Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Sur cet amendement comme sur les précédents, la commission fait la même analyse : il s’agit d’un cavalier législatif. Par conséquent, elle émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Je précise que, en cas de contentieux, le refus de l’employeur de consulter le médecin du travail ou de tenir compte de ses préconisations lui est déjà opposable. C’est l’état actuel du droit du travail.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je tiens à soutenir de façon circonstanciée la proposition de nos collègues, en prenant l’exemple très actuel des chantiers de désamiantage, comme chacun d’entre nous en connaît sur son territoire.
L’obligation de résultat et d’effectivité de la protection de la santé des travailleurs est particulièrement sensible en ce domaine. Ce sont des chantiers itinérants, sur lesquels travaillent souvent des salariés en contrat non durable, qui signent un document dans lequel ils affirment connaître la dangerosité du produit alors qu’ils ne sont pas francophones ; et il suffit de collecter les bordereaux auprès de l’inspection générale du travail pour constater que, là où doivent se trouver les signatures, il y a surtout des croix en guise de paraphe.
En conséquence, si nous adoptions, comme je le souhaite, la proposition de nos collègues, nous enverrions un signal extrêmement fort. Quand Mme la ministre dit : « S’il y avait un contentieux, la parole du médecin du travail ferait foi et l’entrepreneur serait placé devant ses responsabilités », elle dit vrai. Cependant, notre but n’est pas de poursuivre de futurs coupables éventuels, il est de garantir le bon état de santé des travailleurs.
En inscrivant maintenant cette disposition dans nos textes, nous éviterions que des salariés ne meurent dans le futur d’avoir travaillé sur les très nombreux chantiers de désamiantage qui doivent encore être menés à bien.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, je souhaite exprimer mon désaccord avec l’emploi du mot « cavalier » pour qualifier cet amendement.
L’article L. 4624-3, visé par l’amendement, dispose que, « lorsque le médecin du travail constate la présence d'un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver ».
Cet amendement n’est pas un cavalier dans la mesure où nous avons dit à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas que d’éventuels points de pénibilité servent à gagner du temps de retraite. Ce qu’il faut avant tout, c’est prévenir la pénibilité, de manière à préserver la santé des travailleurs. En cela, l’amendement est non seulement fondé, mais il a toute sa place dans les débats sur ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Hier, nous avons soutenu le fait que les médecins du travail soient associés à l’élaboration des fiches de pénibilité.
M. Jean Desessard. Cela, vous l’avez voté hier, monsieur Longuet !
M. Gérard Longuet. Oui, et de bon cœur, parce qu’un médecin, dans l’entreprise, est en mesure d’observer la pénibilité d’une tâche et qu’il peut distinguer la pénibilité de l’atteinte à la santé, car ce n’est pas la même chose.
Lorsque Mme Demontès dit que cet article 8 est très important, qu’on passe du code de la sécurité sociale du code du travail, je lui donne raison. Qu’on me permette de m’en expliquer.
Tout ce qui est dangereux n’est pas nécessairement pénible. Le tabac est dangereux, mais la plupart de ceux qui fument le font par plaisir. L’alcool est plutôt agréable, mais chacun sait que c’est profondément dangereux.
Mme Catherine Génisson. C’est l’abus d’alcool qui est dangereux !
M. Jean Desessard. C’est pénible le lendemain ! (Rires.)
M. Gérard Longuet. C’est surtout pénible pour les autres !
En revanche, il y a des choses qui sont très pénibles, sans être dangereuses le moins du monde. Ainsi, le fait de m’écouter parler quand on veut faire aboutir un texte rapidement est certainement pénible, mais ce n’est absolument pas dangereux : cela ne porte pas atteinte à la santé ! (Sourires.) Cela peut même éveiller une réflexion, susciter une ouverture… (Nouveaux sourires.)
