M. Philippe Bas. Excellent !
M. Marc Laménie, rapporteur. … qui est identique à l’article 1er du texte qui est aujourd’hui soumis à notre assemblée.
Si des progrès considérables ont été réalisés depuis dix ans, il reste un important travail à mener en ce qui concerne l’effectivité du droit à réparation, un enjeu souvent évoqué dans cet hémicycle. Il faut poursuivre ce mouvement, en particulier en direction de celles et ceux qui ont participé aux OPEX. Notre collègue a rappelé le nombre de soldats décédés ces dernières années, chiffres qui nous interpellent.
Cette génération du feu est bien distincte des précédentes, par sa sociologie comme par ses effectifs. Elle n’en est pas pour autant moins digne de la reconnaissance de la nation que celles des combattants des guerres mondiales ou de la guerre d’Algérie. On peut donc se féliciter de la volonté, exprimée récemment par M. le ministre devant la commission des affaires sociales, de poursuivre la construction du monument aux morts en OPEX à Paris, place Vauban, engagée sous la précédente majorité. Il s’agit d’un geste symbolique fort en direction de la quatrième génération du feu, de ceux qui sont revenus d’OPEX blessés dans leur chair ou dans leur âme.
Bien qu’aucun conflit ne soit similaire au précédent, on peut dire, pour reprendre les mots de notre ancien collègue André Morice lors de la discussion, dès 1968, d’une proposition de loi sénatoriale visant à attribuer la carte du combattant aux anciens d’Algérie, que « le seul point commun qu’ils partagent tous est marqué par les souffrances qu’endurent ceux qui les vivent ». Face aux réticences des gouvernements d’alors, il fallut encore attendre six ans pour qu’ils puissent recevoir la carte. Ne répétons donc pas aujourd’hui les errements malheureux d’hier. Le Sénat, qui adopta cette proposition de loi par deux cent quarante-deux voix contre trois, s’était alors fait le défenseur de l’égalité entre les générations du feu. Il peut aujourd’hui, à nouveau, avoir ce privilège.
L’examen de la proposition de loi par la commission des affaires sociales a donné lieu la semaine dernière à un long débat, passionné et passionnant, nourri d’interventions de qualité, durant lequel chaque groupe politique représenté a pu faire valoir son point de vue non seulement en toute objectivité, mais aussi avec cœur et passion. Il a démontré notre attachement au devoir de mémoire qu’entretiennent au quotidien tant de bénévoles et porte-drapeaux, présents en toutes circonstances, au sein des associations patriotiques ou de mémoire, pour lesquelles nous avons toutes et tous ici beaucoup de respect et de reconnaissance.
Les différents témoignages des membres de la commission des affaires sociales ont enrichi notre réflexion et souligné la complexité du thème abordé par ce texte. Les divergences se sont cristallisées sur l’article 1er, ce qui démontre encore une fois que, même si le temps passe, les plaies de la guerre d’Algérie ne sont toujours pas parfaitement cicatrisées. En revanche, les mesures concernant les OPEX ont reçu un assentiment plus large.
À l’issue de son débat, la commission, à mon grand regret, n’a pas adopté la proposition de loi. La discussion portera donc sur le texte de la proposition de loi déposé sur le bureau du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez l’attachement que je porte, comme vous tous, à la reconnaissance et à l’accompagnement qui sont dus à ceux qui ont combattu pour la France. Au-delà des clivages partisans, nous devons être à la hauteur des attentes.
Monsieur Cléach, je ne sais s’il y a eu un vent nouveau sous la présidence de François Hollande. Toujours est-il que la décision de créer un ministère et non plus un secrétariat d’État des anciens combattants,…
M. Robert Tropeano. Très bien !
M. Kader Arif, ministre délégué. … ce qui assure ma présence à tous les conseils des ministres, est un signe positif pour l’ensemble des associations combattantes de notre pays.
La proposition de loi sur laquelle le Sénat doit aujourd’hui se prononcer vise à étendre les conditions d’attribution de la carte du combattant aux anciens combattants d’Algérie et à ceux ayant combattu en opérations extérieures. Cette discussion me donne l’occasion de m’exprimer à nouveau sur le sujet. En effet, comme je l’ai déjà indiqué lors des débats budgétaires, je considère, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’attribution de la carte du combattant constitue l’un des fondements de la politique que doit mener le ministère dont j’ai la charge. D’ailleurs, vous le savez, c’est l’une de mes priorités.
Le texte que vous proposez, monsieur le sénateur, concerne deux publics distincts, deux générations du feu. Cependant, je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je tiens toujours à considérer, en particulier dans le cycle mémoriel qui est devant nous, que les différentes générations, au-delà de leurs singularités, s’inscrivent en fait dans une même continuité, celle de l’engagement de nos soldats pour la France.
La proposition de loi aborde en premier lieu le cas des militaires français engagés en Algérie, soit près de 2 millions de personnes, militaires de carrière, appelés ou supplétifs.
Vous proposez d’attribuer la carte du combattant à tous les militaires présents en Algérie jusqu’au 1er juillet 1964. En conséquence, une question se pose : quel sens aurait alors la date du 2 juillet 1962, date de la fin de la guerre d’Algérie ?
Mme Gisèle Printz. Eh oui !
M. Kader Arif, ministre délégué. Certes, et nous pouvons le regretter tout en en ayant pleinement conscience, un état d’insécurité et de violence a longtemps persisté. C’est précisément pour cette raison que le titre de reconnaissance de la nation est attribué à tous ceux qui justifient d’une présence jusqu’en 1964. Ne considérons pas que cette disposition ne serait que symbolique puisqu’elle rend son détenteur ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ouvrant notamment droit au bénéfice de l’aide sociale et permettant de cotiser à la rente mutualiste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens à la date du 2 juillet 1962, à son importance symbolique et au tournant qu’elle incarne. Vous avez été nombreux, une majorité, dans les différents groupes de cette chambre, à voter en faveur de la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie. Par ce geste fort, vous avez soutenu la reconnaissance de cette date clé, qui fut celle du cessez-le-feu et qui trouva son aboutissement quelques mois plus tard avec la déclaration d’indépendance.
Attribuer aujourd’hui la carte du combattant sans distinction à tous les militaires présents en Algérie jusqu’en 1964 créerait, à mes yeux, une véritable confusion, qu’il nous faut, me semble-t-il, éviter. Je n’ai pas de conseils à vous donner, ce serait prétentieux et mal venu, mais je crois qu’il serait de bon ton que nous soyons cohérents dans les choix opérés.
Vous soulignez par ailleurs, à juste titre, monsieur Cléach, que des militaires français ont trouvé la mort en Algérie après le 2 juillet 1962, preuve de l’insécurité qui y régnait encore, même si – les mots ont un sens – cette insécurité inacceptable et parfois innommable n’est pas comparable à un état de guerre. En outre, il m’est affirmé que la plupart de ces décès ont eu lieu dans l’immédiat après-2 juillet 1962, dans les semaines ou les mois qui ont suivi. Or la proposition que j’ai introduite dans mon budget pour 2014 prend en compte cette période. En effet, la carte du combattant sera désormais accessible à tous ceux qui totalisent cent vingt jours de présence sur le territoire algérien, dès lors qu’au moins un jour a été effectué avant le 2 juillet 1962.
Couvrir cette période dite « à cheval » sur le 2 juillet 1962, en proposant une réelle flexibilité tout en confortant cette date comme référence, telle était ma priorité, tel était mon engagement, dictés avant tout par les demandes des anciens combattants eux-mêmes et par leurs représentants et associations, tant sur le plan local que national. Aujourd’hui, cette demande a été entendue, satisfaite. L’engagement que j’ai pris ici devant vous il y a un an a été tenu. Cette mesure permettra d’augmenter significativement les délivrances de cartes du combattant pour ce conflit puisque 8 400 personnes sont potentiellement concernées. Je rappelle qu’elle entrera en vigueur non pas en juillet 2014 mais dès le 1er janvier 2014, pour un coût annuel de 5,5 millions d’euros.
Par ailleurs, je tiens à souligner que le coût que représenterait une extension des critères jusqu’en 1964 serait de l’ordre de 33 millions d’euros pour 50 000 personnes concernées.
Dans une situation que j’estime apaisée – peut-être à tort, mais que je souhaite en tout cas qu’elle le soit –, j’ai voulu mener avec vous, en toute transparence, une discussion sur le fond avec la volonté de pouvoir aboutir. C’est pourquoi, je vous le dis, le Gouvernement est défavorable au premier volet du texte que vous présentez.
J’en viens maintenant au second volet, celui de l’extension à toutes les opérations extérieures du critère de quatre mois de présence pour bénéficier de la carte du combattant.
Cette réflexion est totalement légitime. Elle s’inscrit notamment dans le contexte de l’évolution globale des missions de nos armées et de la nécessaire prise en compte des conditions dans lesquelles nos militaires, à qui il faut rendre hommage, exercent ce qui est désormais leur métier. C’est pourquoi un travail approfondi a été mené pour adapter les textes à cette nouvelle réalité. Le décret et l’arrêté du 10 décembre 2010 ont ainsi revu très largement la définition des unités combattantes, afin de prendre en compte par exemple les contrôles de zone, les interventions sur engins explosifs, les opérations de sauvetage et les actions de renseignement. La liste, qui couvre chacune des trois armées, permet d’établir des critères totalement adaptés aux conflits contemporains.
Dans la même logique, l’arrêté du 28 juin 2012 a permis d’élargir la liste des opérations extérieures ouvrant droit à la carte du combattant, afin de couvrir notamment plusieurs missions des Nations unies. Un nouvel arrêté a été publié encore très récemment, le 30 octobre 2013, afin que soient étudiées par le service historique de la défense de nouvelles périodes d’engagement en opérations extérieures. Ce texte permettra notamment l’examen de l’opération Atalante de décembre 2008 à décembre 2013, de l’opération Trident au Kosovo entre janvier 2012 et décembre 2013, de l’opération Daman au Liban jusqu’en août 2014, de l’opération Harmattan ou encore de l’opération Épervier au Tchad entre janvier 2010 et décembre 2013. J’ajoute qu’un article 34 a été intégré à la loi de programmation militaire. Il permet de simplifier les procédures en supprimant cette étape de mise à jour par décret des opérations pouvant être examinées par le service historique de la défense.
Ce sont donc, et vous le noterez bien, désormais toutes les opérations extérieures qui sont reconnues comme ayant de fait vocation à ouvrir droit à la carte du combattant.
Ces débats sur les procédures peuvent sembler techniques, mais je tiens à souligner les conséquences très concrètes de ces évolutions législatives : c’est l’augmentation exponentielle du nombre de cartes du combattant attribuées, que je tiens à vous rappeler. Elles étaient en effet de 3 600 en 2011 au titre des OPEX, de 8 900 en 2012, soit une augmentation de 147 %. Sur les six premiers mois de 2013, déjà plus de 7 000 cartes ont été attribuées, avec un total attendu de 13 000 cartes pour l’année 2013. En 2014, avec les 8 400 nouveaux titulaires au titre de l’Algérie, nous atteindrons donc les 20 000 cartes du combattant attribuées.
Derrière chacune de ces cartes, il y a un soldat qui s’est engagé hier et qui est reconnu aujourd’hui, un soldat qui sera l’ancien combattant de demain et qui portera les valeurs du monde combattant – valeurs que nous partageons – comme l’ont fait ses aînés avant lui. Ce sont eux qui sont la relève, et nous les prenons pleinement en compte.
Ce n’est donc pas par hasard que l’ensemble des unités engagées en Afghanistan et au Rwanda ont été reconnues comme combattantes par l’arrêté du 20 septembre dernier.
Ce n’est pas par hasard que, en 2011 et 2012, 90 % des 34 000 militaires projetés en OPEX qui remplissaient les conditions pour obtenir le titre de reconnaissance de la nation ont aussi obtenu la carte du combattant.
Ce n’est pas par hasard que la somme de 1 million d’euros a été dégagée sur le prochain budget pour financer les prothèses de dernière génération pour nos militaires blessés, ce qui est une première !
Ce n’est pas par hasard que nous avons maintenu le financement de 1 million d’euros pour le monument dédié aux opérations extérieures, place Vauban à Paris.
Enfin, ce n’est pas par hasard que, grâce à la volonté de Jean-Yves Le Drian, la prise en charge du syndrome post-traumatique est devenue une priorité. J’ai eu l’occasion de le souligner lorsque je me suis rendu à Beyrouth et à Pamiers pour commémorer l’attentat du Drakkar.
Ce travail est une priorité pour nous. Nous l’assumons, et nous souhaitons y associer la représentation nationale. C’est pourquoi je ne peux pas être d’accord avec vous, monsieur Cléach, lorsque vous affirmez, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, que « les critères d’attribution de la carte d’ancien combattant ne correspondent plus aux engagements actuels de nos forces militaires ».
Non seulement ce travail est mené avec sérieux, mais il a également vocation à se poursuivre, à progresser. Je reconnais – je me suis déjà exprimé à ce sujet – que les procédures actuelles sont trop longues. L’examen de tous les journaux des marches et opérations par le service historique de la défense est un travail fastidieux. Il est réalisé en priorité sur les opérations extérieures les plus récentes, mais il laisse – je le regrette, et nous avançons sur ce point – une série d’opérations plus anciennes dans l’attente.
Je mesure également l’attente des militaires qui souhaiteraient voir leurs unités étudiées une nouvelle fois par le SHD, afin que les critères les plus récents puissent être pris en compte.
Pour toutes ces raisons, je considère que l’application à toutes les opérations extérieures d’un critère uniforme de quatre mois de présence est une piste sérieuse de travail ; j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer. J’ai commencé à examiner cette piste, et ce travail se poursuivra dans les mois qui viennent.
Nous devons notamment, vous l’aurez compris, nous pencher sur l’impact financier de cette mesure. Il faut prendre en compte l’impact budgétaire non seulement sur la carte du combattant, mais également sur le budget lié aux autres droits ouverts aux détenteurs de la carte : retraite mutualiste et demi-part fiscale en particulier.
Cette mesure ne peut être adoptée dès à présent. C'est pourquoi le Gouvernement est également défavorable, quoique pour des raisons bien différentes, à la seconde partie de la proposition de loi. Cependant, je l’ai déjà souligné, je m’engage à faire de cette mesure une priorité pour le budget pour 2015, comme je m’étais engagé l’année dernière à faire de la carte « à cheval » une priorité pour cette année.
Je sais que nous partageons le même objectif, la même ambition pour la pleine reconnaissance et l’accompagnement exemplaire de celles et ceux qui ont fait le choix de défendre notre pays et ses valeurs. Vous avez eu raison de rendre hommage à nos soldats. Je leur rends hommage avec vous. C’est pourquoi je souhaite que nous puissions travailler ensemble en vue de notre objectif commun, avec le même sens des responsabilités et dans un souci de transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les commémorations du centenaire de la Grande Guerre donnent une résonance toute particulière au débat sur le statut des anciens combattants. C’est en effet à la suite de cet événement tragique de notre histoire que la carte du combattant, dont nous débattons aujourd’hui, fut créée par la loi du 19 décembre 1926. Il s’agissait alors de récompenser l’engagement et le courage de nos soldats lors des combats de 1914-1918, de 1870-1871 et des guerres coloniales et meurtrières.
Depuis lors, les conditions d’attribution de la carte du combattant ont été régulièrement réactualisées, afin de prendre en compte l’ensemble des générations du feu et de s’adapter aux différents engagements des forces françaises à l’étranger. Mais, si la carte du combattant a évolué et s’est adaptée, sa finalité, elle, reste la même. Elle symbolise la reconnaissance de la nation envers ceux qui ont combattu pour elle. En effet, mes chers collègues, actualiser ne signifie pas dénaturer. Il s’agit au contraire de renforcer la légitimité du statut d’ancien combattant, d’aller dans le sens de l’histoire et de reconnaître les spécificités liées à chaque théâtre d’opérations et à chaque période.
La proposition de loi qui nous est présentée a deux objectifs. Le premier est d’élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant pour permettre aux soldats restés en Algérie jusqu’au 1er juillet 1964 d’en bénéficier ; ce point a fait débat au sein de notre groupe. Le second est d’introduire un nouveau critère d’attribution : une durée de quatre mois, consécutifs ou non, pour les soldats en opérations extérieures ; cette mesure a fait l’unanimité au sein de notre groupe.
La proposition de loi vise à réduire les inégalités entre les différentes générations du feu ; c’est une revendication de nombreuses associations d’anciens combattants. Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des engagements déjà pris par le gouvernement actuel, qui a décidé d’introduire dans le projet de loi de finances pour 2014 la carte du combattant dite « à cheval » pour les soldats dont le séjour a débuté avant le 2 juillet 1962 et s’est achevé après l’indépendance de l’Algérie. Pourquoi introduire une discrimination entre des soldats engagés sur le même théâtre d’opérations à seulement quelques mois d’intervalle ?
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Catherine Procaccia. Absolument !
Mme Leila Aïchi. Ils étaient encore 50 000 en janvier 1964, et le rapatriement définitif n’a eu lieu qu’en juillet de cette même année. Il s’agit d’être cohérent dans notre approche.
M. Bruno Retailleau. Exactement !
Mme Leila Aïchi. Il s’agit également d’être cohérent au regard des opérations extérieures et de leur évolution. Des avancées ont été réalisées par le décret du 12 novembre 2010, qui introduit la notion de « danger caractérisé » pour les opérations extérieures, et l’arrêté du 28 juin 2012, qui étend notamment la carte du combattant aux opérations menées en Somalie et au Liberia. Nous saluons évidemment ces améliorations.
Nos troupes sont aujourd'hui engagées dans des missions de maintien de la paix, de stabilisation et de formation, qui se déroulent dans des conditions d’insécurité permanente. À ce propos, monsieur le ministre, vous avez récemment déclaré que vous étiez favorable à la prise en compte du critère des cent vingt jours pour les soldats engagés en opérations extérieures. Je salue ce revirement dans la position du Gouvernement, qui, jusqu’à présent, s’était montré opposé à cette mesure.
Au vu des risques encourus par nos soldats en opérations extérieures, les sénateurs écologistes sont évidemment favorables à un traitement égalitaire de la quatrième génération du feu, avec la mise en place d’un critère de périodicité. Mes chers collègues, ma position est simple et sans équivoque. En tant qu’écologiste et humaniste, je suis fondamentalement attachée au principe d’égalité : égalité de traitement et égalité de reconnaissance.
En cette période où notre pays connaît de vives tensions, des conflits, des divisions, la reconnaissance envers nos soldats peut et doit nous rassembler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Leila Aïchi. Parce qu’ils ont servi leur pays, nous devons leur reconnaître un statut à la hauteur de leur engagement. Nous n’avons que trop tardé ! Pourquoi existe-t-il encore de telles inégalités près de cinquante ans après les faits ? Je ne peux que regretter le caractère tardif de cette réforme.
Cela m’amène d'ailleurs à m’interroger sur la passivité des gouvernements précédents et sur l’opportunité politique que pourrait représenter cette proposition de loi. Le nombre de dossiers traités par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre a chuté entre 2009 et 2010, passant de 18 343 à 2 252. Il aura fallu attendre 2012 pour que le retard commence à être absorbé. Il est regrettable que, pendant près de deux ans, les anciens combattants aient été spoliés de leur droit à réparation.
Les sénateurs écologistes sont évidemment conscients des restrictions budgétaires. Oui, cette proposition de loi a un coût pour les finances publiques : l’application de l’article 1er devrait coûter 39 millions d'euros ! Mais la nation n’a-t-elle pas une dette envers ceux qui ont combattu pour elle ? La reconnaissance du service rendu, des sacrifices, des vies perdues ne peut pas constituer une variable d’ajustement budgétaire. Toutefois, nous comprenons que nous devons tous participer à l’effort de retour à l’équilibre. Aussi nous paraît-il nécessaire que le financement de cette réforme se fasse à budget constant ; nous y serons particulièrement attentifs. En ce sens, la carte « à cheval » est un premier pas significatif, mais l’effort du Gouvernement ne doit pas s’arrêter là.
Enfin, alors que vous prônez l’égalité des traitements, notamment au sujet des opérations extérieures, vous ne semblez pas prendre en compte l’ensemble des disparités existantes. Qu’en est-il des revendications de longue date des militaires ayant servi au Liban dans la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, au sein du 420e détachement de soutien logistique ? Ces hommes ont servi sous mandat de l’ONU au nom de la France et ont participé à vingt-deux actions de feu entre octobre 1982 et avril 1983. Or ils se voient aujourd’hui refuser le statut d’anciens combattants. Monsieur le ministre, vous avez récemment indiqué que vous vouliez avancer sur le dossier de la FINUL ; dont acte !
Quid également des combattants des anciennes colonies ? Si le Président de la République a rappelé, lors de son discours du 11 novembre dernier, qu’une nation « s’honore toujours de savoir à qui elle doit sa liberté et son indépendance », il n’a cependant fait aucune référence – aucune ! – aux combattants des anciennes colonies, qui se sont battus sous le drapeau français et ont été honteusement discriminés au titre de leur nationalité pendant des années. Si, depuis 2010, le Gouvernement a eu l’obligation de « décristalliser » les pensions des anciens combattants des ex-colonies, notons cependant la perversité de ce dispositif : comme il ne prévoit pas de revalorisation automatique, les personnes concernées doivent effectuer elles-mêmes les démarches pour obtenir le statut d’anciens combattants.
Mme Leila Aïchi. Reconnaître un statut juste, universel et sans aucune distinction à tous nos anciens combattants est un impératif et fait partie intégrante de notre travail de mémoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme des millions de Français, je fais partie de ceux qui, après le 1er novembre 1954, ont traversé la Grande Bleue pour faire respecter la volonté de la France sur le sol algérien. En effet, c’est ce jour-là, dans les gorges de Tighanimine, qu’a eu lieu l’attentat précurseur, l’attentat qui a généré une insécurité qui s’est étendue progressivement à tout le territoire. L’escalade a pris dès lors la forme d’un climat de révolte, de rébellion généralisée, puis, reconnaissons-le avec regret, pratiquement de guerre.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes partis sans hésitation ni murmure, conformément aux bases de la discipline : « l’autorité qui donne [les ordres] en est responsable, et la réclamation n’est permise au subordonné que lorsqu’il a obéi ». Nous avons suivi les volontés successives de la France. Je rappelle – je suis l’un des aînés de cette assemblée – que, dans un premier temps, en 1954-1955, l’objectif était que l’Algérie reste une terre française.
Cependant, l’évolution de la situation a généré de plus en plus d’insécurité, par des attentats, des embuscades, et donc des morts, malheureusement dans les deux camps. Au fil des jours, le conflit s’est enlisé, s’est durci, l’insécurité s’est installée, le sang a coulé inutilement, comme souvent à la guerre. La France avait engagé un combat dont il était difficile de voir la fin ; je le dis pour vous, mes chers amis, qui n’êtes pas de ma génération.
En 1958, le pays était de plus en plus ensanglanté. Nous étions enlisés dans ce drame. Il fallait avoir un regard visionnaire, être capable de se projeter dans le futur. Il ne fallait pas regarder dans le rétroviseur, mais regarder l’avenir de la France et de l’Algérie, dans un contexte mondial où tous les peuples aspiraient à une chose fondamentale : l’indépendance. L’Algérie devait choisir elle-même son destin, par l’autodétermination. C’est facile de le dire aujourd'hui, mais c’était difficile à réaliser dans une Algérie déchirée et dans une France très contrariée par le conflit.
Le 13 mai 1958 – je me rappelle que j’étais tout prêt d’un poste de radio GRC-9 –, nous avons entendu un message : le président de la République, René Coty, avait appelé l’homme qui, le 18 juin 1940, avait lancé un appel à la France. Le 13 mai 1958, c’était la France qui lui lançait un appel, car elle savait qu’il était le seul homme possédant cette dimension nationale et internationale, cette dimension de visionnaire. Charles de Gaulle a répondu oui ! Avec courage, il a engagé ce qu’on a d’abord appelé l’œuvre de pacification, conscient que toute poursuite des combats était inutile et qu’il était indispensable pour les deux pays d’établir un cessez-le-feu.
Oui, il fallait que l’Algérie choisisse son destin par la voie de l’autodétermination ! Déjà, le mal avait fait son chemin puisque plusieurs milliers de soldats français et algériens avaient inutilement perdu la vie et que de nombreux autres avaient été blessés, souvent gravement. Alors, pourquoi continuer ?
Oui, l’armée française a obéi en exécutant ses différentes missions ! Il est normal qu’elle fasse valoir aujourd’hui ses droits, car elle a accompli son devoir. De nombreux acteurs, français ou algériens, ne sont plus là. C’est terrible de perdre la vie en faisant la guerre !
Le drame de la mort n’a pas de date, qu’il se situe avant ou après le 1er juillet 1962. D’ailleurs, l’histoire nous le dit, c’est au printemps et à l’été 1962 que la proportion de morts est devenue considérable et inquiétante.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, dans nos départements, nous lisons la rubrique décès de la presse locale, figure très souvent en dessous du prénom et du nom la mention « ancien d’Afrique du Nord » ou « ancien d’Algérie ». Chaque jour se ferment des paupières... Tant qu’il restera je dirai non pas des survivants de cette période, mais des hommes de bonne volonté, pensons à eux !
Je conclurai mon propos en vous donnant la position du groupe UDI-UC en toute objectivité. Avec mes collègues, nous avons eu ce matin un long débat avec ceux qui ont servi la France avant et après le 1er juillet 1962, avec ceux qui ont vécu sur cette terre algérienne. Je peux vous dire que, dans la vie, il y a des choix difficiles à faire : il y a les choix du cœur, il y a les choix de la raison, il y a les choix de la légalité.
De mon groupe, je suis, me semble-t-il, le plus ancien à être parti là-bas, mais, tous, nous sommes partis sans hésitation ni murmure pour servir la France. Si mes collègues avaient voté avec leur cœur, ils auraient choisi de soutenir la proposition de loi. Certains prendront sans doute la parole pour expliquer leur vote, mais je peux d’ores et déjà dire que la grande majorité d’entre nous s’abstiendra, pour différentes raisons, et que les autres voteront le texte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous confier un souvenir personnel. Alors que j’étais sous-lieutenant, ayant dépassé la durée légale du service, j’ai vu, comme beaucoup d’entre vous, la mort et le sang couler. J’ai tenu dans mes bras un jeune homme, le caporal Bouroumeau, dont les derniers mots furent pour Huguette, sa fiancée, et Marie, sa mère. Voilà l’image que je garde en mémoire !
N’entamons pas l’unité des combattants d’aujourd’hui ! Il est triste que le monde combattant de 2013 ne fasse pas preuve, comme nous le souhaiterions, de fraternité, pour des questions d’appartenance à une section ou d’affinités. Je suis de ceux qui sont pour garder l’unité dans la fraternité ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)