Sommaire
Présidence de Mme Bariza Khiari
Secrétaires :
M. Jean Boyer, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
dispositif des certificats d'économies d'énergie
Question n° 556 de M. Yannick Botrel. – MM. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; Yannick Botrel.
fiscalité de la gestion des déchets
Question n° 574 de Mme Mireille Schurch. – M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; Mme Mireille Schurch.
nouvelles contraintes pour les forestiers
Question n° 578 de M. Gérard Bailly. – MM. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; Gérard Bailly.
saisine des conseils généraux quant à la nouvelle carte électorale des cantons
Question n° 618 de M. Éric Doligé. – MM. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Éric Doligé.
conséquences de la nouvelle carte cantonale
Question n° 619 de M. Jean-Claude Carle. – MM. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants ; Jean-Claude Carle.
avenir des régions ultra-périphériques
Question n° 563 de M. Jacques Gillot. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Jacques Gillot.
lutte contre l'étalement urbain
Question n° 449 de M. Claude Haut. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Claude Haut.
concentration dans le secteur des médias
Question n° 447 de Mme Michelle Demessine. – M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Mme Michelle Demessine.
optimisation du système de transport fluvial
Question n° 571 de M. Roland Courteau. – MM. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire ; Roland Courteau.
Suspension et reprise de la séance
mise en œuvre du troisième plan autisme
Question n° 466 de Mme Valérie Létard. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Valérie Létard.
conditions d’accès aux indemnités journalières
Question n° 536 de Mme Catherine Deroche. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Catherine Deroche.
centre hospitalier nord-deux-sèvres
Question n° 573 de M. Michel Bécot. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Michel Bécot.
entreprises de services informatiques et de conseil en technologie
Question n° 513 de Mme Patricia Schillinger. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Patricia Schillinger.
dysfonctionnements du site internet sytadin
Question n° 533 de Mme Catherine Procaccia. – Mmes Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Catherine Procaccia.
problèmes des boues et conséquences sur la pêche des petits métiers
Question n° 564 de M. Robert Tropeano. – Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; M. Robert Tropeano.
situation de quatre français retenus contre leur gré au qatar
Question n° 582 de M. Dominique Bailly. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. Dominique Bailly.
élection des conseillers départementaux, municipaux et communautaires et calendrier électoral
Question n° 591 de Mme Élisabeth Lamure. – Mmes Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; Élisabeth Lamure.
situation des locaux du commissariat de police d'épernay
Question n° 567 de Mme Françoise Férat. – Mmes Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; Françoise Férat.
carling, saint-avold et les dernières annonces de total
Question n° 585 de M. François Grosdidier. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. François Grosdidier.
mise en place de la réforme des rythmes scolaires
Question n° 520 de M. Hervé Maurey. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Hervé Maurey
Suspension et reprise de la séance
3. Conditions d'attribution de la carte du combattant. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : MM. Marcel-Pierre Cléach, auteur de la proposition de loi ; Marc Laménie, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants.
Mme Leila Aïchi, M. Jean Boyer, Mme Cécile Cukierman.
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
Mme Gisèle Printz, MM. Robert Tropeano, Raymond Couderc, Mme Colette Giudicelli, MM. Alain Néri, Charles Revet.
Clôture de la discussion générale.
Mme Muguette Dini, M. Alain Néri, Mme Leila Aïchi, M. Claude Domeizel, Mmes Cécile Cukierman, Colette Giudicelli, MM. Kader Arif, ministre délégué ; Bruno Retailleau.
MM. Kader Arif, ministre délégué ; Alain Houpert, Jean-Jacques Mirassou.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
MM. le rapporteur, Jean Boyer, Kader Arif, ministre délégué ; Alain Néri.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
M. Marcel-Pierre Cléach, Mme Isabelle Debré, MM. Alain Néri, Joël Guerriau, Mme Catherine Deroche, M. le rapporteur, Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales ; M. Kader Arif, ministre délégué.
Rejet, par scrutin public, de l’article.
Tous les articles étant supprimés, la proposition de loi est rejetée.
Mme Isabelle Debré, M. le président.
5. Formation aux gestes de premiers secours et permis de conduire. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : M. Jean-Pierre Leleux, auteur de la proposition de loi ; Mmes Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois ; Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.
Suspension et reprise de la séance
6. Utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi ; Ronan Dantec, rapporteur de la commission du développement durable ; Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Henri Tandonnet, Mme Évelyne Didier, MM. Roland Ries, Yvon Collin, Mmes Sophie Primas, Marie-Christine Blandin, Nicole Bonnefoy, M. Jacques Cornano.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Roland Ries. – MM. Roland Ries, le rapporteur, Philippe Martin, ministre ; Mme Sophie Primas. – Adoption.
Amendement n° 2 de M. Roland Ries. – MM. Roland Ries, le rapporteur, Philippe Martin, ministre ; Mme Sophie Primas, M. Joël Labbé. – Adoption.
Amendement n° 3 de M. Roland Ries. – MM. Roland Ries, le rapporteur. – Rectification de l’amendement.
M. Philippe Martin, ministre ; Mme Marie-Christine Blandin. – Adoption de l’amendement n° 3 rectifié.
Mme Sophie Primas, M. le rapporteur.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 4 de M. Roland Ries. – Adoption.
Amendement n° 5 rectifié de M. Roland Ries. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 6 de M. Roland Ries. – MM. Roland Ries, le rapporteur, Philippe Martin, ministre. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Article 4 (nouveau). – Adoption
MM. Joël Labbé, Philippe Martin, ministre.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
MM. le rapporteur, Philippe Martin, ministre.
7. Demande de création d’une commission d’enquête
compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
dispositif des certificats d'économies d'énergie
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel, auteur de la question n° 556, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’application du dispositif des certificats d’économies d’énergie, les CEE.
Depuis la loi de programme de juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, la maîtrise de l’énergie est affichée comme une priorité, avec notamment la création du dispositif des certificats d’économie d’énergie. La Cour des comptes, dans son récent rapport, souligne d’ailleurs l’efficacité de ce dispositif.
Concrètement, les CEE imposent aux fournisseurs d’énergie dont les ventes annuelles sont supérieures à un seuil déterminé, autrement nommés les « obligés », un quota d’économies d’énergie à faire réaliser à leurs clients.
En retour, sur la base d’un référentiel, les travaux éligibles réalisés par les collectivités sur les bâtiments de leur patrimoine permettent à celles-ci de valoriser les économies d’énergie, qui sont rétribuées au travers des CEE.
Toutefois, ces collectivités sont très fréquemment démarchées par des sociétés commerciales qui, ayant des contrats avec les obligés, leur proposent de les faire bénéficier de la « prime énergie » par la signature d’un contrat. En réalité, il s’agit de collecter de manière détournée les CEE des collectivités, lesquelles, ne recevant qu’une information sélective des démarcheurs, pensent réaliser une opération équilibrée. Tel n’est pas le cas, car les CEE collectés des collectivités sont généralement valorisés entre 15 % et 40 % de leur valeur du marché, loin de ce à quoi elles pourraient prétendre.
Face à ce constat de déficit d’information, il faudrait envisager de faire évoluer les obligations réglementaires du dispositif. Les structures qui collectent les certificats devraient être soumises à des contraintes de transparence et d’information.
Par ailleurs, pour faciliter les comparaisons, le volume de CEE, le prix de cotation unitaire de la plateforme publique EMMY à la date de signature du contrat et le prix de rachat effectif devraient faire l’objet d’une communication précise au client.
Au regard du chiffre global d’économies d’énergie réalisées de 432 térawattheures, seuls 10 térawattheures émanent des collectivités territoriales. Cette part minime pourrait être confortée en imaginant des formes de collectage groupé au profit des collectivités. Certaines font la proposition de regrouper entre elles les CEE, car plus la quantité de kilowattheures est importante, plus cela donne de poids pour en négocier la vente.
Enfin, une obligation de transparence et d’information des maîtres d’œuvre à l’égard de leurs clients, au travers des cahiers des clauses techniques particulières, serait pertinente et efficace.
Face au constat de la situation actuelle, encourageant en termes d’économie d’énergie, mais limité dans les faits pour les maîtres d’ouvrage sans un retour logique sur investissement, je souhaite connaître les mesures d’amélioration de la transparence et du cadre réglementaire du dispositif des CEE que le Gouvernement pourrait envisager de proposer.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que l’amélioration de l’efficacité énergétique est un enjeu national considérable.
Vous le savez, les collectivités locales sont éligibles au dispositif des certificats d’économies d’énergie. Elles peuvent, si elles le souhaitent, les obtenir directement en présentant un dossier administratif, puis les vendre à un obligé.
Certaines collectivités préfèrent ne pas valoriser directement leurs CEE, compte tenu de la charge de gestion que cela peut représenter. Elles peuvent alors nouer un partenariat avec un obligé avant la réalisation des travaux. L’obligé doit alors prouver à l’administration qu’il a contribué activement à leur déclenchement.
Ce partenariat peut être réalisé avec un établissement public de coopération intercommunale ou une société d’économie mixte proposant le système du tiers-financement et dont l’objet est l’efficacité énergétique. Cette option a été adoptée, sur l’initiative du Gouvernement, dans le cadre de la loi du 16 juillet 2013.
Comme vous l’avez souligné à juste titre, ces collectivités peuvent enfin faire appel à un organisme privé.
Dans ce cas, un indicateur du prix des échanges de certificats est rendu public sur le site du registre des certificats d’économies d’énergie. Il s’agit d’une moyenne, le niveau de chaque transaction pouvant s’en écarter. Les collectivités ont donc connaissance de cet indicateur et sont libres de discuter la contrepartie à leurs certificats, que ce soit sous forme d’actions d’accompagnement ou de contribution financière.
Au regard de l’importance de ces certificats pour la politique française d’efficacité énergétique, le Gouvernement a entamé la phase de préparation de la troisième période des CEE, durant laquelle l’ensemble des réflexions seront prises en compte pour améliorer le fonctionnement du dispositif.
Durant cette période, qui s’étalera de 2015 à 2017, l’objectif affiché sera plus ambitieux, en ligne avec les engagements de la France en termes d’efficacité et de sobriété énergétiques. Il faudra également améliorer le système existant des CEE, notamment pour le rendre plus efficace et plus simple, comme le recommande la Cour des comptes.
La nécessité de mieux informer les collectivités fera l’objet d’une attention particulière.
Monsieur le sénateur, au moment où s’ouvre le congrès des maires, je voulais prendre l’engagement devant vous que toute contribution des représentants des collectivités locales sera naturellement prise en compte et étudiée avec une attention particulière, afin d’améliorer, comme vous le souhaitez, le dispositif des CEE.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le ministre, les exemples que j’ai cités montrent la nécessité de réguler davantage le dispositif des CEE. Dans le principe, ce dispositif est bon, mais on assiste en pratique à un dévoiement de la loi.
On détecte facilement les failles du système tel qu’il est actuellement conçu. C’est bien sur l’information du client que la réflexion et l’action doivent porter.
J’aimerais prendre un exemple que je n’ai pas cité dans mon intervention liminaire : aujourd’hui, certaines entreprises intègrent la possibilité de tirer parti du dispositif des CEE dès leur réponse aux appels d’offres, en minorant leur offre.
Je le répète, il y a des failles, mais des améliorations sont envisageables, et, à mon avis, facilement réalisables. L’enjeu de la réflexion qui va s’engager, dont vous avez indiqué le calendrier, est de faire en sorte que chacune des parties, et singulièrement les porteurs de projets, puisse se retrouver dans ce dispositif.
fiscalité de la gestion des déchets
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la question n° 574, adressée à M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Mme Mireille Schurch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question relaie une préoccupation majeure des élus en charge de la collecte et du traitement des déchets ménagers des syndicats intercommunaux du nord et du sud de l’Allier. Elle se fait l’écho de plus d’une trentaine de questions écrites de députés et sénateurs en attente de réponse.
Au 1er janvier 2013, la TVA sur les prestations de collecte et de traitement des déchets est passée de 5,5 % à 7 %. Cette augmentation s’est traduite, dans de très nombreux cas, par une hausse du prélèvement auprès des citoyens. C’est ce qu’a pu vérifier l’association AMORCE, l’association nationale des collectivités territoriales et de professionnels pour une gestion locale des déchets et de l’énergie, après avoir consulté de très nombreuses collectivités.
La loi de finances rectificative pour 2012, qui doit entrer en vigueur à partir de janvier 2014, prévoit le relèvement du taux de TVA intermédiaire de 7 % à 10 %. Nous serions donc face à un quasi-doublement de ce taux en deux ans !
Dans un contexte où les finances des collectivités et des ménages sont déjà mises à mal, il me semble nécessaire de considérer à nouveau la gestion des déchets comme un service de première nécessité et, ainsi, de lui appliquer le taux réduit de TVA.
Je souhaite connaître la position du Gouvernement sur ce premier point. L’application de ce taux réduit serait une reconnaissance du caractère indispensable de ce service.
D’autre part, la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, doit être, d’après l’article 46 de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, intégralement affectée à la politique de gestion des déchets, d’ici à 2015. Or, aujourd’hui, seulement la moitié des recettes de cette fiscalité est affectée pour cette politique à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME.
L’association AMORCE dénonce également le caractère inéquitable de cette taxe, laquelle vient sanctionner, en aval de la chaîne de consommation, les collectivités en charge de l’élimination des déchets sur des produits qui, pour une grande partie, ne se recyclent pas. Or la responsabilité de la production de ces déchets incombe davantage, en amont de la chaîne de consommation, aux industriels qui, eux, ne sont que peu taxés.
Les collectivités supportent donc l’essentiel du poids de la TGAP : ainsi, sur la période 2009-2012, 82 % des collectivités ont perçu moins d’aides de l’ADEME qu’elles n’ont déboursé de TGAP.
Aussi, lors de la conférence environnementale de septembre dernier, les participants de la table ronde sur l’économie circulaire ont demandé une réforme globale de la fiscalité affectée à la gestion des déchets. Mais la deuxième feuille de route pour la transition écologique qui en découle est peu précise à ce sujet.
Je souhaite donc connaître les mesures que le Gouvernement envisage pour faire en sorte que la TGAP prenne mieux en compte la responsabilité des industriels dans la production de déchets non recyclables et soit plus favorable aux collectivités. Celles-ci font en effet l’effort d’investir pour atteindre les objectifs établis par le Grenelle de l’environnement.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Madame la sénatrice, le Gouvernement, et tout particulièrement le ministre de l’écologie que je suis, est très attentif à la question que vous posez.
Il faut rappeler que la TGAP, que vous avez évoquée dans la seconde partie de votre question, est prélevée sur les installations d’incinération ou de stockage des déchets. Elle contribue, via l’ADEME, au financement de nos politiques de soutien à la prévention des déchets et à l’investissement dans les filières de recyclage et de valorisation organique. L’ADEME a engagé 750 millions d’euros à cet effet sur la période 2009-2012.
Si l’on rapporte les sommes – les chiffres que vous avez cités sont différents des miens ! – qui sont redistribuées aux acteurs par l’ADEME à celles qui leur ont été prélevées via la TGAP, on estime que les collectivités locales bénéficient d’un taux de retour de 134 %.
Cela signifie que le flux financier réorienté vers les collectivités au titre de la politique des déchets est plus important que celui qui a été prélevé. À titre de comparaison, les entreprises bénéficient d’un taux de retour de 65 % seulement.
La différence entre les taux de retour est due au fait que l’encadrement communautaire des aides d’État au secteur concurrentiel limite davantage les possibilités de soutien aux entreprises qu’aux collectivités locales.
Les enjeux économiques et fiscaux de la politique des déchets, et plus généralement de l’économie circulaire, ont été abordés lors de la deuxième conférence environnementale, dont vous avez parlé.
La fiscalité des déchets doit faire l’objet d’une approche globale.
Dans ce but, et dans le respect des objectifs fixés par la conférence environnementale, j’ai saisi de cette question le comité pour la fiscalité écologique. Celui-ci a adopté un premier avis de diagnostic au cours de sa séance du 12 novembre dernier et va poursuivre ses travaux, en lien avec le Conseil national des déchets.
C’est dans ce cadre d’expertise et de concertation que nous souhaitons avancer sur toutes les questions liées à la fiscalité des déchets, et notamment sur la TGAP et la contribution à la gestion de la fin de vie des produits non recyclables.
Cette question sera également abordée, comme nous en avons pris l’engagement lors de la deuxième conférence environnementale, lors de la conférence de mise en œuvre de l’économie circulaire, qui se déroulera en ma présence le 16 décembre prochain, dans les Bouches-du-Rhône.
Elle sera aussi examinée, j’imagine, dans le cadre plus global de la remise à plat de l’ensemble de notre régime fiscal, qui vient d’être annoncée par le Premier ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions.
Le calendrier que vous avez évoqué devrait répondre aux préoccupations des syndicats intercommunaux qui m’ont chargée de vous interroger.
J’ai bien entendu M. le Premier ministre annoncer, ce matin, une refonte globale de la fiscalité, alors que s’ouvre aujourd'hui le Congrès des maires. Je me félicite de cette annonce.
Comme vous l’avez déclaré, la fiscalité écologique est un grand sujet. À ce titre, elle doit faire partie de la remise à plat globale de la fiscalité.
Toutes les collectivités et tous les syndicats intercommunaux concernés seront attentifs aux conclusions de ce grand chantier, qui débutera ces prochaines semaines ou en 2014.
nouvelles contraintes pour les forestiers
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 578, adressée à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, je veux appeler votre attention sur les difficultés que rencontrent les propriétaires forestiers et les communes pour l’exploitation de leurs forêts lorsque celles-ci se trouvent dans des territoires ou dans des zones classées pour la protection des amphibiens, des reptiles, des insectes, des mammifères ou des oiseaux.
Sans doute est-ce dans les départements disposant de grands espaces que s’appliquent des réglementations sévères – arrêtés de biotope, mise en place de réserves naturelles… – sans que les propriétaires concernés reçoivent, en amont, beaucoup d’informations des services de l’État. En tout cas, pour ces propriétaires, ces réglementations s’apparentent à des mesures confiscatoires, leur imposant une suradministration, avec des demandes d’autorisation pour tout et n’importe quoi, parfois même au détriment de la sécurité publique : je pense aux réglementations strictes concernant certaines activités économiques et de loisirs traditionnelles.
De plus, les propriétaires auront l’obligation de réaliser de coûteuses études d’incidence dans le cadre de Natura 2000, à leur charge, bien sûr, ou à celle des acteurs locaux, pour permettre les activités forestières, agricoles ou les manifestations sportives.
S’il ne s’agit pas de contester l’importance de la biodiversité et du développement durable, dont nous venons de parler, pourra-t-on encore longtemps faire comme si l’on oubliait que ces espaces sont le fruit du travail des hommes et ont permis la diversité et la richesse de ces territoires ? Vouloir les mettre sous cloche aura des effets très négatifs, tant du point de vue humain qu’en termes de biodiversité.
Le 5 juillet 2013, un arrêté de biotope a été publié dans le département du Jura concernant 69 sites sur 99 territoires communaux, pour une superficie totale de 1 643 hectares, qui vient s’ajouter à d’autres territoires déjà concernés.
On connaît l’importance de l’hiver dans le massif du Jura, où, souvent, les forêts ne sont plus accessibles dès le mois de novembre. D’ailleurs, le massif est déjà blanc aujourd'hui, et on annonce beaucoup de neige pour après-demain… Or l’arrêté interdit les activités sylvicoles et les exploitations forestières sur ces parcelles du 15 février au 15 juin, et même, si le grand tétras est présent sur ces territoires, du 15 décembre au 1er juillet, sachant que les mois d’été ne sont pas les plus propices à l’exploitation forestière ! D’ailleurs, l’Office national des forêts interdit dans ces forêts à compter du 15 avril ou du 1er mai, suivant l’altitude, la pratique de l’affouage, qui permet aux habitants d’aller couper du bois.
Vous le voyez, de lourdes contraintes pèsent sur les propriétaires, lesquelles compliquent de façon significative l’exploitation forestière de ces territoires.
Cela dit, je veux également évoquer les difficultés qui peuvent se poser, en termes de police de l’eau, pour les propriétaires qui, pour sortir leur bois, doivent traverser un petit ruisseau situé sur leurs parcelles.
Monsieur le ministre, comment les propriétaires dépossédés partiellement de leurs biens vont-ils pouvoir obtenir exonérations ou compensations pour toutes ces servitudes ?
Au demeurant, je souligne que seuls des contrats de non-gestion forestière sont actuellement proposés, ce qui est une absurdité totale pour tous les sylviculteurs : cette situation est contraire à l’objectif de dynamisation de notre filière forestière et, bien sûr et surtout, de la filière bois énergie, que le Gouvernement soutient par ailleurs, au travers du projet de loi de finances pour 2014 comme de la future loi agricole, ce qui est positif.
Monsieur le ministre, ne vous semble-t-il pas qu’il y a là beaucoup de contradictions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le sénateur, le Président de la République l’a rappelé lors de la deuxième conférence environnementale : la France dispose de la « plus merveilleuse forêt » – celle du Jura ne fait pas exception en la matière ! –, et la promotion de la filière bois est notre priorité.
D'ailleurs, je me félicite que les acteurs de cette filière, dont les forestiers, soient désormais présents au sein du Conseil national de la transition écologique ; la participation à cette instance leur permet de s’exprimer.
Pour pérenniser ce trésor de la biodiversité française qu’est notre forêt, différents dispositifs et types de protections adaptés aux situations locales existent.
Les arrêtés de protection de biotope, notamment, sont pris pour répondre aux besoins de protection spécifique d’espèces protégées du fait de leur rareté et de leur vulnérabilité.
Ces dispositifs font bien sûr l’objet de consultations et de concertations.
Vous avez mentionné l’arrêté de protection de biotope du 5 juillet 2013, pris par le préfet du Jura : en réalité, cet arrêté n’est pas nouveau puisqu’il correspond à une actualisation d’un arrêté datant du 2 juin 1982.
Ses effets sont d’ailleurs limités dans l’espace et dans le temps : il concerne une faible partie des falaises calcaires du département, avec un ciblage sur les corniches, les pentes et bas de pentes. Ces falaises sont des sites à enjeux majeurs pour le cycle de vie des espèces menacées que sont le faucon pèlerin et le grand-duc.
La concertation préalable sur ce texte n’a pas donné lieu à beaucoup de réactions : un seul retour de forestier a été enregistré. La concertation avec les organismes sportifs, dont ceux de vol libre a, elle, conduit à un partage de l’espace, afin de concilier ces activités avec la protection des espèces précitées.
Les échanges avec les forestiers, avec l’Office national des forêts, le Centre régional de la propriété forestière, la chambre d’agriculture et le syndicat des propriétaires forestiers ont, quant à eux, permis d’adapter le règlement à la réalité des pratiques.
Les incertitudes qui auraient pu peser notamment sur les travaux de desserte et l’implantation d’abris pour les forestiers ont ainsi été levées. Ces discussions ont aussi permis de préciser la cartographie.
Pour répondre précisément à vos interrogations, monsieur le sénateur, l’arrêté n’interdit pas l’exploitation forestière, mais réglemente pendant quatre mois l’utilisation de moteurs thermiques. Il s’agit d’éviter le dérangement des espèces menacées, en particulier en période de reproduction.
Les forestiers, avec lesquels la concertation a été conduite, semblent avoir bien compris les enjeux et n’ont pas jugé ces protections incompatibles avec l’exploitation forestière dans ces situations tout à fait particulières de pentes et de falaises.
Cela dit, monsieur le sénateur, je reste bien entendu attentif à toute difficulté que pourraient rencontrer les forestiers dans l’exercice de leur profession.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, vous semblez détenir vos informations de l’administration du Jura, qui considère qu’il n’y a pas de problème…
Mais quand vous me dites qu’un seul forestier s’est manifesté lors de la concertation préalable, je me permets de vous renvoyer aux articles parus dans la presse sur ce sujet. (M. Gérard Bailly brandit un exemplaire du journal Le Progrès.) « Jura : le coup de gueule des forestiers privés » : ce titre montre bien que les forestiers ne sont pas très contents ! D’ailleurs, il n’y a pas une assemblée générale des forestiers où ce problème n’est pas évoqué…
Ma question portait surtout sur les parcelles, en quelque sorte gelées, que leurs propriétaires ne peuvent plus exploiter convenablement.
Au reste, pendant ces quatre mois où l’utilisation de moteurs thermiques est réglementée, comment exploiter le bois de ces forêts, si ce n’est avec une tronçonneuse ? Les forestiers peuvent toujours inviter la population à venir couper le bois avec une serpe, une hache ou encore un passe-partout, comme je le faisais quand j’étais gamin (Sourires.), mais il n'y aura pas beaucoup de candidats pour le faire !
Monsieur le ministre, puisque le Premier ministre a annoncé, hier, une réforme de la fiscalité, je demande que ces parcelles, qui apportent beaucoup à la biodiversité et à notre environnement, bénéficient d’une fiscalité particulière.
S’il n’y a pas de compensation, le monde rural ne voudra plus de toutes ces contraintes qui pèsent sur lui, et c’est logique ! Pensez à Natura 2000.
Il faut trouver des solutions, en termes de fiscalité, pour ces parcelles qui subissent des contraintes particulières.
saisine des conseils généraux quant à la nouvelle carte électorale des cantons
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, auteur de la question n° 618, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Éric Doligé. Monsieur le ministre, vous savez que la situation économique, sociale et financière de notre pays n’est, en ce moment, pas facile. Pourtant, on n’a rien trouvé de mieux que de revoir complètement les conditions électorales dans un certain nombre de collectivités, dont les départements.
L’article L. 3113-2 nouveau du code général des collectivités territoriales indique que le conseil général doit se prononcer dans un délai de six semaines, à compter de sa saisine par le Gouvernement, au sujet de la nouvelle carte électorale des cantons. Cette saisine est d’autant plus importante qu’une telle refondation de la totalité des cantons n’a pas de précédent dans l’histoire de notre pays depuis plus de deux siècles. À l’expiration du délai de six semaines, l’avis du conseil général est réputé rendu.
Malgré son importance fondamentale pour la vie démocratique de la Nation et de ses territoires, aucune disposition ne prévoit le caractère public de la saisine du conseil général. Il en résulte une très grande incertitude quant à l’efficacité de cette saisine dans un certain nombre de départements.
Dans ces conditions, il est indispensable que vous garantissiez le caractère public de la saisine des conseils généraux afin que ceux-ci puissent réellement exercer leurs compétences. Dans le cas contraire, certains conseils généraux pourraient être réputés avoir rendu un avis sur une question dont ils n’auraient pas connu l’existence.
Il conviendrait également que la lettre de transmission des projets de cartes cantonales adressée aux préfets comporte des instructions pour que le débat sur ce sujet ait lieu obligatoirement en assemblée plénière publique.
Enfin, monsieur le ministre, je vous demande de bien vouloir faire le point sur le nombre de saisines effectuées à ce jour par les conseils généraux et des avis qui ont été rendus par les assemblées départementales, sur le sens de ces avis démocratiques et sur le nombre de décrets de redécoupage transmis à cette date au Conseil d’État.
Vous comprendrez que, sur un sujet aussi essentiel pour la vie démocratique de nos territoires, la précipitation et le calcul politicien doivent céder devant la réflexion sereine et la clarté publique.
MM. Gérard Bailly et Antoine Lefèvre. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le sénateur, le ministre de l’intérieur, qui regrette de ne pouvoir être présent parmi nous ce matin, m’a chargé de vous transmettre les éléments d’information suivants.
Comme vous le rappeliez dans votre question, l’opération de remodelage de la carte cantonale menée actuellement est inédite. Toutefois, elle était nécessaire.
En effet, vous le savez bien, nos départements ne comptent que 13,5 % de femmes élues. Cette situation n’étant plus tenable, la loi du 17 mai 2013 est venue y apporter des réponses concrètes : avec le scrutin binominal paritaire, elle instaure, enfin, la parité aux élections départementales.
En outre, l’écart de population entre le canton le plus peuplé et le moins peuplé pouvait aller jusqu’à 1 pour 47, et cela dans un même département !
Dans votre département du Loiret, monsieur le sénateur, cet écart est aujourd’hui de 1 à 5. Cela signifie-t-il que, suivant le canton dans lequel on réside, la voix de l’un vaut cinq fois moins que celle de l’autre ? La question est posée.
Le remodelage des cantons est une nécessité démocratique, et l’application de la loi du 17 mai dernier permettra que la voix de chacun de nos concitoyens ait partout la même valeur.
Les critères de ce redécoupage sont connus : ce sont ceux qu’a définis le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence. Le premier principe est celui de l’égalité du suffrage, et donc du respect du critère démographique. La nouvelle carte ne pourra s’en écarter que de manière restreinte, pour tenir compte de spécificités géographiques impératives. Les principes sont donc transparents.
Quant à la procédure, sur laquelle vous vous interrogez, elle est également connue de tous. Dans chaque département, les préfets, à la demande du ministre de l’intérieur, ont consulté les principaux élus, notamment les présidents de conseil général. Toutes les propositions précises ont été transmises au ministère de l’intérieur. C’est sur ces bases que les projets de décrets de découpage sont élaborés, avant d’être transmis aux conseils généraux pour recueillir l’avis de l’assemblée départementale.
À ce jour, 46 projets ont été transmis aux conseils généraux et 30 votes ont déjà eu lieu, dont 19 positifs.
Cette consultation est prévue par l’article 46 de la loi du 17 mai 2013. Concernant les modalités de cette dernière, il semble utile de préciser le sens de l’article L. 3113-2 nouveau du code général des collectivités territoriales. Cet article impose une séance plénière du conseil général, et non une simple réunion de la commission permanente. Les documents sont donc transmis par le conseil général aux membres de l’assemblée, comme tout document de session. Le délai d’envoi peut varier selon le règlement intérieur de l’assemblée départementale, mais, le plus souvent, cette transmission doit avoir lieu au moins douze jours ouvrés avant la séance.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, il s'agit d'une délibération publique, et l’assemblée départementale en est pleinement informée.
Enfin, après cet avis, le Conseil d’État examine chacun des projets de décret au regard des principes qui figurent dans la loi et dans la décision du Conseil Constitutionnel. À cette date, vingt-quatre projets ont été transmis au Conseil d’État. Les quinze dossiers déjà examinés par la section de l’intérieur ont tous reçu un avis favorable, avec parfois quelques modifications.
En somme, le remodelage de la carte cantonale se fait dans le strict respect du droit et en toute transparence avec les conseils généraux.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse et des éléments chiffrés qu’elle contient. Je vous remercie également de m'avoir rappelé les principaux éléments du débat – féminisation, écarts, critères, etc. –, même si on les connaît par cœur…
Il est important de savoir comment est consultée l'assemblée, s'il se tient un débat public et où l'on en est aujourd'hui des décisions prises et des cartes transmises.
J'ai bien noté qu’à peu près 50 % des départements – ils sont en effet quarante-huit – ont reçu leur carte, qu’environ un tiers d'entre eux ont voté, dont dix-neuf positivement. On voit donc que certains ont exprimé un avis négatif.
Si j'ai bien compris, les avis que le Conseil d'État a lui-même rendus sur les dossiers qui lui ont été transmis sont tous favorables. Il sera cependant intéressant de connaître les quelques modifications qu’il a apportées, de même que les réponses faites aux observations des différents départements.
Peut-être sera-t-il intéressant de publier régulièrement les résultats des consultations au fur et à mesure qu’elles sont faites, de manière à obtenir une transparence totale dans ce domaine.
conséquences de la nouvelle carte cantonale
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 619, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, ma question est tout à fait complémentaire de celle de mon collègue Éric Doligé, puisque je souhaite appeler votre attention sur la modification de la carte des cantons.
Tout d’abord, l’augmentation de la superficie des cantons, si elle peut se justifier dans certains secteurs, n’est pas sans engendrer des difficultés dans d’autres, notamment en zone de montagne.
Ainsi, dans mon département, la Haute-Savoie, que penser du nouveau canton d’Évian-les-Bains, qui ira de Publier à Morzine, de Saint-Gingolph aux Gets, associant deux vallées bien distinctes aux rives du Léman ? Que penser encore du nouveau canton de Saint-Julien-en-Genevois, allant d’Archamps à Seyssel ?
Avec ce redécoupage, des chefs-lieux de canton perdront leur statut au profit de nouvelles communes devenant « bureau centralisateur » du nouveau canton. Outre le caractère très technocratique de ce terme, cette transformation engendre trois conséquences importantes.
La première est liée à l’histoire. Cette évolution, qui s'accompagne souvent d'un changement de nom et de commune-centre, jette un trouble parmi la population. Dans nos régions de montagne, spécifiquement contraintes et compartimentées par le relief, s’est développé au fil du temps un réel sentiment d’appartenance des habitants à un territoire bien défini et identifié.
Ce sentiment se voit aujourd’hui quelque peu remis en cause. Dans mon département, par exemple, le nouveau canton de Sciez, associant les actuels cantons de Douvaine et de Boëge à trois communes issues du canton de Thonon-les-Bains Ouest, aura pour bureau centralisateur la commune de Sciez. Autre exemple, le nouveau canton de Faverges regroupera les actuels cantons de Faverges et de Thônes avec des communes issues des cantons de Bonneville et d'Annecy-le-Vieux. Thônes perd ainsi sa fonction de chef-lieu de canton.
Ne serait-il pas opportun de trouver des dénominations plus consensuelles pour ces nouveaux cantons ? Dans le premier cas, l’on pourrait retenir « canton du Bas-Chablais » ; dans le second, « canton Tournette-Aravis », comme l’a d’ailleurs proposé le conseil général. Ces appellations correspondent à des réalités géographiques, historiques, humaines et même culturelles. Et ce qui est vrai en Haute-Savoie doit naturellement l’être dans d’autres départements…
La seconde incidence de cette réforme est d’ordre financier. Certaines communes vont perdre la majoration de la DSR, la dotation de solidarité rurale. Ce sera ainsi le cas dans l’ancien canton de Boëge, déjà cité. Cette commune subira une perte de 33 000 euros. Pour leur part, Bogève et Habère-Poche perdront respectivement 46 000 euros et 60 000 euros. Enfin, dans le nouveau canton de Sciez, Douvaine se verra privée de 120 000 euros, et Bons-en-Chablais de 119 000 euros.
Aussi, ne serait-il pas judicieux, monsieur le ministre, soit d’abaisser le seuil de la DSR de 15 % à 10 % de la population – cela, à enveloppe constante – afin d’annuler ou de réduire l’effet induit par la réforme, soit d’instaurer une sortie progressive afin d’en amortir l’incidence ?
La troisième conséquence porte sur l’avenir des services publics, souvent organisés au niveau du chef-lieu de canton. La loi va mécaniquement en supprimer au moins un sur deux. Nos concitoyens s’inquiètent donc de voir disparaître ces services publics, et il convient de les rassurer à ce sujet.
Monsieur le ministre, je sais votre attachement et celui du ministre de l'intérieur aux territoires ruraux, attachement que ce dernier a récemment réaffirmé lors de votre visite en Haute-Savoie. Mes propositions permettraient d'éviter de nouvelles difficultés à ces territoires, alors qu’ils en subissent déjà de nombreuses aujourd’hui, ne serait-ce que celles qui sont liées à la mise en place des rythmes scolaires.
Je vous remercie donc de bien vouloir m’indiquer quelles mesures vous entendez prendre afin que cette réforme ne soit pas source de querelles – dès lors qu’elles sont liées à notre histoire, elles ne sont jamais dénuées d'importance – et qu’elle n’ait pas de conséquences financières graves pour ces communes, qui subiraient ainsi la double peine !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le sénateur, concernant la prise en compte du relief dans le remodelage de la carte cantonale, le ministre de l’intérieur tient à vous rassurer. Comme il s’y était engagé durant les débats parlementaires sur la loi du 17 mai 2013, le relief est pleinement pris en compte dans ces travaux.
Ainsi, parmi les quinze dossiers de révision de la carte cantonale concernant un département de montagne déjà transmis aux conseils généraux, douze bénéficient d’une ou de plusieurs exceptions à la règle de la moyenne démographique au titre du relief, de la topographie, de l’enclavement et de la superficie – ce sont les critères définis par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mai 2013.
Le ministre de l’intérieur entend également vos interrogations concernant les actuels chefs-lieux de canton. Précisons d'emblée que les décrets de révision des cartes cantonales définissent des bureaux centralisateurs et non des chefs-lieux de canton puisqu’il s’agit de la seule obligation en matière électorale. La territorialisation de certains services publics dans les chefs-lieux de canton a progressivement disparu dès la première partie du xxe siècle et elle n’a plus du tout cours aujourd’hui.
Ces bureaux centralisateurs sont fixés dans la commune la plus peuplée du nouveau canton sauf lorsque le nouveau canton correspond exactement à l’ancien. Dans ce cas, c’est l’actuel chef-lieu qui devient bureau centralisateur.
Dans les projets de décret, le nom du canton peut être celui de cette commune bureau centralisateur ou se référer à un élément géographique majeur, à l’image de nombreuses intercommunalités. Les conseils généraux, au cours de leurs délibérations, peuvent proposer, dans une motion complémentaire au vote sur le projet de décret, des noms pour les cantons.
Si ces propositions correspondent bien à la réalité géographique du canton, le Gouvernement pourra reprendre ces dénominations dans le projet de décret transmis au Conseil d’État. Il l’a déjà fait à plusieurs reprises. Votre souci de veiller à ce qu’un sentiment d’appartenance se crée autour des nouveaux cantons est donc totalement partagé par le Gouvernement.
Comme vous le soulignez, la réforme aura une incidence sur la répartition de la première fraction, dite « bourg-centre », de la dotation de solidarité rurale pour les communes perdant leur qualité de chef-lieu de canton et pour celles qui ne rempliraient plus le critère de la part de la population communale dans la population cantonale.
Pour autant, cette question ne se posera réellement qu’en 2017. En effet, la loi du 17 mai 2013 a abordé cette question, et la qualité de chef-lieu de canton est maintenue aux communes qui la perdent jusqu’au prochain renouvellement général des conseils départementaux, soit en 2015. Or, l’éligibilité aux trois fractions de la DSR étant appréciée sur la base des données connues au 1er janvier de l’année précédant celle de la répartition, la nouvelle carte cantonale n’aura donc d'incidence sur cette dotation qu’à compter de l’année 2017, année au cours de laquelle sera prise en compte la situation des communes au 1er janvier 2016.
Il apparait donc bien que, dans cet intervalle, le redécoupage de la carte cantonale n’aura pas de conséquences sur l’éligibilité des communes à la DSR « bourg-centre ». Le Gouvernement est conscient de l’importance de cette dotation pour les communes bénéficiaires, cette dotation les aidant à remplir une fonction essentielle de structuration de leur territoire. C’est pourquoi une réflexion approfondie est actuellement menée sur le sujet. Des annonces pourront sans doute être faites très prochainement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Je tiens à remercier M. le ministre des précisions qu’il a bien voulu m'apporter.
S’agissant tout d'abord de la prise en compte du relief, de la topographie, de l’enclavement et de la superficie, j’ai compris que douze dossiers de révision de la carte cantonale concernant un département de montagne bénéficient à ce titre d’une ou de plusieurs exceptions à la règle de la moyenne démographique.
Ensuite, j’ai noté, à propos du chef-lieu de canton, la prise en compte des avis locaux pour le choix d'une dénomination. Cette question, liée à l'histoire, est extrêmement importante, et je constate donc que le Gouvernement est prêt à reprendre certaines dénominations particulières.
Enfin, concernant le problème financier, je me réjouis que le Gouvernement laisse le temps de la réflexion, jusqu'en 2017. Ce délai ne lève cependant pas toutes les incertitudes, ce qui m'invite à la vigilance.
Je crois me souvenir que M. le ministre de l'intérieur avait déclaré devant notre assemblée que la gendarmerie serait recalibrée en fonction du profil des nouveaux cantons. Ce qui est vrai pour la gendarmerie peut l'être aussi pour les autres services publics ; si l'on peut comprendre les démarches de mutualisation, qui sont une nécessité, la proximité est un atout qu’il faut évidemment conserver. Je resterai donc extrêmement vigilant sur ce point.
avenir des régions ultra-périphériques
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot, auteur de la question n° 563, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
M. Jacques Gillot. Monsieur le ministre, ma question porte sur l’avenir des régions ultra-périphériques, les RUP, dans le cadre de la réforme de la PAC.
L'article 349 du traité de Lisbonne reconnaît la spécificité des RUP dans l’Union européenne et justifie des mesures dérogatoires au marché unique.
Depuis 2008, la Commission européenne a amorcé un changement de paradigme à leur égard. Elle a souhaité orienter les fonds européens vers l’innovation et la compétitivité de ces territoires, même si, selon nos collègues députés européens MM. Tirolien et Omarjee, ainsi que selon M. Letchimy dans son récent rapport, le fléchage des fonds doit être amélioré.
Au mois de mai dernier, nous avons été rassurés par des propos tenus lors de la rencontre organisée entre des élus ultramarins européens, nationaux et locaux, et le commissaire européen Dacian Ciolos sur le POSEI, ou programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité, principal instrument de soutien de l’Europe pour nos régions.
Cette rencontre a permis de lever certaines incertitudes sur le devenir des RUP qui faisaient suite à la circulation de différents scénarios visant à mettre en phase le POSEI avec la politique agricole commune. Le commissaire Ciolos a alors précisé qu’il ne s’agissait pas d’une intégration du POSEI dans la PAC, mais bien d’une adaptation de cet instrument, en cohérence avec la réforme de la PAC en cours. Nous demandons que le POSEI demeure un règlement particulier pour les RUP, avec le maintien de l’article 349 du traité de Lisbonne comme fondement de cette dérogation.
En outre, le commissaire a confirmé que le budget du POSEI ne serait pas touché.
Le rôle désormais attribué aux gouvernements nationaux dans la mise en œuvre du cadre agricole européen nouvellement réformé me conduit à vous interroger, monsieur le ministre, sur la capacité d’adaptation de l’agriculture ultramarine au principe de verdissement encouragé par la réforme.
Cette orientation écologique souhaitée par la Commission européenne pose la question délicate, dans les Antilles françaises, du problème phytosanitaire du chlordécone et de l’épandage aérien, pour lequel le quotidien Le Monde titrait en avril dernier : « La Guadeloupe : monstre chimique »…
Si cet encouragement de consacrer un tiers des aides directes à la mise en œuvre de bonnes pratiques environnementales est louable, il se heurte à la problématique des pesticides et implique un renforcement des normes environnementales pour l’agriculteur et le pêcheur antillais, déjà confrontés à des distorsions de concurrences avec nos voisins.
C’est notamment le cas avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui ne sont pas soumis au même niveau d’exigences sanitaires et sont pourtant partenaires commerciaux de l’Union européenne depuis mai 2010.
Quelles solutions proposez-vous, monsieur le ministre, pour résoudre ces contradictions écologiques et économiques ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, je souhaite préalablement excuser Stéphane Le Foll, qui est retenu en ce moment même à l’Assemblée nationale.
Avant de répondre à votre question, monsieur le sénateur, je voudrais rappeler ici l’attachement de la France au programme POSEI qui est, à nos yeux, un outil efficace et essentiel au service de l’agriculture des DOM.
Sur la question de la prise en compte de nouvelles contraintes environnementales, l’objectif central déjà affiché dans le programme POSEI en France est la promotion d’une agriculture durable dans les outre-mer.
D'une part, dans le cadre de la révision du POSEI lancée par la Commission européenne, comme nous l’avons déjà indiqué, nous sommes favorables à l’introduction d’un paiement vert optionnel, sans remettre en cause l’éligibilité des demandeurs aux aides du POSEI.
D’autre part, le Gouvernement a également rappelé à la Commission les contraintes sanitaires importantes auxquelles les DOM doivent aujourd'hui faire face en raison notamment du manque de produits phytosanitaires autorisés et adaptés.
Les traitements aériens sont interdits sauf lorsqu’ils sont absolument impératifs en raison de l’absence d’alternative. Je vous rappelle que l’arrêté de 2011 prévoit des mesures de gestion pour protéger les lieux où se trouvent les riverains ainsi que les espaces sensibles. Dans le même temps, dans le cadre du plan Écophyto, des actions ont pour objectif de développer ces solutions alternatives au traitement aérien.
Une première étude a été engagée sur les bananeraies pour élaborer un prototype terrestre adapté aux topographies locales, qui fait actuellement l’objet de tests sur le terrain. Parallèlement, sur un autre aspect du même problème, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, ou CIRAD, mène des recherches pour sélectionner des variétés qui présenteraient des résistances génétiques aux champignons concernés.
J’évoquerai, enfin, le chlordécone. Cette molécule, vous le savez, a été utilisée jusqu’en 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. Elle est interdite depuis, mais la persistance du chlordécone est un vrai enjeu à la fois sanitaire, environnemental, agricole, économique et social pour l’ensemble des Antilles.
La pollution par le chlordécone a fait l’objet d’un premier plan interministériel 2008-2010, qui a mobilisé plus de 33 millions d’euros et permis d’obtenir de premières avancées.
Un deuxième plan d’action 2011-2013 contre cette pollution en Guadeloupe et en Martinique, dans la continuité du premier, a fixé quatre objectifs que je rappelle brièvement : approfondir les connaissances et expérimenter de nouvelles techniques, consolider le dispositif de surveillance de l’état de santé des populations, poursuivre la réduction de l’exposition des populations, enfin, gérer les milieux contaminés et assurer en permanence une bonne information de la population.
Nous travaillons aujourd’hui à un troisième plan sur le chlordécone, monsieur le sénateur, destiné à prendre la suite des deux précédents plans à partir de 2014.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions. Il convient de porter ces informations à la connaissance de la population, au sein de laquelle règne une certaine inquiétude sur ces sujets. Je me réjouis donc que l’information arrive jusqu’à nous.
lutte contre l'étalement urbain
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Haut, auteur de la question n° 449, transmise à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.
M. Claude Haut. Madame la présidente, monsieur le ministre, ma question est très technique. L’article L. 122-2 du code de l’urbanisme a été édicté pour combattre l’étalement urbain dans la périphérie des agglomérations de plus de 50 000 habitants en limitant l’ouverture à l’urbanisation des zones naturelles dans les communes situées à cette périphérie.
Cet article a été modifié par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi ENE, dans les termes suivants : « dans les communes qui ne sont pas couvertes par un schéma de cohérence territoriale applicable, le plan local d’urbanisme ne peut être modifié ou révisé en vue d’ouvrir à l’urbanisation une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou une zone naturelle.
« Jusqu’au 31 décembre 2012, le premier alinéa s’applique dans les communes situées à moins de quinze kilomètres […] de la périphérie d’une agglomération de plus de 50 000 habitants […] ».
D’autre part, la même loi du 12 juillet 2010, dont est issue la nouvelle rédaction de l’article L. 122-2, édicte, dans son article 19, des dispositions transitoires applicables aux plans locaux d’urbanisme en cours d’élaboration. Ces mesures résultent du paragraphe V, selon lequel : « Le présent article entre en vigueur six mois après la publication de la présente loi.[…] » Toutefois, les dispositions antérieurement applicables continuent de s’appliquer lorsqu’un plan local d’urbanisme est en cours d’élaboration ou de révision et que le projet de plan a été arrêté par l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale ou le conseil municipal avant la date prévue au premier alinéa.
« Dans les communes qui sont situées à moins de quinze kilomètres de la périphérie d’une agglomération de plus de 50 000 habitants […] et qui ne sont pas couvertes par un schéma de cohérence territoriale applicable, le plan local d’urbanisme ne peut être modifié ou révisé en vue d’ouvrir à l’urbanisation une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou une zone naturelle ». Vous conviendrez, monsieur le ministre, que ce texte est très technique.
La commune de Saumane-de-Vaucluse, dans mon département, qui est incluse dans le périmètre de l’agglomération d’Avignon selon les critères de continuité du bâti applicables audit zonage, a décidé d’opter pour les mesures transitoires que je viens de rappeler prévues par la loi ENE et d’approuver son PLU arrêté avant la date prévue au premier alinéa dudit article.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser si la règle des quinze kilomètres de l’article L. 122-2 s’applique aux communes qui sont incluses dans le périmètre des agglomérations de 50 000 habitants et qui ont opté pour les mesures transitoires prévues au V de l’article 19 de la loi ENE ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, comme vous l’indiquez, la commune de Saumane-de-Vaucluse a opté pour les dispositions antérieures à la loi portant engagement national pour l’environnement, dite loi ENE, et a achevé la procédure d’élaboration de son plan local d’urbanisme, conformément à l’article 19 de ladite loi.
La possibilité d’opter pour les dispositions antérieures à la loi ENE n’est applicable que pour les règles de procédure en cours, le périmètre d’approbation du document et le contenu même du PLU. Une fois le PLU approuvé ou révisé selon les dispositions antérieures, il est soumis aux autres dispositions du code de l’urbanisme modifiées par la loi ENE, telles que l’article L. 122-2 du code de l’urbanisme modifié par l’article 17 de la loi ENE. L’article L. 122-2 n’est pas une disposition relative au périmètre ni au contenu du PLU, et doit donc être appliqué, dans sa rédaction actuelle, à la commune de Saumane-de-Vaucluse.
La population de l’agglomération d’Avignon s’établissant à plus de 440 000 habitants, cette commune était déjà concernée par l’application de l’article L. 122-2 avant même l’entrée en vigueur de la loi ENE.
Plus généralement, je vous confirme que les communes comprises à l’intérieur de la zone bâtie continue des agglomérations de plus de 15 000 habitants sont également soumises à l’article L. 122-2, l’objectif étant, comme vous le savez, monsieur le sénateur, d’inciter les collectivités locales à se doter d’un schéma de cohérence territoriale, ou SCOT.
L’article L. 122-2 ne gèle pas toute possibilité d’urbanisation des communes non couvertes par un SCOT, mais il conduit ces communes à solliciter une dérogation, afin d’éviter que certaines ne prennent seules des décisions qui auraient des conséquences sur l’ensemble de l’agglomération dont elles font partie.
Il s’agit là, monsieur le sénateur, de la position constante de l’administration centrale du ministère en charge de l’urbanisme depuis la publication de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. J’ai obtenu la réponse que je souhaitais, à savoir qu’une possibilité de dérogation est prévue dans ce cas précis. Je transmettrai bien entendu votre réponse à la commune de Saumane-de-Vaucluse, monsieur le ministre, afin qu’elle puisse en tirer les conséquences.
concentration dans le secteur des médias
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 447, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, le pluralisme et l’indépendance de la presse sont l’un des principaux moteurs de la vivacité de notre démocratie. Néanmoins, force est de constater que la mainmise par quelques grands groupes industriels sur les titres de la presse régionale et nationale tend à mettre à mal ce pluralisme et cette indépendance.
Par exemple, le groupe belge Rossel a racheté les principaux titres de la région Nord-Pas-de-Calais, en acquérant entre autres Nord Littoral, Nord Éclair, Direct Lille et, bien sûr, La Voix du Nord, si bien que le pluralisme de la presse y a presque totalement disparu.
Ces opérations financières menées depuis quelques années aboutissent à ce que quatre à cinq groupes industriels fassent la pluie et le beau temps de l’actualité nationale et surtout régionale.
De plus, ce processus de concentration s’accompagne d’une fusion des rédactions qui conduit à des licenciements, à la disparition de titres de presse et, pour les journalistes, à une insécurité professionnelle grandissante et, surtout, à un taux de précarité exorbitant.
C’est ainsi que de 20 % à 25 % des journalistes sont désormais pigistes ou en contrat à durée déterminée ; preuve que le malaise est profond, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels a dû abaisser ses critères d’attribution à des revenus équivalents à un demi-SMIC.