Donc, il faut bien séparer ce qui est pénible et ce qui est dangereux ou, selon votre formule, provoque « l’altération ou la dégradation de l’état de santé ». Je serais au passage intéressé de connaître la différence entre l’altération et la dégradation, mais c’est là de la sémantique qu’on peut laisser à un débat de commission.
L’essentiel, c’est que, comme vous l’avez dit avec raison, madame le rapporteur, il convient de distinguer, d’un côté, la santé et la mission de prévention du médecin du travail dans l’entreprise et, de l’autre, une pénibilité qui, parfois, n’altère ni ne dégrade la santé.
C’est la raison pour laquelle nous ne soutiendrons pas les amendements de nos collègues communistes, qui méritent un débat mais dans d’autres circonstances.
Mme Catherine Génisson. L’invalidité était reconnue dans la loi de 2010, mais pas la pénibilité !
M. Gérard Longuet. Nous évoluons !
Mme Marie-Christine Blandin. C’est bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous pouvons tous tomber d’accord sur cet amendement. Le problème est de savoir s’il a vocation à figurer dans ce texte, ou à cet endroit du texte.
Marie-Christine Blandin a pris l’exemple de l’amiante, que nous connaissons bien. Et Dieu sait si, dans ce domaine, il y a eu parfois des manquements ! Il est normal que l’employeur se conforme à ce que dit le médecin du travail s’il fait remarquer des altérations graves de la santé du salarié. Mais je ne crois pas que le caractère opposable de cette prescription doive figurer ici.
C’est ce qui nous amènera à nous abstenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Il n’y a pas, sur ce dispositif, de divergence de fond entre notre groupe et les autres groupes de la majorité sénatoriale puisque nous avions, ensemble, proposé et soutenu une telle disposition en janvier 2011.
Reste la question de la forme… Bien que mon expérience sénatoriale soit encore très courte, j’ai déjà vu passer, et encore tout récemment, un certain nombre d’amendements qui avaient parfois de manière bien plus évidente que celui-ci le caractère de cavalier !
M. Gérard Longuet. Moi, ce sont des régiments entiers de hussards que j’ai vu passer ! (Sourires.)
M. Dominique Watrin. En citant l’article L. 4624-3 du code du travail, ce dont je le remercie, M. Desessard a bien montré que cet amendement ne constituait pas un cavalier puisqu’il va clairement dans le sens du renforcement du volet préventif de ce texte, un renforcement que tout le monde ici appelle de ses vœux. Dès lors, nous devrions tous voter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. L'amendement n° 163, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – L’article L. 4625-2 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces médecins doivent être titulaires d’une habilitation délivrée par l’autorité administrative conditionnée par le suivi d’une formation spécifique dont le contenu est fixé par décret. Le protocole précise les modalités d’exercice au sein du service de santé au travail et l’incompatibilité entre la fonction de médecin de soin du travailleur ou de l’employeur et le suivi médical du travailleur prévu par le protocole. »
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Nous souhaitons, avec cet amendement, revenir sur une disposition à laquelle nous nous étions opposés en 2011 avec nos collègues socialistes de la commission des affaires sociales, lorsque nous étions dans l'opposition, au moment de l'examen du texte relatif à l'organisation de la médecine du travail.
En effet, ce texte, a permis, pour certaines professions, par exemple les artistes et techniciens intermittents du spectacle, les mannequins, les salariés du particulier employeur et les VRP, que des accords de branche puissent déroger au droit commun de la protection de la santé au travail des salariés, au motif, contestable selon nous, que l'activité professionnelle des salariés en question les écarte déjà de la médecine du travail.
Ainsi, cette réforme prévoit que des médecins généralistes puissent accomplir des actes et des missions qui relèvent normalement des missions et compétences des médecins du travail.
Or il s'agit justement de salariés qui de par leur activité professionnelle, peuvent se trouver isolés ou confrontés à des difficultés sanitaires certaines, en raison notamment du morcellement de leurs horaires.
Dans le cas des mannequins, par exemple, notre collègue Jean-Pierre Godefroy avait évoqué le phénomène de l'anorexie.
