les rappelés et les militaires de carrière imposaient une reconnaissance à la hauteur des sacrifices qu’ils avaient consentis. À l’époque, il a fallu la mobilisation sans relâche des associations, relayées par les parlementaires, pour aboutir à la loi de 1974, qui répondait enfin à une attente légitime en donnant la « qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ».
Cette loi sera complétée en 1998, pour prendre en compte les forces qui avaient effectué des missions dangereuses liées au climat de guérilla, sans pour autant avoir appartenu à une unité combattante. En effet, la seule présence sur un théâtre d’opérations déclenche l’obtention de la qualité de combattant, et quatre mois suffisent depuis 2004.
Faut-il aller plus loin, comme le propose notre collègue Marcel-Pierre Cléach dans la présente proposition de loi et comme l’ont d’ailleurs souhaité, en 2008, nos collègues socialistes, en déposant un texte visant les mêmes objectifs ?
M. Charles Revet. Voilà un rappel intéressant !
M. Robert Tropeano. S’agissant des soldats en OPEX, le Gouvernement s’est engagé à mener une réflexion pour apporter plus de clarté aux dispositifs qui concernent la quatrième génération du feu. Mon groupe sera vigilant sur ce point.
Pour ce qui concerne les anciens combattants d’Algérie, il faut avancer avec prudence afin de ne pas affaiblir la portée de la carte du combattant. Si l’équité doit guider le législateur, ne brûlons pas les étapes. Il me semble prioritaire de répondre au problème des combattants restés quatre mois en Algérie à cheval sur les périodes antérieures et postérieures au 2 juillet 1962. L’article 62 du projet de loi de finances donne satisfaction à cette revendication formulée à l’unanimité et de longue date par les associations d’anciens combattants.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. Robert Tropeano. Le RDSE soutiendra cette mesure, et je vous remercie, monsieur le ministre, de cette initiative.
En revanche, repousser la limite temporelle jusqu’au 1er juillet 1964 risque d’ouvrir à nouveau des débats sur une chronologie que l’histoire a tranchée par le référendum d’autodétermination issu des accords d’Évian, qui a abouti à l’indépendance algérienne. Qualifié de « guerre sans nom » en 1992 par un célèbre cinéaste, le conflit algérien ne doit pas devenir une « guerre sans fin ».
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Robert Tropeano. C’est pourquoi le groupe du RDSE ne votera pas ce texte. Cette décision n’entame en rien notre conscience de la nature imprescriptible de la dette de la nation à l’égard des hommes et des femmes broyés dans l’enfer de la guerre d’Algérie et de nos soldats aujourd’hui engagés au Mali ou dans toutes les forces d’interposition et de maintien de la paix. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l’armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1er juillet 1964 ou en opérations extérieures, déposée, au Sénat, par notre collègue Marcel-Pierre Cléach le 16 juillet 2012. Une proposition de loi similaire a été déposée quelques mois plus tard, le 10 octobre 2012, à l’Assemblée nationale, où elle a été examinée et malheureusement rejetée le 21 février dernier.
Ce texte vise deux objectifs : d’une part, attribuer la carte du combattant à tous les soldats français restés en Algérie jusqu’au 1er juillet 1964 ; d’autre part, instaurer un critère de cent vingt jours de présence sur un théâtre considéré pour tous les soldats déployés en opérations extérieures. En effet, il existe aujourd’hui une véritable disparité de traitement des anciens combattants en fonction de leur génération du feu et du site du conflit sur lequel ils sont intervenus.
Or la reconnaissance du statut d’ancien combattant et l’attribution de la carte du combattant présentent plusieurs avantages pour leurs titulaires : la retraite du combattant, le port de la croix du combattant, le titre de reconnaissance de la nation, la constitution d’une rente mutualiste, normalement majorée par l’État et qui entraîne des avantages fiscaux – sur le point d’être rabotés par le Gouvernement –, une demi-part d’impôt sur le revenu à partir de soixante-quinze ans, la qualité de ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre et, enfin, le privilège d’avoir son cercueil recouvert d’un drap tricolore.