Cette situation, qui découle principalement des stratégies financières des grands groupes industriels, est particulièrement préoccupante tant le journalisme est non pas un secteur industriel comme un autre mais le garant de la qualité du débat public et de la bonne santé de notre démocratie.
Ce phénomène de concentration est d’autant plus inquiétant que, si vous ajoutez la concurrence du journalisme en ligne et la rupture annoncée du moratoire postal, qui représente une charge nouvelle de 45 millions d’euros imputée aux éditeurs de presse, c’est la presse écrite tout entière qui se meurt à petit feu.
Alors que les lois anticoncentration apparaissent particulièrement dépassées du fait de leur contournement systématique par les grands groupes industriels, il est nécessaire de renforcer les dispositifs anticoncentration, comme s’y était d’ailleurs engagé, à juste titre, le Président de la République à l’occasion de la campagne présidentielle.
Dans cette optique, ne serait-il pas judicieux d’envisager quelques pistes, comme l’établissement d’un seuil de concentration capitalistique, d’audience ou de diffusion, une limitation du nombre de titres entre les mêmes mains, l’obligation pour les entreprises de presse de publier les informations relatives à la composition de leur capital ?
Monsieur le ministre, ma question est donc la suivante : quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre concernant la concentration dans le secteur des médias ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme Aurélie Filippetti, qui est en déplacement à Abu Dhabi et m’a donc chargé de vous répondre.
Je profite de la question que vous avez posée pour réitérer le plein soutien, la totale solidarité du Gouvernement avec le quotidien qui a été attaqué hier. Lorsque l’on s’en prend à un journal, c’est la démocratie que l’on atteint.
Je voudrais également réaffirmer l’attachement viscéral du Gouvernement au pluralisme de la presse quotidienne d’information, qu’elle soit nationale ou régionale. Nous considérons – et je sais que nous partageons cette conviction – que c’est une garantie fondamentale de la liberté de la presse ; mais c’est aussi, nous le savons, un objectif de valeur constitutionnelle.
Que dit la loi en la matière ?
La loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse permet de lutter contre les concentrations dans la presse d’information quotidienne politique et générale, afin de garantir précisément ce pluralisme. Concrètement, cela signifie qu’il est aujourd'hui interdit à une personne ou à un groupement de personnes de posséder, de contrôler ou d’éditer des quotidiens d’information politique et générale dont la diffusion totale serait supérieure à 30 % de la diffusion en France de l’ensemble des publications de cette nature.
Qu’en est-il en 2013 ? Aucun groupe de presse n’approche ce seuil des 30 %. Dans la presse quotidienne nationale, les concentrations sont, de fait, très limitées. Dans la presse quotidienne régionale, on constate des concentrations plus importantes, mais qui n’atteignent en aucun cas le seuil des 30 %.
Le groupe EBRA – Est Bourgogne Rhône-Alpes –présente le taux de concentration le plus important : 18,5 %.
Dans le même temps, nous devons veiller à ne pas fragiliser certains titres de presse déjà très durement touchés par la crise économique. C’est la raison pour laquelle si les opérations de concentration doivent être limitées eu égard aux objectifs que je viens de citer, elles ne doivent pas pour autant être exclues a priori.
En effet, l’appartenance à un groupe de presse peut aussi permettre de répartir certaines charges communes et d’assurer ainsi la survie de certaines publications. Il convient donc de trouver un équilibre.
Sachez, madame la sénatrice, que le Gouvernement entend être le garant du respect du pluralisme, essentiel à la démocratie, et veiller à soutenir, autant qu’il est possible, la presse quotidienne nationale et régionale d’information.
optimisation du système de transport fluvial
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 571, adressée à M. le ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, c’est avec quelque regret que j’ai découvert, en prenant connaissance du rapport Mobilité 21, que très peu de projets, sinon aucun, étaient envisagés en matière de fret fluvial pour les vingt prochaines années.
Force est de constater que, depuis trente ans, le fret fluvial a été délaissé, voire abandonné aux évolutions spontanées du marché, au profit du transport routier.
Le transport routier, de marchandises ou de personnes, reste étrangement privilégié, alors qu’il émet plus de 130 000 tonnes de CO2 par an. Il bénéficie ainsi de plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissements par an, quand le transport fluvial ne se voit accorder que 0,9 % de ces montants.
Monsieur le ministre, nous avons mené le débat sur la transition énergétique et même formulé des propositions afin de développer des modes de transport de marchandises moins consommateurs d’énergies fossiles et plus respectueux de l’environnement, tout en restant en adéquation avec les besoins.
Je souhaiterais connaître le sentiment du ministre chargé des transports sur cette question. Compte-t-il relancer le fret fluvial et le considérer comme une vraie filière, conformément à son potentiel et aux engagements pris lors du débat sur la transition énergétique ? Notre pays est très en deçà de ses voisins européens dans ce domaine, alors qu’il bénéficie d’un des réseaux les plus développés.
J’ajouterai que le réseau à petit gabarit est actuellement sous-utilisé, alors même qu’il pourrait accueillir de nouveaux trafics. Il ne doit pas être marginalisé par le réseau à grand gabarit.
À cet égard, je prendrai un exemple qui m’est cher : le canal des Deux-Mers ne sert plus au transport de marchandises, alors qu’il existe de forts potentiels sur le canal de Garonne et sur le canal du Midi. Faut-il rappeler que le canal du Midi, le canal de jonction et le canal de la Robine ont été mis au gabarit Freycinet dans les années soixante-dix et quatre-vingt, à l’exception d’un tout petit tronçon entre Baziège et Argens ?
Ces canaux ont un réel potentiel, qui ne demande qu’à être exploité. Alors qu’il est beaucoup question de transition énergétique, faut-il rappeler que si une péniche fonctionne avec un moteur deux fois plus puissant que celui d’un poids lourd, elle transporte vingt-cinq fois plus de fret ?
M. Robert Tropeano. Tout à fait !
M. Roland Courteau. Je souhaiterais donc que puissent être examinées les possibilités de développement du transport de marchandises sur le canal des Deux-Mers. Dans cette perspective, je demande que le ministre chargé des transports fasse diligenter une étude. Ces canaux ne doivent pas avoir pour unique vocation le tourisme fluvial, même s’il s’agit là d’un facteur de développement. Eu égard aux énormes investissements réalisés dans le passé, ils méritent d’être davantage utilisés : un canal sans transport est un canal mort. Une réflexion sur le retour du fret sur cette voie d’eau, ainsi que sur la mise en place d’un plan de relance du transport fluvial, s’impose donc.
Vous est-il possible, monsieur le ministre, de m’éclairer sur les intentions du Gouvernement à cet égard ?
M. Robert Tropeano. Très bien !
Mme Valérie Létard. Très bonne question !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur Courteau, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Frédéric Cuvillier, qui accompagne le Président de la République en Israël.
Vous savez que le Gouvernement attache une grande importance au transport fluvial, s’agissant en particulier du transport de marchandises.
Le canal des Deux-Mers, composé du canal du Midi et du canal latéral à la Garonne, est limité en gabarit, en termes tant de mouillage que de hauteur libre sous ouvrage ou de longueur d’écluses. Dans ces conditions, il ne permet pas au transport fluvial de véritablement concurrencer le transport routier. Pour cela, il faudrait réaliser des travaux incompatibles avec le classement du canal du Midi au patrimoine mondial de l’humanité.
Toutefois, cela n’exclut pas que le transport fluvial puisse répondre à des marchés ponctuels se satisfaisant des caractéristiques actuelles du canal.
Quoi qu’il en soit, le canal du Midi dispose de nombreux atouts en matière de développement touristique et de loisirs. C’est cette dernière vocation qui est confortée en priorité par l’État, Voies navigables de France et les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, ainsi que par les collectivités riveraines. Ces acteurs ont engagé un partenariat constructif pour restaurer le canal des Deux-Mers, améliorer les conditions d’accueil des usagers et contribuer à la préservation de l’environnement et du patrimoine.
Ainsi, la charte interrégionale du canal des Deux-Mers exprime les ambitions de ce partenariat. Une instance de gouvernance et de coordination des actions a été créée, et nous nous réjouissons que la région Languedoc-Roussillon prévoie aujourd’hui d’intégrer le cadre de cette charte.
Telle est, monsieur le sénateur, la réponse que je souhaitais vous apporter au nom de Frédéric Cuvillier. Notre volonté est d’accompagner le développement que les territoires peuvent construire ensemble autour de ce canal.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Je persiste à affirmer que le canal des Deux-Mers peut être un instrument de développement économique. Par exemple, 75 % des quelque 400 000 tonnes de céréales produites dans les régions traversées par le canal transitent par la route jusqu’à Port-la-Nouvelle, sur les bords de la Méditerranée, alors que ce port est raccordé au réseau fluvial !
Il ne s’agit que d’un exemple parmi bien d’autres. Je crois savoir que l’Union européenne table sur un renouveau de la batellerie. Ainsi, la Commission européenne a confirmé sa volonté de développer le transport fluvial du fret, notamment sur le canal des Deux-Mers. Dans ces conditions, monsieur le ministre, je ne comprends pas très bien votre réponse…
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder la question orale suivante, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à dix heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard, auteur de la question n° 466, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Valérie Létard. Madame la ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion, permettez-moi de recentrer ma question initiale sur la place des centres de ressources autisme, les CRA, dans le troisième plan Autisme.
Créés en 2005 par le premier plan Autisme, les CRA constituent un dispositif déterminant de la politique de prise en charge de l’autisme. Lors du travail d’évaluation que j’avais mené en 2011, j’avais constaté une « grande inégalité dans leurs résultats et leur capacité à assurer toutes leurs missions ». Ces difficultés résultaient notamment de leur statut, leur rattachement à des établissements hospitaliers ne leur assurant pas toujours les moyens de leur autonomie. Selon des données communiquées par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, la CNSA, pour l’année 2009, les CRA relevaient de six formes différentes d’organisation, et dix-huit CRA sur vingt-cinq étaient placés sous gestion d’une structure hospitalière. Afin de conforter leur action, les recommandations nos 9, 10 et 11 de mon rapport préconisaient de « favoriser les accords de coopération entre CRA proches géographiquement sur une ou plusieurs de leurs missions », d’évaluer leur fonctionnement par un audit externe et, suivant une grille d’évaluation à construire, de leur assurer le « choix du statut juridique le plus approprié » en garantissant leur « indépendance par rapport à l’hôpital de support » et leur « ouverture à l’ensemble des partenaires régionaux ». Ce travail d’évaluation devait permettre de déboucher sur une réorganisation des CRA, visant à mieux mutualiser leurs moyens et leurs compétences.
Le troisième plan Autisme que vous avez lancé, madame la ministre, s’inscrit bien dans cette logique d’harmonisation des pratiques, grâce à la création d’un groupement de coopération et au renforcement du pilotage national, par l’intermédiaire de l’Association nationale des centres de ressources autisme, l’ANCRA. Toutefois, votre démarche suscite quelques interrogations, ainsi que l’inquiétude du monde associatif. Permettez-moi de m’en faire la porte-parole.
L’absence d’évaluation a priori des CRA fait craindre aux associations que l’hétérogénéité des pratiques qui les a caractérisés jusqu’à présent ne perdure. Ayant moi-même insisté sur la nécessité d’y remédier, je m’interroge également sur la manière de conforter les CRA sans avoir établi un état des lieux préalable. Comment comptez-vous apaiser ces craintes, très légitimes au regard du fonctionnement passé de certains CRA ?
Les travaux préparatoires à la publication du décret simple définissant les missions des CRA peuvent donner le sentiment que les choix sont faits sans que les associations de familles aient été consultées en amont. Envisagez-vous de le faire avant la rédaction définitive du décret ?
Les CRA eux-mêmes, s’ils sont satisfaits de voir réaffirmée leur expertise pour les diagnostics complexes, s’interrogent sur la possibilité de mettre en place un diagnostic primaire de qualité, en particulier à travers le renforcement annoncé des centres d’action médico-sociale précoce, les CAMSP. Quelles garanties pouvez-vous leur apporter que les moyens budgétaires supplémentaires seront bien fléchés vers le diagnostic de l’autisme ? Vous le savez mieux que personne, madame la ministre, plus le diagnostic est précoce, plus la prise en charge des enfants autistes sera de qualité et plus les progrès seront importants. Le diagnostic est donc vraiment au cœur du dispositif.
Rappelant le statut d’établissement médico-social de ces structures, vous avez annoncé votre intention d’adjoindre à chaque CRA un comité consultatif d’usagers. Pourriez-vous me préciser quels seront sa composition et son rôle ?
Enfin, le plan prévoit que les CRA soient la cheville ouvrière du programme d’actions en matière de formation, pour les professionnels mais aussi pour les aidants familiaux. Pour ces derniers, un cahier des charges a été établi et des appels à projets lancés. Comment envisagez-vous la montée en puissance de ce dispositif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui témoigne de votre profonde connaissance de la problématique du handicap, et particulièrement de l’autisme.
Vous le savez, les centres de ressources autisme sont placés au cœur du troisième plan Autisme : j’y tenais particulièrement.
Ainsi, le repérage et l’intervention précoces, qui constituent le premier axe du plan, s’appuieront à l’échelon régional sur les CRA, associés à au moins une équipe hospitalière experte en centre hospitalier universitaire.
Pour la mise en œuvre des deuxième et troisième axes du plan, à savoir l’accompagnement tout au long de la vie et le soutien aux familles, les CRA se verront renforcés dans leur fonction d’accueil et de conseil. Pour ce faire, les familles seront associées au fonctionnement des CRA au sein d’un comité des usagers. Cela ne va pas de soi : il est compliqué de faire évoluer les choses en la matière, mais nous allons y parvenir !
Les CRA sont en outre parties prenantes, via l’ANCRA, à la formation des aidants familiaux, qui débutera prochainement, en lien étroit avec les associations de familles. L’ANCRA sera renforcée afin de permettre l’harmonisation des pratiques entre les différents CRA sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’une meilleure diffusion des recommandations de la Haute Autorité de santé, la HAS, et de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, l’ANESM.
Prochainement, les CRA vont connaître deux grandes évolutions.
En premier lieu, un décret permettra d’inscrire dans la réglementation les missions des centres, à ce jour fixées uniquement par voie de circulaire. Cela doit permettre d’asseoir leur légitimité et de rendre leurs missions opposables à leurs gestionnaires – le plus souvent des centres hospitaliers –, notamment le diagnostic des adultes autistes, que je compte développer au plus vite. Ce décret va également consacrer l’entrée des usagers, et donc des familles, dans la gouvernance des CRA.
Il s’agit donc de renforcer la visibilité des missions des CRA, d’homogénéiser leurs pratiques et de rendre un meilleur service aux familles et aux professionnels. Le décret sera publié en début d’année 2014, après les phases indispensables de concertation avec les associations et les familles.
En second lieu, un groupement de coopération national des CRA sera constitué, pour leur permettre de mettre en œuvre certaines actions d’envergure nationale : la création d’un site web grand public sur l’autisme, la centralisation des travaux de recherche appuyés par les CRA en région, la mutualisation des ressources documentaires, la démarche qualité visant, là encore, à homogénéiser les pratiques des CRA, enfin la formation, avec notamment la coordination des formations au bénéfice des aidants familiaux.
Ce groupement doit voir le jour au premier semestre de 2014. Les crédits nécessaires sont déjà pris en compte dans l’ONDAM médico-social pour 2014.
Madame la sénatrice, je reste à votre entière disposition pour examiner avec vous la mise en œuvre du processus d’homogénéisation et de l’implication des personnes, des familles et des associations dans l’évolution des CRA.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Je remercie Mme la ministre de sa réponse. Les CRA sont la pierre angulaire du dispositif ; leur bon fonctionnement conditionne la mise en place des nouvelles pratiques et l’évolution de la prise en charge de l’autisme. Il est nécessaire d’instituer une structure juridique qui permette d’assurer, au sein des CRA, un équilibre entre les différents acteurs.
Surtout, madame la ministre, il importe de sanctuariser et de flécher les financements, afin de garantir que nous pourrons disposer de moyens suffisants, sur le terrain, pour réaliser les diagnostics au sein des CAMSP. Il est indispensable de répondre sans délai aux attentes des familles concernées.
conditions d’accès aux indemnités journalières
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteur de la question n° 536, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, je souhaitais vous interroger sur les conditions d’accès aux indemnités journalières, qui, avec l’évolution du marché du travail, sont devenues inadaptées et discriminantes pour les salariés travaillant moins d’un mi-temps.
En effet, l’article R. 313-3 du code de la sécurité sociale conditionne le versement des indemnités journalières en cas d’incapacité temporaire pour maladie soit à une durée minimale d’activité professionnelle sur une période de référence précédant l’arrêt, soit à une cotisation sur un salaire minimum au cours de cette même période.
Ainsi, pour un arrêt inférieur à six mois, la durée minimale de travail salarié requise est de 200 heures, effectuée au cours des trois derniers mois. Pour un arrêt supérieur à six mois, la durée minimale de travail salarié est de 800 heures effectuées l’année précédente, dont au moins 200 heures au cours du premier trimestre.
Or ces deux conditions excluent une partie des salariés, notamment ceux travaillant à temps partiel. Ainsi, les salariés dont la durée du travail est inférieure à un mi-temps sont exclus des droits pour lesquels ils cotisent cependant. En effet, ces salariés cotisent à fonds perdus, sans pouvoir prétendre à un quelconque revenu de remplacement lorsque la maladie les empêche de travailler : selon la Cour des comptes, de 20 % à 30 % de la population salariée ne serait pas couverte.
La Ligue contre le cancer a attiré mon attention sur cette discrimination. Elle évalue à 15 000 le nombre de personnes atteintes du cancer concernées par cette absence de revenu de remplacement. Sur ces 15 000 personnes malades, 13 000 sont des femmes qui travaillent à temps partiel, moins d’un mi-temps. Ces salariés se retrouvent sans aucun revenu, ce qui aggrave leur situation, déjà précarisée par la maladie. Les personnes atteintes d’un cancer n’ont souvent pas d’autre solution que d’interrompre leur activité professionnelle pour suivre des traitements généralement longs. De surcroît, ces personnes doivent supporter des dépenses de santé non remboursées.
Malgré l’accord national interprofessionnel de janvier, qui s’est traduit dans la loi du 14 juin 2013 et fixe à vingt-quatre heures par semaine le temps partiel minimal, des dérogations seront possibles, notamment pour raisons personnelles. Les problèmes de santé seront vraisemblablement au cœur de ces dérogations ; la question que j’ai soulevée demeurera donc.
Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour qu’un revenu de remplacement puisse être accordé en contrepartie des cotisations versées par ces salariés ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la sénatrice, je vous prie d’excuser Marisol Touraine, qui m’a chargée de répondre à votre question.
Pour pouvoir bénéficier des indemnités journalières de l’assurance maladie, l’assuré doit justifier d’un montant de cotisations ou d’une durée minimale d’activité au cours d’une période de référence donnée. Pour les arrêts de travail de moins de six mois, la durée minimale d’activité est de 200 heures au cours des trois derniers mois, soit 15 heures par semaine. Pour les arrêts de travail de plus de six mois, elle est de 800 heures au cours des douze derniers mois, dont 200 heures au cours du premier trimestre.
Les indemnités journalières sont un droit contributif, qui permet le versement de prestations pour une durée d’au moins six mois, pouvant atteindre trois ans. Dans ce contexte, le principe d’une durée minimale de travail pour obtenir l’ouverture des droits n’apparaît pas illégitime.
Plusieurs évolutions sont d’ores et déjà intervenues pour tenir compte des difficultés rencontrées par les salariés précaires ou travaillant à temps très partiel.
Ainsi, pour les salariés exerçant une profession à caractère saisonnier ou discontinu et pour les personnes rémunérées par chèque emploi-service universel, le respect des conditions est examiné sur une période de douze mois. En outre, en cas de changement de régime d’affiliation, les périodes travaillées dans le cadre d’un autre régime sont également prises en compte.
Enfin, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a permis d’améliorer les droits des chômeurs non indemnisés qui reprennent un emploi : un maintien de droits de trois mois leur est désormais garanti lors de leur reprise d’emploi, afin de pouvoir de nouveau remplir les conditions d’activité.
Toutefois, madame la sénatrice, la question d’une nouvelle adaptation de ces règles se pose aujourd’hui devant la précarisation du marché du travail. D’après une enquête réalisée par l’INSEE en 2011, environ 3 % des salariés ne rempliraient pas la condition des 200 heures de travail sur le trimestre.
La question se pose notamment s’agissant des arrêts de longue durée : le cumul de règles prive de droits des salariés qui remplissent la condition des 800 heures travaillées sur l’année. Un décret ne conservant plus que cette condition est en préparation ; il est prévu qu’il s’applique dès 2014.
Au-delà, le rapport demandé par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 permettra d’approfondir l’évaluation et d’éclairer le Parlement sur ce sujet sensible pour l’ensemble des salariés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, il s’agit en effet d’un sujet majeur. Comme vous l’avez dit, on assiste à une précarisation du travail. Nous parlementaires avons été alertés sur les difficultés financières que rencontrent certains salariés en cas de maladie. Je vous remercie de ces explications, en espérant que des évolutions prendront rapidement forme afin de résoudre le problème.
centre hospitalier nord-deux-sèvres
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bécot, auteur de la question n° 573, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Michel Bécot. L’ensemble des acteurs du projet de restructuration du centre hospitalier Nord-Deux-Sèvres s’attendaient à ce que, le 16 juillet dernier, l’État donne enfin son feu vert à cette opération engagée en 1996, à la suite de la fusion des trois hôpitaux de Bressuire, de Parthenay et de Thouars.
Il n’en a pas été ainsi, puisque la décision a une nouvelle fois été repoussée : un complément d’information et de nouvelles expertises ont été demandés.
L’inquiétude est grande dans le Nord-Deux-Sèvres, et cette absence de décision est difficilement compréhensible pour nos concitoyens. Les habitants du Nord-Deux-Sèvres peuvent-ils, oui ou non, continuer à espérer voir ce projet aboutir fin décembre 2013 ? Je vous remercie par avance des éléments que vous pourrez me communiquer, madame la ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, dès sa prise de fonction, Mme la ministre des affaires sociales et de la santé a pris connaissance de l’état d’avancement du projet de restructuration du centre hospitalier Nord-Deux-Sèvres, qui, elle le sait, est particulièrement attendu par la population et soutenu par les collectivités territoriales de la région Poitou-Charentes. Vous l’avez d’ailleurs déjà interrogée sur le sujet au mois d’octobre 2012.
Mme la ministre a souhaité que le projet de restructuration soit instruit rapidement, sous l’égide du Comité de la performance et de la modernisation de l’offre de soins, le COPERMO, qu’elle a installé en décembre 2012.
Le COPERMO a déclaré le projet éligible en avril 2013. Il a formulé plusieurs recommandations techniques en vue d’un examen pour décision finale. Pour répondre à ces attentes, l’établissement et l’agence régionale de santé travaillent actuellement à la finalisation du dossier, afin de garantir la conformité aux référentiels les plus exigeants du projet médical qui sous-tend cet investissement.
Il est notamment attendu de l’établissement qu’il s’engage résolument dans le développement des prises en charge ambulatoires et organise le parcours des patients en lien avec l’ensemble des acteurs de soins du territoire.
Mme la ministre des affaires sociales et de la santé est confiante dans la capacité de l’établissement et de l’agence régionale de santé à répondre à ces attentes en vue d’un examen final par le COPERMO, qu’elle souhaite proche mais dont je ne puis vous préciser aujourd'hui la date.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bécot.
M. Michel Bécot. Madame la ministre, nous comptons sur le Gouvernement pour faire enfin aboutir ce projet, qui est dans les cartons depuis 1996.
entreprises de services informatiques et de conseil en technologie
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 513, transmise à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Patricia Schillinger. Ma question, adressée initialement à M. le ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, concerne les problèmes rencontrés par les entreprises de services informatiques et de conseil en technologie, qui subissent depuis plusieurs années des redressements importants instruits par les inspecteurs des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, les URSSAF.
En effet, ces entreprises, dont de nombreux salariés opèrent chez les clients, pour des périodes variables, se voient redressées sur la prise en charge des repas et des frais de transports de ces salariés, au motif allégué que le lieu de travail habituel de ces derniers serait l’entreprise cliente, et non les locaux de leur employeur, contrairement, en particulier, aux stipulations écrites de leur contrat de travail.
Comme vous le savez, les entreprises d’informatique proposent des services numériques. Si ces services doivent être installés sur place, c’est-à-dire chez le client, ce qui prend du temps pour que les choses soient bien faites, ces entreprises ne produisent toutefois rien sur le lieu d’installation.
Véritable support de l’économie et de la société, le secteur du numérique représente 25 % de la croissance nette et de la création d’emplois en France. C’est un secteur créateur d’emplois et de richesse, mais aussi porteur de modernité et d’avenir.
Or, aujourd’hui, les URSSAF soumettent ces entreprises à des redressements très importants, les mettant en difficulté. L’activité du secteur s’en trouve fragilisée. De plus, les règles appliquées par les différentes URSSAF n’étant pas les mêmes, les entreprises ne sont pas traitées sur un pied d’égalité, ce qui crée une forte distorsion de concurrence entre elles.
C’est la raison pour laquelle je vous demande aujourd’hui, madame la ministre, de me préciser le fondement juridique de la requalification par les URSSAF de la situation de travail de ces salariés dans les locaux de leur clientèle. Sans que soit remise en cause l’autonomie de contrôle des inspecteurs, s’il y avait lieu à requalification, je vous demande de me préciser à partir de quelle durée définie uniformément sur l’ensemble du territoire national une telle requalification devrait s’appliquer.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Lorsqu’un travailleur salarié ou assimilé effectue un déplacement professionnel et se trouve empêché de regagner sa résidence habituelle, son employeur peut lui verser des indemnités forfaitaires, appelées « indemnités de grand déplacement » et destinées à couvrir ses dépenses de restauration et d’hébergement.
Le « grand déplacement » est admis lorsque le salarié ne peut pas regagner son domicile à l’issue de sa journée de travail, ce qui suppose que la distance entre le domicile et le lieu de travail soit supérieure ou égale à 50 kilomètres ou que les transports en commun ne permettent pas de parcourir cette distance dans un temps inférieur à une heure trente.
Si ces conditions de distance ou de durée du trajet ne sont pas réunies, l’employeur doit démontrer que le salarié est effectivement empêché de regagner son domicile du fait de circonstances telles que l’horaire de travail ou une impossibilité liée aux transports.
Par ailleurs, lorsque le salarié est en déplacement professionnel et qu’il est contraint de prendre ses repas hors des locaux de l’entreprise qui l’emploie, sans que ce déplacement nécessite qu’il soit hébergé hors de son domicile à l’issue de sa journée de travail, des indemnités forfaitaires dites « de petit déplacement » peuvent être versées afin de couvrir les dépenses supplémentaires de nourriture exposées. Ces indemnités sont également exclues de l’assiette des prélèvements sociaux.
En ce qui concerne le cas particulier des consultants et des intérimaires envoyés en mission dans une entreprise cliente, qui peuvent selon les cas relever du grand ou du petit déplacement, une circulaire de la direction de la sécurité sociale du 19 août 2005 précise que les frais de restauration qui leur sont versés sont réputés être des frais professionnels et sont donc exclus de l’assiette des prélèvements sociaux, dans la limite d’un forfait de 17,70 euros par repas en 2013, pendant la durée de la mission.
Toutefois, lorsque la durée de la mission est telle qu’il n’est plus possible de considérer que le consultant est en déplacement professionnel et que divers éléments attestent que son lieu de travail effectif est devenu celui de l’entreprise cliente, le salarié est considéré, en matière sociale, comme étant sédentaire. L’entreprise cliente devient alors le lieu habituel de travail et les indemnités forfaitaires qui continueraient à être versées au salarié à raison de son déplacement entre l’entreprise qui l’emploie et l’entreprise cliente sont réintégrées dans l’assiette des cotisations. Une telle réintégration est justifiée s’agissant de sommes qui, en fait comme en droit, constituent alors un complément de rémunération.
Ainsi, dans le cas de déplacements d’une durée supérieure à trois mois conduisant les salariés concernés à se sédentariser auprès de l’entreprise cliente, des URSSAF ont pu considérer que le lieu de travail effectif est bien l’entreprise cliente. Toutefois, des échanges ont d’ores et déjà été engagés avec le secteur pour apprécier l’opportunité de préciser les dispositions de la circulaire de 2005.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Je remercie Mme la ministre de ces précisions sur un sujet très technique. Il faut améliorer l’information au plan national, ainsi que la formation des inspecteurs des URSSAF sur cette question. Pour l’heure, les entreprises concernées ont du mal à s’y retrouver.
dysfonctionnements du site internet sytadin
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 553, adressée à M. le ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Mme Catherine Procaccia. Je remercie par avance Mme la ministre de me répondre sur un sujet assez éloigné de son champ de compétence ministérielle et de sa région…
Ma question concerne en effet les dysfonctionnements du site internet synoptique du trafic de l’Île-de-France, SYTADIN.
La direction des routes d’Île-de-France, la DIRIF, permet aux usagers du réseau routier d’Île-de-France d’anticiper leurs déplacements et de choisir l’itinéraire le plus adapté grâce à SYTADIN, dont la mise en place constitua une révolution. Il permet en principe une information en temps réel sur les conditions de circulation et d’exploitation du réseau routier francilien, mais je devrais plutôt parler au passé…
À l’origine, ce site était si performant qu’il a été copié et mis en place dans d’autres grandes villes, qui bénéficient aujourd'hui d’un système qui fonctionne, ce qui n’est plus le cas de l’Île-de-France.
Le plan interactif du réseau présente, depuis de nombreuses années et en permanence, des zones grisées correspondant aux parties du réseau non renseignées. Ces zones sont particulièrement nombreuses, souvent stratégiques ; leur existence remet en cause l’intérêt du système. Ce matin, la carte présente beaucoup de lacunes (Mme Catherine Procaccia brandit un document.), en particulier dans des zones stratégiques incluant des sections des autoroutes A1 et A3 menant à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, ainsi que de la Francilienne, voie très empruntée. C’est tout de même très ennuyeux !
Ces défaillances résultent de problèmes techniques ou d’actes de vandalisme, comme des vols de câbles, mais je ne comprends pas pourquoi des systèmes de navigation gratuits, tel Google Maps, sont en mesure, eux, de donner des informations plutôt fiables.
L’Île-de-France me paraît mériter un système qui la couvre dans son intégralité. J’aimerais que notre région redevienne pilote en ce domaine. Il faut souligner que l’est parisien est particulièrement mal couvert.
Pouvez-vous m’indiquer, madame la ministre, quand SYTADIN sera de nouveau opérationnel ? Par ailleurs, alors que je m’étais interrogée sur son absence des réseaux sociaux, j’ai constaté, il y a moins de deux semaines, que SYTADIN est dorénavant sur Twitter. Je m’en réjouis, toutefois aucune information n’a été faite à ce sujet, comme en témoigne le nombre d’abonnés : moins de cent…
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la sénatrice, vous avez bien voulu appeler l’attention de Frédéric Cuvillier, ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche, sur les dysfonctionnements du site internet SYTADIN, créé en 1996, qui vise à informer en temps réel les usagers de l’état du trafic routier francilien.
Faire fonctionner un tel système est un défi quotidien, car la collecte de ces informations demande la collaboration étroite des différents exploitants des réseaux routiers, des forces de police et du centre régional d’information et de coordination routière d’Île-de-France.
Le système est composé de 2 500 points de comptage, de plus de 6 000 boucles de comptage implantées dans les chaussées, de plus de 30 000 équipements électroniques et d’environ 3 000 kilomètres de câbles. Certaines zones ne disposent d’ailleurs pas encore de matériels de collecte de données.
La complexité du système est en outre accrue par le fait que la plupart de ces équipements sont exposés à un milieu extrêmement agressif – variations de température, présence d’eau –, en particulier au bord des routes, ce qui accélère le vieillissement du réseau. Les pannes qui s’ensuivent sont traitées en temps réel, autant que le permet la complexité d’intervention sur un réseau routier supportant un très haut niveau de trafic.
Les câbles d’alimentation électrique et de transmission des données en cuivre font l’objet de vols et de dégradations volontaires de plus en plus réguliers. Le préjudice est tel qu’il n’est plus possible d’effectuer les réparations rapidement à l’identique. Le coût s’élève à des centaines de milliers d’euros.
Des opérations de réparation sont en cours, lorsqu’elles sont techniquement possibles : sécurisation des câbles et des installations, en repensant profondément le système. De nouveaux équipements devraient être installés sur les autoroutes du Nord-Est à l’été prochain, par exemple.
Ces raisons expliquent l’existence de zones grisées sur le site SYTADIN. Grâce aux évolutions scientifiques et techniques, les équipements de bord de route ne sont plus aujourd’hui les seules sources d’information pour estimer l’état du trafic, mais je tiens à souligner que la présence d’opérateurs pour la surveillance continue du réseau routier fait réellement de SYTADIN une source fiable d’information pour les usagers.
Afin d’améliorer la diffusion des informations, des projets sont en cours d’étude. La dernière version du site internet date d’octobre 2012 et celle du site mobile d’avril 2013. Les échanges se poursuivent avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes, les conseils généraux et la ville de Paris pour élargir la diffusion des informations, ainsi que le périmètre de la voirie concernée. En outre, nous réfléchissons aux moyens de mieux utiliser Twitter.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, vous parlez de fiabilité : ce matin, SYTADIN évaluait à vingt-deux minutes le temps de parcours entre une commune de l’est parisien et l’aéroport de Roissy, en annonçant un taux de fiabilité de 34 %... Peut-on parler de fiabilité dans ces conditions ? Le site Google Maps prévoyait, quant à lui, quarante-deux minutes de temps de trajet, ce qui me semble beaucoup plus réaliste.
Le ministre envisage l’extension du système SYTADIN : ne vaudrait-il pas mieux assurer le bon fonctionnement de ce qui existe déjà ? Depuis deux ou trois ans que je soulève la question, on me répond que les dysfonctionnements sont dus à des vols de câbles. Le recours à un réseau de câbles n’est donc peut-être pas la solution, d’autant qu’il existe maintenant des systèmes plus modernes : je pense en particulier aux satellites. En attendant de mettre en place un autre système, pourquoi SYTADIN ne reprendrait-il pas les informations données par Google Maps ou d’autres sites pour couvrir les zones grisées ?
Par ailleurs, depuis le temps qu’ils ont été volés, je puis vous assurer que les câbles auraient pu être remplacés trois fois ! Vous me répondez que cela coûte très cher, mais la DIRIF ne pourrait-elle pas concevoir un système plus efficace, pour le bien non seulement des habitants de la région parisienne, mais aussi de tous les usagers qui transitent par l’Île-de-France ? Plutôt que de connaître l’état du trafic dans certaines petites rues de Paris, il serait préférable de pouvoir disposer d’informations fiables sur la situation sur les grands axes.
problèmes des boues et conséquences sur la pêche des petits métiers
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Tropeano, auteur de la question n° 564, adressée à M. le ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Robert Tropeano. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur le problème des boues en zone côtière qui a fortement pénalisé l’activité des pêcheurs pratiquant une pêche artisanale.
En effet, l’activité de ces pêcheurs a été très fortement affectée, durant la saison estivale, par la présence continuelle de boues.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Robert Tropeano. Ces dernières, présentes en très grande quantité, ont non seulement endommagé leurs matériels, mais également réduit leur capacité de pêche. Ce phénomène environnemental, qui habituellement disparaissait en quelques jours, a, cette fois, été très persistant.
L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, a effectué des prélèvements et conduit actuellement des analyses en vue de comprendre et d’éradiquer ce phénomène très pénalisant. Cela étant, la situation économique des entreprises de pêche reste très préoccupante.
Les petits métiers ont connu une saison de pêche 2013 très difficile, en partie à cause d’une diminution de la ressource de certaines espèces ou du blocage des droits d’accès au thon rouge.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Robert Tropeano. Ce nouvel épisode est venu accentuer leurs pertes de revenus, mettant leurs entreprises en danger.
Représentant 602 unités de pêche de moins de 12 mètres, sur un total de 718 unités recensées en 2009, soit près de 84 % des effectifs totaux, ces professionnels dont les pratiques relèvent d’un fonctionnement plus artisanal qu’industriel méritent d’être soutenus.
Dans un contexte particulièrement difficile, ils attendent un geste fort du Gouvernement et des instances européennes afin de garantir la pérennité de cette activité de pêche artisanale. Ce geste aurait d’ailleurs valeur de reconnaissance de leur existence. La pêche industrielle existe, elle est reconnue et accompagnée. La pêche artisanale, dont la survie est liée à sa polyvalence, doit l’être également, dans le respect de sa spécificité.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Tropeano. Quelles mesures peuvent être envisagées pour soutenir cette filière ? Quelle contribution européenne pourrait être mise en place ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l’attention de Frédéric Cuvillier, ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche, sur les difficultés économiques de plusieurs pêcheurs en Languedoc-Roussillon, dues à la présence de boues durant la saison estivale.
La situation des petits métiers en Méditerranée fait l’objet d’une attention particulière de la part du Gouvernement. Je pense par exemple à la pêcherie d’anguilles, qui est traditionnelle et artisanale, et à la pêche du thon rouge, pour laquelle les quotas ont été doublés cette année pour les petits métiers et seront maintenus pour 2014.
La question des autorisations de pêche fait également partie des priorités : il s’agit de les attribuer à ceux qui en ont réellement besoin, sans compromettre les équilibres entre les différentes pêcheries. Le Gouvernement est d’autant plus vigilant que, dans le contexte actuel, extrêmement difficile, il doit mettre en œuvre une réglementation européenne contraignante pour la pêche en méditerranée, votée en 2006 mais jamais mise en place dans le passé. Nous le faisons en étroite concertation avec les représentants professionnels de la pêche.
Concernant plus particulièrement le phénomène naturel de boues auquel ont été confrontés certains pêcheurs durant la période estivale, il est assez répandu dans plusieurs régions, notamment au large des côtes basques et landaises. Les aléas climatiques font malheureusement partie intégrante de l’activité de pêche.
Il faut travailler à comprendre ce phénomène, en déterminer les causes et réfléchir aux actions curatives. C’est d’ailleurs ce que font les pêcheurs basques et les instituts scientifiques locaux, à travers une étude actuellement en cours. Les informations disponibles auprès du comité départemental des pêches des Pyrénées-Atlantiques et du comité régional des pêches maritimes du Languedoc-Roussillon pourraient être mises en commun, pour plus d’efficacité. Ces projets d’études peuvent être financés soit dans le cadre de projets pilotes, soit par l’intermédiaire du fonds privé France filière pêche, géré par les professionnels de la pêche eux-mêmes. Le centre IFREMER de Sète a été également saisi de ce problème.
En revanche, la question des indemnisations est ici très difficile à traiter, en l’absence de préjudice précisément avéré ou de données précises. Plusieurs dispositifs sont prévus pour aider les pécheurs en difficulté à cause d’aléas climatiques. Le Comité national des pêches gère, par exemple, une caisse d’indemnisation chômage-intempéries. Cependant, elle ne prévoit pas d’indemnisation pour les aléas subis en raison de boues colmatant les filets. Des évolutions réglementaires pourraient être étudiées sur l’initiative des professionnels de la pêche, qui la gèrent eux-mêmes.
Le fonds privé France filière pêche dispose également d’une enveloppe financière annuelle importante, permettant de financer des projets collectifs, mais aussi de participer au financement d’investissements à bord des navires de pêche.
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, que je ne manquerai pas de transmettre aux pêcheurs. Je suis particulièrement satisfait de constater l’attachement du Gouvernement à la concertation avec les professionnels de la pêche artisanale.
situation de quatre français retenus contre leur gré au qatar
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Bailly, auteur de la question n° 582, adressée à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Dominique Bailly. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la situation préoccupante de ressortissants français retenus contre leur gré au Qatar.
MM. Zahir Belounis, footballeur, Jean-Pierre Marongiu, entrepreneur, Nasser Al-Awartany, entrepreneur, et Stéphane Morello, entraîneur de football, sont en effet retenus au Qatar sans visa de sortie.
Leur avocat, maître Franck Berton, estime que ses clients sont victimes d’abus de confiance, d’escroquerie et de chantage en échange d’un visa de sortie.
En effet, selon la réglementation en vigueur au Qatar, l’appui d’un sponsor qatari est obligatoire pour s’installer et travailler dans le pays, le sponsor ayant ensuite le droit d’accepter ou de refuser l’octroi d’un visa de sortie à l’étranger qu’il parraine.
Depuis le jeudi 31 octobre, la situation semble s’être améliorée pour M. Stéphane Morello, qui a obtenu, après cinq ans d’attente, un visa de sortie. Toutefois, il a affirmé avoir été contraint de signer des documents contraires à ses intérêts pour obtenir l’autorisation de sortir du territoire qatari.
MM. Belounis, Al-Awartany et Marongiu sont, eux, toujours retenus contre leur gré au Qatar.
J’ai pris bonne note du fait que, lors du point presse du ministère des affaires étrangères du 30 octobre dernier, a été annoncée l’imminence d’une amélioration de la situation de M. Zahir Belounis.
Néanmoins, dans un communiqué de presse en date du 6 novembre 2013, notre collègue Jean-Yves Leconte a attiré notre attention sur la situation critique de M. Marongiu, qui, de nouveau emprisonné depuis septembre 2013, a entamé une grève de la faim dont les effets commencent à peser lourdement sur son état de santé.
Je vous demande donc, madame la ministre, de bien vouloir nous faire part des mesures mises en œuvre par le Gouvernement afin d’éclaircir la situation de ces quatre ressortissants français, ainsi que de l’état d’avancement des procédures.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité alerter le ministre des affaires étrangères sur la situation de nos ressortissants détenus au Qatar.
Vous l’interrogez sur quatre affaires en particulier : celles-ci sont suivies, je puis vous l’assurer, avec la plus grande attention, tant à Doha, par l’intermédiaire de l’ambassade de France, qu’à Paris.
Les affaires concernant MM. Al-Awartany, Belounis et Morello sont des contentieux financiers d’ordre privé qui opposent, dans le premier cas, deux associés entre eux, et, dans les deux autres affaires, des salariés à leur employeur.
Pour autant, dans le respect de la souveraineté du Qatar et de sa législation, les services du ministère des affaires étrangères ont activement travaillé, en contact permanent avec les plus hautes autorités locales, afin de faire émerger une solution satisfaisante pour l’ensemble des parties. Grâce aux interventions de notre poste, M. Morello a obtenu le 28 octobre dernier un visa de sortie permanent du territoire qatari.
Après une négociation difficile, en particulier concernant l’occupation de son logement pendant la période litigieuse, il est aujourd’hui libre d’aller et venir. Je note qu’il a souhaité, pour l’heure, demeurer au Qatar.
La situation de M. Belounis pourrait être en voie de règlement. L’ambassade de France poursuit en effet ses efforts afin que notre compatriote obtienne son visa de sortie. L’ambassade et les autorités qatariennes travaillent ensemble afin de clore cette affaire dans le respect des règles. Hier, des discussions ont eu lieu qui nous laissent espérer une issue favorable. Par ailleurs, des négociations tendant à un accord amiable, au titre desquelles M. Belounis reçoit une pleine assistance de notre poste, sont toujours en cours.
L’affaire de M. Al-Awartany est différente, puisqu’il s’agit d’un conflit entre deux associés en affaires. Chacun ayant porté plainte contre l’autre, la justice qatarienne est saisie. Une médiation est actuellement en cours. L’ambassade de France est en contact permanent avec les autorités locales pour résoudre cette affaire.
La situation de M. Marongiu est également différente, puisque notre ressortissant est actuellement détenu au Qatar à la suite de condamnations pénales prononcées par la justice de ce pays. Le droit international proscrivant toute ingérence dans le fonctionnement de la justice d’un État étranger souverain, les autorités françaises ne peuvent intervenir dans la situation pénale de notre compatriote, pas plus que nous ne tolérerions des interventions similaires auprès de nos juridictions nationales. Cependant, conformément aux dispositions de la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires, les services consulaires de l’ambassade de France à Doha lui délivrent la protection consulaire.
À ce titre, lorsqu’il le souhaite, il reçoit des visites en détention de la part de nos représentants, qui s’assurent de son état de santé et assistent, par ailleurs, aux audiences judiciaires le concernant. Après son premier refus d’une visite consulaire le 3 octobre, deux visites lui ont été rendues les 8 et 23 octobre. Toute allégation de sa part concernant son état de santé est aussitôt relayée auprès des autorités qataries compétentes. Il a rejeté, le 23 octobre, la proposition de Mme la consule d’être examiné par un médecin.
L’ambassade s’assure également que notre compatriote dispose toujours d’un avocat sur place pour le défendre lors des différentes audiences en justice. M. Marongiu a un avocat pour l’affaire de la sortie illégale du territoire. En revanche, aucun avocat ne semblait vouloir accepter de défendre son cas concernant l’affaire des chèques sans provision. Le procureur général qatarien a accepté, à titre exceptionnel, de nommer un avocat commis d’office, et ce à la demande de l’ambassade.
Les quatre affaires ont mobilisé les services du Quai d’Orsay, au titre non seulement de l’exercice de la protection consulaire, mais aussi de l’aide apportée à la recherche de solutions négociées dans l’intérêt de tous. Nos services diplomatiques et consulaires au Qatar font l’objet de campagnes de dénigrement que je juge injustes et infondées.
Je veux, monsieur le sénateur, profiter de votre question pour renouveler ma confiance à nos représentants à l’étranger, qui assurent chaque jour avec un grand professionnalisme la protection de nos compatriotes. Il est indispensable que nos concitoyens aient toujours à l’esprit que, à l’étranger, ils sont justiciables des lois du pays dans lequel ils résident.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions.
La situation de nos ressortissants retenus au Qatar est tout de même particulière et je remercie le Gouvernement de sa vigilance.
Bien évidemment, ma question n’est pas un appel à l’ingérence, mais la situation particulière qui prévaut au Qatar en termes de droit des étrangers mérite que le Gouvernement s’implique fortement dans le suivi de ces procédures complexes.
élection des conseillers départementaux, municipaux et communautaires et calendrier électoral
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question n° 591, transmise à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la ministre, ma question porte sur les difficultés d’application de l’article 34 de la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
Applicable aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre créés par fusion au 1er janvier 2014, le deuxième alinéa de cet article prévoit que le mandat des délégués des communes désignés pour siéger au sein des EPCI ayant fusionné est prorogé jusqu’à l’installation de l’organe délibérant de l’EPCI issu de la fusion.
En pareille hypothèse, durant la phase transitoire qui court du 1er janvier 2014 jusqu’à l’installation du futur conseil communautaire issu des prochaines élections, la présidence de l’EPCI né de la fusion est assurée par le président de l’EPCI comptant le plus grand nombre d’habitants parmi les EPCI ayant fusionné.
En premier lieu, le président de ce conseil communautaire de transition est, certes, désigné de plein droit en vertu de l’article 34, mais le texte ne précise pas si le mandat des autres instances exécutives des anciens EPCI fusionnés –vice-présidents et bureaux, en tant qu’instances délibérantes – est également prorogé, avec les délégations de pouvoir et de signature afférentes, ou si le conseil communautaire de transition peut, dès sa première réunion, procéder à l’élection de nouveaux vice-présidents et d’un nouveau bureau, et consentir des délégations d’attributions aux intéressés, dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales.
En deuxième lieu, s’agissant des élus composant l’assemblée transitoire dont le mandat est prorogé, la question est de savoir s’ils peuvent continuer de bénéficier des indemnités de fonctions qu’ils percevaient avant la fusion au sein de leurs EPCI respectifs, au titre de leurs fonctions de présidents, de vice-présidents ou de conseillers communautaires des communautés d’agglomération, ou si, au contraire, il est nécessaire que l’assemblée transitoire délibère sur l’octroi de nouvelles indemnités de fonctions aux élus concernés pour l’exercice effectif desdites fonctions.
En troisième lieu, l’article 34 énonce in fine que les pouvoirs du président de cette assemblée transitoire sont limités aux actes d’administration conservatoire et urgente, sans préciser si cette limitation s’applique également aux pouvoirs de l’assemblée transitoire, ce qui soulève une interrogation juridique de principe, dans la mesure où, par définition, le président est seul compétent pour établir l’ordre du jour et convoquer les membres du conseil communautaire.
En conséquence, il y aurait lieu de préciser l’étendue des pouvoirs dévolus à l’assemblée pendant cette phase transitoire, notamment d’indiquer si le conseil communautaire peut adopter le budget, qui doit être voté dans les trois premiers mois suivant la création d’un EPCI, instituer la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui doit être votée avant le 15 janvier de l’année qui suit la fusion, et enfin élire les représentants de la communauté d’agglomération dans les organismes extérieurs.
Compte tenu des enjeux juridiques, je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir me préciser ces différents points.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Madame la sénatrice, vous interrogez le ministre de l’intérieur sur la gouvernance transitoire des établissements publics de coopération intercommunale issus d’une fusion. M. Valls, qui regrette de ne pouvoir être présent parmi vous ce matin, tient à vous communiquer les éléments de réponse suivants.
Vous l’avez rappelé, l’article 34 de la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, issu d’un amendement parlementaire, a créé un dispositif dérogatoire au droit commun ne concernant que les procédures de fusion d’EPCI à fiscalité propre aboutissant au 1er janvier 2014.
Le 2° de cet article prévoit qu’à défaut d’application anticipée des règles de composition des conseils communautaires de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, le mandat des délégués communautaires des EPCI fusionnés au 1er janvier 2014 est prorogé jusqu’à l’installation de l’organe délibérant issu de l’élection de mars 2014.
Ce même article prévoit, dans ce cas, que la présidence, qui est, au même titre que les vice-présidences, une fonction et non un mandat, est assurée pour cette période transitoire par le président de l’EPCI comptant le plus grand nombre d’habitants parmi les EPCI fusionnés.
En revanche, aucune disposition ne permet de maintenir dans leur fonction les membres des bureaux des EPCI fusionnés, et ainsi de déroger à l’article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales, qui limite notamment le nombre de vice-présidents. Le conseil communautaire de l’EPCI issu de la fusion doit donc désigner ses vice-présidents. Ils exerceront leur fonction uniquement pour la période transitoire. Aucune disposition n’exclut en revanche la possibilité de redésigner les vice-présidents des EPCI ayant fusionné.
Conformément aux dispositions du régime indemnitaire des élus locaux, l’organe délibérant du nouvel EPCI fusionné, installé pour la période transitoire, doit délibérer sur le régime indemnitaire des membres du conseil de l’EPCI. Les élus ne peuvent continuer à bénéficier du régime indemnitaire acquis au titre du précédent EPCI.
Ni l’article 34 de la loi du 17 mai 2013 ni aucune autre disposition ne limite les pouvoirs de ce conseil communautaire transitoire, qui dispose juridiquement de la plénitude de ses pouvoirs.
Le législateur a ainsi précisé que cet organe délibérant avait la faculté de statuer dès le 1er janvier 2014, date effective de son installation, sur la restitution aux communes membres des compétences qu’elles lui ont transférées à titre optionnel. Il résulte également des travaux parlementaires qu’il n’existe en droit aucun obstacle à ce que les délégués communautaires appelés à siéger à compter du 1er janvier 2014 puissent engager le débat d’orientation budgétaire, délibérer sur certaines mesures fiscales et désigner des représentants pour siéger dans des organismes extérieurs.
En revanche, le président de l’EPCI fusionné voit ses pouvoirs limités à l’adoption des « actes d’administration conservatoire et urgente ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Nous avions pensé que la fusion des EPCI entraînerait celle de l’ensemble des délégations des élus précédents. Les choses sont donc un peu moins simples que nous ne le pensions… Il faudra délibérer pour désigner les vice-présidents et les responsables du nouvel exécutif.
