M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Le groupe socialiste votera contre cet amendement pour une raison très simple.
Sur les trois fonctions publiques – fonction publique de l’État, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière –, seules les deux dernières ont un régime de retraite complètement autonome, puisqu’il est régi par la CNRACL. Quant aux fonctionnaires de l’État, ils n’ont pas de régime spécifique, puisqu’ils sont « couchés », selon l’expression communément employée, sur le grand livre de la dette publique.
Cet amendement tend à prévoir l’établissement d’un rapport. Mais, mes chers collègues, nous disposons de toutes les données ; nous savons absolument tout. Nous n’avons nullement besoin d’un rapport ! Au lieu de faire cette demande, vous pourriez déposer une proposition de loi qui pourrait être débattue. Nous verrons bien ce que cela donnera. En effet, lorsque vous étiez au pouvoir, vous aviez la possibilité de déposer un projet de loi visant à créer une caisse pour les fonctionnaires de l’État, et vous ne l’avez pas fait.
M. Philippe Bas. On a fait d’autres choses !
M. Claude Domeizel. Je le redis, vous ne l’avez pas fait ! Aujourd’hui, vous avez tout loisir de déposer une proposition de loi. En tout cas, nous n’avons pas besoin de rapport.
C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je répondrai brièvement à M. Domeizel. Oui, les fonctionnaires de l’État bénéficient de la pérennité de l’État, et vous avez eu raison d’évoquer le livre de la dette. À cet instant, on peut imaginer un grand livre en moleskine noire avec des lignes sur lesquelles chaque fonctionnaire noterait sa pension. Il en allait d’ailleurs ainsi sous l’Ancien Régime, avec le livre des pensions. Je dis cela pour introduire un peu de poésie historique dans notre après-midi de débat…
Malheureusement, l’État, à cause des accords de Maastricht – on peut s’en réjouir, comme c’est mon cas, ou s’en plaindre –, n’a plus la responsabilité de sa monnaie. Il ne dispose donc plus de la faculté qui était la sienne de battre monnaie et, le cas échéant, d’atténuer la dette par une dévaluation. Il est devenu un débiteur qui, même s’il n’est pas tout à fait comme les autres, doit tout de même rendre des comptes.
Néanmoins, votre proposition est très pertinente. Si nous souhaitons créer une caisse identifiée, c’est pour introduire dans l’opinion publique l’idée que la dette des retraites pèse sur les finances publiques. Un jour, nous devrons peut-être rendre compte devant non pas les « gnomes de Zurich », pour reprendre une formule du siècle précédent, mais les marchés internationaux, ce qui, bien évidemment, horripile une partie de nos collègues. Au travers du jugement qu’ils portent sur une dette par l’établissement de taux d’intérêt en fonction du risque évalué, ces marchés nous rappellent que nous aurons à rembourser notre dette.
Mes chers collègues, si vous ne votez pas notre amendement, ce ne sera pas une tragédie ! Nous répondrons à l’appel de M. Domeizel de préparer une proposition de loi. Nous voulions rappeler que la fonction publique a des droits, lesquels sont supportés par la nation, parce que c’est elle qui les garantit par l’impôt. Ces droits doivent pouvoir être évalués de façon notoire, afin que tous les contribuables français sachent ce qu’ils doivent à une fraction des leurs qui ont la belle mission de servir l’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. L’amendement n° 264, présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, M. Savary et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En considération des taux des cotisations à la charge des assurés sociaux relevant de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et des institutions de retraite complémentaire, l’alignement des taux de cotisation à la charge des assurés sociaux relevant des différents régimes spéciaux de retraites est accéléré pour être harmonisé dans un délai de six ans à compter de la promulgation de la présente loi, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Mes chers collègues, je suis désolé d’accaparer la parole ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Mme Procaccia devait défendre cet amendement auquel elle est très attachée. J’essaierai de la remplacer en présentant cet amendement peut-être avec moins de passion, mais avec précision et concision. Encore qu’il ne soit peut-être pas nécessaire que je me prive de ces quelques minutes de bonheur !
Nous avons engagé en 2008 un mouvement pour aligner les taux de cotisation des régimes spéciaux, avec prudence, parce que les circonstances le permettaient et peut-être même le commandaient. Cet alignement deviendra effectif en 2026.