Autant dire que, malgré des critères particulièrement restrictifs, la carte du combattant est très importante pour ses titulaires. En effet, à l’origine, les conditions à remplir pour les militaires et certains civils candidats à l’obtention de la carte du combattant étaient d’avoir appartenu à une unité reconnue combattante pendant au moins quatre-vingt-dix jours.
La nature des conflits postérieurs à 1945 a conduit à l’élaboration de nouveaux critères : les actions de feu ou de combat de l’unité – neuf au minimum –, les actions de feu ou de combat personnelles – au moins cinq –, une présence de quatre mois entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 pour la guerre d’Algérie, les combats au Maroc et en Tunisie.
La carte est en outre accordée de plein droit aux blessés de guerre et aux titulaires de citations avec croix.
Ces conditions très limitatives excluent de nombreux anciens militaires des avantages relevant de la carte d’ancien combattant. C’est injuste, car c’est ne pas tenir compte du climat d’insécurité auquel ont dû faire face les militaires dans l’Algérie des années 1962 à 1964.
Ces critères sont également inadaptés aux militaires ayant participé aux opérations extérieures de maintien de la paix, comme ceux de la FINUL, qui compte près de 160 militaires et 15 personnels civils français tombés au Liban.
Aussi, mes chers collègues, pourquoi conserver de telles différences de traitement entre les générations d’anciens combattants ? Si le principe d’égalité, si cher au Président de la République, doit s’appliquer à notre société, il n’est pas acceptable que les soldats, anciens et futurs, en soient écartés. Dès lors, si le Gouvernement refuse cette mesure, alors même que rien n’est fait pour le monde combattant, les anciens combattants et les soldats actuellement engagés pourront constater que l’abandon des anciens combattants, « c’est maintenant » ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Raymond Couderc. La proposition de loi du sénateur Marcel-Pierre Cléach, que nous allons examiner aujourd’hui, est essentielle, car ce sera un acte de justice d’attribuer les mêmes avantages aux différentes générations du feu. C’est pourquoi j’ai cosigné ce texte et vous invite – comme je vais le faire – à le soutenir.
Je profite également du temps qui m’est imparti pour vous faire part, monsieur le ministre, de mon indignation quant à la diminution, décidée par le gouvernement auquel vous appartenez, du complément de retraite mutualiste des anciens combattants. Même si vous affirmez que cette diminution n’est que temporaire, il est bien triste de voir, pour la première fois depuis 1923, que l’aide versée par l’État à ses anciens combattants diminue. Pour paraphraser notre collègue député Marc Laffineur,…
M. Alain Néri. Qu’a-t-il fait pour eux ? On ne s'en souvient pas !
M. Raymond Couderc. … il s’agit d’une rupture avec le devoir de mémoire et de réparation vis-à-vis de nos anciens combattants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli. (Nouveaux applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Colette Giudicelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ayant été dites, je vais simplement insister sur la réalité de la situation militaire sur place au moment des accords d’Évian.
Je cite le texte de ces accords : « Les forces françaises, dont les effectifs auront été progressivement réduits à partir du cessez-le-feu, se retireront des frontières de l’Algérie au moment de l’accomplissement de l’autodétermination ; leurs effectifs seront ramenés, dans un délai de douze mois à compter de l’autodétermination, à quatre-vingt mille hommes ; le rapatriement de ces effectifs devra avoir été réalisé à l’expiration d’un second délai de vingt-quatre mois. »
Comme l’a rappelé Leila Aïchi, 50 000 militaires français étaient encore présents en 1964. Ils étaient non seulement chargés de protéger les installations militaires, mais aussi les biens de nos compatriotes demeurés en Algérie.
Entre 1962 et 1964, les opérations militaires se sont effectivement poursuivies, et plus de 500 morts ont été recensés du côté français durant cette période. Or, parmi eux, 150 sont morts entre 1963 et 1964. Toutes les pertes n’ont donc pas eu lieu au moment du cessez-le-feu.