J’ai bien noté également qu’il faudra, s’il n’y a pas de prorogation de date, voter le budget dans les trois mois suivant l’installation du conseil transitoire.
Je vous remercie de nous avoir communiqué ces éléments, que je transmettrai aux nombreux élus concernés.
situation des locaux du commissariat de police d'épernay
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat, auteur de la question n° 567, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Françoise Férat. Ma question porte sur l’avancement du projet de rénovation du commissariat de police d’Épernay, dans la Marne. Celui-ci est hébergé dans une bâtisse du XIXe siècle dont l’état de conservation ne permet plus aux fonctionnaires de travailler et de recevoir les usagers dans de bonnes conditions. Sa vétusté donne depuis trop longtemps une image peu flatteuse de la police nationale dans notre secteur, malgré les efforts entrepris par les agents. De plus, en raison de la configuration du commissariat, le public ne bénéficie pas de la confidentialité nécessaire lors d’un dépôt de plainte.
Certes, en 2010, des travaux d’électricité, de rénovation de sols et de murs, ainsi que la réhabilitation de l’escalier, ont été effectués en urgence. Mais, en 2012, de nouveaux incidents sont survenus, avec l’apparition d’une excavation dans la cour et la rupture des canalisations du système de chauffage.
Même si la restauration du linteau d’une fenêtre est envisagée cette année, cela ne suffira pas, madame la ministre : il faut davantage que de simples opérations de réparation et de colmatage. Ce dossier doit être prioritaire sur la zone du secrétariat général pour l’administration de la police de Metz.
Le personnel de police se trouve contraint de travailler dans des conditions difficiles, voire dangereuses. Nous sommes conscients de la situation délicate des finances publiques, mais il faut savoir que, aujourd’hui, un organisme logeur et un opérateur de bâtiment et travaux publics se proposent d’assurer la reconstruction du commissariat moyennant un loyer, dans le cadre d’un partenariat public-privé. L’État étant propriétaire d’un terrain jouxtant l’actuel commissariat, il serait aisé de créer un nouvel hôtel de police dans la cour actuelle sans altérer la continuité du service public. Ensuite, l’administration pourrait disposer librement de l’emprise du bâtiment obsolète.
Vos services ont estimé en 2012 le coût de l’extension-réhabilitation du commissariat actuel à 6,7 millions d’euros. Le coût d’une reconstruction complète sur un terrain appartenant à l’État était, quant à lui, estimé à environ 7 millions d’euros en 2010.
Cette solution aurait l’avantage de mettre à la disposition de la police un outil adapté aux contraintes de service et de permettre la réalisation d’une structure répondant aux exigences environnementales les plus récentes, dans la perspective de la transition énergétique.
Le Gouvernement s’est engagé devant l’Assemblée nationale, fin décembre 2012, à traiter ce dossier avec la plus grande attention et à examiner sa faisabilité dans le cadre de la prochaine programmation triennale.
Les élus locaux sont attentifs à ce projet et sont mobilisés pour faciliter la recherche de solutions. C’est pourquoi je vous demande aujourd’hui quelle est la position du Gouvernement, notamment au regard des études du secrétariat général pour l’administration de la police de Metz, quant à la rénovation ou à la reconstruction du commissariat d’Épernay dès 2014.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. M. le ministre de l’intérieur est attaché, comme vous, à ce que les fonctionnaires de police, les citoyens et plus particulièrement les victimes puissent bénéficier de commissariats à la hauteur des exigences d’un service public moderne et de conditions de travail optimales. Or l’état de nombreux commissariats de police est indiscutablement médiocre, voire inadapté ou vétuste.
Le ministre de l’intérieur connaît cette situation et il est particulièrement attentif aux conditions de travail des policiers, ainsi qu’à la nécessité, pour les forces de l’ordre, de disposer des moyens d’accomplir leurs missions dans des conditions satisfaisantes. C’est la raison pour laquelle il a obtenu que les moyens de fonctionnement des services de police et de gendarmerie directement liés à leur activité opérationnelle soient préservés. Un effort exceptionnel vient d’ailleurs d’être fait par le Premier ministre, qui a décidé de dégeler 111 millions d’euros de crédits de paiement pour la police et la gendarmerie. S’agissant de l’immobilier, les besoins sont nombreux, malheureusement, mais, dans la situation financière actuelle, tout ne peut pas être accompli. Des solutions innovantes seront toutefois recherchées pour tenter d’agir en dépit de l’étroitesse des marges de manœuvre.
En ce qui concerne le commissariat d’Épernay, ses locaux sont effectivement vétustes et inadaptés aux besoins des services. Les élus locaux ont régulièrement appelé l’attention du ministre sur ce sujet. Des travaux de réhabilitation d’urgence ont toutefois été réalisés en 2010, comme vous l’avez rappelé, pour un montant de 110 000 euros.
Plusieurs hypothèses de relogement du commissariat ont été examinées ou évoquées au cours des dernières années : construction neuve sur le parking du site actuel, extension-réhabilitation du bâtiment existant, construction neuve sur un terrain mis à disposition par la ville, extension des locaux actuels. Dans un contexte budgétaire contraint et pour des raisons techniques, aucun de ces projets n’a pu aboutir. La solution désormais étudiée a trait à une éventuelle opération d’extension-réhabilitation du site actuel, dont le coût est estimé à 6,1 millions d’euros.
Si les contraintes budgétaires extrêmement fortes n’ont malheureusement pas permis l’inscription de cette opération dans la programmation budgétaire triennale 2013-2015, vous pouvez être assurée que ce dossier continuera de faire l’objet de toute l’attention du ministre et de ses services, qui sont parfaitement conscients de son importance, tant pour les habitants et leurs élus que pour les fonctionnaires de police.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse ; il s’agit pour nous d’un véritable sujet de préoccupation.
Je ne doute pas un seul instant de l’intérêt du ministre de l’intérieur pour le confort de nos concitoyens et les conditions de travail des fonctionnaires de police, mais je rappelle une fois encore que le Gouvernement s’était engagé, en décembre 2012, à traiter ce dossier. Or il apparaît que rien n’a été mis en œuvre : c’est insupportable !
Vous avez évoqué la réalisation de travaux pour 110 000 euros, mais, s’agissant d’un bâtiment du XIXe siècle, vous conviendrez que cela n’a pas de sens. Il ne s’agit même pas d’entretien, mais de colmatage !
À l’évidence, rien ne se passera en 2014 ni en 2015 ; on ne réfléchit même pas à un partenariat public-privé, solution qui pourrait répondre à nos préoccupations tout en ménageant les finances publiques, dont nous sommes tout aussi soucieux que le Gouvernement.
Je ne suis donc pas du tout rassurée et je puis vous dire que les élus locaux du secteur d’Épernay continueront à maintenir la pression.
carling, saint-avold et les dernières annonces de total
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, auteur de la question n° 585, adressée à M. le ministre du redressement productif.
M. François Grosdidier. Ma question s’adresse effectivement à M. le ministre du redressement productif.
La restructuration de la plate-forme pétrochimique de Carling-Saint-Avold est un nouveau bouleversement pour l’économie mosellane. La fermeture du vapocraqueur représente un séisme de plus frappant ce bassin houiller qui avait assuré une large partie de sa reconversion par la pétrochimie. Cela arrive alors que, dans le bassin sidérurgique de ce même département, la fermeture des hauts fourneaux de Gandrange n’est pas compensée par la création d’un improbable centre de recherche public et que l’agglomération messine voit s’évaporer, avec les péripéties du dossier Ecomouv’, tout un pan de la compensation des pertes d’emplois liées à la restructuration de la défense.
Dans cette Moselle-Est qui va encore plus mal que la Moselle-Ouest, l’annonce de Total est donc tragique. J’ai noté les engagements pris par ce groupe pour pérenniser l’activité et la spécificité du site, notamment les 160 millions d’euros d’investissements dans de nouvelles lignes de production de polymères, de matériaux thermoplastiques et de résines d’hydrocarbure. La création annoncée de 110 emplois ne compense cependant pas les 210 emplois directement supprimés par la fermeture du vapocraqueur, et encore moins les plus nombreuses suppressions d’emplois induites chez les sous-traitants, qui restent à évaluer.
Ce sont donc tous ces emplois supprimés, directs et indirects, qu’il faut considérer et compenser par la création d’autres emplois productifs en Moselle-Est.
Comme je l’ai dit, le groupe Total a exprimé clairement sa volonté de moderniser et d’adapter le site pétrochimique de Carling, mais comment les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – et les partenaires sociaux seront-ils associés au suivi des investissements projetés, qui engagent l’avenir du pays naborien et de la Moselle-Est ?
Enfin, il y a d’autres conséquences que celles qui affectent l’emploi direct et les sous-traitants : je veux parler du problème de l’approvisionnement en propylène et en éthylène des sites pétrochimiques, notamment ceux d’Ineos et d’Arkema, à Sarralbe.
À cet égard, il faut obtenir des engagements et décider des investissements pour sécuriser ces approvisionnements sur les plans tant économique que physique, afin de garantir la sécurité des populations concernées par les transports de matières dangereuses.
À l’évidence, la situation nouvelle résultant de la fermeture du vapocraqueur rend indispensables et urgents des investissements, tant à Carling qu’à Sarralbe, d’au moins 25 millions d’euros par site, croisant financements publics et financements privés.
Madame la ministre, y a-t-il des discussions tripartites entre Total, Arkema et Ineos, qui sont à la fois dans une relation client-fournisseur et en situation de concurrence ? Des discussions sont-elles engagées avec l’État ? Quels engagements le Gouvernement a-t-il reçus de la part de Total et quelles contributions financières apportera l’État à la revitalisation du site de Carling-Saint-Avold et à la sécurisation de l’approvisionnement des sites de Sarralbe ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Arnaud Montebourg, qui rentre d’un déplacement aux États-Unis.
Après l’annonce par Total, au mois de septembre dernier, de la fermeture du vapocraqueur de Carling à l’horizon 2015, le Gouvernement a souhaité obtenir du groupe toutes garanties concernant l’avenir de sa plate-forme pétrochimique de Carling.
Pour Total, la plate-forme de Carling a vocation à devenir un centre européen leader sur le marché des résines d’hydrocarbures – implantation d’un siège européen, d’un centre de recherche, d’une nouvelle unité de production et transformation de l’unité existante – et son activité polymères sera renforcée – nouvelle unité de production de polypropylène compound, développement de l’activité polystyrène, modernisation de l’activité polyéthylène.
Dans le cadre de son projet, Total a promis de respecter l’ensemble de ses engagements contractuels à l’égard de ses clients ; le Gouvernement y sera vigilant. Pour ce faire, Total prendra en charge les investissements nécessaires pour consolider la logistique rail pour le propylène et la logistique pipeline pour l’éthylène. Les clients seront alimentés à partir d’autres sites français du groupe.
Total s’est engagé à conduire ce redéploiement industriel sans aucun licenciement et à accompagner ses entreprises partenaires qui seront concernées par l’évolution du site, en particulier en Lorraine, en mettant en place, notamment, un fonds de soutien.
En réponse à une demande de l’État, Total s’est également déclaré favorable à l’élaboration d’une charte de l’emploi local entre la communauté de communes du pays naborien, Pôle emploi et l’entreprise, en vue de favoriser l’emploi local et de confirmer ainsi son implication dans la vie économique régionale. L’industriel nous a indiqué qu’il incitera à une large participation des entreprises locales dans les travaux de démantèlement et de construction qui auront lieu sur site.
Par ailleurs, Total nous a également informés qu’il poursuivra l’objectif de favoriser l’implantation de nouvelles entreprises sur la plate-forme de Carling. Le groupe a été à l’initiative de la création de l’Association des industriels de la plate-forme de Carling-Saint-Avold, qui vise à renforcer l’attractivité du site, à construire une offre de services puis à promouvoir cette offre afin d’attirer de nouvelles activités industrielles.
Total a ainsi réaffirmé sa responsabilité envers les bassins d’emploi dans lesquels il opère et sa volonté de maintenir un ancrage industriel fort et pérenne en Lorraine.
Le Gouvernement sera particulièrement attentif au respect des engagements pris par la société Total, notamment dans ses actions de revitalisation du bassin d’emploi et dans l’application de la convention d’ancrage territorial qui sera signée entre les services de l’État et l’industriel dans les prochains mois.
Je tiens à souligner que le groupe Total propose un projet d’avenir ambitieux pour la plate-forme de Carling, qui s’appuie sur le professionnalisme des salariés du site, ainsi que sur la position géographique de Carling, proche de marchés européens en croissance. Avec un investissement de 160 millions d’euros d’ici à 2016 dans de nouvelles activités, le projet permettra de restaurer la compétitivité du site lorrain, aujourd’hui fragilisée par un vapocraqueur lourdement déficitaire.
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier.
M. François Grosdidier. Madame la ministre, j’ai beaucoup de respect, de considération pour votre personne et votre fonction, mais je suis choqué que le Gouvernement de la République puisse confier à la ministre chargée des Français de l’étranger le soin de répondre à une question sur l’économie mosellane.
Je ne sais s’il s’agit de désinvolture ou de légèreté, mais je vous prierai de rappeler à MM. Ayrault et Montebourg que, la semaine dernière, nous avons célébré le quatre-vingt-quinzième anniversaire du retour de la Moselle et de l’Alsace au sein de la République française. Il me semble qu’un ministre du pôle de Bercy aurait pu être chargé de me répondre.
Sur le fond, vous avez confirmé les engagements connus de Total, sans toutefois donner de chiffres ni de délais, ce qui m’inquiète quelque peu. Je n’ai pas non plus perçu, dans votre réponse, une appréhension globale de la question des sous-traitants. En outre, j’aurais aimé connaître les clés de répartition entre financements publics et financements privés. En effet, il nous est dit que les investissements privés annoncés ne suffiront pas à la sécurisation des approvisionnements. Je reste donc malgré tout un peu sur ma faim !
Mme la présidente. Monsieur Grosdidier, je ne doute pas que Mme la ministre fera part de vos observations à ses collègues du Gouvernement.
mise en place de la réforme des rythmes scolaires
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 520, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Hervé Maurey. Ma question s’adresse effectivement à M. le ministre de l’éducation nationale, que je remercie de sa présence.
Je voudrais revenir sur la réforme des rythmes scolaires, au terme d’une semaine marquée par les grèves et les manifestations contre sa mise en place et alors que plusieurs sondages révèlent que plus de la moitié des Français la rejettent.
Dans le département de l’Eure, nous étions près de 600 élus devant la préfecture pour exprimer nos inquiétudes quant à cette réforme, alors que nous n’avions envoyé qu’un simple mail pour informer les élus de cette initiative. C’est dire à quel point la mobilisation a été forte ! Ce rassemblement faisait écho à la motion adoptée, sur ma proposition, à l’unanimité moins neuf abstentions, par les maires de l’Eure, réunis en assemblée générale le 5 octobre dernier.
Malgré ce rejet des élus, des enseignants et des parents d’élèves, qui porte essentiellement sur les conditions de mise en œuvre de cette réforme imposée sans aucune concertation, vous semblez, monsieur le ministre, ne pas vouloir entendre la réalité du terrain. Je vais donc tenter de vous la rappeler à nouveau ce matin.
Dans cette affaire, monsieur le ministre, vous vous êtes comporté en parfait jacobin, puisque, sans aucune concertation préalable avec les acteurs concernés – communes, enseignants, parents d’élèves –, vous avez appliqué un principe bien connu qui ne devrait pourtant plus avoir cours : « je décide, vous payez ».
Ce principe, s’il est ancien, est devenu insupportable dès lors que, dans le même temps, les communes voient, pour la première fois de leur histoire, diminuer leur dotation.
Comment financer, avec des ressources moindres, la mise en place des nouveaux rythmes scolaires, qui coûtera de l’ordre de 200 euros par enfant, ce qui est énorme pour une commune ?
Certes, sous la pression des mécontentements, vous avez accepté de prolonger en 2014 l’aide de 50 euros par enfant prévue pour 2013, alors même que vous aviez refusé cette prolongation lorsque je vous l’avais demandée ici même en juin dernier, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Pour autant, le compte n’y est pas ! Au-delà de la question financière, des questions matérielles se posent pour les communes, notamment pour les plus petites d’entre elles. Comment organiser les activités périscolaires quand on ne dispose que des salles de classe ? Comment recruter des personnels compétents pour animer des activités périscolaires seulement trois quarts d’heure par jour, surtout si l’on veut mettre en place autre chose que de la garderie, pour ne pas dire du gardiennage ? Comment, par ailleurs, ne pas évoquer la problématique des maternelles, alors que les conséquences de cette réforme se font particulièrement sentir chez les tout-petits ? Tout cela montre à quel point cette réforme n’a pas été réfléchie.
Par ailleurs – nous le vivons très clairement dans le département de l’Eure –, les services déconcentrés de votre ministère, sans doute par excès de zèle, font peser sur les communes, en matière de calendrier, une pression d’autant plus intolérable qu’elle est en totale contradiction avec les engagements que vous aviez pris devant la Haute Assemblée, le 3 octobre dernier. Vous aviez alors indiqué avoir « donné instruction aux DASEN de ne pas fixer de délai limite pour les communes qui doivent remettre leurs projets de territoire ».
Au point où nous en sommes, monsieur le ministre, je crois qu’il faut retirer cette réforme. Laissez à votre successeur, puisque vous souhaitez vous retirer au Parlement européen, le soin de remettre à plat ce chantier. Il le fera, je l’espère et j’en suis même certain, en montrant un plus grand souci de la concertation que vous.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le sénateur, je vous remercie tout d’abord d’avoir rappelé que vous soutenez cette réforme, parce qu’elle est dans l’intérêt des élèves.
Comme tous ceux, je le crois, qui ont participé aux diverses concertations ayant été organisées depuis trois ans, par mon prédécesseur puis par moi, vous avez compris que, pour apprendre aux enfants à lire, à écrire et à compter, il vaut mieux disposer de cinq demi-journées le matin : leur vigilance est alors maximale.
Il faut rompre avec une mauvaise exception française : nous sommes le seul pays avancé au monde qui ne propose que quatre matinées de classe à ses enfants ; cette situation est d’ailleurs assez récente, puisqu’elle date de 2008.
Vous m’adressez un premier reproche, celui d’agir en jacobin. En réalité, les enseignants me font le reproche inverse… En effet, pour la première fois dans l’histoire de notre République, j’ai permis aux élus locaux, au travers des projets éducatifs de territoire, de travailler avec les services de l’éducation nationale pour définir l’organisation des temps scolaires et des temps éducatifs.
Cette décision est intervenue à la suite de plusieurs semaines de discussions avec l’ensemble des organisations représentatives des élus, qui ont précisément demandé que la réforme ne soit pas appliquée uniformément sur tout le territoire, en ce qui concerne l’organisation non pas du temps scolaire, qui relève de l’éducation nationale, mais du temps périscolaire.
C’est la raison pour laquelle on peut choisir, aujourd’hui, d’organiser ce temps périscolaire pendant une pause méridienne plus ou moins longue, pouvant durer trois quarts d’heure, comme vous l’avez dit, ou une heure et demie, comme l’ont décidé beaucoup de communes. Les élus doivent s’associer aux parents et aux conseils d’école pour définir la meilleure organisation du temps périéducatif.
Reprocher une absence de concertation n’est donc pas juste. D’ailleurs, quand les collectivités locales, par la voix de leurs représentants, nous ont demandé d’aller plus loin pour faciliter la mise en œuvre du temps périscolaire, qui relève de leur responsabilité, en assouplissant, par exemple, les taux d’encadrement ou en finançant, pour la première fois, des activités périscolaires par un fonds d’État ou par des dotations spécifiques pérennes des caisses d’allocations familiales, nous l’avons fait.
Je conçois, bien entendu, que cette réforme, importante, oblige à changer un certain nombre d’habitudes. Elle donne la priorité à nos enfants. L’organisation du temps scolaire obligatoire, dont la durée n’a pas varié, mais qui est désormais mieux réparti sur cinq matinées, incombe à l’éducation nationale. Concernant le temps périscolaire, cette réforme crée certes une obligation pour les élus, mais celle-ci reste morale : il n’y a pas de contrainte. Pour permettre au plus grand nombre d’enfants de bénéficier de ces activités, nous avons mis en place des moyens matériels, en concertation permanente avec les associations d’élus.
Je souhaite que les esprits s’apaisent et que les réalités du dossier soient connues de tous, afin que nous puissions, ensemble, servir l’intérêt des enfants. Je ne doute pas que la très grande majorité des élus, avec le temps, l’aide de l’État et celle des services de l’éducation nationale, voudront servir cette grande cause, qui est celle de notre jeunesse.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Je souhaite tout d’abord remercier M. le ministre de sa réponse, et surtout d’une courtoisie qui n’est pas toujours de règle de la part des membres du Gouvernement… Je tiens à lui en donner acte.
Vous avez affirmé que je soutenais votre réforme : vous n’avez pas dû bien me comprendre, monsieur le ministre, ou alors je me suis mal exprimé, car telle n’est pas du tout ma position.
Sur le fond, je n’ai pas d’avis sur cette réforme. En effet, je ne m’estime pas compétent pour apprécier si elle est bonne ou non pour les enfants, même si les premiers retours qui me parviennent du terrain ne sont pas forcément positifs.
Ce que je conteste, c’est la méthode employée. À plusieurs reprises, nous avons été un certain nombre à demander que la mise en œuvre de cette réforme pendant l’année scolaire 2013-2014 serve d’expérimentation et que l’on en tire toutes les conséquences pour adapter ensuite le dispositif. On pourrait imaginer une mise en place généralisée à la rentrée de 2015, et non pas dès 2014 : nous aurions tous à y gagner. Vous ne voulez pas l’entendre, et je le regrette. Vous refusez d’écouter les élus et les familles. J’ai réuni tous les parents d’élèves de ma commune la semaine dernière : je peux vous assurer qu’ils ne sont pas enthousiasmés par votre réforme !
Je comprends que vous préfériez vous rendre au congrès de l’Association des maires de France jeudi, quand il n’y aura plus grand-monde pour vous houspiller ! Je vous le dis, la colère des élus est grande. En adoptant la politique de l’autruche, en se voilant la face, le Gouvernement va au-devant de nombreux ennuis. Il aurait intérêt à être davantage à l’écoute des élus et des citoyens.
Monsieur le ministre, il y a quelque temps, vous avez déclaré, en substance, que les élus devaient respecter les règles de droit. Vous avez raison mais, de leur côté, les membres du Gouvernement doivent respecter les élus !
Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Conditions d'attribution de la carte du combattant
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l’armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1er juillet 1964 ou en opérations extérieures, présentée par M. Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues (proposition n° 669 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 136, rapport n° 135).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Marcel-Pierre Cléach, auteur de la proposition de loi.
M. Marcel-Pierre Cléach, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux que « la niche parlementaire » du groupe UMP soit aujourd’hui, pour partie, consacrée aux conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants d’Algérie et des opérations extérieures, les OPEX. S’offre ainsi au Sénat l’occasion de réaffirmer son attachement au devoir de mémoire et l’importance que la Haute Assemblée accorde à la reconnaissance des sacrifices consentis par les différentes générations du feu pour servir notre pays.
J’associe à ma démarche mes collègues sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi ainsi que ceux, sur toutes nos travées, qui ont déposé ou cosigné une proposition de loi similaire durant cette législature ou les précédentes. Je souhaite aussi y associer l’ensemble des associations d’anciens combattants, qui luttent incessamment pour que l’on n’oublie pas, et leur rendre hommage.
Vous le savez, mes chers collègues, la carte du combattant fut imaginée à l’origine pour matérialiser la reconnaissance par la nation de la spécificité du sacrifice consenti par ceux qui ont combattu pour la France. Créée par la loi du 19 décembre 1926, cette carte a été attribuée successivement aux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, puis, dès 1952, aux combattants d’Indochine et de Corée. Il aura en revanche fallu attendre la loi du 9 décembre 1974 pour que son bénéfice soit étendu aux anciens d’Afrique du Nord. Enfin, ceux qui ont combattu ou participé à des opérations de maintien de la paix au nom de la politique menée par notre pays sur les différents théâtres d’opérations extérieures furent à leur tour inclus par la loi du 4 janvier 1993.
La carte du combattant ouvre droit à un certain nombre d’avantages qui constituent l’expression d’un droit à réparation. Parmi ces droits figurent la retraite du combattant, l’attribution à partir de soixante-quinze ans d’une demi-part fiscale supplémentaire de quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu, l’attribution de la qualité de ressortissant de l’ONAC, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qualité qui donne droit à certaines aides sociales, la possibilité de souscrire à une rente mutualiste majorée par l’État, le droit de porter la croix du combattant et de faire recouvrir son cercueil d’un drap tricolore.
Vous le savez, parmi tous ces droits, le principal est le versement à partir de l’âge de soixante-cinq ans de la retraite du combattant. Depuis le 1er octobre 2012, son montant s’élève à 668,64 euros par an. Cette retraite n’est pas réversible.
Même si ce montant individuel n’est pas très élevé au regard des sacrifices réels consentis par nos combattants, cela représente pour l’État un effort financier assez important, notamment en période de « vaches maigres ». Cette difficulté budgétaire explique les atermoiements et reports, par tous les gouvernements, d’une ouverture des critères de délivrance de cette carte vers une prise en compte complète des réalités historiques et vers plus d’équité entre les différentes générations du feu.
Selon les chiffres de votre ministère, monsieur le ministre, un peu moins de 1,3 million de retraites du combattant étaient versées au 31 décembre 2011, dont plus de 1 million pour les anciens d’Algérie, et seulement 30 000 au titre des OPEX. Pour l’État, le coût de la retraite du combattant attribuée à ces deux populations d’anciens combattants est, d’après mes calculs, de l’ordre de 705 millions d’euros.
Nous le savons, les critères d’attribution de la carte du combattant ont évolué au fil du temps en vue de tenir compte de la spécificité des différents conflits auxquels la France a participé. Cependant, force est aujourd’hui de constater que cette évolution est insatisfaisante puisque, chaque année, notamment lors du débat budgétaire, resurgit cette question de l’inégalité de traitement entre les différentes générations du feu, dans la mesure où un grand nombre de ceux qui se sont battus pour la France – pour les anciens d’AFN, ce nombre va diminuant au fil des ans – ne peuvent toujours pas prétendre à l’attribution de cette carte. La proposition de loi vise donc à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant, afin de régler cette difficulté à la fois pour notre passé, en acceptant d’inclure les soldats qui ont stationné en Algérie après le 2 juillet 1962, et pour le futur, en élargissant les conditions d’attribution de cette carte à ceux qui sont actuellement déployés en opérations extérieures.
Les anciens combattants ayant participé à la guerre d’Algérie, c’est-à-dire ceux qui ont servi dans ce pays entre le 31 octobre 1954 et le 2 juillet 1962, peuvent aujourd’hui bénéficier de la carte du combattant s’ils remplissent l’une des conditions alternatives mentionnées aux articles L. 253 bis et R. 224 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre : avoir appartenu pendant trois mois à une unité combattante ; avoir appartenu à une unité ayant connu, pendant leur temps de présence, neuf actions de feu ou de combat ; avoir pris part à cinq actions de feu ou de combat ; avoir été blessé ou détenu par l’adversaire.
Surtout, un assouplissement des règles a été accordé, consistant à remplacer le critère de participation au feu par un critère de présence durant la période de conflit, pour tenir compte de la situation spécifique en Afrique du Nord. Ainsi, depuis 2004, la carte du combattant est aussi délivrée aux soldats justifiant de quatre mois de présence en Afrique du Nord avant le 2 juillet 1962, avec ou sans connaissance d’une situation de feu. C’est incontestablement l’avancée la plus significative à ce jour, mais deux demandes importantes des associations d’anciens combattants d’AFN restent encore insatisfaites.
La première revendication, récurrente, porte sur l’autorisation d’attribution de la carte aux combattants ayant servi au moins quatre mois au cours d’une période ayant débuté avant le 2 juillet 1962, mais s’achevant après cette date ; c’est ce que l’on désigne couramment sous le terme de « carte à cheval ».
Vous avez indiqué à plusieurs reprises, monsieur le ministre, être déterminé à entériner cette carte dite « à cheval » dans le projet de budget pour 2014. Le coût annuel de cet élargissement, qui profiterait à quelque 8 000 personnes, est estimé à 5,5 millions d’euros par an. C’est un premier pas important, dont nous ne pouvons que nous féliciter tant est ancienne cette demande des associations d’anciens combattants et, surtout, il nous faut le reconnaître, tant les gouvernements successifs nous ont régulièrement promis de remédier à cette situation pour, in fine, reporter son règlement à l’année suivante...
Le second contentieux important, nous le savons tous, porte sur la période 1962-1964, pour laquelle seuls les titres de reconnaissance de la nation, les TRN, sont accordés. C’est ce pas – important, j’en conviens, mais ô combien nécessaire au regard de l’équité – que je vous propose de franchir aujourd’hui, mes chers collègues, en acceptant d’élargir l’attribution de la carte du combattant aux militaires, principalement des appelés, présents en Algérie jusqu’en 1964.
Pourquoi attribuer cette carte aux anciens d’Algérie jusqu’en 1964 ?
La signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962, décidant un cessez-le-feu dès le 19 mars, devait marquer officiellement la fin du conflit après huit années de combat. La poursuite du processus historique mena à l’indépendance de l’Algérie, qui fut prononcée le 2 juillet 1962. Cette indépendance signait officiellement la fin de la guerre. Or, chacun le sait, il n’en a malheureusement rien été. C’est ainsi qu’il nous a fallu maintenir sur place des troupes destinées au maintien de la paix. La guerre se poursuivit donc sous une autre forme, plus larvée.
À cet égard, nul ne peut nier qu’un risque d’ordre militaire et qu’une insécurité permanente ont régné en Algérie après le 2 juillet 1962 et jusqu’au 1er juillet 1964, date de départ des soldats français. Souvenons-nous en effet de ce cessez-le-feu, qui, loin d’aboutir au retour au calme espéré, vit se poursuivre les combats et massacres, lesquels redoublèrent même souvent de violence ! Les principales victimes en furent les pieds-noirs et les harkis, touchés par les représailles du FLN. Les luttes pour le pouvoir entre factions du FLN feront également couler beaucoup de sang. Quant à l’OAS, refusant les accords d’Évian, elle continuera sa guerre et multipliera les attentats.
Parmi les 80 000 soldats français restés sur place jusqu’en juillet 1964, plus de 500 ont été tués durant ces opérations dites de « maintien de la paix ». On reconnaît bien mal aujourd’hui le mérite de ces militaires. En quoi serait-il donc immérité pour ces anciens de se voir enfin remettre la carte du combattant en reconnaissance de leurs actions sur ce théâtre d’opérations ?
J’entends dire régulièrement – je comprends ces propos – que, l’indépendance de l’Algérie ayant été prononcée le 2 juillet 1962, la guerre était alors terminée et que l’attribution de la carte du combattant n’aurait plus lieu d’être après cette date. Mais peut-on parler d’une situation de fin de guerre, alors que 534 militaires ont officiellement été reconnus « Morts pour la France » après le 2 juillet 1962, c’est-à-dire au cours de ces deux années qui suivirent la promulgation de l’indépendance, période qui nous occupe aujourd’hui ?
Cette date de fin de guerre, c’est une réalité juridique, mais, selon moi, c’est une réalité de papier et non de terrain. C’est pourquoi il est cohérent, à partir du moment où les troupes françaises sont restées en Algérie bien au-delà de cette date et où beaucoup ont laissé leur vie dans ce pays, de prendre en compte l’ensemble de la période pour l’attribution de la carte du combattant.
J’appelle aussi votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la loi du 9 décembre 1974 a ouvert de façon commune aux militaires qui servirent la France au Maroc, en Tunisie ou en Algérie la qualité de combattants jusqu’au 2 juillet 1962, sans distinguer entre le Maroc et la Tunisie, indépendants respectivement depuis le 2 mars 1956 et le 20 mars 1956, et l’Algérie, indépendante depuis juillet 1962. Ainsi, les soldats ayant combattu au Maroc et en Tunisie peuvent obtenir la carte du combattant s’ils y étaient présents dans une période courant jusqu’à six ans après l’indépendance. En revanche, cette carte n’est plus accessible aux anciens combattants d’Algérie à compter du jour de l’indépendance de ce pays.
Cette actuelle iniquité de traitement s’explique uniquement par le fait que la France, faisant abstraction de la réalité historique, a décidé de retenir la seule date du 2 juillet 1962 pour fixer la fin de la période d’attribution de la carte du combattant, alors que ces soldats ont servi sur trois territoires différents : Maroc, Tunisie, Algérie. Il en résulte une rupture d’égalité entre des soldats appartenant à une même génération du feu, ceux présents en Algérie après son indépendance étant indéniablement victimes d’une injustice flagrante au regard des autres combattants d’Afrique du Nord, ceux du Maroc et de Tunisie. J’ajouterai que la loi de 1999, qui a qualifié de « guerre » les seules opérations d’Algérie, contrairement aux opérations du Maroc et de Tunisie, qualifiées de « combat », rend encore plus incompréhensible cette différence de traitement.
Je souhaite relever une dernière aberration : si la carte du combattant est refusée aux militaires français présents en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964, le TRN et la médaille commémorative leur sont cependant attribués, ce qui est une reconnaissance implicite du risque militaire existant durant cette période. Pourquoi, dans ces conditions, leur refuser la carte du combattant ?
C’est pour cet ensemble de raisons que les anciens combattants d’Algérie sollicitent depuis longtemps l’attribution de la carte du combattant aux militaires français ayant participé à la guerre d’Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 1er juillet 1964 dans les conditions de durée définies par la loi de finances de 2004, c’est-à-dire quatre mois de présence sur le territoire algérien. À l’évidence, la date butoir du 2 juillet 1962 est inadaptée, car fictive. Cette vieille demande d’élargissement des critères d’attribution de la carte à ceux qui ont servi la France en Algérie de juillet 1962 à juillet 1964, en risquant leur vie dans les zones d’insécurité, m’apparaît légitime. L’équité nous commande, me semble-t-il, de réparer cette injustice en acceptant enfin de tenir compte de la réalité historique, qui balaie l’argutie juridique.
J’en viens maintenant à la seconde proposition contenue dans ce texte, à savoir l’élargissement des conditions d’attribution de la carte du combattant aux OPEX, par l’introduction d’un nouveau critère : une durée de services d’au moins quatre mois, consécutifs ou non, sur le théâtre considéré. Cette proposition me paraît parfaitement logique et objective puisqu’il s’agit de transposer aux conflits contemporains le critère retenu pour les conflits nord-africains.
Vous le savez, mes chers collègues, en l’absence de texte spécifique, les critères initialement retenus pour la délivrance de la carte du combattant aux OPEX sont ceux de l’AFN, que j’ai déjà rappelés. Néanmoins, conscients que ces critères ne sont guère aptes à rendre compte des activités d’interposition, de rétablissement ou de maintien de la paix ou bien de formation au combat d’unités locales, qui constituent désormais l’essentiel des opérations des forces françaises, les pouvoirs publics ont fait évoluer les textes pour prendre en compte cette nouvelle réalité. Tel est l’objet du décret du 12 novembre 2010, qui a pour partie corrigé ce décalage, en introduisant la notion de danger caractérisé au cours d’opérations militaires.
Reste que ces conditions sont encore inadaptées et restrictives. Certaines OPEX, parmi les plus anciennes, comptant jusqu’à huit opérations, dans des conditions tout aussi risquées que celles d’AFN, n’ont pas ouvert la possibilité d’obtenir la carte du combattant. Ainsi, sur 220 000 TRN cumulés délivrés en 2010, seuls 40 000 ont débouché sur une carte du combattant. L’une des difficultés concerne les personnels détachés auprès des armées alliées, auxquels la carte du combattant ne peut être attribuée qu’à titre individuel, pour une citation ou une blessure, ou bien sur décision du ministre, dans la mesure où le service historique de la défense n’est pas compétent dans un tel contexte pour attribuer la qualification d’unité combattante. Plus largement, continuer à se fonder sur cette notion d’unité combattante serait faire montre d’une grande méconnaissance de l’actuel fonctionnement de notre armée : les unités partent rarement au complet en OPEX et nombreux sont nos soldats détachés auprès d’autres unités françaises ou auprès d’unités d’autres pays.
Outre leurs caractères inadaptés, ces critères sont aussi source d’inégalités dans la mesure où la qualification d’unité combattante n’est pas attribuée de la même manière dans toutes les armées. Sur un bâtiment de la marine nationale, tous les membres d’équipage obtiendront la carte du combattant, si leur navire est qualifié. En revanche, dans l’armée de terre, seules les unités de mêlée sont appelées à obtenir les actions de feu et de combat nécessaires à cette qualification, alors même que les unités de soutien partagent les mêmes risques et séjournent dans un environnement tout aussi dangereux. On peut y voir une rupture d’égalité non seulement entre les combattants de deux armées différentes, mais aussi entre ceux d’une même armée.
L’introduction de ce nouveau critère aux soldats déployés en OPEX permettrait de tenir compte du contexte d’insécurité permanente que peuvent connaître nos troupes, par exemple à l’occasion de leurs engagements en Afghanistan ou au Mali. Je profite d’ailleurs de l’opportunité qui m’est offerte aujourd’hui pour rendre hommage à ces militaires : plus de 600 d’entre eux ont été tués en opérations extérieures depuis 1962, dont 88 pour l’Afghanistan, ce qui en fait le théâtre le plus meurtrier depuis la guerre d’Algérie. Dans ces contextes de guérilla permanente, nos soldats doivent aussi faire face à de nombreuses attaques suicides. Rappelons-nous le tragique attentat du Drakkar, le 23 octobre 1983 à Beyrouth, qui a tué 58 militaires français.
Voilà pourquoi l’article 2 de notre proposition de loi prévoit d’aligner les modalités d’attribution de la carte du combattant aux OPEX sur les conditions retenues pour les anciens d’AFN. Cette unification des conditions d’attribution de la carte, gage d’objectivité, placerait les OPEX à égalité de droits avec les précédentes générations et permettrait d’inscrire dans la loi une réelle égalité entre elles. Cet alignement serait également source de simplification et, à terme, d’économie. Il permettrait aussi de s’affranchir de la demande par dérogation qui reste compliquée à mettre en œuvre et de rendre plus objective cette procédure d’attribution. Dès lors, la validation par la commission nationale de la carte du combattant serait davantage destinée à statuer sur des recours ou des cas litigieux.
Reste bien évidemment la question du coût financier de cet alignement. Pour des raisons tenant à la fois à la démographie des forces en jeu et à l’étalement dans le temps des conséquences financières de cet alignement, le coût de cette disposition pour les finances publiques devrait être faible.
À la fin de l’année 2012, le nombre de cartes du combattant attribuées au titre des OPEX était de 54 000, soit à peine plus de 3 % de l’ensemble des cartes du combattant. De surcroît, cela ne donnait lieu qu’au versement de quelque 30 000 retraites du combattant. En effet, cette retraite n’est accessible qu’à partir de soixante-cinq ans, âge qui ne concerne que peu d’OPEX actuellement, puisque l’âge moyen des soldats déployés en OPEX est aujourd’hui de vingt-cinq à trente ans. Cette mesure n’aurait donc pas d’impact immédiat pour nos finances publiques.
À terme, lorsque les OPEX seront en âge de toucher leur retraite du combattant, d’une part, leur effectif sera moins important que celui des actuels bénéficiaires et, d’autre part, il est fort probable que les bénéficiaires actuels, essentiellement des anciens d’Algérie, auront laissé leur place. Au vu des données qui m’ont été communiquées, le solde devrait être favorable. Ne serait-il pas légitime qu’une partie des économies réalisées à la suite de la disparition des générations anciennes revienne à la quatrième génération du feu ? En outre, le coût des autres prestations de reconnaissance ouvertes par la carte du combattant devrait être extrêmement réduit, dans la mesure où les OPEX, déjà titulaires du TRN, en sont souvent déjà bénéficiaires.
Nos soldats défendent notre sécurité, nos libertés, nos valeurs. Ils ont droit au respect et à la reconnaissance de la nation, eux qui se sont battus et se battent encore pour elle. Cette reconnaissance de la nation envers les anciens combattants, nous en convenons tous, doit être constante, tant pour entretenir la mémoire de leurs actions que pour permettre une garantie et une gestion de leurs droits.
Cinquante ans après la fin de la guerre en Algérie, la France s’honorerait si elle réglait définitivement cette question des conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants d’Algérie,...
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Marcel-Pierre Cléach. ... en adoptant une attitude responsable et équitable...
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. ... vis-à-vis de ceux de nos concitoyens qui l’ont servie durant cette période douloureuse de notre histoire, qui, malheureusement, ne s’acheva ni le 19 mars ni le 2 juillet 1962.
Les anciens combattants d’Algérie ont le sentiment que les pouvoirs publics jouent la montre. Cinquante ans après la fin de cette guerre, vous avez le pouvoir, monsieur le ministre, de clore dignement le dossier, car, nous le reconnaissons tous – vous aussi, je le sais –, la République a une dette vis-à-vis de ceux qui ont combattu pour la France. Aussi, malgré les réelles difficultés budgétaires que traverse notre pays et au vu de certaines dépenses agréées par le gouvernement auquel vous appartenez – pardonnez-moi d’être un peu polémique, mais je pense par exemple à la suppression du jour de carence dans la fonction publique –, il serait assez incompréhensible à leurs yeux, comme à ceux de beaucoup d’entre nous, que les anciens combattants puissent faire office de variable d’ajustement.
Quant à l’élargissement des conditions d’attribution de la carte aux OPEX, nous l’avons vu, il ne représente pas un problème budgétaire. Ne serait-il pas préférable de régler la question en amont, en simplifiant de surcroît le processus d’attribution, plutôt que de se voir englués ultérieurement de nouveau par une difficulté similaire à celle que nous connaissons pour les anciens d’Algérie ? À l’heure où ces soldats sont engagés pour défendre nos valeurs et notre politique et où l’on déplore des morts dans leurs rangs, les placer à égalité avec les générations précédentes serait, me semble-t-il, une façon pertinente de leur adresser un signal fort de l’attention que nous leur portons.
La reconnaissance par un texte législatif d’une égalité de traitement entre les différentes générations du feu serait un beau geste qui honorerait le gouvernement auquel vous appartenez et s’inscrirait dans le prolongement de la loi, votée à l’unanimité, faisant de la date du 11 novembre une journée d’hommage à tous les morts pour la France.
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. Serait ainsi inscrite explicitement dans notre législation une totale égalité entre toutes les générations du feu, tant sur le plan mémoriel qu’en matière de reconnaissance de leurs droits.
Je ne doute donc pas, monsieur le ministre, que vous aurez à cœur de faire prospérer cette proposition de loi, et ce d’autant plus qu’elle est très voisine de celle qu’a déposée au Sénat, le 17 avril 2008, M. Jean-Pierre Masseret pour le groupe socialiste, M. Masseret dont je rappelle qu’il vous a précédé avec talent dans les fonctions que vous exercez aujourd’hui. Voilà qui renforce la qualité de la proposition de loi, qui semble faire l’unanimité, à moins que les vents aient changé depuis l’élection de M. Hollande. (Applaudissements sur les travées de l'UMP)
Mme Isabelle Debré. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc Laménie, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’aube d’un cycle commémoratif sans précédent, celui du centenaire de la Première Guerre mondiale, qui mettra à l’honneur le sacrifice de la première génération du feu, la proposition de loi déposée par notre collègue Marcel-Pierre Cléach vient nous rappeler que la reconnaissance de la nation envers les lointains héritiers des poilus n’est pas pleine et entière. Ce texte vise donc à corriger deux inégalités qui touchent certains anciens d’Algérie et les soldats qui ont participé à des opérations extérieures en matière d’attribution de la carte du combattant.
La troisième génération du feu, celle de l’Afrique du Nord, est construite autour d’une génération entière de Français. Qui parmi nous n’a pas un parent ou un proche qui, appelé ou militaire de carrière, a servi en Algérie ?
Quant aux OPEX, elles constituent désormais la principale forme d’intervention de l’armée française à l’extérieur de notre territoire, le plus souvent en application de nos engagements internationaux. Conformément à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, à des décisions du Conseil de l’Union européenne ou dans le cadre de l’OTAN, 8 500 femmes et hommes étaient déployés dans le monde au 1er octobre dernier, principalement au Mali, au Liban et en Afghanistan. Ce sont eux qui forment la quatrième génération du feu.
La carte du combattant a été mise en place au lendemain de la Première Guerre mondiale, en 1926, sur l’initiative de deux grands hommes d’État, dont il est bon de rappeler l’action : André Maginot, connu pour son engagement en faveur du monde combattant, et Paul Painlevé, alors ministre de la guerre. Elle s’inscrit dans le mouvement de reconnaissance d’un droit à réparation pour ceux qui ont servi la nation au combat, qui a pris naissance dès les premiers mois du conflit.
La carte est créatrice de droits pour ses titulaires. Le plus important d’entre eux est le versement, à partir de l’âge de soixante-cinq ans, de la retraite du combattant, dont le montant annuel s’élève à l’heure actuelle à 668,64 euros. Instituée par notre illustre prédécesseur dans cette assemblée, Auguste Champetier de Ribes en 1930, alors qu’il occupait le portefeuille des pensions, elle est étroitement liée à la qualité d’ancien combattant. Elle n’est donc pas réversible. Elle est attribuée, sous certaines conditions, dès soixante ans, notamment aux bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou de l’allocation aux adultes handicapés, ainsi que dans les départements d'outre-mer.
Une demi-part fiscale est accordée à son détenteur à partir de soixante-quinze ans et celui-ci peut également se constituer une rente mutualiste majorée par l’État, sujet d’actualité en raison des récentes initiatives du Gouvernement.
La carte confère aussi aux anciens combattants la qualité de ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qui a été créé en même temps que la carte du combattant et qui joue un rôle important sur l’ensemble de nos territoires. Elle ouvre donc accès à ses prestations d’aide sociale. Sa mission est, selon ses textes fondateurs, de « veiller sur les intérêts moraux et matériels des combattants ». Je sais que nous y sommes toutes et tous ici très attachés, car nous mesurons au quotidien la qualité du travail des agents au service du monde combattant.
Enfin, reconnaissance symbolique, le cercueil du titulaire de la carte peut être recouvert du drapeau tricolore.
Sur un plan administratif, les demandes d’attribution doivent être établies auprès des services départementaux de l’ONAC, sur la base de l’état des services accomplis. Après instruction et vérification auprès des archives du ministère de la défense, ce qui suppose un long travail de recherche et de prospection, le dossier est soumis à la commission nationale de la carte du combattant, composée majoritairement de représentants des anciens combattants. La décision finale est prise par le directeur général de l’ONAC.
Au total, on peut estimer à 1,3 million environ le nombre de titulaires de la carte du combattant dans notre pays, alors que 1,2 million de retraites du combattant seront versées en 2013. Le plus gros contingent est bien évidemment formé des anciens combattants de la guerre d’Algérie puisque 1,3 million d’appelés et rappelés y ont servi, avec beaucoup de dévouement, aux côtés de plusieurs centaines de milliers d’engagés volontaires, de supplétifs et de membres des forces de l’ordre.
Si la législation actuelle proclame l’universalité de la reconnaissance de la République envers les anciens combattants et l’égalité la plus stricte entre eux, les critères d’attribution de la carte du combattant ne sont plus adaptés aux réalités des conflits actuels et ne sont donc pas fidèles à ces principes.
Les deux premières générations du feu, celles des deux conflits mondiaux, ont pour la plupart connu des formes d’affrontements classiques : une guerre de position ou de mouvement avec un front et un adversaire clairement identifié. Il s’agit d’une situation différente de celle à laquelle ont été confrontées la troisième et la quatrième génération du feu, en Algérie ou en OPEX.
L’attribution de la carte du combattant leur a été progressivement étendue. Il a toutefois fallu attendre 1974 pour les soldats ayant participé aux « opérations effectuées en Afrique du Nord » entre 1952 et 1962, et 1993 pour les anciens des OPEX. Il faut surtout se souvenir que ce n’est que par l’adoption de la loi du 18 octobre 1999 qu’a officiellement été reconnu aux opérations en Algérie le caractère de « guerre ».
Concernant l’Afrique du Nord, plusieurs conditions alternatives ont longtemps cohabité, principalement l’appartenance, pendant au moins trois mois, à une unité combattante ; l’appartenance à une unité ayant connu neuf actions de feu ou de combat ; la participation à cinq actions de feu ou de combat. De plus, les blessés de guerre, les soldats ayant reçu une citation individuelle ainsi que ceux qui ont été détenus en méconnaissance des conventions de Genève ont été considérés comme combattants.
Sur ces bases, les anciens combattants ont rencontré d’importantes difficultés pour faire valoir leurs droits, et de nombreuses inégalités de traitement ont été relevées. En effet, la caractérisation des unités combattantes et des actions de feu ou de combat revient au service historique de la défense, le SHD, qui, avec beaucoup de professionnalisme, s’appuie sur les journaux des marches et opérations des unités concernées. Ces derniers, souvent lacunaires, voire manquants, correspondent rarement à ce que les soldats ont vécu sur le terrain. Les éplucher exhaustivement et les exploiter correctement représente une tâche immense.
Pour répondre à ce problème, le législateur a défini, dans la loi de finances pour 2004, un nouveau critère reconnu comme équivalant à la participation aux actions de feu ou de combat : une durée de quatre mois de présence en Algérie, au Maroc ou en Tunisie jusqu’au 2 juillet 1962. Cette simplification, demandée de longue date par les représentants du monde combattant, était évidemment indispensable. Elle ne permet toutefois pas de prendre en compte l’ensemble des soldats, appelés ou militaires de carrière, ayant servi en Algérie et ayant été exposés au danger. En effet, 305 000 hommes se trouvaient encore en Algérie à la date de l’indépendance. Les accords d’Évian prévoyaient le maintien sur place, pour une durée de deux ans, d’un important contingent : encore 131 000 hommes en janvier 1963 et 50 000 un an plus tard, avant un retrait qui eut lieu en juillet 1964. Ces chiffres ne manquent pas de nous interpeller.
Des troupes françaises étaient encore présentes en Algérie après cette date, mais dans un autre cadre ; elles n’entrent donc pas dans le champ de la proposition de loi.
Durant cette période, plusieurs dizaines de soldats français sont décédés et ont été reconnus morts pour la France. Leurs compagnons d’armes ne peuvent pas aujourd’hui bénéficier de la carte du combattant. Ils peuvent uniquement prétendre au titre de reconnaissance de la nation, qui n’ouvre pas les mêmes droits et n’a pas la même portée symbolique, comme l’a rappelé notre collègue Cléach. C’est la raison pour laquelle l’article 1er de la proposition de loi étend jusqu’au 2 juillet 1964 la borne temporelle prise en compte pour le calcul des cent vingt jours de présence rendant éligible à la carte du combattant.
Le Gouvernement a introduit dans le projet de loi de finances pour 2014 une mesure intermédiaire : la carte « à cheval », c’est l’expression consacrée, soit l’attribution de la carte du combattant aux personnes dont le déploiement en Algérie a commencé avant le 2 juillet 1962, mais s’est achevé après cette date. À mes yeux – ce sentiment est partagé par plusieurs de mes collègues –, si elle satisfait une partie des demandes légitimes du monde combattant sur ce point, cette mesure ne les prend pas en compte dans leur intégralité, contrairement à ce que prévoit l’article 1er de la proposition de loi.
J’en viens maintenant aux OPEX.
Depuis la loi du 4 janvier 1993, les militaires ayant participé aux opérations extérieures ont vocation à recevoir la carte du combattant selon les mêmes critères de droit commun que pour la guerre d’Algérie. En revanche, le critère tenant aux quatre mois de présence ne leur est pas applicable.