L’amendement n° 264 tend à accélérer et à encadrer dans un délai de six ans la convergence des taux de cotisation des régimes spéciaux et du régime général.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Monsieur Longuet, la commission est bien évidemment défavorable à cet amendement, pour les raisons que vous avez exposées.
Vous l’avez dit, la hausse de 0,3 point des cotisations s’appliquera aux régimes spéciaux comme à tous les régimes obligatoires de base. Elle s’ajoutera à celle qui avait été décidée par le précédent gouvernement en 2008 et en 2010 – je n’y reviens pas –, selon un calendrier qu’il avait alors défini, décalé de six ans par rapport à celui de la fonction publique.
Nous ne voyons pas pourquoi il faudrait accélérer le processus. La charge est déjà lourde à porter pour l’ensemble des cotisants.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Madame la ministre, voilà un exemple type des non-réponses que vous opposez aux demandes réitérées de notre collègue Philippe Bas !
M. Bas vous a demandé sur quelles mesures scélérates vous reviendriez. En tout cas, pas sur cette mesure de 2008, dont vous savez, et reconnaissez aujourd’hui, la pertinence. Votre silence vaut hommage à notre travail de réforme effectué à l’époque.
M. Jackie Pierre. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 329 rectifié, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er mars 2014, un rapport sur la pertinence et l’impact financier et social du maintien de la revalorisation des pensions de retraites au 1er avril pour les retraités non assujettis à l’impôt sur le revenu.
La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Il est retiré, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 329 rectifié est retiré.
Article 4 bis (nouveau)
L’article L. 5552-20 du code des transports est ainsi rédigé :
« Art. L. 5552-20. – Les pensions sont revalorisées dans les conditions fixées à l’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale. »
M. le président. L’amendement n° 135, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. L’article 4 bis a pour objet de modifier les conditions dans lesquelles les pensions des marins sont revalorisées, afin d’aligner le dispositif existant sur le régime général.
Nous y sommes opposés pour deux raisons que je voudrais préciser ici.
Tout d’abord, bien que le mécanisme de revalorisation des retraites des marins soit complexe, les marins y sont attachés, car il est assis sur le salaire forfaitaire.
Ce salaire forfaitaire, créé un peu avant les années 1980 a permis d’unifier les rémunérations et, donc, les pensions des marins qui connaissaient des écarts de salaires très importants, les pêcheurs étant, par exemple, largement moins bien rémunérés que les marins de la marine marchande.
Dès lors, on comprend que les marins y soient attachés puisque ce salaire forfaitaire est en quelque sorte garant d’une égalité de rémunération et de pension entre marins relevant de la même catégorie.
Qui plus est, les cotisations d’assurance vieillesse sont assises sur des salaires forfaitaires définis par voie réglementaire. L’assiette de cotisation correspond ainsi au salaire journalier afférent à la catégorie du marin multiplié par le nombre de jours travaillés par le marin, incluant les jours de congé.
Si tous les marins sont soumis au taux de cotisation de 2 %, tel n’est pas le cas des armateurs, pour qui le taux dépend de la catégorie du navire.
Le salaire forfaitaire est donc au cœur de la retraite des marins. Si, dans les faits, la réévaluation du salaire forfaitaire est effectuée au 1er avril et tend de plus en plus à se calquer sur l’évolution des prix, c’est devenu une habitude sans pour autant être une obligation.
On peut très bien imaginer que les marins puissent obtenir, à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui, une augmentation du salaire forfaitaire bien plus avantageuse que la seule augmentation prévue à partir de l’inflation. Déconnecter salaire forfaitaire et revalorisation des pensions pourrait donc avoir pour effet de réduire le montant de ces dernières. Le cadre actuel, avec des spécificités, est proche de l’indexation sur les salaires. Nous sommes donc opposés à sa modification.
Par ailleurs, puisque nous nous sommes fortement opposés à ce que les pensions du régime général soient gelées durant six mois, vous comprendrez que nous demeurions opposés à cette mesure, si elle devait être appliquée aux marins.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression de l’article 4 bis.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur la suppression de l’article 4 bis, en cohérence avec l’avis qu’elle a exprimé sur l’article 4.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la sénatrice, cet article a pour enjeu de mettre en conformité le droit avec la pratique. Pour le dire autrement, ce que prévoit cet article reprend ce qui se fait déjà.