Les VRP, quant à eux, sont soumis à des contraintes importantes : culture du résultat, rémunérations variables, autonomie non contrôlée, pressions multiples des clients et des dirigeants ; au point qu'ils figurent aujourd'hui parmi les premières victimes de ce qu'il est convenu d'appeler les troubles psychosociaux.
Il en va de même pour les intermittents du spectacle, qui comptent parmi les salariés les plus précaires. Les priver de l'accès à la médecine du travail au motif que leur précarité rend difficiles des rencontres régulières avec les équipes pluridisciplinaires n'est pas sérieux au regard des enjeux de santé publique.
Ces salariés devraient pouvoir accéder, comme les autres, à la médecine du travail. Or le dispositif qui a été adopté en 2011 prenait prétexte de ce que leur suivi médical est trop difficile ou trop espacé, pour les en écarter.
C'est pourquoi nous souhaitons, avec cet amendement, apporter des garanties suffisantes à la préservation de la santé de ces professionnels soumis à des conditions de travail particulières. Il est donc proposé que l'habilitation des médecins non spécialisés ne puisse résulter que d'une autorisation délivrée par une autorité administrative compétente en matière de santé publique et non d'un simple protocole de gré à gré entre un médecin non spécialisé et le service de santé au travail.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Là encore, selon la commission, cet amendement n’est pas à sa place dans ce projet de loi : avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Même avis, madame la présidente.
Je me permettrai de dire en outre à M. Desessard qu’il a, si je puis m’exprimer ainsi, une conception assez cavalière des cavaliers. (Rires.) En effet, il ne suffit pas d’introduire dans un texte la référence à un autre texte, et de broder ensuite autour, pour créer un lien avéré avec un projet de loi. En 2010, le Conseil constitutionnel a annulé de très nombreux articles qui avaient été introduits par des amendements dans le projet de loi présenté par la précédence majorité, amendements qui portaient précisément sur la médecine du travail.
M. Jean Desessard. Je suis un fantassin de la sécurité au travail ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. J’entends bien les arguments de Mme la rapporteur et de Mme la ministre selon lesquels certains amendements sont des cavaliers, mais ces amendements sont tout de même intéressants. Ils soulignent l’importance de l’organisation de la médecine du travail et la nécessité de nouvelles réformes qui seraient vraiment protectrices de la santé au travail.
Je le dis au moment de l’examen de cet amendement au travers duquel nos collègues du groupe CRC souhaitent exclure toute possibilité pour le médecin de soin du salarié ou de l’employeur d’être aussi le médecin du travail. C’est là une règle fondamentale, qui a d’ailleurs été inscrite dans la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Cette loi, qui a instauré le dossier médical personnel, a prévu deux circonstances dans lesquelles ce dossier ne peut être transmis à un autre médecin : si ce dernier est un médecin du travail ou un médecin d’assurance.
Par conséquent, si j’entends les arguments selon lesquels ces amendements seraient des cavaliers législatifs, je tiens à insister sur un point : l’urgence de la réforme de la médecine du travail doit aussi être entendue !
Mme la présidente. L'amendement n° 165, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après le 1° bis de l’article L. 422-4 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 1° ter Imposition d’une cotisation supplémentaire en cas de non-respect par l’employeur des obligations découlant de l’article L. 4622-1 du code du travail ; ».
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Cet amendement vise à renforcer les obligations des entreprises en matière de santé au travail.
Nous considérons effectivement qu’il est nécessaire de compléter l’arsenal de sanctions et d’amendes existant, car nombre d’entreprises, c’est un fait, ne respectent pas leurs obligations, qu’il s’agisse des visites médicales, obligatoires au minimum tous les deux ans, ou de l’organisation d’un service de santé au travail.
Souvent, les entreprises visées par les enquêtes des services de l’inspection du travail arguent de difficultés économiques, difficultés qui les empêcheraient de tenir leurs engagements en tant qu’employeurs.
Pourtant, nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, la question de la santé au travail est capitale. La loi est d’ailleurs claire sur ce point et il ne saurait y avoir ici matière à discussion : un salarié en bonne santé, c’est une entreprise en bonne santé ! Certes, dans l’esprit général, ces dispositions concernent surtout les métiers considérés comme étant les plus exposés. Il est évident que le secteur industriel ne peut pas fonctionner sans des salariés en bonne santé. Mais, en réalité, une telle affirmation vaut pour tous les secteurs.
La prévalence grandissante des troubles musculo-squelettiques est bien une preuve que la médecine du travail est indispensable dans tous les domaines d’activité. On dénombre aujourd’hui près de 40 000 personnes indemnisées par an, mais il y a sans doute beaucoup de cas non déclarés. Ces troubles ont de plus de vraies répercussions économiques puisque leur indemnisation représente plus de 800 millions d’euros et près de 8 millions d’heures de travail perdues.
L’extension du phénomène doit nous inciter à renforcer la médecine du travail. En effet, celle-ci permet précisément de repérer ces troubles, de les prévenir et, ainsi, d’assurer la pérennité de l’activité économique.
Nous proposons donc d’inscrire dans la loi que, sous peine d’une cotisation supplémentaire, l’employeur est tenu au respect absolu de ses obligations en matière de santé au travail. La cotisation, qui fait office de sanction, est évidemment destinée à ne pas être perçue, l’effet recherché étant un effet dissuasif.
Cette mesure permettrait de placer les employeurs face à leurs responsabilités, alors même que, les contentieux le montrent, la loi a encore du mal à être respectée partout.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement tend à affranchir d’injonctions préalables l’imposition à l’employeur, par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la CARSAT, d’une cotisation supplémentaire en cas de non-respect de ses obligations en matière d’organisation des services de santé au travail.
Comme les quatre amendements précédents, celui-ci aurait sans doute sa place dans un texte réformant la médecine du travail, mais n’en a pas dans le présent projet de loi. Par conséquent, l’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
Je voudrais rebondir sur les propos que Catherine Génisson a tenus précédemment et indiquer que, comme Mme la rapporteur l’a souligné elle-même de façon extrêmement claire, les avis défavorables exprimés sur ces amendements ne traduisent en aucun cas une vision négative du rôle et de la place de la médecine du travail.
Je crois que nous partageons tous ici le sentiment selon lequel cette médecine du travail ne fonctionne pas aussi bien qu’elle devrait et pourrait fonctionner. De toute évidence, des améliorations doivent être apportées, aussi bien sur le fond, au niveau des politiques de santé publique, qu’en termes d’organisation du service en lui-même.
Sur le premier point, en tant que ministre en charge de la santé, j’ai annoncé que la stratégie nationale de santé devait permettre une meilleure coordination des actions de santé publique dans tous les domaines de l’action publique, ce qui englobe, indépendamment des rattachements administratifs, les secteurs relevant directement de mon ministère, mais aussi la santé des enfants dans le cadre de l’éducation nationale ou celle des salariés dans le cadre de leur activité professionnelle.
Sur le second point, je tiens à rappeler que Michel Sapin, ministre du travail, a pris l’engagement devant le Conseil d’orientation sur les conditions de travail, le COCT, qu’il a présidé le 14 mai dernier de présenter un bilan de la mise en œuvre de la réforme de la médecine du travail et des services de santé au travail. Cet examen, auquel le COCT sera associé, permettra d’identifier les points méritant une amélioration. D’ailleurs, dans le cadre de la grande conférence sociale des 20 et 21 juin dernier, des réflexions ont d’ores et déjà été engagées sur le sujet.
Les questions relatives à l’avenir de la médecine du travail, à son organisation et aux moyens mis à sa disposition pour mieux prendre en compte les situations des salariés dans le monde du travail figurent donc bien, et en bonne place, à l’agenda gouvernemental. Nous les considérons comme tout à fait prioritaires. Pour autant, nous ne pensons pas que des mesures concernant la médecine du travail aient leur place dans le présent projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Nous avons bien compris l’argumentation avancée par la commission et le Gouvernement, aux termes de laquelle les amendements que nous avons déposés au sujet de la médecine du travail n’ont pas leur place dans ce texte.
Nous pensons pour notre part que la médecine du travail a un rôle important à jouer dans le cadre de la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité et, puisque la question de ce compte est abordée dans le présent projet de loi, il est intéressant de pouvoir débattre du sujet dans ce cadre et, ainsi, montrer comment cette médecine peut intervenir.
C’est pour cette raison que nous avons proposé un certain nombre d’améliorations, qui n’enlèvent rien, selon moi, aux discussions prévues et engagées, y compris avec les partenaires sociaux, sur la réforme de la médecine du travail.
Voilà pourquoi nous persistons à considérer que cet amendement ainsi que ceux qui l’ont précédé ne sont pas des cavaliers législatifs.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Par souci de ne pas abuser du temps de parole, je m’exprimerai ici sur l’ensemble des questions touchant à la médecine du travail, en particulier sur cet amendement n° 165 et sur le précédent.
Je voudrais remercier Mme la ministre d’avoir souligné que des évolutions sont nécessaires dans le domaine de la médecine du travail. Je les crois même indispensables.
Notre opposition à ces deux amendements ne tient pas principalement au fait qu’il s’agit de cavaliers législatifs, même si nous partageons la conviction énoncée tant par Mme le rapporteur que par Mme la ministre. Effectivement, ces mesures n’ont qu’un lien assez ténu avec l’objet principal de ce projet de loi portant diverses dispositions relatives aux retraites.
Il reste que, bien entendu, c’est le fond qui prime. Or, de ce point de vue, madame la ministre, je tiens à exprimer une légère déception quant au contenu de votre réponse. Celle-ci n’éclaire guère notre assemblée sur les intentions du Gouvernement à propos d’éventuelles réformes à venir en matière de médecine du travail. Je crois qu’il eût été appréciable, pour l’information du Sénat, que vous nous en disiez un peu plus.
J’ajoute que, à mes yeux, les amendements nos 163 et 165 ne vont dans la bonne direction.
En premier lieu, vouloir ériger des barrières supplémentaires au recours, par défaut, à des médecins généralistes quand les médecins du travail viennent à manquer présente, me semble-t-il, un risque grave. Cela reviendrait tout simplement à baisser la garde et nous nous retrouverions, dans un certain nombre d’entreprises, sans aucun professionnel pour assumer cette fonction.
Certes, le dilemme est très difficile à trancher et, sur toutes les travées, nous reconnaissons la nécessité d’une formation et d’une habilitation spécifiques pour les médecins du travail. Pour autant, on ne peut se contenter d’interdire toute dérogation quand il est avéré que nous manquons de médecins du travail. Le passage par l’habilitation est, a contrario, indispensable pour régler le problème démographique qui se pose dans ce secteur.
En second lieu, je dois dire que je ne suis pas du tout surpris par la méthode proposée par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen dans l’amendement n° 165 : à l’heure actuelle, c’est ce que j’appellerai la « méthode unique » ! Elle consiste à créer des prélèvements et des pénalités supplémentaires, pesant de préférence sur les entreprises. C’est la politique du tout-fiscal ! Cette réponse n’est pas pertinente et ne peut en rien régler les problèmes.
Voilà pourquoi nous voterons contre le présent amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je voudrais réagir brièvement à l’intervention de notre collègue Philippe Bas.
Il n’est pas question de mettre en cause les médecins du travail ou les médecins généralistes, ni de prétendre qu’un médecin généraliste ne pourrait pas exercer cette compétence, bien sûr sous certaines conditions de validation de connaissances qu’il aurait acquises en matière de médecine du travail. Ce qu’il importe de préciser, c’est que le médecin traitant du salarié ou de l’employeur ne doit avoir aucun lien avec le médecin du travail. (Mme Laurence Cohen et M. Michel Le Scouarnec applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Une réforme de la médecine du travail est effectivement nécessaire et pourrait sans doute nous permettre de compléter celle qui a précédemment été mise en œuvre. Mais, comme l’a souligné Philippe Bas, les principaux problèmes sont liés à la démographie médicale : ceux que l’on constate à cet égard pour la médecine générale sont encore plus prégnants en médecine du travail et, même en ayant recours à la pluridisciplinarité, les difficultés demeurent.
En défendant cet amendement n° 165, le groupe CRC pointe les failles pouvant exister dans certaines entreprises. Mais le secteur privé n’est pas le seul concerné ! Ainsi, dans nos collectivités locales, il nous est parfois bien difficile de faire en sorte que, par exemple, les agents spécialisés des écoles maternelles, les ASEM, puissent effectuer la visite médicale qui est obligatoire. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus de médecins du travail et de médecins dans les centres de gestion ! Que fait l’État face à cela ? Il donne des délais beaucoup plus longs pour le personnel enseignant ! Ainsi, nous connaissons tous des instituteurs qui ne voient jamais de médecin du travail et qui ne sont jamais contrôlés, alors que nos propres personnels sont soumis à un contrôle tous les deux ans.
M. Philippe Bas. Il y a aussi des enfants qui ne voient jamais le médecin scolaire !
Mme Catherine Deroche. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur l'article.
M. Gérard Longuet. Voilà enfin, avec l’article 10, une rupture ! C’est ce qui le rend particulièrement intéressant.
Mon collègue Philippe Bas vous a interrogée, madame la ministre, sur les ruptures que vous comptiez mettre en œuvre avec ce texte. Eh bien, nous en percevons enfin une !
Nous nous demandions ce que vous aviez décidé de supprimer parmi ces constructions scélérates qui, depuis 1993, brisent toute espérance en matière de retraites… Nous disposons à présent d’un premier élément : l’article 10 met fin à deux initiatives importantes que la loi de 2010 avait consacrées.
Il s’agit tout d’abord de la création d’un comité scientifique ayant pour mission d’évaluer les conséquences de l’exposition aux facteurs de pénibilité sur l’espérance de vie avec et sans incapacité des travailleurs, qui devait être constitué avant le 31 mars 2011. Le sujet est passionnant !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ces dispositions n’ont jamais été mises en œuvre !
M. Gérard Longuet. Je dois reconnaître que les ministres du travail successifs sont responsables de ne pas avoir institué ce comité scientifique.
S’il s’était réuni et s’il avait produit des études, il aurait pu éclairer une partie du débat qui nous occupe depuis ce matin, à savoir la frontière entre pénibilité et santé, entre code du travail et code de la sécurité sociale, entre organisation du travail – laquelle s’établit sous l’autorité du chef d’entreprise, en liaison avec les représentants du personnel, et avec un droit de regard des médecins du travail – et médecine du travail, qui s’attaque pour sa part à la santé, à sa dégradation ou à son altération. Ce comité n’ayant pas vu le jour, nous ne savons pas exactement où se situe cette frontière. Sans doute d’ailleurs n’existe-t-il pas de bornage précis. Ce serait d’ailleurs bien le seul domaine où la logique des ensembles flous ne s’appliquerait pas ! (Mme Catherine Deroche s’esclaffe.)
Courageusement, l’article 10 démolit, détruit, abat une prétention de la majorité précédente en matière de retraites.
Vous marquez une rupture puisque vous constatez que la possibilité pour les branches de mettre en place, par accord, un dispositif d’allégement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles n’a pas été saisie – il s’agissait de l’article 86 de la loi de 2010. Cette expérimentation, qui devait prendre fin au 31 décembre 2013, n’a pas abouti, et vous décidez donc d’y mettre un terme. Nous pourrions presque vous dire, comme Madame du Barry, « Encore une minute, monsieur le bourreau ! », puisqu’il reste deux mois. (Sourires.)