Le critère central, celui de la participation à des actions de feu ou de combat, est particulièrement inadapté aux activités des unités en OPEX. Ne combattant pas un ennemi clairement identifié sur une ligne de front, mais assurant la plupart du temps des missions de maintien de la paix ou de protection des populations, les soldats français servant à l’étranger ne peuvent souvent pas faire état d’un nombre suffisant d’actions de feu ou de combat pour recevoir la carte, alors même que leur mission est extrêmement dangereuse, comme l’a rappelé Marcel-Pierre Cléach.
Il a fallu attendre un décret du 12 novembre 2010 pour qu’une définition de ces actions, plus adaptée aux réalités des OPEX, soit établie : sont désormais prises en compte les actions de combat et les actions qui se sont déroulées « en situation de danger caractérisé ».
Un arrêté est venu fixer la liste des actions concernées, qui sont celles rencontrées en OPEX. Ce sont, par exemple, les très complexes opérations de rétablissement de l’ordre, de déminage, de contrôle d’une zone terrestre, aérienne ou maritime, ou encore d’évacuation sanitaire. En conséquence, le nombre de cartes du combattant attribuées au titre des OPEX est en forte progression puisqu’il est passé de 3 650 en 2011 à 8 900 en 2012 et devrait s’établir, pour 2013, à plus de 11 000. Je tiens à saluer sur ce point l’action volontariste du Gouvernement, qui a d’ores et déjà qualifié d’unités combattantes toutes les unités de l’armée de terre qui ont été engagées en Afghanistan et au Mali.
Toutefois, en dehors de ces deux cas récents, les critères complexes de qualification des unités obligent le service historique de la défense à mener un travail de recherche très long, sur la base de sources parfois peu fiables. La procédure dure parfois jusqu’à dix ans. Des inégalités de traitement entre OPEX et entre les trois armées selon la qualité des archives conservées et la capacité à les exploiter sont à déplorer. Le problème est le même que celui qui existait pour la guerre d’Algérie avant 2004.
Il faut savoir que, pour remplir cette tâche immense, le service historique de la défense ne dispose que de cinq personnes. C’est pourquoi l’article 2 de la proposition de loi de Marcel-Pierre Cléach et ses collègues tend à consacrer dans la loi, comme c’est le cas depuis 1974 pour les anciens combattants d’Algérie, la plus stricte égalité entre la quatrième génération du feu et celles qui l’ont précédée. Cette déclaration de principe est loin d’être inutile. Le texte vise également à transposer le critère des quatre mois de service requis pour obtenir la carte du combattant aux soldats ayant servi en OPEX.
Soyons objectifs, la proposition de loi ne s’inscrit ni en rupture avec l’action des différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ni avec celle des parlementaires, et ce quelle que soit leur sensibilité politique. Nous sommes en effet toutes et tous concernés par cette question. Ainsi, tous les membres du groupe socialiste du Sénat avaient cosigné, le 17 avril 2008, une proposition de loi de notre ancien collègue Jean-Pierre Masseret visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964,…
M. Philippe Bas. Excellent !
M. Marc Laménie, rapporteur. … qui est identique à l’article 1er du texte qui est aujourd’hui soumis à notre assemblée.
Si des progrès considérables ont été réalisés depuis dix ans, il reste un important travail à mener en ce qui concerne l’effectivité du droit à réparation, un enjeu souvent évoqué dans cet hémicycle. Il faut poursuivre ce mouvement, en particulier en direction de celles et ceux qui ont participé aux OPEX. Notre collègue a rappelé le nombre de soldats décédés ces dernières années, chiffres qui nous interpellent.
Cette génération du feu est bien distincte des précédentes, par sa sociologie comme par ses effectifs. Elle n’en est pas pour autant moins digne de la reconnaissance de la nation que celles des combattants des guerres mondiales ou de la guerre d’Algérie. On peut donc se féliciter de la volonté, exprimée récemment par M. le ministre devant la commission des affaires sociales, de poursuivre la construction du monument aux morts en OPEX à Paris, place Vauban, engagée sous la précédente majorité. Il s’agit d’un geste symbolique fort en direction de la quatrième génération du feu, de ceux qui sont revenus d’OPEX blessés dans leur chair ou dans leur âme.
Bien qu’aucun conflit ne soit similaire au précédent, on peut dire, pour reprendre les mots de notre ancien collègue André Morice lors de la discussion, dès 1968, d’une proposition de loi sénatoriale visant à attribuer la carte du combattant aux anciens d’Algérie, que « le seul point commun qu’ils partagent tous est marqué par les souffrances qu’endurent ceux qui les vivent ». Face aux réticences des gouvernements d’alors, il fallut encore attendre six ans pour qu’ils puissent recevoir la carte. Ne répétons donc pas aujourd’hui les errements malheureux d’hier. Le Sénat, qui adopta cette proposition de loi par deux cent quarante-deux voix contre trois, s’était alors fait le défenseur de l’égalité entre les générations du feu. Il peut aujourd’hui, à nouveau, avoir ce privilège.
L’examen de la proposition de loi par la commission des affaires sociales a donné lieu la semaine dernière à un long débat, passionné et passionnant, nourri d’interventions de qualité, durant lequel chaque groupe politique représenté a pu faire valoir son point de vue non seulement en toute objectivité, mais aussi avec cœur et passion. Il a démontré notre attachement au devoir de mémoire qu’entretiennent au quotidien tant de bénévoles et porte-drapeaux, présents en toutes circonstances, au sein des associations patriotiques ou de mémoire, pour lesquelles nous avons toutes et tous ici beaucoup de respect et de reconnaissance.
Les différents témoignages des membres de la commission des affaires sociales ont enrichi notre réflexion et souligné la complexité du thème abordé par ce texte. Les divergences se sont cristallisées sur l’article 1er, ce qui démontre encore une fois que, même si le temps passe, les plaies de la guerre d’Algérie ne sont toujours pas parfaitement cicatrisées. En revanche, les mesures concernant les OPEX ont reçu un assentiment plus large.
À l’issue de son débat, la commission, à mon grand regret, n’a pas adopté la proposition de loi. La discussion portera donc sur le texte de la proposition de loi déposé sur le bureau du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez l’attachement que je porte, comme vous tous, à la reconnaissance et à l’accompagnement qui sont dus à ceux qui ont combattu pour la France. Au-delà des clivages partisans, nous devons être à la hauteur des attentes.
Monsieur Cléach, je ne sais s’il y a eu un vent nouveau sous la présidence de François Hollande. Toujours est-il que la décision de créer un ministère et non plus un secrétariat d’État des anciens combattants,…
M. Robert Tropeano. Très bien !
M. Kader Arif, ministre délégué. … ce qui assure ma présence à tous les conseils des ministres, est un signe positif pour l’ensemble des associations combattantes de notre pays.
La proposition de loi sur laquelle le Sénat doit aujourd’hui se prononcer vise à étendre les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants d’Algérie et à ceux ayant combattu en opérations extérieures. Cette discussion me donne l’occasion de m’exprimer à nouveau sur le sujet. En effet, comme je l’ai déjà indiqué lors des débats budgétaires, je considère, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’attribution de la carte du combattant constitue l’un des fondements de la politique que doit mener le ministère dont j’ai la charge. D’ailleurs, vous le savez, c’est l’une de mes priorités.
Le texte que vous proposez, monsieur le sénateur, concerne deux publics distincts, deux générations du feu. Cependant, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je tiens toujours à considérer, en particulier dans le cycle mémoriel qui est devant nous, que les différentes générations, au-delà de leurs singularités, s’inscrivent en fait dans une même continuité, celle de l’engagement de nos soldats pour la France.
La proposition de loi aborde en premier lieu le cas des militaires français engagés en Algérie, soit près de 2 millions de personnes, militaires de carrière, appelés ou supplétifs.
Vous proposez d’attribuer la carte du combattant à tous les militaires présents en Algérie jusqu’au 1er juillet 1964. En conséquence, une question se pose : quel sens aurait alors la date du 2 juillet 1962, date de la fin de la guerre d’Algérie ?
Mme Gisèle Printz. Eh oui !
M. Kader Arif, ministre délégué. Certes, et nous pouvons le regretter tout en en ayant pleinement conscience, un état d’insécurité et de violence a longtemps persisté. C’est précisément pour cette raison que le titre de reconnaissance de la nation est attribué à tous ceux qui justifient d’une présence jusqu’en 1964. Ne considérons pas que cette disposition ne serait que symbolique puisqu’elle rend son détenteur ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ouvrant notamment droit au bénéfice de l’aide sociale et permettant de cotiser à la rente mutualiste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens à la date du 2 juillet 1962, à son importance symbolique et au tournant qu’elle incarne. Vous avez été nombreux, une majorité, dans les différents groupes de cette chambre, à voter en faveur de la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie. Par ce geste fort, vous avez soutenu la reconnaissance de cette date clé, qui fut celle du cessez-le-feu et qui trouva son aboutissement quelques mois plus tard avec la déclaration d’indépendance.
Attribuer aujourd’hui la carte du combattant sans distinction à tous les militaires présents en Algérie jusqu’en 1964 créerait, à mes yeux, une véritable confusion, qu’il nous faut, me semble-t-il, éviter. Je n’ai pas de conseils à vous donner, ce serait prétentieux et mal venu, mais je crois qu’il serait de bon ton que nous soyons cohérents dans les choix opérés.
Vous soulignez par ailleurs, à juste titre, monsieur Cléach, que des militaires français ont trouvé la mort en Algérie après le 2 juillet 1962, preuve de l’insécurité qui y régnait encore, même si – les mots ont un sens – cette insécurité inacceptable et parfois innommable n’est pas comparable à un état de guerre. En outre, il m’est affirmé que la plupart de ces décès ont eu lieu dans l’immédiat après-2 juillet 1962, dans les semaines ou les mois qui ont suivi. Or la proposition que j’ai introduite dans mon budget pour 2014 prend en compte cette période. En effet, la carte du combattant sera désormais accessible à tous ceux qui totalisent cent vingt jours de présence sur le territoire algérien, dès lors qu’au moins un jour a été effectué avant le 2 juillet 1962.
Couvrir cette période dite « à cheval » sur le 2 juillet 1962, en proposant une réelle flexibilité tout en confortant cette date comme référence, telle était ma priorité, tel était mon engagement, dictés avant tout par les demandes des anciens combattants eux-mêmes et par leurs représentants et associations, tant sur le plan local que national. Aujourd’hui, cette demande a été entendue, satisfaite. L’engagement que j’ai pris ici devant vous il y a un an a été tenu. Cette mesure permettra d’augmenter significativement les délivrances de cartes du combattant pour ce conflit puisque 8 400 personnes sont potentiellement concernées. Je rappelle qu’elle entrera en vigueur non pas en juillet 2014 mais dès le 1er janvier 2014, pour un coût annuel de 5,5 millions d’euros.
Par ailleurs, je tiens à souligner que le coût que représenterait une extension des critères jusqu’en 1964 serait de l’ordre de 33 millions d’euros pour 50 000 personnes concernées.
Dans une situation que j’estime apaisée – peut-être à tort, mais que je souhaite en tout cas qu’elle le soit –, j’ai voulu mener avec vous, en toute transparence, une discussion sur le fond avec la volonté de pouvoir aboutir. C’est pourquoi, je vous le dis, le Gouvernement est défavorable au premier volet du texte que vous présentez.
J’en viens maintenant au second volet, celui de l’extension à toutes les opérations extérieures du critère de quatre mois de présence pour bénéficier de la carte du combattant.
Cette réflexion est totalement légitime. Elle s’inscrit notamment dans le contexte de l’évolution globale des missions de nos armées et de la nécessaire prise en compte des conditions dans lesquelles nos militaires, à qui il faut rendre hommage, exercent ce qui est désormais leur métier. C’est pourquoi un travail approfondi a été mené pour adapter les textes à cette nouvelle réalité. Le décret et l’arrêté du 10 décembre 2010 ont ainsi revu très largement la définition des unités combattantes, afin de prendre en compte par exemple les contrôles de zone, les interventions sur engins explosifs, les opérations de sauvetage et les actions de renseignement. La liste, qui couvre chacune des trois armées, permet d’établir des critères totalement adaptés aux conflits contemporains.
Dans la même logique, l’arrêté du 28 juin 2012 a permis d’élargir la liste des opérations extérieures ouvrant droit à la carte du combattant, afin de couvrir notamment plusieurs missions des Nations unies. Un nouvel arrêté a été publié encore très récemment, le 30 octobre 2013, afin que soient étudiées par le service historique de la défense de nouvelles périodes d’engagement en opérations extérieures. Ce texte permettra notamment l’examen de l’opération Atalante de décembre 2008 à décembre 2013, de l’opération Trident au Kosovo entre janvier 2012 et décembre 2013, de l’opération Daman au Liban jusqu’en août 2014, de l’opération Harmattan ou encore de l’opération Épervier au Tchad entre janvier 2010 et décembre 2013. J’ajoute qu’un article 34 a été intégré à la loi de programmation militaire. Il permet de simplifier les procédures en supprimant cette étape de mise à jour par décret des opérations pouvant être examinées par le service historique de la défense.
Ce sont donc, et vous le noterez bien, désormais toutes les opérations extérieures qui sont reconnues comme ayant de fait vocation à ouvrir droit à la carte du combattant.
Ces débats sur les procédures peuvent sembler techniques, mais je tiens à souligner les conséquences très concrètes de ces évolutions législatives : c’est l’augmentation exponentielle du nombre de cartes du combattant attribuées, que je tiens à vous rappeler. Elles étaient en effet de 3 600 en 2011 au titre des OPEX, de 8 900 en 2012, soit une augmentation de 147 %. Sur les six premiers mois de 2013, déjà plus de 7 000 cartes ont été attribuées, avec un total attendu de 13 000 cartes pour l’année 2013. En 2014, avec les 8 400 nouveaux titulaires au titre de l’Algérie, nous atteindrons donc les 20 000 cartes du combattant attribuées.
Derrière chacune de ces cartes, il y a un soldat qui s’est engagé hier et qui est reconnu aujourd’hui, un soldat qui sera l’ancien combattant de demain et qui portera les valeurs du monde combattant – valeurs que nous partageons – comme l’ont fait ses aînés avant lui. Ce sont eux qui sont la relève, et nous les prenons pleinement en compte.
Ce n’est donc pas par hasard que l’ensemble des unités engagées en Afghanistan et au Rwanda ont été reconnues comme combattantes par l’arrêté du 20 septembre dernier.
Ce n’est pas par hasard que, en 2011 et 2012, 90 % des 34 000 militaires projetés en OPEX qui remplissaient les conditions pour obtenir le titre de reconnaissance de la nation ont aussi obtenu la carte du combattant.
Ce n’est pas par hasard que la somme de 1 million d’euros a été dégagée sur le prochain budget pour financer les prothèses de dernière génération pour nos militaires blessés, ce qui est une première !
Ce n’est pas par hasard que nous avons maintenu le financement de 1 million d’euros pour le monument dédié aux opérations extérieures, place Vauban à Paris.
Enfin, ce n’est pas par hasard que, grâce à la volonté de Jean-Yves Le Drian, la prise en charge du syndrome post-traumatique est devenue une priorité. J’ai eu l’occasion de le souligner lorsque je me suis rendu à Beyrouth et à Pamiers pour commémorer l’attentat du Drakkar.
Ce travail est une priorité pour nous. Nous l’assumons, et nous souhaitons y associer la représentation nationale. C’est pourquoi je ne peux pas être d’accord avec vous, monsieur Cléach, lorsque vous affirmez, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, que « les critères d’attribution de la carte d’ancien combattant ne correspondent plus aux engagements actuels de nos forces militaires ».
Non seulement ce travail est mené avec sérieux, mais il a également vocation à se poursuivre, à progresser. Je reconnais – je me suis déjà exprimé à ce sujet – que les procédures actuelles sont trop longues. L’examen de tous les journaux des marches et opérations par le service historique de la défense est un travail fastidieux. Il est réalisé en priorité sur les opérations extérieures les plus récentes, mais il laisse – je le regrette, et nous avançons sur ce point – une série d’opérations plus anciennes dans l’attente.
Je mesure également l’attente des militaires qui souhaiteraient voir leurs unités étudiées une nouvelle fois par le SHD, afin que les critères les plus récents puissent être pris en compte.
Pour toutes ces raisons, je considère que l’application à toutes les opérations extérieures d’un critère uniforme de quatre mois de présence est une piste sérieuse de travail ; j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer. J’ai commencé à examiner cette piste, et ce travail se poursuivra dans les mois qui viennent.
Nous devons notamment, vous l’aurez compris, nous pencher sur l’impact financier de cette mesure. Il faut prendre en compte l’impact budgétaire non seulement sur la carte du combattant, mais également sur le budget lié aux autres droits ouverts aux détenteurs de la carte : retraite mutualiste et demi-part fiscale en particulier.
Cette mesure ne peut être adoptée dès à présent. C'est pourquoi le Gouvernement est également défavorable, quoique pour des raisons bien différentes, à la seconde partie de la proposition de loi. Cependant, je l’ai déjà souligné, je m’engage à faire de cette mesure une priorité pour le budget pour 2015, comme je m’étais engagé l’année dernière à faire de la carte « à cheval » une priorité pour cette année.
Je sais que nous partageons le même objectif, la même ambition pour la pleine reconnaissance et l’accompagnement exemplaire de celles et ceux qui ont fait le choix de défendre notre pays et ses valeurs. Vous avez eu raison de rendre hommage à nos soldats. Je leur rends hommage avec vous. C’est pourquoi je souhaite que nous puissions travailler ensemble en vue de notre objectif commun, avec le même sens des responsabilités et dans un souci de transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les commémorations du centenaire de la Grande Guerre donnent une résonance toute particulière au débat sur le statut des anciens combattants. C’est en effet à la suite de cet événement tragique de notre histoire que la carte du combattant, dont nous débattons aujourd’hui, fut créée par la loi du 19 décembre 1926. Il s’agissait alors de récompenser l’engagement et le courage de nos soldats lors des combats de 1914-1918, de 1870-1871 et des guerres coloniales et meurtrières.
Depuis lors, les conditions d’attribution de la carte du combattant ont été régulièrement réactualisées, afin de prendre en compte l’ensemble des générations du feu et de s’adapter aux différents engagements des forces françaises à l’étranger. Mais, si la carte du combattant a évolué et s’est adaptée, sa finalité, elle, reste la même. Elle symbolise la reconnaissance de la nation envers ceux qui ont combattu pour elle. En effet, mes chers collègues, actualiser ne signifie pas dénaturer. Il s’agit au contraire de renforcer la légitimité du statut d’ancien combattant, d’aller dans le sens de l’histoire et de reconnaître les spécificités liées à chaque théâtre d’opérations et à chaque période.
La proposition de loi qui nous est présentée a deux objectifs. Le premier est d’élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant pour permettre aux soldats restés en Algérie jusqu’au 1er juillet 1964 d’en bénéficier ; ce point a fait débat au sein de notre groupe. Le second est d’introduire un nouveau critère d’attribution : une durée de quatre mois, consécutifs ou non, pour les soldats en opérations extérieures ; cette mesure a fait l’unanimité au sein de notre groupe.
La proposition de loi vise à réduire les inégalités entre les différentes générations du feu ; c’est une revendication de nombreuses associations d’anciens combattants. Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des engagements déjà pris par le gouvernement actuel, qui a décidé d’introduire dans le projet de loi de finances pour 2014 la carte du combattant dite « à cheval » pour les soldats dont le séjour a débuté avant le 2 juillet 1962 et s’est achevé après l’indépendance de l’Algérie. Pourquoi introduire une discrimination entre des soldats engagés sur le même théâtre d’opérations à seulement quelques mois d’intervalle ?
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Catherine Procaccia. Absolument !
Mme Leila Aïchi. Ils étaient encore 50 000 en janvier 1964, et le rapatriement définitif n’a eu lieu qu’en juillet de cette même année. Il s’agit d’être cohérent dans notre approche.
M. Bruno Retailleau. Exactement !
Mme Leila Aïchi. Il s’agit également d’être cohérent au regard des opérations extérieures et de leur évolution. Des avancées ont été réalisées par le décret du 12 novembre 2010, qui introduit la notion de « danger caractérisé » pour les opérations extérieures, et l’arrêté du 28 juin 2012, qui étend notamment la carte du combattant aux opérations menées en Somalie et au Liberia. Nous saluons évidemment ces améliorations.
Nos troupes sont aujourd'hui engagées dans des missions de maintien de la paix, de stabilisation et de formation, qui se déroulent dans des conditions d’insécurité permanente. À ce propos, monsieur le ministre, vous avez récemment déclaré que vous étiez favorable à la prise en compte du critère des cent vingt jours pour les soldats engagés en opérations extérieures. Je salue ce revirement dans la position du Gouvernement, qui, jusqu’à présent, s’était montré opposé à cette mesure.
Au vu des risques encourus par nos soldats en opérations extérieures, les sénateurs écologistes sont évidemment favorables à un traitement égalitaire de la quatrième génération du feu, avec la mise en place d’un critère de périodicité. Mes chers collègues, ma position est simple et sans équivoque. En tant qu’écologiste et humaniste, je suis fondamentalement attachée au principe d’égalité : égalité de traitement et égalité de reconnaissance.
En cette période où notre pays connaît de vives tensions, des conflits, des divisions, la reconnaissance envers nos soldats peut et doit nous rassembler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Leila Aïchi. Parce qu’ils ont servi leur pays, nous devons leur reconnaître un statut à la hauteur de leur engagement. Nous n’avons que trop tardé ! Pourquoi existe-t-il encore de telles inégalités près de cinquante ans après les faits ? Je ne peux que regretter le caractère tardif de cette réforme.
Cela m’amène d'ailleurs à m’interroger sur la passivité des gouvernements précédents et sur l’opportunité politique que pourrait représenter cette proposition de loi. Le nombre de dossiers traités par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre a chuté entre 2009 et 2010, passant de 18 343 à 2 252. Il aura fallu attendre 2012 pour que le retard commence à être absorbé. Il est regrettable que, pendant près de deux ans, les anciens combattants aient été spoliés de leur droit à réparation.
Les sénateurs écologistes sont évidemment conscients des restrictions budgétaires. Oui, cette proposition de loi a un coût pour les finances publiques : l’application de l’article 1er devrait coûter 39 millions d'euros ! Mais la nation n’a-t-elle pas une dette envers ceux qui ont combattu pour elle ? La reconnaissance du service rendu, des sacrifices, des vies perdues ne peut pas constituer une variable d’ajustement budgétaire. Toutefois, nous comprenons que nous devons tous participer à l’effort de retour à l’équilibre. Aussi nous paraît-il nécessaire que le financement de cette réforme se fasse à budget constant ; nous y serons particulièrement attentifs. En ce sens, la carte « à cheval » est un premier pas significatif, mais l’effort du Gouvernement ne doit pas s’arrêter là.
Enfin, alors que vous prônez l’égalité des traitements, notamment au sujet des opérations extérieures, vous ne semblez pas prendre en compte l’ensemble des disparités existantes. Qu’en est-il des revendications de longue date des militaires ayant servi au Liban dans la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, au sein du 420e détachement de soutien logistique ? Ces hommes ont servi sous mandat de l’ONU au nom de la France et ont participé à vingt-deux actions de feu entre octobre 1982 et avril 1983. Or ils se voient aujourd’hui refuser le statut d’anciens combattants. Monsieur le ministre, vous avez récemment indiqué que vous vouliez avancer sur le dossier de la FINUL ; dont acte !
Quid également des combattants des anciennes colonies ? Si le Président de la République a rappelé, lors de son discours du 11 novembre dernier, qu’une nation « s’honore toujours de savoir à qui elle doit sa liberté et son indépendance », il n’a cependant fait aucune référence – aucune ! – aux combattants des anciennes colonies, qui se sont battus sous le drapeau français et ont été honteusement discriminés au titre de leur nationalité pendant des années. Si, depuis 2010, le Gouvernement a eu l’obligation de « décristalliser » les pensions des anciens combattants des ex-colonies, notons cependant la perversité de ce dispositif : comme il ne prévoit pas de revalorisation automatique, les personnes concernées doivent effectuer elles-mêmes les démarches pour obtenir le statut d’anciens combattants.
Mme Leila Aïchi. Reconnaître un statut juste, universel et sans aucune distinction à tous nos anciens combattants est un impératif et fait partie intégrante de notre travail de mémoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme des millions de Français, je fais partie de ceux qui, après le 1er novembre 1954, ont traversé la Grande Bleue pour faire respecter la volonté de la France sur le sol algérien. En effet, c’est ce jour-là, dans les gorges de Tighanimine, qu’a eu lieu l’attentat précurseur, l’attentat qui a généré une insécurité qui s’est étendue progressivement à tout le territoire. L’escalade a pris dès lors la forme d’un climat de révolte, de rébellion généralisée, puis, reconnaissons-le avec regret, pratiquement de guerre.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes partis sans hésitation ni murmure, conformément aux bases de la discipline : « l’autorité qui donne [les ordres] en est responsable, et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi ». Nous avons suivi les volontés successives de la France. Je rappelle – je suis l’un des aînés de cette assemblée – que, dans un premier temps, en 1954-1955, l’objectif était que l’Algérie reste une terre française.
Cependant, l’évolution de la situation a généré de plus en plus d’insécurité, par des attentats, des embuscades, et donc des morts, malheureusement dans les deux camps. Au fil des jours, le conflit s’est enlisé, s’est durci, l’insécurité s’est installée, le sang a coulé inutilement, comme souvent à la guerre. La France avait engagé un combat dont il était difficile de voir la fin ; je le dis pour vous, mes chers amis, qui n’êtes pas de ma génération.
En 1958, le pays était de plus en plus ensanglanté. Nous étions enlisés dans ce drame. Il fallait avoir un regard visionnaire, être capable de se projeter dans le futur. Il ne fallait pas regarder dans le rétroviseur, mais regarder l’avenir de la France et de l’Algérie, dans un contexte mondial où tous les peuples aspiraient à une chose fondamentale : l’indépendance. L’Algérie devait choisir elle-même son destin, par l’autodétermination. C’est facile de le dire aujourd'hui, mais c’était difficile à réaliser dans une Algérie déchirée et dans une France très contrariée par le conflit.
Le 13 mai 1958 – je me rappelle que j’étais tout prêt d’un poste de radio GRC-9 –, nous avons entendu un message : le président de la République, René Coty, avait appelé l’homme qui, le 18 juin 1940, avait lancé un appel à la France. Le 13 mai 1958, c’était la France qui lui lançait un appel, car elle savait qu’il était le seul homme possédant cette dimension nationale et internationale, cette dimension de visionnaire. Charles de Gaulle a répondu oui ! Avec courage, il a engagé ce qu’on a d’abord appelé l’œuvre de pacification, conscient que toute poursuite des combats était inutile et qu’il était indispensable pour les deux pays d’établir un cessez-le-feu.
Oui, il fallait que l’Algérie choisisse son destin par la voie de l’autodétermination ! Déjà, le mal avait fait son chemin puisque plusieurs milliers de soldats français et algériens avaient inutilement perdu la vie et que de nombreux autres avaient été blessés, souvent gravement. Alors, pourquoi continuer ?
Oui, l’armée française a obéi en exécutant ses différentes missions ! Il est normal qu’elle fasse valoir aujourd’hui ses droits, car elle a accompli son devoir. De nombreux acteurs, français ou algériens, ne sont plus là. C’est terrible de perdre la vie en faisant la guerre !
Le drame de la mort n’a pas de date, qu’il se situe avant ou après le 1er juillet 1962. D’ailleurs, l’histoire nous le dit, c’est au printemps et à l’été 1962 que la proportion de morts est devenue considérable et inquiétante.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, dans nos départements, nous lisons la rubrique décès de la presse locale, figure très souvent en dessous du prénom et du nom la mention « ancien d’Afrique du Nord » ou « ancien d’Algérie ». Chaque jour se ferment des paupières... Tant qu’il restera je dirai non pas des survivants de cette période, mais des hommes de bonne volonté, pensons à eux !
Je conclurai mon propos en vous donnant la position du groupe UDI-UC en toute objectivité. Avec mes collègues, nous avons eu ce matin un long débat avec ceux qui ont servi la France avant et après le 1er juillet 1962, avec ceux qui ont vécu sur cette terre algérienne. Je peux vous dire que, dans la vie, il y a des choix difficiles à faire : il y a les choix du cœur, il y a les choix de la raison, il y a les choix de la légalité.
De mon groupe, je suis, me semble-t-il, le plus ancien à être parti là-bas, mais, tous, nous sommes partis sans hésitation ni murmure pour servir la France. Si mes collègues avaient voté avec leur cœur, ils auraient choisi de soutenir la proposition de loi. Certains prendront sans doute la parole pour expliquer leur vote, mais je peux d’ores et déjà dire que la grande majorité d’entre nous s’abstiendra, pour différentes raisons, et que les autres voteront le texte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous confier un souvenir personnel. Alors que j’étais sous-lieutenant, ayant dépassé la durée légale du service, j’ai vu, comme beaucoup d’entre vous, la mort et le sang couler. J’ai tenu dans mes bras un jeune homme, le caporal Bouroumeau, dont les derniers mots furent pour Huguette, sa fiancée, et Marie, sa mère. Voilà l’image que je garde en mémoire !
N’entamons pas l’unité des combattants d’aujourd’hui ! Il est triste que le monde combattant de 2013 ne fasse pas preuve, comme nous le souhaiterions, de fraternité, pour des questions d’appartenance à une section ou d’affinités. Je suis de ceux qui sont pour garder l’unité dans la fraternité ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Bruno Retailleau. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi de notre collègue Marcel-Pierre Cléach intervient quelques jours après le 11 novembre, une commémoration désormais dédiée à tous ceux qui ont combattu et sont morts pour la France. Comme pour tout ce qui touche à l’histoire de notre pays, à ses différentes mémoires et aux guerres dont il a été victime ou qu’il a menées, souvenons-nous que, au mois de janvier de l’année dernière, cette décision du précédent président de la République n’avait pas été sans susciter de vives controverses.
Pour notre part, nous avions contesté l’idée selon laquelle tous les conflits seraient de même nature et qu’ils pourraient être mis sur le même plan. Nous avions souligné le risque d’aboutir, en ne distinguant plus les choses, en confondant les conflits, à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permette plus de comprendre le passé et de construire lucidement l’avenir.
Avec ces considérations générales, sommes-nous si éloignés du sujet de cet après-midi ? Je ne le pense pas, car l’intérêt et les passions sont toujours aussi vifs dans nos mémoires pour ce qui a trait aux combats en Algérie dans les années cinquante et soixante, mais également, quoique dans une moindre mesure, pour les opérations militaires plus récentes auxquelles notre pays a participé. Ces sentiments sont compréhensibles, car, en arrière-plan, se trouve non seulement la conception que l’on a de notre pays, mais aussi des valeurs et des principes au nom desquels la République envoie des hommes au combat, au prix parfois de leur vie.
Cette proposition de loi a donc un sens et une portée.
Au nom de l’égalité entre les différentes générations du feu, il nous est proposé, d’une part, d’élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens d’Algérie, jusqu’au retrait total de nos troupes en 1964, et, d’autre part, de simplifier, en définissant des conditions identiques pour tous les combattants, la délivrance de ce document aux anciens combattants ayant participé aux conflits dans lesquels nos armées ont été engagées après 1964.
Ces deux mesures sont des droits à réparation revendiqués depuis de nombreuses années par l’ensemble des associations du monde combattant. Les adopter peut sembler logique, car elles paraissent aller dans le sens d’une juste reconnaissance de droits légitimes. Pourtant, à y regarder de plus près, elles soulèvent des questions de principe et présentent des difficultés de mise en œuvre. Par ailleurs, elles ont été, nous semble-t-il, partiellement, voire très largement satisfaites, ou sont en voie de l’être.
Pour ce qui concerne l’Algérie, la possibilité d’extension des droits à la carte du combattant au-delà du 2 juillet 1962 – date officielle de l’indépendance –, si elle est confirmée par le débat budgétaire, existera désormais avec ce qu’on appelle la carte « à cheval ». La carte du combattant pourra en effet être attribuée dès lors que la date du premier séjour en Afrique du Nord est antérieure au 2 juillet 1962. Nous tiendrons ainsi un engagement pris depuis de nombreuses années,…
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Cécile Cukierman. … régulièrement rappelé dans les différentes assemblées générales de la FNACA auxquelles nous avons participé. Nous avons, les uns et les autres, été régulièrement interpellés sur cette promesse qui ne s’est jamais traduite en actes. Si le débat budgétaire nous permet d’y parvenir, nous ne pourrons que nous en féliciter.
J’estime qu’il y a manifestement sur cette question, au travers de la proposition de loi qui nous est présentée, une volonté sous-jacente de réécrire l’histoire. En effet, le texte prévoit que la carte pourra être attribuée à ceux qui ont été présents en Algérie au moins quatre mois entre le 1er juillet 1962 et le 1er juillet 1964, avec certains critères d’attribution qui se fondent sur la notion de « participation à des opérations en zone d’insécurité comportant un risque d’ordre militaire ». Or il faut également prendre en compte le contexte « historico-politique » et les conditions dans lesquelles se sont déroulées, ou non, des opérations militaires comportant « un risque d’ordre militaire ».
Dans le cas de l’Algérie, le cessez-le-feu entre l’armée française et les troupes du FNL, qui deviendra l’ALN, l’Armée de libération nationale, est intervenu le 19 mars 1962. Nous avons voté au Sénat une proposition de loi visant à reconnaître officiellement cette date.
Après cette date, conformément aux accords d’Évian, il ne pouvait y avoir, et il n’y eut pas, d’engagement de nos troupes contre celles de l’ALN. En outre, nous commencions à rapatrier nos troupes, en priorité celles qui comprenaient une majorité d’appelés du contingent.
Bien que la situation d’insécurité fût avérée, il n’y eut pas d’opérations militaires après le 19 mars 1962, donc, par définition, pas de « risque d’ordre militaire » proprement dit. En revanche, de nombreuses représailles furent commises par la population civile algérienne, comme le massacre des harkis et de leurs familles, ou les exactions contre les Européens à Oran le 5 juillet 1962, qui firent plus de 500 victimes. C’est d’ailleurs à cet événement que la proposition de loi fait explicitement référence dans l’exposé des motifs, avec, me semble-t-il, l’intention, consciente ou non, de reprendre les arguments de ceux qui ont reproché à nos troupes leur non-intervention pour y mettre fin.
Pour ce qui est des anciens combattants ayant participé à des OPEX – c’est la deuxième partie de la proposition de loi –, il est considéré, à juste titre, que les critères d’attribution de la carte ne correspondent plus à la réalité de ces engagements et que les conditions pour l’obtenir sont trop complexes et restrictives.
Telle qu’elle est rédigée, la proposition de loi impliquerait de reconnaître le statut d’anciens combattants aux militaires engagés à l’étranger avant 1991, c’est-à-dire essentiellement les casques bleus de la FINUL. Or ceux-ci avaient un statut particulier puisqu’ils participaient à une opération dépendant directement de l’ONU, à la différence des opérations menées en Afghanistan, au Rwanda, en Libye, au Mali ou bien encore contre la piraterie maritime au large de la corne de l’Afrique, qui ont toutes reçu la qualification « d’opérations extérieures ».
Cela nécessiterait en outre que soient traitées rétroactivement les situations des unités envoyées à l’étranger dans un cadre bilatéral, ou sous mandat de l’ONU, et de vérifier le statut de ces militaires eu égard à leur qualité d’anciens combattants. Il faudrait aussi modifier les critères généraux prévus par le code de la défense, en retenant par exemple ceux appliqués pour l’Afrique du Nord, soit quatre mois de présence.
Monsieur le ministre, les engagements que vous avez pris sur ce sujet lors du débat budgétaire à l’Assemblée nationale et rappelés devant la commission des affaires sociales du Sénat seront de nature à régler équitablement cette question.
Au final, le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre cette proposition de loi, en raison des implications qu’elle entraîne concernant la période de la guerre d’Algérie. Notre position ne s’explique pas par des raisons budgétaires puisque l’attribution de la carte du combattant ouvre des droits en vertu des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. Nous ne voterons pas ce texte parce que le droit à réparation pour la carte « à cheval » nous semble quasiment satisfait, sous la réserve d’un vote, et parce qu’il soulève une question de principe et sous-entend une certaine vision de l’histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Didier Guillaume remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain du 11 novembre, à quelques semaines de l’année du centenaire de la Grande Guerre, nos anciens combattants retiennent, aujourd’hui encore, toutes nos pensées. C’est la reconnaissance juste et légale que nous devons à ceux qui se sont battus pour sauver notre pays, à ces jeunes appelés, à ces soldats qui ont permis à notre pays, à travers les quatre générations du feu, d’être une nation forte, de rester une République attachée à ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Je ne doute pas que nous soyons tous ici attachés à ces valeurs et que nous ayons le souci de la reconnaissance et de l’accompagnement de nos anciens combattants. La proposition de loi qui a été déposée par notre collègue Marcel-Pierre Cléach participe de cette préoccupation. C’est pourquoi je souhaite l’aborder en évitant que, à l’issue de l’examen de celle-ci, on oppose, d’un côté, les partisans de l’élargissement des conditions d’attribution de la carte du combattant, symbole de la dette de la nation envers ses soldats, et, de l’autre, ceux qui voudraient le contraire. Il serait malvenu de nous livrer à cette polémique à l’heure où des soldats français sont encore déployés sur plusieurs théâtres d’opérations à travers le monde pour assurer la paix. Il serait également déplacé de nous livrer à une surenchère sur le dos de ceux qui ont combattu pour notre pays. Selon moi, il n’y a pas deux catégories de combattants. Il n’y a que des engagés au service de la France et de ses valeurs.
Nous partageons donc tous la même volonté que ces combattants soient reconnus ; ce qui nous différencie, c’est la méthode.
La proposition de loi de M. Cléach vise deux objectifs : d’une part, attribuer la carte du combattant aux soldats restés en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964, c’est-à-dire au moment de l’indépendance, et, d’autre part, clarifier les critères d’attribution de ladite carte aux soldats déployés en opérations extérieures, par la création de nouveaux critères.
La carte du combattant est réglementée. En effet, comme l’indique le nom de cette dernière, la règle de base pour bénéficier de la carte est d’avoir combattu dans le cadre d’un conflit.
Pour tenir compte de la situation spécifique en Afrique du Nord, un assouplissement de cette règle a été accordé, le critère de participation au feu remplaçant le critère de présence durant la période de conflit. Ainsi, pour la guerre d’Algérie, la carte du combattant est attribuée aux personnes justifiant de quatre mois de présence, avec ou sans reconnaissance d’une situation de feu.
Aux termes de la réglementation, cette particularité est spécifique à la situation de guérilla en Afrique du Nord et ne vaut plus une fois la guerre terminée. C’est pourquoi le droit à la carte du combattant s’éteint au moment où la guerre d’Algérie s’arrête, soit le 2 juillet 1962. A contrario, ceux qui furent présents après cette date bénéficient d’une autre reconnaissance spécifique : le titre de reconnaissance de la nation.
Par conséquent, l’argument de l’égalité ne tient pas, toutes les personnes présentes au même moment bénéficiant du même régime. Ce n’est pas parce que les acteurs restent des appelés et parce que la tâche demeure dangereuse qu’il s’agit de la même mission.
La proposition de loi de M. Cléach est louable puisqu’elle vise à renforcer la reconnaissance des anciens combattants. Cependant, en voulant étendre des droits, elle casse ce qui fait l’essence même de la carte du combattant, c’est-à-dire un titre de guerre, lié à des actions de guerre.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Gisèle Printz. Ce texte conduirait à une destruction du code des pensions. Il permettrait à des appelés, arrivés plus d’un an et demi après l’indépendance de l’Algérie, donc plus d’un an et demi après la fin de la guerre, de demander malgré tout la carte du combattant.
M. Robert Tropeano. Eh oui !
Mme Gisèle Printz. Cette situation reviendrait à minorer la reconnaissance déjà délivrée aux soldats ayant démontré leur participation à cette guerre.
La proposition de loi reviendrait également à considérer que l’état de guerre a continué jusqu’au 1er juillet 1964 et à remettre en cause l’indépendance de l’Algérie puisque la carte est liée à des faits de guerre.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Gisèle Printz. Une telle extension serait également incohérente avec la loi adoptée il y a quelques mois visant à reconnaître la date du 19 mars 1962, c’est-à-dire la date du cessez-le-feu en Algérie, comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Monsieur le ministre, l’élargissement des conditions d’attribution de la carte du combattant ne peut se faire que dans le cadre que vous avez évoqué lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014. La solution retenue, que nos collègues de l’Assemblée nationale ont déjà votée et qu’avait défendue, au Sénat, mon collègue Alain Néri, consiste à accorder la carte du combattant aux militaires qui se sont engagés en Algérie avant le 2 juillet 1962, qui ont poursuivi leur mission au-delà de cette date et qui totalisent au moins quatre mois de présence. Nous formulons le souhait de pouvoir voter cette disposition dans quelques jours au Sénat.
Pour ce qui concerne les opérations extérieures, je m’interroge.
Le législateur peut-il créer une forme de régression pour les soldats servant en OPEX ? Non ! C’est pourtant ce que prévoit finalement cette proposition de loi (M. Charles Revet proteste.), dont l’adoption aboutirait à appliquer à ces soldats le critère de quatre mois de présence sur le sol d’un territoire en phase de conflit, alors que trois mois de présence dans une unité combattante leur suffisent aujourd'hui pour pouvoir bénéficier de la carte du combattant. En outre, on peut se demander si trois mois de situation de combats sont comparables à quatre mois de simple présence…
On en revient à la même problématique : on détruit le lien entre le motif pour lequel la carte du combattant a été créée et celui pour lequel on l’a délivrée. Il est donc préférable, pour le moment, de ne pas modifier la règle concernant les OPEX.
Cela étant, monsieur le ministre, nous avons entendu que ce dossier était perfectible, et nous serons attentifs à son évolution. Pour toutes les raisons que j’ai exprimées, nous ne voterons pas cette proposition de loi, et nous attendons vos propositions pour améliorer la situation des OPEX. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Robert Tropeano. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’énonce le premier article du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, « la République française, reconnaissante envers les anciens combattants et victimes de la guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s’incline devant eux et devant leurs familles ». Le principe de la dette de la nation à l’égard des anciens combattants est ainsi fondamentalement posé.
Le législateur en a tiré les conséquences en instaurant le droit à réparation. Pour bénéficier totalement de celui-ci, il faut être titulaire de la carte du combattant. En effet, ce titre donne accès aux principaux dispositifs que notre rapporteur a énumérés, de la retraite du combattant jusqu’au privilège du drapeau tricolore sur le cercueil.
Comme vous le savez, mes chers collègues, chacun des grands combats de notre histoire a forgé ce que l’on appelle les quatre générations du feu, progressivement reconnues par le législateur.
La loi du 19 décembre 1926 a créé la carte du combattant, essentiellement en direction des poilus de la Grande Guerre. C’est la première génération du feu, celle des tranchées, de l’enfer de Verdun ou du funeste Chemin des Dames. Parce qu’ils ont tous disparu, ces soldats sont naturellement sortis des dispositifs de réparation. Mais, à l’aube des grandes commémorations du centenaire de la guerre de 14-18, je tiens à souligner que les hommes et les femmes victimes de la Grande Guerre sont aujourd’hui plus que jamais au cœur du devoir de mémoire, forme de reconnaissance que nous devrons éternellement aux anciens combattants.
La « der des ders » n’a malheureusement pas été la dernière. La deuxième génération du feu, constituée des anciens de la Seconde Guerre mondiale, est reconnue par le décret du 29 janvier 1948. Les mêmes critères d’attribution de la carte du combattant sont requis : avoir appartenu à une unité combattante ou avoir participé collectivement ou personnellement à une action de feu ou de combat. L’ajout du critère de blessure ou de captivité selon certaines conditions permettra notamment de prendre en compte la spécificité du combat résistant.
S’agissant de la troisième génération du feu, qui nous occupe plus particulièrement aujourd’hui, le processus de reconnaissance sera plus lent. Tout le monde en connaît les raisons. Longtemps, les autorités françaises ont parlé d’« opérations » en Algérie, au regard de l’état de colonie de ce pays. Il a fallu attendre la loi du 18 octobre 1999, adoptée sous le gouvernement de Lionel Jospin, pour rompre un tabou et mettre fin à plusieurs décennies de cécité politique. « Les événements d’Algérie » sont enfin devenus « la guerre d’Algérie ». Pour avoir moi-même participé à ce conflit pendant vingt-huit mois, j’ai bien le sentiment d’avoir vécu une guerre et pas autre chose.
Il suffit de rappeler son bilan humain pour l’illustrer : plusieurs dizaines de milliers de militaires tués au combat et des civils tragiquement disparus dans les massacres d’Oran ou de la Toussaint sanglante, sans compter les nombreuses pertes algériennes. La tragédie des harkis et le retour douloureux des rapatriés achèveront de donner à ce conflit des ressorts passionnels encore très prégnants aujourd’hui.
Les dégâts psychologiques et la violence endurée par tous les appelés, les rappelés et les militaires de carrière imposaient une reconnaissance à la hauteur des sacrifices qu’ils avaient consentis. À l’époque, il a fallu la mobilisation sans relâche des associations, relayées par les parlementaires, pour aboutir à la loi de 1974, qui répondait enfin à une attente légitime en donnant la « qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ».
Cette loi sera complétée en 1998, pour prendre en compte les forces qui avaient effectué des missions dangereuses liées au climat de guérilla, sans pour autant avoir appartenu à une unité combattante. En effet, la seule présence sur un théâtre d’opérations déclenche l’obtention de la qualité de combattant, et quatre mois suffisent depuis 2004.
Faut-il aller plus loin, comme le propose notre collègue Marcel-Pierre Cléach dans la présente proposition de loi et comme l’ont d’ailleurs souhaité, en 2008, nos collègues socialistes, en déposant un texte visant les mêmes objectifs ?
M. Charles Revet. Voilà un rappel intéressant !
M. Robert Tropeano. S’agissant des soldats en OPEX, le Gouvernement s’est engagé à mener une réflexion pour apporter plus de clarté aux dispositifs qui concernent la quatrième génération du feu. Mon groupe sera vigilant sur ce point.
Pour ce qui concerne les anciens combattants d’Algérie, il faut avancer avec prudence afin de ne pas affaiblir la portée de la carte du combattant. Si l’équité doit guider le législateur, ne brûlons pas les étapes. Il me semble prioritaire de répondre au problème des combattants restés quatre mois en Algérie à cheval sur les périodes antérieures et postérieures au 2 juillet 1962. L’article 62 du projet de loi de finances donne satisfaction à cette revendication formulée à l’unanimité et de longue date par les associations d’anciens combattants.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. Robert Tropeano. Le RDSE soutiendra cette mesure, et je vous remercie, monsieur le ministre, de cette initiative.
En revanche, repousser la limite temporelle jusqu’au 1er juillet 1964 risque d’ouvrir à nouveau des débats sur une chronologie que l’histoire a tranchée par le référendum d’autodétermination issu des accords d’Évian, qui a abouti à l’indépendance algérienne. Qualifié de « guerre sans nom » en 1992 par un célèbre cinéaste, le conflit algérien ne doit pas devenir une « guerre sans fin ».
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Robert Tropeano. C’est pourquoi le groupe du RDSE ne votera pas ce texte. Cette décision n’entame en rien notre conscience de la nature imprescriptible de la dette de la nation à l’égard des hommes et des femmes broyés dans l’enfer de la guerre d’Algérie et de nos soldats aujourd’hui engagés au Mali ou dans toutes les forces d’interposition et de maintien de la paix. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi visant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l’armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1er juillet 1964 ou en opérations extérieures, déposée, au Sénat, par notre collègue Marcel-Pierre Cléach le 16 juillet 2012. Une proposition de loi similaire a été déposée quelques mois plus tard, le 10 octobre 2012, à l’Assemblée nationale, où elle a été examinée et malheureusement rejetée le 21 février dernier.
Ce texte vise deux objectifs : d’une part, attribuer la carte du combattant à tous les soldats français restés en Algérie jusqu’au 1er juillet 1964 ; d’autre part, instaurer un critère de cent vingt jours de présence sur un théâtre considéré pour tous les soldats déployés en opérations extérieures. En effet, il existe aujourd’hui une véritable disparité de traitement des anciens combattants en fonction de leur génération du feu et du site du conflit sur lequel ils sont intervenus.
Or la reconnaissance du statut d’ancien combattant et l’attribution de la carte du combattant présentent plusieurs avantages pour leurs titulaires : la retraite du combattant, le port de la croix du combattant, le titre de reconnaissance de la nation, la constitution d’une rente mutualiste, normalement majorée par l’État et qui entraîne des avantages fiscaux – sur le point d’être rabotés par le Gouvernement –, une demi-part d’impôt sur le revenu à partir de soixante-quinze ans, la qualité de ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre et, enfin, le privilège d’avoir son cercueil recouvert d’un drap tricolore.
Autant dire que, malgré des critères particulièrement restrictifs, la carte du combattant est très importante pour ses titulaires. En effet, à l’origine, les conditions à remplir pour les militaires et certains civils candidats à l’obtention de la carte du combattant étaient d’avoir appartenu à une unité reconnue combattante pendant au moins quatre-vingt-dix jours.
La nature des conflits postérieurs à 1945 a conduit à l’élaboration de nouveaux critères : les actions de feu ou de combat de l’unité – neuf au minimum –, les actions de feu ou de combat personnelles – au moins cinq –, une présence de quatre mois entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 pour la guerre d’Algérie, les combats au Maroc et en Tunisie.
La carte est en outre accordée de plein droit aux blessés de guerre et aux titulaires de citations avec croix.
Ces conditions très limitatives excluent de nombreux anciens militaires des avantages relevant de la carte d’ancien combattant. C’est injuste, car c’est ne pas tenir compte du climat d’insécurité auquel ont dû faire face les militaires dans l’Algérie des années 1962 à 1964.
Ces critères sont également inadaptés aux militaires ayant participé aux opérations extérieures de maintien de la paix, comme ceux de la FINUL, qui compte près de 160 militaires et 15 personnels civils français tombés au Liban.
Aussi, mes chers collègues, pourquoi conserver de telles différences de traitement entre les générations d’anciens combattants ? Si le principe d’égalité, si cher au Président de la République, doit s’appliquer à notre société, il n’est pas acceptable que les soldats, anciens et futurs, en soient écartés. Dès lors, si le Gouvernement refuse cette mesure, alors même que rien n’est fait pour le monde combattant, les anciens combattants et les soldats actuellement engagés pourront constater que l’abandon des anciens combattants, « c’est maintenant » ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Raymond Couderc. La proposition de loi du sénateur Marcel-Pierre Cléach, que nous allons examiner aujourd’hui, est essentielle, car ce sera un acte de justice d’attribuer les mêmes avantages aux différentes générations du feu. C’est pourquoi j’ai cosigné ce texte et vous invite – comme je vais le faire – à le soutenir.
Je profite également du temps qui m’est imparti pour vous faire part, monsieur le ministre, de mon indignation quant à la diminution, décidée par le gouvernement auquel vous appartenez, du complément de retraite mutualiste des anciens combattants. Même si vous affirmez que cette diminution n’est que temporaire, il est bien triste de voir, pour la première fois depuis 1923, que l’aide versée par l’État à ses anciens combattants diminue. Pour paraphraser notre collègue député Marc Laffineur,…
M. Alain Néri. Qu’a-t-il fait pour eux ? On ne s'en souvient pas !
M. Raymond Couderc. … il s’agit d’une rupture avec le devoir de mémoire et de réparation vis-à-vis de nos anciens combattants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli. (Nouveaux applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Colette Giudicelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ayant été dites, je vais simplement insister sur la réalité de la situation militaire sur place au moment des accords d’Évian.