Si l’on supprimait les dispositions de l’article 4 bis, cette pratique serait sans fondement légal. Alors, vous pourriez me dire qu’elle pourrait cesser, mais elle correspond à une attente et à une demande des personnes concernées.
Je vous appelle donc à retirer votre amendement ; sinon, j’y serai défavorable. Je le redis, cet article n’apporte aucun changement concret à la situation des personnes concernées ; il apporte simplement une sécurisation juridique.
M. le président. Madame Pasquet, l’amendement n° 135 est-il maintenu ?
Mme Isabelle Pasquet. Oui, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Pour dire la vérité, j’ai du mal à comprendre les explications apportées par Mme la ministre. J’aimerais qu’elle m’apporte un éclaircissement. Nous avons supprimé la revalorisation en rejetant l’article 4. Or l’article 4 bis fait référence à cette revalorisation.
Je ne comprends pas comment on peut se référer à un dispositif qui a été supprimé.
Mes chers collègues, je préfère réfléchir à plusieurs fois avant de voter un amendement du groupe communiste !
Mme Laurence Cohen. Vous avez bien raison !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le sénateur, l’article 4 bis renvoie à une règle de droit général. Effectivement, je comprends que vous pensiez, par cohérence, que, si l’article 4 a été rejeté, ce dispositif ne s’appliquera pas aux personnes concernées de toute façon. Mais l’article 4 bis revient à mettre en conformité le droit avec la pratique, en prévoyant que le droit commun s’applique bien à ces catégories, en l’absence de texte particulier.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Il nous est très difficile de prendre position sur cet amendement, ne disposant pas d’une information exhaustive sur la situation des marins de la marine marchande.
Si je comprends bien, les marins pêcheurs ne sont pas concernés par cet amendement. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur leurs conditions de travail et sur les conditions d’acquisition de leurs droits à la retraite, dans un contexte très difficile pour la pêche française, lequel s’explique par de nombreux facteurs – au reste, tel n’est pas l’objet du débat d’aujourd’hui.
Je souhaiterais comprendre ce que demandent les marins : est-ce la consolidation de l’indexation de leurs pensions au 1er avril de chaque année, solution qui me semble aller dans leur intérêt, ou le passage de cette indexation en octobre, au même moment que pour les autres professions ?
Cela dit, si l’objectif visé au travers de l’article 4 bis est de reporter l’indexation des pensions des marins, nous ne pourrons que voter l’amendement de suppression, par cohérence avec notre refus du report de l’indexation pour l’ensemble des retraités affiliés à la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
Un sénateur du groupe UMP. Très bien !
M. le président. En conséquence, l’article 4 bis est supprimé.
Titre II
RENDRE LE SYSTÈME PLUS JUSTE
Chapitre Ier
Mieux prendre en compte la pénibilité au travail
Article 5
I. – Le livre Ier de la quatrième partie du code du travail est complété par un titre VI intitulé : « Dispositions particulières à certains facteurs de risques professionnels et à la pénibilité ».
II. – Au même titre VI, il est inséré un chapitre Ier intitulé : « Fiche de prévention des expositions » et comprenant l’article L. 4121-3-1 du code du travail, qui devient l’article L. 4161-1 et est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après les mots : « travailleur exposé », sont insérés les mots : « , au-delà de certains seuils, » et les mots : « déterminés par décret et » et « , selon des modalités déterminées par décret, » sont supprimés ;
b) À la même phrase, après les mots : « travailleur est », il est inséré le mot : « effectivement » ;
c) Après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Les facteurs de risques professionnels et les seuils d’exposition, ainsi que les modalités et la périodicité selon lesquelles la fiche individuelle est renseignée par l’employeur, sont déterminés par décret. » ;
2° Après la première phrase du second alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Elle est tenue à sa disposition à tout moment. » ;
3° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les entreprises utilisatrices mentionnées à l’article L. 1251-1 transmettent à l’entreprise de travail temporaire les informations nécessaires à l’établissement par cette dernière de la fiche individuelle, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.
« L’employeur remet chaque année au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou aux délégués du personnel un bilan de l’application du présent article. Ce bilan présente notamment le nombre de fiches de prévention des expositions qu’il a établies, les conditions de pénibilité auxquelles les travailleurs sont exposés et les mesures de prévention, organisationnelles, collectives et individuelles, que l’employeur a mises en œuvre. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail émet un avis sur ce bilan. »
III (nouveau). – Au 2° du III des articles L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale et L. 732-18-3 du code rural et de la pêche maritime, la référence : « L. 4121-3-1 » est remplacée par la référence : « L. 4161-1 ».
IV (nouveau). – Au 1° de l’article L. 2313-1 du code du travail, après le mot : « concernant », sont insérés les mots : « la pénibilité, ».
V (nouveau). – À la seconde phrase du 2° de l’article L. 4612-16 du code du travail, après le mot : « venir, », sont insérés les mots : « qui comprennent les mesures de prévention en matière de pénibilité, ».
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l’article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons, avec cet article 5, le volet du projet de loi consacré à la pénibilité.
J’ai souhaité prendre la parole sur cet article car, avec Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et plusieurs autres de nos collègues, j’avais cosigné un amendement n° 352 rectifié bis, qui, malheureusement, a fait les frais du funeste article 40 de la Constitution, lequel – vous en conviendrez, mes chers collègues – commence à poser un véritable problème démocratique, dans la mesure où il jugule toute initiative parlementaire.
Cet amendement traduisait une recommandation formulée par la délégation, dans la continuité des travaux menés, en 2012, sur le thème « femmes et travail ». Il visait à assimiler à un facteur de pénibilité les conditions de travail infligées aux salariés, principalement aux femmes, du fait d’emplois à horaires fractionnés et d’amplitudes horaires quotidiennes excessives, égales ou supérieures au double de la durée du travail effectif.
Si vous le permettez, mes chers collègues, je voudrais une nouvelle fois vous alerter sur la situation des femmes de ce point de vue, la pénibilité des emplois féminins restant très largement sous-évaluée, comme l’avait montré le rapport de la délégation auquel j’ai fait allusion.
L’amendement malheureusement déclaré irrecevable tendait à mettre en lumière la pénibilité engendrée par certaines formes de temps partiel, dont on sait qu’il concerne les femmes dans 80 % des cas, notamment les formes marquées par une amplitude horaire quotidienne excessive.
Dans des travaux qu’elle a présentés à la délégation en 2012, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’ANACT, attribuait l’aggravation de la dégradation de la qualité de santé des femmes au travail à deux facteurs principaux : l’organisation du travail que subissent les femmes et les caractéristiques des emplois qu’elles occupent.
À ce titre, le temps partiel joue évidemment le rôle d’une loupe grossissante. Il a ainsi été avancé que le cumul d’horaires atypiques avec des difficultés émotionnelles, des facteurs de stress, l’absence de perspectives d’évolution et l’absence de reconnaissance rendent les conditions de travail des emplois à temps partiel plus contraignantes, affectant la santé morale de ceux qui les subissent.
À cet égard, il est significatif que, si la fréquence des arrêts de travail n’est pas véritablement différente selon que l’on travaille à temps plein ou à temps partiel, la durée de l’arrêt de travail, qui en reflète la gravité, est significativement plus longue pour les emplois à temps partiel.
Rappelons que les femmes sont largement majoritaires dans certains secteurs des services à la personne, notamment le secteur de la santé.
Elles souffrent de maladies professionnelles spécifiques, répertoriées dans la catégorie des troubles musculo-squelettiques, lesquels sont liés à des travaux répétitifs, tels que les postures sur écran ou encore les stations debout ou assise prolongées.
Sur la base de 50 000 pathologies en relation avec le travail, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, qui a animé, ces dernières années, un réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles, a mis en évidence les différenciations importantes existant entre les hommes et les femmes dans l’exposition aux risques : les hommes sont plus exposés à l’amiante, aux risques chimiques ou au port de charges, alors que les femmes sont plus spécifiquement concernées par les mouvements répétitifs, les troubles psychologiques, sujet tabou dans l’entreprise, et les risques managériaux.
Or, l’appareil statistique, sur lequel reposent l’évaluation et donc la prévention des risques au travail, a été constitué pour une organisation « masculino-centrée » des emplois. Ainsi, comme le rappelle Florence Chappert, de l’ANACT, en ignorant les pénibilités et les risques des emplois à prédominance féminine, « les politiques de prévention des risques touchent moins les femmes que les hommes, eu égard à la division sexuée des emplois ».
La chute de cet amendement est, encore, une belle occasion manquée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, sur l’article.
M. Alain Milon. Mes chers collègues, nos collègues députés ont voté, jeudi 10 octobre dernier, la création d’un « compte personnel de prévention de la pénibilité ». Celui-ci permet à tout salarié exposé à des conditions de travail pénibles d’accumuler des points, à convertir en formation, en temps partiel ou en départ anticipé à la retraite.
Si certains se réjouissent de cette instauration, qu’ils considèrent comme une véritable avancée sociale, beaucoup d’autres ne voient dans cette nouveauté qu’une véritable usine à gaz, coûteuse, non maîtrisée et engendrant de nouvelles difficultés. Permettez-moi de relayer leur inquiétude et leur incompréhension.
Des catégories entières de salariés pensent que l’espérance de vie n’est pas la même pour tous. Ayant été durablement exposés à des conditions de travail pénibles, occasionnant une usure physique accélérée, je conçois que ces salariés demandent que ces différences soient prises en compte ! Cela dit, je me permets de rappeler que la réforme des retraites de 2010 avait déjà introduit des départs anticipés pour pénibilité, même si ces derniers ne devaient bénéficier qu’aux salariés souffrant d’incapacité en raison d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité proposé dans le présent texte permettrait à ces salariés de pouvoir partir jusqu’à deux ans plus tôt en retraite, de réduire leur temps de travail en le transformant en temps partiel ou encore d’évoluer vers un poste non pénible grâce à des actions de formation auquel ce compte ouvre droit. Il ne crée donc des droits que pour l’avenir.
Dans ces conditions, il faudra de nombreuses années pour que ces « comptes pénibilité » créent des droits suffisants pour les salariés, et cet outil n’apportera pas de réponse à tous ceux qui, aujourd’hui, parce qu’ils se sentent directement concernés, demandent la mise en place d’une nouvelle réforme. Si la loi leur semble intéressante, elle leur paraîtra encore très complexe.
Que peut-elle prévoir pour ces salariés, proches de la retraite, qui ont été exposés à des facteurs de pénibilité par le passé ? En tout état de cause, elle ne prévoit pas de rétroactivité, alors que de nombreuses personnes sont concernées. Ce point seul fait déjà l’objet d’un débat.
N’est-il donc pas plus judicieux, pour commencer, de préciser la définition exacte de la « pénibilité », après avoir établi, sur cette question, un réel dialogue social avec les différents partenaires sociaux ? Vous en conviendrez, mes chers collègues, la notion de « pénibilité » reste encore floue et imprécise pour beaucoup d’entre nous !
Un tel effort de définition se justifie d’autant plus que les conditions de pénibilité auxquelles les travailleurs sont exposés doivent donner lieu, de la part des employeurs, à la consignation, dans une fiche, pour chacun des salariés exposés à certains facteurs de risques professionnels, de la période au cours de laquelle cette exposition est survenue, ainsi que des mesures de prévention mises en œuvre par le chef d’entreprise pour faire disparaître ou, du moins, réduire ces facteurs.
Nous savons ce qu’est un « accident du travail » ou une « invalidité », nous pouvons définir une « maladie professionnelle ». En revanche, il me semble nécessaire de préciser la notion de « pénibilité », dont les contours seront définis par décret – certains paraissent précis, d’autres ne me semblent pas particulièrement clairs – et devront être soumis à des seuils.
Mon autre inquiétude concerne la maîtrise des dépenses. Toutes les entreprises seront mises à contribution, celles dont les salariés partent le plus en « retraite pénibilité » étant le plus taxées.
Alors que de nombreuses entreprises, notamment les TPE et les PME, rencontrent des difficultés financières, je souligne l’urgente nécessité d’adopter des mesures assurant une maîtrise vigilante de ce dispositif, qui, si on n’en contrôle pas les limites, pourrait leur coûter extrêmement cher et faire retomber une grande partie d’entre elles dans des difficultés similaires à celles rencontrées à l’occasion de la mise en place des 35 heures.
Mes chers collègues, vous en conviendrez, nous parlons plus de compensation que de prévention, ce qui constitue, à mes yeux, une grosse erreur. En effet, il me semble que l’urgence exige de tout mettre en œuvre pour développer les actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, et, certainement, de reprendre les négociations de branches pour permettre l’application d’un dispositif plus proche du terrain. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)