M. Philippe Bas. À vous, il reste une minute quarante de temps de parole, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
M. Gérard Longuet. Je ne voulais pas dire que j’allais encore parler pendant deux mois ! (Nouveaux sourires.)
Vous supprimez donc un comité qui ne s’est, certes, jamais réuni, mais qui aurait été utile s’il avait fonctionné. Je plaide toutefois coupable, car nous aurions dû nous-mêmes l’installer.
Voilà une rupture !
M. Bruno Sido. Et quelle rupture ! (Nouveaux sourires.)
M. Gérard Longuet. Elle explique que, aujourd’hui, une espérance nouvelle se lève sur l’horizon des retraités ! (Rires sur les travées de l’UMP.) Le monde va changer, assurément ! Quelle rupture avec 1993, 2003, 2008 et 2010 !
Très honnêtement, c’est un peu faible…
C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je me permets de compléter l’explication de vote que vient de livrer M. Gérard Longuet au nom de notre groupe, car il n’a pas eu en effet tout le temps nécessaire pour développer l’ensemble de son argumentation. (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Claude Jeannerot. Il faut bien deux anciens ministres pour mener cette démonstration à son terme ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Je voudrais, pour ma part, vous expliquer les conséquences qui s’attachent, de notre point de vue, au rejet de cet article 10.
Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit : il est tout à fait regrettable que l’expérimentation prévue par la loi du 9 novembre 2010 n’ait pas été mise en œuvre, et que le comité scientifique prévu à son article 88 n’ait pas été réuni.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Il devait l’être avant le 31 mars 2011 !
M. Philippe Bas. Au lieu de balayer d’un revers de manche ces initiatives positives pour les travailleurs, on ferait mieux de se poser la question de savoir s’il ne serait pas plus opportun de reporter le délai d’expiration de l’expérimentation, fixé au 31 décembre 2013. C’est ce que nous souhaitons pour notre part, et je pense que la navette pourrait être mise à profit pour obtenir satisfaction.
Mme Catherine Deroche. Il n’y a pas de navette ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. D’autre part, la création du comité scientifique est une initiative qu’un gouvernement peut assez aisément prendre, me semble-t-il. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi elle n’a pas été prise plus tôt.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Elle devait l’être au 31 mars 2011 ! Soyez complet dans votre propos, monsieur Bas !
M. Philippe Bas. Je dirai d’ailleurs que, s’agissant du II de cet article 10, il me paraît absolument impossible que les dispositions adoptées en matière de prévention de la pénibilité puissent entrer en vigueur au 1er janvier 2015.
Ce nouveau dispositif constitue véritablement un choc de complexité : j’ai rappelé, hier et ce matin, qu’il venait percuter latéralement toute la construction française de prévention des risques et maladies professionnels.
Vous le savez, notre système repose sur la recherche du risque zéro, alors que le compte pénibilité va en réalité imposer un dispositif de seuil d’exposition au risque, qui, dans sa conception même, est radicalement contraire au système que nous développons à l’aide de très nombreux accords paritaires dans le domaine de la prévention des risques et maladies professionnels.
Je ne vois pas comment l’on pourrait résoudre cette complexité d’ici au 1er janvier 2015.
Je note très souvent dans les textes des échéances intenables, par souci d’afficher son volontarisme. J’en parle d’autant plus à mon aise que nous avons nous-mêmes beaucoup fauté…
Mme Catherine Génisson. Il faut aller à confesse, monsieur Bas ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. J’en veux pour preuve l’absence de mise en place du comité scientifique au 31 mars 2011 et l’absence de mise en œuvre de la disposition sur les expérimentations concernées par le I de cet article.
Pour toutes ces raisons, et pour faire bref (Sourires.), je joins ma voix à celle de Gérard Longuet et de tous les membres de mon groupe pour m’opposer à cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je joins également ma voix à celles de mes collègues de l’UMP pour regretter la suppression, lourde de conséquences, de ces mesures introduites en 2010.
Le comité scientifique avait été prévu pour répondre aux demandes de prise en compte, non pas seulement de la pénibilité constatée par une invalidité, mais de la pénibilité à effet différé, celle qui semble pénaliser l’espérance de vie.
Tout le monde était à peu près d’accord sur le principe d’une telle mesure, mais il était difficile d’en évaluer précisément les conséquences. Si ma mémoire est bonne, la création de ce comité scientifique fut, à l’époque, le fruit d’une initiative ministérielle.
Il me semble que vous commettez une plus grande erreur encore en supprimant l’expérimentation prévue à l’article 86. J’ai entendu au cours des auditions des remarques sur la difficulté de mettre en place le compte pénibilité dans certaines entreprises ou certaines branches. Or cet article nous donnait précisément l’occasion d’expérimenter. Je sais que ce n’est pas vraiment dans la tradition française, mais c’est dommage.
Il y avait là une belle occasion de mettre en place expérimentalement, jusqu’en 2015, dans certaines branches et entreprises, en fonction de leur taille, les dispositifs que vous proposez d’appliquer. Il eût été intelligent de conserver cette disposition.
De même, il eût été opportun d’organiser le débat national sur la retraite par points, également prévu dans la loi de 2010, et qui aurait dû être organisé au premier semestre de 2013. La loi n’a donc pas été appliquée et, en l’occurrence, cela relève entièrement de la responsabilité du présent gouvernement. (MM. Philippe Bas et Gérard Longuet applaudissent.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'article 10.)
Articles additionnels après l'article 10
Mme la présidente. L'amendement n° 336 rectifié, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le 30 juin 2014, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’efficience du dispositif d’allocation transitoire de solidarité et la pertinence d’un retour à l’allocation équivalent retraite.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Cet amendement prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport évaluant le dispositif de l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS.
L’allocation équivalent retraite, l’AER, était destinée aux demandeurs d’emploi ayant justifié d’un nombre suffisant de trimestres pour bénéficier d’une pension sans décote, mais n’ayant pas atteint l’âge légal.
L’AER a été supprimée en juillet 2011 et remplacée par l’ATS, qui, comme son nom l’indique, est transitoire et dont les conditions d’attribution sont particulièrement restrictives. Le Président de la République s’était engagé à revenir sur ce dispositif lors de la campagne présidentielle.
Le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Issindou, a même indiqué : « Les conditions d’éligibilité de l’ATS instaurée en 2011 n’ont pas permis de prendre en compte la situation de certains demandeurs d’emplois. Nous avons tous vécu cela dans nos circonscriptions, et nous le vivons encore. »
De notre côté, nous recevons de nombreux témoignages de personnes en grande précarité qui ont été exclues du dispositif en raison des strictes conditions d’éligibilité.
Il faut néanmoins souligner que le Gouvernement a élargi les conditions d’accès à l’ATS par le décret du 4 mars 2013 instituant à titre exceptionnel une allocation transitoire de solidarité pour certains demandeurs d’emploi nés entre 1952 et 1953. C’est ce que l’on a appelé l’« ATS 2013 ».
Mais le dispositif reste insuffisant, car les critères pour en bénéficier sont nombreux et cumulatifs. Il faut être né entre le 1er janvier 1952 et le 31 décembre 1953, être indemnisé au titre de l’assurance chômage, de l’allocation spécifique de reclassement ou de l’allocation de transition professionnelle à la date du 31 décembre 2010, et enfin avoir validé le nombre de trimestres nécessaires pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein.
Nous pensons que la suppression de l’AER et son remplacement par l’ATS gardent un caractère injuste malgré les correctifs.
L’Assemblée nationale a voté un amendement émanant du groupe socialiste et demandant un rapport sur les personnes qui, bien que nées entre 1952 et 1953, sont exclues du bénéfice de l’ATS, car certains de leurs trimestres n’ont pas été pris en compte. Cet article additionnel devrait permettre de régler certaines situations, mais il ne traite pas l’ensemble du problème.
C’est pourquoi nous proposons à travers la remise d’un rapport qui analysera les difficultés d’application de l’allocation transitoire de solidarité, son impact réel et ses modalités, dans le but d’évaluer l’opportunité d’un retour à l’allocation équivalent retraite, plus à même, selon nous, d’apporter des solutions concrètes aux précaires en fin de carrière.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement prévoit la remise d’un rapport sur l’efficience de l’allocation transitoire de solidarité et l’évaluation d’un retour à l’allocation équivalent retraite.
L’ATS tel que modifié par le Gouvernement a permis de corriger un grand nombre d’injustices liées à la suppression, à la suite de la précédente réforme des retraites, de l’AER.
En outre, par l’introduction d’un article 10 bis, l’Assemblée nationale a déjà demandé au Gouvernement un rapport sur la situation de certaines personnes, exclues de l’ATS bien que remplissant la quasi-totalité des critères requis.
Je ne suis pas certaine que, en l’état actuel, il faille aller plus loin, d’autant que les générations auparavant concernées par l’AER ont désormais, pour la plupart, atteint l’âge de la retraite. Par ailleurs, un décret de juillet 2012 prend en compte les carrières longues et permet aux intéressés de partir plus tôt à la retraite.
Je sollicite donc, monsieur Desessard, le retrait de votre amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Le Gouvernement émet le même avis que la commission, en invoquant les mêmes raisons.
M. Jean Desessard. Je retire l’amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 336 rectifié est retiré.
L'amendement n° 348, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé:
Le Gouvernement crée, dans les deux mois qui suivent la promulgation de la présente loi, une commission permanente composée de représentants des organisations syndicales et patronales, d'élus nationaux et d'élus locaux des départements et territoires d'outre-mer, chargée d'évaluer dans les années à venir les effets de cette réforme sur les populations concernées.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Cet amendement a pour objet de créer une commission permanente qui, après promulgation de la loi, serait chargée d’étudier les conséquences de cette réforme sur les populations des départements et territoires d’outre-mer.
Nous demandons que cette commission permanente soit composée de représentants des organisations syndicales et patronales, ainsi que d’élus nationaux et locaux des territoires concernés.
En effet, la réalité sociale et économique des outre-mer est telle que l’application mécanique d’une telle loi aurait des conséquences extrêmement graves.
En prenant l’exemple de la Réunion, je citerai quelques chiffres propres à illustrer la situation de ces collectivités.
Selon la cartographie sociale établie par l’INSEE, 343 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 42 % de la population réunionnaise.
Le nombre des actifs privés d’emploi ne cesse d’augmenter, ainsi que le constatent, mois après mois, divers organismes. Pôle Emploi, l’INSEE, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – DIRECCTE – et Eurostat établissent ainsi que les DOM sont les départements les plus touchés par le chômage.
C’est aussi dans les DOM que les jeunes sont le plus privés d’emploi et donc de perspectives d’avenir. À la Réunion, fin mai 2013, près de 167 000 personnes étaient à la recherche d’un emploi, dont 60 % des jeunes de moins de vingt-six ans.
Par ailleurs, la Réunion connaît à la fois une forte croissance démographique et un vieillissement de sa population.
Les personnes âgées de plus de soixante ans représentent actuellement de 11,5 % de la population. Elles seront 22 % à l’horizon 2025-2030.
En outre, la Réunion est l’une des régions où l’espérance de vie est la plus faible. Même si l’écart s’est resserré ces dernières années entre la Réunion et la France métropolitaine, l’espérance de vie d’une femme est inférieure de près de deux ans à la moyenne nationale.
À la Réunion, 30 % des plus de soixante ans vivent avec le minimum vieillesse, soit neuf fois plus qu’en métropole et deux fois plus qu’en Corse du Sud, premier département métropolitain concerné. Parmi ces 30 % de personnes âgées allocataires du minimum vieillesse, les femmes sont majoritaires.
Toujours d’après les chiffres de l’INSEE, 42 % des Réunionnais de plus de soixante-cinq ans vivent en dessous du seuil de pauvreté. C’est quatre fois plus qu’en France métropolitaine.
Nous pourrions continuer à aligner les chiffres montrant l’extrême gravité de la situation. Ce n’est pas seulement une vision politique, c’est une réalité ! Au point que, comme nous le rappelait notre collègue Paul Vergès, l’INSEE n’a pas hésité à qualifier la Réunion de « département hors normes » avant de conclure : l’importance du niveau de la pauvreté représente un véritable défi à relever en matière d’action sociale à la Réunion.
Si le contexte économique y est différent de celui qui prévaut en métropole, les mesures contenues dans ce projet de loi ne le seront pas. Il serait donc souhaitable, pour éviter une application mécanique de la loi, qui pourrait avoir des conséquences difficiles, voire dramatiques pour la Réunion et d’autres départements et collectivités d’outre-mer, que des dispositions spécifiques puissent être prises.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Mon cher collègue, par votre amendement, vous demandez la création d’une commission permanente chargée d’évaluer les effets de la réforme des retraites en outre-mer.
Comme nos collègues ultra-marins, vous avez raison de rappeler que les difficultés économiques que rencontrent les départements et collectivités d’outre-mer ont un impact évident sur les retraites et le niveau des pensions servies. Notre collègue Jean-Étienne Antoinette l’a d’ailleurs souligné lors de la discussion générale.
Pour cette raison, la commission a souhaité recueillir l’avis du Gouvernement sur cet amendement, afin qu’il nous précise quelles mesures il compte adopter pour tenir compte des inégalités que subissent les outre-mer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. La législation en matière d’assurance vieillesse applicable dans les DOM est celle du droit commun. Le présent projet de loi, sans qu’il soit besoin de le préciser, s’applique donc dans les départements d’outre-mer, à l’exception de Mayotte.
Vous soulignez le fait que nombre d’assurés des départements d’outre-mer ont connu des périodes de chômage ou des carrières heurtées. Cependant, toutes les mesures de solidarité prévues dans le projet de loi y seront applicables. Cela permettra d’améliorer, notamment, les droits à la retraite des jeunes, des chômeurs, des femmes et des apprentis.
Le présent texte est un texte de justice. Il adapte l’assurance vieillesse aux réalités sociales d’aujourd’hui, aux insertions parfois difficiles dans l’emploi, aux périodes de stage ou de temps partiel. Contrairement à ce que vous semblez craindre, monsieur le sénateur, son impact sera très positif, dans les DOM comme en métropole.
La proposition de création d’une commission nous paraît inutile, d’autant que le comité de suivi des retraites, chargé de veiller au respect des grands objectifs de notre système de retraites, examinera celui-ci dans son ensemble, en incluant les départements d’outre-mer.
Le Gouvernement est, par conséquent, défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Je m’étonne du dépôt d’un tel amendement. En effet, le Sénat a créé, il y a un an, une délégation à l’outre-mer. Cette délégation, présidée par Serge Larcher et composée à parité de parlementaires d’outre-mer et de métropole, a justement pour mission d’examiner tous les problèmes spécifiques de l’outre-mer. Serge Larcher a déjà organisé plusieurs réunions et lancé plusieurs études, y compris sur la question des retraites.
Je ne vois pas pourquoi nous confierions une mission d’étude à l’extérieur du Sénat alors que nous avons, ici, toutes les intelligences et les compétences pour conduire de tels travaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Monsieur Watrin, vous proposez de créer une commission rassemblant des représentants du Gouvernement et des représentants de l’outre-mer. Non ! Si l’on veut faire fonctionner un système national, ainsi que l’a dit Catherine Procaccia de façon très pertinente, il convient d’instaurer un dialogue entre des responsables compétents pour évaluer le projet national et son application en outre-mer. C’est le sens de la délégation sénatoriale, qui associe des élus représentant toutes les catégories – cela permet de n’en oublier aucune, alors que votre énumération ouvre le risque, comme toujours, d’en omettre – puisque y siègent des sénateurs des départements et collectivités d’outre-mer, reflétant toute la diversité sociologique de l’outre-mer, et des parlementaires du continent.
Ensemble, ils sont en mesure, à la fois, de faire la loi pour tous et de voir comment cette loi peut tenir compte d’aspects spécifiques liés à la démographie ou à des difficultés en matière d’emploi, pour partie liées à l’insularité. En effet, nous savons que l’insularité est une condition d’activité très particulière et le plus souvent – ce n’est évidemment pas vrai pour la Grande-Bretagne – contraignante et handicapante pour le développement.
Pour cette raison, nous ne soutiendrons pas votre amendement. Ce n’est pas par désintérêt pour l’outre-mer, mais parce que nous disposons ici même de la structure permettant de traiter cette question et de nous adresser par la suite au Gouvernement.
Cette observation me conduit à une deuxième objection. En associant le Gouvernement et uniquement les représentants de l’outre-mer, vous donnez le sentiment de court-circuiter le Parlement. Le vote d’une loi sur les retraites relève de la responsabilité des parlementaires ; il leur reviendra également celle de la faire évoluer, si nécessaire. Or votre proposition organise un face-à-face qui écarte les parlementaires, alors que ce sont eux qui auront voté la loi et seront sans doute amenés à voter encore pour l’adapter.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Cet amendement soulève plusieurs questions.
Premièrement, quel est le meilleur instrument d’expertise et de concertation pour évaluer la situation des droits à la retraite en outre-mer ? Je laisse cette question de côté, car les réponses apportées par Catherine Procaccia sont tout à fait convaincantes.
Deuxièmement, se pose la question de notre analyse des causes des difficultés constatées par les auteurs de l’amendement.
Je rappelle à cet égard qu’en 1995, sur la décision personnelle du président Jacques Chirac, nos compatriotes d’outre-mer ont obtenu, en matière d’allocations de solidarité, une parité absolue par rapport à celles qui sont servies en métropole. Cela a constitué un progrès très important.
Certes, aujourd’hui, nous ne pouvons ignorer les difficultés de nombre de nos compatriotes d’outre-mer qui doivent vivre, certains avec le minimum vieillesse, d’autres avec le revenu de solidarité active. Mais n’oublions pas la formidable avancée réalisée sur l’initiative du président Chirac en 1995.
Est-ce sur le traitement social du problème qu’il faut avancer de nouveau ? Ne refusons pas d’examiner la question sociale, mais elle ne doit pas en occulter une autre, plus importante encore : celle du développement économique de nos départements d’outre-mer. Or il me semble que, à cet égard, l’actuel gouvernement ne propose pas grand-chose.
Plusieurs de nos départements d’outre-mer sont situés aux abords immédiats de marchés en très forte expansion. Si l’Europe connaît actuellement une situation de marasme économique, l’Amérique latine, l’Afrique ou encore l’île Maurice sont, quant à elles, dans une période d’expansion, avec des taux de croissance annuels qui avoisinent parfois 8 % ou même 10 %. Que faisons-nous aujourd'hui pour permettre aux entrepreneurs de ces départements, et notamment à ceux qui travaillent dans le secteur touristique, de profiter de ces formidables marchés ?
Au lieu de nous focaliser sur l’évaluation du régime social de l’outre-mer, nous ferions bien – sans pour autant laisser de côté la question sociale, évidemment – de mettre l’accent sur la nécessité de donner de meilleures chances de développement économique à nos départements d’outre-mer. C’est la clef de la diminution du chômage de nos compatriotes d’outre-mer. C’est la clef de l’allongement des carrières professionnelles, notamment pour les salariés. C’est aussi grâce à cela que nos compatriotes pourront acquérir des droits leur permettant de prendre leur retraite dans de meilleures conditions.
Nous devrions privilégier cette voie de réflexion plutôt que celles auxquelles on pense traditionnellement en premier, mais qui ne sont probablement pas les plus fécondes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je crois que nos collègues de l’UMP n’ont pas lu notre amendement. Il n’est absolument pas question de court-circuiter le Parlement, contrairement à ce que veut faire croire Gérard Longuet. Au demeurant, cela fait déjà un petit moment que nos propos sont largement déformés et caricaturés.
M. Philippe Bas. Non !
Mme Annie David. Mais là n’est pas le plus important.
Nous demandons qu’une commission chargée d’évaluer les effets de la réforme en outre-mer soit mise en place. Cette commission comporterait bien des représentants des organisations syndicales et patronales. Si nos collègues de l’UMP écoutaient nos explications, cela les dispenserait de commettre des erreurs sur le contenu de nos amendements… La commission comporterait également des élus nationaux et des élus locaux des départements et territoires d’outre-mer.
M. Philippe Bas. Nous savons lire aussi !
Mme Annie David. Apparemment non puisque vos réponses ne correspondent pas à la composition que nous proposons !
M. Philippe Bas. Nous avons essayé d’élever le débat !
Mme Éliane Assassi. Prétentieux !
Mme Annie David. La création de cette commission n’a pas du tout pour but de court-circuiter le Parlement. C’est le contraire : nous voulons associer les parlementaires, les élus locaux, les salariés et les entrepreneurs.
Lundi, Jean-Étienne Antoinette nous a exposé ici même les difficultés que traverse la Guyane. Paul Vergès nous parle assez souvent de celles de La Réunion pour que nous soyons sensibilisés à la situation des outre-mer. En tant que présidente de la commission des affaires sociales, j’ai reçu avec grand plaisir Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, auquel j’ai affirmé que notre commission soutiendrait pleinement le travail qu’il devra mener, avec sa délégation, pour faire entendre dans notre assemblée la voix des outre-mer, qui est bien trop souvent oubliée ou du moins insuffisamment entendue.
Tel est le sens de notre amendement. Pour avoir écouté attentivement Jean-Étienne Antoinette, nous sommes bien conscients que cette réforme des retraites s’appliquera de la même manière dans les outre-mer et en métropole. Quelles que soient les mesures de solidarité et de justice incluses dans ce projet de loi – vous les avez rappelées, madame la ministre –, il n’en reste pas moins que les injustices sont flagrantes et que l’application unilatérale et uniforme de la réforme ne fera qu’aggraver la situation déjà difficile des outre-mer.
C'est pourquoi nous demandons la mise en place d’une commission chargée d’évaluer les effets de la réforme en outre-mer.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. J’apprécie énormément que nous consacrions quelques minutes de ce débat à l’outre-mer. Permettez-moi de vous faire entendre une autre voix de l’outre-mer.
Il est certain que l’outre-mer illustre parfaitement la problématique globale de notre débat. Je m’écarterai un peu de l’amendement lui-même afin de vous dire ce que, en tant qu’ultramarin, je pense du texte.
Tout le monde le sait, la réalité du problème des retraites, c’est l’emploi. Si nous avions moins de 4 % de chômeurs, le système social français serait excédentaire : il remplirait les caisses de l’État au lieu de lui coûter de l’argent. Je viens d’une collectivité qui compte moins de 3 % de chômeurs. Toutes dépenses confondues et toutes recettes cumulées, compte tenu des cotisations versées et des prestations reçues, la contribution nette des 9 000 habitants de Saint-Barthélemy à la solidarité nationale s’élève à 20 millions d'euros par an ; cet excédent a été vérifié par un organisme particulièrement compétent.
Vous avez souligné tout à l'heure que les ultramarins étaient soumis à la même législation sociale que les métropolitains : ils paient les mêmes charges et versent de la même manière la CSG et la CRDS. Le système en vigueur à Saint-Barthélemy fonctionne, au contraire du système en vigueur dans le reste de l’outre-mer, qui est inadapté. Je ne parle pas du système de retraites, mais du système dans sa globalité.
Je lie les charges et la fiscalité parce que les deux sont indissociables. Je ne comprends pas qu’on nous dise que, pour régler le problème des retraites, il faut à la fois augmenter les charges sociales et les impôts. Ces deux augmentations sont mathématiquement incompatibles. Si l’on diminue les charges en laissant les impôts au même niveau, le système fonctionnera, mais on ne peut pas augmenter les deux sans provoquer un résultat négatif.
À Saint-Barthélemy, le système fiscal permet d’assurer un équilibre. Nous payons pourtant la totalité des charges sociales. Mais, juste à côté de nous, la Guadeloupe enregistre – je l’ai récemment entendu à la radio – un déficit de 100 millions d'euros en matière sociale. Les Guadeloupéens ne peuvent assumer leurs charges sociales parce que l’addition de ces charges et de la fiscalité rend leur économie impossible à piloter ; Philippe Bas l’a très bien expliqué.
Mon sentiment personnel est que nous sommes en train d’apporter des semblants de solution à un problème qui doit absolument être appréhendé dans sa globalité. Le problème des retraites, c’est le problème de l’emploi. Le problème de l’emploi, c’est aussi bien le problème de la fiscalité des entreprises que le problème des charges sociales qui pèsent sur les salariés et sur les entrepreneurs. Tant que nous ne nous mettrons pas autour d’une table pour régler ces problèmes de manière définitive, nous ne nous en sortirons pas !
Je suis heureux que nous évoquions la situation de l’outre-mer, mais il faudrait organiser autant de débats qu’il y a de collectivités ultramarines.