Je cite le texte de ces accords : « Les forces françaises, dont les effectifs auront été progressivement réduits à partir du cessez-le-feu, se retireront des frontières de l’Algérie au moment de l’accomplissement de l’autodétermination ; leurs effectifs seront ramenés, dans un délai de douze mois à compter de l’autodétermination, à quatre-vingt mille hommes ; le rapatriement de ces effectifs devra avoir été réalisé à l’expiration d’un second délai de vingt-quatre mois. »
Comme l’a rappelé Leila Aïchi, 50 000 militaires français étaient encore présents en 1964. Ils étaient non seulement chargés de protéger les installations militaires, mais aussi les biens de nos compatriotes demeurés en Algérie.
Entre 1962 et 1964, les opérations militaires se sont effectivement poursuivies, et plus de 500 morts ont été recensés du côté français durant cette période. Or, parmi eux, 150 sont morts entre 1963 et 1964. Toutes les pertes n’ont donc pas eu lieu au moment du cessez-le-feu.
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Colette Giudicelli. D'ailleurs, monsieur le ministre, il est intéressant de noter que c’est dans le bureau des archives du service historique de la défense qu’a été établie, mois après mois, la liste des militaires tués jusqu’en 1964.
Vous savez bien que le cessez-le-feu de mars 1962 fut tout, sauf un cessez-le-feu ! Les violences se sont poursuivies bien au-delà de cette date et de la fin officielle du conflit, particulièrement envers les harkis, surtout ceux qui portaient l'uniforme de l'armée française.
Mme Colette Giudicelli. C'est un fait ! Il est donc difficile de nier l’existence d’un risque militaire.
Dans ces conditions, la carte du combattant doit être attribuée aux personnes ayant participé aux opérations en Afrique du Nord entre 1962 et 1964, tout en conservant naturellement le critère des quatre mois de présence au minimum sur le territoire algérien.
La carte « à cheval », telle que la propose le Gouvernement, n’est pas une solution satisfaisante. D'ailleurs, elle ne correspond pas à la réalité historique du conflit en Algérie. Pis, elle va créer une nouvelle inégalité au détriment, potentiellement, de 60 000 anciens combattants – effectif à rapprocher des seuls 8 400 anciens combattants qui seraient retenus.
Si nous avons la volonté de reconnaître que les violences en Algérie, y compris à l’encontre de nos militaires présents, ne se sont pas tues avec les accords d’Évian, alors je crois vraiment que le pays doit faire cet effort.
La proposition de loi vise aussi à instaurer un critère de cent vingt jours de présence pour tous nos soldats déployés sur le théâtre d’opérations extérieures. En effet, depuis 1964, on considère que plus de 600 militaires ont été tués en opérations extérieures, dont 88 en Afghanistan. C’est pourquoi la réglementation actuelle relative à la reconnaissance du statut d’ancien combattant m'apparaît complexe et inadaptée.
Complexe, parce qu’elle est fondée sur des critères extrêmement différents selon la génération de combattants concernée.
Inadaptée, parce que, compte tenu de la nature même des conflits, l’engagement de nos forces dans le monde est marqué par des situations d’insécurité permanente en raison de l’emploi des techniques de la guérilla ou de terrorisme. Les journaux des marches et opérations sont aussi des références inadaptées en matière de preuve.
Enfin, des inégalités persistent, car la qualification d’unité combattante n’est pas attribuée de la même manière dans toutes les armées. De plus, dans l’armée de terre, seules les unités de combat pourront obtenir la carte du combattant, alors que les unités de soutien, qui sont confrontées aux mêmes risques, en sont exclues.
Peut-être faudrait-il simplifier le dispositif en permettant d’attribuer la carte du combattant pour une liste d’opérations s’inscrivant dans un espace donné, sur des territoires définis par décret et pour une durée de quatre mois, consécutifs ou non.
Le régime actuel prévoit une durée de présence de trois mois, mais il exclut beaucoup d’anciens combattants. C’est pour cette raison que je soutiens une période de quatre mois qui s'applique à tous. Cela serait plus équitable et ne constituerait en rien une régression, car les conditions actuelles restent restrictives en dépit du décret et de l’arrêté de décembre 2010.
En conclusion, monsieur le ministre, je regrette que le Gouvernement n’ait engagé aucune réforme en faveur des anciens combattants. Pis, le budget des anciens combattants pour 2014 diminue de 2,7 %, après une baisse de 2 % en 2013.
M. Alain Néri. En 2012, c’était combien ?
Mme Colette Giudicelli. Ce n’est pas le sujet, mais je pourrai vous donner les détails, et vous verrez ce que nous avons fait !
M. Alain Néri. Ça m’intéresserait !
Mme Colette Giudicelli. J’ajoute que le Gouvernement a instauré par décret une diminution de 20 % du taux de majoration des rentes mutualistes versées par l’État aux anciens combattants. Cette situation est difficilement acceptable. L'adoption de cette proposition de loi aurait donc un double avantage : rétablir l'égalité entre les différentes générations du feu et, surtout, montrer la reconnaissance de la nation envers ceux qui ont risqué leur vie pour nous tous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette période où nous allons, unis et rassemblés, montrer notre attachement au devoir de mémoire en rendant hommage aux anciens combattants à l'occasion du centenaire de la Grande Guerre et du soixante-dixième anniversaire du débarquement, notre collègue Marcel-Pierre Cléach présente une proposition de loi concernant la troisième et la quatrième génération du feu.
Chacun reconnaît, avec Clemenceau, que les anciens combattants ont des droits sur nous, même s'il a fallu attendre le 19 décembre 1926 pour la création de la carte du combattant. De la même façon, il aura quand même fallu un certain temps de réflexion, tant aux gouvernements qu’au Parlement, pour reconnaître la troisième génération du feu – en 1974, finalement – et qu’elle puisse avoir droit à la carte du combattant.
Je n’aurai pas la cruauté de rappeler qu’il aura fallu attendre trente-sept ans après le cessez-le-feu pour qu’une proposition de loi socialiste,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Alain Néri. … dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur à l’Assemblée nationale – où elle fut votée à l'unanimité, de même qu’au Sénat quelques jours plus tard, puis promulguée le 18 octobre 1999 –, reconnaisse enfin que, en Algérie, c'était bien la guerre et qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une opération de pacification, de maintien de l'ordre et pas davantage encore de simples événements !
Mme Catherine Procaccia. C’est du recyclé !
M. Alain Néri. Vous en conviendrez, cette façon de transcrire la réalité était quelque peu fumeuse.
Il aura donc fallu attendre le gouvernement de Lionel Jospin pour reconnaître enfin la guerre d'Algérie.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà !
M. Bruno Retailleau. Et Mitterrand ?
M. Alain Néri. C’est également à cette époque, dès le budget pour 1998, avec l'arrivée au ministère des anciens combattants de Jean-Pierre Masseret, que les critères, qui étaient jusque-là ceux de la guerre de 39-45, ont été changés. Il faut dire que la durée requise avait déjà posé quelques problèmes pour l'armée d'Italie au cours de Seconde Guerre mondiale, qui n’avait pas les quatre-vingt-dix jours d’unité combattante.
Pour l'Algérie, il était particulièrement difficile de prouver que quatre-vingt-dix jours avaient été passés en unité combattante dès lors que les journaux des marches et opérations des régiments d'appelés n’avaient malheureusement pas été tenus avec suffisamment de rigueur. D'ailleurs, plus que d'inégalité, on pouvait parler d'injustice quand ces régiments n’étaient pas reconnus comme unités combattantes, alors qu’ils se trouvaient au même moment, au même endroit, que des unités de gendarmerie, qui, elles, fort heureusement, ont été reconnues unités combattantes. Des actions de feu et de combat étaient alors requises, ce qui était particulièrement difficile à démontrer.
Il a fallu que le groupe socialiste dépose des amendements pour demander à vos prédécesseurs, monsieur le ministre, de changer les critères pour retenir enfin ceux de l'exposition au risque. De dix-huit mois au départ – parce qu'on était raisonnable et rigoureux et qu’on savait bien qu’on n’obtiendrait pas tout en une seule fois –, on est passé à quinze mois, puis à douze mois et enfin à quatre mois pour tenir compte des rappelés et, dans un souci d'égalité de traitement, de toutes les générations du feu. Ces quatre mois sont maintenant devenus la règle, parce qu'on a tenu compte de la réalité des conflits.
Monsieur le ministre, aujourd'hui, on peut vous féliciter d’avoir tenu l'engagement que vous aviez pris devant nous, à la suite des différentes propositions de loi que nous avions déposées – dont une au Sénat, au cours de la session précédente –, de créer la carte « à cheval ». Pour cela, bravo et merci ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Certains nous disent qu’il faut aller plus loin. Je suis étonné par votre proposition de loi, monsieur Cléach, ayant été habitué à la rigueur et à la justesse de votre raisonnement. Il a dû vous échapper que, d’après l’histoire de France, le cessez-le-feu en Algérie a pris effet le 19 mars 1962, conforté par le référendum du 8 avril 1962, par lequel le peuple français a donné son accord à l’autodétermination et à la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Colette Giudicelli. Ce n’était pas la fin des combats !
M. Alain Néri. Madame Giudicelli, vous ne pouvez contester l’histoire ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) L’indépendance de l’Algérie a été reconnue officiellement le 3 juillet 1962 et proclamée le 5 juillet de cette même année par le Président de la République de l’époque, c'est-à-dire le général de Gaulle. Certes, monsieur Cléach, votre proposition de loi part d’un bon sentiment, mais elle est en totale rupture avec l’histoire.
Ce fut l’honneur de la France que d’adopter la loi reconnaissant officiellement la guerre d’Algérie et le sacrifice des jeunes qui se sont engagés dans cette guerre en répondant à l’appel de la nation, même s’ils n’en partageaient pas tous les objectifs. Aux termes de cette loi, la guerre d’Algérie prend fin le 2 juillet 1962 avec l’indépendance. Si vous voulez attribuer la carte du combattant aux soldats ayant servi jusqu’en 1964, monsieur Cléach, il faut aller au bout de votre raisonnement et déclarer rétroactivement la guerre à l’Algérie entre 1962 et 1964 ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Marcel-Pierre Cléach. N’importe quoi !
M. Alain Néri. De surcroît, si nous devions vous suivre, nous rencontrerions de graves difficultés diplomatiques avec l’Algérie, qui serait en droit de nous traduire devant un tribunal international au motif que nous mentionnons une guerre en Algérie sans l’avoir déclarée.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Alain Néri. Nous aurions également certainement des problèmes avec l’Organisation des Nations unies.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Néri. Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons accepter votre proposition de loi, monsieur Cléach. Aujourd'hui, il s’agit de rendre hommage aux anciens combattants d’Algérie, mais au travers des efforts qui ont été évoqués par M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Charles Revet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais remercier Marcel-Pierre Cléach d’avoir déposé cette proposition de loi, que nous sommes plusieurs à avoir cosignée.
J’ai fait partie, moi aussi, de ceux qui ont passé près de deux ans en Algérie. Les années passent et nous sommes tous d’accord pour renforcer la coopération entre la France et l’Algérie, et celles et ceux qui ont été appelés en Algérie ont probablement une mission particulière dans cette démarche.
Pour autant, peut-on oublier les jeunes qui ont servi en Algérie, y compris après le cessez-le-feu ? Certains ont été blessés, d’autres sont morts. Ils répondaient, comme celles et ceux qui ont servi avant le mois de juillet 1962, aux missions qui leur avaient été confiées par le gouvernement de l’époque. Comment et pourquoi n’auraient-ils pas droit aux mêmes dispositions que leurs camarades qui les avaient précédés ? Ce ne serait que justice de le reconnaître aujourd'hui, en adoptant les articles de cette proposition de loi.
Dans le même esprit, il est proposé que les militaires servant au titre des opérations extérieures, les OPEX, puissent bénéficier des mêmes dispositions.
La France a des soldats qui servent en différents pays du globe, hier dans les Balkans, aujourd'hui au Mali – probablement pour un certain temps encore –, au Liban, en Afghanistan, et certainement ailleurs demain. Ces soldats remplissent eux aussi les missions que le Gouvernement leur confie. Il serait juste et équitable qu’ils puissent à leur tour bénéficier des mêmes dispositions concernant l’attribution de la carte du combattant.
Monsieur le ministre, il semble que le Gouvernement veuille amputer de manière significative le budget des anciens combattants. Ce n’est certes pas l’objet de notre débat, encore que vous ayez évoqué les problèmes de financement, mais peut-être pourriez-vous nous donner quelques informations à ce sujet. S’il en était ainsi, ce serait très mal compris par le monde combattant.
Ce n’est pas le montant de la retraite versée qui est en cause, mais le symbole de la reconnaissance de la France pour celles et ceux qui ont servi la patrie, souvent dans des conditions difficiles.
Pour l’heure, nous examinons la proposition de loi visant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant. Nous devrions, en l’adoptant, marquer la volonté du Parlement et du Gouvernement de traiter sur un pied d’égalité l’ensemble des jeunes ayant accompli la mission qui leur a été prescrite par les différents gouvernements.
Monsieur le ministre, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans cet hémicycle, nous rencontrons des anciens combattants. Que devons-nous expliquer à celui qui, incorporé à la mi-juillet 1962, bénéficie du titre de reconnaissance de la nation, mais ne peut prétendre à la carte du combattant, attribuée en revanche à celui qui fut incorporé au mois de juin ?
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Charles Revet. Quel statut octroyer à celles et ceux qui sont restés jusqu’en 1964 ? Comme Marcel-Pierre Cléach l’a souligné, il y a eu de nombreux blessés et de nombreux morts après le 2 juillet 1962. Que devons-nous leur répondre ?
M. Michel Vergoz. « Évian ! »
M. Charles Revet. Monsieur Vergoz, comment expliquerez-vous à celui qui a été appelé et blessé au service de la France qu’il n’a pas droit à la carte du combattant, contrairement à celui qui a été incorporé quelques jours plus tôt ?
Il faut avoir le courage de reconnaître les choses telles qu’elles sont. La France est restée en Algérie après le cessez-le-feu et il serait normal, vis-à-vis du monde combattant, d’adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Article 1er
I. – Au premier alinéa de l’article L. 1 bis du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, l’année : « 1962 » est remplacée par l’année : « 1964 ».
II. – Au premier alinéa de l’article L. 253 bis du même code, l’année : « 1962 » est remplacée par l’année : « 1964 ».
III. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, sur l'article.
Mme Muguette Dini. Cher Marcel-Pierre Cléach, je suis, à plusieurs égards, très troublée par ce texte.
D’une part, il mélange deux choses, à savoir les anciens combattants d’Algérie après le 1er juillet 1962, ou en tout cas ceux qui sont à cheval sur les deux périodes, et les combattants des OPEX. D’autre part, j’ai cru comprendre que M. le ministre avait pris en compte la demande très ancienne des anciens combattants concernant la fameuse carte « à cheval ».
Pourquoi suis-je troublée ? Il se trouve que j’ai vécu en Algérie de 1961 à 1965, pour accompagner mon mari qui y fit son service militaire jusqu’en novembre 1963. J’y ai passé notamment tout le mois de juillet 1962 ; je suis partie en vacances au mois d’août, avant de revenir au mois de septembre.
Certes, je ne sais pas tout ce qui s’est passé en Algérie, mais j’en sais beaucoup de par mon expérience personnelle. Je sais, comme vous tous, mes chers collègues, qu’il y eut encore des morts après le cessez-le-feu. Toutefois, lorsque je suis retournée en Algérie en septembre 1962 pour y exercer mon métier d’enseignante, le pays était totalement pacifié. Nous y circulions et y vivions normalement.
Mme Catherine Procaccia. En somme, c’était le Club Med ! (Sourires sur les travées de l'UMP. – Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Mme Muguette Dini. Dans ces conditions, comment pourrait-on qualifier de combattants les appelés qui sont allés en Algérie à la fin de l’année 1962 et au début de l’année 1963 ? Ils se trouvaient dans un pays indépendant et n’étaient pas, c’est le moins que l’on puisse dire, en permanence sur le pied de guerre. Leur donner la carte du combattant, ce serait presque faire injure à ceux qui ont réellement fait la guerre d’Algérie.
On n’imagine mal aujourd'hui l’angoisse terrible de ceux qui ont été appelés ou rappelés en Algérie, et celle de leurs familles, qui craignaient qu’ils ne soient tués ou blessés, sans savoir combien de temps ils resteraient là-bas.
Je sais que les parents dont les fils sont partis au début du mois de juillet 1963 ne partageaient pas cette angoisse. Certes, ils pouvaient avoir le sentiment que l’Algérie était loin, que le service militaire était trop long et que la situation avait assez duré, mais leurs fils n’allaient pas au combat et ils ne craignaient pas pour leur vie.
La question de la période à cheval ayant été résolue, je le répète, il me paraîtrait injuste d’octroyer la carte du combattant à tous ceux qui ont été en Algérie en 1963 et en 1964.
La majorité du groupe UDI-UC s’abstiendra néanmoins, la proposition de loi concernant également les soldats ayant participé à des OPEX. Leur situation soulève de nombreuses questions, et nous espérons, monsieur le ministre, qu’elles seront résolues.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l'article.
M. Alain Néri. Nous avons eu l’occasion d’exposer notre position concernant les anciens combattants d’Algérie.
En ce qui concerne les OPEX, nous faisons confiance à M. le ministre. Des efforts ont d’ores et déjà été réalisés et le nombre de cartes, en augmentation en 2013, devrait avoisiner les 20 000 en 2014. La proposition de M. le ministre me paraît parfaitement justifiée : prenons le temps de discuter avec les organisations d’anciens combattants, réfléchissons à la mise en place de critères justes, qui soient acceptés par tous.
Il serait regrettable que des mesures adoptées dans la précipitation conduisent à refuser le bénéfice de la carte du combattant à des soldats comptant quatre-vingt-dix jours de présence en unité combattante ou ayant pris part à des actions de feu ou de combat.
Monsieur le ministre, vous avez tenu vos engagements concernant le règlement du problème de la carte « à cheval » dans le projet de loi de finances pour 2014, nous avons donc toutes les raisons de vous faire confiance s'agissant des soldats engagés en OPEX pour le budget 2015.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste votera contre l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, sur l’article.
Mme Leila Aïchi. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, le groupe écologiste est partagé sur cet article.
Le principe d’égalité, qui fait pourtant la force de notre système juridique, devrait motiver notre réflexion. L’égalité de traitement et l’égalité de reconnaissance sont deux notions auxquelles je suis personnellement attachée.
Je ne pense pas qu’il soit pertinent d’introduire une discrimination entre des soldats engagés sur le même théâtre d’opérations à seulement quelques mois d’intervalle : le risque militaire existait et des troupes françaises étaient toujours présentes. Je voterai donc pour cet article.
Ma collègue Hélène Lipietz s’abstiendra et les autres membres de mon groupe voteront contre, en raison de l’argument historique mis en avant par certains d’entre vous au cours de la discussion. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Je voudrais enfin rappeler que notre divergence de vue porte sur ce seul article : l’ensemble de mes collègues du groupe écologiste, à une exception près, voteront les deux articles suivants.
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l’article.
M. Claude Domeizel. Je comprends les motivations poussant certains à proposer cette attribution de la carte du combattant.
Toutefois, la guerre d’Algérie était achevée à cette époque. Il a d’ailleurs fallu attendre longtemps – octobre 1999, si ma mémoire est bonne – pour que cette guerre soit reconnue comme telle.
À partir du 2 juillet 1962, il n’y avait plus d’état de guerre entre la France et l’Algérie.
M. Charles Revet. Dites-le aux 305 000 militaires français qui se trouvaient encore là-bas !
M. Claude Domeizel. En tant que président du groupe d’amitié France-Algérie, je ne voterai pas cette proposition de loi qui pourrait paraître offensante, aux yeux de nos amis algériens, et à juste titre.
En effet, si nous adoptions ce texte, cela signifierait que les soldats en opération à cette époque, jusqu’au départ définitif de l’armée le 2 juillet 1964, étaient des combattants et que nous étions donc encore en guerre, alors que, pour nos amis algériens, tout s’est réellement terminé le jour de l’indépendance, c’est-à-dire le 2 juillet 1962.
Je ne voterai donc pas cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Tous les membres de notre groupe voteront contre cet article.
Je crois qu’il faut faire attention : l’histoire n’est pas un prétexte et ne doit pas être utilisée comme tel. Des dates et des faits sont avérés, tout comme il est prouvé que de jeunes hommes ont été appelés non pas pour faire leur service militaire mais bien, de fait, pour faire la guerre. Comme Alain Néri l’a rappelé, et même si cela n’a été reconnu que tardivement, il y avait une situation de guerre. Puis, d’autres jeunes hommes ont été appelés, mais nous n’étions plus dans une telle situation.
Quels que soient nos sentiments et notre analyse de cette proposition de loi, je crois que nous avons toutes et tous su rappeler combien ce conflit a été violent et comment chacun, de part et d’autre de la Méditerranée, cherche à se reconstruire, notamment en jetant des ponts de coopération.
Comme vient de le dire notre collègue Domeizel, prenons garde de ne pas envoyer, au travers de décisions en apparence simples, généreuses et prises au nom de l’égalité entre les différents combattants des signaux pouvant être perçus comme extrêmement violents et susceptibles de rouvrir un débat ou de témoigner d’une volonté de réécrire l’histoire, alors que ce n’est aucunement ce que nous souhaitons. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet article.
Par ailleurs, s’il y a une date de cessez-le-feu et une date d’indépendance de l’Algérie, cela n’efface pas le fait qu’il a fallu organiser les rapatriements nécessaires. La mise en place de la carte « à cheval » est donc une nécessité pour en finir avec cette guerre, permettre cette reconnaissance des différents combattants et satisfaire ce droit à réparation. Toutefois, elle a déjà été réalisée.
Nous voterons donc contre cet article, rien ne justifiant une telle extension des dates de conflit, ni de la reconnaissance du statut d’ancien combattant.
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli, sur l’article.
Mme Colette Giudicelli. Comme souvent, je voudrais parler des harkis, qui sont nombreux à vivre dans notre pays.
M. Charles Revet. Tout à fait ! Il faut aussi penser à eux !
Mme Colette Giudicelli. Ce sont des Français, comme vous et moi. Dans quel état se trouvent-ils aujourd’hui ? Ils sont partis d’Algérie pour sauver leur vie. Or beaucoup n’ont pas la carte d’ancien combattant.
Chaque fois que nous en avons parlé en commission, monsieur Domeizel, vous m’avez dit vouloir vous abstenir et en parler d’abord, en tant que président du groupe d’amitié France-Algérie, avec vos amis algériens. Je vous ai répondu que, pour ma part, je ne demandais pas l’avis d’un pays étranger pour voter une loi de la République !
M. Charles Revet. Bravo !
M. Claude Domeizel. Je n’ai demandé l’avis de personne !
Mme Colette Giudicelli. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous venez de dire : prenons garde, dans ce genre de dossiers, à ne pas raviver de graves problèmes.
M. Michel Vergoz. C’est pourtant ce que vous faites depuis deux heures !
Mme Colette Giudicelli. Vous n’avez peut-être pas tous vécu les événements survenus à partir du cessez-le-feu. Des milliers de gens, dont des milliers de harkis, ont été massacrés. Vous non plus, n’allez pas refaire l’histoire pour qu’elle vous plaise !
M. Claude Domeizel. Je ne refais pas l’histoire !
Mme Colette Giudicelli. Monsieur Domeizel, chaque fois que j’essaie de m’exprimer, vous me coupez la parole, ou alors c’est M. Néri ! Une certaine courtoisie dans nos rapports serait la bienvenue. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Vergoz. C’est vous qui avez interpellé notre collègue !
Mme Colette Giudicelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, voilà ce que je souhaitais rappeler.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué. Je ne voulais pas reprendre la parole, madame la sénatrice, mais vous évoquez la question des harkis, dont je pourrais parler directement au travers de ma propre histoire.
L’Histoire est ce qu’elle est, mais l’histoire personnelle est beaucoup plus forte. Je crois qu’il nous faut éviter de jouer sur la corde sensible. Cette communauté a été pendant trop longtemps l’otage électoral d’un certain nombre de partis politiques.
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. Kader Arif, ministre délégué. Sous couvert d’une prétendue fraternité entre combattants, elle ne doit pas être la variable d’ajustement des prochaines élections municipales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Vergoz. Très bien, monsieur le ministre !
M. Kader Arif, ministre délégué. J’ai rencontré la semaine dernière l’ensemble des associations de harkis, titulaires de cartes de combattants. Nous sommes en train de faire le nécessaire pour que personne ne soit oublié dans le cadre de ce devoir de mémoire, et surtout pas eux. De grâce, évitons de jouer sur la corde sensible et d’utiliser une communauté trop longtemps otage de notre histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Je voudrais tout d’abord remercier Marcel-Pierre Cléach d’avoir déposé cette proposition de loi, ainsi que M. le rapporteur.
Je voudrais également rendre hommage à tous ceux de nos collègues anciens combattants. Je fais partie d’une génération qui n’a pas connu le feu. Mon grand-père paternel a eu le cou traversé par une balle en 1914-1918 et en a réchappé, alors qu’un de mes grands-pères maternels est décédé après avoir été gazé lors de ce même conflit. Durant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père maternel fut fait prisonnier. Quant à mon père, c’est un ancien d’AFN.
J’aborde ce texte avec une idée extrêmement simple : quels signes envoyer à ceux qui nous ont permis de jouir aujourd’hui de la paix et de la liberté ? Il s’agit d’une idée toute simple, qui sous-tend ce texte et qui répond à une double exigence d’équité et de reconnaissance.
Les hasards du calendrier ne peuvent faire oublier cette exigence d’équité entre ceux de nos militaires appelés avant et après l’indépendance de l’Algérie. J’ai entendu dire qu’il n’y avait pas eu de guerre entre la déclaration d’indépendance et le retrait de nos troupes, en 1964. Peut-être n’y avait-il pas de guerre, mais il y a eu 534 morts !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Vous évoquiez, chers collègues, le critère parfaitement juste de l’exposition au risque. Ce chiffre de 534 morts ne signifie-t-il pas que le risque militaire existait bien ?
M. Marcel-Pierre Cléach. Évidemment !
M. Bruno Retailleau. Comment mesurer ce risque, si ce n’est à travers la mort de ces combattants après l’indépendance ?
Pourquoi ces militaires ne seraient-ils pas des combattants à part entière ? Pourquoi vouloir que la nation leur accorde un signe de reconnaissance, comme à ceux qui ont servi avant l’indépendance ? Tout simplement parce que c’est juste.
Il s’agit d’une exigence d’égalité et d’équité, y compris vis-à-vis de ceux qui bénéficient de la carte du combattant alors qu’ils ont servi au Maroc ou en Tunisie plusieurs années après la date d’indépendance de ces pays. Nous n’allons pas retirer à ces derniers le bénéfice de cette carte sous prétexte qu’ils se seraient trouvés de part et d’autre d’une date d’indépendance ! Ce ne serait pas sérieux. Il s’agit d’une exigence d’équité, mes chers collègues, mais aussi d’une exigence de reconnaissance.
Souvent, et nous l’avons tous fait le 11 novembre, nous invoquons le devoir de mémoire à l’égard de nos morts, le devoir du souvenir. J’ai encore en tête ce que disait Victor Hugo sur les morts : « Les morts sont des invisibles, mais non des absents ».
Pourquoi ne pas faire preuve du même devoir de mémoire à l’égard des vivants, qui ont combattu et qui, parce qu’ils ont exposé leur vie au sacrifice suprême, nous permettent de vivre aujourd’hui libres et en paix ?
Ce sacrifice fait écho à une très belle phrase de Lazare Ponticelli, dernier survivant de la Première Guerre mondiale. Interrogé par un journaliste sur les raisons qui l’avaient poussé à s’engager pour notre pays, alors qu’il était un Français de sang-mêlé, issu d’une famille immigrée italienne, il répondit : « Je voudrais rendre à la France ce qu’elle m’a donné ».
Je pense que le moment est venu de rendre à ceux qui ont beaucoup fait pour la France. Nous nous honorerions les uns les autres, quelle que soit notre appartenance politique, en leur témoignant notre gratitude, notamment celle des générations que nous représentons et qui ne sont pas allées au feu, grâce à vous, mes chers collègues, qui y êtes allés.
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Je voudrais aussi bien saluer Claude Néri que Jean Boyer et tous les autres : mes chers collègues, vous avez pris des risques immenses durant les plus belles années de votre jeunesse et de votre vie. Quant à nous, nous servons la patrie d’une autre façon. Je pense que ces risques doivent être reconnus, quelle que soit la date à laquelle vous y avez été exposés. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué. Monsieur Retailleau, je suis sensible à vos propos sur la reconnaissance, mais je m’étonne. Je ne voudrais pas ouvrir un débat polémique sur ces questions, mais les anciens d’Afrique du Nord attendaient cette carte « à cheval » depuis cinquante ans.
Or le premier gouvernement à le proposer dans le cadre d’un projet de loi de finances est celui auquel j’appartiens. (Murmures sur les travées de l'UMP.) J’ai du mal à accepter une leçon sur le thème de la reconnaissance quand cela fait plus de cinquante ans que l’ensemble des anciens combattants d’Algérie attend un geste de la part des gouvernements successifs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Charles Revet. Et dire que vous ne vouliez pas ouvrir une polémique !
M. Kader Arif, ministre délégué. Par ailleurs, puisque nous parlons de la reconnaissance due à l’ensemble des soldats morts pour la France, je veux vous faire part de mon étonnement lors de mon arrivée dans ce ministère, dont le budget avait baissé de 5,4 % entre 2011 et 2012 et de plus de 3 % entre 2010 et 2011. Les autorisations d’engagement sont aujourd’hui de l’ordre de 2,7 milliards d’euros. Tout compte fait, il s’agit d’un budget en baisse de seulement 1,1 point, alors que la population concernée a diminué de plus de 5 %. Voilà quelles sont les réalités des chiffres, monsieur Couderc.
J’entends parler de reconnaissance pour les soldats tombés pour la France, mais, quand je suis arrivé dans ce ministère, rien n’était prévu pour la commémoration des soixante-dix ans de la fin du second conflit mondial. Pas un seul euro n’avait été engagé par le gouvernement précédent, pas une ligne budgétaire n’avait été prévue pour la reconnaissance de nos soldats, en particulier ceux dits « des anciennes colonies » pour leur rôle dans le débarquement de Provence ou la campagne d’Italie. Nous avons également réparé cet oubli dans le budget que je propose. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l’article.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a pas deux façons de mourir pour la France. Il n’y a pas deux façons de combattre. Il n’y a pas deux façons de se sacrifier pour son pays. On ne meurt pas différemment pour la France avant ou après une date déterminée.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Alain Houpert. Je pense aux jeunes de la génération de mon père, qui ont traversé la Méditerranée pour aller vers leur avenir lointain, vers un futur incertain. Même après le 19 mars 1962, mes chers collègues, ils avaient la peur au ventre. Ils se sont trouvés dans une situation de fait, une situation de risque de guerre.
Mes chers collègues, soyons généreux. Ne remuons pas le passé. L’homme, comme la loi, est perfectible. Votons l’article 1er, pour que la France manifeste sa reconnaissance envers ces jeunes et pour qu’il n’y ait pas de rupture d’égalité entre ceux qui sont partis avant une certaine date et ceux qui sont partis après. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous avez raison de penser à votre père. Imaginez comme je pense au mien, que j’ai perdu, et à son engagement pour la France. Imaginez tout ce qui pourrait amener quelqu’un comme moi, dont la violence a traversé la vie, à considérer qu’il n’y a pas de réconciliation possible. Sans l’honneur d’officiers français, qui ont sauvé des harkis et les ont ramenés en métropole, contre la volonté politique du moment, les choses auraient été encore plus dramatiques.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Kader Arif, ministre délégué. Il faut être prudent quand on évoque ce sujet. Si je m’oppose au décalage de la borne temporelle à 1964, c’est aussi parce que, au-delà de mon histoire personnelle, au-delà des histoires singulières des familles, de la violence qu’elles ont traversée, de leurs douleurs, il s’agit plutôt de travailler, pour les générations à venir, à la réconciliation avec la rive sud de la Méditerranée, en particulier avec l’Algérie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je suis sensible aux propos tenus à l’instant par M. Houpert. Il n’y a pas deux types de morts. Il n’y a pas non plus deux types de guerre. D’ailleurs, il n’y a pas de bonne guerre.
Alain Néri l’a rappelé avec brio, en la matière, ce sont des gouvernements de gauche qui ont – c’est irréfutable – balisé l’histoire, en faisant adopter des lois pour témoigner de la reconnaissance de la nation envers ceux qui ont laissé leur vie dans ces conflits. Je le répète, c’est sous le gouvernement de Lionel Jospin que « les événements » d’Algérie ont enfin été reconnus comme une véritable guerre. C’est sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault que le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu, a été reconnu, de manière puissante, comme un fait historique indéniable.
Chers collègues du groupe UMP, sans vouloir nier la sincérité de vos déclarations, notamment celles qui portent sur les victimes de l’avant ou de l’après-2 juillet 1962, j’ai comme l’impression que vous cherchez à reconstruire l’histoire. J’y vois la même contestation que lors de nos débats sur l’annonce du cessez-le-feu du 19 mars 1962 par le général Ailleret. Là encore, vous niez la réalité historique : de fait, les accords d’Évian ont imposé la paix et la fin définitive du conflit entre l’Algérie et la France.
De ce point de vue, je rejoins les propos de M. Domeizel : à vouloir trop s’arranger avec l’histoire, on prend le risque de créer des inimitiés. J’y insiste, ce que vous dites des victimes de ce conflit, avant ou après la date dont nous discutons, est parfaitement recevable ; nous le ressentons au moins autant que vous.
La mesure annoncée tout à l’heure par M. le ministre, la fameuse carte « à cheval », prend en compte le sort de ceux que nous évoquons. Sa logique, qui s’applique aux OPEX, me semble offrir une solution largement satisfaisante à moyen terme, qui sera de nature à apaiser les esprits, comme cela a été le cas pour le vote sur la date du 19 mars 1962. Or l’adoption de l’article 1er créerait une ambiguïté qui, je le crains, raviverait certains foyers d’incendie que nous croyions définitivement éteints par le vote que je viens d’évoquer.
Mes chers collègues, nous vous le disons très sereinement, vous faites erreur. C’est pourquoi nous ne voterons pas cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. On fait donc l’impasse sur les victimes après cette date ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 141 |
Contre | 171 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
I. – Après le premier alinéa de l’article L. 1 bis du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La République française reconnaît dans des conditions de stricte égalité avec les anciens combattants des conflits antérieurs, les services rendus par des personnes qui, en vertu des décisions des autorités françaises, ont participé au sein d’unités françaises ou alliées ou de forces internationales soit à des conflits armés, soit à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France. »
II. – Après le premier alinéa de l’article L. 253 ter du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Une durée des services d’au moins quatre mois, consécutifs ou non, au sein d’unités françaises ou alliées ou de forces internationales dans le cadre des conflits armés, opérations ou missions mentionnées au premier alinéa, est reconnue équivalente à la participation aux actions de feu ou de combat exigées à l’article L. 253 bis. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc Laménie, rapporteur. Le débat sur l’article 1er a été de qualité. Il a donné lieu à des témoignages particulièrement poignants, sur des sujets très importants et très sensibles, qui touchent à l’humain. On a senti beaucoup de respect, sur toutes les travées de cet hémicycle.
Ce débat n’est pas simple et, malgré le temps qui passe, il ne faut pas oublier l’histoire ; je le dis avec force. C’est le sens des témoignages de nombre d’entre vous, mes chers collègues.
Dans la discussion générale, j’ai exprimé ma position sur l’article 1er, même si la carte « à cheval » peut constituer un élément de réponse. Notre assemblée ne l’a pas adopté. Je prends acte du vote, je le respecte, mais je le regrette.
L’article 2, on l’a dit longuement en commission, prévoit de faciliter l’attribution de la carte du combattant aux soldats. J’associe à ces derniers les gendarmes ayant servi en OPEX. Même s’ils dépendent du ministère de l’intérieur, ils ont un statut de militaire. Or le dispositif concerne l’ensemble des militaires. J’en profite d’ailleurs pour exprimer mon profond respect à l’égard de tous ceux qui continuent à servir en OPEX. (M. Alain Néri acquiesce.)
La mesure relative à l’attribution de la carte du combattant a reçu un large assentiment en commission des affaires sociales, au-delà du groupe politique de l’auteur de la proposition de loi, Marcel-Pierre Cléach, et des cosignataires de ce texte. Je vous invite donc à l’adopter, mes chers collègues, car elle répond à un impératif fort : l’égalité – certains ont également parlé d’équité – entre les générations du feu.
J’ai pris bonne note des débats sur la guerre d’Algérie que l’article 1er a suscités. Je comprends naturellement les réticences de certains de nos collègues.
Toutefois, l’article 2 ne peut que faire consensus. Évitons les écueils – nous les connaissons – qui se présentent lorsque l’on aborde la guerre d’Algérie. Reconnaissons dès maintenant, sans attendre plusieurs décennies, l’effectivité du droit à réparation pour les services rendus en OPEX ; ils méritent tout notre respect !
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, sur l'article.
M. Jean Boyer. Je me réjouis de l’évolution du débat. À mon sens, il ne faut pas qu’il y ait des vainqueurs ou des vaincus à l’issue de notre vote. C’est, me semble-t-il, un élément fondamental.
Ceux qui ont fait la guerre d’Algérie, qu’ils soient originaires de métropole, harkis ou algériens, sont aujourd'hui dans la dernière partie de leur vie. Ce ne sont peut-être pas ceux qui manifestent dans les rues, ne serait-ce que parce qu’ils n’en ont plus nécessairement la force, mais ils aspirent à la paix ; je pense que tout le monde partage cette analyse.
Toutefois, s’ils veulent aujourd'hui la paix, ils ne veulent pas que le combat qu’ils ont mené hier soit source de conflits politiques aujourd'hui. Quand nous sommes partis en Algérie, moi et tant d’autres, nous ne pensions pas qu’il y aurait des polémiques sur d’autres sujets, par ricochet, cinquante ans plus tard !
Ayant entendu M. le rapporteur, je me réjouis que le message envoyé soit un message de reconnaissance et de paix.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué. Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète, la question qui a été soulevée à propos des opérations extérieures est légitime et juste. Je la prends en compte au quotidien dans les responsabilités qui sont les miennes.
Sans revenir sur les chiffres annoncés, je vous renvoie au passage de 3 800 à 13 000 cartes en moins de deux ans, avec une accélération notable depuis 2012, pour les soldats ayant combattu en opérations extérieures. Je mentionne également, même si cela peut paraître symbolique, le maintien du budget du monument aux morts en OPEX qui est prévu à Paris. J’évoquerai aussi le déblocage d’un million d’euros pour permettre l’appareillage des soldats blessés lors d’opérations extérieures : jusqu’à présent, il fallait faire des montages financiers très compliqués et nos soldats n’étaient pas appareillés dans les meilleures conditions.
Je souhaite qu’un débat serein nous permette d’évoluer sur le sujet et de déterminer, à partir du cas de la guerre d’Algérie, des critères qui vaillent pour toutes les OPEX. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose donc, si nous sommes tous d'accord sur cet engagement, d’examiner le dispositif dans le cadre de la préparation du budget triennal de 2015.
Au lieu d’être dans la précipitation, donnons-nous le temps d’étudier l’ensemble des critères, même si je me réjouis qu’il y ait eu, depuis un certain nombre d’années, un assouplissement pour les soldats engagés en opérations extérieures. D’ailleurs, je ne me l’attribue pas seulement à moi-même, ce travail ayant été engagé depuis 2010.
Je le sais, la question des soldats engagés dans la FINUL, la Force intérimaire des Nations unies au Liban, sera liée au passage à cent vingt jours de présence en unité combattante ; j’ai cet élément à l’esprit dans le traitement du dossier. Lorsque je me suis rendu dernièrement à Beyrouth, j’ai évoqué, au-delà du drame du Drakkar, ces questions avec les soldats qui étaient présents.
Je vous appelle donc à un travail serein et sage. Ne vous engagez pas avec un vote qui n’aurait, à mes yeux, aucun sens. Je préfère que l’ensemble des groupes s’engagent en faveur d’un examen de la question dans le cadre du budget triennal de 2015. Ce serait, je le crois, la meilleure des solutions.
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l'article.
M. Alain Néri. Je souscris tout à fait aux propos de M. le ministre. Cela rejoint ce que j’avais indiqué dans ma première intervention ; je pensais d’ailleurs que nous pouvions faire une explication de vote globale sur les deux articles.
Personne ne peut contester la volonté de M. le ministre de régler le problème. Je le répète, il a tenu l’engagement qu’il avait pris sur la fameuse carte « à cheval ». Et il s’engage aujourd'hui publiquement, devant la représentation nationale, à prendre en compte la question des soldats en OPEX.
Je pense qu’il n’y a pas d’urgence. Je peux entendre qu’il faille régler certaines situations rapidement. Toutefois, un tel vote n’aurait pas de traduction immédiate ; les soldats en OPEX dont il est question sont encore relativement jeunes et beaucoup d’entre eux ne sont pas directement concernés par la carte du combattant pour leur retraite.
À mon sens, il n’y aurait rien de pire que de voter un peu trop rapidement, en confondant vitesse et précipitation, dans un souci de rendre hommage à ces soldats en OPEX. Ne serait-il pas regrettable de constater ensuite des oublis et de devoir remettre l’ouvrage sur le métier ?
La proposition du Gouvernement me semble une proposition de sagesse et de responsabilité. Je demande à la Haute Assemblée de la suivre, afin d’exprimer notre confiance à M. le ministre et de lui donner rendez-vous pour le budget de 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste et, l'autre, du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 163 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 3
Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression des deux premiers articles, l’article 3 ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage. Si cet article est supprimé, il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et, par conséquent, il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach, sur l'article.
M. Marcel-Pierre Cléach. Je dois dire que je ne pensais pas déclencher un tel tir de barrage de la part du parti socialiste en déposant cette proposition de loi !
En effet, mon texte est non seulement voisin mais, je le crois, quasiment similaire à celui qui avait été déposé par le groupe socialiste le 17 avril 2008. J’aimerais d’ailleurs bien en relire l’exposé des motifs. Comme vous en étiez, me semble-t-il, signataire, cher Alain Néri, je serais curieux de savoir comment vous avez pu évoluer autant, notamment sur la question juridique que vous avez soulevée tout à l’heure, celle de l’état de guerre et de l’absence d’état de guerre à la suite de l’armistice et de la déclaration d’indépendance.
Pour ma part, je me suis exprimé sur l’aspect juridique. J’ai indiqué que nous étions confrontés à une situation de fait. La question juridique relève, selon moi, de l’argutie. Il y avait un risque. D’ailleurs, l’histoire ne l’a pas méconnu. Il n’y a pas de discussion sur le nombre de morts ou de disparus après la déclaration d’indépendance ou, plutôt, après la date du 19 mars 1962.
Ensuite, j’ai été étonné par les propos de Mme Dini. Pour ma part, je suis rentré d’Algérie en juin 1961, donc je n’y étais pas en 1962, mais j’y avais des amis et des camarades, je lisais la presse et j’étais déjà en contact avec les associations qui commençaient à se former. De plus, le ministère faisait état de certaines statistiques, confirmées par les associations.
Nul ne méconnaît l’état d’insécurité qui régnait à l’époque, ni les morts et les disparus, sans parler de l’épouvantable carnage perpétré à l’encontre des harkis. C’est la première fois que j’entends dire qu’à partir de juillet 1962 la situation était calme et paisible en Algérie !
M. Charles Revet. Et les 500 morts ?
M. Marcel-Pierre Cléach. Certes, dans la mesure où je n’y étais plus, il m’est difficile d’opposer un démenti fondé sur mon expérience, mais, au regard des statistiques, notamment celles des morts et des disparus, une telle allégation me semble curieuse.
Monsieur Mirassou, si vous ne votez pas cette proposition de loi, cela améliorera certainement vos statistiques : vous pourrez dire que toutes les propositions de loi mémorielles émanent de la gauche, puisque celles qui viennent de la droite ne sont pas votées ! (Sourires sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Cécile Cukierman. C’est un peu facile !
M. Marcel-Pierre Cléach. Enfin, je salue la modération des propos de M. le ministre, ainsi que ses engagements. Je comprends sa position et je sais combien il lui était extrêmement difficile d’accepter cette proposition, car son adoption aurait entraîné des inscriptions de dépenses importantes.
Monsieur le ministre, vous ne voulez certainement pas reconnaître cet état de fait, raison pour laquelle vous développez des tas d’arguties. Quoi qu’il en soit, je vous comprends et je ne vous mets pas personnellement en cause. Ce n’est pas la première fois que nous faisons cette proposition. Or les gouvernements que je soutenais ont eu la même attitude que vous, pour des raisons souvent financières. Je resterai donc modeste.
Toutefois, ma proposition tendait à aller de l’avant, vers davantage d’égalité. Il me semblait important de mettre sur un même pied les combattants d’avant, ceux d’après et ceux d’aujourd'hui. Je suis donc très déçu.
Bien sûr, je m’exprimais ici à titre personnel, en tant qu’auteur de la proposition de loi. Je laisserai à ma collègue Isabelle Debré le soin de présenter la position de mon groupe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, sur l'article.
Mme Isabelle Debré. Je veux remercier mon collègue Marcel-Pierre Cléach d’avoir déposé cette proposition de loi, dont nous avons pu débattre dans un climat serein, ainsi que M. le rapporteur.
Cette proposition de loi, qui ne sera malheureusement pas adoptée, puisque ses deux premiers articles ont été rejetés, reposait sur un principe qui nous est cher à tous, en particulier au Président de la République : l’égalité. Or celle-ci ne doit pas être réservée qu’à certaines personnes au sein de notre société.
L’égalité en question ici est entre quatre générations du feu. C’est l’égalité dans la reconnaissance de la nation envers ceux qui se sont sacrifiés pour elle ou qui se battent encore au Mali ou sur d’autres théâtres d’opérations, au nom des valeurs de notre pays. Ces quatre générations ne peuvent plus souffrir de différences de traitement.
Monsieur le ministre, si l’égalité, c’est maintenant, pourquoi ne pas avoir soutenu la proposition de loi de notre collègue Marcel-Pierre Cléach ? Sur toutes les travées, de gauche comme de droite, au cours de plusieurs législatures, les sénateurs et députés ont déposé des propositions de loi allant en ce sens. Comme tous mes collègues du groupe UMP, il me semble que nous ne devons plus attendre, car les générations du feu passent, les inégalités subsistent et la nation peine à témoigner aux combattants une véritable reconnaissance.
Enfin, et surtout, nous avons soutenu cette proposition de loi parce que, face au nouveau format des armées, à la nouvelle réalité des conflits et des crises dans lesquelles interviennent de façon exemplaire nos soldats envoyés en opérations extérieures, il est impératif que les critères d’attribution de la carte du combattant soient réactualisés. Monsieur le ministre, cette proposition de loi ne sera pas votée. Néanmoins, je serais tentée de vous faire confiance. J’espère donc que le texte que nous avons examiné aujourd'hui fera avancer les choses pour l’avenir.
En conclusion, mes chers collègues, je pense à tous ceux qui sont marqués dans leur chair et dans leur cœur, comme les soldats qui séjournent pendant des mois dans les services de l’hôpital Percy, ainsi qu’à leur famille. Qu’y aurait-il de plus républicain que de leur attribuer la reconnaissance de la nation, qu’ils méritent tant ?
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutient la proposition de notre collègue Marcel-Pierre Cléach. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l'article.
M. Alain Néri. Nous voilà parvenus à la fin de nos débats, qui ont été marqués, vous avez eu raison de le souligner, madame Debré, par la sérénité, mais aussi par la force de nos convictions, ce qui est bien naturel dans un débat républicain.
Je respecte toutes les opinions, même si elles sont différentes des miennes, à partir du moment où elles sont sincères, ce qui est le cas ici.
Je me félicite que le débat ait permis à certains de prendre connaissance publiquement des intentions de M. le ministre et des décisions qui ont déjà été prises. Monsieur le ministre, nous vous accordons d’autant plus de crédit, je le répète, que le Gouvernement a tenu ses premiers engagements. Il est toujours plus difficile quand on ne tient pas ses premières promesses de faire croire que l’on tiendra les suivantes ! Voilà pourquoi chacun ici est obligé de reconnaître que l’on peut vous faire confiance.
Je suis très heureux de le constater, l’opposition reconnaît finalement que l’action des socialistes en faveur de la modification des critères d’attribution de la carte du combattant a été positive. On ne l’a fait qu’à partir de 1997 dans le budget de 1998, mais rendez-nous ce qui nous appartient, à défaut de le rendre à César !
Effectivement, il faut davantage d’égalité. Néanmoins, cette dernière signifie que l’on accepte toutes les conditions pour que les choses soient égales par ailleurs.
Monsieur le ministre, je sais que vos engagements seront tenus dans le futur projet de loi de finances pour 2015, comme vous avez déjà tenu parole en ce qui concerne les blessés et les appareillages. Au-delà de la reconnaissance à travers l’attribution de la carte du combattant, vous avez déjà amorcé le processus de réinsertion sociale et citoyenne de nos jeunes engagés dans les OPEX. Une de nos missions sera de nous impliquer fortement à leurs côtés, pour que ceux qui ont fait le sacrifice de leur jeunesse, comme les autres générations du feu, sachent que la nation est auprès d’eux pour contribuer à leur réinsertion citoyenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, sur l'article.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai eu la chance de vivre la guerre d’Algérie en France, loin des opérations. J’ai donc été totalement épargné par les effets de ce conflit, qui a marqué notre histoire, puisque les noms de 25 000 de nos compatriotes figurent sur les monuments aux morts.
Il est important, selon moi, de rendre hommage aux 80 000 soldats français qui ont été engagés dans cette guerre jusqu’au 1er juillet 1964 et de leur adresser la reconnaissance de la nation.
C’est la raison pour laquelle je soutiens cette proposition de loi, qui me paraît tout à fait adéquate et qui intègre le critère des quatre mois pour tout engagé dans une opération extérieure, ce qui me semble normal. Il s’agissait d’une très bonne intention. Je regrette que cette belle proposition de loi, qui est l’expression de notre humanisme, soit rejetée. (Mme Sophie Primas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, sur l'article.
Mme Catherine Deroche. Mon intervention sera brève, car Isabelle Debré et Marcel-Pierre Cléach ont déjà parfaitement exposé les raisons qui sous-tendent cette proposition de loi à laquelle le groupe UMP est attaché.
Je souhaite dire à M. Néri que je respecte ses convictions, tout comme il respecte les nôtres. Néanmoins, ce débat mérite mieux qu’une recherche en paternité quelque peu décalée. Tous les gouvernements ont essayé d’agir en faveur des combattants. Un tel sujet devrait donc transcender les clivages. Nous leur devons tous la même reconnaissance. Pourquoi revendiquer certaines actions ou jeter à la figure de l’autre camp : vous n’avez pas fait ceci, vous n’avez pas fait cela ? Les combattants méritent mieux que ce genre de débat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc Laménie, rapporteur. Au terme de ce débat, à la fois passionnant et passionné, je remercie l’ensemble des intervenants, ainsi que la présidente de la commission et les services du Sénat. Je me réjouis du travail de fond que nous ayons réalisé.
Je remercie également M. le ministre et les différentes associations du monde combattant, patriotes et très attachées au devoir de mémoire. Les personnes que nous avons auditionnées nous ont permis d’éclairer le sujet.
Naturellement, le plus grand mérite revient à notre collègue, auteur de la proposition de loi, Marcel-Pierre Cléach, et à ses collègues qui ont signé le texte.
Je n’oublie pas non plus de rappeler l’engagement collectif et les témoignages de sincérité, de respect, de reconnaissance recueillis tout au long du débat. Certains collègues ont parlé de l’histoire. La tâche reste immense et ne cesse jamais. C’est un travail qu’il convient de réaliser ensemble, sur toutes les travées de cet hémicycle et bien au-delà. Ce devoir de mémoire nous anime, ainsi que tous les bénévoles qui œuvrent, avec beaucoup de dévouement et de cœur, pour servir ceux qui ont fait l’histoire en participant aux guerres et aux conflits, en toutes circonstances, en tout temps, et qui méritent à la fois notre respect et notre reconnaissance.
Permettez-moi ici de leur rendre, en notre nom à tous, l’hommage collectif qui leur est dû. Nous voulons leur dire notre profond respect, même si beaucoup reste encore à faire.
Je vous remercie, monsieur le ministre, des engagements que vous avez pris. Certains de mes collègues vous ont témoigné de leur confiance : je partage leur sentiment. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. M. le rapporteur m’a en quelque sorte ôté les mots de la bouche ! Quoi qu’il en soit, je suis très heureuse de présider la commission des affaires sociales, qui a la chance d’être chargée du dossier des anciens combattants. C’est un sujet toujours passionné, mais aussi constamment passionnant.
Le débat d’aujourd'hui démontre à quel point nous avons tous nos convictions chevillées au corps lorsqu’il s’agit de défendre les anciens combattants. Je ne crois pas qu’il y aurait, d’un côté, les défenseurs de la justice et des valeurs de notre pays, et, de l’autre, ceux qui s’y opposent.
La sincérité avec laquelle chacun s’est exprimé au cours de ce débat reflète celle des valeurs que nous portons, qui sont profondément ancrées en nous.
À cet égard, je ferai mien le propos tenu tout à l'heure par Gisèle Printz, qui a très bien dit qu’il n’y avait pas, d’un côté, les tenants de l’égalité et, de l’autre, ceux qui ne la souhaiteraient pas.
Je voudrais m’associer aux remerciements formulés par M. le rapporteur envers les services du Sénat. À mon tour, je salue le travail de la commission et les compétences de ses fonctionnaires. Grâce à eux, les dossiers des anciens combattants sont toujours bien traités au sein de la commission des affaires sociales.
Monsieur le ministre, je vous remercie de la sincérité de vos propos et surtout de vos engagements. Vous vous étiez engagé, Alain Néri l’a rappelé, sur la carte « à cheval ». Vous honorez cette promesse cette année même et, si cela ne va peut-être pas suffisamment loin aujourd’hui pour certains, la réflexion est en cours et un premier pas a été fait, qui devrait être acté lors de l’examen du projet de loi de finances.
Je tiens également à vous remercier de la réflexion que vous avez lancée sur la reconnaissance pour les soldats engagés dans les OPEX, réflexion très attendue, au-delà des anciens combattants. Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour qu’elle soit menée à son terme, afin que l’ensemble des soldats concernés puissent bénéficier d’une véritable reconnaissance.
Monsieur le ministre, je vous remercie, mais soyez assuré que la commission des affaires sociales sera vigilante – vous pouvez à votre tour nous faire confiance – sur la suite de cette réflexion !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà plusieurs fois que nous débattons au Sénat de questions mémorielles, au sens large. Il s’agit toujours de débats passionnés, passionnants, durant lesquels sont évoquées des histoires singulières, toujours avec sincérité, souvent avec émotion. C’est en effet par rapport à notre propre histoire que nous nous exprimons, et je sais, car cela m’arrive également, combien il est difficile de le faire.
Je souhaiterais à mon tour remercier vos équipes respectives. J’apprécie particulièrement l’accueil qui m’est chaque fois réservé par la commission des affaires sociales du Sénat.
Lors des nombreux débats qui ont eu lieu sur ces questions, j’ai constaté que chacun exprimait ses engagements avec beaucoup de force et de vérité. Certains m’ont dit qu’il s’agissait de débats explosifs, pouvant avoir des prolongements sinon dramatiques, du moins très compliqués, dans la vie publique. Or je crois qu’il faudrait davantage s’inspirer de la sagesse des associations d’anciens combattants, qui ont su, au-delà de leurs dissensions, même lorsque les débats ont été tranchés par les votes dans un sens ou dans l’autre, assumer leurs discussions pour permettre que, ensuite, les esprits s’apaisent.
C’est autour de cette question de la mémoire, autour de notre histoire collective, autour de cette reconnaissance du droit à réparation, qui nous porte et nous guide dans notre engagement, que nous pouvons nous retrouver et, en faisant collectivement preuve de sagesse, permettre que les choses évoluent au mieux. (Applaudissements.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste et, l'autre, du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 163 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble du texte.
La proposition de loi est rejetée.
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour un rappel au règlement.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, je comprends très bien que l’on ne se soit pas prononcé sur la proposition de loi, les trois articles qui la composent ayant été rejetés. Toutefois, je m’interroge : comment a-t-on pu voter sur l’article 3, qui prévoit le gage financier des articles 1er et 2, alors que ces deux articles n’ont pas été adoptés ?
M. le président. C’est très simple, ma chère collègue : un article, contrairement à un amendement, ne devient jamais sans objet. Ainsi en dispose le règlement du Sénat. Il fallait donc voter sur l’article 3, même si ce vote ne pouvait logiquement qu’être négatif.
M. Charles Revet. Que se serait-il passé si nous l’avions adopté ?
Mme Isabelle Debré. Il faudrait peut-être faire évoluer le règlement du Sénat sur ce point, monsieur le président, car cela me paraît parfaitement absurde.
M. le président. Nous verrons ce qu’il adviendra de votre proposition !
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
5
Formation aux gestes de premiers secours et permis de conduire
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire, présentée par M. Jean-Pierre Leleux et plusieurs de ses collègues (proposition n° 355 [2011-2012], texte de la commission n° 123, rapport n° 122).
Mes chers collègues, il est dix-sept heures cinquante-cinq. Je rappelle que nous devrons interrompre la discussion de cette proposition de loi à dix-huit heures trente, conformément à la décision prise par la conférence des présidents, ce qui permettra en outre à Mme la ministre des sports de se rendre au Stade de France afin d’y soutenir l’équipe de France de football. (Sourires.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Leleux, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Pierre Leleux, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, les accidents de la route demeurent, en France, une préoccupation, même si la mortalité routière a connu, ces quarante dernières années, une forte et progressive diminution.
J’en veux pour preuve quelques chiffres assez éloquents. Si en 1972, année qui détient en ce domaine un triste record, on dénombrait encore 18 000 tués, les décennies qui suivirent ont vu ce nombre décroître à 9 000 dans les années quatre-vingt-dix, pour passer sous la barre symbolique des 5 000 morts à partir de 2006.
De 2009 à aujourd'hui, ce chiffre tend à se stabiliser à un peu moins de 4 000 tués par an. Ainsi l’évolution constatée depuis 1972 correspond-elle à un nombre de tués sur les routes divisé par plus de quatre, alors que, sur la même période, le parc roulant et le trafic ont été multipliés par plus de deux. Cette tendance doit être soutenue.
Ces résultats, certes, traduisent l’évolution des comportements des conducteurs, plus respectueux, dans leur ensemble, des règles du code de la route, mais ils sont également, et en très grande partie, la conséquence des nombreuses actions des pouvoirs publics visant non seulement à améliorer l’état du réseau routier, mais aussi à mettre en œuvre diverses mesures d’ordre technique et juridique constitutives de la politique de sécurité routière menée dans notre pays.
Il en est ainsi de la détermination de seuils de taux d’alcoolémie, de l’instauration de limitations de vitesse ou du port obligatoire de la ceinture de sécurité et du casque, de la création d’un bonus-malus dans le domaine des assurances ou du permis à points et du contrôle technique des véhicules.
Je retiendrai également, sur le plan législatif, l’adoption par le Parlement de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, qui a prévu, notamment, l’alourdissement des sanctions dans les cas d’accidents graves ou un permis probatoire instauré pour les nouveaux conducteurs.
Toutefois, malgré ces outils et les progrès qu’ils ont pu induire, la situation pourrait être encore améliorée en accentuant les politiques en direction des premiers secours apportés aux accidentés et plus particulièrement aux blessés en détresse.
En la matière, plusieurs formations ou sensibilisations aux gestes de survie existent en France, mais elles présentent la caractéristique d’être généralistes et l’inconvénient d’être insuffisantes quant à l’étendue des publics bénéficiaires.
C’est ainsi le cas des formations en direction de nos concitoyens leur permettant, pour ceux qui le souhaitent, de concourir aux missions de sécurité civile. À l’issue de ces formations leur sont délivrées les attestations de « prévention et secours civique de niveau 1 », ou PSC1, après environ huit à neuf heures d’enseignement, et de « premiers secours en équipe de niveau 1 et de niveau 2 », ou PSE1 et PSE2, qui sanctionnent, pour les personnes désireuses de s’orienter vers le secourisme, trente-cinq heures d’enseignement, ou bien encore le dispositif organisé de manière obligatoire dans le cadre scolaire concernant la formation PSC1 et les attestations de sécurité routière de niveau 1 et de niveau 2.
Malheureusement, force est de constater que, malgré les efforts entrepris, dans les deux cas, le nombre de personnes bénéficiaires est loin d’atteindre les objectifs visés : 220 000 au titre de la sécurité civile pour 2011 et de l’ordre de 120 000 annuellement au sein de l’éducation nationale.
Il n’est dès lors pas étonnant d’apprendre par un récent sondage Opinion Way, réalisé en septembre dernier pour la Croix-Rouge française, que 98 % des Français interrogés se disent favorables à la perspective d’une formation aux gestes de premiers secours lors du passage du permis de conduire.
Plus que le citoyen ou l’élève, c’est l’usager de la route qui se sent alors concerné, car plusieurs victimes d’accidents décèdent sur place avant l’arrivée du SAMU ou des pompiers, laquelle peut nécessiter un délai incompressible de quelques minutes à plusieurs dizaines de minutes, selon l’éloignement du lieu de l’accident.
Or dans les cas de détresses graves, tout se joue dans les instants qui suivent l’accident. Les premiers témoins sont souvent les seuls à pouvoir intervenir de manière décisive. Ainsi, il est permis d’estimer qu’entre 250 et 350 vies par an pourraient être sauvées sur les routes de France, des chiffres confirmés par l’Académie nationale de médecine.
Par quel moyen ? En passant d’une formation pratique qui est presque confidentielle, comme nous venons de le voir, à une formation de masse ciblée sur les candidats au permis de conduire, soit environ 700 000 personnes par an, si l’on tient compte de celles qui pourraient en être dispensées, car elles sont déjà titulaires d’une attestation de formation. Cette démarche s’apparenterait à celle qui est menée dans le domaine de l’urgence cardiaque avec les « trois gestes qui sauvent » mis en place par la Fédération française de cardiologie. Il s’agit donc d’introduire un enseignement pratique en quatre heures, limité à l’urgence vitale et assimilable par le plus grand nombre.
Ce constat avait déjà conduit, dès 1967, à l’élaboration d’un programme d’enseignement de cinq gestes de survie, simples et élémentaires : alerter, baliser, pour l’alerte, ventiler, comprimer et sauvegarder, pour la survie.
Puis, un comité interministériel de la sécurité routière, en novembre 1974, avait approuvé le projet d’une telle formation pour les candidats aux permis de conduire, mais sans pour autant qu’elle soit mise en œuvre, et ce malgré un large consensus des médecins de premiers secours, des professionnels et des enseignants du secourisme.
Pour sa part, le législateur s’est saisi de cette question par le biais de diverses propositions de loi, déposées de 1997 à 2012 par des parlementaires de tous bords politiques, preuve supplémentaire d’un large consensus. Dans l’ensemble de ces propositions était prévue une formation aux gestes de premiers secours lors de l’examen du permis de conduire. Malheureusement, ces initiatives n’ont jamais abouti.
Dans le même esprit, la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière avait prévu que les candidats au permis de conduire soient sensibilisés, dans le cadre de leur formation, aux notions élémentaires de premiers secours, tout en renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de fixer ses modalités d’application de cette mesure. Or ce texte ne fut jamais publié !
Vous le voyez, mes chers collègues, d’un point de vue tant législatif que réglementaire, depuis maintenant plus d’une quarantaine d’années, rien d’efficace n’a pu prospérer.
Aussi, je ne puis que me réjouir de l’examen, ce jour, en séance publique, de ce texte qui, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois, constitue une avancée notable en la matière.
J’en rappelle le dispositif : « Les candidats à l'examen du permis de conduire sont formés aux notions élémentaires de premiers secours en cas d'accident de la circulation. Cette formation est sanctionnée dans le cadre de l'examen du permis de conduire. Le contenu de cette formation et les modalités de vérification de son assimilation par les candidats sont fixés par voie réglementaire. »
Avant de développer le contenu de cette proposition, je voudrais féliciter et remercier la commission des lois, son président, Jean-Pierre Sueur, le rapporteur du texte, notre collègue Catherine Troendlé, et nombre de ses membres qui, tout en conservant l’esprit du dispositif prévu par la proposition initiale que j’ai eu l’honneur de déposer avec Jean-René Lecerf, ont pour autant souhaité le simplifier.
Tout d’abord, la commission a fait le choix de ne pas retenir une épreuve supplémentaire au permis de conduire, qui aurait eu pour conséquence, j’en conviens, d’alourdir l’existant.
Ensuite, elle a opté pour le caractère réglementaire de la définition des épreuves concernées, permettant ainsi de supprimer un obstacle majeur à son adoption, qui avait déjà été soulevé à l’Assemblée nationale, voilà un peu plus d’un an, lors de l’examen de la proposition de loi du député Bernard Gérard.
Pour autant, il ne me paraîtrait pas contraire au principe de séparation des pouvoirs que nos débats viennent enrichir le dispositif de quelques précisions sur ce que recouvre exactement une formation « aux gestes de survie », ou mieux encore « aux gestes de survie comprenant, outre l’alerte des secours et la protection des lieux, ceux pour faire face à la détresse respiratoire et aux hémorragies externes ». Il me semble qu’en clarifiant ainsi le cadre général de la formation, nous n’empiéterions pas sur la compétence réglementaire.
Lors de la discussion de l’article unique de ce texte, j’aurai l’honneur de présenter deux amendements en ce sens, complétés par un troisième visant à introduire un alinéa additionnel afin d’instituer un comité de suivi chargé d’évaluer l’application de la présente loi, tout en s’assurant du contenu et de l’efficience de la formation dispensée.
Cette création me semble justifiée par les difficultés rencontrées depuis une quarantaine d’années, comme il nous a été donné de le constater, pour faire reconnaître les cinq gestes.
Au-delà de la discussion des amendements, mon souhait est que puisse s’engager devant la représentation nationale un débat de nature à faire progresser un secteur délaissé de notre politique en matière de protection civile. Toutefois, je souhaite également donner des pistes de réflexion au Gouvernement dans la mise en œuvre des modalités d’organisation de la formation.
Je sais, à ce sujet, que trois des gestes préconisés peuvent susciter quelques interrogations, voire des réticences qu’il y a lieu, à mon sens, de dépasser.
Tout d’abord, il faut savoir que la ventilation a pour but, jusqu’à l’arrivée des secours, de s’assurer simplement que le blessé inconscient respire correctement et de pratiquer une LVA, c'est-à-dire une libération des voies aériennes, simple geste qui consiste à relever le menton pour éviter que la trachée ne se bouche et empêche l’arrivée de l’air. Il ne s’agit nullement de pratiquer la respiration artificielle, telle que beaucoup d’entre nous l’ont apprise voilà quarante ans dans les cours de secourisme. Les techniques ont en effet beaucoup évolué en la matière.
En revanche, si la respiration ne se fait pas, ce qui arrive dans 20 % des cas au maximum, il faut alors procéder au bouche-à-bouche ou au bouche-à-nez afin d’éviter tout arrêt respiratoire. En effet, dans un moment comme celui-là, la fonction respiratoire ne peut se rétablir seule. Toutefois, il n’est pas question non plus de pratiquer une respiration artificielle par une quelconque méthode manuelle. Il s’agit d’un geste simple et élémentaire.
Ensuite, la position latérale de sécurité, la PLS, dont on parle aussi beaucoup, qualifiée de position « de sauvegarde » par son initiateur, le professeur Marcel Arnaud, fondateur du secourisme routier, vise à empêcher le blessé inconscient sur le sol de s’étouffer de par sa position, en évitant soit une inondation pulmonaire en cas de régurgitations ou de vomissements, soit que la chute de sa langue en arrière ne vienne obstruer les voies aériennes. Ce sont des choses très faciles à comprendre.
Enfin, comprimer consiste non pas à poser un garrot ou à faire un point de compression, comme nous l’apprenions voilà cinquante ou soixante ans, mais simplement à appuyer directement sur une plaie en cas d’hémorragies externes exclusivement.
Ce sont là des gestes de survie, dont on ne rappellera jamais assez la simplicité et le caractère élémentaire. Ils se retrouvent dans tous les programmes de formation, en France et dans le monde, car ce sont des gestes universels devant être pratiqués avec des précautions apprises et répétées lors des enseignements.
Quelle différence y aurait-il entre une ventilation et une sauvegarde assimilées lors de la préparation au permis de conduire et les mêmes gestes dont la maîtrise serait acquise, notamment, au cours des formations de la protection civile ?
J’ai ici un ouvrage (M. Jean-Pierre Leleux brandit un livre.) qui n’est pas pour vous, mes chers collègues, puisqu’il s’intitule Les Premiers Secours pour les nuls : on y retrouve les cinq gestes que j’ai déjà mentionnés. Je pourrais vous citer de nombreux autres fascicules sur ce thème, trouvés dans les publications de l’association « 40 millions d’automobilistes » ou dans d’autres journaux spécialisés.
Même dans la PSC1, c’est-à-dire dans la formation de neuf heures du brevet de secouriste, la LVA et la PLS sont enseignées. Je le répète, ce sont des gestes très simples, que tout le monde peut apprendre, mais il faut surtout que les candidats au permis de conduire en acquièrent le réflexe, ce qui leur évitera tout accès de panique.
Peut-être faudrait-il reformuler les mots clefs de ces gestes, afin de les rendre définitivement acceptables et encore plus faciles à apprendre, d’un point de vue mnémotechnique, et à mettre en pratique, à titre de réflexe.
En tout cas, l’important est de donner un ordre chronologique au cours de cette formation, pour que la personne arrivant sur les lieux d’un accident où se trouvent des personnes inanimées ait immédiatement à l’esprit ce qu’il faut faire sans s’affoler. En effet, c’est la répétition des gestes lors des quatre heures de formation que nous préconisons qui préservera l’automobiliste de la panique, ce qui permettra peut-être de sauver une vie supplémentaire.
Au terme de cette discussion, avec, je l’espère, l’adoption de la proposition de loi par le Sénat puis son examen par l’Assemblée nationale, notre pays aura franchi un premier pas qui le rapprochera d’autres États européens ayant déjà, de longue date, introduit dans la formation au permis de conduire les gestes de premiers secours. Je pense à l’Allemagne, à l’Autriche, à la Suisse ou au Danemark, mais ce sont en réalité une dizaine de pays européens qui ont déjà mis en place un tel dispositif.
Madame la ministre, mes chers collègues, ces exemples nous incitent à persévérer dans cette voie. Tout en reconnaissant l’excellent travail de la commission des lois – celle-ci a permis l’adoption d’un amendement très juste, afin d’écarter la notion de troisième épreuve, qui aurait été trop lourde –, je me permettrai d’insister sur la nécessité de préciser et d’encadrer dans le décret à venir ce que l’on appelle les « premiers gestes au moment de l’intervention » et d’y ajouter les définitions des gestes d’alerte et de survie.
Nous pourrions ainsi sauver près de 10 % de vies supplémentaires, soit environ 350 personnes. Et même si elle ne permettait que de sauver une seule vie, notre démarche en vaudrait la peine ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en l’état actuel du droit, la connaissance des gestes de premiers secours n’est ni enseignée ni sanctionnée lors de l’examen du permis de conduire, même professionnel. C’est pour répondre à cette carence que la présente proposition de loi a pour objet de rendre obligatoire une formation aux premiers secours dans le cadre du permis de conduire.
Lors d’un accident de la circulation, les premières minutes sont vitales pour la survie des blessés : la moitié de ces derniers décèdent à ce moment. J’ajouterai que la survie des blessés les plus gravement atteints est liée à leur prise en charge précoce par les services de secours.
L’Organisation mondiale de la santé remarque ainsi, en 2005, que « même les systèmes de secours les plus sophistiqués et les mieux équipés ne peuvent pas grand-chose si les témoins sont incapables d’analyser le degré de gravité de la situation, n’appellent pas à l’aide et ne pratiquent pas les soins de base avant que les services de secours n’arrivent sur place. C’est encore plus manifeste dans les zones rurales. »
Le lien entre témoins de l’accident et services de secours est donc essentiel, mais l’état de panique que peut susciter la survenance d’un accident conduit certains témoins à oublier les gestes essentiels consistant tout simplement à alerter les secours ou à protéger le lieu de l’accident.
J’articulerai mon propos en trois temps : je montrerai tout d’abord que les dispositifs généraux de formation aux premiers secours ne permettent pas de former les conducteurs et qu’une formation spécifique leur est nécessaire ; je présenterai ensuite la proposition de loi, telle qu’elle résulte des travaux de la commission ; enfin, je répondrai à l’objection majeure, qui ne manquera pas d’être soulevée, relative au caractère réglementaire de cette proposition de loi.
En France, le niveau de formation aux premiers secours est faible et les dispositifs généraux de formation ne permettent pas de former efficacement les conducteurs. En effet, il n’existe qu’un dispositif général obligatoire de formation aux gestes de premiers secours : celui qui est organisé au bénéfice des élèves du premier et du second degré par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile. Ces dispositions imposent de former les élèves à l’attestation de prévention et secours civiques de niveau 1. Cependant, 20 % seulement des élèves de troisième sont formés chaque année.
Dans le cadre du permis de conduire, aucune exigence de connaissance des gestes de secourisme n’est imposée aux candidats, même pour les permis de conduire professionnels. Il existe bien un référentiel, à destination des enseignants de la route ; ce « cahier des charges » impose aux enseignants d’apprendre aux candidats un certain nombre de comportements et de réflexes à avoir en cas d’accident de la circulation, mais aucune question à l’examen théorique ou pratique ne vient sanctionner cet enseignement.
Pour les permis de conduire poids lourds et de transport de personnes, des connaissances théoriques sont dispensées en matière de conduite à tenir en cas d’accident, pendant la formation initiale et professionnelle, là encore sans sanction.
Face à ce constat, de nombreuses initiatives parlementaires ont tenté de conforter l’état du droit existant.
La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a ainsi créé une obligation de sensibilisation des candidats aux permis de conduire à la formation aux premiers secours. Toutefois, en l’absence de décret d’application, cette obligation est restée lettre morte.
Plusieurs propositions de loi ont été déposées afin d’imposer une formation pratique aux gestes de premiers secours lors du passage du permis de conduire. Certaines, comme celle que notre collègue Jean-Pierre Sueur a déposée le 2 août 2007, ont eu pour objet d’intégrer une formation obligatoire aux premiers secours dans l’examen des permis de conduire de transport de personnes. D’autres propositions de loi ont eu pour objet d’instaurer cette obligation de formation pratique dans les épreuves du permis de conduire de catégorie B. La dernière en date a été déposée à l’Assemblée nationale par M. Bernard Gérard et plusieurs de ses collègues, le 23 août 2012. Elle a toutefois été rejetée le 11 octobre 2012.
J’observe que, dans de nombreux pays européens, une formation en matière de secourisme est un préalable obligatoire à l’obtention du permis de conduire. Cependant, ces formations ne sont jamais sanctionnées par un contrôle des connaissances intervenant à l’occasion du passage du permis de conduire. Il est simplement imposé aux candidats au permis de conduire de suivre une formation aux premiers secours, d’une durée variable, généralement de six heures à huit heures, comme en Allemagne ou en Autriche, ainsi que l’a rappelé M. Leleux.
J’en viens à la présentation de la proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par la commission des lois.
La proposition de loi visait initialement à instaurer une troisième épreuve au permis de conduire pour sanctionner une formation aux « notions élémentaires de premiers secours », définies par le texte comme étant l’apprentissage de cinq gestes fondamentaux. Cette formulation posait deux types de difficultés pratiques.
En premier lieu, la création d’une épreuve supplémentaire spécifique est rapidement apparue comme un obstacle. En effet, créer une épreuve supplémentaire entraîne nécessairement un surcoût, même faible, qui pèsera in fine sur les candidats au permis de conduire. Or le coût de la formation au permis de conduire est évalué en France à près de 1 500 euros, un montant qui se situe certes dans la moyenne européenne, mais qui reste très élevé. Il semble difficile d’imposer une charge aux enseignants des auto-écoles sans que ceux-ci répercutent ce coût sur la formation dispensée. Si les candidats se forment auprès d’associations agréées, la formation leur sera également facturée.
Si la formation ne s’effectue pas au sein de l’auto-école, mais par le biais d’une association de secourisme, un nombre important de moniteurs de secourisme sera nécessaire pour former les candidats au permis de conduire.
Or, au regard des 900 000 candidats annuels au permis de conduire, imposer une formation supplémentaire entraînerait nécessairement un allongement très important des délais de passage du permis de conduire et saturerait les associations et les structures capables de délivrer cette formation.
En outre, on observe déjà une tendance à l’allongement des délais pour passer le permis de conduire : de 86 jours d’attente en moyenne en 2012, ce délai est d’environ 90 jours à 95 jours pour l’année 2013. Je souligne que l’obtention du permis de conduire est souvent une condition d’accès à l’emploi.
En second lieu, préciser dans la loi le contenu de la formation aux premiers secours pose des difficultés.
Les « cinq gestes qui sauvent » ont pu faire consensus au moment du lancement de ce programme dans les années 1970, mais, aujourd’hui, ventiler, c’est-à-dire pratiquer la respiration artificielle sur les blessés, est un geste plus contesté en cas d’accident de la circulation. Il est donc préférable de laisser au pouvoir réglementaire le soin de définir cette formation, de la faire évoluer aussi, en fonction des connaissances et des techniques nouvelles.
La commission des lois a par conséquent adopté un amendement visant à reformuler l’article unique de la proposition de loi pour imposer non plus une épreuve spécifique, mais une formation obligatoire aux notions élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation. J’insiste cependant sur un point : la connaissance des notions élémentaires aux premiers secours sera bien sanctionnée, mais elle le sera dans le cadre des épreuves existantes : lors de l’examen théorique, des questions pourront être posées et, lors de l’épreuve pratique, une mise en situation pourra permettre de vérifier les connaissances du candidat en la matière.
Je voudrais répondre maintenant à l’objection essentielle qui ne manquera pas d’être formulée, selon laquelle cette proposition de loi relève de la compétence du pouvoir réglementaire.
D’une part, le Conseil constitutionnel admet depuis sa décision du 30 juillet 1982 relative à la loi sur les prix et les revenus que la loi peut empiéter sur le domaine du règlement, sans être inconstitutionnelle. D’autre part, il arrive que le législateur intervienne dans le domaine réglementaire en toute connaissance de cause, en raison du caractère tout à fait politique ou symbolique de la disposition en cause.
Par exemple, la durée d’assurance requise pour pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein est en principe de la compétence du règlement. Elle a été fixée par un décret du 27 août 1993 relatif au calcul des pensions de retraite, mais dans le cadre du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, que le Sénat a examiné ces derniers jours, le Gouvernement a fait le choix de définir cette durée à l’article 2 de la loi. Ce choix se justifiait par la portée de cette disposition et par la nécessité d’un débat sur la question.
Sans présenter une telle portée, le principe général de formation aux notions élémentaires de premiers secours à l’occasion du permis de conduire pourrait être intégré dans la partie législative du code de la route, compétence étant laissée au pouvoir réglementaire pour définir le contenu de cette obligation.
Dans d’autres domaines, ayant trait eux aussi à la sécurité des personnes, la loi est intervenue pour faire respecter une obligation essentielle de sécurité : la nécessité d’équiper les logements d’un détecteur de fumées, par exemple, résulte de la loi du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation ; les obligations en matière de sécurisation des piscines privées relèvent de la loi du 3 janvier 2003 relative à la sécurité des piscines.
Il existe donc plusieurs précédents et la présente proposition de loi s’inscrit dans la même logique : imposer une obligation dans la loi, afin de sauver des vies. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons aujourd’hui intéresse les Français à un double titre.
Il les intéresse tout d’abord parce qu’il concerne le permis de conduire. En tant que ministre de la jeunesse, je sais l’importance de cette épreuve. Pour beaucoup de jeunes, le permis n’est pas une simple autorisation administrative ; il représente l’accès à l’indépendance, à la mobilité, à l’emploi. Finalement, le permis symbolise le passage à l’âge adulte.
Ce texte intéresse également nos concitoyens à un autre titre, plus tragique : il vise à sauver des vies qui, trop souvent encore, sont perdues dans des accidents de la circulation routière.
Je profite d’ailleurs de cette intervention, et le ministre de l’intérieur se joint à moi sur ce point, pour adresser un message de prudence, notamment aux jeunes conducteurs. En effet, 20 % des tués sur la route ont entre 18 ans et 24 ans.
En dix ans, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, le nombre de morts sur la route a été divisé par deux : 3 653 personnes ont trouvé la mort sur la route en 2012, contre 7 242 en 2002. Le progrès est considérable, mais nous savons tous que nous ne devons pas relâcher nos efforts, que nous ne devons jamais baisser la garde.
Sauver des vies sur la route suppose bien sûr de prévenir et de réprimer les comportements dangereux au volant, qu’ils soient liés à la vitesse, à l’alcool ou à la drogue. Sauver des vies exige aussi, lors d’un accident, d’intervenir à temps, de connaître les bons gestes et d’avoir les bons réflexes.
Tel est précisément l’objectif du texte que vous avez présenté, monsieur Leleux. Sachez que le Gouvernement vise le même objectif que vous. En revanche, nous divergeons sur la façon d’y parvenir. Vous le savez, un texte très proche du vôtre a été examiné l’an passé par l’Assemblée nationale – j’avais d’ailleurs déjà eu l’occasion d’y travailler avec le ministre de l’intérieur. Les objections que je formulerai seront donc très proches de celles que nous avions opposées au député Bernard Gérard.
Je ferai tout d’abord une remarque juridique, revenant sur la conclusion de l’intervention de Mme la rapporteur : la proposition de loi initiale, avant qu’elle ait été amendée par la commission des lois, relève du domaine réglementaire, non du domaine législatif. Nous savons bien que cette limite entre les deux est parfois ténue et qu’elle est parfois difficilement compréhensible au regard de l’importance des enjeux. Elle est néanmoins constitutionnelle, et je sais que le Sénat est attaché à produire des lois qui respectent pleinement notre hiérarchie des normes.
Avec cet argument juridique, le Gouvernement ne cherche nullement à se défausser. Bien au contraire, il a pleinement conscience que les progrès, en la matière, relèvent de son entière responsabilité. Cette responsabilité est assumée et des progrès ont été accomplis, j’y reviendrai.
Sur le fond, le texte qui avait initialement été proposé à votre assemblée comportait également un certain flou quant aux modalités de mise en œuvre. S’il s’agissait réellement de créer une troisième épreuve de l’examen du permis de conduire, la surcharge de travail pour les inspecteurs du permis de conduire serait considérable et difficilement envisageable.
Je rappelle pour mémoire que l’allongement, en 2004, de la durée d’épreuve de la catégorie B du permis – on l’avait fait passer de vingt-deux à trente-cinq minutes – avait nécessité le recrutement de 195 inspecteurs supplémentaires.
Une troisième épreuve représenterait également un coût supplémentaire pour les candidats au permis ; or il est clair que l’accès à la conduite est financièrement difficile pour de nombreux jeunes.
L’exposé des motifs du présent texte précise que cette formation serait assurée par des associations de secourisme agréées, ce qui soulève au moins une autre interrogation : ces associations pourront-elles faire face à la masse que constituent les 900 000 candidats annuels au permis de catégorie B ?
Nous savons combien les délais d’attente au permis de conduire sont parfois pesants pour les candidats ; les nombreuses questions de parlementaires posées au ministre de l’intérieur sur ce sujet en témoignent. Il serait, me semble-t-il, inutile d’aggraver cet engorgement en créant une nouvelle file d’attente pour une troisième épreuve. En pratique, cet engorgement serait inévitable, les associations de secourisme agréées ne disposant pas aujourd’hui du maillage territorial suffisant pour assurer ces formations pour tous.
L’accès à la conduite est un enjeu essentiel pour de nombreux jeunes, je l’ai dit. Or des inégalités entre les candidats existent déjà, malheureusement, en raison du coût de la formation à la conduite ou des déplacements à effectuer pour aller passer les épreuves du permis ; inutile d’y ajouter des inégalités territoriales !
Une dernière objection peut être opposée à votre proposition de loi, monsieur Leleux. Elle concerne le contenu même de la formation que vous appelez de vos vœux. Certes, l’intitulé de cette proposition n’évoque plus les « cinq gestes qui sauvent », mais ceux-ci sont expressément mentionnés dans l’exposé des motifs. Or, comme l’a noté fort justement Mme la rapporteur, cette formation ne fait plus consensus. Les « cinq gestes qui sauvent » regroupent des actes de nature très différente : d’un côté, des actes faciles à réaliser sans compétence particulière, comme « alerter les secours, baliser les lieux et protéger les victimes, sauvegarder les blessés de la route en détresse » ; de l’autre, des actes de secourisme tels que « ventiler par bouche à bouche » ou « comprimer une hémorragie externe ». Le médecin que je suis aussi sait bien que ces gestes ne peuvent être mis sur le même plan.
Comme l’ont rappelé les professionnels de la sécurité civile lors des auditions auxquelles Mme la rapporteur a procédé, la ventilation par le bouche-à-bouche peut, par exemple, entraîner des manœuvres préjudiciables dans le cas de victimes chez qui on est en droit de suspecter un traumatisme du rachis. Quant aux hémorragies, on constate, depuis la mise en place des « cinq gestes », qu’elles se révèlent le plus souvent internes, du fait même de l’amélioration des mesures de sécurité et de sûreté des véhicules, notamment l’installation des airbags.
Bref, nous devons évidemment prendre en compte la réalité des blessures causées par les accidents de la circulation.
Ces objections de fond avaient conduit le Gouvernement à s’opposer à la proposition de loi du député Bernard Gérard. Pour les mêmes raisons, il émet de semblables réserves sur le dispositif initialement proposé par le sénateur Jean-Pierre Leleux.
Néanmoins, le ministre de l’intérieur s’était engagé devant les députés à prendre des mesures concrètes pour faire progresser la sensibilisation à ces problématiques. Ces engagements ont été tenus.
Pour ce qui concerne la formation, tout d’abord, le programme national de formation à la conduite, destiné aux enseignants du permis, sera revu en 2014. Dans ce cadre, la formation aux comportements à adopter en cas d’accident doit être renforcée. Ainsi, l’arrêté du 13 mai 2013 relatif au référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2014, développe et renforce le contenu de cette sensibilisation. Le nouveau livret d’apprentissage pour la catégorie B, qui entrera en vigueur à la même date, va également dans ce sens.
Pour ce qui concerne les candidats au permis de conduire, ensuite, vous avez rappelé, madame le rapporteur, que certains députés s’étaient interrogés sur l’absence de décret d’application de l’article 16 de la loi du 12 juin 2003 – votée voilà tout de même dix ans, donc ! – renforçant la lutte contre la violence routière. Cet article dispose que les « candidats au permis de conduire sont sensibilisés dans le cadre de leur formation aux notions élémentaires de premiers secours ».
La mesure réglementaire en question, qui doit modifier l’article R. 213-4 du code de la route, figure dans un projet de décret portant diverses dispositions en matière de sécurité routière qui est actuellement soumis à la concertation. Ce décret devrait être transmis au Conseil d’État d’ici à la fin de l’année.
Enfin, des questions du type « que faire en cas d’accident ? » sont déjà présentes dans la banque de questions de l’épreuve théorique que l’on appelle couramment « le code ». Il s’agit désormais de renforcer ce thème : ce sera fait dans le cadre de la rénovation de cette banque de questions, à laquelle il sera procédé dans le courant de l’année 2014.
Madame la rapporteur, vous partagez, je crois, l’essentiel des objections que j’ai formulées dans la première partie de mon propos. Vous reconnaissez aussi les progrès accomplis. Il vous a néanmoins semblé nécessaire d’aller plus loin. Le dispositif que vous nous présentez aujourd’hui a le mérite d’éviter l’écueil d’une troisième épreuve du permis de conduire.
Il s’agit, plus simplement, d’instituer une obligation de formation aux notions élémentaires de premiers secours. La commission des lois s’est rangée à l’unanimité à cette proposition. J’en reconnais la simplicité. L’article unique que vous proposez n’entre pas dans les détails de cette formation, dont votre rapport écrit esquisse les grands traits.
Vos objectifs, madame la rapporteur, sont également ceux du Gouvernement. Au demeurant, ils sont déjà partiellement satisfaits : je pense au programme de formation à la conduite pour les enseignants ou à l’inclusion de questions sur ce thème dans l’épreuve théorique. Bien sûr, ces mesures peuvent encore être renforcées et les dispositions pratiques que vous proposez devront être étudiées sérieusement.
Pour autant, la difficulté juridique demeure, ce que vous admettez d’ailleurs dans votre rapport. La détermination du contenu de la formation à la conduite reste une compétence réglementaire. Mais le Gouvernement prend note de la volonté unanime de la commission des lois du Sénat de voir cette obligation inscrite dans la loi. Il en comprend d’autant mieux les motivations que nous les partageons tous puisqu’il s’agit de sauver des vies. Il s’en remettra donc à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements.)
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Merci, madame le ministre !
M. le président. Mes chers collègues, conformément à la décision de la conférence des présidents, nous allons interrompre maintenant la discussion de cette proposition de loi.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, je vais suspendre la séance pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, la discussion de la proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, présentée par M. Joël Labbé et les membres du groupe écologiste (proposition n° 40, rapport n° 124, texte de la commission n° 125).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par adresser quelques remerciements.
Je souhaite tout d’abord vous remercier, monsieur le ministre, ainsi que le Gouvernement. Mais peut-être fais-je là acte d’anticipation... (Sourires.)
M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je prends ! (Nouveaux sourires.)
M. Joël Labbé. Quoi qu’il en soit, nous avons travaillé ensemble de façon positive.
Je remercie également mon collègue du groupe écologiste Ronan Dantec d’avoir repris au pied levé le rôle de rapporteur de ce texte.
Je tiens aussi à remercier mes collaborateurs. Il est important d’avoir une bonne équipe, et j’ai cette chance !
Mes remerciements vont en outre à tous ceux, élus, militants associatifs, représentants des ONG, professionnels, qui sont soucieux de faire diminuer l’usage des produits phytosanitaires ; certains ont engagé une démarche écologique de longue date. Ce sont de tels pionniers qui font avancer le monde !
Enfin, je veux remercier les administrateurs du Sénat, ainsi que les collaborateurs des ministères de l’écologie et de l’agriculture pour notre travail en commun.
En janvier dernier, nous débattions des conclusions de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé. Cette mission avait initialement pour office de s’intéresser aux problèmes de santé et d’environnement. Cependant, le sujet de la santé, très dense, nous ayant occupés pendant six mois, nous n’avons pas pu aborder les questions d’environnement.
Cette mission s’était mise en place sur l’initiative de Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.) Ayant été alertée par l’association Phyto-Victimes, implantée sur son territoire, elle avait, fidèle à ses habitudes, décidé de prendre les choses en main.
Ladite mission était présidée par Sophie Primas (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
Je venais d’être élu sénateur, mais j’étais sensibilisé à la question des pesticides et de leur impact sur la santé et l’environnement. J’ai donc intégré cette mission à la demande de mon groupe.
J’étais un parfait novice puisque c’était la première mission à laquelle je participais au sein de la Haute Assemblée. Or, je dois le dire, j’ai beaucoup apprécié cette expérience : je me suis rendu compte que, lorsqu’on est parlementaire et qu’on veut proposer des solutions, on se voit doté des moyens de le faire et d’aller au fond des choses. À la Haute Assemblée, en effet, nous avons encore la chance de pouvoir prendre le temps.
Du reste, tous ceux qui se sont impliqués dans cette mission ont apprécié l’état d’esprit avec lequel nous avons travaillé et la manière dont nous l’avons fait. Au demeurant, si nous nous retrouvons ce soir pour examiner cette proposition de loi, c’est grâce au travail qui a été accompli au sein de cette mission, avec le souci de l’intérêt public.
Je rappelle que la mission commune d’information a permis de recueillir les analyses et avis de 205 personnes et d’établir une centaine de propositions autour de plusieurs constats, notamment la sous-évaluation des dangers et des risques présentés par les pesticides.
Lors du débat sur les conclusions des travaux de la mission, j’avais annoncé, à ma manière parfois un peu abrupte (Sourires), mon intention de déposer une proposition de loi afin de faire vivre la richesse des échanges que nous avions eus, de donner une traduction législative aux recommandations que nous avions formulées et de répondre aux enjeux de santé publique. C’est chose faite et je suis fier que nous débattions aujourd’hui de ce texte, quelques mois à peine après la remise des conclusions de cette mission commune d’information.
Il paraît qu’il faut du temps pour faire les choses. Or j’ai parfois tendance à être pressé, surtout lorsque j’estime qu’il y a urgence. Aujourd'hui, je suis satisfait, car je considère que nous avons mis au point cette proposition de loi assez rapidement.
Comme vous avez pu le constater, ce texte ne porte pas sur les usages agricoles des produits phytosanitaires, malgré les recommandations et nombreuses propositions visant à s’attaquer à notre « dépendance », cette « addiction, dont il faut sortir », pour reprendre les termes employés devant la mission commune d’information par Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture de France.
Aujourd’hui, l’agriculture représente 90 % de l’utilisation des pesticides : ce n’est évidemment pas une paille ! Cela explique que la France détienne la troisième place au palmarès mondial – triste palmarès ! – des utilisateurs de pesticides, et la première au niveau européen. Il n’y a pas là de quoi s’enthousiasmer ! Quelquefois, on aimerait être le cancre !
Les conséquences de cette surdose sont aussi innombrables qu’inquiétantes. J’évoquerai en particulier l’impact sur la santé : asthme, diabètes, cancers, infertilité, malformations, perturbations endocriniennes, troubles neurologiques, notamment les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, l’autisme... La maladie de Parkinson a d’ailleurs été reconnue comme maladie professionnelle par la mutualité sociale agricole. La liste des intoxications aiguës ou chroniques liées à l’usage – d’aucuns diront : au mésusage – des pesticides est longue. Les pesticides ne sont pas des produits anodins ; par définition, ce sont des produits dangereux.
Je ne me lancerai pas dans une description minutieuse des maladies liées à l’utilisation des pesticides : elle serait trop déprimante et, de toute façon, ne serait pas exhaustive. Je me contenterai de rappeler certains constats qui ont été dressés lors des auditions et quelques phrases chocs que je ne peux pas oublier.
Ainsi, Charles Sultan, professeur au CHRU Lapeyronie de Montpellier, parle des pesticides et polluants chimiques comme de véritables « bombes à retardement » au regard des perturbations endocriniennes.
Sylvaine Cordier, de l’université de Rennes I, qui a participé à l’expertise collective de l’INSERM pour son rapport Pesticides : effets sur la santé, rappelle que « la période prénatale conditionne la vie entière » et souligne la « présomption forte d’un lien entre une exposition professionnelle de la femme enceinte à certains pesticides et un risque accru pour l’enfant de présenter une malformation génitale ». Ainsi, même avant sa naissance, l’enfant est touché !
Pour les citoyens ordinaires, le lien de cause à effet n’est pas évident puisque l’exposition aux pesticides est diffuse, peu palpable. En revanche, pour les professionnels, notamment les agriculteurs et leur entourage, ce lien devient de plus en plus évident.
Les conséquences sanitaires de l’utilisation des pesticides sont donc peu à peu reconnues.
Je l’ai dit, la mission commune d’information n’a pas pu aborder l’impact de l’utilisation des pesticides sur l’environnement. Toutefois, dans la mesure où il constitue en fait un motif majeur de la proposition de loi que nous examinons ce soir, je souhaite l’évoquer en me limitant à deux aspects : l’érosion de la biodiversité et la qualité de l’eau.
En termes de biodiversité, c’est l’ensemble de la faune et de la flore qui est touché, jusqu’à la flore microbienne qui fait la vie du sol.
L’abeille, le plus emblématique des insectes en raison de son rôle de pollinisateur, est particulièrement victime de ce fléau. Plus de 50 % des abeilles ont disparu depuis quinze ans. Si l’usage des pesticides n’est pas la seule cause de cette dépopulation, elle en est une cause majeure. Dans des régions entières, largement vouées à la monoculture, à grands renforts d’engrais et de pesticides, les abeilles ne sont tout simplement plus là pour remplir leur rôle de pollinisatrices. Ce n’est pas encore le cas chez nous, fort heureusement, mais il existe des exemples dans le reste du monde.
Ainsi, dans la région du Sichuan, en Chine, la pollinisation doit désormais se faire par la main de l’homme. En Californie, des milliers de ruches sont transportées l’hiver pour la pollinisation des amandiers, mobilisant quelque 2 200 semi-remorques pour quelque 10 milliards d’abeilles. Après quoi, les survivantes rentrent au bercail !
Quant à la pollution de l’eau, elle est la parfaite illustration de notre schizophrénie puisque nous sommes obligés de réparer ce que l’on pourrait éviter.
Le coût de traitement des apports annuels de pesticides aux eaux de surface et côtières est évalué au minimum à 4 milliards d’euros. Pour les localités situées dans les zones les plus polluées – évidemment, en Bretagne, nous nous sentons concernés –, les dépenses supplémentaires liées à la dépollution sont estimées à 215 euros par personne et par an, et ces dépenses se retrouvent directement sur la facture d’eau des ménages.
Le traitement curatif coûte 2,5 fois plus au mètre cube traité que la prévention et n’améliore nullement la qualité de la ressource. Il faut en tirer les conséquences. Alors que l’on parle sans cesse de l’assèchement des finances publiques, du pouvoir d’achat en berne des ménages, est-il raisonnable de poursuivre cette fuite en avant dans la dépense ?
L’utilisation des pesticides a donc des conséquences sur la santé, sur l’environnement, sur l’économie. Je m’en tiendrai là : les éléments à charge sont déjà suffisamment lourds pour me dispenser d’insister !
J’en reviens à l’objet de cette proposition de loi.
Ce texte se concentre sur ce sur quoi nous pouvons légiférer sans délai. Il s’agit de s’attaquer à une part de la consommation nationale qui peut paraître modeste puisqu’elle n’en représente que 5 % à 10 % – presque 10 000 tonnes par an tout de même ! –, mais qui concerne potentiellement toute la population. Sont visées l’utilisation des pesticides en dehors des zones agricoles, c'est-à-dire, pour l’essentiel, la consommation des particuliers dans leurs jardins ou sur leurs balcons ainsi que celle des collectivités territoriales pour la gestion de leurs espaces verts.
La proposition de loi s’articule autour de deux mesures.
En premier lieu, le texte tend à interdire aux personnes publiques de recourir à l’usage de produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, des forêts et des promenades ouvertes ou accessibles au public.
En second lieu, il tend à interdire la vente de produits phytosanitaires aux particuliers.
Bien sûr, il n’est pas question d’interdire tous les produits : seulement ceux qui, du fait de leur composition, entraînent les risques et les impacts que nous avons évoqués.
Nous savons que des solutions de substitution existent. Elles sont patiemment remises au goût du jour, développées par des particuliers, des agriculteurs, des chercheurs, des collectivités...
À la conférence de presse que nous avons organisée ce matin nous avions convié Cathy Bias-Morin, directrice des espaces verts de la ville de Versailles, qui accomplit un travail exemplaire, et Emmanuelle Bouffé, paysagiste, artiste, jardinière, disciple et amie de Gilles Clément. Toutes deux sont venues nous montrer que l’on pouvait faire, et bien faire, sans pesticides. Je tiens à les remercier et, puisqu’elles sont en ce moment dans les tribunes, à les saluer de nouveau.
À l’échelon des collectivités, l’expérimentation est déjà largement engagée. Aujourd’hui, près de 10 % des communes et plus de 60 % des villes de plus de 50 000 habitants se sont lancées dans une démarche tendant vers le « zéro phyto ». Je citerai, outre Versailles, les villes de Niort, Besançon, Rennes, Lorient – parmi d’autres communes de Bretagne –, Strasbourg… Et ma petite commune de Saint-Nolff, qui n’est certes pas Versailles, pratique aussi le zéro phyto depuis 2007, terrain de foot et cimetière compris ! (Sourires.)
Comme elles sont stimulantes, toutes ces initiatives de communes de bassins versants, en Bretagne ou ailleurs, de communes en Agenda 21, de communes en transition !
Pour accompagner ces dynamiques, encore faut-il rendre l’information, la formation et les alternatives accessibles à tous. Car ce n’est pas le cas aujourd’hui : en témoignent les difficultés rencontrées par les promoteurs des substances naturelles, connues désormais sous le sigle PNPP : les préparations naturelles peu préoccupantes. De fait, régulièrement, nous sommes alertés sur l’existence de toute une série d’obstacles : cadre juridique peu adapté ; procédures de reconnaissance accessibles seulement aux grandes entreprises industrielles ; manque de cohérence, voire contradictions entre le cadre juridique français et la réglementation européenne ; faible intérêt manifesté par le secteur de la recherche, qui limite la possibilité de mener les évaluations de toxicité ; manque d’entrain des actuels détenteurs du marché agro-industriel à voir autoriser des produits naturels, non brevetés, peu susceptibles de venir gonfler leur chiffres d’affaire.
Il est nécessaire de clarifier tout cela, d’identifier les freins juridiques et économiques, afin de pouvoir les lever, et, ainsi, d’accompagner l’évolution des pratiques des collectivités, des particuliers et des agriculteurs.
C’est pourquoi l’article 3 de la proposition prévoit une étude sur les freins juridiques et économiques, qu’ils soient nationaux ou communautaires, empêchant le développement et la commercialisation des substances alternatives.
Tout au long de l’élaboration de cette proposition de loi, les contributions de citoyens, les témoignages de maires, d’élus communaux, d’agents techniques, de responsables de services d’espaces verts, de jardiniers amateurs plus ou moins éclairés, sont venus conforter mes intentions.
J’ai ainsi participé à l’initiative « Parlement & Citoyens ». Cette plate-forme Internet a pour ambition de faciliter la co-construction de propositions de loi. Le texte que nous examinons ce soir fait partie du cycle des premières propositions de loi qui ont été soumises à l’avis des citoyens : il a fait l’objet de plus de 3 000 contributions, émanant de quelque 450 contributeurs différents. Le sujet ne laisse donc pas indifférent. Mercredi dernier, j’ai conversé par Internet avec cinq de ces contributeurs...
Aucune opposition ne s’est manifestée ; pourtant, les critiques étaient sollicitées ! Au contraire, des jeunes, des étudiants, des militants associatifs, de jeunes chefs d’entreprise, se sont montrés enthousiastes et ont souhaité une application la plus rapide possible du texte. C’est même moi qui ai dû les tempérer et expliquer qu’une mise en œuvre réussie supposait d’abord une majorité pour adopter un texte…
Je pense que cette proposition de loi arrive vraiment au bon moment. Les dangers sont reconnus, les expérimentations ont déjà été menées. Plusieurs d’entre nous ont signé l’appel de Montpellier dont le député Gérard Bapt a pris l’initiative. Monsieur le ministre, cet appel a été signé par Delphine Batho et Chantal Jouanno.
M. Joël Labbé. Je suis d’ailleurs convaincu que, si vous aviez été parlementaire, vous l’auriez également signé.
M. Joël Labbé. Cette concordance de vues, cette ambition commune, je vous propose de les concrétiser dès ce soir en adoptant la présente proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’oserai terminer par un propos très personnel, où il sera question de poésie.
Dans cet hémicycle, en particulier à cette tribune, les discours sont souvent très techniques, très juridiques– par définition – et trop rarement poétiques. Pourtant, nous avons besoin de poésie en ces temps quelque peu perturbés.
Les pesticides sont des armes de destruction massive. Ce sont des poisons pour l’humanité. Je leur réponds avec d’autres armes, celles que chantait Léo Ferré, des armes qui mettent de la poésie dans les discours. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, moi qui ne suis plus très jeune (Exclamations amusées.), je garde très vivants les souvenirs de mon enfance, une enfance particulièrement heureuse. Tout petit, déjà rêveur, je passais des heures allongé et solitaire dans les herbes et je garde en moi cette sensation de vie de la terre, je garde le souvenir de ces murmures ambiants. (Nouveaux sourires.)
Il faut que nos petits – parce que nous avons fait des petits, monsieur le ministre ! – puissent renouer avec une terre fertile et bien vivante. (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Vincent Placé. Exactement !
M. Joël Labbé. Comme les poètes savent mieux que nous exprimer ces choses-là, je citerai Albert Camus.
Dans le cadre du centenaire de la naissance d’Albert Camus, le 14 janvier prochain, via le mouvement des Citoyens du Monde – car je suis Citoyen du Monde –, j’accueillerai au Sénat – une institution où l’on peut décidément faire beaucoup de choses ! – une exposition-conférence consacrée à cet écrivain.
Dans les Noces à Tipasa, Albert Camus, célébrant les noces de l’homme avec le monde, écrit : « Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa nature profonde. »
Elle est toute petite, cette proposition de loi, mais elle a l’ambition de porter tout cela ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – MM. Henri Tandonnet et Michel Bécot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis malheureusement pas sûr, en tant que rapporteur de cette proposition de loi, de verser autant dans la poésie que Joël Labbé. Je vous parlerai plutôt articles de loi et règlements… (Exclamations amusées.)
Notre commission du développement durable s’est saisie de la proposition de loi déposée le 7 octobre 2013 par notre collègue et les membres du groupe écologiste, et visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national. Il s’agit d’un texte court, circonscrit à la problématique très spécifique de l’usage des pesticides en milieu non agricole.
Ce texte a été élaboré selon une méthode originale, décrite à l’instant par Joël Labbé : il a été soumis à une large consultation sur Internet durant plusieurs mois, dans le cadre de l’initiative « Parlement & Citoyens », conformément au principe, aujourd’hui inscrit dans la Constitution, de participation du public.
La proposition de loi vise à interdire progressivement l’utilisation des produits phytosanitaires par les personnes publiques et les particuliers. Cette interdiction s’inscrit dans un mouvement engagé de longue date pour limiter l’usage non agricole des pesticides. La volonté du Gouvernement est forte sur ce dossier. Ainsi, lors de la dernière conférence environnementale, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a ainsi affirmé : « Nous devons aller vers la suppression des produits phytosanitaires en ville. » Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, également impliqué sur cette question, avait soutenu le principe d’un texte en ce sens lors de la table ronde sur l’eau organisée durant cette même conférence environnementale.
Le Sénat s’est, lui aussi, l’année dernière, saisi de la question des enjeux sanitaires des pesticides, dans le cadre de la mission commune d’information présidée par Sophie Primas, dont Joël Labbé était membre et Nicole Bonnefoy, rapporteur. Les conclusions de cette mission concernant l’usage non agricole de ces produits sont sans appel. La mission a recommandé l’interdiction de la vente de phytosanitaires aux particuliers en grande surface alimentaire, afin de privilégier les circuits fermés où le client a accès à un conseiller de vente formé à cet effet. Elle a également préconisé d’interdire, à terme, la vente de pesticides aux particuliers, à l’exception de ceux qui sont autorisés en agriculture biologique.
La réflexion sur l’encadrement des usages non agricoles des produits phytosanitaires est donc mûre.
Sur le terrain, de très nombreuses initiatives ont été lancées. Beaucoup de collectivités se sont engagées sur la voie du « zéro phyto ». Vous me permettrez de citer la ville de Nantes, capitale verte de l’Europe pour 2013, dont le dossier de candidature exposait notamment cette action sur les phytosanitaires, lancée en 2001. À l’époque, j’étais adjoint à l’environnement de cette ville et la situation était plus dégradée encore qu’au milieu des années quatre-vingt-dix. Un produit miracle, vendu comme totalement biodégradable par une petite PME internationale nommée… Monsanto (Sourires.), avait alors contribué à répandre l’idée qu’il existait un herbicide sans danger aucun pour l’environnement. Les services des espaces verts s’étaient donc rués sur ce produit, avec pour conséquence une utilisation plus importante des produits sanitaires en 2001 que dans les années quatre-vingt-dix. Il était donc plus que temps d’agir, et il nous aura fallu environ un mandat pour parvenir au zéro phyto, sans inclure toutefois les cimetières, à la différence de la commune de Joël Labbé ! (Sourires.)
Je citerai aussi l’initiative de la charte « Terre saine », en Charente, le département de Nicole Bonnefoy.
Selon une enquête menée par l’INRA et par Plante & Cité en 2009, 60 % des villes de plus de 50 000 habitants visent aujourd’hui un objectif de zéro phyto.
Les exemples ne manquent donc pas qui prouvent que les alternatives aux pesticides existent et sont disponibles aujourd’hui pour les zones non agricoles.
S’agissant de Versailles, il est intéressant de noter que cette ville a commencé par les fongicides, utilisés pour un certain nombre de traitements, avant d’attaquer la question des herbicides et du traitement des herbes folles sur l’espace public. Sur ce dernier point, les techniques alternatives – la végétalisation de l’espace public, les traitements mécaniques ou thermiques et, surtout, la sensibilisation – sont aujourd’hui bien connues et maîtrisées. Pour la lutte contre les maladies et les parasites, en revanche, on pense souvent c’est plus compliqué. Or l’exemple de Versailles montre que des solutions existent, notamment dans le cadre du bio-contrôle.
Un rapport commandé en 2011 au député Antoine Herth par le gouvernement Fillon a fait le point en 2011 sur les techniques de bio-contrôle, c’est-à-dire sur les méthodes de protection des végétaux par le recours à des mécanismes naturels.
Quatre principaux types d’agents de bio-contrôle peuvent être distingués : les macro-organismes auxiliaires, qui comprennent des invertébrés, des insectes ou des acariens utilisés de façon raisonnée pour protéger les cultures, la coccinelle constituant l’exemple le plus connu ; les micro-organismes, en particulier certains champignons, bactéries et virus utilisés pour protéger les cultures contre les ravageurs et les maladies ; les médiateurs chimiques, notamment les phéromones d’insectes, qui permettent de contrôler certaines populations d’insectes par la méthode de confusion sexuelle et le piégeage ; enfin, différentes substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale.
Ces techniques sont déjà utilisées par l’agriculture et par les professionnels engagés dans le zéro phyto ; elles pourraient tout à fait être étendues à l’ensemble des utilisateurs non agricoles de pesticides. Interdire les phytosanitaires dans les rayons des magasins, c’est permettre des débouchés commerciaux à ces produits, donc le développement de leur production, qui est souvent le fait de PME locales, et non de grandes multinationales de la chimie.
Cet usage non agricole des pesticides mérite donc pleinement d’être traité dans une proposition de loi spécifique, en ayant plusieurs enjeux en perspective.
Le premier enjeu environnemental. Les milieux non agricoles représentent aujourd’hui 5 % des usages, lesquels comprennent les parcs et jardins publics, les terrains de sport, les zones industrielles, les voiries et trottoirs, les cimetières, les terrains militaires, les aéroports et, surtout, les jardins particuliers. On estime que 45 % des Français disposent d’un jardin ou d’un potager, ce qui représente 17 millions de jardiniers.
C’est une source importante de contamination des eaux. Les désherbants, en particulier lorsqu’ils sont utilisés sur des surfaces imperméables comme les trottoirs, les cours bitumées ou les pentes de garage, se retrouvent dans les eaux superficielles ou souterraines. Cette présence entraîne très souvent une pollution des eaux liée au ruissellement. Une étude menée en Ille-et-Vilaine entre 1998 et 2001 a ainsi mis en évidence que le désherbage chimique sur des zones bitumées pouvait entraîner des transferts vers l’eau de l’ordre de 10 % à 40 % du produit épandu, ce qui est considérable.
En comparaison, selon l’Institut du végétal, les transferts vers les eaux ne sont que de l’ordre de 1 % à 3 % pour les utilisations agricoles.
Si l’usage non agricole est donc à première vue, en termes de quantités épandues, assez peu significatif, il représente en fait une pollution qui est loin d’être négligeable. Dans certaines communes périurbaines, des études ont montré que les taux de glyphosate dans les cours d’eau augmentaient considérablement après avoir traversé les zones urbanisées. Le glyphosate et son principal produit de dégradation, l’AMPA, menacent même parfois le respect des normes de potabilité eau brute... C’est le cas notamment de l’Erdre au niveau de Nantes, où nous disposons d’une prise d’eau de secours. L’exemple nantais fournit aussi une illustration d’une dynamique de territoires permettant d’aller vers le zéro phyto à l’échelle d’un bassin, complémentaire des exemples qu’a pu citer Joël Labbé. Notons également que les AMPA sont souvent considérés comme plus dangereux que le glyphosate lui-même.
Je rappellerai en outre que de nombreux usages sont en réalité déjà prohibés par la réglementation. Plusieurs arrêtés encadrent l’application de pesticides sur les surfaces imperméabilisées comme les trottoirs et les zones non traitées à respecter à proximité des points d’eau, ou bien interdisent l’utilisation de ces produits dans les lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables. J’ai été assez surpris de constater que ce niveau de réglementation n’était pas toujours très connu, y compris ici même. Il faut, sur ce point aussi, monsieur le ministre, mieux sensibiliser les élus locaux et leurs services, qui ignorent encore parfois la réalité de la réglementation et des contraintes d’utilisation.
Si l’enjeu environnemental des usages non agricoles des pesticides est donc bien réel, l’enjeu sanitaire ne l’est pas moins.
Ainsi que le rapport de la mission commune d’information sénatoriale l’a montré, les utilisateurs non professionnels de pesticides sont généralement mal informés et mal protégés lors de l’emploi du produit. Ils ont en outre tendance à surdoser, s’exposant ainsi d’autant plus à une contamination. Le rapport souligne que la première surface d’échange avec l’extérieur est la peau. Or les dangers dermatologiques et respiratoires d’une exposition aiguë aux produits phytosanitaires ne sont plus à prouver. Une expertise collective de l’INSERM parue en juin 2013 souligne l’existence, à long terme, d’une association positive – c'est-à-dire, en l’espèce, néfaste ! – entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte, dont la maladie de Parkinson et certains cancers.
C’est cette problématique environnementale et sanitaire spécifique aux zones non agricoles que la présente proposition de loi vient encadrer.
La commission du développement durable a apporté quelques modifications au texte initial, l’objectif étant chaque fois de sécuriser le dispositif tout en garantissant aux personnes publiques et aux non-professionnels l’accès à des alternatives aux pesticides.
L’article 1er prévoit l’interdiction, pour les personnes publiques, d’utiliser des produits phytopharmaceutiques pour l’entretien des espaces verts, forêts et promenades relevant de leur domaine public ou privé. De nombreuses collectivités ayant déjà engagé cette démarche, il ne s’agit que de parachever la dynamique de réduction des pesticides.
Nous avons adopté un amendement de réécriture de cet article, afin de préciser les modalités de cette interdiction.
Sur la forme, il nous a paru plus opportun de placer ces dispositions au sein de l’article L. 253-7 du code rural, qui est relatif aux mesures de précaution concernant les produits phytopharmaceutiques.
L’article précise désormais que les produits de bio-contrôle ne sont pas concernés par l’interdiction imposée aux personnes publiques. L’intention des auteurs de la proposition de loi était bien de favoriser les alternatives aux produits phytopharmaceutiques. Or la rédaction proposée faisait référence exclusivement aux préparations naturelles peu préoccupantes, qui figurent à l’alinéa 2, excluant de fait la majorité des produits de bio-contrôle. Nous avons donc rétabli ces produits.
Nous avons aussi choisi de prévoir une dérogation pour prévenir la propagation des organismes nuisibles. Il s’agit là d’un motif de santé publique. En cas de danger sanitaire, les personnes publiques pourront, par dérogation, avoir recours aux pesticides chimiques classiques jusqu’à ce que la menace soit enrayée. C’est généralement ce que font les villes engagées dans le zéro phyto : elles se réservent une « trousse de secours » pour faire face aux organismes nuisibles les plus résistants.
Nous avons créé une autre dérogation, pour un motif de sécurité publique cette fois. Certains établissements publics se trouvent en effet dans une situation particulière : pour Réseau ferré de France ou pour les aéroports, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est souvent une obligation et un enjeu de sécurité publique, le long des voies ferrées ou des pistes d’aéroport.
L’interdiction de l’article 1er ne s’appliquera donc qu’aux espaces verts, forêts et promenades « accessibles ou ouverts au public », ce qui n’empêche pas pour autant les aéroports ou RFF de progresser dans leurs propres pratiques – amis je sais qu’elles sont engagées dans une telle démarche.
L’article 2 complète l’article L. 253-7 du code rural pour prévoir l’interdiction de la mise sur le marché, de la délivrance, de l’utilisation et de la détention des produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel. Le non-respect de l’interdiction sera puni de deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, comme c’est aujourd’hui le cas pour la détention ou le commerce de pesticides non autorisés.
Là encore, notre commission a logiquement adopté un amendement pour prévoir une exemption pour les produits de bio-contrôle : ces alternatives non chimiques doivent être également accessibles aux utilisateurs non professionnels.
Une dérogation en cas de danger sanitaire du fait d’organismes nuisibles est également prévue, en cohérence avec l’article 1er.
L’article 3 prévoit la remise, avant le 31 décembre 2014, d’un rapport au Parlement sur les freins juridiques et économiques empêchant le développement des préparations naturelles peu préoccupantes dites PNPP, au rang desquelles figurent notamment le purin d’ortie, l’ail en décoction ou en infusion, le sucre, le vinaigre blanc.
Une procédure dérogatoire de mise sur le marché a été définie pour ces substances par un décret du 23 juin 2009. Dès lors que les PNPP sont considérées comme des produits phytopharmaceutiques, elles doivent faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché simplifiée et leurs substances doivent figurer sur la liste des substances autorisées à l’annexe I du règlement européen.
Ce cadre juridique n’est pas satisfaisant. Une inscription à l’annexe coûte de 40 000 à 200 000 euros. Aucun acteur économique de petite taille n’est susceptible d’engager de tels frais, a fortiori pour des produits peu onéreux et relevant du domaine public.
Or, sur ce point, la France prend beaucoup de retard sur ses voisins européens. En Allemagne, plus de 400 substances différentes, qu’ils dénomment « fortifiants des plantes », sont déjà enregistrées. En France, seul le purin d’ortie a été, après le débat et la mobilisation que l’on sait, autorisé par un arrêté de 2011, et encore, sous une recette que les professionnels ont parfois baptisée « piquette d’ortie »...
Notre commission est convaincue de l’urgence à encourager le développement des préparations naturelles non préoccupantes.
Je signale au passage que, au cours de la discussion des articles, il nous faudra veiller à la cohérence entre l’alinéa 2 de l’article L. 253-1 du code rural et la définition de la procédure européenne prévue aux articles 22 et 47 du règlement européen. Le débat sur l’article 3 devra nous fournir l’occasion d’approfondir cette question.
Ces substances pourront contribuer à la réduction des traitements chimiques traditionnels, et compléter de manière utile l’offre d’alternatives pour les jardiniers professionnels et amateurs. À ce stade, nous ne pouvons que demander un rapport sur le sujet, mais c’est un point important.
Pour finir, notre commission a adopté un amendement créant un article 4, afin de fixer la date d’entrée en vigueur des articles 1er et 2. Le texte initial l’envisageait pour 2018. Nous avons préféré repousser l’interdiction de l’usage des pesticides par les personnes publiques au 1er janvier 2020, ce qui correspond de manière cohérente au temps d’un mandat municipal. En effet, d’après les expériences de nombreuses villes, cinq à six années sont nécessaires pour réussir le passage au zéro phyto.
Pour les usagers non professionnels, l’interdiction d’achat est repoussée au 1er janvier 2022, en vertu de l’argument, déjà avancé dans le cadre des travaux de la mission présidée par Sophie Primas, selon lequel c’est le temps qu’il faudrait aux industriels pour développer une gamme de produits et obtenir les homologations. Ce point a donné lieu à un débat en commission : les avis n’étaient pas tout à fait consensuels. Nous avons finalement trouvé un point d’équilibre, et c’est celui qui figure dans la proposition de loi.
D’une manière générale, d’ailleurs, le travail de la commission, mené sous la houlette de son président, nous permet d’aboutir à un texte pragmatique.
Pour les personnes publiques, le texte liste de manière précise et limitée les espaces visés. C’était tout le talent de l’auteur du texte d’avoir essayé, non pas d’établir des dérogations, mais de dresser une liste positive qui, étant inscrite dans le code, ne serait pas sujette à contestation.
Ainsi, ne seront pas concernés les cimetières – même si le zéro phyto y est déjà pratiqué dans certaines communes – et les terrains de sport, non plus que les voies ferrées ou autres espaces dont l’entretien présente des enjeux en termes de sécurité publique.
Ce texte laisse du temps aux professionnels comme aux particuliers pour s’adapter à la nouvelle interdiction. Il laisse aux industriels le temps de développer une offre alternative, qui existe aujourd’hui, mais se verra d’autant plus encouragée avec l’adoption de la proposition de loi.
Ainsi ajusté, le texte me semble équilibré et, surtout, applicable par les principaux intéressés. Je vous invite donc à voter cette proposition de loi, afin que l’encadrement des pesticides en zone non agricole puisse s’instaurer rapidement et dans de bonnes conditions.
Bien sûr, il restera d’autres étapes pour s’affranchir des produits phytosanitaires, notamment dans les espaces agricoles ou les espaces privés traités par des professionnels, cette loi marquera un moment clé en ce qu’elle va promouvoir une vision différente, nous faire changer de paradigme dans notre action sur la nature. En effet, ce texte nous fait passer d’un rapport démiurgique à la nature à un rapport d’acceptation de notre insertion dans le vivant. Il s’agit donc d’une loi à très forte valeur culturelle. Le niveau de consensus que nous atteindrons ce soir témoignera aussi symboliquement de cette volonté collective en faveur d’une relation plus apaisée à notre environnement, car les produits phytosanitaires constituent un des grands enjeux d’environnement et de perte de biodiversité.
Puisque Joël Labbé a conclu en citant Albert Camus, je voudrais à mon tour rendre hommage à ce grand écrivain en évoquant le texte qu’il fit paraître le 8 août 1945, quarante-huit heures après l’explosion d’Hiroshima, et qui me semble constituer l’un des textes fondateurs de l’écologie politique. Dans ce très beau texte, qui tranchait avec le soutien très général que suscitait alors l’usage de la bombe parce qu’elle permettait de mettre fin à la guerre, Camus parle de la naissance de la « civilisation de la barbarie mécanique ».
Eh bien, nous, avec ce projet de loi, nous sortons peut-être de la civilisation de la barbarie chimique. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Joël Labbé et Ronan Dantec ont achevé leurs propos avec Camus. Aussi voudrais-je vous faire part de l’émotion qui est la mienne de monter à la tribune de cette assemblée, moi qui, pendant tant d’années, ai servi au cabinet d’un homme qui fut l’un de vôtres, Roger Quilliot, grand spécialiste s’il en fut d’Albert Camus.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui aborde un sujet majeur à mes yeux comme pour l’ensemble du Gouvernement. Aussi, je veux saluer l’heureuse initiative de Joël Labbé et l’excellent travail effectué par le rapporteur, Ronan Dantec.
La mission d’information sur les pesticides, présidée par Sophie Primas, avait déjà identifié les problèmes que nous examinons aujourd’hui. De même, le remarquable rapport de Nicole Bonnefoy, Pesticides : vers le risque zéro, avait dégagé, en octobre 2012, des recommandations, dont certaines ont inspiré la proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires en France.
D’autres propositions seront reprises dans le projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Je pense en particulier au suivi post-autorisation de mise sur le marché des effets indésirables de ces produits.
Un constat, tout d’abord : les produits phytosanitaires sont très largement utilisés dans notre pays, en agriculture bien sûr, mais aussi dans les parcs et dans les jardins. Certes, leur fonction première est de protéger les végétaux contre d’autres organismes vivants susceptibles de les endommager champignons, insectes, acariens –, mais cette appellation regroupe aussi, et paradoxalement, les herbicides, qui, eux, ne concourent pas toujours – et c’est un euphémisme – à cette protection. Si ces herbicides rendent des services attendus ou recherchés, ils n’en ont pas moins d’importants effets indésirables sur la santé et l’environnement.
Si l’agriculture représente, et de loin, le premier utilisateur de produits phytosanitaires avec environ 90 % des quantités de substance épandues, les utilisations non agricoles ne sont pas négligeables : chaque année, environ 800 tonnes de substances actives sont utilisées pour les espaces verts et 4 500 tonnes dans les jardins de particuliers.
Bien sûr, nous sommes loin de la situation que connaît l’Argentine, où jusqu’à 300 millions de tonnes de pesticides sont épandues pour la culture du soja.
L’exposition répétée des utilisateurs de ces substances et des personnes fréquentant ces espaces, peut donc être nocive. Sans les citer toutes, je voudrais rappeler l’un des enseignements de l’étude publiée en juillet 2013 par le commissariat général au développement durable sur l’impact des produits phytosanitaires sur les milieux naturels. Ils tiennent en un chiffre : en 2011, 93 % des points de mesure dans les cours d’eaux étaient contaminées par des pesticides et près de 30 % de ces points de mesure révélaient une concentration supérieure à 0,5 microgramme par litre, ce qui constitue le seuil de potabilité de l’eau.
Le 17 juin 2013, une autre étude associant des universités allemandes et australiennes révélait que les pesticides présents dans les cours d’eau, même à faibles doses, avaient un effet d’empoissonnement à long terme sur certains invertébrés comme les éphémères et les libellules, perturbant ainsi toute une chaîne alimentaire ainsi que les écosystèmes aquatiques. Cette étude, conduite en France, en Allemagne et en Australie, a montré que certains pesticides pouvaient ainsi réduire localement de plus de 40 % les effectifs de ces invertébrés.
Sur le plan de la santé, l’Institut national de veille sanitaire a révélé, le 29 avril 2013, que la population française était très exposée à la famille d’insecticides actuellement la plus utilisée, des molécules de synthèse inspirées du pyrèthre. Nos compatriotes sont d’ailleurs plus touchés que les populations allemande, canadienne et même américaine. Cette très forte imprégnation serait liée à la consommation d’aliments traités et à certains traitements domestiques, notamment dans les potagers.
Enfin, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, publiait le 13 juin dernier les résultats d’une expertise scientifique collective portant sur les liens entre exposition professionnelle aux pesticides et certaines pathologies. Sur le fondement d’une analyse de la littérature scientifique publiée au cours des trente dernières années, l’INSERM a conclu qu’il semble exister une association proactive entre exposition professionnelle à des pesticides et, par exemple, la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certaines autres formes de cancers.
L’étude montre aussi que l’exposition pendant la période prénatale ou pendant la petite enfance présente des risques particuliers pour le développement de l’enfant.
Nous avons donc un devoir, collectif, de lucidité : celui de développer des solutions alternatives à cette utilisation excessive. Il nous faut inciter les utilisateurs à réduire l’emploi de ces substances, pour leur propre santé d’abord, pour celle de leurs voisins ensuite, pour la protection des milieux naturels enfin.
C’est pourquoi le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, lors de la conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013, a déclaré que nous devions aller vers la suppression des produits phytosanitaires en ville. Des démarches volontaires ont certes été entamées mais il faut maintenant les amplifier.
Des actions concourent déjà à la réduction de l’emploi des produits phytosanitaires en agriculture, comme le renforcement du plan Écophyto, dont les résultats demeurent, hélas, insuffisants. Je peux également citer le relèvement de la redevance pour pollutions diffuses prélevée auprès des distributeurs de produits phytosanitaires.
Dans le cadre du plan Écophyto, l’axe 7, relatif aux zones non agricoles, qui, piloté par mon ministère, est actuellement en cours d’évaluation, des résultats substantiels ont été obtenus grâce à l’implication de toutes les parties prenantes : producteurs, distributeurs et utilisateurs.
Ainsi, en quatre ans, le tonnage de substances actives employées dans les espaces verts a diminué d’un quart et, sur la même période, les quantités de substances actives achetées par les jardiniers amateurs ont baissé de 40 %.
Je me réjouis que les dispositions de la proposition de loi examinée ce soir s’inscrivent dans cette dynamique d’encadrement et de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.
L’objectif fixé par le Gouvernement peut et doit être atteint et de nombreuses expériences l’attestent : de plus en plus de collectivités choisissent de réduire progressivement l’emploi des produits phytosanitaires, puis de s’en passer pour entretenir leurs espaces verts. C’est le cas, par exemple, de la ville de Strasbourg, dont je salue ici le maire, Roland Ries, ou encore les villes de Nantes – le rapporteur en a parlé – et de Paris.
C’est aussi – pardon de ce manque d’humilité – le cas du département du Gers dont le conseil général a mis un terme à l’utilisation des produits phytosanitaires pour l’entretien de ses espaces verts en 2008, grâce à l’engagement d’un ancien président du conseil général que je connais d’assez près. (Sourires.) Il n’a pas eu, cher Joël Labbé, contrairement à sa prédécesseur, à signer de pétition à Montpellier, car il a agi. Et n’est-il pas préférable d’agir plutôt que de pétitionner ? (Nouveaux sourires.)
Les jardiniers amateurs, eux aussi, parviennent peu à peu à se passer de ces substances, et certains distributeurs ont commencé à les retirer de leurs rayons : c’est le cas d’une importante chaîne de jardineries depuis 2008.
La proposition de loi dont nous débattons ce soir va permettre de renforcer cet élan et de donner une cible claire : l’arrêt de l’emploi des produits phytosanitaires dans les espaces verts publics et les jardins privés. Ce texte, qui a fait l’objet d’échanges fructueux avec mon ministère et a été enrichi par les travaux en commission, offre à présent une certaine souplesse permettant à chacun de trouver, dans un délai raisonnable, des solutions adaptées pour garantir un bon entretien des jardins et des espaces verts, tout en préservant l’environnement et la santé.
En effet, si le texte prévoit bien l’arrêt de l’utilisation des produits phytosanitaires par les personnes publiques dans leurs espaces verts, forêts et promenades ouverts au public, et par les personnes privées dans leur jardin, il fixe des échéances raisonnables pour développer des solutions alternatives encore plus performantes que celles qui existent déjà : 2020 pour les personnes publiques, 2022 pour les personnes privées et les commerces associés.
Le texte prévoit par ailleurs la possibilité de recourir à des produits de bio-contrôle, tels que les préparations naturelles, les macro-organismes de lutte ou encore les pièges à phéromones. Nombre de ces produits sont déjà disponibles ou sont en cours de développement, mais l’existence même d’une échéance connue constituera, à n’en pas douter, une incitation forte à accélérer cette évolution.
La proposition de loi offre également la faculté de procéder ponctuellement à des traitements avec des produits conventionnels lorsqu’ils sont nécessaires pour lutter contre des organismes nuisibles. Cela restera exceptionnel, mais c’est indispensable pour éviter la propagation de maladies ou d’insectes causant des ravages trop importants.
Enfin, le texte prévoit la remise au Parlement d’un rapport sur les freins au développement des substances à faible risque, au sens du règlement européen qui encadre l’utilisation des produits phytosanitaires. Il s’agit là d’une réflexion que nous devons mener, en particulier dans la perspective d’un arrêt de l’emploi des autres types de substances en zone non agricole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, considérant que cette proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national nous permettra d’atteindre les objectifs que nous nous sommes collectivement fixés en matière de réduction de l’emploi des produits phytosanitaires et considérant le caractère équilibré des dispositions que prévoit le texte, le Gouvernement est favorable à son adoption.
Chaque fois que notre législation nous permet d’avancer dans la voie de cette transition écologique qui est pour nous, de manière absolument, l’horizon à atteindre, aussi difficile cela soit-il, je suis à la fois fier et heureux. C’est ce double sentiment qui m’anime ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Évelyne Didier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a maintenant un an que notre mission commune d’information sur les pesticides a rendu son rapport intitulé : « Pesticides : vers le risque zéro ». Lors de son élaboration, nous nous étions fixé comme objectif de rendre actives les cent propositions qu’il contenait au cours de notre mandat. Je suis donc ravi que cette proposition de loi soit examinée en séance publique aujourd’hui.
Comme Joël Labbé, je tiens à exprimer ma satisfaction d’avoir participé aux travaux de cette mission d’information. Nous nous sommes vraiment intéressés au fond, dans un esprit de cohésion. Je regrette seulement que l’esprit de consensus qui a régné au sein de la mission n’ait pas permis à ses membres de faire des propositions conjointes et plus globales, ce qui aurait évité l’éclosion de propositions de loi sans concertation entre ceux qui ont voté les recommandations.
Lors des travaux de notre mission, nous avons constaté que, depuis plusieurs années, beaucoup d’efforts avaient été faits par les agriculteurs pour réduire leur dépendance aux pesticides, notamment à travers le plan Écophyto 2018 ou la formation Certiphyto, dans le but de tendre vers une agriculture toujours plus raisonnée. Nous assistons actuellement à une évolution vers une agrobiologie soucieuse du soin de la plante et de la terre et moins dépendante des produits chimiques. Il faut saluer ce changement.
Si la tendance est à un usage réduit et maîtrisé des produits phytosanitaires dans le domaine agricole, force est de constater que les ménages et les collectivités territoriales demeurent très mal informés sur les effets de ces substances et sous-évaluent bien souvent leurs risques et dangers ; ce fut d'ailleurs le premier constat de notre mission d’information. Pour qui connaît les résultats des tests réalisés sur le bon état écologique de l’eau en amont et en aval des villes, le constat est sans appel : la présence de pesticides dans l’eau est bien plus importante en aval qu’en amont. Ici, ce n’est pas l’agriculture qui est en cause, mais bel et bien l’usage domestique et public des produits phytosanitaires.
Au vu de cette réalité, il semble nécessaire de légiférer. La proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, déposée par Joël Labbé et les membres du groupe écologiste, s’inscrit dans le prolongement des constats majeurs de notre mission d’information et se veut la mise en œuvre de quelques-unes de ses recommandations. Elle me paraît être une étape importante vers un meilleur encadrement de l’utilisation des produits phytosanitaires sur notre territoire. En effet, elle permettra, d’une part, d’interdire aux personnes publiques toute utilisation de produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, forêts et promenades, d’autre part, de prohiber leur commercialisation et leur utilisation pour un usage domestique.
Je salue le travail de notre commission et de son rapporteur, qui a amélioré le texte en prévoyant notamment une exception à l’interdiction pour les produits de bio-contrôle et une possibilité de dérogation en cas de danger sanitaire lié à la propagation d’organismes nuisibles.
Nous avons également beaucoup réfléchi sur la date de mise en œuvre des mesures proposées. L’application de l’article 1er a été reportée à 2020, et celle de l’article 2 à 2022 ; cela représente des reports de deux et quatre ans. C’était un aménagement nécessaire ; j’avais d’ailleurs déposé en commission des amendements visant à fixer un délai incompressible de cinq ans entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de ses dispositions. Un consensus s’est ensuite dégagé pour prévoir un délai raisonnable.
Il faut en effet que les personnes publiques bénéficient du temps nécessaire pour former le personnel et convaincre les usagers de la nouvelle façon de concevoir l’entretien des espaces publics. Ce délai est également nécessaire à l’adaptation de la population à la nouvelle gestion des espaces verts. Cela impliquera de la pédagogie, notamment de la part des élus. Il faut une mutation de l’opinion ; celle-ci doit comprendre que, si des herbes folles sont laissées dans les espaces verts, ce n’est pas par négligence des services municipaux et du maire, mais pour des raisons environnementales et dans le souci de la santé des administrés. Cette évolution de l’opinion a débuté, mais elle n’a pas encore totalement abouti.
Un délai raisonnable est également indispensable pour que les fabricants et distributeurs de pesticides s’adaptent ou se reconvertissent. Ce temps d’adaptation doit permettre aux entreprises de mener et faire aboutir des recherches permettant d’élaborer des préparations de substitution ou de bio-contrôle. Nous devons, a fortiori en temps de crise, veiller à préserver la structure économique de notre pays et les entreprises qui sont implantées dans nos territoires.
En donnant du temps aux acteurs concernés, nous respectons nos engagements environnementaux et nous préparons un avenir meilleur pour nos enfants sans grever la compétitivité des entreprises.
Concernant les produits phytosanitaires, nous devons évoluer progressivement afin que les préparations naturelles peu préoccupantes, les fameuses PNPP, soient homologuées, et que des produits nouveaux et sans danger soient recherchés. Nous avons besoin pour cela d’une ANSES – Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – qui soit performante ; ce point important a été souligné par la commission. L’ANSES joue en effet un rôle clé aussi bien dans l’évaluation des produits phytosanitaires avant leur mise sur le marché que dans l’observation des risques de ces substances pour la santé.
À l’heure actuelle, nous sommes dans une impasse, notamment au niveau agricole. Beaucoup de producteurs sont démunis. Prenons l’exemple de la filière de la fraise, que je connais bien. Cette filière doit faire face à l’apparition d’un ravageur émergent nommé Drosophila Suzuki, et aucun produit n’est autorisé pour lutter contre cette mouche. Les essais de nouveaux produits de traitement sont prometteurs, mais les demandes d’autorisation de mise sur le marché – AMM – sont pénalisées par les retards et les délais d’instruction de l’ANSES : dix-huit mois de retard et dix-huit mois d’instruction, cela signifie trois ans d’attente avant d’avoir une AMM… Monsieur le ministre, il faut que l’ANSES dispose de moyens supplémentaires afin de corriger ces situations désastreuses. Les moyens doivent être à la hauteur des exigences posées par la proposition de loi.
En conclusion, je dirai que cette proposition de loi répond à certains des enjeux environnementaux que notre mission d’information avait pointés. Elle envoie un signal positif tout en étant équilibrée s'agissant de ses délais de mise en œuvre. C’est une première marche à franchir en direction d’un véritable éveil écologique. Nous avons été rassurés par l’exemple de Saint-Nolff : comme le bon docteur de La Peste, le maire de cette commune a accompli un petit travail local qui a produit de grands effets. (Sourires.) La majorité des membres du groupe UDI-UC voteront donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans le cadre du travail de la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Je veux saluer à nouveau le travail accompli par cette mission et je me félicite que ses préconisations aient recueilli une approbation unanime. Je veux également saluer l’initiative de Joël Labbé.
La reconnaissance des dangers que présentent les produits phytosanitaires est une avancée importante. Le consensus qui se dégage ne doit pas se traduire par un compromis sur des objectifs peu ambitieux, mais par un projet politique d’envergure visant à doter la France d’outils législatifs contraignants pour répondre aux enjeux de santé publique et de protection de l’environnement.
Au niveau national comme au niveau européen, la tâche n’est pas aisée. Si le sixième programme d’action pour l’environnement, arrivé à échéance en juillet 2012, a permis d’engager des réflexions et des actions dans le domaine de l’environnement urbain, ou en ce qui concerne les pesticides, s’il a contribué à renforcer la sensibilisation et les connaissances sur l’environnement, le chemin est encore long. On peut s’interroger sur la possibilité d’atteindre l’objectif de ce sixième programme d’action : il s’agit de faire en sorte que, en une génération – rendez-vous compte de ce que cela signifie ! –, la production et l’usage des substances chimiques n’aient plus d’incidence négative importante sur la santé et l’environnement.
Des progrès restent à accomplir tant dans l’encadrement de l’usage des pesticides, comme le prévoit la proposition de loi, que dans les analyses et les données concernant les concentrations de produits chimiques dans l’environnement et dans les organismes humains, et les effets de l’exposition à des mélanges complexes de produits chimiques.
La proposition de loi s’attache, avec raison, à réduire l’usage des produits phytosanitaires dans les espaces non agricoles pour les personnes publiques et les particuliers. Nous partageons bien entendu cette volonté, mais nous tenons à rappeler que 95 % des pesticides répandus sont à usage agricole et que seulement deux tiers des usages non agricoles peuvent être imputés aux jardiniers amateurs, le tiers restant correspondant à l’entretien des voies de transport et des espaces verts : parcs, jardins publics, cimetières, etc. Cela signifie que nous ne nous attaquons qu’à une très petite partie du problème, et il faut bien garder cela à l’esprit. Reste qu’il faut bien commencer par quelque chose !
Il serait donc important de prendre également des mesures en direction du secteur agricole. On sait que la France est le pays d’Europe qui autorise le plus grand nombre de substances : on en compte 319 en 2013. Or on connaît les problématiques liées à l’indépendance et au contenu des analyses préalables aux AMM ; la mission d’information les a cernées avec précision. Là encore, un travail législatif devrait être engagé.
En ce qui concerne l’article 1er de la proposition de loi, nous partageons bien entendu la volonté d’interdire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques par les personnes publiques. Comme le souligne le rapport, de nombreuses collectivités ont déjà engagé cette démarche ; je note toutefois que ce sont, la plupart du temps, de grandes collectivités, qui ont sans doute, en termes de personnels, des marges de manœuvre dont sont dépourvues les petites communes.
La réglementation issue de l’ordonnance du 15 juillet 2011 relative à la mise en conformité des dispositions nationales avec le droit de l’Union européenne sur la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques prévoit déjà un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles l’usage des pesticides est limité. L’arrêté du 27 juin 2011 précise ces hypothèses.
Nous soutenons pleinement le dispositif de l’article 1er. Le report à 2020 de la généralisation de l’interdiction peut se justifier au regard du projet communal et pour laisser le temps aux collectivités de s’adapter, mais cela ne doit pas éluder la question des moyens. Il faut prendre en considération les nouvelles contraintes imposées et donner parallèlement aux collectivités les moyens de mettre en œuvre la proposition de loi, qui peut engendrer d’importants besoins en personnels et en formation.
De plus, nous pensons qu’il est nécessaire de partager les objectifs de réduction des pesticides avec les populations. Il faudra engager, dans le cadre du projet communal, une réflexion avec les citoyens sur la propreté de la ville et sur la présence d’herbes, que nous qualifions d’« herbes folles » ou de « mauvaises herbes », dans des endroits où il n’y en avait pas auparavant. Les communes peuvent jouer un rôle moteur pour changer les comportements des particuliers. Un travail de sensibilisation et d’éducation devrait être mené afin que les professionnels et les particuliers soient pleinement conscients des risques liés à l’utilisation des pesticides.
C’est pourquoi je salue tout particulièrement l’article 2 du texte qui nous est soumis, qui, en interdisant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention de produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel, devrait permettre d’en empêcher la vente dans des magasins vendant des biens de consommation courante.
Parce que nous partageons la volonté des auteurs de ce texte, nous voudrions être rassurés sur son efficacité et sa pérennité. En effet, qu’est-ce qui interdit à un particulier d’acheter sur Internet ou dans un pays voisin un produit phytosanitaire interdit à la vente en France ? Selon nous, rien ! La sanction prévue dans le texte ne concerne que le vendeur ou celui qui cède un tel produit.
De plus, cette interdiction ne vise pas l’utilisation de tels produits dans les jardins par des entrepreneurs paysagistes ou par des personnes chargées d’entretenir les jardins et rémunérés par des chèques emploi-service. Cela pose le problème de l’exposition à ces produits non seulement des particuliers, mais également de certains professionnels non avertis.
Peut-être aurait-il fallu aller jusqu’à interdire la vente à toute personne qui ne serait pas titulaire d’un certificat écophyto ? Cependant, une telle mesure est certainement beaucoup plus difficile à mettre en œuvre.
Par ailleurs, est-on assuré que cette interdiction, qui est une interdiction générale pour un certain usage, est compatible avec le droit européen, et notamment la liberté du commerce ? En cas de contentieux, le juge européen devra apprécier si l’atteinte portée à ce principe est justifiée par les risques sanitaires et environnementaux avancés par l’État. Mais comment ce dernier pourra-t-il justifier d’un tel risque, alors qu’il arrive à une autre conclusion pour autoriser la mise sur le marché du même produit pour des usages agricoles ?
Enfin, l’échéance de 2022 nous semble vraiment lointaine. Si vous pensez que toutes les craintes techniques et juridiques que nous avons évoquées ne sont pas justifiées, pourquoi prévoir un tel délai ?
L’article 3 de la proposition de loi, visant à remettre au Parlement, avant le 31 décembre 2014, un rapport sur les freins juridiques et économiques empêchant le développement des substances à faible risque définies par le règlement communautaire de 2009, est une bonne chose. Vous citez, monsieur le rapporteur, le purin d’ortie, qui fait débat ici à chaque loi agricole, ou les pulvérisations d’ail, le sucre, l’argile ou encore le vinaigre blanc. Ces produits sont en effet peu onéreux et ne sont pas nocifs. Une mise sur le marché simplifiée est donc justifiée, mais elle ne suffira pas pour que les particuliers, professionnels ou non, les utilisent. Là encore, il est indispensable de mener un travail d’éducation pour permettre l’aboutissement de ce projet politique.
La proposition de loi constitue donc une avancée, mais, en raison de son champ limité, elle sera inévitablement difficile à faire appliquer. Il est impératif d’avoir, aux niveaux national et européen, une réelle volonté politique de faire prévaloir la santé et la protection de l’environnement sur les intérêts mercantiles de l’industrie chimique. Pour ce faire, il faut repenser les modalités de contrôle et prendre en considération, pour les demandes de mises sur le marché, l’effet cocktail dû aux interactions entre pesticides ou entre résidus de pesticides.
Avant de conclure, je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les contradictions entre, d’un côté, la volonté de réduire les produits phytosanitaires, de renforcer les contrôles et de mettre dans nos priorités la défense de la santé et de l’environnement et, de l’autre, les négociations que nous engageons dans le cadre du traité transatlantique.
En effet, notre travail me semble bien fragile quand on sait que cet accord vise à une harmonisation des règles en matière des mesures de prévention des risques environnementaux et sanitaires. Par ailleurs, les réglementations sur les produits chimiques, telle que la directive REACH, sont beaucoup plus contraignantes en Europe qu’aux États-Unis et au Canada. Ces risques sont clairement avérés dans un rapport commandité par la commission ENVI du Parlement européen dans lequel il est recommandé aux parlementaires européens de redoubler de vigilance pour que l’Europe ne perde pas ses standards de protection dans le domaine de l’environnement et de la sécurité alimentaire.
Pour conclure, je confirme que le groupe CRC soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent texte, déposé par nos collègues écologistes, fait suite aux travaux de la mission commune d’information sénatoriale sur les pesticides présidée par notre collègue Sophie Primas.
La création de cette mission avait été demandée en janvier 2012 par le groupe socialiste du Sénat à la suite de la proposition de ma collègue Nicole Bonnefoy. Après plusieurs mois d’auditions et de travaux, la mission a rendu un grand nombre de recommandations, dont certaines sont reprises par cette proposition de loi.
Ce texte ne porte en fait que sur les usages non agricoles des pesticides ; on peut le regretter, mais c'est déjà un premier pas. Il faudra évidemment, à terme, aller plus loin pour réglementer l’utilisation des pesticides sur l’ensemble du territoire, et pas uniquement dans ses parties urbaines.
Cela étant dit, la proposition de loi va dans le sens de l’action menée par un grand nombre de collectivités territoriales, qu’il convient ici de saluer parce qu’elles ont été pionnières. En effet, d’après une étude menée en 2010, 60 % des communes de plus de 50 000 habitants ont mis en œuvre un plan de suppression de l’utilisation de produits phytosanitaires. C’est le fameux plan dit « zéro phyto ».
L’expérience zéro phyto que nous poursuivons depuis 2008 à Strasbourg – la ville que je connais le moins mal ! (Sourires.) – me conduit à penser que, dans ce domaine, il faut mener avec force une double bataille : culturelle au sens très large du terme, d’une part, et administrative et technique, d’autre part.
Il faut tout d’abord mener une bataille culturelle afin que l’opinion accepte ce changement de paysage urbain, ce qui n’est pas si facile. À Strasbourg, en 2008, une majorité de concitoyens se sont montrés sceptiques, dubitatifs, voire même franchement critiques, accusant parfois le personnel municipal de ne plus faire correctement son travail.
Notre objectif a été de faire comprendre à nos concitoyens, par un travail pédagogique, qu’il fallait passer d’un concept de « nature en ville » à un concept de « ville en nature ». Dans le premier cas, on utilise les espaces disponibles dans le milieu urbain pour, en quelque sorte, « mettre de la nature » entre les bâtiments. Dans le second, on considère que la ville doit s’insérer et s’intégrer dans la nature, dont elle préserve et renforce les richesses au bénéfice de ses habitants. Nous ne parlons dès lors plus de « mauvaises herbes », mais d’« herbes folles ».
Nous constatons avec plaisir que, à Strasbourg comme ailleurs, les abeilles viennent se réfugier en ville parce qu’elles y sont mieux protégées. Ce paradoxe se traduit d’ailleurs concrètement par la présence de plus en plus nombreuse d’apiculteurs dans le périmètre urbain. Le maire que je suis ne peut que s’en réjouir !
Aujourd’hui, à Strasbourg, nous favorisons aussi la nature spontanée et la biodiversité à tous les endroits de la ville. Dans notre esprit, il ne doit plus y avoir la nature d’un côté et la ville de l’autre. Le plan zéro phyto nous a également permis de redonner droit de cité à une fonction primaire de la nature pour les êtres humains, à savoir les nourrir. Les haies nourricières dans les parcs, les potagers urbains, souvent partagés par les riverains, les arbres fruitiers sont ainsi revenus en ville, nous permettant de redécouvrir ce lien ancestral avec une nature qui nous offre ses fruits.
Ce changement culturel du rapport avec la nature en ville est, à mon sens, une des clés pour construire des villes différentes, qui soient écologiques et durables.
Parallèlement à cette bataille culturelle, il faut également mener une bataille plus administrative et technique. Ainsi, pour arrêter, certes progressivement, mais au bout du compte complètement, l’usage des pesticides dans l’entretien des espaces publics, il a fallu mobiliser l’ensemble de l’administration à Strasbourg, mettre en place un système de gestion différenciée des espaces publics et modifier les techniques d’entretien.
Un changement de pratiques professionnelles de cette ampleur nécessite de mobiliser, et surtout de former, chacun des maillons de l’administration. Pour la ville et la communauté urbaine de Strasbourg, cela correspond à plus de 900 agents, soit près de 10 % de notre effectif total.
Il faut aussi mettre en place des pratiques de gestion différenciée des espaces publics pour adapter les techniques d’entretien en fonction des objectifs de naturalité qu’on souhaite atteindre. Ces pratiques varient suivant les endroits de la ville : on ne traite pas de la même façon des lieux emblématiques, comme ceux du patrimoine touristique, les espaces de circulation, tels les trottoirs, ou des espaces dits en reconquête, par exemple aux pieds des arbres.
Tout cela suppose des modifications des comportements et des techniques d’entretien. Mais le résultat se voit tout de même assez rapidement ! Nos concitoyens changent vite d’état d’esprit, ce qui prouve qu’ils sont mûrs pour ces évolutions. Ils savent bien qu’il faut en passer par là…
Je présenterai quelques amendements au nom de mon groupe, mais nous voterons naturellement cette proposition de loi présentée par nos partenaires parce qu’elle va dans le sens de l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Évelyne Didier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après des années d’utilisation intensive et non contrôlée de pesticides, les professionnels, les particuliers et les élus prennent conscience des dangers que ces produits font peser sur la santé et l’environnement, en dépit de la réalisation d’études parfois contradictoires, dont l’indépendance reste à démontrer.
Dans notre pays, la volonté de réduire l’utilisation de pesticides s’est traduite par l’adoption du plan Écophyto 2018, qui vise à réduire de 50 % la quantité de pesticides utilisés. Toutefois, il est évident que cet objectif ne sera pas atteint en 2018, et pas davantage en 2020.
Bien sûr, il existe des méthodes alternatives encore méconnues et, hélas ! pas toujours très efficaces. Le rapport Herth de 2011 a permis de mettre en lumière les produits bio-contrôle, qui ont recours aux mécanismes naturels en vue de protéger les plantes et les cultures. On redécouvre ainsi qu’il est possible de remplacer certains pesticides de synthèse par des substances naturelles, comme le purin d’ortie, le lait, l’ail ou le vinaigre... Nos anciens étaient-ils écologistes ? Non, ils étaient pragmatiques et faisaient avec les moyens du bord, en toute simplicité et sans dogmatisme.
M. Jean-Vincent Placé. On peut être écologiste et pragmatique !
M. Yvon Collin. Les auteurs de la proposition de loi, nos collègues du groupe écologiste, proposent d’accélérer ce processus de reconversion en interdisant l’usage de pesticides chimiques par les personnes publiques pour l’entretien des espaces verts, forêts ou promenades ouverts ou accessibles au public et en interdisant la vente de ces produits aux particuliers. L’interdiction est-elle vraiment la solution ?
Si l’on suit la logique du texte présenté, seuls pourront être utilisés les produits bio-contrôle qui figureront sur une liste fixée par l’autorité administrative. Nous saluons donc l’effort de pragmatisme des auteurs, qui ont opté pour ces produits bio-contrôle et ne se sont pas bornés à la promotion des préparations naturelles peu préoccupantes. De même, la dérogation prévue pour tenir compte de la lutte contre la propagation des organismes nuisibles est la bienvenue.
Nous savons qu’il existe déjà fort heureusement des réglementations qui encadrent l’usage des pesticides chimiques. On peut citer, en particulier, un arrêté du 27 juin 2011 concernant les lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables. En vertu de ce texte, les substances à risque sont interdites dans les parcs, les jardins, les espaces verts, les terrains de sport et de loisirs ouverts au public, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants.
Certes, la réglementation peut s’avérer insuffisante alors que l’utilisation de pesticides de synthèse entraîne une forte contamination des eaux superficielles ou souterraines, puisqu’il serait possible de retrouver jusqu’à 40 % du produit dans le cadre des usages non agricoles.
La mission d’information sénatoriale, dont le rapport a été adopté à l’unanimité, grâce au travail de nos excellentes collègues Nicole Bonnefoy et Sophie Primas, proposait des recommandations, comme la formation des vendeurs-conseils spécialisés sur les méthodes alternatives, sur les dangers des pesticides ou encore sur l’utilisation d’équipements de protection individuelle. Elle préconisait d’interdire la vente aux particuliers dans les surfaces alimentaires, avant d’interdire, à terme, la vente en général.
Dans le rapport, on peut lire que « le développement d’une offre alternative aux pesticides issus de la chimie de synthèse, combiné à une prise de conscience accrue des risques encourus par l’utilisateur, est de nature à faire changer rapidement le comportement du jardinier amateur ». De ce point de vue, l’enquête nationale que mènera l’ANSES sur les utilisations domestiques de pesticides sera d’une grande utilité pour appréhender leurs évolutions.
La sensibilisation face aux enjeux de santé publique semble également une façon efficace d’inciter les collectivités locales à adopter un objectif zéro phyto. D'ailleurs, les collectivités sont de plus en plus nombreuses à prendre à leur compte un tel objectif.
Si la promotion de ces méthodes alternatives fait progresser les mentalités et les usages, quelques obstacles demeurent quant à leur généralisation.
Cela concerne notamment les préparations dites « naturelles peu préoccupantes », les PNPP : l’autorisation des substances contenues dans celles-ci n’est possible que lorsqu’elles sont inscrites à l’annexe I du règlement européen du 21 octobre 2009 ; or le coût de cette inscription représente entre 40 000 et 200 000 euros, alors même qu’il ne s’agit que d’autoriser des recettes de grand-mère non brevetables…
Sur ce sujet, le rapport prévu à l’article 3 de la proposition de loi doit, à terme, nous éclairer. En tout état de cause, l’Allemagne et l’Espagne, qui disposent de nombreux fortifiants de plantes naturels, démontrent qu’on peut faire mieux et moins cher. À cet égard, il nous semble plus mesuré d’exclure de l’interdiction les pesticides à faibles risques, tels qu’ils sont définis par le règlement précité, ainsi que le propose notre collègue Roland Ries.
Enfin, les dates proposées pour l’application de l’interdiction – 2020 pour les collectivités locales, 2022 pour les particuliers – sont, de notre point de vue, raisonnables, notamment pour les collectivités locales, qui disposeront de cinq années pleines pour s’adapter à ces nouvelles contraintes et pourront suivre l’exemple des collectivités ayant adopté des plans zéro phyto.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’on ne peut que se réjouir que le Sénat soit à nouveau à l’initiative de dispositions donnant la priorité à la santé de nos concitoyens et des générations futures, comme ce fut le cas en 2009, lorsque mon groupe avait permis la suspension de la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A, il nous faut, en tant qu’élus responsables, veiller à ne pas tomber dans l’excès, c'est-à-dire, en l’espèce, faire du principe de précaution une application aveugle, de nature à nous faire quitter les chemins de la raison et à tourner le dos à la science et au progrès.
Dans ces conditions, et après de longs et sérieux débats, le groupe RDSE a fait le choix de l’abstention sur cette proposition de loi.
M. Yvon Collin. Néanmoins,…
M. Jean-Vincent Placé. Ah ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. … le président de la commission du développement durable, M. Raymond Vall, et moi-même, convaincus par les arguments de l’auteur du texte, voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant que présidente de la mission commune d’information du Sénat qui a conduit ses travaux en 2012 et dont notre collègue Nicole Bonnefoy, que je salue, était rapporteur, je souhaite rappeler que l’objectif principal de cette mission était d’établir des recommandations afin de mieux protéger les utilisateurs des produits phytosanitaires.
Je veux une nouvelle fois saluer l’ensemble de l’équipe qui a travaillé dans le cadre de cette mission, dans l’esprit qu’a très bien décrit notre collègue Joël Labbé.
Une centaine de recommandations a été ainsi approuvée à l’unanimité. Bien entendu, des nuances entre les groupes politiques se sont plusieurs fois exprimées, notamment sur des questions de fiscalité ; nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement. Toutefois, notre volonté commune était d’envoyer un message sanitaire fort, et c’est ce que nous avons fait, de manière responsable.
La mission a étudié tous les secteurs d’activité et tous les domaines dans lesquels l’utilisation des produits phytosanitaires est avérée. Les collectivités territoriales et les usages individuels non professionnels des particuliers ont donc été ciblés, même si, bien entendu, les enjeux liés aux tonnages utilisés, à la nature des molécules et aux raisons d’utilisation sont très éloignés des enjeux sanitaires importants rencontrés dans d’autres secteurs.
Je comprends donc la nature symbolique et politique de la proposition de loi déposée par le groupe écologiste, même s’il faut bien admettre que nous ne traitons pas ici le cœur des enjeux sanitaires pointés à l’occasion des travaux de la mission. Cela a été dit plusieurs fois, et chacun en est conscient.
Je sais que certains points majeurs seront intégrés dans le projet de loi d’avenir de l’agriculture que nous examinerons en début d’année prochaine, bien que les premiers éléments dont nous disposons me semblent aller à l’inverse de nos recommandations. Mais cela fera partie d’un second temps du débat…
Je le dis solennellement, je souhaite également que les ministères de la santé et du travail s’engagent plus fortement sur des questions qui nous sont, à tous, parues cruciales, comme la mise en place d’une épidémiologie plus large et plus coordonnée, le suivi sanitaire des populations exposées, la reconnaissance de certaines maladies au tableau des maladies professionnelles…
Enfin, les questions juridiques autour de la fraude, voire du grand banditisme devront également être traitées, tant les dangers sont considérables en termes sanitaires et environnementaux. (Mme Corinne Bouchoux opine.)
Nous examinons donc aujourd'hui une proposition de loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, texte qui concerne principalement les collectivités territoriales et les particuliers.
Je veux saluer très sincèrement le travail de M. Joël Labbé, auteur de la proposition de loi, et de M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission, ainsi que leur volonté respective d’aboutir à un texte consensuel.
Chers collègues, vous avez écouté et pris en compte un certain nombre de remarques, adopté plusieurs amendements qui ont amélioré et précisé le texte initial, voire, parfois, donné plus de temps aux publics visés.
J’adhère donc pleinement à l’esprit de ce texte.
Néanmoins, je considère que ce dernier ne peut être voté en l’état, car sa rédaction me semble comporter encore trop d’insécurités juridiques, notamment à l’article 1er, et ne pas permettre une bonne interprétation par les maires.
Par ailleurs, la proposition de loi est, à mon sens, porteuse de quelques sources d’incompréhensions potentielles.
Enfin et surtout, elle n’a pas été évaluée financièrement pour les communes, ce qui, nous l’admettrons tous assez facilement, est une faute que nous ne pouvons éternellement répéter au fil des lois.
La proposition de loi s’articule autour de deux axes principaux.
Premièrement, le texte vise à une interdiction, à l’horizon 2020, de l’utilisation des produits phytosanitaires par les personnes publiques.
Pour ma part, je suis absolument certaine que le zéro phyto dans les collectivités est surtout affaire de motivation et d’une forme de courage politique, car il nécessite, auprès de la population, beaucoup de communication et d’esprit de persuasion. Il est nécessaire de faire savoir aux habitants que l’utilisation ou non de produits phytosanitaires ne donnera pas, au final, le même résultat et qu’il faut accepter de nouvelles formes d’espaces verts.
Le zéro phyto est d’ores et déjà mis en œuvre, de façon volontaire, voire volontariste, dans de nombreuses communes de France, de toutes tailles et très diversement dotées sur le plan administratif.
Je veux une nouvelle fois citer l’exemple de Versailles, dans mon beau département des Yvelines. Dans les royales rues et avenues de cette commune, le plan zéro phyto est appliqué depuis déjà un certain nombre d’années – depuis 2005 si je ne m’abuse –, en ayant recours à des méthodes qui font maintenant école.
Mais je veux aussi évoquer l’exemple de communes rurales, comme il en existe aussi beaucoup dans mon département. Ces communes ont souvent un seul employé municipal, qui ne travaille parfois qu’à temps partiel, et elles pratiquent presque le zéro phyto partout sur leur petit territoire communal, à l’exception des endroits que les maires considèrent comme présentant des dangers pour la circulation automobile ou pour la circulation des piétons.
Je pense au maire d’une petite commune du Vexin, située dans le parc naturel, que je suis allée voir la semaine dernière. Cette commune a un seul cantonnier, mais son maire mène à cet égard une politique très volontariste : il pratique le zéro phyto dans sa commune et a repensé l’engazonnement de ses espaces verts et de ses trottoirs pour prendre en compte le ruissellement de son village. Cependant, il ne se résout pas à faire marcher les enfants sur des trottoirs glissants ou mal dégagés dans leur trajet quotidien entre la cantine et l’école. Il ne se résout pas non plus à ne pas désherber les étroites voies de desserte de sa commune, car il ne veut pas ajouter du danger à la circulation des véhicules. Il utilise donc du désherbant de manière raisonnée et raisonnable.
Par ces deux exemples locaux, je veux souligner la volonté des maires, quelle que soit leur appartenance politique. Cette volonté est bien réelle, mais elle n’exclut pas pour autant le bon sens.
Par conséquent, je salue le fait que, dans le texte qui nous est proposé, le champ d’application de l’interdiction du recours aux produits phytosanitaires ait été plus justement encadré, notamment à l’occasion des travaux de la commission. En effet, cette interdiction porterait seulement sur « l’entretien des espaces verts, forêts ou promenades accessibles ou ouverts au public ». Ainsi, les cimetières et les terrains de sport seraient exclus du champ du dispositif. Cette avancée est de nature à permettre l’acceptation du texte, tant le cimetière, en particulier, reste un endroit sensible.
Par ailleurs, les actions de désherbage menées par les collectivités ou les établissements publics, dans un objectif de sécurisation de la voirie, par exemple, semblent être également exclues du dispositif ; je souhaiterais que l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur puissent me le confirmer. Cette exclusion aurait le mérite de rassurer les collectivités rurales qui mènent des actions de sécurisation sur les voies communales, parfois très étendues, par exemple entre deux hameaux, et qui s’inquiètent d’un dispositif de retrait total de toute action chimique, sans aucune alternative autre que mécanique, l’alternative toute mécanique posant un autre souci, celui du personnel nécessaire et donc des coûts afférents.
Cela étant, il me semble qu’il n’existe pas, à cette date, de définition juridique stricto sensu de l’« espace de promenade ». Un talus pourrait-il être considéré comme un espace de promenade ? Quid d’un bord de route ? Un stade ne pourrait-il pas finalement, lui aussi, être requalifié par un juge comme espace de promenade ? On voit bien ici l’insécurité juridique et le nombre de recours possibles auxquels les maires pourraient s’exposer dès lors que la loi serait votée.
Par ailleurs, malgré le travail de qualité, j’y insiste, effectué par nos collègues Joël Labbé et Ronan Dantec, un certain nombre de questionnements restent en suspens. Nous avons d’ailleurs eu de très longs débats en commission et envisagé moult réécritures de l’article 1er...
Ainsi, il semblerait que la distinction proposée entre personne publique et personne privée ne résistera que difficilement à l’épreuve des faits.
Peut-on, par exemple, interdire à une collectivité d’avoir recours aux produits phytosanitaires sur son territoire alors qu’un bailleur privé pourra continuer à les utiliser librement sur les espaces verts de son parc de logements sociaux ? Une personne publique pourrait-elle faire appel à un prestataire de service privé, professionnel qui, lui, serait autorisé à utiliser les produits phytosanitaires ? Je sais que M. Ries a déposé un amendement pour régler ce problème, qui est réel.
Comment un maire un peu récalcitrant peut-il comprendre qu’il faille respecter l’interdiction du recours aux produits phytosanitaires, par exemple dans une zone industrielle, quand, quelques mètres plus loin, au sein du parc privé d’une entreprise, derrière le grillage qui sépare espace privé et espace public, l’entretien des espaces verts, non concernés par cette proposition de loi, serait réalisé avec des produits phytosanitaires, lesquels pourraient éventuellement contaminer les espaces publics ?
À mon sens, la confusion de ces différentes politiques de gestion des espaces au sein même d’un seul territoire peut conduire au brouillage du message que nous souhaitons faire passer et, surtout, à des recours éventuels de particuliers, qui, me semble-t-il, seront très difficiles à trancher.
Ces questions, auxquelles s’ajoutent celles qui sont relatives à l’impact budgétaire de ces mesures pour les collectivités, nécessitent une plus grande et une plus large réflexion avec l’ensemble des acteurs concernés.
Ainsi, même si l’objectif affiché est louable, il ne pourra être atteint que si tout est fait que si le texte fait en sorte d’assurer les conditions du succès, ce qui suppose préparation suffisante, et cela est particulièrement vrai dans la période contrainte que nous traversons.
Dans son deuxième axe, la présente proposition de loi vise à une interdiction, à l’horizon 2022, de la commercialisation de produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel. Cet objectif est tout à fait estimable, et j’y adhère totalement.
Néanmoins, je souhaite rappeler la dynamique engagée dans le cadre du Grenelle de l’environnement.
Les mesures concernant la vente de produits phytosanitaires en grande distribution viennent tout juste d’entrer en vigueur. Vous avez certes souligné, monsieur le ministre, que les objectifs n’étaient pas encore atteints, mais vous reconnaîtrez qu’il est encore un peu tôt pour qu’ils le soient.
Ainsi, depuis le 1er octobre 2013, la vente de ces produits ne peut se faire qu’en présence d’un personnel formé. Tous les points de vente doivent être certifiés conformes par un organisme certificateur, sur la base de référentiels élaborés par la direction générale de l’alimentation, la DGAL.
Le référentiel spécifique à la distribution au grand public comprend plusieurs types d’exigences. Tout d’abord, il comprend des exigences sur les conditions de vente au client, notamment l’information par un vendeur certifié, la présentation des méthodes alternatives ou encore les zones clairement balisées. Il comporte des exigences quant aux procédures internes : stockage des produits en réserve, gestion des déchets, vérification automatique de la validité de l’autorisation de mise sur le marché… Enfin, il comporte des exigences en termes de proximité avec les produits alimentaires, des zones minimales de distance entre produits phytosanitaires et produits alimentaires étant obligatoires.
Nous devons nous féliciter de ces avancées et, parallèlement, remarquer les efforts des entreprises de la distribution, spécialisée ou non, pour permettre une information efficace du consommateur et une gestion plus sécurisée des produits.
Même si nous pouvons avoir a priori certaines réserves sur la réalité opérationnelle de certaines exigences, il faut accorder un peu de temps au temps. Aussi, face au caractère très récent de ce nouvel encadrement de la vente de produits phytosanitaires à usage non professionnel, nous pouvions nous interroger sur l’opportunité de nous prononcer, dès aujourd’hui, sur l’interdiction immédiate de leur commercialisation.
Je remercie donc la commission d’avoir accepté de repousser l'échéance à 2022, ce qui laissera à ces entreprises de distribution le temps de rentabiliser les investissements réalisés pour répondre aux exigences du Grenelle de l’environnement et de mettre en place, avec les industriels, de nouvelles gammes non seulement alternatives aux produits phytosanitaires, mais aussi efficaces. Effectivement, pour que de nouveaux produits soient acceptés dans la durée par les particuliers, notamment par les jardiniers amateurs, qui sont très attachés à la réussite de leur production personnelle, l’efficacité doit être au rendez-vous.
De surcroît, fixer le terme de l’interdiction à 2022 permettra aux industriels du secteur de continuer à développer l’ensemble des produits alternatifs qui font actuellement l’objet de recherches. Je pense naturellement aux produits de bio-contrôle, qui doivent être soutenus, comme l’avait clairement mentionné notre collègue député Antoine Herth dans son excellent rapport.
Je salue l’article 3 de la présente proposition de loi qui nous permettra de considérer la façon qui soit la plus efficace et la plus sûre de faire pénétrer sur le marché des produits de bio-contrôle, mais également la plus rapide, la plus économique que prévu.
Mais demeurera le souci premier des particuliers : le désherbage. Sur ce sujet, ne nous trompons pas ; n’interdisons pas tout au motif qu’est ciblé un produit particulier – que je ne nommerai pas – contenant des glyphosates. C’est bien le rôle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, d’évaluer les risques. Lors du renouvellement de l’homologation, les produits visés doivent faire l’objet d’une grande vigilance et donner lieu ou non à une autorisation qui, en dernier ressort, relève encore de la responsabilité politique du ministre chargé du dossier.
Eu égard à l’ensemble de ces réserves et tout particulièrement, vous l’avez compris, en raison des risques juridiques et financiers qui résultent de l’article 1er, les membres du groupe UMP s'abstiendront sur le texte que nous examinons, même si, je le répète, ils partagent les objectifs poursuivis. (Mme Françoise Boog et M. Henri Tandonnet applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les écologistes apprécient la proposition de loi de Joël Labbé et le climat constructif dans lequel elle a été accueillie.
Sans doute est-ce en raison de l’heureuse conjonction des convictions de l’auteur et du riche travail collectif de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, dont la présidente était Sophie Primas et le rapporteur Nicole Bonnefoy. Et personne n’ignore dans cette enceinte la contribution permanente des associations d’apiculteurs, de paysans soucieux des générations futures, ou de promoteurs d’alternatives compatibles avec notre santé et la biodiversité, pas plus que le rôle précurseur d’élus courageux qui ont – sans jeu de mot – défriché le terrain avec leurs collaborateurs en affrontant le doute des riverains devant quelques plates-bandes qui n’affichaient pas la coupe et l’uniformité réglementaires.
Avant d’aborder le fond de la question, il n’est pas inutile de se remémorer de quelle manière le champ sémantique des substances toxiques a été manipulé.
L’étymologie du mot « pesticide » signale d’emblée sa finalité mortifère à destination des « pestes » – ce sont les sales bêtes, les vilains parasites ou les mauvaises herbes et autres connotations révélatrices, dont il reste une scorie dans le présent texte qui comporte le terme « nuisibles ».
Puis furent étudiés plus attentivement ces molécules et leurs effets sur la santé humaine. Phtalates, perturbateurs endocriniens, neurotoxiques et inhibiteurs de croissance ont aussi, évidemment, des effets sur l’homme.
Leur mauvaise réputation devenant universelle, les fabricants ont fait valoir auprès des institutions une nouvelle expression consacrée, celle de « produits phytosanitaires ». Mais ces derniers furent aussi l'objet de quelques études accablantes mettant en perspective, à la suite de contaminations directes ou indirectes, des lymphomes, des myélomes, des maladies de Parkinson… Aussi sont-ils maintenant dénommés « produits phytopharmaceutiques », sans toutefois que leur composition soit modifiée. Ces substances restent polluantes pour l’environnement et dangereuses pour la santé, ce de façon durable.
Et les fabricants le savent : ils ont dû retirer certains produits de la vente et ont fait évoluer tant les contenants que les modes d’emploi.
Les soignants des centres hospitaliers régionaux et des zones agricoles fruitières le savent, eux qui accueillent en urgence les personnes intoxiquées après chaque campagne de pulvérisation.
La Mutualité sociale agricole le sait, elle qui a mis en place la collecte des signalements de contaminations et des portails d’explication des risques de mauvaises manipulations, de contacts avec la peau, ou d’inhalation.
Les applicateurs, salariés autorisés des entreprises ou des services à pulvériser ces pesticides, le savent, eux qui doivent enfiler des combinaisons et mettre des masques. Je tiens à votre disposition un cliché pris depuis le restaurant du Sénat sur lequel on voit dans le parc un jardinier habillé comme dans un film de science-fiction en train d’épandre un mystérieux aérosol sur les gazons… (Sourires.)
Nos agences de sécurité sanitaire le savent, elles qui ne sont pas promptes à sonner l’alarme sans avoir vérifié plusieurs fois la certitude d’un danger…
Et cette toxicité, connue et reconnue, nous la laisserions déployer ses effets dans les parcs et jardins où gambadent les petits ? Ceux-ci respirent à pleins poumons, touchent les feuilles, cueillent les pâquerettes, s’allongent dans l’herbe. Or les conséquences des pesticides sur les organismes en croissance sont décuplées ; certaines molécules perturbent le système hormonal et engendrent des dysfonctionnements, parmi lesquels l’hyperactivité.
Cette toxicité reconnue, nous la laisserions, si je puis dire, en vente libre à destination des potagers domestiques ? Il est fréquent que le jardinier de la famille, jaloux de sa future récolte de choux, de laitues ou de fraises et peu avare des moyens qu’il y consacre, applique sans nuance le principe « quand on aime, on ne compte pas » et double la dose de produit, qu’il répand sans gants, pour faire disparaître – à jamais, espère-t-il – limaces, pucerons et chenilles. (Nouveaux sourires.)
La première bonne nouvelle, c’est ce premier pas que nous permet d'accomplir la présente proposition de loi. La seconde, c’est que ce texte peut être adopté…
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault n’a-t-il pas souhaité que nous allions vers la suppression des produits phytosanitaires en ville ? L’ex-Premier ministre Fillon n’avait-il pas approuvé le rapport du député Herth sur l’existence d'alternatives ? N’était-ce pas une conclusion unanime du groupe du Grenelle de l’environnement consacré à la biodiversité ? Une grande enseigne, Botanic, n’a-t-elle pas pris l’initiative vertueuse d’éradiquer les pesticides de ses rayons, sans crainte pour sa compétitivité ?
Tous les ministres chargés de l’environnement qui se sont succédé dans cet hémicycle se sont aussi accordés pour reconnaître qu’il était vraiment aberrant que le purin d’ortie ou l’ail pulvérisé soient traités comme le glyphosate et que leurs promoteurs doivent passer sous les fourches caudines d’une inscription dont le coût – prohibitif – peut atteindre 200 000 euros !
Monsieur le ministre, le Parlement va vous laisser choisir les modalités d’une autorisation facile pour les préparations peu préoccupantes. Faites vite, et soyez celui qui nous sortira du ridicule !
Enfin – car il y a une fin, mais pas que de bonnes nouvelles – nous, écologistes gardons une petite part d’amertume. Nous comprenons que l'on retienne l'année 2020 pour les collectivités en vue d'une transition réussie. Mais nous sommes atterrés par les freins de l’industrie qui, quoi qu’elle en dise, tourne le dos à la compétitivité en réclamant huit ans au lieu de six pour continuer à nous empoisonner. C’est le progrès à reculons !
Moins grave, mais quand même absurde, est la limitation aux seuls espaces ouverts au public, ce qui tourne le dos à la science et à la connaissance – comme l’indiquait M. Collin –, et ignore le fait que les polluants ne restent pas sur place.
Néanmoins, ne boudons pas une avancée qui est à notre portée : c'est bien sûr avec plaisir que nous voterons le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.– Mme Évelyne Didier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 octobre 2012, la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, dont j’ai demandé la création et été le rapporteur, rendait ses conclusions. Son rapport, auquel Joël Labbé s’est associé, a été adopté à l’unanimité.
Au terme de sept mois de travail et d’une centaine d’auditions, ce document dressait un tableau assez alarmant de la situation sanitaire liée aux pesticides en France. Il établissait cinq constats majeurs, que je veux rappeler en cet instant : les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont encore sous-évalués ; le suivi de ces produits, après leur mise sur le marché, n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leur incidence sanitaire réelle ; les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques qu’ils font peser sur leurs utilisateurs comme sur le reste de la population ; les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles ne prennent pas suffisamment en compte la problématique de la santé ; le plan Ecophyto, lancé dans le cadre du Grenelle de l’environnement, qui établissait pour objectif, à l'horizon de 2018, la réduction de 50 % de la quantité de pesticides utilisés dans le pays, ne sera vraisemblablement pas respecté, puisque l’usage des pesticides a au contraire continué d’augmenter depuis son lancement.
Au mois de juin dernier, une étude des experts scientifiques de l'INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, renforçait à son tour les conclusions et les préconisations de la mission commune d’information.
En effet, l’expertise collective identifiait très clairement le lien entre l’utilisation de certains pesticides et la survenue de plusieurs pathologies graves telles que la maladie de Parkinson et les cancers de la prostate, de la moelle osseuse ou de la vessie. De plus, elle soulignait que les expositions aux pesticides semblent particulièrement à risque pour le développement de l’enfant.
La nécessité d’une réaction rapide, du fait de la dangerosité de nombreux produits pesticides, ne fait donc plus aucun doute.
C’est pourquoi, pour ma part, j’ai déposé, au mois de juillet dernier, une proposition de loi visant à encadrer le recours à des produits pesticides présentant un risque pour la santé. Ce texte reprend une partie des recommandations de la mission qu’il convient, et qu’il est possible, d’appliquer rapidement : le renforcement des moyens de contrôle des produits mis sur le marché, l’interdiction des pesticides dans les zones non agricoles, la meilleure protection des riverains de zones d’épandage, l’interdiction de la vente de produits phytosanitaires au grand public, la meilleure reconnaissance des maladies professionnelles induites, ou encore le développement des techniques agricoles alternatives.
Aussi, je me réjouis que notre collègue Joël Labbé, à travers son initiative, reprenne ces différents travaux pour essayer d’inscrire dans la loi quelques dispositions qui permettront d’encadrer davantage l’usage des pesticides, de réduire leur consommation et d’atténuer les dangers sanitaires qu’ils font peser sur la population.
Cela a été rappelé, de nombreuses collectivités ont déjà pris les devants et adopté des mesures fortes pour aboutir au zéro phyto. Ainsi, depuis le lancement du plan Ecophyto, 60 % des villes de plus de 50 000 habitants se sont fixé l’objectif d'un recours intégral aux méthodes alternatives aux pesticides. En Charente, dans mon département, nombre de communes, y compris rurales, ont décidé d’adhérer à la charte régionale Terre saine dans la perspective de renoncer progressivement à l’usage des pesticides, sans attendre que la législation les y contraigne.
De même, des centrales d’achats ont récemment entrepris d’arrêter de vendre des produits phytosanitaires dans leurs grandes surfaces pour commencer à accompagner les consommateurs vers un nécessaire changement d’habitudes.
Je me félicite de ces initiatives, qui démontrent qu’il est d’ores et déjà possible d’engager la transition vers un autre modèle. Mais je n’oublie pas que les zones non agricoles, que cible particulièrement le texte que nous examinons et sur lesquelles portent ces initiatives, ne représentent que 5 % à 10 % des lieux où sont répandus des pesticides. Il sera donc important d’aller plus loin en poursuivant la transposition dans les textes législatifs des nombreuses recommandations de la mission commune d’information.
Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt devra constituer l’une des occasions de cette transposition, afin de développer un autre modèle agricole, plus économe en intrants et plus respectueux de l’environnement.
La stratégie nationale de santé, dont la mise en œuvre devrait aussi être amorcée en 2014, sera une autre occasion importante, celle du développement des outils à disposition des politiques publiques de santé sur les questions relatives aux pesticides.
Nous devrons saisir toutes les opportunités qui se présenteront à nous pour faire reculer les risques que fait peser sur la santé et l’environnement l’usage irraisonné des pesticides. J’espère bien, mes chers collègues, que, sur cette question cruciale pour la qualité de vie de nos concitoyens, nous pourrons continuer à travailler de concert, par-delà la diversité de nos sensibilités politiques, pour une défense réelle de l’intérêt commun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois d’avril dernier, un article du journal Le Monde avait pour titre : « Guadeloupe : monstre chimique ».
En effet, la Guadeloupe est devenue un laboratoire à ciel ouvert d’une pollution diffuse et, malgré la mobilisation des pouvoirs publics et des organismes de recherche, aucune solution réparatrice n’apparaît pour l’avenir. C’est la raison pour laquelle je me félicite de toute initiative, notamment législative, qui nous permet de lutter contre l’utilisation de produits chimiques dans nos collectivités ultramarines, à condition toutefois que nos spécificités soient bien prises en compte.
Ce qui vaut pour la Guadeloupe vaut malheureusement pour les autres collectivités d’outre-mer. Vous l’avez compris, nous sommes face à une catastrophe environnementale sans précédent qui va s’inscrire dans le temps. J’en veux pour preuve la durée de vie du tristement célèbre chlordécone qui est estimée à sept siècles.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui concerne singulièrement les outre-mer dans la mesure où leurs collectivités territoriales sont plus investies que celles de métropole dans la lutte contre des parasites se développant dans des milieux tropicaux. De plus, il est notable, d’un point de vue socio-économique, que des familles modestes tirent une partie de leurs revenus de la vente informelle et de l’échange des produits de leurs jardins.
Monsieur le ministre, je souhaite donc attirer tout particulièrement votre attention sur la nécessité de prendre en compte, au cours de nos discussions, le caractère spécifique des outre-mer dans le cadre d’une approche globale de lutte contre l’utilisation des pesticides.
Par ailleurs, des modes alternatifs de production doivent être envisagés et il me semble nécessaire que soit soulignée l’importance du renforcement et de l’organisation du maillon recherche-expérimentation-transfert pour la mise au point de cultures peu consommatrices de pesticides en vue de promouvoir de nouveaux modes de production intégrée dans les départements d’outre-mer. (Applaudissements.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
Article 1er
L’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Il est interdit aux personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques d’utiliser les produits phytopharmaceutiques visés au premier alinéa de l’article L. 253-1 du présent code, à l’exception des produits de bio-contrôle figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, pour l’entretien des espaces verts, forêts ou promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé. Cette interdiction ne s’applique pas aux traitements et mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles visés à l’article L. 251-3, en application de l’article L. 251-8. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Après les mots :
d'utiliser
insérer les mots :
ou de faire utiliser
La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. L’article 1er de la proposition de loi vise à interdire à l’État, aux collectivités territoriales ainsi qu’aux établissements publics de recourir aux produits phytopharmaceutiques pour l’entretien de leurs espaces verts, forêts ou promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé.
Dans cet esprit, et afin d’éviter que ces mêmes personnes publiques ne contournent, en quelque sorte, la future loi, il convient de préciser qu’elles ne pourront pas déléguer à un tiers professionnel l’entretien de ces mêmes espaces et, par voie de conséquence, qu’elles ne pourront pas utiliser ou faire utiliser ce type de produits pour l’entretien des sites susvisés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Dantec, rapporteur. Il s’agit d’un amendement extrêmement pertinent, qui réduit un angle mort de la proposition de loi initiale. La commission émet donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Martin, ministre. La modification qui est proposée permet d’assurer que l’interdiction s’appliquera bien en toutes circonstances dans les propriétés des personnes publiques visées par le texte, y compris lorsque les travaux d’entretien sont réalisés par un prestataire.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Cet amendement répond à une interrogation que j’ai soulevée lors de la discussion générale, et concerne le recours à un tiers ou à un délégataire de service public qui ne serait pas touché par cette interdiction pour faire le « sale travail ». Néanmoins, la disposition permettra-t-elle de contrer tous les cas de délégation de service public ? J’ai des doutes sur la sécurité juridique.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
à l’exception des produits de bio-contrôle figurant sur une liste établie par l’autorité administrative
par les mots :
à l’exception de ceux visés au IV du présent article
La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai à la fois les amendements nos 2 et 4, qui ont le même objet.
Ils visent à encourager le développement et la promotion de tous les produits alternatifs aux pesticides. Pour ce faire, nous proposons d’exclure du champ d’interdiction des articles 1er et 2, outre les produits de bio-contrôle déjà mentionnés dans le texte de la commission, les produits autorisés dans le cadre de l’agriculture biologique ainsi que les substances actives à faible risque, au sens du règlement communautaire, les fameuses préparations naturelles peu préoccupantes, ou PNPP.
En effet, ce type de substances n’est dangereuse ni pour la santé humaine ou animale ni pour l’environnement. Je le rappelle, une substance active à faible risque doit présenter les caractéristiques suivantes : elle ne doit être ni cancérogène, ni mutagène, ni toxique, ni explosive, ni corrosive. Elle ne doit pas non plus être persistante, c’est-à-dire avoir une durée de demi-vie dans le sol supérieure à soixante jours, ni être réputée comme un perturbateur endocrinien ou avoir des effets neurotoxiques ou immunotoxiques.
Dans ce cadre, il nous semble opportun de permettre l’utilisation de tels produits par les personnes publiques visées par le présent article. Effectivement, si nous souhaitons réellement engager un changement de modèle et promouvoir des méthodes alternatives aux pesticides, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une approche trop restrictive. Les substances à faible risque et les produits utilisés en agriculture biologique présentent un certain nombre de garanties qui répondent à l’esprit de la présente proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle ces deux amendements visent à les inclure dans la dérogation déjà prévue pour les produits de bio-contrôle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Dantec, rapporteur. Je vais essayer de ne pas être trop long, mais ces amendements mériteraient quarante-cinq minutes d’explication. (Mouvements de dissuasion et sourires.)
Il existe deux définitions des substances peu préoccupantes, l’une dans le code rural et de la pêche maritime, l’autre dans la réglementation européenne. Les amendements présentés par Roland Ries reviennent à intégrer également la définition européenne dans la loi, ce qui est assez cohérent. Je rappelle néanmoins que le règlement européen en cause ne comporte à ce jour aucune liste.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le travail de cohérence qu’il reste à mener et, par conséquent, sur l’importance du rapport mentionné à l’article 3.
Cela étant, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Martin, ministre. Je sais gré à Ronan Dantec de ne pas avoir développé son argumentation pendant quarante-cinq minutes : « Allez les Verts ! », certes, mais « Allez les Bleus ! » aussi. (Rires.)
L'amendement n° 2 comme l'amendement n° 4 visent à compléter la liste des substances qui pourront être utilisées en substitution des produits chimiques classiques. Ils tendent à ajouter aux produits de bio-contrôle les produits utilisables en agriculture biologique et les substances à faible risque, tout en respectant l’esprit du texte.
L’adoption de ces amendements donnerait un peu de souplesse pour la mise au point d’alternatives. C’est pourquoi le Gouvernement y est favorable.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote
Mme Sophie Primas. Je soutiendrai ces deux amendements. Je veux simplement préciser que des amendements similaires, que j’avais défendus en commission, ont été retoqués.
M. Ronan Dantec, rapporteur. Ils n’étaient pas identiques !
Mme Sophie Primas. Je crains que si, mais peu importe : je me réjouis de voter en séance publique les amendements déposés par M. Ries.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. « Allez les Bleus ! », effectivement, car le présent texte aborde aussi la question des terrains de sport, dont on se demandait tout à l'heure s’ils pouvaient être considérés comme des lieux de promenade. C’est fort possible, à voir le business du football hors-sol tel qu’il est pratiqué aujourd'hui…
Par ces deux amendements, notre collègue Roland Ries et les membres du groupe socialiste nous ont proposé une nouvelle formulation concernant les produits qui ne seront pas visés par l’interdiction. Aux côtés de l’exception faite aux produits de bio-contrôle comme convenu en commission sont ajoutés les produits autorisés en agriculture biologique et les substances à faible risque visées par le règlement (CE) 1107/2009.
Devoir préciser par autant de mentions les exceptions témoigne de l’inadaptation ou du moins de l’incohérence des législations et des réglementations, ce qui a motivé la demande de rapport formulée à l’article 3 de la proposition de loi. On le constate, aucune des réglementations ou listes n’inclut la même chose.
Si les substances à faible risque sont pressenties pour être une voie privilégiée de mise sur le marché des produits de bio-contrôle, force est de constater que nous sommes face à quatre limites : tout d’abord, le calendrier d’approbation des substances à faible risque ; ensuite, les critères d’inclusion dans la liste des substances reconnues comme à faible risque ; en outre, la lourdeur de la procédure de reconnaissance pour les acteurs non industriels ; enfin, l’inadéquation avec les attentes des promoteurs d’alternatives et, plus particulièrement, de préparations naturelles peu préoccupantes.
Pour ce qui concerne le calendrier, soyons clairs : on avance à l’aveugle. En effet, avant d’autoriser des produits phytosanitaires à faible risque, au sens du règlement européen, la première étape est l’approbation des substances actives qu’ils contiennent, et ce au titre du même règlement européen. Or les substances actives qui pourraient être approuvées comme substances à faible risque le seront à partir du second semestre de 2014, sur la base des dossiers soumis après le 14 juin 2011. Un groupe de travail réunissant les États membres européens, l’Autorité européenne de sécurité des aliments et les parties prenantes se penche actuellement sur la question.
Par ailleurs, les substances actives devront répondre à des critères stricts. Ainsi, elles ne devront être ni cancérogènes, ni mutagènes, ni toxiques pour la reproduction, ni sensibilisantes, ni toxiques ou très toxiques, ni explosives, ni corrosives. Cependant, on connaît peu la toxicité à faible dose des substances et donc des produits, faute de protocoles adaptés, encore moins celle des mélanges de substances que sont les produits commerciaux. Bref, on ne sait rien aujourd’hui des substances et encore moins des produits conçus avec ces substances qui seront autorisés.
Sur cette seule base, on peut dès lors imaginer que la liste de ces substances peut inclure des produits chimiques de synthèse – cas le plus probable –, des produits présentant un risque pour l’homme ou l’environnement, certes faible mais réel. La notion de risque faible n’est d’ailleurs pas définie dans le règlement de manière précise.
À cela s’ajoute la lourdeur de la procédure. Les demandes de reconnaissance sont onéreuses, lourdes, inaccessibles pour bon nombre de promoteurs d’alternatives aux produits phytosanitaires de synthèse. On priverait donc l’usager particulier des phéromones, des micro-organismes et d’une partie des préparations naturelles peu préoccupantes qui ne seraient pas approuvées en substance de base.
J’en arrive à la quatrième limite, celle de l’inadaptation du processus de reconnaissance. La lourdeur et le coût de la procédure, qui, au final, n’est accessible qu’aux industriels, hypothèquent largement le développement des alternatives, procédure. Ainsi, la cohérence, la rapidité et l’exhaustivité seront trois conditions à respecter.
L’utilisation de certains produits sera-t-elle considérée comme présentant tantôt peu de risque, tantôt de forts risques selon que la dose employée est faible ou plus importante ? Quel est le lien entre la liste des produits de bio-contrôle et celle des substances et produits à faible risque ? Quand les critères et les listes seront-ils déterminés précisément ? Y aura-t-il, comme pour les perturbateurs endocriniens, un travail interminable sur la définition même, empêchant toute avancée sur l’interdiction de produits ?
Qui participe aux réflexions ? Les agriculteurs biologiques et les promoteurs des PNPP sont-ils associés ? Je voudrais obtenir des assurances sur ce point, afin de ne pas voir revenir par la fenêtre ceux que l’on a voulu exclure par la porte…
En conclusion, je n’irai pas à l’encontre de ces amendements, mais je demande, au nom du groupe écologiste, des assurances sur le contenu futur des substances actives et des produits qui seront reconnus comme à faible risque. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Après les mots :
nécessaires à
insérer les mots :
l'éradication et
La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, je présenterai également l’amendement n° 5, dont la portée est identique.
En commission, le rapporteur a introduit à juste titre une dérogation à l’interdiction d’usage des produits phytosanitaires dans le cadre de la lutte obligatoire contre les organismes nuisibles, visés à l’article L. 251-3 du code rural et de la pêche maritime.
Toutefois, la rédaction actuelle de l’article 1er de la proposition de loi précise seulement que cette exemption vaut pour la prévention de la propagation des organismes nuisibles. Or il va de soi qu’il faudrait également autoriser le recours à ces produits en vue de l’éradication de ces derniers.
Si le terme « éradication », qui, je le sais, choque certains de nos collègues, paraît trop fort, je suis prêt à modifier, le cas échéant, la rédaction de ces amendements.
Mais nous devons tout de même nous donner la possibilité de supprimer ces espèces nuisibles. C’est là tout l’objet de ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Dantec, rapporteur. La commission s’en remet pour l’instant à la sagesse de la Haute Assemblée. Nous avons été quelque peu déstabilisés par le terme « éradication ».
Dans le code rural et de la pêche maritime, ce mot est seulement employé à propos de l’encéphalopathie spongiforme bovine. Il s’agit d’un terme qui ressortit au vocabulaire européen, assez peu usité en France. Le mot « destruction » semble plus à propos.
Par ailleurs, l’emploi du terme « éradication » à l’égard de nuisibles risque de poser des problèmes en matière de biodiversité et de protection d’espèces protégées.
Si vous en êtes d’accord, monsieur Ries, je vous suggère de remplacer le terme extrêmement fort d’« éradication » par celui de « destruction », qui semble mieux convenir.
M. le président. Monsieur Ries, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Roland Ries. Comme je viens de l’indiquer, je suis tout à fait prêt à rectifier ces amendements.
L’éradication et la destruction ne sont néanmoins pas deux notions tout à fait identiques : éradiquer, c’est tout enlever jusqu’à la racine, alors que détruire n’implique pas que l’on s’en prenne aux racines.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Après les mots :
nécessaires à
insérer les mots :
la destruction et
Je précise, mes chers collègues, que la même rectification affectera l’amendement n° 5, qui porte sur l’article 2.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Martin, ministre. La sémantique a son importance et je suis sensible à cet échange.
Les amendements proposés visent à s’assurer que les interventions rendues nécessaires pour éviter la propagation d’organismes nuisibles soient efficaces tant en matière de prévention que d’action curative.
Il s’agit d’une modification nécessaire. Le Gouvernement est favorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Le groupe écologiste votera ces amendements.
Je voudrais simplement lancer un avertissement à tous ceux qui rédigent des textes : il faudra un jour cesser d’employer le mot « nuisibles ».
Aucune espèce n’est utile ou nuisible par essence. À un moment donné, l’activité de telle espèce peut s’avérer gênante, par exemple en matière de production d’aliments. Souvenez-vous du temps où l’on clouait les chouettes sur les portes, alors qu’elles avalent à peu près cinq cents rongeurs par an ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote sur l'article.
Mme Sophie Primas. Je n’ai pas obtenu de réponse sur les interrogations que j’ai formulées lors de mon intervention, en particulier sur les voiries et la requalification des promenades. J’aimerais que le rapporteur ou le ministre m’éclairent sur ces questions.
Les insécurités juridiques demeurent en matière de produits et de lieux d’interdiction de l’épandage. Il en va de même des insécurités financières, qui ne sont absolument pas abordées.
Dans ces conditions, le groupe UMP s’abstiendra sur cet article.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Dantec, rapporteur. L’intervention de Mme Primas comporte de nombreuses questions. Ne reprenons pas un débat d’ordre général.
Je rappelle toutefois que nous disposons déjà d’un grand nombre de règlements en matière de voirie, laquelle est généralement imperméabilisée.
Dans la mesure où il suffirait d’appliquer cet arsenal réglementaire pour n’utiliser que très peu de produits phytosanitaires, nous avons considéré que cet enjeu était déjà traité en grande partie par la réglementation existante, notamment dans le cadre de la loi sur l’eau.
En outre, pour ce qui concerne l’aspect financier, tous les exemples montrent que les villes qui se sont engagées dans le zéro phyto l’ont fait à budget constant. La ville de Versailles, saluée tout à l'heure, le démontre chaque jour, de même que ma bonne ville de Nantes. Le passage au zéro phyto n’implique donc aucun coût supplémentaire.
Il s’agit d’un changement de pratique et de regard, ainsi que de questions de pédagogie et de communication.
Par ailleurs, madame Primas, vous vous interrogiez sur la raison pour laquelle la commission n’avait pas retenu vos amendements. Ceux de M. Ries visent à ajouter une précision, alors que les vôtres tendaient à substituer des termes à d’autres. En ce sens, ils étaient très différents.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Le même article L. 253-7 est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – La mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention des produits visés au premier alinéa de l’article L. 253-1 pour un usage non professionnel sont interdites, à l’exception des produits de bio-contrôle figurant sur une liste établie par l’autorité administrative. Cette interdiction ne s’applique pas aux traitements et mesures nécessaires à la prévention de la propagation des organismes nuisibles visés à l’article L. 251-3, en application de l’article L. 251-8. »
II. – Au premier alinéa de l’article L. 253-9 du même code, après les mots : « à usage professionnel », sont insérés les mots : « et non professionnel ».
III. – Après le 1° de l’article L. 253-15 du même code, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Le fait de détenir en vue de la vente, d’offrir en vue de la vente ou de céder sous toute autre forme à titre gratuit ou onéreux, ainsi que le fait de vendre, de distribuer et d’effectuer d’autres formes de cession proprement dites d’un produit interdit dans les conditions posées par le III de l’article L. 253-7 ; ».
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
à l'exception des produits de bio-contrôle figurant sur une liste établie par l'autorité administrative
par les mots :
à l'exception de ceux visés au IV du présent article
II. - Après l'alinéa 2
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
« IV. - Les II et III ne s'appliquent pas aux produits de bio-contrôle figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, aux produits qualifiés à faible risque conformément au règlement (CE) 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil ni aux produits dont l’usage est autorisé dans le cadre de l'agriculture biologique. »
La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Dantec, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
nécessaires à
insérer les mots :
la destruction et
Cet amendement a été précédemment défendu, et la commission et le Gouvernement ont émis un avis favorable.
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement dépose sur le bureau du Parlement un rapport sur les freins juridiques et économiques qui empêchent le développement de la fabrication et de la commercialisation des substances à faible risque définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Avant le 31 décembre 2014, le Gouvernement dépose sur le bureau du Parlement un rapport sur le développement de l'utilisation des produits de bio-contrôle et à faible risque mentionnés aux articles 1er et 2, sur les leviers qui y concourent ainsi que sur les recherches menées dans ce domaine. Ce rapport indique les freins juridiques et économiques au développement de ces produits et plus largement à celui de la lutte intégrée telle que définie à l'article 3 de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.
La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Cet amendement vise à modifier la rédaction initiale de l’article 3 qui prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur les freins au développement de la fabrication et de la commercialisation des substances à faible risque.
Les auteurs de cet amendement considèrent opportun d'élargir le champ de ce rapport afin d’aborder également l'état du développement actuel de ces produits et les leviers qui y concourent, ainsi que les recherches menées dans ce domaine.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ronan Dantec, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
Comme je l’ai dit tout à l'heure, la dimension européenne est l’un des grands verrous. Plus nous chercherons à répondre à cette problématique européenne, plus nous parviendrons à passer outre ce verrou.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Martin, ministre. Cet amendement a pour objet d’étendre le champ du rapport qui devra être remis au Parlement aux produits de bio-contrôle et, d’une façon encore plus large, à la lutte intégrée.
Il s’agit de questionnements très importants dans le cadre de la recherche d’alternatives aux traitements classiques. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé.
Article 4 (nouveau)
I. – L’article 1er entre en vigueur à compter du 1er janvier 2020.
II. – L’article 2 entre en vigueur à compter du 1er janvier 2022. (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. La présente proposition de loi constitue un pas en avant et, s’il reste évidemment à avancer plus encore, il s’agit d’une véritable satisfaction pour le groupe écologiste.
Les débats ont été très riches, en commission comme en séance publique. Je crois que le Sénat sort grandi d’une soirée comme celle-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre. Pour ne pas laisser Mme Primas dans l’incertitude, je veux lui apporter quelques précisions sur les insécurités juridiques qu’elle a évoquées.
Le texte est assez clair sur les lieux visés, même s’il pourra être encore précisé par voie réglementaire. Les cimetières, voiries et stades sont clairement exclus.
En outre, les interdictions paraissent proportionnées aux enjeux de santé publique et d’environnement.
Madame Blandin, sans entrer dans la distinction entre ce qui est nuisible et ce qui ne l’est pas, dans le projet de loi sur la biodiversité figurera un article d’habilitation visant à retoucher la partie « nuisibles » du code rural et de la pêche maritime, sans changer les principes. Il s’agira de renommer ces espèces et de les qualifier d’« animaux créant des dommages », ou de quelque chose d’approchant. Cette question sera donc bien prise en compte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 196 |
Pour l’adoption | 192 |
Contre | 4 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Dantec, rapporteur. Je voudrais dire mon plaisir à voir une proposition de loi déposée par le groupe écologiste, et dont je suis le rapporteur, adoptée dans cet hémicycle pour la deuxième fois.
Mme Esther Benbassa. Non, la troisième !
M. Ronan Dantec, rapporteur. Je suis donc très heureux de ce vote.
Je voudrais remercier tous ceux qui ont cherché le consensus : Raymond Vall, qui a animé la commission du développement durable en ce sens, Henri Tandonnet, mais aussi les groupes socialiste et CRC. Nous aurions aimé obtenir un accord plus large mais, malheureusement, ce fut en vain. Les divergences politiques existent, il faut les assumer !
Mes chers collègues, la présente proposition de loi est importante. Pour la première fois, le législateur indique clairement qu’une partie du territoire français – on peut toujours discuter du périmètre exact – sera en zéro phyto. En cela, ce texte crée une dynamique.
Son adoption signifie que les expérimentations menées dans les collectivités territoriales par des pionniers, par des élus volontaristes, finissent par prendre sens et par aboutir à une disposition contraignante. En tant qu’élu local, c’est une dimension à laquelle je suis sensible, comme d’autres collègues présents dans cet hémicycle.
Je remercie M. le ministre de son engagement en faveur de cette proposition de loi. Voyons si elle passera le cap de l’Assemblée nationale, mais je suis raisonnablement optimiste sur ce point.
Cependant, un certain nombre d’étapes restent à franchir pour que la future loi vive. Je ne parle pas de l’aspect juridique complexe, qui a trait aux dimensions nationale et européenne du problème, et qui fait l’objet d’un article.
La bonne application de ce texte passera d’abord par l’engagement de l’État à faire preuve de pédagogie. Certes, une dynamique de mutualisation entre les territoires, visant à échanger les bonnes pratiques en la matière, existe déjà. Mais il est très important, à mon sens, que l’État explique la loi. En effet, le niveau de connaissances sur le sujet n’est pas le même d’un territoire à l’autre. L’État doit donc travailler à son homogénéisation.
L’État aura également une autre responsabilité, toute spécifique. Chacun dans cette enceinte en a l’expérience et nous en parlions avec Marie-Christine Blandin : une fois interdits les produits phytosanitaires, il reste, un peu partout, des bidons. Il serait extrêmement utile que l’État s’engage dans la collecte de ces produits. Ce travail complèterait utilement la dynamique dont nous avons marqué, ce soir, une étape importante.
Quoi qu’il en soit, merci à tous pour votre engagement ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Martin, ministre. Je comprends que l’on me demande désormais de m’occuper de bidons ! (Sourires.)
En période de crise économique et sociale, on a toujours tendance à remettre à plus tard les questions qui ont trait à l’écologie et à l’avenir. Je suis donc particulièrement heureux que nous ayons pu mener à bien ensemble cette démarche extrêmement positive, dans le domaine de la protection de l’environnement et de la santé.
Pour tout dire, je m’envolerai dès demain matin avec Ronan Dantec pour Varsovie, afin de participer aux rencontres à l’échelon ministériel de la conférence climat. J’aimerais pouvoir y retrouver le même consensus, afin de lutter non seulement contre les pesticides, mais aussi contre le réchauffement climatique ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)
C’est donc avec « l’esprit de Labbé » (Sourires.) que j’irai prêcher la bonne parole en compagnie de Roland Dantec, demain !
M. Joël Labbé. Je vous remercie, monsieur le ministre !
M. Philippe Martin, ministre. Merci à tous ! C’est un très joli moment que nous avons vécu ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
7
Demande de création d’une commission d’enquête
M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. François Rebsamen, président du groupe socialiste et apparentés, a fait connaître à M. le président du Sénat que le groupe socialiste exerce son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une commission d’enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l’environnement du contrat retenu in fine pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds.
La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 20 novembre 2013 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon (n° 866, 2012-2013) ;
Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n° 133, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 134, 2013-2014).
En outre, à quatorze heures trente :
- Désignation des trente-trois membres de la mission commune d’information sur « Quels nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’Internet ? »
De dix-huit heures trente à dix-neuf heures trente et de vingt et une heures trente à minuit trente :
2. Proposition de loi relative à la prévention des inondations et à la protection contre celles-ci (n° 47, 2013-2014) ;
Rapport de M. Louis Nègre, fait au nom de la commission du développement durable (n° 144, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 145, 2013-2014).
3. Proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (n° 13, 2013-2014) ;
Rapport de M. Pierre-Yves Collombat, fait au nom de la commission des lois (n° 120, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 121, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART