Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Catherine Procaccia.
2. Avenir et justice du système de Retraites. – Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi
Discussion générale : Mmes Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; Christiane Demontès, rapporteur de la commission des affaires sociales ; M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Dominique Watrin, Gilbert Barbier, Jean Desessard, Gérard Longuet, Claude Domeizel, Mme Laurence Cohen, M. Yves Daudigny, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-François Husson, René Teulade, Philippe Bas, Jean-Étienne Antoinette, Roger Karoutchi, Jean-Pierre Cantegrit.
Mme Marisol Touraine, ministre.
Clôture de la discussion générale.
Demande de renvoi à la commission
Motion n° 1 de M. Gérard Longuet. – M. Gérard Longuet. – Retrait.
Suspension et reprise de la séance
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Dominique Watrin, Mmes Isabelle Pasquet, Laurence Cohen.
Amendement n° 25 de M. Dominique Watrin. – M. Dominique Watrin, Mmes la rapporteur, Marisol Touraine, ministre ; Isabelle Pasquet, M. Jean-Pierre Caffet. – Rejet.
Amendement n° 26 de M. Dominique Watrin. – Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, la rapporteur, Marisol Touraine, ministre, MM. Jean-François Husson, Jean-Pierre Caffet, Jean Desessard. – Rejet.
Amendement n° 31 de M. Dominique Watrin. – Mmes Isabelle Pasquet, la rapporteur, Marisol Touraine, ministre ; M. Gérard Longuet. – Adoption.
Amendement n° 18 de Mme Laurence Cohen. – Mmes Laurence Cohen.
Amendement n° 19 de Mme Laurence Cohen. – M. Thierry Foucaud.
Mmes la rapporteur, Marisol Touraine, ministre ; Laurence Cohen, Catherine Génisson, MM. Jean Desessard, Gérard Longuet. – Rejet de l’amendement n° 18.
M. Thierry Foucaud. – Rejet de l’amendement n° 19.
Amendement n° 40 de M. Dominique Watrin. – M. Dominique Watrin.
Amendement n° 246 de M. Gérard Longuet. – M. René-Paul Savary.
Mmes la rapporteur, Marisol Touraine, ministre ; M. Dominique Watrin. – Rejet de l’amendement n° 40.
MM. Gérard Longuet, Jean-François Husson, Jean-Pierre Caffet, Mme Laurence Cohen, MM. Claude Domeizel, René-Paul Savary, Mme Marie-Noëlle Lienemann, M. Jean-Yves Leconte. – Rejet de l’amendement n° 246.
Amendement n° 11 rectifié bis de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Mmes Marie-Noëlle Lienemann, la rapporteur, Marisol Touraine, ministre ; MM. Jean-Claude Lenoir, Jean-Pierre Caffet, Gérard Longuet, Jean Desessard. – Rejet.
Amendement n° 32 de M. Dominique Watrin. – Mmes Cécile Cukierman, la rapporteur. – Rectification de l’amendement.
Mme Marisol Touraine, ministre ; M. Gérard Longuet, Mme Cécile Cukierman. – Adoption de l’amendement n° 32 rectifié.
Amendement n° 33 de M. Dominique Watrin. – Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, la rapporteur, Marisol Touraine, ministre ; M. René-Paul Savary, Mme Catherine Génisson. – Adoption.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Avenir et justice du système de retraites
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (projet n° 71, résultat des travaux de la commission n° 96, rapport n° 95, avis n° 76, rapport d’information n° 90).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. Il est important de répondre au défi de la branche vieillesse de notre sécurité sociale, dans un contexte de grande transformation de la société.
La réforme, pour être à la fois juste et efficace, doit s’inscrire dans notre histoire, marquée par l’attachement profond des Français à notre pacte social. Dans le même temps, elle doit permettre de relever les défis actuels, faute de quoi elle n’apporterait aucune garantie et ne créerait pas de confiance pour l’avenir. Aujourd’hui, la gauche montre qu’une réforme des retraites peut être porteuse de progrès social, de droits nouveaux, tout en apportant des garanties financières.
Les Français sont attachés à la retraite, pour plusieurs raisons.
D’abord, la retraite est un rempart contre l’incertitude. C’est un droit inaliénable. Elle permet à tous les retraités de ne plus être les victimes de la grande pauvreté et d’obtenir « de la collectivité des moyens convenables d’existence », pour reprendre le Préambule de la Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle aujourd’hui.
La retraite, c’est aussi la promesse faite à chaque Français qu’il existe une vie libérée des contraintes du temps après une vie de travail, une vie au travail. C’est la garantie que la fin de la vie active est non pas le début d’une vie sans activité, mais bien la possibilité donnée à tous nos concitoyens d’exercer une autre forme de liberté, de se consacrer autrement à la contribution que l’on doit apporter à notre société. C’est la possibilité donnée à chacun de suivre cette « ligne de vie et d’espoir », selon la très belle formule que Pierre Mauroy a employée ici même, d’inventer un nouvel âge de la vie, celui des loisirs, de la famille, de la transmission, de l’engagement associatif...
La retraite, enfin, est un puissant facteur d’égalité ; nous nous en réjouissons tous. C’est notre système de retraite par répartition qui a permis de rapprocher le niveau de vie des retraités de celui des actifs occupés.
Tout cela, nous le devons à un système mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, grâce au Conseil national de la Résistance, le CNR, dont le génie aura été d’avoir créé un modèle évidemment en phase avec la société d’après-guerre, mais aussi d’avoir forgé des principes universels sur lesquels nous devons prendre appui pour préparer l’avenir.
Alors que s’élèvent des voix pour contester notre protection sociale et prôner le chacun pour soi de la capitalisation, je veux ici réaffirmer avec force mon attachement profond, et celui de tout le Gouvernement, à notre système de retraites par répartition.
Contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, cet attachement n’est pas la marque de l’immobilisme ; l’immobilisme serait le plus sûr chemin vers l’abandon.
La responsabilité du Gouvernement, c’est de regarder les choses en face, avec lucidité. Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons annoncé qu’une réforme s’imposait pour garantir l’avenir de notre système de retraites par répartition et ne pas céder aux sirènes de la capitalisation. Sans attendre, nous avons répondu aux injustices les plus criantes nées des décisions du précédent gouvernement. C’est le sens du décret que j’ai signé au mois de juillet 2012. Il a d’ores et déjà permis à près de 60 000 personnes ayant commencé à travailler dès le plus jeune âge de partir à 60 ans. À terme, 100 000 personnes seront concernées.
La responsabilité du Gouvernement, c’est aussi de répondre avec ambition aux transformations de notre société, à commencer par les transformations démographiques. Les générations du baby-boom vivent plus longtemps, et cela va continuer. Jusqu’en 2060, nous gagnerons une année de vie tous les dix ans. La natalité de notre pays, l’une des plus élevées d’Europe, est une chance. Ce dynamisme démographique est un atout majeur pour l’avenir ; il est porteur de confiance pour notre système social. Pour autant, cela ne nous exonère pas de notre responsabilité immédiate.
Nous vivons plus longtemps. Les conditions de vie et de travail ont évolué et se sont diversifiées.
Souvenons-nous de ce qu’était la société au moment lors de la mise en place de notre pacte social. La grande majorité des enfants quittaient l’école à 14 ans pour aller travailler. Les femmes s’occupaient de la vie domestique et devaient demander une autorisation à leur mari pour exercer un métier. Les couples ne divorçaient pas. Les salariés entraient dans une entreprise après leurs études ou après l’école et la quittaient quatre décennies plus tard, au terme d’une carrière tout entière menée en son sein. Ce « monde d’hier» n’est pas celui que nous connaissons. Qui peut le regretter ?
En ignorant l’évolution de notre société, en niant ces nouvelles réalités, en réduisant la question des retraites à de simples ajustements comptables, les gouvernements précédents ont laissé l’injustice prendre racine. Nous devons désormais adapter notre système de retraites afin de permettre que, pour chacun d’entre nous, les aléas nés de la carrière professionnelle ou de la vie personnelle soient pris en compte. Une réalité simple s’impose à nous : nous ne pouvons tous partir à la retraite dans les mêmes conditions, dès lors que nos vies, personnelles et professionnelles, n’ont pas suivi les mêmes trajectoires.
Alors que les femmes ont des pensions inférieures d’un tiers à celles des hommes, qu’un salarié sur cinq travaille en situation de pénibilité et que les jeunes sont confrontés à la banalisation des stages, il nous faut agir.
C’est pourquoi la lutte contre les injustices est au cœur de notre projet. Toutefois, elle serait vaine si nous ne relevions pas le défi du financement, auquel nos régimes de retraite sont confrontés.
Les réformes qui ont émaillé les vingt dernières années n’ont pas garanti la pérennité de notre système. Faut-il le rappeler ? Voilà trois ans à peine, alors que la crise était déjà là, Éric Woerth promettait « zéro déficit en 2018 ». On ne peut donc pas prétendre que la crise explique la situation et l’effondrement des comptes sociaux ! (M. René-Paul Savary s’exclame.)
Quelques mois après le vote de cette loi, au demeurant injuste,...
Mme Marisol Touraine, ministre. ... la réalité s’impose, implacable : si nous n’agissons pas, le déficit atteindra 20 milliards d’euros en 2020 et plus de 26 milliards d'euros en 2040.
Face à ceux qui prônent la privatisation, nous voulons garantir que notre modèle social ne servira pas de variable d’ajustement.
M. Philippe Bas. Ce n’est pas digne d’un ministre !
Mme Marisol Touraine, ministre. Pour faire face à ses responsabilités, le Gouvernement a fait le choix d’une longue concertation, engagée dès l’été 2012.
En effet, nous avons refusé d’agir comme le précédent gouvernement, qui s’était engagé dans la voie de la force et de la brutalité. (M. Gérard Longuet s’exclame.)
Mme Catherine Procaccia. Décidément, c’est tout en nuances…
Mme Marisol Touraine, ministre. Nous avons consulté, dialogué, discuté. C’est notre méthode pour gouverner. Nous ne pouvons pas faire des choix majeurs pour l’avenir de notre pays sans faire vivre notre démocratie sociale.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. Et, à la démocratie sociale succède la démocratie parlementaire. C’est ainsi qu’une période de débat avec le Parlement s’est engagée. La discussion à l'Assemblée nationale a permis de préciser et de nourrir le texte de la réforme. Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient désormais de poursuivre ce travail, autour de propositions concrètes permettant d’apporter des réponses aux préoccupations de nos concitoyens.
Quels sont les défis financiers que nous avons à relever ? Je l’ai déjà rappelé, le déficit atteindra 20 milliards d'euros en 2020 et 26 milliards d'euros en 2040 !
Pour ce faire, nous avons retenu trois principes.
Premièrement, nous avons décidé de nous inscrire dans un horizon long, pour rompre avec les tentatives de colmatage et de rafistolage menées précédemment. Ainsi, 2040 devient la date d’horizon de notre réforme. Il est indispensable d’offrir davantage de visibilité et de stabilité aux jeunes actifs et de définir les conditions dans lesquelles ils pourront partir à la retraite. C’est le fondement de la confiance.
Deuxièmement, nous avons fait le choix de respecter les projets de ceux qui s’apprêtent à partir en retraite. Dans cette perspective, l’allongement de la durée de cotisation, mesure importante et structurante de ce projet de loi, n’interviendra qu’à partir de 2020, afin…
Mme Marisol Touraine, ministre. … que les Français aient le temps d’ajuster leurs projets.
Troisièmement, nous avons voulu une mobilisation de l’ensemble des composantes de notre société. Toutes les générations, tous les acteurs économiques contribueront. Tous les régimes seront concernés, les régimes spéciaux, comme ceux du public et ceux du privé.
Si nous avons souhaité cette mobilisation collective, c’est parce que, pour nous, les régimes de retraite sont au cœur du pacte social. Et puisque nous sommes collectivement attachés à ce pacte social, il est légitime que chacun apporte sa contribution.
Ainsi, des mesures immédiates de redressement seront prises pour répondre à l’urgence jusqu’en 2020.
Les entreprises et les actifs verront leurs cotisations croître de manière mesurée et progressive.
Les retraités seront également appelés à contribuer. La revalorisation de leurs pensions, à l’exception de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, interviendra le 1er octobre 2014, et non le 1er avril. L’effort est ponctuel, limité et responsable ; contrairement à ce que prétendent certains, le montant des pensions ne baissera pas. (M. Philippe Bas s’exclame.)
Ces contributions représentent assurément un effort, qu’il ne s’agit pas de nier. Mais nous avons un objectif, cesser de faire peser sur les générations futures le poids de l’indécision du passé, et une ambition, ouvrir de nouveaux droits aux salariés d’aujourd’hui.
À partir de 2020, le relais sera pris par l’allongement de la durée de cotisation, qui sera progressivement portée à quarante-trois annuités en 2035.
Puisque nous vivons collectivement plus longtemps, il est normal de travailler un peu plus longtemps. La durée de cotisation augmentera d’un trimestre tous les trois ans à partir de 2020. Cette règle sera inscrite dans la loi, ce qui constitue une garantie.
Désormais, la durée de cotisation devient le socle de notre système de retraites et le principal critère de choix et d’arbitrage pour les salariés. En portant cette durée à quarante-trois annuités à l’horizon 2035, nous prenons acte de la diversité des parcours professionnels et du fait que certains ont commencé à travailler tôt. Il serait donc injuste de faire peser sur leurs épaules un relèvement de l’âge légal de départ en retraite.
Dès lors que nous faisons de la durée de cotisation la variable clé, il est normal de tenir compte de la diversité des parcours professionnels et de vie. La grande nouveauté du texte est précisément d’introduire une variation de la durée de cotisation en fonction des parcours professionnels.
Porter une vision de long terme, c’est aussi en finir avec la navigation à vue des années précédentes, qui a nourri la défiance des Français.
À cet égard, l’instauration d’un mécanisme de pilotage constitue une innovation majeure. Un comité de suivi sera mis en place. Il aura pour mission de formuler des recommandations, qui constitueront un élément essentiel du débat public et permettront de suivre pas à pas les équilibres financiers et sociaux de nos régimes. Pour faire face à d’éventuelles difficultés ponctuelles, le comité pourra recommander des transferts depuis le Fonds de réserve pour les retraites. Cette procédure de suivi doit contribuer à dédramatiser le débat sur les retraites. Le Gouvernement sera interpellé, mais les avis ne s’imposeront pas à lui, puisqu’il conservera in fine sa liberté de décision.
M. Gilbert Barbier. Alors, à quoi servira ce comité ?
Mme Marisol Touraine, ministre. L’objectif de réduction des déficits est décisif, mais il doit servir un projet de société nous permettant de renouer avec le sens du progrès.
Désormais, notre système de retraites tiendra compte de la diversité des parcours professionnels et de leurs conséquences sur l’espérance de vie, qui ne s’allonge pas de la même manière pour tous : celle d’un ouvrier reste aujourd’hui inférieure de six ans à celle d’un cadre. Nous devons pouvoir répondre à cette injustice. Port de charges lourdes dans les métiers du bâtiment ou de la manutention, exposition au bruit, à des températures élevées, à des produits dangereux ou encore travail de nuit, qui touche de plus en plus de femmes… nous ne saurions ignorer ces situations de pénibilité, qui concernent plus de 3 millions de personnes.
Dix critères de pénibilité ont été identifiés et élaborés par les partenaires sociaux. À partir du 1er janvier 2015, chaque Français exposé à l’un de ces facteurs se verra doté d’un compte de prévention de la pénibilité lui permettant de cumuler des points. Un trimestre d’exposition vaudra un point. Lorsque le salarié sera exposé à au moins deux facteurs de pénibilité, il sera crédité pour la même période de deux points.
Ce compte lui permettra ensuite de faire le choix de réorienter sa carrière grâce à la formation, de bénéficier de temps partiel rémunéré à temps plein ou de valider jusqu’à huit trimestres pour le calcul de sa retraite.
Le dispositif de prise en compte de la pénibilité a été précisé et renforcé lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.
Ainsi, le passage à temps partiel au titre de la pénibilité a été facilité : il pourra désormais intervenir tout au long de la vie active.
Les règles transitoires pour les salariés proches de la retraite ont été précisées. Concrètement, les salariés de plus de 52 ans auront davantage la possibilité de convertir leurs points pénibilité en temps partiel ou en trimestres de retraite, et pas seulement en trimestres de formation.
Ce compte sera bien évidemment financé par les entreprises. Nous allons travailler en 2014 à la mise en place d’un dispositif que je veux simple, accessible et pratique. Il s’agit d’en faire un élément non pas de complexité pour les entreprises, mais de simplicité pour l’ensemble du monde du travail.
Notre réforme comporte également des avancées sociales majeures pour les femmes. Elle leur permettra de valider l’intégralité de leurs congés de maternité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Par ailleurs, les femmes sont les premières victimes du temps partiel : à l’avenir, 150 heures de travail rémunérées au SMIC suffiront à valider un trimestre, contre 200 heures actuellement. Au-delà, le Gouvernement a exprimé sa volonté de revoir notre système de droits familiaux, de manière que celui-ci bénéficie davantage aux femmes.
Les jeunes sont confrontés aux difficultés croissantes d’entrée dans la vie active.
Répondre à leurs aspirations, c’est d’abord garantir aux 400 000 apprentis actuellement en formation que tous leurs trimestres de travail en alternance seront validés. C’est ensuite faciliter la validation des périodes de chômage non indemnisé pour ceux qui connaissent des périodes de chômage ou de travail précaire. C’est encore permettre à tous ceux qui travaillent pour financer leurs études de valider plus facilement ces périodes grâce à la réduction du seuil de validation d’un trimestre. Enfin, nous proposons à tous ceux qui ont obtenu un diplôme après le baccalauréat de valider jusqu’à quatre trimestres en cotisant à un tarif préférentiel. Les jeunes pourront recourir à cette aide jusqu’à dix ans après la fin de leurs études.
Le dispositif de rachat aidé a été étendu à deux catégories de travailleurs lors du débat à l’Assemblée nationale : les anciens apprentis et les assistantes maternelles.
J’avais posé deux principes sur les périodes de stage : pas de validation sans cotisation et, surtout, pas de banalisation des stages au regard des contrats de travail.
La loi permettra de valider deux trimestres au titre des stages en contrepartie d’une contribution mensuelle, que j’ai souhaitée limitée et mesurée.
La justice, c’est également prendre en compte la situation des personnes handicapées, ainsi que celle de leurs aidants. Les premiers auront demain plus facilement accès à la retraite anticipée et pourront bénéficier plus rapidement d’une retraite à taux plein. Pour les seconds, nous faisons en sorte que le temps passé auprès d’un proche en situation de handicap soit mieux pris en compte grâce à la création d’une nouvelle majoration d’assurance. Nous ouvrons ainsi l’accès à l’assurance vieillesse des parents aux foyers, quelles que soient leurs ressources, ce qui garantira aux aidants familiaux une continuité dans leurs droits à retraite.
Notre projet s’adresse enfin au monde agricole : les plus faibles pensions de notre pays sont celles des agriculteurs ou, en tout cas, d’une partie d’entre eux. Cette situation exigeait une réponse forte. D’ici à 2017, les plus modestes des chefs d’exploitation verront leurs pensions portées à 75 % du SMIC. Les retraites des femmes d’exploitants seront aussi significativement améliorées.
Enfin, le manque de transparence et de lisibilité de notre système de retraites entretient la défiance de nos concitoyens.
C’est pourquoi j’ai tenu à ce que cette réforme simplifie les conditions d’accès aux informations concernant la retraite et sa liquidation.
Notre système est complexe, et nos régimes de retraite sont nombreux. Les Français réclament une clarification des règles, une simplification des démarches et une transparence accrue des dispositifs.
Aussi chaque Français disposera-t-il désormais de son compte individuel de retraite, qui lui permettra de suivre l’évolution de ses droits et de faciliter l’ensemble de ses démarches. Les règles de calcul et le versement des pensions seront unifiés pour les polypensionnés.
Une fois encore, nous avons été pragmatiques. C’est ce que les Français attendent de nous. C’est ainsi que nous pourrons rétablir la confiance.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la pérennité de notre système social appelle l’engagement de tous. Il faut faire preuve d’audace et accepter de transformer les règles existantes. C’est à vous qu’il appartient, aujourd’hui et dans les jours qui viennent, de prendre la responsabilité d’apporter des réponses concrètes, fiables et pérennes à l’ensemble de nos concitoyens. C’est à vous qu’il appartient de répondre à la demande de justice exprimée par les femmes, les jeunes et ceux qui travaillent dans des conditions pénibles. C’est à l’aune de cette responsabilité que nous pourrons ensemble construire le système social de demain. Je suis certaine que vous ne vous y déroberez pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Christiane Demontès, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites le 23 octobre dernier. À l’issue de ses travaux, elle n’a pas adopté le texte résultant de ses délibérations.
Comme vous le savez, nos discussions porteront donc sur le texte du projet de loi dans la rédaction issue du vote de l’Assemblée nationale.
Avant de revenir plus précisément sur la position exprimée par la commission, permettez-moi de souligner à titre personnel les grandes avancées contenues dans les mesures présentées par le Gouvernement.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, ce projet de loi s’articule autour de trois grandes lignes directrices : le redressement des comptes des régimes de retraite à court terme et la correction de la trajectoire financière de long terme ; la priorité donnée à l’équité, qui exige de mieux prendre en compte les évolutions sociales et la diversité des parcours professionnels dans l’acquisition des droits à la retraite, notamment pour les femmes et les plus jeunes de nos concitoyens ; le renforcement du droit à l’information des assurés et l’amélioration de la coordination entre les régimes.
Premier axe, l’exigence de redressement. Les données du problème sont connues, et le diagnostic est partagé. Depuis les années quatre-vingt-dix, les régimes de retraite sont confrontés à une forte montée en charge des droits acquis, sous l’effet de la démographie. Cette évolution structurelle met en danger la pérennité financière de notre système de retraites par répartition.
L’objectif de retour à l’équilibre, envisagé à l’horizon 2020 par la réforme de 2003, puis à l’horizon 2018 par celle de 2010, ne sera pas atteint en l’absence de mesures nouvelles.
Si, à court terme, la branche vieillesse verra cette année son solde s’améliorer très sensiblement, une nouvelle dégradation de celui-ci interviendrait dès 2014 à législation inchangée. Le déficit conjoint du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, devrait s’élever à 6 milliards d’euros cette année, contre 8,9 milliards d’euros en 2012. Il se creuserait à nouveau dès l’année prochaine, pour atteindre un total de 7,4 milliards d’euros.
À plus long terme, le besoin de financement du système est évalué à 20,7 milliards d’euros en 2020, dont 7,6 milliards d’euros pour le régime général, le FSV, et les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention.
Dans ce contexte, le projet de loi dont nous allons débattre vise à préserver notre système par répartition tout en respectant une exigence fondamentale : demander à tous les Français des efforts modérés et équitablement répartis et organiser une montée en charge des mesures dans des conditions d’anticipation raisonnables.
Je pense en particulier à l’allongement progressif de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Il s’agit de garantir un ajustement de la trajectoire financière dans des conditions que les assurés pourront anticiper et sans brutalité, contrairement à d’autres réformes, pour les générations proches de la retraite.
Cette mesure est juste. Elle s’accompagne de plusieurs dispositifs visant à compenser ses effets pour les personnes exerçant des métiers pénibles, ayant commencé à travailler jeunes ou à carrières heurtées.
Deuxième axe, l’équité. Le projet de loi prend en compte la situation des assurés les plus pénalisés, auxquels les précédentes réformes ont apporté très peu de réponses.
Le texte traduit, et c’est la première fois, par un dispositif universel, le compte personnel de prévention de la pénibilité, le devoir qui incombe à la société de prévenir la pénibilité et d’en compenser les effets. La prise en compte de la pénibilité au cours de la vie professionnelle et dans l’acquisition des droits à la retraite constitue assurément le dispositif phare du présent texte. Elle est l’aboutissement d’un long cheminement entamé voilà plus de dix ans.
En effet, c’est durant les travaux préparatoires de la réforme de 2003 que la pénibilité et ses effets sur l’espérance de vie et la retraite ont été pour la première fois abordés. Les partenaires sociaux engagèrent ensuite une négociation, qui échoua malgré plus de deux ans de travaux, mais qui fixa la liste des facteurs de risques professionnels. C’est sur la question du financement qu’elle achoppa ; les entreprises refusèrent d’y prendre part et renvoyèrent à la solidarité nationale sur des sujets relevant des conditions de travail, de son organisation, mais aussi des besoins de la société, car il est indéniable que le travail de nuit est utile à la collectivité.
En 2010, la définition des dix facteurs de risques professionnels reconnus comme sources de pénibilité, ainsi que l’instauration d’une obligation de tenue, par l’employeur, d’une fiche individuelle de prévention des expositions pour les salariés qui les subissent ont marqué une étape supplémentaire dans la reconnaissance des conséquences des conditions de travail sur la santé après la retraite. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, les hommes qui occupent les professions les plus qualifiées ont, à 50 ans, une espérance de vie en bonne santé très supérieure à celle des ouvriers.
Je le souligne, le dispositif se veut non pas uniquement réparateur, mais également incitatif. Par la formation, les salariés confrontés à la pénibilité pourront faire évoluer leur parcours professionnel et, ainsi, ne pas rester bloqués dans des postes pénibles.
Il est également apporté une contribution essentielle à la concrétisation de l’objectif d’équité, via les mesures en faveur des femmes, des jeunes, des assurés à carrières heurtées – d’ailleurs, ce sont souvent les mêmes –, des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux, ainsi que des retraités agricoles : abaissement du seuil de rémunération permettant de valider un trimestre d’assurance vieillesse de 200 heures au SMIC à 150 heures au SMIC avec report sur l’année suivante du reliquat d’heures, mise en place d’une aide forfaitaire au rachat d’années d’études supérieures, dispositif améliorant les droits à la retraite des apprentis, création d’une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux chargés d’un adulte lourdement handicapé ou encore garantie pour les petites pensions agricoles d’atteindre 75 % du SMIC en 2017.
Troisième axe, la mise en œuvre du droit à l’information. Le projet de loi marque le début d’une nouvelle étape. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des dix dernières années avec l’installation du groupement d’intérêt public, ou GIP, Info Retraite, dont certains d’entre vous ont largement participé à la mise en place. Il est composé de l’ensemble des régimes de retraite obligatoires de base et complémentaires.
Les travaux de ce groupement sont unanimement reconnus. Ils ont d’ailleurs contribué à modifier la conception des jeunes générations dans leur approche de la retraite. L’ensemble des partenaires sociaux et des représentants des régimes de retraite m’ont d’ailleurs confirmé le bien-fondé de l’action de ce GIP lors des travaux préparatoires en commission.
Chaque assuré peut aujourd’hui se voir communiquer un relevé de situation individuelle et obtenir à sa demande un entretien avec un conseiller de sa caisse.
Je souhaite insister sur le spectre d’action très large qui sera donné à l’Union des institutions et services de retraites. Cette dernière reprendra l’an prochain les missions du GIP Info Retraite, sans renier naturellement le travail déjà accompli. D’ailleurs, c’est ce travail qui nous permet aujourd’hui de passer à la phase suivante, mais en l’amplifiant : à l’information des citoyens s’ajouteront la simplification et la mutualisation pour les usagers à travers une coordination renforcée entre régimes.
Je conclus sur la nécessité de redonner confiance dans la faculté des régimes de retraite à remplir leurs objectifs, non seulement financiers, mais aussi sociaux, auxquels, je l’imagine, nous sommes tous profondément attachés.
Le nouveau mécanisme de pilotage annuel du système de retraite prévu à l’article 3 y contribuera efficacement. Il s’agit de mettre un terme aux réformes périodiques sans vision dans la durée. De plus, conformément aux recommandations du rapport Moreau sur l’avenir des retraites, qui a été remis au Premier ministre au mois de juin dernier, le mécanisme permettra de mieux distinguer la phase de diagnostic réalisée dans l’enceinte de dialogue et de concertation que constitue le Conseil d’orientation des retraites, ou COR, de la phase d’expertise technique au sein du nouveau comité de suivi, qui exercera une fonction d’alerte et de proposition. Les tâches seront clairement réparties, et la décision finale appartiendra au Gouvernement et au Parlement.
En tant que rapporteur, j’ai naturellement eu l’occasion de détailler chacun de ces points devant la commission des affaires sociales au cours de la réunion d’examen du texte.
À l’issue du débat général, la commission a adopté quatre articles, dont certains revêtent une grande importance. Je pense en particulier à l’article 2, relatif à l’allongement de la durée d’assurance requise pour l’attribution du taux plein, et à l’article 6, relatif au compte personnel de prévention de la pénibilité. Je constate d’ailleurs, à l’examen des amendements extérieurs, que certains collègues ayant voté dans un sens à la commission des affaires sociales ont pourtant déposé des amendements allant en sens contraire... Mais nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.
La commission a également adopté plusieurs amendements que j’avais proposés pour simplifier la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité et améliorer la gouvernance du système.
Pour des raisons différentes, voire parfois contradictoires selon les formations politiques – nous aurons largement l’occasion de revenir sur ces divergences au cours de la semaine –, la commission n’a pas adopté les autres articles du projet de loi. Elle n’a donc pas non plus adopté le texte résultant de ses délibérations.
J’ai bien entendu les points de vue exprimés par nos collègues de l’opposition, ainsi que par certains groupes de la majorité sénatoriale. Je ne les partage pas tous, mais j’espère que nos débats contribueront à rapprocher nos positions, afin de sauvegarder ce qui pour nous est l’essentiel : les retraites de demain.
Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous rendre compte avant que notre Haute Assemblée n’entame l’examen de ce projet de loi, enrichi et précisé par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
En tant que rapporteur pour avis, je me suis attaché à apprécier la réforme dans sa globalité, en tenant compte à la fois des mesures inscrites dans le présent projet de loi, dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014, ainsi que des mesures réglementaires.
Deux critères principaux ont ensuite guidé mes travaux et les réflexions de la commission des finances : les conséquences financières de la réforme sur les régimes de retraite dans la perspective de leur rééquilibrage, et sa contribution à la consolidation des finances publiques.
Avant de vous présenter les conclusions de ces analyses, permettez-moi de revenir sur quelques constats.
La réforme des retraites de 2010 avait pour objectif de rétablir l’équilibre financier du système en 2018. Toutefois, il est très vite apparu que l’objectif ne serait pas atteint, notamment en raison de la dégradation de la conjoncture économique. Les ressources des régimes de retraite, assises sur la masse salariale, et les dépenses de pensions, indexées sur les prix, sont en effet très sensibles à la croissance. Après un rebond d’activité en 2011, où nous avons atteint 2 % de croissance, nous avons, hélas ! connu une croissance nulle en 2012, et l’année 2013 ne sera guère meilleure.
C’est la raison pour laquelle le Conseil d’orientation des retraites a constaté, dans son onzième rapport, remis au mois de décembre 2012, que le besoin de financement du système de retraites ne serait pas nul en 2018, comme cela était prétendu dans le projet de réforme de 2010, mais qu’il serait de l’ordre de 20 milliards d’euros, soit près d’un point de PIB. En l’absence de réforme, le déficit global des régimes devrait croître régulièrement au cours des prochaines années, passant de 13,2 milliards d’euros en 2011 à 21 milliards d’euros en 2020.
Cette projection de solde du système de retraites repose sur un scénario, dit « scénario B », défini par le COR et retenu par le Gouvernement. Le scénario B retient les hypothèses macroéconomiques suivantes : un taux de chômage à long terme de 4,5 % et une croissance de la productivité du travail de 1,5 %, hypothèse cruciale, puisque, par construction, le pouvoir d’achat des salaires est censé évoluer au même rythme.
Ces deux hypothèses ont fait l’objet d’une discussion nourrie au sein de la commission des finances. Je rappellerai tout d’abord que ces hypothèses correspondent à celles qui sont utilisées par le COR pour établir ses projections en 2010 et qui ont donc présidé à la réforme de 2010. De plus, l’hypothèse de croissance de la productivité correspond à l’évolution moyenne observée depuis le début des années 2000 jusqu’au déclenchement de la crise. Enfin, et je tiens à le souligner il s’agit d’hypothèses de long terme : il est en effet supposé que le taux de chômage effectif convergera progressivement vers le niveau de 4,5 % d’ici à 2030, c'est-à-dire à un horizon de moyen et long termes.
Au-delà de ces hypothèses de long terme, le Gouvernement a réactualisé la projection de trajectoire financière des régimes de retraite établie par le COR, afin de prendre en compte la révision à la baisse des hypothèses de croissance à court terme, ainsi que l’accord conclu entre l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés, ou ARRCO, et l’Association générale des institutions de retraite des cadres, ou AGIRC, du mois de mars 2013, et qui permettra à ces régimes complémentaires de réaliser 3 milliards d’économies d’ici à 2017.
Les perspectives démographiques, quant à elles, sont fondées sur les projections de population réalisées en 2010 par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE. Elles indiquent que la population active continuerait de croître jusqu’en 2025, pour ensuite se stabiliser, avant de repartir à la hausse à partir de 2035. Ainsi, nous devrions connaître une période critique entre 2025 et 2035, au cours de laquelle la population active resterait stable et la population de retraités continuerait à augmenter jusqu’à l’extinction du papy-boom en 2035.
Partant de l’ensemble de ces constats – effets de la crise économique, persistance des déficits, stagnation de la population active à moyen terme, en tout cas entre 2025 et 2035 –, il apparaît à la fois nécessaire et urgent d’agir.
J’en viens à la réforme elle-même. Sa démarche en deux temps correspond au diagnostic établi.
En premier lieu, d’ici à 2020, de nouvelles recettes et des mesures d’économie permettront de réduire le déficit de l’ensemble des régimes de base, dont le régime général, de 8,8 milliards d’euros à 300 millions d’euros, c’est-à-dire de ramener ces régimes pratiquement à l’équilibre en 2020. Dès 2014, le report de la date de revalorisation des pensions au 1er octobre permettra aux régimes de retraite d’économiser 800 millions d’euros ; la hausse modérée et progressive des cotisations vieillesse déplafonnées rapportera 2,2 milliards d’euros. À partir de 2015, le rendement de la fiscalisation des majorations de pensions pour enfants, soit environ 1,2 milliard d’euros, sera intégralement reversé à la branche vieillesse de la sécurité sociale.
En second lieu, une mesure structurelle viendra prendre le relais entre 2020 et 2035. L’allongement de la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans permettra à l’ensemble des régimes de retraite de réaliser des économies substantielles, de l’ordre de 5,4 milliards d’euros en 2030 et de 10,4 milliards d’euros en 2040. À partir de la génération née en 1973, la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein sera de quarante-trois annuités, soit un partage équitable des gains d’espérance de vie à soixante ans entre période de travail et temps passé à la retraite. Ces mesures permettront d’équilibrer durablement les régimes de base à partir de 2020.
Restent les déficits résiduels des régimes complémentaires et des autres régimes de base équilibrés par une subvention, c’est-à-dire les régimes des fonctionnaires et les régimes spéciaux. Pour les régimes complémentaires, il appartiendra évidemment aux partenaires sociaux de définir les conditions de leur retour à l’équilibre sur le long terme. Ils n’éviteront sans doute pas – mais ce n’est là qu’une opinion personnelle – un passage au moins partiel de rendements constants à des rendements décroissants.
La hausse des cotisations et de la durée d’assurance les concernera également les fonctionnaires et les assurés des régimes spéciaux. Afin éviter de faux débats, je rappelle que, pour les fonctionnaires, un alignement du taux de cotisation vieillesse avec celui des salariés du secteur privé est d’ores et déjà mis en œuvre : en 2020, les taux seront identiques entre le public et le privé, soit une augmentation de près de trois points pour les fonctionnaires en l’espace de dix ans.
Pour terminer, je souhaiterais replacer la présente réforme dans un contexte plus large : celui de la consolidation des finances publiques.
Les mesures prévues dans le cadre de la réforme du système de retraites représentent une part substantielle de l’effort structurel prévu au titre de l’exercice 2014. Ainsi, l’effort en recettes de 2,7 milliards d’euros programmé en 2014 repose en grande partie sur les mesures nouvelles entrant dans le périmètre de la réforme, à savoir les hausses de cotisations de retraite et la suppression de l’exonération d’impôt sur le revenu des majorations de pensions, dont l’effet est évalué à 3,4 milliards d’euros.
Il en va de même de l’effort en dépenses. Sur les 15 milliards d’euros d’économies prévus en 2014, 800 millions d’euros résulteront du report du 1er avril au 1er octobre de la date de revalorisation des pensions.
Avec une réduction des déficits de 4,1 milliards d’euros dès 2014 et de l’ordre de 7 milliards d’euros en 2017, la réforme apportera une contribution significative au respect de la trajectoire des finances publiques sur la période de programmation 2012-2017.
La présente réforme participe également à la réalisation de l’objectif de moyen terme de solde structurel, en contribuant à ce que l’équilibre structurel soit atteint en 2017. Au-delà de la fin de la période de programmation, après 2017, la réforme contribuera encore de manière significative au rééquilibrage des comptes publics. L’effet des mesures de redressement devrait atteindre un peu plus de 8 milliards d’euros à l’horizon 2020, tandis que le gain net de la réforme atteindrait un peu moins de 20 milliards d’euros en 2040.
Dès lors, la réforme, en combinant des mesures à différents horizons temporels, représente un pas important vers une plus grande soutenabilité des finances publiques à long terme. Là où la réforme de 2010 limitait son horizon aux huit années suivantes, celle-ci se projette dans les vingt ans à venir et même à l’horizon 2040. Au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base conduisent à améliorer la soutenabilité de 0,5 point de PIB de manière actualisée. Elle est donc équivalente à une amélioration du solde structurel et pérenne de 0,5 point de PIB.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système des retraites a pour objectif, entre autres, de limiter les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, objectif qui a justifié la saisine de notre délégation par la commission des affaires sociales, ce dont nous la remercions. La délégation aux droits des femmes a adopté mardi 22 octobre le rapport que je vous présente aujourd’hui. Il est assorti de onze recommandations.
Nous le savons tous, le niveau des retraites en France se caractérise par des véritables inégalités dans le service des pensions entre les hommes et les femmes ; ce projet vise à les corriger. Nous nous en félicitons, d’autant qu’une telle préoccupation a rarement été prise en compte dans les projets de réforme des retraites examinés au cours des dernières années.
Le rapport de la délégation commente les inégalités en détail, avec un chiffre éloquent : le montant des retraites des femmes représente, en moyenne, 58 % de celles des hommes, si l’on ne considère que les droits propres. En moyenne, une femme retraitée reçoit donc un peu plus de la moitié de ce que perçoit un homme.
Ce n’est qu’en tenant compte des droits familiaux que le montant moyen des retraites des femmes parvient à représenter 72 % de celui des retraites des hommes. Si l’on intègre les droits familiaux, il reste encore une différence de 28 % entre retraites des femmes et retraites des hommes. Cette différence révèle l’insuffisance des droits propres des femmes. C’est là le fil conducteur de notre rapport.
Autre aspect des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, les femmes liquident leurs droits plus tard que les hommes, avec une différence de quinze mois en moyenne.
D’une manière générale, les réformes mises en œuvre depuis vingt ans, en allongeant la durée des cotisations, ont désavantagé les femmes et amplifié les inégalités. Les injustices appliquées à des situations injustes finissent toujours par accroître les injustices. C’est particulièrement vrai pour le calcul de la retraite de base établi sur les vingt-cinq meilleures années, par définition défavorable aux carrières courtes, voire « hachées » que connaissent de nombreuses femmes. Ainsi, pour toutes les mesures ayant visé à allonger la durée de cotisation ou choisi d’autres critères pour le calcul des pensions, rendant plus difficile l’accès à la retraite pour tous, le phénomène a été amplifié pour les femmes.
Toutefois, ce qui est injuste, ce n’est pas le système de retraite ; c’est tout ce qui se passe avant l’accès des femmes à la retraite.
Si les carrières des femmes sont courtes, c’est parce que ce sont le plus souvent elles qui interrompent leur activité pour participer à l’éducation des enfants. Le même problème se pose d’ailleurs quelques années plus tard pour accompagner des parents âgés. Ainsi, les femmes, après avoir eu une partie de leur vie consacrée à s’occuper des jeunes enfants, puis des adolescents, connaissent une petite pause jusqu’à ce que les parents soient eux-mêmes dépendants. À ce moment, ce sont elles qui reprennent le rôle d’entretien des improductifs que l’on identifie depuis l’histoire de l’humanité, ce qui a toujours pesé sur les femmes.
C’est au trois quarts sur les femmes que reposent l’entretien et l’aide aux parents âgés. En rédigeant ce rapport, j’ai même découvert un petit indicateur que je vous livre : il y a davantage de femmes mariées – je parle de femmes mariées non veuves – dans des établissements pour personnes âgées dépendantes que d’hommes mariés. Les femmes mariées gardent leur époux dépendant à la maison, tandis que les époux placent leur femme dépendante en maison pour personnes âgées. (Mouvements divers.)
M. Yves Daudigny. C’est un peu sévère !
Mme Laurence Rossignol. La vie des femmes est une longue addition d’inégalités.
Tout se joue avant soixante ans. Si les carrières des femmes sont courtes, c’est parce que ce sont plus souvent elles qui interrompent leur activité. On pourrait penser que l’accroissement régulier du taux d’activité des femmes devrait permettre aux retraites de femmes de rejoindre celles des hommes de manière spontanée, au fil du temps.
Cependant, et le Conseil d’orientation des retraites l’a fait observer devant la délégation, le maintien d’interruptions de carrière liées à la famille, et principalement aux enfants, va maintenir très longtemps encore un différentiel de 20 % entre retraites des hommes et retraites des femmes. Cela pose la limite de nos perspectives de développement des droits propres des femmes.
Ces interruptions d’activité sont parfois contraintes par l’insuffisance de solutions d’accueil pour jeunes enfants et par leur coût. À cet égard, je souligne, comme le fait la délégation aux droits des femmes à chaque fois qu’elle en a l’occasion, le déficit chronique de places de crèche en France. Un enfant sur deux, soit 800 000 enfants, n’a pas de place dans une structure collective d’accueil. La moitié des enfants sont donc gardés par leur parent, c’est-à-dire, en général, par leur mère. Vous avez là l’explication pour les pensions de retraite amoindries par rapport à celles des hommes que nous retrouverons quelque trente-cinq ans plus tard.
Le travail à temps partiel concerne également de très nombreuses femmes, soit qu’elles le subissent – c’est souvent la seule offre d’emploi qui leur a été proposée – soit qu’elles y ont recours pour mieux concilier travail et contraintes de la vie quotidienne. Or qui dit « travail à temps partiel » dit aussi « salaire partiel », puis « retraite partielle ».
Parmi l’ensemble des facteurs qui vont conduire à une inégalité importante dans les pensions entre les hommes et les femmes, il y a, certes, des carrières « hachées » mais aussi l’immobilisme de l’évolution du partage des tâches domestiques au sein du couple. Aujourd’hui, ce sont toujours les femmes qui assument à 80 % les tâches domestiques, hormis le jardinage et le bricolage, qui relèvent rarement du quotidien… Elles se trouvent donc en permanence à devoir choisir ou combiner les contraintes de la vie quotidienne et le travail.
Si les retraites des femmes sont encore très inférieures à celles des hommes, ce n’est pas qu’une question de durée de la carrière ; c’est aussi une question de niveau de salaire.
Or, comme le rapport le développe, les salaires des femmes restent inférieurs à ceux des hommes. Même en faisant abstraction des facteurs d’inégalité salariale, comme le temps de travail ou les différences de qualification, c’est-à-dire à compétence égale, niveau d’activité égal, poste égal, il reste toujours une différence de 9 % entre les salaires des femmes et les salaires des hommes. Cette situation « inexpliquée » tient à une sorte de préjugé à l’encontre des femmes.
Le constat de ces inégalités au travail nous renvoie à la question de la dévalorisation trop fréquente des activités professionnelles des femmes et à la nécessité d’une révision des grilles de classification professionnelle.
Je mentionnerai à présent un autre aspect des inégalités entre hommes et femmes au travail, même si cela ne se traduit pas par des différences immédiates sur le niveau des retraites. Je fais référence à la prise en compte de la pénibilité, dont les critères correspondent généralement au travail des hommes. Les facteurs définis dans le code du travail devraient être révisés dans un sens prenant en compte la pénibilité au féminin.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur. J’y reviendrai quand j’exposerai les recommandations de la délégation.
Voilà pour le contexte dans lequel intervient le projet de loi. Mme la ministre et les deux rapporteurs qui m’ont précédée à la tribune en ont détaillé les dispositions ; je n’y reviendrai pas. Je concentrerai mon propos sur les onze recommandations adoptées par la délégation le 22 octobre dernier.
La première recommandation vise à réaffirmer la priorité qui doit s’attacher aux droits propres des femmes et à souligner l’importance des lois sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes pour permettre à celles-ci de se constituer des droits propres. Dans cette logique, la délégation a réaffirmé son souhait que des négociations entre partenaires sociaux permettent une refonte des grilles de qualification professionnelle qui ne soit pas discriminante au regard de l’égalité entre hommes et femmes.
La deuxième recommandation vise à assimiler à un facteur de pénibilité les conditions de travail impliquant pour les salariées et les salariés un emploi fractionné avec des amplitudes quotidiennes disproportionnées par rapport au temps effectivement travaillé. À ce stade, il s’agit non pas d’ajouter au code du travail un nouveau facteur de pénibilité, mais de réputer ces conditions de travail assimilées à un facteur de pénibilité. C’est l’objet de l’un des amendements que j’ai déposés avec des collègues de la délégation pour tirer les conséquences de cette recommandation.
La troisième recommandation demande l’établissement de statistiques de pénibilité effectuées sur la base d’une différenciation entre hommes et femmes – pardonnez-moi, chers collègues de l’UMP, mais je crains qu’il ne s’agisse de « genderiser » la pénibilité ! –, ainsi qu’un bilan de l’évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. L’un des amendements que nous déposons concerne cette question. En effet, les dix facteurs de pénibilité définis par le code du travail ne sont pas tous adaptés à la spécificité des emplois féminins.
On objecte généralement le fait que les critères de pénibilité résultent de négociations syndicales.
Pour que ces négociations reflètent la réalité, une autre recommandation vise précisément à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des délégations syndicales appelées à participer à des négociations en matière de pénibilité. C’est l’objet d’un amendement déposé pour tirer les conséquences des recommandations.
La délégation demande aussi que les salariés souhaitant bénéficier d’un temps partiel soient informés des conséquences de ce choix sur leur future retraite, même s’ils ne se préoccupent pas nécessairement de leur retraite en raison de leur jeune âge. Il faut attirer leur attention sur les conséquences de leur choix, par un vecteur d’information qui reste à discuter. Ce pourrait être le relevé de situation individuelle, une mention sur le contrat de travail ou encore une mention sur les offres de travail à temps partiel. En tout cas, il serait bon que le travail à temps partiel soit assorti d’un petit warning : « Attention, le travail à temps partiel nuit gravement à votre retraite. » (Sourires.)
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Une autre recommandation porte sur les horaires atypiques et les emplois fractionnés, qui concernent de nombreuses femmes. La délégation a estimé que les administrations devaient être exemplaires quand elles passaient des marchés publics, afin d’éviter que leurs exigences n’encouragent ce type de conditions de travail. Elle demande que les cahiers des charges intègrent des critères sociaux prenant en compte cette dimension, comme le font déjà certaines administrations et collectivités territoriales, qui autorisent par exemple les prestations de nettoyage à être délivrées pendant les heures de bureau. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC.) On peut tout à fait passer l’aspirateur à ce moment. Il n’est pas nécessaire d’imposer aux femmes de ménage des horaires totalement décalés et difficilement compatibles avec une vie de famille, d’autant que, bien souvent, les femmes de ménage n’habitent pas à côté de leur lieu de travail ; elles doivent donc se déplacer pour venir nettoyer nos bureaux juste avant le début du service des transports en commun.
La délégation a renouvelé son souhait de décourager le recours excessif au temps partiel par une majoration des cotisations patronales.
Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, la délégation demande qu’une étude soit menée pour évaluer les conséquences d’un passage à des modes de calcul des droits à retraite tenant compte des carrières courtes, soit que l’on se réfère non pas aux 25 meilleures années, mais aux 100 meilleurs trimestres – ce n’est pas exactement pareil ! –, soit que l’on « proratise » les meilleures années en fonction de la durée effective de la carrière. C’est la proposition qui a été formulée par nos collègues de l’Assemblée nationale.
En ce qui concerne l’avenir des droits familiaux, la délégation a souhaité donner quelques indications aux futurs auteurs du rapport prévu par l’article 13 du projet de loi. Nous rappelons que les réformes à venir doivent absolument éviter d’encourager l’interruption ou le ralentissement de la vie professionnelle des femmes et proscrire tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Pour le dire simplement, c’est très bien de compenser dans les pensions de retraite les interruptions de carrière et les périodes de temps partiel des femmes, mais il ne faudrait pas que la solidarité interne au régime général, inter-régimes ou même nationale vienne compenser ce qui relève essentiellement d’une solidarité conjugale. Je parle du fait qu’une femme – quand autant d’hommes que de femmes seront concernés, je parlerai de « l’un des membres du couple » – réduise son activité professionnelle pour que son conjoint puisse mener sa carrière sans être entravé par le poids du quotidien. Compenser, oui ; encourager, non !
La délégation a estimé, sans toutefois trancher sur ce point, qu’il était envisageable de transformer la majoration de 10 % pour trois enfants et plus en une prestation forfaitaire, versée dès le premier enfant.
La délégation demande que les droits familiaux soient centrés sur la maternité, pour qu’ils puissent remplir l’objectif originel de compensation des conséquences de la maternité sur la retraite des femmes.
Enfin, pour la délégation, la redéfinition des droits familiaux qui résultera de la prochaine réforme devra trouver un équilibre entre le versement de prestations et la possibilité de partir à la retraite plus tôt. Il faut en effet donner aux individus le choix entre davantage de prestations et davantage de temps de vie.
Tel est, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le point de vue de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi qui nous rassemble aujourd'hui. Certaines des recommandations que j’ai exposées se traduiront par des amendements ; nous pourrons ainsi en discuter plus précisément au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Jean Desessard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réformes des retraites se suivent et, hélas ! se ressemblent.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Celle-ci s’inscrit dans la droite ligne des précédentes, …
M. Jean-Marie Vanlerenberghe … que vous aviez tant décriées, madame la ministre.
Il s’agit d’une énième réforme paramétrique, et non de la réforme systémique que mon groupe appelle de ses vœux depuis 2003. Notre réforme consisterait à mettre en place un régime unique par points ou en comptes notionnels.
En ne jouant que sur les paramètres de l’existant, la présente réforme ne fait que conserver et prolonger l’acquis. Au titre de la conservation, elle ne remet en cause ni l’âge d’ouverture des droits ni celui du taux plein, hérités de la réforme Woerth de 2010. La remise en cause de ces âges était pourtant, me semble-t-il, au programme du candidat Hollande. Au titre de la prolongation, la réforme accroît encore la durée de cotisation, augmente les taux et désindexe partiellement, comme l’ont fait les réformes précédentes.
C’est la raison pour laquelle l’intitulé « projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » est particulièrement trompeur, voire relève de l’imposture. Cette réforme n’est certainement pas de nature à garantir l’avenir du système de retraites, tant son ampleur financière est sous-dimensionnée par rapport aux besoins en jeu. Elle ne peut pas non plus garantir la justice du système, puisqu’elle ne s’attaque en rien à sa complexité, à son opacité, nées de la multiplicité des régimes, et, par conséquent, aux iniquités structurelles qui en découlent.
Je reviendrai sur ces deux points. Sur le plan strictement financier, il est évident que le compte n’y est pas. Le COR, estime que le déficit de tous les régimes est compris entre 20,9 et 21,3 milliards d’euros. Or la réforme ne devrait rapporter que 7,6 milliards d’euros d’ici à 2020, résorbant essentiellement le déficit du régime général et des régimes de base associés.
Je ferai une remarque incidente : on nous explique que la réforme devrait également résorber le déficit du FSV, mais alors, il faut nous préciser par quelle mécanique, puisque les ressources du FSV proviennent pour l’essentiel d’une fraction de la contribution sociale généralisée, la CSG.
La réforme n’affectera que faiblement les déficits des régimes de base de l’État et équilibrés par lui, c’est-à-dire les principaux régimes spéciaux, et des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO. La réforme ne couvrirait donc qu’un tiers du déficit prévisionnel.
Et encore : est-ce garanti ? Ce n’est pas certain, si l’on se réfère aux hypothèses macroéconomiques particulièrement optimistes sur lesquelles se fonde la réforme : d’une part, un taux de chômage diminuant jusqu’à 7,6 % en 2020, puis 4,5 % en 2033, alors qu’il n’est jamais passé sous la barre des 9 % depuis vingt ans ; d’autre part, une croissance de 1,6 % par an en moyenne de 2011 à 2020, alors que son taux sera pratiquement nul entre 2011 et 2014. Cela revient à espérer une croissance de 2,5 % à partir de 2014. Autant rêver !
Bref, les paramètres de la réforme sont bien peu crédibles. Elle n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu. Son ampleur financière est des plus limitées. À titre de comparaison, elle ne représente que le quart du produit de la réforme de 2010 ; vous voyez que je rends justice à cette dernière, monsieur Longuet. Il faudra évidemment une nouvelle réforme avant 2020 : exit la garantie de pérennité.
S’agit-il pour autant d’une réforme juste ? Pas davantage. Ce ne sont pas les quelques mesures de justice qu’elle comporte, dont la plus emblématique concerne la pénibilité, qui en font une réforme juste.
Je reviendrai sur la pénibilité, qui est au cœur du sujet. Bien entendu, nous ne pouvons que soutenir les mesures en faveur des assurés à la carrière heurtée, des jeunes actifs et des femmes ; il vient d’en être question. Je pense en particulier à l’élargissement du dispositif « carrières longues » et à la possibilité de valider toutes sortes de périodes supplémentaires : deux trimestres de chômage, les périodes d’apprentissage, les périodes de formation des demandeurs d’emploi ou encore l’ensemble des trimestres de maternité.
Il en va de même des mesures favorables aux non-salariés agricoles – octroi de points complémentaires, garantie d’une pension minimale de 75 % du SMIC – ou celles qui bénéficient aux assurés handicapés et à leurs aidants.
Cependant, si ces mesures comptent pour leurs bénéficiaires, elles ne représentent pas l’essentiel à l’échelle du système. Elles ne peuvent pas rendre la réforme équitable, dans la mesure où, d'une part, son économie générale ne l’est pas, et où, d'autre part, elles ne s’attaquent pas aux fondements mêmes des iniquités du système.
Je détaillerai ces deux points. Non, dans son économie générale, la présente réforme n’est pas équitable !
Premièrement, elle ne met pas à contribution tous les régimes de la même manière.
Deuxièmement, elle aboutit sans le dire à une baisse nette et substantielle des pensions. Le Gouvernement affirme, et c’est un point important, qu’elle est financée également par les entreprises, les salariés et les retraités : chaque catégorie en financerait un tiers. Il y a là tromperie. En réalité, la réforme met surtout à contribution les salariés, et plus encore les retraités.
Pour apprécier le partage réel des efforts, il convient de coupler les effets de la réforme avec les mesures prises au mois de mars 2013 par les régimes complémentaires. Elles sont censées combler la moitié du déficit prévisionnel de ces régimes à l’horizon 2020.
Les entreprises ne contribueront que marginalement. En effet, pour éviter que la réforme ne pèse sur le coût du travail – c’est une bonne chose, car c’est bon pour l’emploi –, le Gouvernement a annoncé que l’augmentation de la cotisation patronale serait compensée par une fiscalisation partielle du financement de la branche famille. Il devrait en aller de même de la cotisation collective pénibilité. Nous attendons toutefois des éclaircissements, madame la ministre.
Cette neutralisation économique de la réforme est une bonne chose, car elle protège les emplois – elle en créera même peut-être – et contribue à l’équilibre financier général des retraites. Cela signifie que les entreprises ne financeront que l’augmentation de la cotisation employeur du régime complémentaire, pour un coût d’un milliard d’euros.
Les salariés contribueront à la réforme pour une part substantielle, à travers l’augmentation de 0,3 point de la cotisation salariale de base et de 0,1 point de la cotisation complémentaire. Cela représente un coût de presque 3 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 0,4 %.
Pour l’essentiel, les mesures pèseront sur les retraités : fiscalisation de la majoration de pension pour les parents de trois enfants et plus, désindexation partielle des pensions du fait du décalage d’avril à octobre de leur revalorisation sur l’inflation et désindexation totale des pensions complémentaires, soit un coût total de 6 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 2 %.
Dès lors, d’ici à 2020, les entreprises contribueront à hauteur de 10 % des efforts, les salariés à hauteur de 30 % et les retraités à hauteur de 60 %. Le Gouvernement ne le dit pas ; pis, serais-je tenté d’ajouter, il le cache !
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, la tendance devrait encore s’accentuer après 2020 : pour l’essentiel, l’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans devrait se traduire par une baisse des pensions versées. En tenant compte également de leur désindexation, les retraites du privé pourraient baisser de 15 % à 25 % entre 2020 et 2040. Excusez du peu !
La variable d’ajustement est donc bien le niveau relatif des retraites. Parce qu’on doit un minimum de sincérité à nos concitoyens, nous demanderons la suppression des dispositions de report de la revalorisation des pensions.
Troisièmement, la réforme pénalise les familles et les jeunes. Après la menace de la mise sous condition de ressources des allocations, la double baisse du quotient familial et la réduction du congé parental, la fiscalisation de la majoration de pension pour enfants constitue une nouvelle atteinte à la politique familiale. Cette mesure profitera-t-elle pour autant aux retraités ? Il faudrait nous expliquer comment ce serait possible, puisque les majorations de pension sont financées par les caisses d’allocations familiales, les CAF, tandis que le produit de leur fiscalisation sera perçu par le fisc. De plus, en allongeant encore la durée de cotisation après 2020, la réforme pose un sérieux problème d’équité intergénérationnelle.
Le problème est inversé en matière de pénibilité.
Quatrièmement, dernière raison pour laquelle la réforme n’est pas équitable, même sa mesure d’équité la plus emblématique, qui concerne la pénibilité, n’est pas équitable ; seuls les salariés du privé en bénéficieront. Et encore : uniquement ceux qui se seront constitué des droits à partir de 2015.
La réforme n’est donc pas équitable dans son économie générale. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que vous n’arrivez même pas à l’imposer à votre propre majorité, madame la ministre.
Rappelons-le, alors que vous bénéficiez à l’Assemblée nationale d’une confortable majorité, le texte n’y a été adopté qu’à une courte majorité, uniquement par les voix socialistes. Et encore : pas toutes ! Ensuite, il a tout bonnement été rejeté par la commission des affaires sociales du Sénat.
Une telle réforme ne peut pas rendre le système plus équitable. Elle demeure paramétrique, c’est-à-dire qu’elle ne remet pas en cause une architecture générale par nature source d’iniquités. Oui, notre système de retraites est fondamentalement inéquitable !
Aujourd’hui, deux assurés peuvent avoir deux carrières parfaitement comparables et se retrouver avec des droits à la retraite allant du simple au double, tout cela parce que les pensions sont fixées en fonction non pas de la carrière, mais du statut.
L’éclatement du système en une myriade de régimes aux règles différentes ne se justifie plus et crée des injustices qui ne peuvent plus être acceptées.
Seule la réforme systémique que nous appelons de nos vœux depuis plus de dix ans est susceptible d’y remédier. L’objectif final serait de mettre en place, comme cela a d’ailleurs déjà été fait dans plusieurs pays européens comme la Suède, l’Italie ou la Pologne, d’ici à 2030 au plus tard, un régime unique, universel, en points ou en comptes notionnels.
Quelles en seraient les modalités précises ? C’est évidemment à la Nation d’en décider. Mais le septième rapport du COR, daté du 27 janvier 2010, en a déjà détaillé les options et les modalités techniques. L’amendement que nous avons déposé vise à établir un calendrier pour la mise en œuvre de cette réforme : nous souhaitons que, sur la base du rapport du COR, le Gouvernement organise une conférence sociale et un débat national sur cette réforme systémique au premier semestre 2015, pour une mise en œuvre au premier semestre 2017.
En réalité, nous avions déjà fait inscrire le principe d’un tel débat sur ce thème dans la réforme de 2010.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il devait se dérouler au premier semestre 2013. Non seulement il n’a pas eu lieu, mais lorsque je vous ai interrogée sur ce point voilà quelque temps, madame la ministre, vous avez osé me répondre que ce débat national, c’était le rapport Moreau !
Trêve de mauvaise foi : un débat national avec douze fonctionnaires, tous issus de la haute fonction publique, c’est une vraie plaisanterie !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Le débat doit avoir lieu. Et pour ne pas perdre plus de temps, la réforme doit aussi être programmée dans la foulée, parce que c’est la seule manière de garantir la pérennité financière, l’équité et la transparence du système par répartition.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Qu’en savez-vous ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Elle est d’ailleurs plébiscitée par nos concitoyens : selon un sondage Louis Harris du mois de septembre dernier, 73 % des Français se déclarent « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à la convergence des régimes public, privé et spéciaux vers un régime unique. C’est même leur seul point de consensus.
Une telle réforme suppose que quatre facteurs soient réunis : un rapprochement du public et du privé, l’extinction des régimes spéciaux, la mise en place en contrepartie d’un système universel de prise en compte de la pénibilité et l’instauration d’une retraite minimale de solidarité revalorisée. Nos amendements s’articuleront autour de ces quatre axes.
Tout d’abord, un premier pas a été fait sur le rapprochement entre public et privé ; Jean-Pierre Caffet l’a rappelé tout à l’heure. Restent quelques différences notables, difficilement justifiables.
La première d’entre elles est le salaire de référence pris en compte. Le rapport Moreau proposait d’ailleurs de l’élargir dans la fonction publique, quitte à intégrer une part des primes dans le calcul. La proposition mérite d’être sérieusement étudiée. Par ailleurs, il n’est pas normal qu’il n’existe pas de caisse des agents d’État. De plus, les différences de règles en matière de pensions de réversion et d’avantages famille n’ont pas de raison d’être. Il convient de les aplanir, souvent d’ailleurs au profit des agents du public. Enfin, à partir du moment où l’on met en place un système de prise en compte de la pénibilité, les catégories dites d’active n’ont plus de raison d’être.
Ensuite, il est bien évident qu’ils n’ont également plus de raison d’être à partir du moment où la prise en charge de la pénibilité est modernisée et universalisée. En effet, ne l’oublions pas, les régimes spéciaux constituent les réponses d’hier à la pénibilité. Ces réponses sont aujourd’hui obsolètes avec le nouveau régime que nous vous proposons. Si l’extinction de ces régimes est progressive, en sifflet, elle pourrait dans un premier temps s’accompagner d’une accélération du calendrier d’augmentation des durées de cotisation.
Surtout, l’axe majeur d’une telle réforme est la mise en place d’un système universel de prise en compte de la pénibilité. Celui qui nous est proposé dans le présent projet de loi va dans le bon sens. Il constitue bien sûr un progrès par rapport au dispositif mis en place par la réforme de 2010, qui avait tendance à confondre un peu trop pénibilité et invalidité. D’ailleurs, notre groupe avait cherché à l’amender.
Cependant, la réforme proposée est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, et je ne reviendrai pas dessus, elle est peu équitable car elle ne concerne que le privé. Ensuite, comme l’ont souligné toutes les personnes auditionnées, elle est d’une complexité telle que l’on voit mal comment les petites entreprises pourront la mettre en œuvre. Cette complexité se retrouve à tous les stades du dispositif, à commencer par celui de la constitution ou de la reconstitution des périodes d’exposition au risque. Dans ces conditions, comment évaluer le montant de la cotisation ? C’est tout simplement l’applicabilité du dispositif qui est sujette à caution, particulièrement dans certains secteurs comme celui du bâtiment.
Un autre facteur de complexité, auquel il est plus facile de remédier, vient du fait qu’elle confond prévention de la pénibilité et prise en charge de la pénibilité à effet différé. Or cela nous semble à la fois une utopie et une erreur fondamentale.
C’est une utopie, parce qu’un tourneur fraiseur, par exemple, qui a fait ce métier toute sa vie, a beaucoup de mal à se reconvertir pour faire autre chose. Dans les TPE et les PME, vous m’expliquerez comment c’est envisageable.
C’est aussi une erreur conceptuelle, parce que la problématique de la prévention de la pénibilité est liée aux conditions de travail et à la formation professionnelle, mais ne concerne pas les retraites.
En revanche, la prise en charge de la pénibilité à effet différé est bien un problème de retraites, puisque c’est lié à l’espérance de vie. C’est la raison pour laquelle nous vous proposerons un amendement visant à recentrer le dispositif sur cette dernière question.
Enfin, le dernier axe est celui de la solidarité. On présente souvent les systèmes par points ou en comptes notionnels comme moins solidaires et redistributifs, car leur variable d’ajustement serait inévitablement le niveau des pensions. Rien n’est plus faux ! Il est des systèmes par annuité très peu redistributifs, comme aux États-Unis, et des systèmes en comptes notionnels très solidaires, comme en Suède.
Autrement dit, un régime unique par points n’écarte pas par nature la solidarité, bien au contraire. D’ailleurs, même le Gouvernement le prouve en attribuant dans cette réforme des points gratuits aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du régime des exploitants agricoles.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Selon nous, la mise en œuvre d’une telle réforme devrait être précédée d’une revalorisation substantielle de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui a remplacé le minimum vieillesse. Nous déposerons donc un amendement visant à étudier, dans un rapport, les conditions de revalorisation de cette allocation pour qu’elle soit portée le plus vite possible à 75 % du SMIC.
Madame la ministre, notre position sur ce texte dépendra bien sûr du sort qui sera réservé à ces amendements et, surtout, de l’écoute dont vous aurez fait preuve sur la réforme systémique. Peut-être ne serez-vous pas la ministre qui portera ce projet, mais, nous en sommes convaincus, si ce n’est vous, ce sera l’un de vos successeurs. L’idée fait en effet son chemin, certes trop lentement à notre goût, mais le constat est là !
Madame la rapporteur, dans le rapport que vous aviez cosigné avec notre ancien collègue Dominique Leclerc pour le compte de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, en 2010, vous vous y déclariez favorable.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. J’étais juste favorable à l’examen de l’hypothèse !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. À la page 132 de ce rapport, vous proposiez la mise en place à terme d’un régime de base par points qui devait « revêtir le caractère le plus universel possible ». On ne peut pas être plus clair ! Je regrette que vous ayez changé d’avis !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Vous amputez une partie du texte !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Du côté des partenaires sociaux, l’idée fait aussi son chemin. Le MEDEF y est favorable, tout comme la CFTC et la CFDT, même si, en ce moment, cette dernière voudrait le faire oublier. Il en est de même du côté de la CFE-CGC. Et nous ne pouvons que saluer nos collègues de l’UMP, qui ont à leur tour repris cette proposition.
Ce sont autant d’éléments qui confortent notre conviction : la réforme systémique aura bien lieu ! Espérons simplement qu’elle n’aura pas lieu trop tard ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Jean Desessard. Il ne dira peut-être pas la même chose… (Sourires.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourquoi « peut-être » ? (Nouveaux sourires.)
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, rappelez-vous : « Nous, socialistes, proposons une réforme globale, reposant à la fois sur des efforts partagés, une contribution de tous les revenus, y compris ceux du capital, une prise en compte de la pénibilité, l’amélioration de l’emploi des seniors et le maintien de l’âge légal à 60 ans ». Ces mots, mes chers collègues, vous l’aurez compris, ne sont pas les miens ; ce sont bien ceux de Pierre Mauroy en 2010.
Bien que n’étant pas parlementaire à cette époque, je garde le souvenir ému de cet homme, dressé devant vous face à la droite, rappelant combien la retraite à 60 ans a été un « immense espoir de toutes les revendications ouvrières », et combien cette loi phare « restera dans l’histoire de la France. »
Cette profession de foi sur la portée historique, émancipatrice du passage à la retraite à 60 ans, je la partage entièrement. Je regrette que le premier gouvernement de gauche après plus d’une décennie de gouvernements de droite assume lui aussi politiquement ce renoncement à une des conquêtes emblématiques du monde du travail. Je ne peux me résoudre à voir des ministres de gauche, des sénatrices et des sénateurs de la majorité gouvernementale, assumer un tel recul de société en s’appuyant sur le même postulat économique et philosophique que celui que défendait hier la droite et que nous combattions ici même ensemble.
Ainsi, votre réforme serait juste du fait de l’allongement de l’espérance de vie, que l’on sait pourtant précaire en ces temps de crise, surtout s’agissant de l’espérance de vie en bonne santé !
Ainsi, beaucoup d’entre vous s’apprêtent à faire travailler les jeunes jusqu’à 66 ans ou 67 ans, voire plus pour ceux qui réussiront des études longues.
Où est la justice à vouloir imposer à des salariés, déjà usés par le travail, qui subissent la dégradation continue de leurs conditions de travail, des mesures d’allongement de la durée de cotisation ?
Où est la justice à vouloir imposer de nouvelles décotes à des salariés âgés de 52 ans ou 53 ans ou plus, évincés de l’entreprise et parfois licenciés parce que trop vieux, trop chers ? Cela revient uniquement, vous le savez, à les contraindre à accepter des pensions fortement diminuées.
Quel avenir préparez-vous aux salariés à temps partiel, essentiellement des femmes, dont la carrière incomplète se traduira par une réduction des pensions ? Ils sont précaires au travail, et vous les contraindrez à être aussi des retraités précaires.
Pourtant, en 2012, le candidat François Hollande affirmait au Bourget vouloir combattre l’ennemi invisible de la finance.
À peine plus d’un an après son élection, le président François Hollande et sa majorité se disputent avec la majorité d’hier pour savoir laquelle, de la réforme Woerth ou de la réforme Touraine, réduit le plus vite la dépense sociale.
Mme Éliane Assassi. Très juste !
M. Dominique Watrin. Vous l’aurez compris, notre opposition à ce projet de loi est aussi fondée sur un constat : l’austérité n’est pas la solution ; c’est le problème ! La réduction à tout prix de la dépense publique et sociale que vous assumez, dans la lignée des gouvernements précédents, ne fait qu’aggraver la crise. En entraînant des destructions massives d’emplois, elle provoque une chute drastique des cotisations sociales perçues, ce qui conduit aux déficits de la branche maladie et de la branche vieillesse, entraînant au final de nouvelles mesures récessives. Tout cela nous précipite dans un cercle vicieux, aux antipodes des aspirations des Français qui ont porté François Hollande au pouvoir.
Il faut dire que, en la matière, le Président de la République a donné le ton : sitôt élu, il a renoncé à renégocier le pacte de stabilité européen, qu’il condamnait la veille. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que M. Barroso ne se gêne pas aujourd’hui pour rappeler à la France l’exigence de mesures d’austérité significatives, notamment en matière de retraites.
Je le sais, madame la ministre, nous divergeons sur ce point, puisque vous considérez que cette réforme ne s’inscrit pas dans une politique d’austérité. Les retraités jugeront d’eux-mêmes. Ils subiront une perte de leur pouvoir d’achat avec l’article 4, qui reporte de six mois la date à laquelle leurs pensions seront réévaluées : 850 millions d’euros en 2014 et 2,4 milliards d’euros en 2015 seront ainsi ponctionnés sur les pensions de retraite, le plus souvent déjà trop maigres.
Par ailleurs, selon vous, l’allongement de l’espérance de vie justifierait un allongement de la durée de cotisation. Mais cette raison n’est, pour nous, qu’un leurre ! Ce n’est pas essentiellement parce que les Français vivent plus longtemps que les comptes sociaux sont dans le rouge ! C’est parce que les politiques successives menées depuis plusieurs décennies contre l’emploi et les salaires, au nom de la liberté d’entreprendre puis de la compétitivité, ont privé la sécurité sociale des financements dont elle a structurellement besoin ! Le déficit de la sécurité sociale est, d’abord, un déficit artificiel et fabriqué.
Et, là encore, malheureusement, votre politique ne rompt pas avec celle qui a été conduite précédemment par la droite. Rappelons-le, chaque année, près de 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, dont une partie n’est pas compensée, sont accordés aux employeurs.
Ce mécanisme, introduit par M. Fillon, est particulièrement pernicieux, car il encourage les patrons à sous-payer leurs salariés. En effet, plus les salaires sont proches du SMIC, plus les réductions de cotisations sont importantes. Ainsi, si l’on ajoute exonérations et exemptions d’assiettes, tous les ans, ce sont plus de 100 milliards d’euros qui échappent au financement de notre système de protection sociale, dont une bonne partie au financement des retraites.
Au contraire, nous proposons – car nous faisons des propositions sur lesquelles je reviendrai – de mettre en place un système intelligent de cotisations sociales qui favorise les entreprises qui agissent pour l’emploi, la formation, les salaires, et qui pénalise les autres.
Il faut rappeler fortement que, contrairement à une idée trop souvent véhiculée aujourd’hui, notre pays n’a jamais été aussi riche. Depuis trente ans, le PIB, a été multiplié par deux. Et grâce à quoi ? Aux gains de productivité, aux sacrifices et à la précarisation du travail subis par les salariés !
En revanche, la répartition des richesses entre capital et travail n’a cessé d’évoluer, toujours au détriment de la rémunération des salariés et, donc, mécaniquement, du financement de notre système de protection sociale. Ainsi, nous le disons souvent, la part de richesses qui a bénéficié au capital sous la forme de versement de dividendes a augmenté par rapport à celle qui a profité aux salaires : 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros, ont été dédiés à la finance. Vous persistez pourtant à épargner ces revenus et à faire porter la totalité des sacrifices sur les salariés actifs et sur les retraités.
C’est donc dans la droite ligne de cette politique que s’inscrit l’engagement, que nous déplorons, pris par le Gouvernement devant les patrons réunis en université d’été de compenser la hausse des cotisations patronales pour la branche vieillesse par une réduction de cotisations sociales pour la branche famille. Ainsi, votre réforme n’est ni juste ni équilibrée !
Pourtant, une autre réforme des retraites est possible, une réforme qui ne pénalise ni les salariés, ni les retraités, ni, surtout, notre jeunesse. François Hollande affirmait vouloir faire des jeunes sa priorité et demandait à être jugé sur les mesures qu’il prendrait à leur égard.
À ce stade, ce que nous retenons du présent projet de loi, c’est que son adoption aura pour effet de retarder leur entrée dans la vie active, de repousser l’âge auquel ils signeront leur premier contrat à durée indéterminée, de prolonger une précarité qu’ils subissent déjà trop injustement, et de les pénaliser au moment de la retraite, au risque de rompre le contrat de solidarité entre les générations.
Certes, madame la ministre, vous n’introduisez aucune mesure remettant directement en cause le principe de retraite par répartition auquel nous sommes attachés. Pourtant, vous confiez à un comité de suivi le soin de formuler des recommandations, notamment sur la proposition qui consiste à faire varier le montant des pensions en jouant sur le taux de remplacement. Naturellement, le Gouvernement ne sera pas obligé de mettre en œuvre ces simples recommandations.
Toutefois, l’inscription de ce principe dans la loi ne peut que nous conduire à nous interroger. Car certains à gauche, y compris ici même, au Sénat, soutiennent l’idée d’un basculement du régime actuel dans lequel le calcul des pensions s’effectue sur la base des droits individuels cumulés par les salariés, vers un régime dans lequel un gestionnaire pourra ajuster le niveau des pensions en fonction d’un montant prédéfini, jugé « économiquement » souhaitable.
De la même manière, vous rendez possible le déblocage anticipé du Fonds de réserve pour les retraites, ce qui traduit, vous l’avouerez, le peu de confiance en votre réforme pour sortir durablement les comptes sociaux de la situation de crise qu’ils connaissent !
Durant le débat, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’auront de cesse de porter une autre ambition collective, celle de redonner à la jeune génération confiance en notre système par répartition, tout en refusant le recul de société qui se prépare pour les classes populaires.
Cela nécessite des mesures d’urgence, à commencer par la taxation des revenus financiers des entreprises qui, à ce jour, ne participent pas au financement de notre protection sociale. Les actionnaires, les rentiers, les spéculateurs ont accaparé des milliards d’euros initialement destinés aux travailleurs.
Cette dérive du financement de notre économie contribue à faire pression sur les salaires et entraîne des destructions massives d’emplois. Soumettre ces revenus à cotisations sociales constituerait non seulement une mesure de justice, qui rapporterait entre 20 et 30 milliards d’euros pour la seule branche vieillesse, mais aussi le levier économique le plus efficace en vue de mettre fin à l’hémorragie d’emplois et, donc, de cotisations sociales.
Cela étant, le financement de notre système de sécurité sociale appelle également des mesures à plus long terme. Pour assurer un financement pérenne des retraites et d’un haut niveau, il faut assurer une augmentation significative de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons de moduler le taux des cotisations patronales de telle sorte que la Nation incite les entreprises à préférer la rémunération du travail à celle du capital.
Nous proposons également de mettre fin aux exonérations générales de cotisations sociales et de réduire les aides publiques à destination des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
Madame la ministre, le 7 septembre 2010, lors de la présentation d’une motion de rejet préalable du projet de loi Woerth-Sarkozy portant réforme des retraites, vous affirmiez, dès le début de votre intervention : « Vous faites des mesures démographiques le socle unique de votre projet ; nous pensons qu’une réforme durable passe aussi par la recherche de nouvelles ressources et la relance de l’emploi. »
C’est parce que nous partageons toujours vos propos de 2010 que nous ne pouvons que refuser le projet de réforme que vous défendez ce jour. En effet, non seulement celui-ci valide les reculs successifs de la droite, mais de surcroît il les aggrave en imposant, notamment, une énième augmentation de la durée de cotisation. Ce faisant, vous jetez encore plus aux oubliettes cette formidable conquête sociale qu’est la retraite à 60 ans à laquelle, pour leur part, les parlementaires communistes restent attachés.
Certes, vous me répondrez que, pour la première fois, un projet de loi portant sur les retraites traite de la question de la pénibilité sous un angle autre que celui de l’invalidité, prévoit des droits nouveaux pour les stagiaires, contient quelques avancées du point de vue des années d’études, de la prise en compte de la précarité extrême, de la maternité.
M. Claude Domeizel. C’est vrai !
M. Dominique Watrin. J’en conviens, mais on ne peut pas en rester aux dispositions contenues dans votre texte, parce qu’elles sont trop limitées et insuffisantes.
C’est pourquoi le groupe CRC ne ménagera pas ses efforts et proposera des améliorations significatives sur ces différents points, même si, nous le savons, toutes les mesures de progrès que nous vous soumettrons sont de nature sinon à changer les grandes lignes de votre projet, au moins à les atténuer.
C’est une tout autre ambition autour de laquelle la gauche a besoin de se rassembler, comme le collectif La retraite : une affaire de jeunes nous y invite.
En conclusion, c’est une faute politique d’imposer à la jeunesse de si sombres perspectives, alors que la richesse financière de notre pays n’a jamais été aussi grande ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également, de même que Mme Marie-Noëlle Lienemann.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà, avec ce projet de loi, dans un nouvel épisode du « feuilleton retraites ».
Depuis la réforme Balladur de 1993, qui a porté de 37,5 à 40 le nombre d’annuités requis pour obtenir une retraite à taux plein, plusieurs textes se sont en effet succédé en 2003, 2007 et 2011. Force est d’admettre que chacune de ces réformes s’est révélée partielle et incomplète. La dernière n’aura pas suffi à garantir la pérennité financière de l’ensemble des régimes de retraite, puisque l’on évalue le déficit de ces derniers à plus de 20 milliards d’euros à l’horizon 2020, dont 8,7 milliards d’euros pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux.
Il est clair que la crise économique persistante que nous connaissons modifie considérablement les prévisions d’alors. Peut-être aussi n’a-t-on que trop écouté Michel Rocard qui, en présentant le Livre blanc sur les retraites en 1991, prédisait qu’une grande réforme en ce domaine serait de nature à faire sauter plusieurs gouvernements…
Les gouvernements de gauche se sont donc tout bonnement abstenus d’agir et les gouvernements de droite, malgré un courage certain et une bonne volonté, se sont contentés de corrections de trajectoire au lieu d’engager une réforme d’ampleur, qui aurait clos le sujet une bonne fois pour toutes. Je le dis sans ambages, car, en 2003 comme en 2010, j’avais alerté sur l’insuffisance des mesures.
Aujourd’hui, c’est la gauche que l’on trouve à la manœuvre sur cette question. Jusqu’à présent, elle en parlait souvent, critiquait les réformes proposées sans remettre en cause, d’ailleurs, les dispositifs adoptés lorsqu’elle en avait l’occasion. En effet, malgré vos critiques véhémentes, chers collègues de la majorité, vous n’avez pas révisé la réforme Balladur et, quoi que vous en disiez, vous ne revenez pas, au grand dam de l’orateur qui m’a précédé, à la retraite à 60 ans, contrairement à l’engagement du candidat Hollande.
M. Jean Desessard. C’était le candidat !
M. Roger Karoutchi. Vous aussi, vous l’avez remarqué !
M. Gilbert Barbier. Mais peut-être est-ce heureux…
Le nouvel épisode du feuilleton que vous nous proposez n’échappe pas aux canons du genre. Pis, il semble avoir été guidé par un impératif, celui d’éviter les cortèges de mécontents, qui a conduit à reporter notamment sur les retraités, qui ne défilent jamais, le poids d’une grande partie du déficit !
Vous avez choisi d’allonger la durée d’assurance de 41,5 à 43 annuités. À mon sens, cette mesure est la moins lisible, pour ne pas dire invisible, pour les assurés ; mais sans doute est-ce volontaire ! Cette manière de faire est surtout utopique et peu honnête à l’égard des jeunes générations !
Car un salarié qui aura commencé à travailler à 23 ans ne pourra prendre sa retraite qu’à 66 ans pour percevoir une pension à taux plein, alors que vous claironnez que l’âge légal de départ à la retraite demeure 62 ans. Vous prenez le risque que des Français ne cessent leur activité à cet âge tout en subissant une décote et, donc, une baisse significative du montant de leur pension.
Finalement, en refusant de toucher à cet âge légal, vous favorisez les plus aisés, ceux qui auront pu capitaliser ailleurs et pourront, contrairement aux plus modestes de nos concitoyens, supporter cette décote. Je ne pense pas que ce soit le vrai sens de la justice !
Personnellement, et je l’ai toujours indiqué, j’estime qu’il faut avoir le courage de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, tout en prévoyant, évidemment, des dérogations raisonnées applicables à ceux qui ont commencé à travailler tôt. Certains de nos voisins l’ont fait, sans que les syndicats ou la population y voient une remise en cause d’un droit légitime de chacun : ils ont bien compris qu’il s’agit d’être réaliste et cohérent eu égard à l’écart croissant entre la durée de la vie et celle de l’activité professionnelle.
Le vrai progrès social consisterait non pas à permettre un départ rapide à la retraite, mais plutôt à rendre la période de travail moins pesante, voire plus gratifiante, en particulier en fin de carrière. C’est pourquoi nous devons améliorer les conditions de travail, l’accompagnement des carrières et la formation tout au long de la vie.
Vous allez me rétorquer que vous répondez à cette exigence avec le compte personnel de prévention de la pénibilité. L’exercice de certains métiers pénibles peut avoir des effets à long terme, irréversibles sur la santé et entraîner de grandes différences en matière d’espérance de vie.
Bien évidemment, il faut traiter ces inégalités et, lorsqu’elles sont avérées, compenser cette usure par le travail.
Mais vous nous demandez, une fois de plus, d’adhérer à un dispositif sans nous décrire précisément son mode de fonctionnement et, surtout, sans nous fournir de véritable étude d’impact. À cet égard, les petites entreprises sont légitimement inquiètes des charges administratives et financières induites par votre dispositif, surtout dans le contexte économique actuel.
Par ailleurs, comme l’a souligné à juste titre le Conseil d’orientation des retraites dans son rapport du mois de janvier dernier, « il ne revient pas au système de retraite de régler la totalité des questions liées à la pénibilité au travail par un système de compensation systématique et l’approche à privilégier est celle de la prévention et du traitement de ces situations de pénibilité au moment où elles se produisent », et ce à titre individuel selon moi.
À chaque réforme, on a tendance à faire peser sur le système de retraite les dysfonctionnements ou les inégalités qui relèvent le plus souvent des entreprises ou du marché du travail. Ainsi, vous prévoyez des compensations pour les seniors, les femmes, les jeunes actifs, les assurés ayant eu une carrière heurtée, les non-salariés agricoles, les assurés handicapés et leurs aidants... Ces mesures répondent à des situations réelles, j’en conviens, mais celles-ci devraient être réglées partiellement en amont.
S’agissant des femmes, le problème, qui a été largement évoqué, est dû au fait qu’il persiste un insupportable différentiel entre elles et les hommes en termes de rémunération, et qu’elles occupent des emplois à temps partiel souvent non choisi.
De la même manière, la France se distingue par son faible taux d’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans. Or ce sont les conditions de travail, économiques, sociales, sociologiques, qu’il faut réformer !
Vous prétendez corriger un certain nombre d’inégalités. Mais qu’en est-il de la convergence entre les différents régimes, régime privé, régime public, régimes spéciaux ? Les Français doivent avoir le sentiment que les mêmes règles s’appliquent à tous. Sinon, la confiance dans le système est minée.
Malgré les réformes des dernières années, des disparités majeures subsistent – je l’admets –, qui alimentent régulièrement la chronique, avec vérités ou fantasmes. Nous devons aborder cette question dans un esprit de responsabilité. Disant cela, je m’adresse aussi bien à ceux qui cherchent à opposer les uns aux autres qu’à ceux qui s’accrochent à un « contrat » initial souvent dépassé.
Vous l’avez dit, madame la ministre, les efforts devront être partagés par tous. Une réforme qui épargnerait certaines catégories de salariés ne serait pas comprise. Le rapport Moreau proposait, notamment, de rapprocher les règles de calcul des pensions de la fonction publique de celles du secteur privé. Qu’en avez-vous fait ?
Je pourrais parler aussi du nouveau mauvais coup porté aux retraités, après la ponction de l’an dernier, ou encore de l’augmentation du taux des cotisations des actifs et des employeurs : cette mesure me paraît moins pertinente que la hausse de la CSG, qui permettrait de combler le déficit de ce régime plus facilement. J’y reviendrai lors de l’examen des articles.
Pour conclure, vous l’aurez compris, je ne suis pas convaincu que votre réforme suffise à ouvrir des perspectives durables. Son impact net est évalué à 8,1 milliards en 2020. On est bien loin du compte !
Les gouvernements ont choisi jusque-là de « feuilletonner », avec une succession d’ajustements paramétriques. Or ce qui est gênant dans les mauvais feuilletons, c'est qu'il faut d’ores et déjà appréhender l’épisode suivant... Le temps est peut-être venu d’un dénouement avec une véritable réforme qui remette à plat l’architecture de notre système de retraite, en recherchant cohérence et lisibilité pour les assurés.
C’est aujourd’hui, malheureusement, encore une occasion manquée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, en 2010,...
Mme Muguette Dini. C’était hier !
M. Jean Desessard. ... M. Karoutchi et d’autres...
M. Roger Karoutchi. Je n’ai rien dit !
M. Jean Desessard. Aujourd’hui non, mais à l’époque si ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. En 2010, j’étais ambassadeur. J’avais un devoir de réserve diplomatique ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean Desessard. Vous nous promettiez une loi qui devait résoudre les problèmes pour longtemps.
Nous avions prédit, pour notre part, qu’il faudrait remettre l’ouvrage sur le métier assez rapidement. C’est chose faite !
Mme Muguette Dini. Et on y reviendra encore !
M. Jean Desessard. C’était ma conclusion, ma chère collègue ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Pas si court ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Nous avions donc dit, à l’époque, que la réforme n’allait pas résoudre tous les problèmes.
Le débat avait alors duré trois semaines, samedis et dimanches compris. J’avais même appris l’existence, grâce au sénateur Fischer, de la convention collective des ouvriers chapeliers, et de bien d’autres professions. (Exclamations amusées.) Nous avions bénéficié d’une bonne formation sur les conditions de travail dans le monde ouvrier et sur l’état des droits à la retraite dans nombre de métiers...
La différence, cette fois, c’est que la réforme est proposée par un gouvernement de gauche, qui comprend des ministres écologistes. Cela se voit tout de suite !
J’en veux pour preuve l’affirmation, à l’article 1er, de notre attachement au système de retraite par répartition.
M. Roger Karoutchi. J’y suis attaché, moi aussi !
Mme Muguette Dini. Nous aussi !
M. Jean Desessard. On croit généralement que le système de retraite par répartition est redistributif. Or ce n’est pas le cas, dans la mesure où les montants des pensions sont fixés en fonction des cotisations versées, un dispositif qui reproduit ainsi la hiérarchie des salaires : celui qui a beaucoup gagné et cotisé gagne encore beaucoup à la retraite.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Ce n’est pas vrai, il y a le plafond...
M. Jean Desessard. À l’échelon individuel, le système n’est donc pas redistributif. Au niveau collectif, en revanche, il existe des correctifs : l’État compense les petites retraites et aide ceux qui, sans son intervention, ne toucheraient pas de pension. Surtout, le Parlement fixe la part du PIB consacrée aux retraites qui, en 2012, s’élevait à 14,4 %.
Plusieurs facteurs nous conduisent à nous interroger, aujourd’hui, s’agissant de la réforme des retraites.
L’augmentation de l’espérance de vie est le principal argument avancé.
Certes, l’espérance de vie après 60 ans est passée de dix-sept à vingt-cinq ans entre 1950 et 2012. Cette augmentation devrait néanmoins peu à peu s’amoindrir, eu égard aux limites biologiques.
M. Jean Desessard. Selon nous, écologistes, il n’est pas certain, compte tenu du mode de vie actuel, de la mauvaise alimentation et de l’ensemble des pollutions que nous subissons et qui favorisent l’augmentation des cancers, que cette espérance de vie continue à augmenter. Au contraire, on peut s’attendre, dans les années qui viennent, à une inversion de tendance. Nous en reparlerons...
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Quel oiseau de mauvais augure ! C’est la fin du monde... (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Bien sûr, les écologistes sont des pessimistes ! Mais je n’ai pas parlé de fin du monde, monsieur Caffet : j’ai dit qu’il fallait faire attention. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
Les prédictions de l’INSEE et du Conseil d’orientation des retraites prévoient ainsi un allongement d’un an seulement par décennie dès aujourd’hui.
M. Jean Desessard. Les calculs des écologistes sont encore plus pessimistes.
L’impact financier est également limité. Selon une étude de la CNAV, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, l’effort financier sur les retraites du régime général s’élèvera en 2017 à 17,1 milliards d’euros, sur lesquels – les chiffres deviennent alors intéressants ! – 11,8 milliards d’euros sont liés au papy-boom et 3,4 milliards d’euros aux retraites anticipées ; seul 1,9 milliard d’euros pourra être imputé aux gains d’espérance de vie, soit un peu plus de 10 %.
Le facteur déterminant pour les retraites, ce n’est donc pas l’espérance de vie, mais le papy-boom !
M. François Trucy. C’est pareil !
M. Jean Desessard. Non, c’est une question de démographie ! L’espérance de vie, cela signifie que chacun d’entre nous vit plus longtemps. Quant au papy-boom, il désigne le nombre important de personnes qui partent à la retraite.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Jusqu’en 2035 !
M. Roger Karoutchi. Il faut aider la politique familiale...
M. Jean Desessard. À l’heure actuelle, en effet, 800 000 personnes font valoir leur droit à la retraite chaque année, contre seulement 500 000 en 2001.
Ce problème avait été anticipé de longue date par le gouvernement de Lionel Jospin (Exclamations sur les travées de l'UMP.),...
M. Roger Karoutchi. Un rapport, peut-être ?...
M. Jean Desessard. ... qui, s’inspirant de mesures similaires instaurées en Suède, en Espagne ou au Japon, avait mis en place un organisme dédié à cet effet : le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, destiné à accumuler des fonds jusqu’en 2020 pour faire face au déséquilibre démographique.
Mais ce fonds n’a pas été correctement doté. En 2010 – vous savez qui était alors au pouvoir ! –,...
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La droite !
M. Jean Desessard. ... le montant des actifs s’élevait à 33 milliards d’euros, soit seulement 10 % de l’objectif initial à l’horizon 2020, fixé à 300 milliards d’euros.
De plus, le précédent gouvernement a fait le choix de ponctionner ces réserves pour alimenter la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, bouleversant ainsi le calendrier prévu de près de dix ans.
On l’avait pourtant prédit, mais on n’en a pas tenu compte !
M. Gilbert Barbier. Cela continue, d’ailleurs...
M. Jean Desessard. Quel est l’impact réel du papy-boom ?
Selon un rapport du COR, si la part des personnes âgées de plus de 60 ans dans la population totale passe de 23 % en 2010 à 31 % en 2035, ce pourcentage devrait sensiblement rester le même jusqu’en 2060. Autant dire qu’une fois passée une période difficile, on y verra clair plus tard ... (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Gilbert Barbier. Quel visionnaire !
M. Jean Desessard. Ensuite, l’augmentation de la productivité nous permet de tempérer ce constat négatif.
Entre 1960 et 2000, la productivité horaire a été multipliée par trois. Cette tendance se poursuivra à l’avenir avec les nouvelles technologies, comme la robotique pour le secteur secondaire.
Enfin, soyons positifs : la retraite ne peut plus être considérée comme une période d’inactivité. Les seniors consomment...
M. Roger Karoutchi. Avant la retraite aussi !
M. Jean Desessard. ... et participent donc à l’économie. Si l’on réduit le montant de leur pension, c’est autant d’argent en moins qui circulera.
Certes, l’argent des seniors qui passent six mois à l’île Maurice, au Portugal ou au Maroc ne profite guère à la vie économique de l’Hexagone.
M. Roger Karoutchi. Ils ne sont pas nombreux !
M. Jean Desessard. Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, se pencher sur cette question...
Mme Muguette Dini. Il faut les empêcher de partir ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Retirez-leur leur passeport ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Exception faite de ces cas, les seniors, je le répète, consomment, travaillent, aident, participent à l’économie. Souvent, aussi, ils exercent des activités bénévoles, importantes et même nécessaires, qui contribuent à la citoyenneté.
Ce qui pèse le plus aujourd’hui sur le déficit de notre système de retraite par répartition, vous le savez, mes chers collègues, ce sont le chômage (Exclamations sur les travées de l'UMP.)...
Mme Muguette Dini. Évidemment !
M. Jean Desessard. ... et une croissance quasiment inexistante.
Je ne reprendrai pas les termes de l’excellent plaidoyer du groupe CRC. Augmentation de 10 points de la rémunération du capital, 30 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales : corriger toutes ces mesures permettrait de financer les retraites sans que l’on ait besoin d’aller chercher l’argent ailleurs, en particulier en diminuant le montant des petites pensions.
Cela étant, notre système de retraite par répartition recèle plusieurs dysfonctionnements et inégalités qu’il nous faut combattre dès aujourd’hui.
Notre collègue Laurence Rossignol l’a très bien expliqué, les femmes sont victimes, du point de vue des droits à la retraite, d’une véritable discrimination. En effet, la retraite moyenne qu’elles perçoivent s’élève à 72 % de celle qui est touchée par les hommes.
Si l’on se penche sur les retraites complémentaires, les chiffres sont encore plus alarmants : pour le régime ARRCO, la pension moyenne des femmes représente 58 % de celle des hommes, et pour le régime AGIRC, seulement 40 %. Nous devons lutter contre cette discrimination.
De plus, notre mode de calcul des retraites laisse peu de place à une réelle prise en compte de la précarité. Sont en effet validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures rémunérées au SMIC. Cette disposition ne permet pas aux assurés exerçant une activité à temps très partiel, à faible durée de travail ou à faible revenu de valider quatre trimestres dans l’année. Or nous savons que la précarité augmente.
Enfin, le système de retraites français est d’une complexité rare : il existe plus de 600 régimes de base et 6 000 régimes complémentaires. L’évolution du marché de l’emploi et la fin des carrières uniques nous incitent à réfléchir à des mesures de convergence entre les régimes, pour que la diversité et la richesse des parcours ne soient plus un obstacle.
Mme Catherine Procaccia. On en est loin avec ce texte !
M. Jean Desessard. Pour ce qui concerne l’article 2, nous considérons, madame la ministre, que la mesure qu’il comporte est inadaptée et injustifiée. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Comment expliquer aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils vont devoir travailler jusqu’à 67 ans s’ils ont fait des études, alors que leurs aînés pourront se retirer du marché du travail à 62 ans ?
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. C'est déjà le cas pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein !
M. Jean Desessard. Les jeunes âgés de moins de 25 ans connaissent actuellement un taux de chômage de 24 % tandis que celui des seniors s’établit à plus de 7 % et que les personnes âgées de plus de 50 ans représentent environ 30 % du total des chômeurs de longue durée. Si des emplois existent, pourquoi ne pas les proposer à ceux qui sont aujourd’hui au chômage, c'est-à-dire les jeunes et les seniors ?
Les écologistes estiment que le travail doit faire l’objet d’un réel partage. Nous ne pouvons construire un modèle durable pour notre système de retraites en continuant à nous accrocher à l’illusion d’une croissance forte et infinie. Nous devons amorcer la transition de notre économie, pour ne pas épuiser la totalité de nos ressources en cherchant à produire toujours plus. Nos gains de productivité nous permettent d’envisager non seulement le « vivre mieux », mais aussi le « travailler mieux ». Ces objectifs devraient être partagés par tous, car ils constituent la véritable urgence. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposerons la suppression l'article 2.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jean Desessard. Quant à l’article 4, il comporte l’une des mesures de financement qui devrait rapporter près de 1 milliard d’euros jusqu’en 2020. Malheureusement, l’effort demandé sera également supporté par les personnes les plus fragiles financièrement.
En effet, il est prévu de reporter la revalorisation des pensions de retraite, hors minimum vieillesse, du 1er avril au 1er octobre de chaque année. Les personnes qui relèvent de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sont exclues de ce dispositif, ce dont nous nous réjouissons. Néanmoins, nous ne considérons pas qu’une personne retraitée qui touche un peu plus de 787,26 euros par mois puisse être considérée comme suffisamment aisée pour supporter un décalage de six mois en matière de revalorisation de sa pension de retraite.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Qui reste-t-il alors ?
M. Jean Desessard. Par conséquent, nous proposerons la suppression de cet article.
Malheureusement, il me reste peu de temps pour parler des points positifs du projet de loi que nous examinons (Sourires.), en particulier de la prise en compte de la pénibilité.
En conclusion, et vous l’avez indiqué, madame la ministre, les réalités de l’après-guerre ne sont plus celles d’aujourd’hui.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Nous partageons ce diagnostic : l’après-guerre était une période de reconstruction et de développement des techniques et visait le plein-emploi. Aujourd’hui, tout en connaissant des secteurs ou des périodes de surproduction, nous sommes à la limite de la récession, en situation de chômage massif et de montée de la précarité. De ce fait, le système de retraite par répartition doit être repensé.
Le présent projet de loi constitue une réponse urgente, qui applique la vieille recette de l’allongement des années de cotisation. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une solution pérenne. Face à un chômage massif, la solidarité passe d’abord par un emploi pour tous, et non par plus de travail pour certains et la relégation dans la précarité pour les autres.
Lors de l’examen de ce texte, nous n’échapperons pas au débat sur le projet de société que nous souhaitons. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un bonheur d'entendre notre collègue Jean Desessard, car il a la vertu de ceux qui, découvrant un monde, s’aperçoivent de choses très simples, en l’espèce, de ce que le roi est nu.
En effet, il ressort de l’examen de la réforme qui nous est proposée que, pour le Gouvernement, une seule évidence s'impose de l'analyse de la crise des régimes de retraite : le problème de la « bosse démographique » entre 2020 et 2035 lequel pourrait être résolu par la mobilisation de fonds grâce à l'allongement de la durée de cotisation.
Mais cet allongement pèsera sur les personnes âgées aujourd'hui de moins de 40 ans, qui subiront la double peine : cotiser pour elles-mêmes et payer les dettes des générations précédentes, qui n’auront pas eu le courage de tirer les leçons d'une analyse, hélas, monsieur Desessard, beaucoup plus grave et beaucoup plus sérieuse que votre truculente présentation, dans laquelle vous omettez des réalités importantes.
Tout d'abord, je voudrais rappeler une évidence. Le problème des retraites est national. Il doit être partagé par les majorités qui ont vocation – c'est la loi de la démocratie – à se succéder.
Chers collègues de la majorité, en ramenant l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans en 1982, vous aviez créé une situation nouvelle sans la financer. Nous avons fait notre part du travail : nous avons pris nos responsabilités avec les réformes de 1993, 2003, 2008, 2010 et même 2011. À aucun moment, madame le ministre, nous n’avons pu bénéficier d'un regard bienveillant, attentif, voire – pourquoi pas rêver ? – d'un soutien de l'opposition d’alors, comme cela a pu être le cas dans d'autres pays qui se sont attaqués au même problème. Or, lorsque l’on a vocation à gouverner le pays, l’on doit s'efforcer d’avoir une vision à long terme, allant bien au-delà que la prochaine élection !
Si nous n’avions pas mené à bien ces réformes, le COR évalue la charge de la dérive des retraites à 3 points de PIB pour 2020, et à 6,5 points pour 2030. Excusez-moi du peu !
De surcroît, notre pays, avec 14,4 % du PIB consacrés aux régimes de retraite, se situe déjà au troisième rang européen. Si nous n’avions pas réalisé ces réformes structurelles et paramétriques, il serait au premier rang.
Monsieur Desessard, c'est parce que les charges sociales sont lourdes et renchérissent le coût du travail que l'emploi est rare. Elles privent nos compatriotes de l'espérance de trouver un emploi.
J’en viens maintenant, madame le ministre, aux raisons pour lesquelles nous ne soutiendrons pas votre projet de loi.
Tout d’abord, il refuse l'analyse de fond, la prise en considération des éléments de long terme. Ainsi, vous ne tirez pas les conséquences de l'allongement de l'espérance de vie. Passer de trois cotisants pour un retraité à un cotisant et demi pour un retraité sur le très long terme implique simplement de changer de système : l'équilibre des Trente Glorieuses ne sera en effet plus jamais retrouvé.
Cette première observation mérite d'être complétée par une seconde qui renvoie dans les coulisses la peu convaincante théorie de la bosse. La vie active a elle-même changé. On le constate, madame la rapporteur, à la lecture de certains éléments de votre rapport.
Non seulement l'espérance de vie s'allonge, mais encore l'accès à la vie professionnelle se fait plus tard, les carrières sont moins linéaires et beaucoup plus aléatoires en raison de la concurrence liée à la globalisation et du progrès technologique.
En outre, les réserves de productivité, qui ont permis notamment aux régimes complémentaires d'être largement excédentaires pendant des décennies, ne sont plus disponibles.
De plus, élément nouveau dont personne ne parle, les carrières des salariés français seront de plus en plus internationales, ce qui implique la jonction de systèmes de retraites profondément différents. Nous vivons cette situation en Lorraine, où 70 000 travailleurs sont salariés au Luxembourg, en Allemagne, voire en Belgique, pays dont les régimes de retraite sont différents du nôtre. Or vous méconnaissez cette mutation.
Par ailleurs, que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en plaigne, il faut le constater : la vie familiale a, elle aussi, complètement changé. Cette évolution se traduit par une démographie qui ne suffit plus à assurer le renouvellement de notre population. Cessons de dire que le taux de natalité est un atout pour la France !
Le système du CNR, auquel vous faites référence, est merveilleux, mais il ne fonctionne que dans un pays aux frontières fermées, ayant la maîtrise de sa monnaie et dont la démographie est largement positive. Ces trois vérités ont disparu. Il serait temps pour vous que vous ouvriez les yeux !
Nous sommes tous attachés au système français de retraite par répartition, parce qu’il s'inscrit dans une volonté de solidarité, qui est le ciment d'une république. De surcroît, par définition, tout régime de retraite est financé par les actifs. En fait, toute la question est celle des modalités.
En revanche, nous ne pouvons que regretter la complexité de notre système – il ne peut en être autrement –, complexité parfois renforcée par les travailleurs eux-mêmes, salariés ou travailleurs indépendants, qui s'efforcent de construire des systèmes plus personnels en raison de leurs inquiétudes sur la viabilité des régimes de retraite.
Tout l'investissement des petits propriétaires bailleurs, par exemple, présente en réalité certains caractères d'un régime de retraite par capitalisation. En ayant recours aux mécanismes organisés par les différentes lois visant le financement des logements, ces propriétaires se constituent par précaution une forme de retraite complémentaire par capitalisation, qui n’est pas orientée vers l'actionnariat des entreprises et donc le développement économique.
Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur un point. L'ambition redistributive du régime par répartition n’est plus en mesure d'être assurée si les curseurs de la durée de vie professionnelle ne sont pas fortement poussés dans le sens d'un allongement.
Le système français de retraite est profondément redistributif. Il est bon qu’il en soit ainsi, parce que les carrières peuvent être confrontées à des accidents de conjoncture ou bien à des choix familiaux. Ce système permet, par exemple, d'aider ceux qui ont été frappés par le chômage ou qui ont élevé des enfants. Ce soutien est peut-être insuffisant, madame Rossignol, mais il est plus important que celui que connaissent la plupart des autres systèmes européens.
Pour que ce système redistributif fonctionne, encore doit-il disposer des moyens nécessaires et cesser de se substituer aux éventuelles défaillances du marché du travail. Nous aborderons cette question lors du débat sur la prise en compte de la pénibilité. Certaines dépenses doivent être assurées par les employeurs, au terme d’un dialogue entre syndicats patronaux et syndicats de salariés, et ne doivent pas être supportées par les régimes de retraite qui n’en ont, hélas, pas la capacité.
En résumé, notre régime de retraite, qui était parfaitement légitime à l’époque des Trente Glorieuses, ne l'est plus à ce jour.
Enfin – je rejoins sur ce point mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe –, alors qu’il a l'ambition d'être universel, il est en réalité parfaitement rigide et méconnaît les droits acquis au fur et à mesure de la diversité des carrières et des efforts de chacun.
Les régimes de retraite complémentaire sont des régimes de retraite par points, tout comme l’IRCANTEC. Ce sont également des régimes par répartition, mais ils sont autocorrecteurs : lorsqu’ils dérivent vers un déséquilibre, ils se corrigent d'eux-mêmes, en jouant sur la valeur du point, pour revenir à une situation d'équilibre d'ensemble. Ils sont modernes.
Vous récusez par principe toute réflexion systémique, et vous condamnez par voie de conséquence notre système issu des Trente Glorieuses à exploser du fait de son incapacité à gérer des problèmes de structures lourds, longs et durables. Vous apparaissez comme les tenants de l'égoïsme d'une génération : encore une minute, monsieur le bourreau, nos concitoyens âgés de moins de 40 ans paieront pour nos propres erreurs et nous nous contenterons d'augmenter les cotisations !
À cet égard, je comprends l'exaspération des alliés de la majorité du groupe CRC, car l'essentiel de l'effort demandé en termes de cotisations, renchérissant le coût du travail ou diminuant le pouvoir d'achat, est d'abord supporté par les retraités eux-mêmes, en particulier par ceux qui ont eu des enfants, alors qu’ils sont particulièrement méritants. Vous pénalisez les familles ayant eu trois enfants et plus, qui ont pourtant permis l'équilibre du régime par répartition. Les retraités en général sont bel et bien les premiers contributeurs de votre réforme. En outre, vous rendez certains d’entre eux imposables, alors qu’ils ne l'étaient pas auparavant. N’oublions pas non plus les salariés !
Quant aux entreprises, madame la ministre, il serait agréable que vous dissipiez, devant la Haute Assemblée, une ambiguïté, qui fait sourire tous les spécialistes de l'économie française depuis l'université d'été du MEDEF. Vous nous dites, avec un aplomb merveilleux, que la hausse de cotisations de 0,3 % sera partagée entre employeurs et salariés, alors que dans le même temps le Gouvernement indique que les employeurs seront indemnisés de ce surplus de cotisations. Seulement par qui seront-ils indemnisés ? Par des impôts prélevés sur la consommation ou sur les revenus, de sorte que la charge sera supportée en totalité par les retraités et par les actifs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Que les entreprises soient exonérées, on m’objectera qu’un libéral aurait toutes les raisons de s’en féliciter. Aussi vais-je peut-être vous surprendre : je préférerais une discussion de fond avec les industriels et les chefs d’entreprise de toutes les branches sur une réforme systémique en mesure de réussir…
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Mais sans augmenter leurs charges !
M. Gérard Longuet. … à une exonération à la petite semaine dans le cadre d’un système qui n’a aucune chance de survie.
Pendant les longs jours et les longues nuits que notre débat va durer,…
M. Jean Desessard. Trois semaines ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. … nous aurons l’occasion d’aborder les problèmes de fond, notamment à la faveur de l’examen des amendements du groupe UMP qui reposent sur deux principes.
Le premier de ces principes est qu’une réforme systémique est absolument indispensable.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir faite ?
M. Gérard Longuet. C’est la raison pour laquelle nous voterons les amendements visant à instaurer un régime par points fondé sur des comptes notionnels : présentée par le groupe UDI-UC, cette proposition appartient à notre culture.
Lorsque le Président de la République a écrit à la Commission européenne pour lui transmettre le rapport économique destiné à la rassurer sur les intentions budgétaires et financières françaises, il a fait valoir, avec une malice de chef-lieu de canton (Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.),…
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Ne soyez pas méprisant !
M. Gérard Longuet. … que, certes, l’âge de départ à la retraite ne serait pas modifié, contrairement à ce que la Commission européenne nous demande – au demeurant, on se demande bien pourquoi –, mais que l’allongement à 43 ans de la durée de cotisation, combiné à un âge moyen d’entrée dans la vie active de 23 ans, conduirait de fait à un report à 66 ans de l’âge de départ à la retraite à taux plein.
Pour notre part, nous préférons décider dès maintenant, courageusement, de fixer l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Tel est le second principe qui inspire nos amendements et qui est destiné à rendre aux Français le contrôle de leur système de retraites.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Jusqu’où ira-t-on ?
M. Gérard Longuet. Les moyens nouveaux liés à cette mesure permettraient de lutter contre un certain nombre d’injustices.
Par ailleurs, la convergence du régime général, de celui de la fonction publique et des régimes spéciaux que nous proposons dégagerait des marges suffisantes pour maintenir le système, comme nous l’avons fait lors des quatre réformes précédentes, mais aussi pour améliorer significativement la solidarité, dans le cadre d’un équilibre d’ensemble assuré par l’appel au travail des Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, que l’annonce de cette réforme ait d’abord suscité des interrogations, on peut le comprendre, s’agissant d’un sujet aussi sensible pour tous nos concitoyens ; mais un examen approfondi nous persuade de la pertinence et de la solidité du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
Pour ma part, j’aborde cette discussion avec une conviction que je souhaite vous faire partager.
M. Philippe Bas. Vous aurez du mal !
M. Claude Domeizel. En tant que socialistes, nous pouvons être fiers de vous, madame la ministre, et du gouvernement que vous représentez. Je tiens à saluer le courage, la détermination et l’esprit d’ouverture avec lesquels vous avez préparé cette réforme structurante indispensable. Vous avez réussi un exercice difficile, d’autant plus périlleux qu’il fallait faire face au poids du passé et des avantages considérés comme acquis.
Il fallait aussi tenir compte de la diversité qui caractérise notre système de retraites. À cet égard, mes chers collègues, je vous rappelle qu’il existe trente-cinq régimes de base et complémentaires, dont le plus important compte plus de 8,5 millions d’actifs affiliés et le plus petit seulement une centaine. La plupart reposent sur le principe de la répartition, mais d’autres sont fondés sur un système de points ou, parfois, de capitalisation. Sans compter que les taux de cotisation et les méthodes de liquidation diffèrent d’un régime à l’autre.
Reconnaissons-le : nos concitoyens se perdent souvent dans ce labyrinthe !
Je tiens à remercier également nos collègues Christiane Demontès, rapporteur, Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ils ont mené à bien l’analyse du projet de loi avec force intelligence et objectivité, préparant des rapports étayés dans des délais relativement courts.
Mes chers collègues, le présent projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites porte un titre parfaitement approprié à son objet.
Il faut se souvenir que, en 2010, un projet de loi censé résoudre le problème du financement des retraites, dont les auteurs promettaient même un redressement total, avait provoqué une colère généralisée et le déferlement de 3 millions de personnes dans la rue. N’oublions pas non plus que, si nous ne réagissons pas, le déficit structurel devrait atteindre 20 milliards d’euros en 2020 : il y a donc urgence à agir !
C’est pourquoi le Gouvernement a décidé d’engager une réforme de fond, avec une triple ambition : proposer une réforme responsable, qui tienne compte de la réalité incontournable que constitue l’allongement de l’espérance de vie, une réforme équilibrée, qui partage équitablement les efforts, et une réforme juste, qui accorde enfin à certaines catégories de travailleurs les droits qui leur ont été refusés lors des précédentes réformes.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le Gouvernement a respecté l’engagement de François Hollande en apportant, dès le début de la législature, un premier correctif au système de retraites ; je veux parler du rétablissement de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant cotisé toutes leurs annuités.
Ce projet de loi consacre trois objectifs : garantir dans la durée notre système de retraite par des mesures justement réparties, donner un souffle de justice au système créé voilà soixante-dix ans et rendre celui-ci plus simple et accessible à tous.
Indiscutablement, ces trois objectifs font de cette réforme une réforme de gauche : nous pouvons l’affirmer et je vais m’employer à vous le démontrer.
L’article 1er du projet de loi réaffirme le choix de la retraite par répartition, qui constitue un pacte de solidarité entre les générations et suppose une confiance partagée. Il est tout à l’honneur du Président de la République, du Premier ministre et de la ministre des affaires sociales et de la santé, tous trois socialistes, d’assurer la pérennité de ce système en relevant le défi de l’allongement de la durée de la vie.
De fait, l’espérance de vie devrait continuer de progresser d’une année tous les dix ans jusqu’en 2060 : aujourd’hui de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes, l’espérance de vie à 60 ans devrait atteindre un peu plus de 25 ans pour les hommes et 30 ans pour les femmes en 2040.
Par ailleurs, le phénomène bien connu des retraités du baby-boom est un facteur supplémentaire de déséquilibre du système.
L’heureuse augmentation de l’espérance de vie nous autorise, pour ne pas dire nous invite, à allonger la durée de cotisation pour rétablir l’équilibre financier dans la délicate période 2020-2040.
Dans un esprit de responsabilité et de transparence, le Gouvernement propose de remodeler le dispositif de pilotage du système de retraites, qui s’articule selon des étapes précises.
Le comité de suivi des retraites s’assurera, sur le fondement des travaux du Conseil d’orientation des retraites, du respect des objectifs financiers et sociaux du système de retraites ; il proposera des mesures correctrices si des écarts par rapport aux objectifs sont constatés, ce qui est un gage de sécurité.
Si le titre Ier du projet de loi a pour fil rouge l’équilibre financier, dont je reparlerai dans quelques instants, son titre II a pour fil rouge la justice. La pénibilité des métiers, les inégalités entre les hommes et les femmes, les carrières fractionnées, la situation des jeunes et le handicap sont autant de facteurs d’injustice : le projet de loi vise à corriger ces injustices, qui ont affaibli la solidarité du système par répartition.
Je n’entrerai pas dans le détail des différents dispositifs ; ils seront présentés lors de l’examen des articles.
J’insisterai seulement sur l’article 6, qui prévoit la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité. Il s’agit d’une avancée sociale majeure, intégralement financée par les employeurs, ce qui du reste est logique, car la pénibilité est avant tout une conséquence de l’emploi. Ce système harmonise la prévention et la réparation, sur le fondement des dix critères de pénibilité définis par les partenaires sociaux en 2008.
Grâce à cette mesure, plus de 3 millions de salariés pourront cumuler jusqu’à 100 points de pénibilité ouvrant droit à des trimestres cotisés permettant d’avancer un départ à la retraite jusqu’à deux ans, à une formation professionnelle en vue d’une évolution vers des métiers moins pénibles ou à une conservation de la rémunération en cas de passage à temps partiel. Ceux qui cumulent un métier parmi les plus durs et une espérance de vie parmi les plus faibles sont enfin soutenus ! De plus, un service en ligne permettra aux assurés de consulter l’état actualisé de leur compte pénibilité.
L’article 6 nous place au cœur de la lutte sociale pour défendre les conditions de travail de nombreux ouvriers, faire valoir la prévention et dialoguer avec les syndicats. Assurément de gauche, cette réforme ! Qui pourrait soutenir le contraire ?
Mieux encore : le Gouvernement enfonce le clou de la justice en proposant de meilleures retraites pour les femmes. De fait, leurs parcours professionnels rythmés par la place prise par la famille dans leur quotidien ou par les temps partiels subis en font les grandes perdantes du système actuel. C’est notamment à leur intention que le projet de loi prévoit une meilleure prise en compte des temps partiels. Remarquez, mes chers collègues, que 82 % des femmes pourront valider plus facilement leurs quatre trimestres annuels. N’est-ce pas là une mesure de gauche ?
Pour ce qui concerne la protection des publics fragiles, il faut aussi souligner que, à compter du 1er janvier 2014, seront réputés cotisés tous les trimestres acquis au titre de la maternité, quatre trimestres acquis au titre du chômage, au lieu de deux actuellement, et deux trimestres acquis au titre du versement d’une pension d’invalidité. Ne sont-ce pas des mesures de gauche ?
Par ailleurs, le projet de loi encourage le rachat par les jeunes actifs d’années d’étude, faculté aujourd’hui très peu utilisée en raison de son coût élevé ; le tarif de rachat de trimestres sera plus avantageux pour les plus jeunes et les salariés percevant les plus faibles revenus.
Le texte prévoit également la validation de tous les trimestres pour les apprentis et les jeunes en alternance. Quant aux stages rémunérés en entreprise, ils pourront donner lieu au versement de cotisations d’assurance vieillesse.
Le monde agricole n’est pas non plus oublié : le projet de loi concrétise les engagements pris par le candidat François Hollande en améliorant le niveau des petites retraites des non-salariés agricoles.
Enfin, nous aborderons lors de la discussion des articles la situation des personnes défavorisées et l’élargissement de l’accès à la retraite pour les travailleurs handicapés, mais aussi la meilleure reconnaissance des aidants familiaux.
Mes chers collègues, toutes ces mesures sont bien à mettre à l’actif d’un gouvernement de gauche !
Trois innovations majeures doivent encore être signalées : un compte retraite en ligne, un pilotage des chantiers de mutualisation et une réforme visant à tendre vers un interlocuteur unique pour les polypensionnés. Un service en ligne permettra à l’assuré, pour tout service et à tout moment, d’accéder à son relevé actualisé de carrière, de réaliser certaines démarches administratives et d’échanger avec les régimes concernés des documents dématérialisés.
Dans ces conditions, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites est-il un petit projet de loi, comme certains voudraient le faire croire ?
Madame la ministre, vous avez judicieusement choisi non pas de déconstruire les bases législatives déjà en place, mais d’en limiter les effets pervers, d’en combler les manques et d’en améliorer la structure.
Cette réforme est concrète et pragmatique ; elle est en adéquation avec la réalité et avec l’avenir prévisible. Menée avec un souci de concertation, elle s’inscrit dans une évolution progressive de long terme et dépasse les seuls raisonnements comptables de court et moyen terme.
Ce projet de loi vise à rétablir une justice sociale en ciblant des catégories de travailleurs aujourd’hui en difficulté, comme les femmes, les jeunes, les handicapés ou les aidants familiaux.
J’ai gardé pour la fin la question peut-être la plus difficile : celle des équilibres financiers.
M. Philippe Bas. Elle n’est pas secondaire !
M. Claude Domeizel. Pour étayer mon propos, je rappellerai brièvement l’histoire des retraites, l’émaillant d’évocations surprenantes pour certains.
De l’année 1945, nous devons retenir trois noms : Alexandre Parodi, Ambroise Croizat et Pierre Laroque, que j’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises, et au moins deux fois longuement.
La première mesure prise fut le maintien du statut des fonctionnaires ; la deuxième mesure fut, le 17 mai, la création, dans le cadre d’un système par répartition, de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, qui regroupe les agents des collectivités et des hôpitaux.
Il fallait aussi choisir un système. Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, un point ne souleva aucune difficulté : l’âge de la retraite, qui passa de 60 ans à 65 ans. À l’époque, après les nombreux décès causés par la guerre, un certain pessimisme démographique fut à l’origine d’une telle décision.
Contrairement à ce que l’on peut entendre, deux sujets firent l’objet de débats très difficiles. Le premier portait sur la question du régime unique. Le second opposait systèmes de répartition et de capitalisation. Ambroise Croizat, ministre du travail et de la sécurité sociale de l’époque, trancha en faveur du maintien de tous les régimes existants et du système par répartition, même si certains, de façon surprenante, défendirent avec beaucoup de ferveur le système par capitalisation.
Peut-être aurait-il fallu prévoir des solutions pour les régimes qui risquaient d’être en difficultés plus tard. Peut-être aurait-il fallu constituer quelques réserves.
Le choix de maintenir les régimes existants impliquait une solidarité entre les régimes.
Ainsi, la loi de 1974 prévit-elle, face aux difficultés de certains régimes, de créer un régime unique en quatre ans. En attendant, a été créée une compensation, c'est-à-dire une aide des régimes les plus favorisés en faveur des régimes les plus défavorisés. Je peux dire ici que la CNRACL y a contribué fortement, à hauteur de plus de 65 milliards d’euros depuis 1974.
Il faut bien le reconnaître, madame la ministre, ce dispositif est à bout de souffle et il faudra le revoir. En 1974, on n’avait pas tenu compte des capacités de trésorerie de l’ensemble des régimes.
Pour atteindre l’équilibre, le premier levier, cela a été indiqué, est l’emploi.
Je rappelle que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, le nombre de chômeurs avait beaucoup diminué. À son arrivée au pouvoir, ce gouvernement avait dû faire face à un déficit de 54 milliards de francs. Il avait rétabli l’équilibre en 2002, grâce au développement de l’emploi.
Je rappelle aussi que la répartition contient dans son principe même une règle fondamentale : les employeurs et les salariés cotisent pour les retraités. C’est un système d’assurance contributif sur le produit du travail. Certains parlent même de salaires différés, conformément d’ailleurs à la théorie défendue par Ambroise Croizat. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous lire un extrait du guide de l’assuré social et des vieux travailleurs de l’époque, dans lequel le ministre écrivait : « La gestion est d’ores et déjà confiée aux assurés eux-mêmes. […] Pas d’étatisation ni de fonctionnarisation. […] L’État […] n’a plus qu’un simple rôle de contrôle technique et financier à exercer. »
Voilà le résumé d’une position qui ne doit pas être oubliée : les actifs paient pour les retraités. Ainsi, si l’on veut respecter cette règle, l’équilibre doit être trouvé dans le seul périmètre du travail.
Le présent projet de loi prévoit une augmentation des cotisations salariales et employeurs, la diminution des pensions du fait du recul de la revalorisation du 1er avril au 1er octobre et l’allongement de la durée de cotisation à partir de 2020. Comme je le disais tout à l’heure, l’allongement de l’espérance de vie nous autorise à prendre une telle disposition (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), dans la mesure où la pénibilité est prise en compte. Tel est le cas dans ce texte.
En revanche, le projet de loi ne modifie pas l’âge légal de départ à la retraite. Même si de nombreux facteurs évoluent, tel l’âge auquel un jeune commence à travailler, à partir d’un certain âge peut se poser la question de l’aptitude au travail.
Enfin, je n’oublie pas le paradoxe qui caractérise l’emploi des seniors. Nombreux sont ceux qui sont écartés par les employeurs du monde du travail avant l’âge légal de départ à la retraite.
Quant au recours à l’emprunt, il fallait bien évidemment l’éviter ! Plus généralement, le projet de loi veille à ce que les financements ne soient pas assis sur des bases éphémères ou privilégiant la fiscalité, ce qui constituerait un risque de dérive de l’assurance vers l’assistance, comme on a pu l’observer sous le régime de Pétain.
La contribution sociale généralisée, dont on a beaucoup parlé, finance aujourd'hui les droits non contributifs. J’estime, pour ma part, qu’il s’agit d’une piste à ne pas abandonner. D’abord, la compensation généralisée pourrait venir au secours des régimes « morts », qui ne bénéficient plus que de contributions restreintes, tel le régime des mines. Étant fils de mineur, je n’ai rien contre les mineurs, mais je suis contraint de constater une telle situation.
Enfin, si la CSG finance le système, comme il est possible de l’imaginer, les salariés devront voir leur contribution diminuer, pour ne pas avoir à payer deux fois.
Le Gouvernement propose donc une réforme de fond s’inscrivant dans la durée, réparant des injustices, privilégiant les mesures à l’adresse des publics défavorisés. La concertation avec les partenaires sociaux a fonctionné sereinement et le dialogue reste ouvert. Ce projet de loi contient en lui-même la garantie de grands principes de gauche, qui accompagneront pour longtemps les citoyens actifs, futurs retraités. C’est un texte qui assure et rassure.
Oui, il y a urgence à équilibrer financièrement le système, à donner de la visibilité sur le long terme, à mettre en place les moyens nécessaires pour assurer la pérennité du système par répartition, auquel nous sommes tous attachés, à rassurer et informer, particulièrement les plus jeunes, qui doivent garder confiance, en un mot à dire la vérité. Tout cela implique humilité et responsabilité de la part de tous les acteurs, partenaires sociaux et élus, qui devront faire preuve de lucidité et penser avant tout aux jeunes et à leur avenir.
Enfin, un devoir s’impose à nous, élus nationaux, responsables politiques : être fidèles et respectueux des règles empreintes de générosité et de solidarité fixées en 1945 par le Conseil national de la Résistance, sous l’impulsion d’Alexandre Parodi, Ambroise Croizat et Pierre Laroque. C’est dans cet esprit que le groupe socialiste aborde le présent débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inégalités professionnelles et salariales dont les femmes sont victimes s’amplifient à la retraite, tous les intervenants l’ont souligné.
La précarité, qui ne cesse de s’étendre, demeure sexuée et ce sont les femmes qui payent le prix fort de plusieurs décennies de politique d’austérité dans le secteur tant public que privé. Deux retraités pauvres sur trois sont des femmes.
La recherche effrénée par le patronat d’une réduction constante du coût du travail se traduit concrètement par l’explosion des contrats précaires et atypiques, qui font la part belle aux temps partiels. Ainsi, 82 % de ces contrats sont signés par des femmes et la grande majorité d’entre elles déclarent, lorsqu’elles sont interrogées, qu’elles préféreraient être recrutées sur la base d’un temps plein.
Les femmes sont plus nombreuses à être recrutées en CDD. Une étude menée par la DREES, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, en 2010 rappelait que seulement 41 % des CDI étaient signés par des femmes. D’ailleurs, le premier motif invoqué par les femmes ayant cessé de travailler est la fin d’un contrat précaire, alors que voilà vingt ans les raisons personnelles primaient. Cette situation renvoie naturellement à une certaine conception de la place des femmes dans le monde du travail, encore trop empreinte de la domination masculine, selon laquelle leur rémunération ne constituerait qu’un complément de salaires au foyer du ménage.
Mais elle est aussi la traduction concrète et poussée à l’extrême d’une autre forme de domination : celle de l’argent sur l’humain. Car les femmes payent plus que les hommes le prix d’un modèle économique dans lequel les richesses produites sont détournées et orientées vers la finance, la rémunération du capital prime sur celle du travail et l’organisation même de celui-ci est tournée vers l’accroissement des richesses accordées à une minorité. C’est une situation que nous ne pouvons accepter. Elle nous révolte d’autant plus que les pouvoirs publics l’encouragent en subventionnant les emplois précaires, à grand renfort d’exonérations de cotisations sociales.
À cette pression permanente sur les salaires qui s’accompagne d’une dégradation continue des conditions de travail des femmes, s’ajoute une politique d’austérité imposée par les gouvernements successifs, au prétexte qu’il faudrait réduire les déficits. Ainsi, bien que les femmes perçoivent des salaires inférieurs de 27 % à ceux des hommes et des pensions inférieures de 42 %, les réformes successives, en allongeant la durée de cotisation, en augmentant la décote et en relevant l’âge légal de départ à la retraite, ont encore dégradé un peu plus la situation des femmes. Le présent projet de loi, dont l’objectif affiché est de réduire les inégalités dont les femmes sont victimes une fois à la retraite, ne résoudra rien.
Je fais mienne cette analyse du Collectif national pour les droits des femmes, le CNDF : « les femmes continueront à toucher moins de retraite que les hommes, auront des carrières moins longues, partiront plus tard, écoperont des décotes et ne bénéficieront que rarement des surcotes ».
Certes, le projet de loi prévoit quelques mesures positives, que nous ne boudons pas : modification des règles de validation des trimestres pour les temps partiels, ou encore prise en compte de la maternité dans le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue. Toutefois, celles-ci sont de portée limitée et ne corrigent les inégalités qu’à la marge.
L’allongement de la durée de cotisation frappera de plein fouet les femmes et les décotes réduiront encore leurs pensions injustement basses. C’est l’élément majeur de cette réforme. Mais, comme l’a souligné notre collègue Dominique Watrin, nous avons des propositions alternatives.
La lutte en faveur de l’égalité de pension entre les femmes et les hommes passe par une lutte contre les inégalités professionnelles, singulièrement salariales. À cette fin, nous proposons d’instaurer une cotisation patronale sur les emplois à temps partiel, de telle sorte que les employeurs qui abusent de ce type de contrats cotisent pour la branche vieillesse dans les mêmes proportions qu’ils le feraient s’ils recrutaient des salariés à temps plein.
Nous proposons également de repenser les conditions de calcul des retraites des salariés précaires, notamment de celles et ceux qui ont été longtemps en CDD ou au chômage, pour retenir uniquement les meilleures annuités de cotisations et garantir dans tous les cas une retraite au moins égale au SMIC. Il faut cesser d’encourager les emplois précaires en supprimant les exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs en la matière et imposer, à l’inverse de cette logique libérale, une modulation de cotisations en fonction de la politique salariale des entreprises, de telle sorte que le recours aux emplois précaires soit rendu fiscalement et socialement moins intéressant.
En bref, pour garantir aux femmes une retraite digne et égale à celle des hommes, l’égalité doit passer des frontons de nos écoles à la réalité de la société. Nous en sommes loin !
Nous ne souscrivons absolument pas au postulat, partagé par un grand nombre, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie induit naturellement un allongement de la durée du travail. Nous pensons au contraire que, pour vivre plus longtemps, il faut d’abord être en bonne santé, quelle que soit la pénibilité des emplois qu’on a pu occuper.
Pour toutes ces raisons et celles qu’a développées tout à l’heure Dominique Watrin, nous voterons contre cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, consultation et négociation, choix de mise en œuvre progressive des dispositions de refinancement, trajectoire d’équilibre pour le long terme, mesures de justice pour ceux qui exécutent des tâches pénibles, pour les femmes, pour les jeunes, pour les non-salariés agricoles, pour les personnes handicapées, pour les aidants familiaux et pour les travailleurs précaires, simplification et clarification de l’accès aux droits, création d’un système de pilotage durable : dans le contexte de vieillissement démographique et de crise économique, sociale et budgétaire que nous connaissons, cette réforme a l’ambition de maintenir et de préserver pour l’avenir un système de retraite par répartition solidaire et d’être en même temps gage de progrès social.
Avec ce texte, nous changeons incontestablement de méthodes, de projet et de perspectives.
La méthode a changé, parce que la négociation a remplacé le passage en force que nous avons connu voilà peu sur le même sujet,…
M. Ronan Kerdraon. Eh oui !
M. Yves Daudigny. … contre les milliers de manifestants d’alors et contre le Parlement par le recours, notamment, au vote bloqué.
Le projet a changé, parce qu’il comporte de nombreuses mesures de justice et crée des droits nouveaux.
La perspective, enfin, a changé, parce qu’elle s’inscrit dans la durée, celle qui est nécessaire à une mise en œuvre raisonnée des mesures de court terme et celle qui anticipe et prépare l’avenir.
Les uns jugent que cette réforme est financièrement trop rigoureuse, les autres qu’elle ne l’est pas assez. Et si pratiquement tous les articles du texte ont été rejetés en commission, mercredi dernier, c’est pour des raisons radicalement opposées !
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Tout aussi paradoxalement, certains ont souhaité un vrai débat en séance publique et ont déposé des amendements dans cette perspective, mais cautionneraient, en la votant ou en s’abstenant, la motion tendant au renvoi à la commission, ce qui couperait court à toute discussion.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas bien de dire cela ! C’est faux !
M. Yves Daudigny. Les enjeux de ce projet devraient pourtant porter au réalisme et à la sincérité.
Est-ce une réforme systémique ? La question n’est pas éludée. Elle est posée notamment par la commission Moreau, qui a estimé, à mon sens à juste titre, que le choix de la technique de gestion des droits – par annuités, par points ou par comptes notionnels – est en réalité secondaire dans la mesure où les instruments et les indicateurs retenus pour piloter les régimes dans chacun des modèles permettent de prévoir une part de droits contributifs et une part de droits relevant d’une logique de solidarité, de même que chacun a la capacité de répondre aux besoins d’ajustements, en fonction du contexte démographique et de la croissance.
La question est moins celle des modalités de gestion, qui dépendent essentiellement des objectifs qu’on leur fixe, que celle de l’architecture de notre système, dispersée entre les vingt et un régimes de base différents recensés par le Conseil d’orientation des retraites, auxquels s’ajoutent les régimes complémentaires obligatoires.
Améliorer la performance du système suppose d’abord une convergence de principes et d’outils. En ce sens, la commission Moreau recommandait de privilégier au préalable une coordination et une mutualisation entre régimes : celles-ci limiteront les coûts, simplifieront les relations des assurés avec les caisses et permettront, à terme, de constituer la base partagée favorable à une unification.
Tel est le choix du présent projet de loi, qui prévoit, pour la première fois, à l’article 3, un pilotage crédible du système par le biais d’un comité de surveillance des retraites, renommé « comité de suivi des retraites » par l’Assemblée nationale, permanent et restreint pour être opérationnel. Faut-il rappeler que le COPILOR, le comité de pilotage des régimes de retraite, créé par la réforme de 2010, à la composition pléthorique, s’est réuni une seule fois en séance plénière et n’a rendu aucun avis ?
Ceux que devra rendre le comité en question, à date fixe, seront publics, transmis au Parlement et au Gouvernement, lequel, après concertation avec les partenaires sociaux, se prononcera devant la représentation nationale. Les décisions ne pourront plus être différées.
Le comité aura compétence non seulement sur les équilibres financiers, mais également, là encore à la différence de son prédécesseur, sur la pénibilité, sur la situation comparée des droits à pension dans les différents régimes, sur celle des hommes et des femmes et sur le pouvoir d’achat des retraités. Le pilotage prévu n’est donc pas seulement financier, il est également social. Enfin, le Fonds de réserve pour les retraites, détourné et vidé de ses actifs à la fin de 2010 de manière peu responsable, retrouvera sa fonction d’origine.
Les dispositions de l’article 3 constituent en réalité une innovation structurelle majeure pour notre système de retraite.
La deuxième rupture fondamentale à laquelle procède cette réforme est de s’inscrire dans le temps long. Les besoins de financement du régime ont été quantifiés dans cette perspective par le COR, selon différentes hypothèses. Selon le scénario intermédiaire retenu, ces besoins s’établissent pour l’ensemble des régimes, de base et complémentaires, à hauteur de 20,7 milliards d’euros en 2020 et de 26,6 milliards d’euros en 2040, compte tenu de l’accord national interprofessionnel AGIRC-ARRCO du 13 mars dernier.
Trois mesures d’équilibre immédiat et une mesure de long terme doivent assurer la trajectoire d’équilibre du régime, essentiellement celui du régime général.
La hausse du taux des cotisations vieillesse déplafonnées s’appliquera de manière proportionnée et progressive sur quatre ans. En 2014, elle représentera une augmentation de 2,15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC.
Le décalage de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre permet de ne pas recourir à une baisse durable du montant des pensions ou à une modification des mécanismes d’indexation. Par ailleurs, il ne touchera pas les bénéficiaires du minimum vieillesse, d’une pension d’invalidité et d’une rente accident du travail-maladie professionnelle.
Je veux dire un mot, à cet instant, madame la ministre, de l’allocation équivalent retraite, l’AER, suspendue en 2009 par le précédent gouvernement, remplacée – en partie seulement – par l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, sur laquelle je veux appeler votre attention.
Le décret du 4 mars dernier témoigne d’une volonté réelle de répondre à une urgence, mais ne permet pas la prise en compte des trimestres validés au titre de l’allocation de solidarité spécifique pour les générations 1952 et 1953 et exclut la génération 1954. Compte tenu de l’article 40 de la Constitution, l’Assemblée nationale a prévu qu’un rapport serait remis trois mois après la promulgation de la future loi. Notre collègue Martial Bourquin propose de limiter ce délai à un mois. Madame la ministre, ce serait bien le moins ! Pouvons-nous compter sur votre avis favorable dans la suite du débat ? Je vous en remercie par avance.
Troisième mesure d’effet immédiat, la suppression de l’exclusion des majorations de pension de 10 % de l’assiette d’imposition des retraités ayant élevé au moins trois enfants est inscrite dans le projet de loi de finances. La Cour des comptes et la commission pour l’avenir des retraites ont en effet montré que cette majoration est inéquitable à plusieurs titres : elle bénéficie aux pensions les plus élevées, davantage aux hommes qu’aux femmes, et varie selon les régimes. Son intérêt redistributif est, selon le comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, égal à zéro. Sa suppression permettra une plus juste redistribution des avantages familiaux de retraite.
Mesure de long terme enfin, qui n’entrera en vigueur qu’à compter de 2020, de manière progressive et limitée dans le temps, l’augmentation de la durée d’assurance doit permettre d’absorber, jusqu’en 2035, la « bosse démographique » due au baby-boom d’après-guerre.
Je veux souligner ici la vision globale des équilibres recherchés par le Gouvernement et la responsabilité dont on doit le créditer à cet égard. Les pensions de retraite versées en 2011 représentaient 271,5 milliards d’euros, soit 13,6 % du PIB. Elles constituent la première dépense de notre système de protection sociale. La réforme des retraites prend donc toute sa part dans la trajectoire de solde structurel définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 du 31 décembre 2012. Selon le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2014, « au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base présentée par le Gouvernement [représentent] une amélioration du solde structurel immédiate et pérenne de 0,5 point de PIB. »
J’ai parlé aussi de progrès social, et progrès social il y a ! La reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité sont emblématiques à cet égard et constituent l’axe majeur de ce projet de loi, tout autant que la méconnaissance volontaire de la réalité des conditions de travail a été la caractéristique majeure de la réforme Fillon, alors qu’il est bien établi que l’espérance de vie en bonne santé, donc la durée de la retraite, est largement dépendante de ces conditions.
En 2010, outre que pénibilité et invalidité avaient été sciemment confondues, avait également été prévue la possibilité de négocier, par accord collectif de branche, un dispositif de compensation de la charge de travail des salariés exerçant des travaux pénibles. Était aussi prévue la création, avant le 31 mars 2011, d’un comité scientifique chargé d’évaluer les conséquences de l’exposition aux facteurs de pénibilité sur l’espérance de vie sans incapacité. Aucune branche n’a négocié d’accord et le comité envisagé n’a jamais été installé. C’est dire la volonté réelle qui était celle du précédent gouvernement !
Mais avançons. Mesure en faveur de l’emploi des seniors avec l’amélioration du dispositif de retraite progressive, bonification des droits à la retraite des femmes avec la validation de trimestres au titre du congé de maternité, amélioration des droits des travailleurs précaires avec, notamment, l’abaissement du seuil d’acquisition d’un trimestre de 200 à 150 heures SMIC, amélioration des droits des jeunes pour la validation des périodes d’apprentissage en alternance, de stage et le rachat de périodes d’études, amélioration des petites pensions des non-salariés agricoles avec, en particulier, la création d’un minimum de 75 % du SMIC garanti aux chefs d’exploitation ayant une carrière complète, accès à la retraite anticipée facilitée pour les personnes handicapées et, last but not least, amélioration des droits des aidants familiaux avec, entre autres, la création d’une majoration de durée d’assurance : telles sont quelques-unes des mesures prévues par ce projet de loi.
Avec cette réforme, madame la ministre, vous substituez à la brutalité une action préventive, dans le cadre – et telle était la recommandation du rapport Moreau – « d’un processus permanent d’examen exigeant de notre système. » Vous prouvez ainsi, parce qu’elle prend en compte et améliore réellement la situation du plus grand nombre des assurés les plus fragilisés, que c’est une réforme d’espoir et de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu’il est le produit de notre histoire sociale, notre système de retraite par répartition doit être préservé. Il y va de l’égalité, de la solidarité et de la cohésion sociale, autant de principes et de valeurs qui doivent guider l’actuelle majorité.
Nous devons à la fois garantir le pouvoir d’achat des retraités d’aujourd’hui et assurer une retraite décente aux générations futures. Lors de la dernière conférence sociale, le Président de la République l’a très justement rappelé : « Parler des retraites, c’est parler de l’avenir. C’est parler de cette promesse que la société fait à chaque génération et à chacun de ses membres. »
Malgré les réformes engagées au cours des vingt dernières années, le déséquilibre financier de notre système de retraite menace sa pérennité. Les prévisions du Conseil d’orientation des retraites, publiées au mois de décembre dernier, sont alarmantes : si rien n’est fait, le système de retraite accusera un déficit de plus de 21 milliards d’euros en 2020 !
Rappelons que la réforme de 2010 prétendait pourtant garantir l’équilibre à l’horizon 2020. Son principe reposait sur une idée simple : comme les Français vivent plus longtemps, il faut reculer l’âge légal de départ à la retraite. Cette réforme, imposée aux forceps et sans concertation – nous l’avions alors combattue –, était injuste et financièrement irresponsable. Elle n’a pas tardé à se solder par un échec.
Rétablir l’équilibre des régimes est de nouveau une impérieuse nécessité pour permettre non seulement aux actifs qui arrivent en fin de carrière de partir à la retraite dans de bonnes conditions, mais aussi aux jeunes d’accéder à une retraite convenable.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, il s’agit de relever un triple défi. Nous devons faire face aux contrecoups de la crise économique de ces dernières années et à une réalité démographique qui pèse de plus en plus lourd sur notre système de retraites. Mais la solidarité ne doit en aucun cas devenir un fardeau pour ceux qui devront en faire preuve.
Si aucune réforme n’est mise en œuvre, le montant des pensions des futurs retraités baissera considérablement. Nos concitoyens les plus aisés, à l’inverse des plus défavorisés, capitaliseront alors pour compléter leur retraite. Par conséquent, les inégalités ne feront que s’accroître et la fracture sociale s’accentuera.
Garantir l’avenir de notre système de retraites suppose aussi que nous engagions une réflexion plus globale. Dans le souci de renforcer le système par répartition, les radicaux de gauche appellent de leurs vœux depuis plusieurs années la mise en place d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse.
M. Gilbert Barbier. Exactement !
Mme Françoise Laborde. Nous avons très tôt plaidé pour une réforme qui consisterait à remplacer les annuités par des points ou des comptes notionnels au sein d’un régime universel. Le septième rapport du COR, publié au mois de janvier 2010, a d’ailleurs démontré que le passage à un régime par points ou en comptes notionnels était techniquement possible et permettrait, notamment, d’intégrer des dispositifs de solidarité. Je regrette à ce titre que la réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique demandée par le Sénat en 2010 n’ait jamais eu lieu.
Pour autant, madame la ministre, votre projet de loi comporte de très bonnes mesures, lesquelles apportent des solutions. La création du compte personnel de prévention de la pénibilité, en particulier, est une excellente initiative.
Alors que la réforme de 2010 établissait une véritable confusion entre pénibilité et invalidité,…
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est vrai !
Mme Françoise Laborde. … la pénibilité est enfin reconnue comme étant l’exposition à des facteurs de risque qui réduisent l’espérance de vie sans incapacité. Nous ne pouvons que souscrire à cette mesure. Toutefois, nous vous proposerons d’assouplir le dispositif. Ainsi, pourquoi les salariés seraient-ils obligés de consacrer les vingt premiers points à la formation ? Il est important, selon nous, de leur laisser le choix de l’utilisation de leurs points.
Par ailleurs, le présent texte comporte des avancées, notamment pour ce qui concerne les personnes ayant eu des carrières longues ou heurtées, ou encore les retraites agricoles. Les mesures d’aide au rachat de trimestres d’études, de valorisation des années d’apprentissage et de stage destinées aux jeunes vont également dans le bon sens.
Je me réjouis des quelques dispositions tendant à améliorer les droits à la retraite des femmes. Je pense, par exemple, à la validation des périodes de congé de maternité. En revanche, je regrette vivement que la refonte des majorations de pension visant à mieux compenser l’arrivée d’enfants dans le foyer soit renvoyée à 2020. Je vous rappelle que les femmes retraitées percevaient, en 2011, une pension moyenne de 932 euros alors que celle des hommes s’élevait à 1 603 euros.
Enfin, les sénateurs RDSE, comme les députés du groupe RRDP, ne sont pas favorables au report de la revalorisation des pensions au 1er octobre. En effet, cette mesure va entraîner une diminution du pouvoir d’achat des petits retraités.
Vous avez déclaré, madame la ministre, qu’il n’avait jamais été question de mettre à contribution les plus petites retraites. « Le Premier ministre l’a toujours dit et je le répète, les petites pensions sont préservées », avez-vous affirmé. C’est pourtant incontestablement l’inverse qui va se produire !
Certes, les personnes qui perçoivent l’allocation de solidarité aux personnes âgées seront épargnées par ce gel de six mois. Toutefois, est-il nécessaire de rappeler que seules 600 000 personnes perçoivent cette allocation, alors que 1,6 million de retraités vivent sous le seuil de pauvreté ? Aussi proposerons-nous un amendement visant à supprimer cette disposition particulièrement injuste.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, si nous sommes conscients de l’impérieuse nécessité d’agir sur le dossier des retraites, nous nous prononcerons en fonction de nos travaux en séance, auxquels nous serons particulièrement attentifs. Notre responsabilité sera à la hauteur de l’enjeu. (M. Gilbert Barbier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je concentrerai mes propos sur le volet pénibilité du présent projet de loi.
Mais je veux tout d’abord rappeler que, depuis vingt ans, ce sont des gouvernements de droite et du centre qui ont conduit toutes les réformes visant à pérenniser les régimes de retraite. Des mesures fortes en termes financiers, en termes de justice sociale ou d’équité, ont été prises régulièrement, en 1993, 2003, 2008 et 2010. Notons le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, les prémices de la convergence entre les régimes publics et privés, l’introduction de la notion de pénibilité et le report de l’âge de départ à la retraite. Le COR a estimé que l’ensemble de ces réformes aurait un impact financier total de plus de 3,5 points de PIB en 2020.
Mme Catherine Génisson. Et le Fonds de réserve pour les retraites ?...
M. Jean-François Husson. Aujourd’hui, vous reconnaissez enfin la nécessité d’agir et vous nous expliquez que vous allez garantir l’avenir du système de retraites avec cette réforme qui n’en est pas une, comme Gérard Longuet l’a justement démontré tout à l’heure : en effet, vous trouvez 7 milliards d’euros alors qu’il en faudrait 20 ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) La gauche est coutumière des rendez-vous manqués s’agissant de réforme des retraites ! (Mêmes mouvements.) Il est tellement plus facile de diminuer l’âge de la retraite en le faisant passer de 65 à 60 ans que de réformer vraiment, même si cette mesure est très lourde de conséquences pour les jeunes générations que vous trompez ainsi ! (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Jean-François Husson. En matière de pénibilité, le texte s’inscrit dans le prolongement de l’introduction de cette notion dans le code du travail en 2003, puis de la réforme de 2010, qui a maintenu l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les salariés ayant une incapacité dont le taux s’établit entre 10 % et 20 %. Cette réforme a également prévu que les entreprises de plus de cinquante salariés devraient élaborer un plan contre la pénibilité au travail.
À cette époque – il faut le rappeler –, l’opposition, c’est-à-dire la majorité actuelle, n’a voté aucune de ces dispositions !
M. René-Paul Savary. Eh oui !
M. Jean-François Husson. Vous reprochez aux réformes de 2003 et 2010 de n’avoir pris en compte que les facteurs d’incapacité et d’inaptitude et non pas la question plus large de la pénibilité. Mais il est très difficile de définir et d’évaluer précisément cette notion. Chacun la conçoit, l’interprète et la vit de façon différente.
En outre, tout travail peut contenir des tâches pénibles. Les effets de la pénibilité varient selon les entreprises, les postes, les individus. Ils dépendent aussi de facteurs extraprofessionnels tels que les habitudes et les conditions de vie, les conceptions en matière de santé, d’hygiène et de sécurité.
Le projet d’un compte personnel de prévention de la pénibilité fait fi de toutes ces subtilités, car il est prévu arbitrairement que toute entreprise devra appliquer les mêmes règles. Je le qualifierai de « hors-sol » et dogmatique, voire de quasiment inapplicable sur le terrain.
En matière de financement, une nouvelle fois, vous laissez une facture impayée pour les années à venir, une « ardoise », si j’ose dire, pour les prochaines générations.
En effet, le coût de la mise en place de ce compte est estimé à 2,5 milliards d’euros en 2040, tandis que les deux cotisations qui lui sont affectées rapporteront seulement 800 millions. Il est donc irresponsable de proposer un système dont on sait d’ores et déjà qu’il sera déficitaire de plus de 1,5 milliard d’euros à terme. Qui va payer la différence ?
De surcroît, les cotisations additionnelles créées pour financer ce compte s’ajoutent à la hausse de 0,3 % des cotisations employeurs prévue par le projet de loi.
L’ensemble de ces mesures représente, pour les entreprises, une charge supplémentaire de 12 milliards d’euros sur quatre ans, qui s’ajoute – faut-il le rappeler ? – au coût du retour à 60 ans de l’âge de départ légal à la retraite pour les personnes ayant eu des carrières longues décidé au mois de juin 2012 et qui s’élève à 10 milliards d’euros.
La disposition en cause aura une nouvelle fois de lourdes conséquences sur le chômage, dont vous n’arrivez toujours pas à endiguer la croissance depuis bientôt dix-sept mois.
Les cotisations salariales et patronales dépassent désormais 65 % du montant du salaire brut du salarié et pèsent excessivement sur l’emploi. Et force est de constater que les décisions de votre gouvernement ne vont pas forcément aider le marché de l’emploi à retrouver le dynamisme qui lui fait si cruellement défaut !
Par ailleurs, le texte que nous examinons va défavoriser les entreprises françaises face à la concurrence européenne. La France sera en effet le seul pays européen à s’être dotée d’un tel dispositif, au moment où l’Union européenne va autoriser l’embauche de travailleurs d’Europe de l’Est rémunérés, certes, au SMIC français, mais sans charges équivalentes et sans compte personnel de prévention de la pénibilité !
Alors que vous prétendez faire du choc de simplification administrative une priorité, vous introduisez, permettez-moi de vous le dire, un fardeau de complexité pour de nombreuses entreprises. C’est le cas, par exemple, de la fiche de prévention des expositions, qui doit être remplie pour chaque salarié en fonction de l’activité pénible qu’il exerce au cours de la journée. Les entreprises familiales employant quelques salariés, qui exercent souvent des activités très différentes au cours d’une même journée, ne pourront pas respecter un tel dispositif.
Oui, nous faisons encore fausse route avec ce débat qui prend en compte une approche que je qualifierais de négative du travail ! Réduire une activité professionnelle à la pénibilité revient en effet à envoyer un mauvais signal à ceux qui entrent dans le monde du travail. Certains métiers sont pénibles par nature, et ils le resteront, malgré la politique de prévention. C’est le cas, par exemple, d’activités du bâtiment, secteur qui connaît déjà des difficultés d’embauche et dont les acteurs craignent que ce caractère « pénible » ne repousse encore des candidats.
Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ces métiers sont véritablement pénibles !
M. Jean-François Husson. Vous courez le risque de voir les entreprises avoir davantage recours à l’intérim ou à la main-d’œuvre étrangère.
Notre approche, contrairement à la vôtre, repose non pas sur l’éventualité d’une atteinte physique, mais sur l’usure constatée chez le salarié. Elle est donc fondée sur des critères médicaux plutôt que sur une compensation sociale.
Je l’ai déjà indiqué, nous ne pouvons donner une définition uniforme et rigide de la pénibilité, comme prétend le faire ce projet de loi. Pourquoi les infirmières des hôpitaux publics devraient-elles être exclues du dispositif, alors que vous l’imposez dans les établissements de santé privés ?
La situation sera en réalité pire pour les infirmières qui ont accepté un passage en catégorie A en contrepartie d’une perte du bénéfice de la catégorie active, mais qui ne seraient pas couvertes par le nouveau dispositif.
Mme Catherine Génisson. C’est l’UMP qui n’a pas voulu les intégrer ! C’était un marché de dupes !
M. Jean-François Husson. Où sont l’équité et la justice ?
Finalement, vous voulez faire passer tout le monde sous la toise, à défaut de pouvoir faire entrer tous les individus dans le même carcan ! Vous êtes en train de reproduire la désastreuse et funeste erreur des 35 heures ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-François Husson. Vous voulez imposer arbitrairement la même réglementation à tout le monde, quels que soient les secteurs, les branches, et les réalités de l’entreprise. Or les critères de la pénibilité devraient justement relever des négociations collectives, plutôt que de la loi ou du décret.
Les conventions collectives et les accords d’entreprise prévoient d’ores et déjà pour les activités pénibles des mesures de compensation, par exemple des majorations de salaire qui peuvent aller jusqu’à 40 %, des primes, des temps de repos, du travail à temps partiel... Le dispositif supplémentaire qui nous est proposé sera-t-il cohérent avec les règles existantes de compensation et de réparation ? Vous allez créer une multitude d’exceptions qui rendront le système incompréhensible et injuste.
On peut craindre également que les salariés bénéficiant d’un compte personnel de prévention de la pénibilité ne tiennent pas à voir leurs conditions de travail s’améliorer, ce qui constitue pourtant notre objectif commun, à nous sénateurs, et ce quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ah bon ?
M. Jean-François Husson. En outre, ces fiches de poste risquent de faire naître des conflits entre salariés et employeurs quant aux critères d’évaluation de la pénibilité de telle ou telle tâche. Il se pourrait que certains employeurs hésitent à embaucher sur des postes pénibles pour éviter des situations trop difficiles à gérer, ce qui serait contre-productif pour l’emploi, convenez-en.
Enfin, je le répète, la prise en compte de la pénibilité n’a pas sa place dans le présent projet de loi. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Génisson. C’est scandaleux !
M. Jean-François Husson. Cette question doit être réglée en amont des carrières, car elle dépend en premier lieu des conditions de travail.
Mme Catherine Procaccia. Tout à fait !
M. Jean-François Husson. La pénibilité doit être prise en considération dans le montant des rémunérations des salariés. Il ne revient pas aux retraites de par leurs gènes, si j’ose dire, de corriger les aléas d’une carrière.
Aujourd’hui, vous cherchez à compenser les grandes insuffisances de votre réforme. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Ce que vous nous proposez n’est rien d’autre qu’une nouvelle usine à gaz inapplicable et ne permettra pas, loin s’en faut, d’atteindre tous les objectifs que vous poursuivez. De surcroît, les entreprises en pâtiront. Il faut changer de cap !
En réalité, vous cherchez à donner du contenu à une réforme manquant de perspective, de conviction et de courage. (Mêmes mouvements.)
Cette réforme manque de perspective : elle prévoit des aménagements à courte vue qui font l’impasse sur l’ambition d’associer toutes les générations dans un grand projet qui promouvrait les solidarités partagées et refondées.
Mme Catherine Génisson. C’est n’importe quoi !
M. Jean-François Husson. Cette réforme manque de façon préjudiciable de conviction : faute de lisibilité et d’adhésion des Français, elle fragilise le contrat social de notre pays.
Cette réforme manque de courage, enfin, eu égard aux responsabilités qui sont les nôtres, et les vôtres, dans l’exercice du pouvoir. Nos compatriotes, non seulement pour participer à l’effort national et surmonter les difficultés que nous traversons actuellement, mais aussi pour garantir nos retraites de façon durable, peuvent comprendre la réelle situation.
Ce déni de réalité porte en lui les germes d’une responsabilité coupable, qui pourrait se révéler explosive, faute de cap fixé et de stratégie clairement identifiée pour la France et pour les Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. –M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, un seul mot revient sans cesse : « retraite ». Ce terme polysémique recèle l’idée de départ, de congé, mais recouvre une kyrielle de réalités différentes, qui ont été longuement et parfaitement exposées.
Quel est donc le panorama aujourd’hui ? La retraite est envisagée sous un regard paradoxal. Toujours perçue comme une période de vie paisible, elle n’en demeure pas moins une source d’inquiétude. J’en veux pour preuve un sondage Ipsos réalisé au mois d’avril dernier pour l’Union mutualiste retraite et liaisons sociales, selon lequel 80 % des Français s’inquiètent de leurs conditions de vie à la retraite.
Pour autant, il est un rêve doré qui reste d’actualité : dans l’imaginaire collectif, la retraite prend la forme d’un droit à l’épanouissement personnel. La liberté et les nouvelles opportunités qu’offre ce temps de vie sont appréciées, par opposition aux contraintes d’un emploi trop souvent subi plutôt que choisi. À l’inverse de l’époque de la jeunesse où l’émancipation par rapport à l’habitus familial ne peut être que relative, où l’aliénation par le travail est à bien des égards tangible, la retraite est probablement le moment où l’homme prend le plus conscience de sa liberté.
Cette période est mise à profit de différentes manières, et il ne faut pas nécessairement prendre le terme « retraite » au pied de la lettre et l’assimiler à un repli en dehors de la cité.
Comme nous l’avions souligné dans un rapport du Conseil économique et social de 2000, intitulé L’avenir des systèmes de retraite, la fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale. Il suffit de considérer les milliers de retraités qui s’occupent bénévolement du tissu associatif maillant nos territoires pour comprendre l’importance de leur place au sein de notre société et de notre vie publique. En somme, comme l’écrivait si intelligemment Montaigne, « la vieillesse est l’âge où nous vivons l’intégralité de notre condition d’homme, et non seulement une partie tronquée de cette condition. »
Cependant, comme toute liberté, celle qui est inhérente à la retraite n’est que partielle. Elle ne peut être entière, sous peine de provoquer d’importants déséquilibres, notamment financiers, dans notre système. Or ce risque est si réel que pas moins de trois réformes ont marqué la dernière décennie, en 2003, 2008 et 2010. À l’issue de celle qui a été engagée par le Gouvernement, une quatrième aura pérennisé à moyen terme le système solidaire hérité du programme du Conseil national de la Résistance et qui vise, conformément à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, à garantir la sécurité matérielle.
Dans l’immédiat, au regard de la situation démographique du pays et du départ à la retraite des générations du baby-boom, le besoin en termes de financement du système s’établira à environ 20 milliards d’euros en 2020, soit 1 % du produit intérieur brut. Ces chiffres sont maintenant bien connus. Une nouvelle réforme des retraites n’est donc pas un luxe ; c’est une exigence.
Sans entrer dans le détail des ajustements financiers, présentés excellemment par Mme le rapporteur tout à l’heure, il est probant de constater que les mesures contenues dans le présent projet de loi répondent à deux principes liés et incontournables : l’équité et la justice. En effet, chacun doit contribuer au rééquilibrage du système de retraites en fonction de son parcours professionnel et de ses revenus. Ce principe a été rappelé et est accepté. En particulier, le Gouvernement a veillé à ne pas paupériser celles et ceux, malheureusement de plus en plus nombreux, qui sont déjà à la lisière de la pauvreté. Les classes moyennes inférieures ne peuvent supporter le coût de cette réforme.
Par ailleurs, comme le rappelle Yannick Moreau, auteur du rapport éponyme, la réforme des retraites est l’occasion de rétablir la justice au cœur de notre système. Sur ce sujet, j’aimerais effectuer une incise et faire part de mon regret à la suite du débat polémique et caricatural autour du mode de calcul des pensions entre secteur public et secteur privé, qui a initialement saturé l’espace médiatique.
À niveau de salaire identique, le taux de remplacement est quasiment similaire entre fonctionnaires et salariés – 75,6 % pour la fonction publique, 74,5 % pour la sphère privée. Autrement dit, pour une carrière comparable, le montant des pensions est équivalent entre ces deux mondes, qui sont régulièrement instrumentalisés et dressés l’un contre l’autre.
Plutôt que de s’escrimer à nourrir les amalgames, les préjugés, les fantasmes, à donner corps à des billevesées absurdes, hier sur les retraites, aujourd’hui sur l’immigration, demain sur l’assistanat sans doute, certains élus s’honoreraient à entrer de plain-pied dans le débat argumenté et à sortir, au plus vite, du dogme démagogique et populiste.
La situation économique, sociale, morale et humaine me semble suffisamment grave pour ne pas être vulgairement traitée par le truchement de slogans et de fariboles qui, à mille lieues d’être des réponses apportées aux problèmes actuels, sont des gesticulations, des actes désespérés et désespérants pour exister.
Maintenant, reprenant le cheminement de mon développement, je souhaiterais démontrer comment la valeur justice est gravée au centre de ce projet de loi, à l’inverse de celui qui avait été voté en 2010. Pour ce faire, je me focaliserai sur la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes – cela a été excellemment souligné tout à l’heure – et l’amélioration de la retraite des travailleurs handicapés. Ces deux éléments sont très importants.
Il est trop promptement oublié que les retraités ne constituent aucunement un ensemble homogène et que des disparités injustifiables existent. Mécaniquement, les injustices dont sont victimes les femmes pendant leur vie active se conjuguent au moment de la retraite. Ainsi, selon le douzième rapport du Conseil d’orientation des retraites « fin 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droit propre […] des femmes ne représentait que 53 % de celle des hommes ». Si ce ratio progresse, sous l’effet de l’accroissement de l’activité féminine et de la hausse du niveau d’études, il est impérieux de mieux prendre en compte les carrières féminines notoirement heurtées.
Ainsi, dès le 1er janvier 2014, tous les trimestres de maternité seront considérés valides, alors qu’aujourd’hui un seul trimestre est comptabilisé, indépendamment de la durée du congé de maternité. En outre, en vertu de l’article 14 du présent projet de loi, l’acquisition de trimestres sera facilitée pour les assurés percevant une faible rémunération et exerçant une activité à temps partiel réduit, principalement les femmes.
Cependant, il faut garder à l’esprit que les disparités entre les femmes et les hommes liées au montant des pensions trouvent leur racine dans les inégalités qui jalonnent la vie active. Fidèle à mes récentes prises de position au cours de la discussion relative au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, j’insiste sur la nécessité absolue de renforcer l’égalité professionnelle, en particulier salariale.
Par ailleurs, par ce texte, les possibilités d’accès à la retraite anticipée seront étendues pour les travailleurs handicapés ; c’est une avancée importante. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, jugée parfois ubuesque, sera progressivement remplacée par le seul critère d’incapacité permanente à 50 %. De surcroît, conformément à l’article 24, les assurés répondant à ce critère et ne justifiant pas d’une durée de cotisation suffisante pourront néanmoins bénéficier d’une pension à taux plein à 62 ans au lieu de 65 ans.
Je pourrais poursuivre l’énumération des mesures de justice contenues au sein de ce projet de loi et aborder le compte pénibilité, la question de la majoration des retraites des exploitants agricoles, ou encore la situation des polypensionnés, mais je préfère me concentrer sur un dernier aspect de cette réforme.
Celle-ci, par des dispositifs innovants, prend en considération les évolutions modernes, se révèle prospective et anticipe les enjeux qui se font jour. En l’espèce, le Président de la République, à raison, a fait de la jeunesse sa priorité.
Selon le baromètre de la DREES, 57 % des jeunes font montre d’un attachement certain au système de retraite par répartition, mais ils sont circonspects quant à la possibilité de bénéficier d’une pension décente. Les difficultés auxquelles ils doivent faire face pour intégrer le marché du travail, ainsi que les problématiques afférentes telles que le logement ou l’accès aux soins, expliquent ce sentiment de peur, parfois de désespoir et de désarroi, à l’encontre de l’avenir.
Victor Hugo écrivait à propos de la jeunesse : « Il lui est naturel d’être heureuse. Il semble que sa respiration soit faite d’espérance. ». Il serait aujourd’hui surpris de contempler l’évanescence de toute lueur à l’horizon.
Par conséquent, il paraît essentiel de prendre acte de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail, résultant aussi bien de l’allongement des études que de la dégradation de l’emploi. Étant donné que les stages sont un passage obligatoire pour tout jeune, que les entreprises et les administrations tirent avantage des compétences acquises par ces étudiants, les députés socialistes ont introduit une disposition juste et pertinente, qui prévoit le versement de cotisations d’assurance vieillesse au titre des stages en entreprise, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une gratification.
Enfin, remédier aux affections du marché du travail – chômage, rigidités, etc. – est également l’un des axes cardinaux permettant de garantir la pérennité de notre système par répartition. Les pensions incomplètes, l’écart du montant des retraites entre les hommes et les femmes, précédemment évoqué, la situation tragique de celles qui ne vivent que des pensions de réversion sont autant de phénomènes reflétant les symptômes pernicieux qui frappent actuellement le marché de l’emploi.
Parallèlement, garantir plus de souplesse implique de ne plus penser linéairement le triptyque formation-emploi-retraite. Aujourd’hui, la vie professionnelle est rythmée par des périodes de formation, et les jeunes générations aspirent à quelques phases de « retraite », singulièrement lors de la naissance ou de l’adoption d’un enfant. In fine, cela revient à offrir une plus grande latitude à chaque individu, à décloisonner les différentes étapes du cycle de vie et à les concevoir plutôt sous la forme d’un enchevêtrement.
En conclusion, cette réforme n’est pas placée sous le seul signe de l’équilibre financier. D’ailleurs, dans un climat politique délicat, voire délétère, le Gouvernement ne pouvait faire l’économie d’une réflexion plus aboutie. Il faut bien saisir que seules la pédagogie et l’affirmation d’un destin commun, fondé non seulement sur l’efficacité des dispositifs mis en œuvre, mais aussi sur la réaffirmation des valeurs et des repères intégralement oubliés ou, à tort, honteusement affichés,…
M. Jean Desessard. Il n’est plus temps de continuer !
M. René Teulade. … assureront l’assentiment à une politique générale aussi complexe que salvatrice.
Au total, de la clarté de l’objectif dépendra l’acceptation par tous de l’effort communément partagé. Notre système de retraites est naturellement lié aux réalités économiques et démographiques. Mais il exige, plus que jamais, une décision politique. C’est là un choix de société ! Aujourd’hui, le présent texte traduit cette démarche. Voilà pourquoi nous devons approuver avec résolution le choix qui nous est présenté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Yves Daudigny. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, depuis 1993, quatre réformes des retraites se sont succédé. Elles forment un tout, qui se distingue à la fois par l’efficacité et par la justice des mesures adoptées.
Un chiffre illustre cette efficacité : en 2020, le produit de l’ensemble de ces réformes permettra de financer nos régimes de retraite à hauteur de 3,5 % du PIB. C’est énorme ! En 2030, ce montant atteindra 6 % du PIB.
M. Claude Domeizel. Vous n’avez rien fait !
Mme Catherine Procaccia. Et la gauche, qu’avait-elle fait jusqu’à présent ?
M. Philippe Bas. Ces réformes sont également empreintes de justice.
Tout d’abord, le fait de réformer efficacement constitue le premier acte de justice. En effet, sans une véritable réforme des retraites, on assisterait à un sauve-qui-peut. Or tous ne peuvent pas se sauver.
M. René-Paul Savary. Exactement !
M. Philippe Bas. Certains peuvent mettre de l’argent de côté pour leurs vieux jours, quand la taxation de l’épargne ne les en dissuade pas. Mais d’autres dépendent exclusivement de leur pension de retraite. Ce sont eux qui, dès lors, voient leur avenir menacé.
Ensuite, la justice a été assurée par les dispositions adoptées dès 2003, grâce à l’accord de la CFDT et de la CGC au sujet des carrières longues. (M. Gérard Longuet opine.) Elle a également été garantie par les mesures prises en 2010, au titre de la pénibilité.
M. Claude Domeizel. Oh !
Mme Catherine Génisson. Ou plutôt de l’invalidité !
M. Philippe Bas. Je songe par ailleurs aux dispositions qui, à partir de 2003, ont enfin été mises en œuvre, après cinq années d’abstention de la part du gouvernement précédent, celui de M. Jospin, en vue de procéder à une première et importante harmonisation des règles de calcul des droits à la retraite entre les secteurs privé et public.
Il faut tirer les enseignements de ces quatre réformes tout à fait essentielles. Or, je dois dire que la proposition formulée par le Gouvernement via le présent texte n’est pas à leur mesure.
En la matière, quelles leçons peut-on tirer du passé ?
Premièrement, chaque Gouvernement doit faire sa part du travail, faute de quoi le gouvernement suivant est obligé de faire le double de sa part !
M. Roger Karoutchi. Voilà !
M. Philippe Bas. Prenons un exemple chiffré. Rien n’ayant été fait entre 1997 et 2002, il a fallu étendre, à compter de 2003, la durée de cotisation des fonctionnaires d’un semestre par an. Si cette réforme avait été menée dès 1997, comme il aurait fallu, une augmentation d’un trimestre par an aurait suffi ! On le constate clairement : lorsqu’un Gouvernement ne fait pas sa part du travail, le gouvernement suivant doit doubler l’effort pour redresser les régimes de retraite.
M. Philippe Bas. Deuxièmement, les précédentes réformes, qui étaient de vraies réformes, nous ont prouvé qu’il n’y a pas de grand soir des retraites.
Qui peut prétendre garantir, pour la fin des temps, l’équilibre financier des régimes de retraite ? Ce serait stupide,…
Mme Catherine Génisson. Ça c’est vrai !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Nous sommes d’accord !
M. Philippe Bas. … et impossible.
Mme Catherine Génisson. Effectivement !
M. Philippe Bas. Ce qu’il faut, c’est que chacun accomplisse réellement sa part du chemin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il faut surtout changer de chemin !
M. Philippe Bas. À partir de 2003, en prévoyant des clauses de rendez-vous à l’horizon de cinq ans (M. Gérard Longuet opine.), méthode qui a été reprise en 2010, on a parfaitement pris conscience de la nécessité de mener des actions progressives, montant en charge petit à petit, et de tenir compte de la situation économique et financière au moment où les décisions sont prises. Il faut faire la part des choix de vie des Français. En effet, on ne peut savoir cinq ans à l’avance quel sera l’arbitrage des Français, soit en faveur du montant de leur pension, soit en faveur de la date de cessation de leur activité professionnelle.
Troisièmement, il faut écarter toute mesure unique. Toute vraie réforme des retraites comporte plusieurs mesures ; le Gouvernement l’a compris et je le constate. Mais encore faut-il que ces dispositions soient suffisamment ambitieuses pour faire face aux difficultés financières des différents régimes.
Quatrièmement, les mesures doivent naturellement s’appliquer à compter du jour où elles sont prises. Prendre des mesures destinées à entrer en vigueur dans sept ans, c’est tout simplement une imposture. Le Gouvernement ne sera plus là dans sept ans !
M. Claude Domeizel. Comment ?
M. Roger Karoutchi. Et dans dix ans, dans quinze ans…
M. Philippe Bas. J’ignore qui sera alors au pouvoir.
M. Jean Desessard. Peut-être le même Gouvernement ?
M. Philippe Bas. Quoi qu’il en soit, ceux qui seront aux affaires auront à prendre leurs propres décisions.
Cinquièmement, toutes les réformes qui ont été menées – de vraies réformes, disais-je – nous enseignent qu’il faut se méfier des prélèvements supplémentaires. Au deuxième trimestre de 2013, le taux de dette publique a atteint 93 % du PIB. Le taux de chômage s’établit à des niveaux sans précédent. Le pouvoir d’achat est en berne, l’activité, en plein marasme. Dans de telles circonstances, on ne doit pas créer de nouveaux prélèvements en vue de contribuer à l’équilibre des régimes de retraite. C’est criminel pour l’économie.
M. Jacky Le Menn. Ouh là !
M. Philippe Bas. C’est, par conséquent, une leçon de plus. Je note à ce titre que les cotisations de retraite n’ont augmenté qu’une seule fois au fil de ces réformes, et encore dans de très faibles proportions. C’était en 2003, c’est-à-dire à une époque où le nombre de chômeurs baissait. Entre 2002 et 2007, le chômage a reculé,…
M. Claude Domeizel. Allons bon !
Mme Catherine Génisson. Avant aussi, il avait baissé !
M. Roger Karoutchi. Chers collègues, ne vous énervez pas !
M. Philippe Bas. … pour atteindre un taux jamais vu depuis 1988. Je tiens à vous le rappeler, chers collègues de la majorité ! De même, les déficits publics ont alors reculé de 4 % à 2 %.
Sixièmement et enfin, aucune réforme sérieuse ne peut être menée en la matière sans inclure le secteur public qui, aujourd’hui, à l’horizon de 2020, représente la moitié du besoin de financement des régimes de retraite de base.
Madame la ministre, face à ces axiomes, je constate les nombreuses insuffisances de votre texte. Du reste, ce n’est pas un projet de loi de réforme des retraites. C’est un texte portant diverses dispositions relatives aux retraites ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.) À savoir des augmentations de recettes par des cotisations supplémentaires, à contretemps sur le plan économique, et une astuce de chef de bureau – pardonnez-moi, madame la ministre – : le report de la date d’effet de l’indexation. Je suis persuadé qu’il s’agit d’une telle astuce !
M. Jacky Le Menn. Vous parlez en expert !
M. Philippe Bas. Je connais bien les chefs de bureau !
S’y ajoutent des mesures d’allongement de la durée de cotisation, qui rapportent deux fois moins que le recul de l’âge de départ à la retraite, et une impasse totale au sujet du secteur public.
Que reste-t-il en définitive ? Une demi-mesure au sujet de l’allongement de la durée d’activité et pas de mesure du tout pour le secteur public. Cette réforme se limite donc à un quart de mesure ! (M. Roger Karoutchi rit.)
M. René-Paul Savary. Une réformette !
M. Philippe Bas. Au surplus, au sujet de la pénibilité, le Gouvernement n’a pas tenu compte de l’avis exprimé au sein du Conseil d’orientation sur les conditions de travail par les partenaires sociaux, au premier rang desquels la CFDT, qui a pourtant approuvé cette réforme sur le principe.
M. Ronan Kerdraon. Qu’avez-vous fait en 2010 ?
M. Philippe Bas. Le compte pénibilité vient heurter de plein fouet notre système de prévention des maladies et risques professionnels, inscrit dans le code du travail et orienté par de grandes directives européennes. À mon sens, la complexité ainsi créée va susciter de très grandes difficultés, compte tenu de la contradiction qui se fait jour entre notre système de prévention des risques,…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Son inefficacité est prouvée !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cela ne marche pas !
M. Philippe Bas. … et le dispositif du compte pénibilité, introduit via le présent texte.
Avant de conclure, j’évoquerai la mesure relative aux avantages familiaux figurant dans l’étude d’impact, que le Premier ministre a détaillée en présentant ce projet de réforme en septembre dernier. Représentant un produit de 1,3 milliard d’euros, cette disposition est inique, les familles nombreuses ne pouvant pas épargner autant que les autres pour assurer leur avenir. Pis, on pensait qu’elle contribuerait à équilibrer le financement de nos retraites, mais elle a subitement disparu de cette réforme. Au même titre que la contribution additionnelle en faveur de l’autonomie et de la dépendance, la CASA, créée l’an dernier, elle vient désormais combler le puits sans fond des déficits publics, au lieu d’être affectée à la réforme des retraites ! (M. René-Paul Savary acquiesce.)
Madame la ministre, nous ne sommes pas dupes. Nous disons à voix haute ce que nous avons constaté : il faut retrouver cette somme, nous en avons besoin. Il est douloureux de voir ces fonds détournés du but annoncé, qui plus est par une mesure scélérate, passez-moi l’expression.
Enfin, monsieur Domeizel, pour juger si une réforme des retraites est utile au pays et à l’intérêt général, il ne s’agit pas de déterminer si elle est de gauche ou de droite.
M. Roger Karoutchi. Heureusement !
M. Philippe Bas. Au reste, il me semble que le Gouvernement n’est pas parvenu à faire l’unanimité dans les rangs de la majorité,…
M. Jean Desessard. C’est justement parce que cette réforme n’est ni de droite ni de gauche !
M. Philippe Bas. … et je comprends pourquoi.
Le véritable critère est simple : assurer le rendement nécessaire pour tranquilliser nos compatriotes au sujet de leur retraite sans pour autant peser sur l’activité, l’emploi et le pouvoir d’achat. À cette aune, cette réforme est hélas une non-réforme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, intervenant parmi les derniers, je ne reprendrai pas toutes les analyses faites sur ce texte. Il est vrai que plusieurs de ses dispositions constituent des avancées qu’il est possible de souligner, même si elles peuvent paraître frileuses.
Pour autant, il n’est pas difficile aujourd’hui d’ajouter au débat des considérations que le législateur semble avoir oubliées. J’entends rappeler ici l’existence de ceux dont la voix ne porte pas suffisamment, s’agissant d’un projet de loi fondamental au point que son intitulé comme son premier article contiennent, comme objectif assumé, la défense de valeurs qui sont au fondement de notre République.
Permettez-moi, dès lors, mes chers collègues, de revenir à ces aspects primordiaux et d’appuyer mon propos sur l’article 1er, qui fixe l’objectif de ce projet de loi. Cela permet de mettre en lumière l’insuffisante prise en compte des trois millions de citoyens qui résident dans les outre-mer et ainsi, je l’espère, de faire bouger les lignes.
Ce projet de loi a le mérite de réaffirmer que le système de retraites par répartition est au cœur du pacte social entre les générations. Il dispose ainsi que « La Nation assigne [...] au système de retraite [...] un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération ». Cela vaut pour tous les retraités, en effet, puisqu’il est alors précisé : « quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie ».
Construisant cette énumération, qui vise a priori à garantir l’équité, le législateur semble cependant avoir oublié sa géographie, car, s’agissant des outre-mer, les mesures du texte se révèlent tout à fait insuffisantes pour assurer une égalité réelle.
Ainsi, pour garantir notre système de retraite, ce qui fonde une des mesures les plus douloureusement vécues par nos concitoyens n’est pas uniforme sur le territoire, et rien, dans ce projet de loi, ne permet de les différencier.
Je veux parler de l’espérance de vie, qui justifie le report toujours plus lointain de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, que ce texte dissimule sous l’euphémisme « augmentation de la durée d’assurance ».
En Guyane, madame la ministre, l’espérance de vie est inférieure de quatre ans à ce qu’elle est en métropole ! Cette particularité, que l’on retrouve également à La Réunion et, dans une moindre mesure, en Martinique et en Guadeloupe, ne peut être traitée par la seule prise en considération de la pénibilité des conditions de travail ! Certes celle-ci est ressentie plus douloureusement lorsque l’âge avance, et ce texte porte l’espérance d’une prise en compte juste de ces conditions difficiles.
Si l’allongement de la durée de cotisation peut se justifier par l’allongement de l’espérance de vie, quand celui-ci résulte des progrès de l’hygiène, de l’alimentation et de la médecine, alors cette mesure devrait être suspendue, outre-mer, à la réalisation effective d’un meilleur accès aux soins, à l’éradication des infections et épidémies inconnues en métropole, à la prise en compte de l’isolement et l’enclavement des territoires, de l’état souvent précaire et insalubre de l’habitat, des retards dans les infrastructures d’assainissement. Son application devrait donc dépendre de l’objectif de voir l’espérance de vie globale en outre-mer atteindre le niveau de la métropole.
De plus, en outre-mer, deux fois plus de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et les femmes sont souvent multipares et fortement frappées par l’inactivité officielle, ou le chômage. Le chômage structurel est trois fois plus élevé qu’en métropole et impacte alors plus lourdement encore ces fameuses périodes de privation involontaire d’emploi qui ont un effet pénalisant sur le montant et sur la durée de cotisation dans le calcul de la retraite.
Sans une refonte du système économique dans ces territoires, et malgré une prise en compte bienvenue dans ce texte de ces situations difficiles, nous nous préparons, dans les prochaines années, à l’émergence d’une génération de retraités plus pauvres en outre-mer.
Outre la géographie, madame la ministre, n’oubliez pas l’histoire sociale, avec le SMIC DOM, inférieur au SMIC national jusqu’en 1996, l’indemnité temporaire de retraite qui a existé jusqu’en 2008, le revenu supplémentaire temporaire d’activité, supprimé sans compensation en mai dernier, et toutes ces situations particulières, survivances d’un autre âge, qui sont sources d’inégalités avec la métropole.
Si l’on considère, en plus d’une situation de revenus plus faibles que dans l’Hexagone, le contexte de cherté de la vie, la situation devient explosive, y compris chez les fonctionnaires locaux. Ceux-ci sont très majoritairement de catégorie C, ont été tardivement titularisés, et subissent une double décote au moment de leur départ à la retraite. Il n’y a pas de prix « spécial retraités locaux » dans les supermarchés de Cayenne, de Pointe-à-Pitre, de Fort-de-France ou de Saint-Denis de La Réunion !
Madame la ministre, j’espère que ce texte évoluera après cette discussion. Parce qu’il tend à oublier ces situations particulières, il ne contient pas de réponse suffisamment claire aux disparités structurelles que connaissent les outre-mer.
Je formule donc le vœu que les notions d’équité, de cohérence et de cohésion sociale dans les stratégies de développement permettent d’engager un véritable débat sur la retraite dans les outre-mer durant cette semaine, en convoquant les questions de l’emploi, des revenus, de l’insertion et du développement économique. Cette approche, qui est fondamentale, donnera du sens à ce que l’on appelle l’identité législative ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Ah ! Enfin !
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, ce matin, Bertrand Delanoë disait : « je ne comprends pas tout » à la politique du Gouvernement.
M. Roger Karoutchi. Certainement ! D’ailleurs, moi non plus je ne comprends pas tout, comme beaucoup.
Madame la ministre, lorsqu’on annonçait, il y a plus d’un an que le Gouvernement allait lancer une grande concertation, j’avais dit, au sein de mon groupe, et également au sein du parti lors d’une convention sur les retraites, que, chacun devant avoir son opinion et ses avis, je voterais d’éventuelles mesures positives que vous prévoiriez, pour faire avancer les choses.
À mon sens, en effet, le sujet des retraites devrait échapper aux affaires partisanes. (Rires sur les travées du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On continue à allonger…
Mme Cécile Cukierman. C’est au moins un choix de société !
M. Roger Karoutchi. On devrait obtenir presque un accord sur ce sujet, au moins pour sécuriser. Je ne parle pas d’assurer définitivement le système. J’ai entendu ce qui a été dit, et tout le monde s’accorde sur le fait que l’on ne peut prétendre faire une réforme des retraites pour vingt ou pour cent ans.
Mme Laurence Rossignol. C’est pourtant bien ce que vous nous aviez dit !
M. Roger Karoutchi. La société change, les évolutions sont là, et, comme en Allemagne, il faut accepter que le système évolue d’année en année. Cela n’est toutefois pas dans la culture française. Il faut reconnaître que nous avons une tendance naturelle à croire que, parce que nous avons voté une loi, nous avons fait le travail. Nous nous reposons alors sur la loi de tant… Chez les Allemands, voire chez les Britanniques, on évolue d’année en année ; nous, nous nous arrêtons à la loi que l’on a fait voter il y a dix ans.
Pourtant, le monde change. Madame la ministre, nous entendons bien tout ce qui est dit et nous ne contestons évidemment pas tout : la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues, nous l’avions déjà fait. Mais tout de même ! Vous évoquez les quatre réformes précédentes, et j’entends une partie de la gauche dire « Nous ne les avons pas votées et nous avons bien fait ». Pourtant, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, elle ne les a pas défaites, elle les a conservées !
Mme Éliane Assassi. Cela pose d’ailleurs un gros problème !
Mme Laurence Rossignol. Comme vous avec les 35 heures, en somme. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Quand, par exemple, nous sommes passés, en ce qui concerne la fonction publique, de trente-sept ans et demi à quarante ans, je me souviens de la gauche affirmant qu’elle reviendrait sur cette mesure. Personne n’est revenu dessus. (M. Gérard Longuet opine.)
Mme Cécile Cukierman. Une certaine gauche n’est pas revenue dessus !
M. Roger Karoutchi. Cela signifie qu’à certains moments, face à une situation donnée, il faut trouver des solutions.
Soyons sincères : chez nos voisins, qui a augmenté l’âge de la retraite ? M. Schröder en Allemagne, M. Zapatero en Espagne, et je ne citerai pas Tony Blair au Royaume-Uni, pour que vous ne m’opposiez pas qu’il n’est pas de gauche. (Mme Laurence Cohen rit.) Ce ne sont pas des gouvernements de droite, mais des gouvernements socialistes.
Qui a allongé la durée de cotisation en Suède, en Norvège, au Danemark ? Des gouvernements socio-démocrates, pas des gouvernements de droite ! Cela signifie qu’il n’y a pas d’un côté une culture de droite où l’on pressuriserait les employés, où l’on embêterait le monde, où l’on irait contre les salariés, et de l’autre une culture de gauche protectrice, qui aurait le droit de nous traiter de méchants. Ce n’est pas vrai, ce n’est pas comme cela !
J’aurais sincèrement souhaité que l’on parvienne, sinon à un consensus, malheureusement rare dans la culture politique française, à tout le moins à un texte dont chacun puisse se dire qu’il contient des éléments déplaisants, mais aussi des éléments positifs.
Malheureusement, nous n’en sommes pas là. Pourquoi ? Parce que, soyons francs – et je n’évoque même pas la question de savoir s’il faudra recommencer –, vous évaluez vous-mêmes, au travers de ce texte de réforme, les besoins de financement pour 2020 à quelque 20 milliards d’euros, alors que par ce texte, vous dégagez 7 milliards. Les deux tiers de la somme étant absents, cela signifie donc que, dans deux ou trois ans, un nouveau texte sera nécessaire. Il faudra bien trouver encore quelque chose ! À ce moment-là, vous ne pourrez pas augmenter à nouveau les cotisations, parce que, pour de bon, les retraités comme les salariés vous diront : « Halte au feu ! Notre pouvoir d’achat n’en peut plus ! » On y viendra obligatoirement. Et on se demandera alors s’il faut passer à 63 ans, s’il faut augmenter plus rapidement la durée de cotisation.
Comme un de mes collègues l’a fort bien dit, faire une réforme qui n’est applicable que dans sept, dix ou quinze ans, cela revient à dire : « Après moi, le déluge, que mes successeurs se débrouillent ! »
Dans la pratique, on sait bien que les gouvernements successifs prétendront que les conditions ont changé, que ce n’est plus la même situation, ni la même société. C’est évident !
Quitte à demander des sacrifices, je le dis franchement, ce gouvernement ferait acte d’autorité et de maturité aux yeux de la société française en faisant en sorte de pouvoir dire aux jeunes de vingt ou trente ans qu’il est en train de sauver le système de retraites. Or, après cette réforme, combien de jeunes de vingt ou trente ans vont croire réellement que vous avez sauvé le système de retraites ? Aujourd’hui, combien de jeunes de vingt ou trente ans disent : « De toute façon, il n’y aura plus de retraite quand j’aurai l’âge » ? On entend cela partout !
M. Jean-Pierre Caffet. Oui, enfin, surtout au café du commerce !
M. Roger Karoutchi. Ces jeunes se disent aujourd’hui que ce qui leur est dit est faux et qu’il n’y aura plus rien pour eux.
Il faut sécuriser, et pour ce faire il faut prendre des mesures courageuses. Madame la ministre, des demi-mesures, de simples hausses de cotisations, pas de réforme systémique, pas de réforme structurelle, pas de convergence entre les systèmes public et privé, pas de remise en cause d'un certain nombre de régimes spéciaux, pas de remise en cause de l’équilibre général du monde de la retraite, cela ne sécurise personne !
La vérité, c’est qu’aujourd’hui, après ce vote, quel qu’il soit, tout le monde se dira : À quand le prochain texte ? Quand serons-nous réellement en déséquilibre et quand faudra-t-il donc prendre des mesures fortes ? Quand y aura-t-il une véritable réforme ?
M. Gilbert Barbier. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Voilà le vrai sujet !
Aujourd’hui, nous venons pour voter des hausses de cotisations ; demain, il faudra faire la réforme des retraites ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon propos vise d’abord à rappeler qu’en matière d’assurance vieillesse il existe aussi une assurance vieillesse volontaire pour les salariés français expatriés, ou les parents chargés de famille expatriés. Cette assurance volontaire est gérée par la Caisse des Français de l’étranger, que je préside, pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
Aujourd’hui, 50 000 Français expatriés font usage de cette assurance volontaire : 40 000 d’entre eux relèvent d’entreprises françaises qui expatrient du personnel à l’étranger, et 10 000 sont des assurés individuels.
La cotisation à acquitter est assez élevée : elle peut atteindre 6 200 euros par an. Si, pour les salariés d’entreprises françaises, on peut supposer que l’employeur participe fortement à la prise en charge de cette cotisation, il n’en va pas toujours de même pour les salariés individuels.
Ces chiffres montrent donc le souhait de beaucoup de Français, lorsqu’ils partent travailler à l’étranger, de rester rattachés au système français de sécurité sociale. Tous les Français qui partent hors de France n’ont pas le désir de rompre les ponts avec leur pays d’origine et l’attachement à la sécurité sociale reste souvent très fort.
Malheureusement, l’adhésion à l’assurance volontaire vieillesse est devenue plus compliquée. Alors que cette adhésion était auparavant ouverte aux personnes de nationalité française ainsi que, sous conditions, à certains étrangers, une loi de 2010 a supprimé la règle de la nationalité pour y substituer la condition d’avoir été couvert, pendant au moins cinq ans, par un régime obligatoire d’assurance maladie français.
Cette réforme a d’abord entraîné une grande complexité de gestion, car il est souvent difficile pour une personne de prouver qu’elle remplit cette condition, mais – c’est sans doute le plus grave ! – la difficulté à apporter la preuve de cinq ans d’affiliation à un régime obligatoire d’assurance maladie est peut-être en train de détourner certains jeunes qui partent travailler à l’étranger pour de courtes périodes d’adhérer à l’assurance volontaire vieillesse. Cela est regrettable à un moment où le Gouvernement décide d’allonger la durée de cotisation mais souhaite, en contrepartie, faciliter la validation de certains trimestres de cotisation.
Enfin, les Français de l’étranger qui n’ont jamais résidé en France se voient désormais privés de toute possibilité d’adhérer à l’assurance volontaire vieillesse, ce qui est choquant pour beaucoup de représentants des Français de l’étranger. Il n’y a dans mon propos aucun reproche à votre égard, madame la ministre, la nouvelle règle d’adhésion à l’assurance volontaire vieillesse ayant été instaurée par le précédent gouvernement à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Oui !
M. Jean-Pierre Cantegrit. Mais puis-je exprimer un souhait ?
La Caisse des Français de l’étranger, qui gère cette assurance volontaire, vient d’entrer, avec votre ministère, dans une démarche de convention d’objectifs et de gestion. Ne pourrait-on pas mettre à profit la durée de cette future convention pour réfléchir sereinement, avec vos services, à une règle d’adhésion moins problématique ?
Pour conclure, je voudrais élargir mon propos au-delà du seul sujet de l’assurance volontaire vieillesse.
Diverses réformes sont intervenues pour accroître et améliorer la représentation politique des Français de l’étranger. À la suite d’une modification de la Constitution, onze députés des Français de l’étranger ont été élus, qui se sont ajoutés aux douze sénateurs déjà existants. Plus récemment, une réforme de l’Assemblée des Français de l’étranger a été engagée. L’objectif est de mieux prendre en compte les intérêts et préoccupations des Français de l’étranger.
Or cela ne se traduit pas toujours dans l’action menée au quotidien. Rares sont les textes soumis au vote du Parlement pour lesquels l’impact ou les conséquences des actions proposées ou des réformes envisagées sur les Français de l’étranger ont été préalablement analysés. Le présent projet de loi n’y fait pas exception, ce qui conduira peut-être certains de mes collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France à proposer des amendements.
Aussi, ne serait-il pas souhaitable, madame la ministre, que les services ministériels s’habituent à prendre en compte les préoccupations propres aux Français de l’étranger ou s’interrogent, dès le premier stade de l’élaboration des textes, sur les éventuelles conséquences à leur égard des mesures proposées ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne répondrai pas à l’ensemble des interpellations qui m’ont été adressées – nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir au cours du débat –, mais je reviendrai sur les points les plus saillants qui structurent la discussion que nous avons sur l’avenir de notre système de retraites.
Pour commencer, je tiens à saluer la qualité de toutes les interventions, et je veux remercier Mme la rapporteur, Christiane Demontès, de la démarche constructive qui est la sienne et des propositions qu’elle a formulées dans son intervention, qui nous permettront de cheminer tout au long du débat.
Je remercie également M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, Jean-Pierre Caffet, d’avoir relevé que la démarche engagée par le Gouvernement participe au redressement des comptes publics et d’avoir souligné que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondé ce texte sont identiques à celles qui avaient été retenues précédemment, ce qui, normalement, devrait empêcher toute critique de la part de l’opposition sur ce point.
Je remercie, enfin, Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Laurence Rossignol, d’avoir souligné que ce texte marque des avancées importantes concernant la prise en compte de la situation des femmes. J’ai entendu certaines des propositions formulées, notamment la possibilité laissée aux femmes de se constituer des droits propres, ainsi que d’autres éléments allant en ce sens.
À l’évidence, une réforme des retraites ne peut apporter à elle seule – par la même occasion, je réponds à Mme Cohen – toutes les réponses aux inégalités dont sont victimes les femmes, même si un texte relatif aux retraites doit intégrer des éléments de nature à atténuer les inégalités ou à éviter que celles-ci ne se creusent ; c’est, en tout cas, ce que nous avons souhaité faire.
Je veux dire à Jean-Marie Vanlerenberghe et à tous ceux qui se sont exprimés sur la question d’un système de retraites par points, une réforme systémique, que la position du groupe UDI-UC n’a pas varié au fil des ans, contrairement à d’autres. Ce groupe a régulièrement porté la volonté d’engager une réforme systémique ou dite systémique de notre régime de retraite.
Je ne sous-estime pas l’importance de ces propositions, je veux simplement insister sur le fait qu’une réforme systémique ne constitue pas en elle-même une réponse aux enjeux de financement. C’est d’ailleurs ce que souligne le rapport du Conseil d’orientation des retraites de 2010, auquel il a été fait allusion à plusieurs reprises.
Une réforme systémique, un système de retraites par points ou en comptes notionnels, – je m’adresse également là à Françoise Laborde – c’est une architecture, une manière de compter, de décliner, d’organiser, de structurer nos retraites, mais cela ne dit rien des choix politiques que nous pouvons faire. Or il faut faire des choix quant à l’âge de départ en retraite, la durée de cotisation, la prise en compte ou non de la pénibilité, la prise en compte ou non des inégalités concernant les femmes ou les jeunes. Le système suédois en est une preuve : les problèmes de financement n’ayant quasiment pas été réglés, le gouvernement a été obligé de réintervenir pour bloquer la manière dont étaient comptabilisés les départs en retraite.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Absolument !
Mme Marisol Touraine, ministre. Il y a donc des choix politiques à faire qui ne disent rien de la manière dont s’organise et se structure ensuite un système de retraites. Nos choix sont ceux qui figurent dans cette réforme : nous n’avons pas voulu aller vers un régime de retraite par points, dont on voit d’ailleurs les limites avec les régimes de retraite complémentaire, qui ont, eux aussi, été amenés à faire des choix puisqu’il n’y a jamais d’ajustement automatique.
Monsieur Watrin – je m’adresse aussi à Laurence Cohen, même si elle n’en a pas parlé –, quelle drôle de manière d’engager le débat en annonçant d’emblée que, quoi qu’il arrive, le groupe CRC ne votera pas ce texte, mais qu’il a la volonté d’améliorer la rédaction de chacun des articles. Voilà qui ne favorise pas le dialogue constructif.
Mme Éliane Assassi. C’est l’expérience qui parle !
Mme Marisol Touraine, ministre. Pour ma part, j’aurais l’occasion d’y revenir, je pratiquerai volontiers ce type de dialogue.
Pierre Mauroy a mené – je remercie cette grande figure du socialisme – une importante réforme des retraites en 1982, qui tenait compte du fait que, à l’époque, l’espérance de vie, notamment des ouvriers et des mineurs de sa région,…
Mme Éliane Assassi. On en a reparlé en 2010 ! Ce n’est pas un temps si lointain !
Mme Marisol Touraine, ministre. … était inférieure à soixante-cinq ans. Comment partir à la retraite à soixante-cinq ans quand on vit moins de soixante-cinq ans ? C’est quelque chose qui n’est pas envisageable.
J’ai moi-même cité le discours de Pierre Mauroy en 2010 lorsqu’il parlait de la retraite comme une ligne d’espoir et de vie.
Mme Éliane Assassi. À soixante ans !
Mme Marisol Touraine, ministre. C’est pourquoi nous avons permis, en 2012, à ceux qui ont commencé à travailler tôt et dont l’espérance de vie est plus faible de partir dès soixante ans.
J’ajoute qu’aucun gouvernement n’a apporté autant de ressources extérieures au système de retraite, que ce soit au travers de la loi de finances rectificative ou des lois de financement de la sécurité sociale. Je ne crois pas – c’est peut-être une différence entre nous ! – que l’on puisse répondre à l’enjeu des retraites uniquement par des prélèvements supplémentaires.
Mme Marisol Touraine, ministre. C'est la raison pour laquelle nous prévoyons l’allongement de la durée de cotisation.
Oui, monsieur Barbier, il est nécessaire de prendre en compte la pénibilité, mais il ne revient pas au seul système de retraites d’y remédier. C’est pourquoi notre réforme prévoit de soutenir la prévention de la pénibilité. Nous voulons, au travers des mécanismes mis en place, encourager, d’une part, les salariés à se former et, d’autre part, les entreprises à modifier les conditions de travail dans lesquelles évoluent leurs personnels, afin qu’il y ait davantage de prévention et moins de réparation.
J’ai bien entendu les multiples critiques émises par le groupe UMP sur ce projet de réforme.
Mme Catherine Procaccia. Moins que vous ne le faisiez il y a quelques années !
Mme Marisol Touraine, ministre. À dire vrai, je ne m’attendais pas à autre chose. Toutefois, je n’ai pas entendu d’autres propositions, monsieur Longuet, si ce n’est celle de relever l’âge légal de départ en retraite à soixante-cinq ans,…
Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne sais pas jusqu’à quel âge il faudra travailler pour répondre à votre demande de réforme. En tout cas, il s’agit clairement d’une différence entre nous, que j’assume, que je porte et que je revendique.
Nous considérons, pour notre part, que le relèvement de l’âge légal de départ en retraite est injuste parce qu’il fait porter tout l’effort de restructuration du système sur ceux qui ont commencé à travailler jeune,…
Mme Marisol Touraine, ministre. … alors que la durée de cotisation peut être modulée en fonction des conditions de travail.
Monsieur Bas, j’ai bien entendu vos leçons.
M. Philippe Bas. Tant mieux !
Mme Marisol Touraine, ministre. Le débat me permettra de vous apporter des réponses et peut-être me permettra-t-il même de quitter le statut de chef de bureau pour accéder à celui de sous-directeur. (Sourires.) C’est au fond le seul vœu que je puisse formuler. Mais je sais qu’il n’y avait dans votre esprit nul mépris à l’égard des chefs de bureau qui peuplent nos administrations ; vous avez été bien placé pour en reconnaître la compétence et la qualité.
Monsieur Karoutchi, les comparaisons internationales doivent être faites avec une certaine prudence, car elles défient parfois ce que l’on imagine. Ainsi, de nombreux pays ont un âge légal de départ en retraite inférieur au nôtre : 60 ans au Canada, 61 ans en Suède, 62 ans aux États-Unis.
M. Roger Karoutchi. Et en Allemagne !
Mme Marisol Touraine, ministre. Et en Allemagne, pays dont on parle très souvent et dont vous, le groupe UMP et d’autres, parlez très souvent, la durée de cotisation est assez nettement inférieure à la nôtre.
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Trente-cinq ans !
Mme Marisol Touraine, ministre. De plus, l’âge légal de départ en retraite doit être porté à 67 ans…
M. Jean-Pierre Caffet. En 2029 !
Mme Marisol Touraine, ministre. … à l’horizon 2029 ; cela prouve d’ailleurs que l’on peut s’inscrire dans la durée, contrairement à ce que vous semblez imaginer ! Soixante-sept ans, c’est l’équivalent, en France, de l’âge de la retraite à taux plein. Contrairement à ce que vous laissez penser, c’est effectivement 67 ans depuis la réforme de 2010 et non pas 62 ans !
M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis. Eh oui !
Mme Marisol Touraine, ministre. Il faut donc comparer ce qui est comparable : en Allemagne, les critères sont la durée de cotisation et l’âge de la retraite à taux plein, alors que nous avons en France la durée de cotisation, l’âge légal de départ à la retraite et l’âge de la retraite à taux plein. Aussi, les comparaisons internationales doivent bien sûr être maniées avec précaution.
Monsieur Husson, le travail qui sera mené au cours de l’année 2014 nous permettra de prendre en compte la diversité des entreprises dans la mise en place du compte pénibilité.
Monsieur Cantegrit, j’entends bien vos préoccupations quant au régime des Français de l’étranger. Sur ce sujet, des rapports vont être remis au Gouvernement, qui doivent nous permettre, au-delà de la question de l’assurance volontaire vieillesse, de réfléchir à la façon d’améliorer la situation, même si des mesures ont déjà été prises dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Monsieur Desessard, vous avez relevé, avec votre talent habituel, qu’il s’agissait d’une réforme de gauche, qui contenait de nombreuses mesures de justice importantes. L’allongement de la durée de cotisation permet de prendre en compte une évolution de la société, qui est indéniable.
D’ailleurs, un jeune qui est aujourd’hui âgé de 25 ans, même en admettant qu’il soit amené à cotiser 43 annuités parce qu’il ne bénéficiera pas du compte pénibilité, vivra à la retraite deux ans de plus que celui qui part à la retraite cette année ou l’année prochaine.
Madame Laborde, je vous ai déjà en grande partie répondu. Je tiens toutefois à vous remercier d’avoir souligné l’importance des mesures en direction des jeunes, qu’il s’agisse de la prise en compte de trimestres d’études ou de stages.
Monsieur Antoinette, j’entends les préoccupations que vous exprimez sur l’outre-mer. Cependant, ce projet de loi n’est pas le bon véhicule législatif pour apporter des réponses aux inégalités ou aux différences d’espérance de vie…
Mme Catherine Procaccia. C’est bien ce que l’on dit !
Mme Marisol Touraine, ministre. … qui résultent de la santé ou de l’environnement. C’est par exemple en matière de santé publique que nous pouvons avancer sur ces sujets.
Je tiens à remercier les orateurs du groupe socialiste du soutien qu’ils ont apporté à ce texte.
Je remercie tout particulièrement Claude Domeizel d’avoir rappelé qu’il fallait dire la vérité à nos concitoyens (M. Gérard Longuet s’exclame), parce qu’ils étaient prêts à entendre que nous devions travailler plus longtemps,…
M. Jean-François Husson. Vous disiez le contraire avant !
M. Jean-François Husson. Quelle amnésie !
Mme Marisol Touraine, ministre. … mais que, dans le même temps, des mesures de justice étaient apportées. Il a avec raison fait référence aux grandes figures du Conseil national de la Résistance et montré que ce qui nous paraît une évidence s’est progressivement construit ; aujourd'hui, nous devons aller de l’avant de la même manière.
Yves Daudigny a parlé d’une réforme d’espoir et de confiance. Ce sont des termes forts. Je le remercie également d’avoir salué la méthode de concertation adoptée par le Gouvernement, qui rompt avec ce qui prévalait dans le passé. Il a également mis l’accent sur l’allocation transitoire de solidarité, qui a pris le relais de l’allocation équivalent retraite, et les difficultés auxquelles les générations de 1952 et 1953 sont confrontées. Sur cette question, un rapport doit être remis et nous avons la volonté d’avancer.
Merci aussi à René Teulade d’avoir dit qu’il fallait rompre avec les slogans faciles et qu’il était nécessaire de consolider le rêve des jeunes générations qui veulent pouvoir bénéficier d’une retraite de bonne qualité. C’est à cela que nous œuvrons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de la dénaturation qu’a subie ce texte,...
M. Philippe Bas. Qui l’a voté ?
Mme Marisol Touraine, ministre. ... il était inévitable que la commission des affaires sociales votât son rejet. (M. Jean-François Husson s’exclame.) Pour ma part, quoi qu’il se soit passé en commission, j’aborde cette étape sénatoriale, comme celles qui l’ont précédée, avec disponibilité, ouverture d’esprit et volonté de dialogue, mais également avec la ferme détermination de garantir l’équilibre financier et social de ce texte.
C’est en effet un gage de cohérence pour tous ceux qui attendent de savoir comment se construira notre système de retraites dans l’avenir.
Quoi qu’il en soit, je vous renouvelle mes remerciements. Je souhaite que ce débat parlementaire soit à la hauteur de l’enjeu, l’avenir de notre système social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Longuet, Cardoux et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (n° 71, 2013–2014).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Gérard Longuet, pour la motion.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en début de séance, au nom du groupe UMP et en vertu de l’article 44, alinéa 5, de notre règlement, j’ai déposé une motion de renvoi à la commission. En effet, à nos yeux, ce texte ne répondait pas complètement – c’est un euphémisme ! – à l’objectif affiché dans son titre : garantir à la fois la pérennité et la justice du système de retraites.
La pérennité, parce que le projet de loi ne s’attaque qu’à une partie du déficit estimé, notamment par le COR, à 20,7 milliards d’euros en 2020. Ainsi, il est question d’un apport et d’un soutien, comme la discussion générale l’a montré, essentiellement à la charge des retraités et des salariés, de 7,6 milliards d’euros. Cela laisse évidemment une importante impasse, sur laquelle nous souhaitons obtenir des informations beaucoup plus complètes. Ne serait-ce que pour cette raison, le renvoi en commission se justifiait.
La justice, parce que, et c’est un point qui nous sépare, madame la ministre, nous considérons qu’un régime qui ne permet pas la flexibilité de la charge et de la recette au fur et à mesure de l’évolution des réalités économiques et de l’impact des mouvements de la société de long terme – les mouvements de la société vous sont familiers – n’est pas juste.
Ce texte méritait donc d’être approfondi pour que, sans évoquer un système d’ensemble, madame la ministre, vous puissiez au moins nous répondre sur les lancinantes questions de l’adaptation du régime de retraite aux réalités économiques de notre temps, telles qu’elles ont été évoquées notamment par mon collègue Jean-François Husson, sur le thème de la pénibilité, ou par mon collègue Philippe Bas, sur le thème plus général de l’équilibre du dispositif. Roger Karoutchi a rappelé, avec le bon sens que chacun lui connaît, que cette question des retraites devrait nous rapprocher car, comme je l’ai évoqué, par le jeu de l’alternance démocratique, nous aurons tous à rendre compte de la gestion de ce système collectif. Pour cette autre raison, le renvoi en commission s’imposait.
Je renonce pourtant à demander le renvoi de ce texte en commission. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
En effet, j’ai un immense respect pour notre présidente de commission et je ne conteste nullement la bonne volonté de Mme Demontès, dont le rapport méritait d’être lu et entendu. Mais un petit problème se pose : la commission ne fonctionne pas ! S’il en est ainsi, madame la ministre, c’est parce que, à l’origine, il y a un malentendu dans le contrat de votre majorité.
J’ai relu attentivement certaines déclarations émises lors de la campagne pour l’élection présidentielle. En fait, vous avez abordé l’épreuve du suffrage universel sur ce thème majeur des retraites, avec des positions suffisamment contradictoires pour que naissent des ambiguïtés, que vous ne parvenez pas à lever en cet instant.
Un candidat, qui, depuis, a été oublié, Dominique Strauss-Kahn, rappelait très crûment – c’est son habitude : parler direct, agir direct ! – que 60 ans n’étaient pas un tabou et qu’il nous fallait négocier avec les réalités. À l’autre extrémité du parti socialiste, M. Montebourg et Mme Ségolène royale – moins bien inspirée qu’elle ne le fut dans d’autres circonstances – déclaraient que c’était 60 ans et rien d’autre.
Entre les deux, le candidat Hollande et vous-même, madame la ministre, avez adopté des positions que même une longue pratique du jésuitisme ne me permettrait pas de comprendre (Sourires sur les travées de l'UMP) : 60 ans, c’est le bon âge pour partir à la retraite, mais pas pour tout le monde ; de toute façon, ce qui importe, c’est la durée de cotisation ; quant à ceux qui ont commencé très jeunes et qui ont la durée requise... En un mot, vous avez laissé planer l’ambiguïté la plus complète, créant ainsi une sorte d’auberge espagnole des régimes de retraite qui donnait à chacune des ailes de votre majorité l’espoir d’être entendue et reconnue.
Il se trouve que cela n’était pas possible et qu’il faut choisir.
Il y a trois ans, j’exerçais d’autres fonctions, celles de président du groupe auquel j’appartiens aujourd’hui, je me souviens d’avoir passé trois longues semaines au mois de juillet, le matin, l’après-midi, le soir, tard dans la nuit. (Mme Catherine Procaccia acquiesce.) Ce fut sans pénibilité aucune, mais au contraire avec grand plaisir, car, quand s’agit de participer à la construction de son pays, c’est un devoir, une richesse, une opportunité et un honneur.
M. Roger Karoutchi. Là, il en fait trop ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. À l’époque, vous condamniez absolument tout. (M. Jean-François Husson acquiesce.) Rien ne trouvait grâce à vos yeux dans cette réforme de 2010, qui prolongeait celle de 2008, qui elle-même succédait à celle de 2003 et à celle de 1993, où le gouvernement d’Édouard Balladur avait eu le courage – pour être très honnête, un courage prudent, en plein mois de juillet – d’allonger la durée de cotisation des salariés du secteur privé sans s’attaquer aux salariés du secteur public. Depuis, nous avons découvert le thème de la convergence.
Aujourd’hui, vous héritez de cette contradiction entre le principe de réalité que doit assumer un gouvernement – c’est votre mission – et les espoirs qu’a fait naître l’ambiguïté de vos propos de 2012, après la démagogie absolue dont vous aviez fait montre avec votre opposition totale de 2010. Vous en subissez les effets concrets : il n’y a pas de majorité en commission.
Je retire donc cette motion de renvoi en commission.
Mme Catherine Génisson. Pourquoi l’avoir déposée, alors ?
Mme Éliane Assassi. Pour disposer d’un temps de parole supplémentaire !
M. Gérard Longuet. Cela ne servirait à rien ! Nous débattons du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, ce qui signifie que la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée n’est pas en mesure d’exprimer sa position.
Dans ces conditions, pourquoi diable perdre du temps ? Attaquons directement l’examen des articles : chaque groupe défendra ses convictions. La seule vérité à retenir, c’est que, à vouloir promettre tout à tous, vous avez créé une situation que vous n’êtes plus en mesure de gérer. Nous ferons donc en séance plénière un travail de commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit.)
M. le président. La motion n° 1 est retirée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
Nous en sommes parvenus à la discussion des articles.
Article 1er
I. – L’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu’ils ont tirés de leur activité.
« Les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie en bonne santé, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent.
« La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, notamment par l’égalité entre les femmes et les hommes, par la prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle, et par la garantie d’un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités.
« La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital. Elle suppose de rechercher le plein emploi. »
II. – L’article L. 161-17 A du même code est abrogé.
III (nouveau). – Au quatrième alinéa de l’article L. 1431-1 du code de la santé publique, le mot : « à » est remplacé par la référence : « au I de ».
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er complète l’article L. 111–2–1 du code de la sécurité sociale, pour y faire figurer l’exposé des principes fondateurs de notre système de retraites : répartition et solidarité entre générations.
Ces principes fondateurs étaient préalablement définis au début du chapitre de ce code consacré à l’assurance vieillesse.
Or la rédaction du texte adopté par l’Assemblée nationale pour ces objectifs du système de retraites pose problème.
Dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, quatre objectifs avaient été assignés par la Nation au système de retraites : la solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, la garantie d’un niveau de vie satisfaisant, la pérennité financière et – c’est l’objet de mon intervention – l’égalité des pensions entre les femmes et les hommes.
S’agissant de cet objectif précis, le texte adopté par l’Assemblée nationale en séance plénière est nettement réducteur puisqu’il ne se réfère plus à l’égalité des pensions entre les femmes et les hommes comme un objectif en soi du système de retraites.
Or, si tout le monde convient qu’il est urgent de parvenir à une nouvelle avancée pour l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, il faut aussi s’emparer de la question des pensions, pour le droit à une retraite digne et décente.
En effet, les écarts de pension entre les femmes et les hommes demeurent persistants et inacceptables, comme l’a rappelé tout à l’heure Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes.
Nous savons qu’ils proviennent d’une insuffisance pour les femmes de droits propres, liée aux inégalités salariales, à la prégnance des stéréotypes de genre dans l’accès à l’emploi, aux carrières hachées, au temps partiel subi, etc.
Cette situation impacte lourdement et négativement non seulement le niveau des pensions, mais aussi l’âge de départ en retraite : il est plus tardif chez les femmes, avec une décote plus fréquente et davantage de titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Pourtant, la réduction des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite constitue un aspect central, nous dit-on, de ce projet de loi.
De surcroît, dans le texte dont nous débattons, l’égalité entre hommes et femmes n’est plus que l’un des aspects qui permettent au système de retraites de remplir son objectif de solidarité entre les générations. À cet égard, l’usage de l’adverbe « notamment » est très significatif.
C’est pourquoi, avec mon groupe, je soutiendrai des amendements de réécriture de cet article et de propositions, tout particulièrement celle qui vise à faire en sorte qu’aucune pension ne soit inférieure au SMIC.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. Incontestablement, nos régimes de retraite, assis sur la solidarité entre les générations et le principe de répartition, connaissent des difficultés financières. Toutefois, ces dernières sont bien moins insurmontables que ne tendent à le faire croire ce projet de loi et les propositions injustes qu’il contient.
Comme l’ensemble de notre système de protection sociale, notre système de retraites connaît une crise financière persistante qui, tout en affaiblissant sa portée et son avenir, tend à semer le doute dans les esprits de nos concitoyens quant à sa pertinence et sa pérennité. En effet, nombreuses et nombreux sont ceux qui pensent que, demain, il leur faudra se constituer personnellement une retraite, c’est-à-dire épargner pour se constituer une retraite privée.
Cette inquiétude légitime, il nous faut la combattre. L’article 1er de ce projet de loi est, à cet égard, de nature à générer l’espoir. Il réaffirme l’attachement de la Nation à un mécanisme de retraites qui continuerait à unir les générations entre elles. Il fait explicitement référence à un régime de retraite par répartition et se fixe pour objectif de garantir aux retraités un niveau de vie satisfaisant. Nous serions tout prêts à souscrire à ces déclarations de principe pour autant qu’elles ne soient pas vides de tout contenu et qu’elles ne constituent pas des vœux pieux.
Comment prétendre en effet vouloir garantir notre système de retraites par répartition sans répondre au mal premier, fondamental, dont souffre notre système de retraites, à savoir son insuffisance de financement ?
Ce dont souffre la sécurité sociale, ce n’est pas d’un excès de dépenses, mais d’une insuffisance chronique de recettes, organisée par des politiques successives et continues d’exonérations de cotisations sociales, lesquelles n’ont jamais eu d’autres effets que l’accroissement des bas salaires, de la précarité et des déficits publics et sociaux.
Force est de constater que, en la matière, contrairement à ce que nous aurions pu attendre, votre gouvernement a fait sienne la logique de la réduction du coût du travail portée par la droite et les libéraux.
Comment prétendre vouloir garantir un haut niveau de retraites quand vous avez non seulement renoncé à interdire les licenciements boursiers mais que vous avez, pire encore, à la demande du MEDEF, contribué à faciliter le licenciement des salariés pour motif économique ? Je renvoie à notre divergence fondamentale sur l’accord national interprofessionnel, l’ANI.
Comment croire que ces salariés, sacrifiés sur l’autel de la finance, pourront, de périodes de chômage indemnisé en période de chômage non rémunéré, de stages en formations, atteindre à soixante-deux ans le nombre d’annuités nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein ?
Comment faire croire que, pour l’avenir, notre système de protection sociale doit reposer sur un financement mettant le capital à contribution quand, tout de suite après avoir annoncé une hausse très modérée de la part patronale de cotisations sociales, vous annoncez une exonération de cotisations sociales sur la branche famille, afin que la hausse décidée soit au final indolore – pour le patronat en tout cas, car l’article 2 de ce projet de loi, qui prévoit l’allongement de la durée de cotisations, impactera fortement le monde du travail ?
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC ne votera pas en faveur de cet article et s’abstiendra.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l'article.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’image de mon collègue, je m’abstiendrai sur cet article, non que les principes avancés dans celui-ci ne me séduisent pas, mais parce que je mesure précisément combien ces principes, rapportés à ce projet de loi, sont au mieux un cap infranchissable, au pire une succession de promesses intenables.
En réalité, en faisant le choix de faire porter l’essentiel du financement de cette réforme des retraites sur les salariés et en allongeant la durée de cotisation, vous poursuivez la logique débutée en 1993 sous M. Balladur, continuée en 2003 par M. Fillon et poursuivie en 2010 par M. Woerth.
L’allongement de la durée de cotisation prévue à l’article 2 rapportera, selon l’étude d’impact associée à ce projet de loi, 5,4 milliards d’euros, une somme importante à laquelle il conviendra également d’ajouter les millions d’euros d’économies qui résulteront des décotes imposées à celles et ceux qui, usés par une vie de travail faite de précarité, de périodes de chômage et de conditions de travail abîmant le corps et réduisant l’espérance de vie en bonne santé, n’auront d’autre choix que de faire valoir leurs droits à la retraite, y compris s’ils ne sont pas parvenus à cumuler tous les trimestres leur permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein.
Mais c’est également sans compter sur les effets désastreux de cette mesure sur d’autres branches de notre système de protection sociale – je pense par exemple aux dépenses liées à l’indemnisation accordée aux salariés privés d’emplois. Dans la mesure où les employeurs continuent à exclure les salariés âgés de plus de cinquante-cinq ans du marché du travail, l’adoption de l’article 2 aura mécaniquement pour effet d’accroître les périodes de chômage, et donc une partie des dépenses publiques. Mais je pense également à la branche famille, déjà déficitaire et victime d’une tuyauterie complexe qui l’appauvrit et qui ne poursuit qu’un objectif : satisfaire chaque année un peu plus que la précédente l’exigence du MEDEF de soustraire les entreprises au financement de cette branche.
Au final, avec ces effets secondaires sur l’indemnisation du chômage comme sur la branche famille, le Gouvernement creuse un trou pour en boucher d’autres, plutôt que de sauver notre système de retraites. Celui-ci connaît effectivement une situation de déficit, mais ce dernier est tout relatif. En 2020, le déficit de la branche vieillesse atteindra à peine 1 % de notre produit intérieur, c’est-à-dire, pour parler en chiffres et non en pourcentage, 20 milliards d’euros, exactement la somme que le Gouvernement vient d’offrir sur un plateau au patronat au nom du plan compétitivité.
Il y a bien, d’un côté, une ponction de 5,4 milliards d’euros à la charge des salariés, sur la seule base de l’application de l’article 2 et, de l’autre, un cadeau fiscal de 20 milliards d’euros accordé au patronat. Et ce, alors même que l’article 1er, que vous nous invitez à adopter, prétend vouloir faire financer une partie de nos retraites sur ce même capital que vous épargnez !
Parce que vos actes en la matière sont à l’opposé de vos discours, je ne voterai pas en faveur de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. La sénatrice que je suis ne peut naturellement rester insensible à la déclaration de principe figurant dans cet article 1er, qui confère à notre système de retraites, selon les mots mêmes de son alinéa 6, « un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, d’égalité des pensions entre les femmes et les hommes ».
Pourtant, madame la ministre, je dois dire qu’il y a pour le moins une confusion.
Dans la mesure où ce même article prévoit que les pensions perçues sont en rapport avec les revenus du travail, comment voulez-vous que notre régime de retraite puisse garantir une égalité de pensions entre celles versées aux femmes et celles versées aux hommes ?
C’est bien parce que les salaires des femmes sont inférieurs d’un quart en moyenne à ceux qui sont perçus par les hommes que leurs retraites le sont aussi de 42 %.
C’est bien parce que les femmes sont plus exposées que les hommes aux temps partiels, particulièrement aux temps partiels subis, que les carrières des femmes sont plus incomplètes que celles des hommes, et qu’elles subissent mécaniquement – hélas ! – des décotes plus fortes que les hommes.
Or salaire et durée de carrière sont les deux composantes principales du calcul de la pension de retraite.
C’est pourquoi, quand bien même je voudrais croire en cet alinéa 6, je vois mal comment, sans mécanisme de redressement permettant de compenser une précarité plus grande au travail et une sous-rémunération constante, les femmes de notre pays pourraient, demain, prétendre bénéficier d’un niveau de pension égal à celui des hommes.
Certes, il y a bien l’article 13, relatif aux droits familiaux, qui, bien que largement insuffisant, est positif, comme je l’ai souligné dans mon intervention en discussion générale.
Mais son effet demeure limité au point que, comme le précise Christiane Marty, membre du conseil scientifique d’ATTAC et animatrice de sa commission « Genre et mondialisation », les écarts de pensions seraient au mieux, dans les meilleurs des cas, ramenés à 28 % entre les pensions des femmes et des hommes. Or, 28 % d’écart, vous en conviendrez, madame la ministre, ce n’est pas, loin s’en faut, l’égalité de traitement que vous appelez de vos vœux au travers de cet article 1er.
C’est pourquoi, à mon tour, je précise que je ne voterai pas en faveur de cet article 1er, considérant que les actes sont plus importants que les déclarations et que vos actes, particulièrement l’article 2, relatif à l’allongement de la durée de cotisation, et l’article 4, qui repousse de six mois la revalorisation des retraites, affecteront les plus modestes et les plus fragiles économiquement, dont les femmes. Ces dispositions viennent donc en contradiction avec les principes énoncés dans cet article 1er.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Après le mot :
retraite
insérer le mot :
solidaire
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Les mots ont un sens et il importe de bien choisir, notamment quand il s’agit d’établir la loi.
La reconnaissance d’un droit au travail, à un vrai salaire, est indissociable du droit à la retraite et du choix du système par répartition et de solidarité entre les générations que nous défendons.
« Je n’ai jamais séparé la République des idées de justice sociale dans la vie privée, sans lesquelles elle n’est qu’un mot », a dit Jean Jaurès. Avec cet amendement, nous souhaitons ainsi remettre véritablement le mécanisme de répartition au cœur de notre système de retraites afin qu’il continue d’être juste et solidaire.
Nous ne désirons pas individualiser la retraite en fonction des revenus, ni maintenir les conditions de l’inégalité entre les retraités. Pour nous, en effet, quels que soient sa condition sociale et le déroulement de sa carrière, chacun doit pouvoir disposer d’un revenu qui lui permette de vivre décemment la dernière période de sa vie.
Pour apporter cette garantie, la solidarité et la répartition sont nécessaires dans les faits. Pourtant, entre recul de l’âge de départ à la retraite et accroissement du nombre d’annuités, c’est une autre voie qui est ici confortée. En effet, madame la ministre, la vérité est que le présent texte ne fait que renforcer la réforme Balladur de 1993, celle de M. Fillon en 2003 et, la plus récente, celle de 2010.
L’augmentation de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein, les modalités de détermination du salaire moyen, les conditions de revalorisation des pensions, tout concourt à raboter progressivement le niveau des prestations versées en contrepartie des cotisations prélevées auprès des actifs.
La réforme Balladur de 1993 a, déjà, occasionné un sensible décrochage de la progression des dépenses d’assurance vieillesse : depuis vingt ans, les retraités ont en effet subi de plein fouet un décrochage sensible de leurs pensions au regard de ce qu’elles auraient pu être sans cette prétendue réforme.
Pour l’heure, hélas, la présente réforme ne semble conduire qu’à une nouvelle décote des pensions à moyen et long termes. Nous devons, tout au contraire, affirmer nos valeurs de solidarité, ne serait-ce que pour que le reste de ce texte soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens dans ce domaine.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que la retraite par répartition revêt un caractère « solidaire ».
Cette précision ne paraît pas utile, car le principe même de la retraite par répartition repose sur la solidarité entre les générations et sur un principe contributif, ainsi que le précise déjà l’alinéa 6 de l’article 1er. La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Nous avons tenu, à travers cet amendement, à réaffirmer notre attachement au principe de solidarité qui fonde notre système de retraites.
En ce sens, toute réforme doit préserver les valeurs essentielles de justice sociale en maintenant la solidarité. Ce faisant, elle répond à l’exigence de maintien de la cohésion de la société. Remettre en cause ce principe même de solidarité, c’est incontestablement faire reculer significativement notre civilisation.
Il ne faudrait pas oublier que ce principe de solidarité, qui est à la base de notre système de protection sociale, s’est développé au cœur même de la Résistance. De même, n’oublions pas que toutes les avancées sociales de l’après-Seconde Guerre mondiale furent aussi une réponse au libéralisme sauvage des années vingt et à la déflation des années trente.
C’est donc dans une période particulièrement troublée qu’un système de protection sociale aussi novateur a été progressivement élaboré et a pu émerger après la guerre.
Malgré une situation particulièrement difficile, alors qu’il fallait reconstruire et consacrer de grands efforts au redressement économique de notre pays, nous avons su mobiliser les mesures nécessaires à la mise en place d’un régime d’assurance vieillesse permettant à tout un chacun, indépendamment de ses origines sociales et de sa trajectoire de vie, de bénéficier d’une sécurité pour ses vieux jours.
C’est donc avec perplexité que je constate que, sous la pression d’un vieillissement démographique relatif, on développe des discours alarmistes tendant à faire croire que notre système actuel de retraites est condamné ou que sa préservation passe par une réduction permanente et continue du niveau des pensions versées.
Je suis inquiète de voir prospérer de telles idées. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, en réponse à la grande crise des années trente, nous avons cherché à réguler nos économies en réduisant le poids des mécanismes de marché, qui avaient montré toute leur inefficacité sur les plans économique et social.
J’ai l’intime conviction qu’aujourd’hui nous faisons un grand pas en arrière en abandonnant progressivement la régulation de notre économie aux seules forces du marché, car c’est bien ce renoncement qui est à l’œuvre quand on examine, au-delà du présent projet de loi, une bonne partie des choix politiques qui sont actuellement opérés.
Mes chers collègues, nous ne croyons pas plus en les vertus méconnues des fonds de pension, des plans d’épargne entreprise ou des plans d’épargne pour la retraite collectifs, les PERCO, qu’en de multiples décisions fiscales et financières censées, en préservant notre compétitivité, sauver notre protection sociale.
Les secousses financières depuis 2008 ont montré que le capitalisme actionnarial n’est nullement capable d’assurer la régulation dont nous avons besoin. La domination des marchés financiers, toujours présente, est une machine à produire des inégalités, à affaiblir notre croissance et à créer du chômage.
On l’aura bien compris, à terme et au-delà du présent texte, c’est l’ensemble de notre système de protection sociale qui sera atteint dans ses fondements mêmes. Or, et je tiens à attirer l’attention sur ce point, croire que le marché et l’individualisme peuvent constituer des facteurs de régulation de nos sociétés, c’est commettre une grave erreur d’appréciation et d’analyse économique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Avec ces amendements et les arguments avancés pour les défendre, vous posez les termes du débat entre nous.
Comme vous l’avez rappelé, le système de retraites en vigueur durant l’entre-deux-guerres, et cela d’ailleurs depuis l’instauration du régime des retraites ouvrières et paysannes de 1910, était fondé sur la capitalisation.
M. Dominique Watrin. C’est inexact !
M. Jean-Pierre Caffet. C’est un fait, monsieur Watrin, et il en allait de même des assurances sociales de 1930. C’est aussi un fait que la crise des années trente a ruiné un certain nombre d’épargnants et de retraités qui n’ont jamais pu toucher leurs pensions.
Il a effectivement été à l’honneur de la Libération et du Conseil national de la Résistance de mettre en place un régime de retraite par répartition. Mais c’était il y a soixante ans !
M. Jean-François Husson. Soixante-dix ans !
M. Jean-Pierre Caffet. Il est tout à fait logique qu’un système par répartition, à ses débuts, puisse être extraordinairement généreux, tout simplement parce que le nombre des cotisants est très supérieur à celui des retraités. Mais, au fur et à mesure que le temps passe, du fait des évolutions démographiques de nos pays, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités se dégrade progressivement (M. Jean-François Husson s’exclame.) : il est en effet passé de quatre cotisants pour un retraité dans les années soixante à 2,5 aujourd’hui, et devrait s’établir à 1,5 en 2030.
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Voilà le problème auquel nous sommes confrontés. Il faut donc bien tenir compte de l’évolution de ce rapport démographique, qui conditionne l’évolution de nos systèmes de retraites par répartition.
J’ajouterai un autre élément. S’il n’y avait pas eu les précédentes réformes des retraites, celle de 1993, celle de 2003 et celle de 2010, cette dernière ne pesant d’ailleurs que faiblement dans l’évolution de l’équilibre des régimes de retraite – je vous renvoie à la page 27 du rapport de Yannick Moreau –, à l’heure actuelle, en 2013-2014, les régimes de retraite verseraient trois points de PIB de plus en prestations.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans ce cas, il ne fallait pas manifester contre toutes ces réformes !
M. Jean-Pierre Caffet. Trois points de PIB de plus en prestations ! Cela représente quelque 60 milliards d’euros. Imaginons la situation des régimes de retraite en 2013, où ils verseraient 60 milliards d’euros de prestations supplémentaires, sans recettes nouvelles !
Car il y a deux possibilités. Premièrement, dans l’hypothèse où cette évolution aurait été compensée par des recettes supplémentaires, les prélèvements obligatoires seraient supérieurs à leur niveau actuel de trois points de PIB, indépendamment de la manière dont entreprises et ménages se répartiraient l’effort. À supposer, par exemple, que l’effort ait été supporté pour l’essentiel par les ménages par le biais des cotisations salariales, les actifs paieraient aujourd’hui 60 milliards d’euros de plus de cotisations, et les retraités recevraient 60 milliards de plus en prestations.
En revanche, dans l’hypothèse où les recettes n’auraient pas suivi cette évolution, nous ferions face aujourd’hui à un déficit de l’ensemble des régimes de retraite accru de 60 milliards d’euros. Comment ferait-on ? Faudrait-il augmenter de 60 milliards d’euros les prélèvements obligatoires en 2013-2014 ? Il faut donc bien voir la réalité du phénomène.
Du reste, comment peut-on soutenir que la situation des retraités ne s’est pas améliorée depuis la Libération, date de création des régimes par répartition ? Il suffit là encore de lire le rapport Moreau. Force est de constater que, depuis les années cinquante, le niveau de vie des retraités a progressivement rejoint celui des actifs.
M. Jean-Pierre Caffet. Je vais citer des chiffres – je ne parle que de moyennes, parce que ce sont les seuls chiffres dont je dispose, et je reconnais volontiers l’existence de grandes disparités en matière de retraites, qui peuvent être très modestes, comme le minimum vieillesse, ou bien relativement confortables. En 2006, sans tenir compte du patrimoine, le niveau de vie moyen d’un actif s’élevait à 18 700 euros et celui d’un retraité à 15 800 euros.
M. Jean-Pierre Caffet. Si maintenant on tient compte du patrimoine, et chacun reconnaîtra que le patrimoine accumulé par un retraité est plus important que celui d’un actif, pour la même année 2006, le revenu moyen s’établissait à 21 600 euros pour un actif et à 21 200 euros pour un retraité.
M. Jean-Pierre Caffet. Plus près de nous encore, en 2010, et toujours en moyenne, les actifs disposent d’un revenu mensuel de 2 000 euros et les retraités de 1 900 euros. Je vous renvoie encore une fois au rapport Moreau, page 37.
Voilà où nous en sommes ! Dire que les réformes qui ont été menées ces dernières années et qui, d’une certaine manière, je l’assume, sont poursuivies par la réforme actuelle…
M. Jean-Pierre Caffet. … ont abouti à une dégradation du niveau de vie des retraités,…
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. … c’est une assertion qui mérite d’être relativisée.
M. Jean-François Husson. Grâce vous soit rendue !
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Jean Desessard. Il a assumé, M. Caffet !
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Pasquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première et seconde phrases
Après le mot :
répartition
insérer les mots :
à prestations définies
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Alors que cet article 1er réaffirme l’attachement de la Nation à un système de retraite par répartition, l’ensemble des articles qui suivent, et singulièrement l’article 3, conduisent à mettre en œuvre un changement majeur, à peine dissimulé : celui du basculement d’un système à prestations définies vers un système à cotisations définies.
Or les régimes à cotisations définies ne garantissent pas aux salariés un niveau de pensions une fois atteint l’âge de la retraite. Le montant de la pension constitue la première variable d’ajustement qui permet aux responsables publics de les augmenter ou, plus souvent, de les réduire, en général dans le but de diminuer les dépenses publiques.
L’équation est alors claire : quand les retraités deviennent nombreux, vivent plus longtemps et que le montant des retraites représente une part trop grande de la dépense sociale et publique, la réduction de cette dernière passe par une réduction des pensions.
À rebours de cette logique financière, notre système de protection sociale et le régime de base obligatoire de la sécurité sociale se sont constitués sur l’idée qu’il fallait impérativement que les salariés, en débutant leur carrière professionnelle, aient la garantie de pouvoir disposer d’une retraite minimum.
Or l’article 3 du présent projet de loi autorise explicitement le comité de suivi à proposer la réduction des pensions ; il est, d’ailleurs, précisé que celle-ci doit être limitée. Alors que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter d’être privés du droit à bénéficier, comme nous demain et comme nos anciens hier, d’une retraite collective et solidaire, le signal envoyé par cet article 3 est anxiogène.
Qui plus est, si en vertu de cet article 3 les pensions peuvent être réduites, l’augmentation des cotisations sociales notamment celles qui sont supportées par les employeurs, apparaît comme une solution marginale. De toute évidence, ce n’est pas la solution que votre gouvernement privilégie puisque la faible hausse de cotisations patronales est aujourd’hui immédiatement compensée par une baisse significative du financement de la branche famille.
Madame la ministre, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, vous avez, sans réelle explication, donné un avis défavorable à cette proposition d’amendement. Si le député Michel Issindou a, quant à lui, répondu à nos collègues du groupe GDR, sa réponse nous inquiète plus qu’elle ne nous rassure. En effet, selon lui, l’article 3 constitue « un principe de tunnel, qui ne fait pas de notre système un système à cotisations définies, puisque les recommandations du comité de suivi ne s’imposent pas au Gouvernement ni au Parlement ». Pour autant, il n’a pas exclu que les propositions du comité puissent aller dans ce sens, et pour cause !
Tout converge vers un possible basculement du système. Pour reprendre l’expression de notre collègue député, le bout du « tunnel » nous inquiète. C’est la raison pour laquelle il nous semble souhaitable que l’article 1er définisse le type de système de retraites par répartition que nous voulons pour notre pays, à savoir un régime à prestations définies.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement vise à préciser dans l’article 1er que le système de retraites par répartition est bien un système à prestations définies. Cependant, les paramètres de calcul des pensions de retraite ne constituent pas un objectif du système de retraite, mais un moyen au service de cet objectif. Ils n’ont donc pas leur place dans l’article 1er.
Par ailleurs, le mécanisme de pilotage prévu à l’article 3, que vous avez évoqué, chère collègue, garantit le principe des prestations définies puisque les recommandations du comité de suivi sont strictement encadrées. Elles doivent notamment respecter un taux de remplacement plancher.
Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. L’avis est défavorable, pour les mêmes raisons.
Il n’est absolument pas question, dans le cadre de cette réforme, d’engager l’évolution de notre système vers un système à cotisations définies – au lieu d’un système à prestations définies. Cette inquiétude n’a pas lieu d’être.
Comme cela vient d’être indiqué par Mme la rapporteur, l’article 3 vise simplement à encadrer les limites dans lesquelles des ajustements pourront intervenir.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je voudrais à nouveau expliquer la nature de nos inquiétudes.
Si nous sommes opposés aux mécanismes de retraites à prestations définies, c’est parce que nous en connaissons les effets, notamment sur le montant des pensions.
L’exemple Suédois est à ce titre éclairant et devrait logiquement nous prémunir de la tentation de passer d’un modèle à prestations définies à un modèle à cotisations définies. En effet, dans un tel système, les cotisations sont définies au début de la carrière professionnelle et sont censées ne pas évoluer durant celle-ci. En conséquence, l’équilibre des caisses de retraites, qu’elles soient publiques ou privées, s’opère mécaniquement par la seule variable d’ajustement possible : le montant de la pension. Cet ajustement se fait soit en augmentant la durée de cotisation et l’âge de départ à la retraite – ce qui provoque des décotes –, soit en agissant sur la valeur des points. L’évolution de ceux-ci dépendant de la croissance, un ralentissement économique ou une crise – comme celle que nous connaissons depuis quelques années – entraîne une importante baisse du taux de conversion, donc une baisse notable des pensions.
Là encore, l’exemple suédois est intéressant. La crise qui a débuté avec l’affaire dite des « subprimes » a conduit à une crise économique mondiale qui s’est traduite par un fort ralentissement de la consommation privée et une contraction massive de la dépense publique. La croissance étant en berne, les retraites ont baissé de 3 % en 2010, cette baisse ayant atteint 7 % en 2011. Sur cinq ans, les retraites des Suédois ont ainsi connu une baisse cumulée de près de 40 %.
Voilà le scénario que nous souhaitons éviter à nos concitoyens, et que nous voulions rappeler ici.
En outre, les régimes de retraite à cotisations définies entraînent une conséquence trop souvent éludée : ils interdisent le débat sur le partage des richesses, auquel nous sommes attachés. En effet, dès lors que les cotisations sont figées, la part de richesses prélevée pour financer les retraites est appelée à ne plus évoluer. Au contraire, la part de richesses créées destinée à la spéculation et à la rémunération des actionnaires profite de l’amélioration de la productivité et des nouvelles technologies qui réduisent les coûts et participent à l’augmentation des marges bénéficiaires.
Cette situation ne peut nous satisfaire dans la mesure où, pour notre part, nous considérons que les actionnaires ne sont pas les seuls propriétaires des richesses créées par le travail. Ainsi, la question de sa répartition constitue un enjeu démocratique et de société et une issue pour la pérennité que nous souhaitons tous.
Enfin et pour conclure sur cette question, je ne partage pas l’analyse selon laquelle cette disposition n’aurait pas sa place dans le présent article, au motif que la question de notre modèle de retraite – à prestations ou à cotisations définies – ne constituerait pas un objectif, mais un moyen. C’est en réalité tout le contraire : l’objectif est bien le maintien d’un système à prestations définies, car seul ce système est protecteur pour les retraités.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. Je suis un peu surpris des explications que vous venez de nous fournir, madame Gonthier-Maurin. Dans un système de répartition, ce sont les actifs qui paient pour les inactifs.
M. Claude Domeizel. Pour les retraités !
M. Jean-François Husson. Oui, c’est plus exact.
M. Claude Domeizel. Car ils sont actifs !
M. Jean-François Husson. Effectivement !
Cependant, au travers de votre amendement, on touche bien le flou, entretenu par les uns ou par les autres, sur l’objet même de notre système de répartition. Certains en portent une part de responsabilité.
En effet, que nous disent généralement nos concitoyens ? Lorsqu’ils estiment que le niveau de retraite qu’ils perçoivent ne correspond pas à leurs attentes ou à leurs espérances, ils affirment : « Avec ce que j’ai cotisé, j’ai droit à tel ou tel montant ». Je suis alors désolé de le leur dire aujourd’hui, comme je le leur disais hier et comme je le leur dirai demain, dans un système par répartition, les cotisations actuelles financent les retraites actuelles. Ainsi, lorsque l’on arrive soi-même à la retraite, on bénéficie des pensions permises par cotisations des actifs et non pas de sa propre cotisation.
Par conséquent, lorsque la pyramide des âges est moins favorable et que l’espérance de vie est allongée, le système n’est pas un système à prestations définies. Le système repose sur un équilibre démographique entre actifs et retraités. Dès lors, si le montant des cotisations reste inchangé et que le nombre de cotisants baisse par rapport au nombre de retraités, la somme à répartir est forcément moindre.
Finalement, lorsque vous appelez de vos vœux un dispositif à prestations définies, vous plaidez pratiquement pour un système par capitalisation, ou au moins pour un système mixte qui combinerait prestations définies et capitalisation. Or ce système ne répondrait plus à ce à quoi vous êtes attachés : un système par répartition.
En ce début de débat, on ne peut pas continuer à utiliser des arguments de marchands d’illusions. Nous avons intérêt à poser calmement et sereinement les termes du débat pour assumer demain ensemble nos décisions devant nos concitoyens.
Or ce n’est pas la voie que nous empruntons quand Mme la ministre et certains collègues défendent aujourd’hui des positions diamétralement opposées à celles qu’ils tenaient voilà encore deux ans-deux ans et demi : il était alors hors de question d’accepter le principe que je viens d’évoquer, à savoir l’équilibre entre les actifs et les retraités, financés par la répartition. À preuve, cet amendement qui me paraît à contre temps des nécessités du débat d’aujourd’hui, autour du régime de répartition.
Pour ma part, j’aurai l’occasion de continuer à prêcher, si j’ose dire, pour un système favorisant des formes de capitalisation, notamment par la possibilité de financement par les entreprises – y compris pour les faibles revenus. Je fais ici référence à une réforme, portée en 1997 par le député lorrain Jean-Pierre Thomas et qui malheureusement n’a pas pu aboutir. Cette réforme aurait permis de compléter le dispositif de retraites par répartition par un abondement salariés-entreprises au bénéfice de la capitalisation nécessaire eu égard, notamment, à l’allongement de l’espérance de vie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Chère collègue, votre inquiétude est totalement infondée. Je ne vois pas en quoi la présente réforme déboucherait inéluctablement – car c’est ce que vous semblez dire – sur un système à la suédoise.
Le système suédois est simple. Les cotisations sont libellées en euros, sans conversion en points – comme c’est le cas dans un système par points. Ces cotisations abondent un compte notionnel. Dans ce type de système, on fait en sorte que, via des paramètres, le montant des cotisations, bien sûr actualisées, corresponde peu ou prou au montant moyen de la retraite attendue compte tenu de votre espérance de vie.
M. Jean Desessard. C’est à paramètres.
M. Jean-Pierre Caffet. Néanmoins, qu’il s’agisse d’un régime à compte notionnel, par annuités – comme notre régime de base –, ou par points – comme nos régimes complémentaires –, nous nous situons toujours dans un système par répartition. Ce sont toujours les actifs qui financent les retraites.
Ainsi, vous avez raison, le système à compte notionnel est soumis – comme les autres systèmes – aux chocs démographiques comme aux chocs de croissance. Dans ce système, par construction équilibré, les prestations ne peuvent excéder les cotisations. Dans le cas d’un choc de croissance, lorsque les cotisations baissent, les prestations doivent donc être ajustées en fonction du nouveau niveau de cotisations. C’est la raison pour laquelle, après la crise de 2008, les retraites suédoises ont effectivement diminué de 1 à 3 % en 2010. Toutefois, cette baisse a fait l’objet d’un grand débat national, qui a amené le gouvernement suédois à mettre en place des abattements supplémentaires sur l’impôt sur le revenu – ou son équivalent suédois – de façon à maintenir à peu près le pouvoir d’achat des retraités.
Néanmoins, aucune mesure de la présente réforme – qui repose sur une augmentation des cotisations et un allongement de la durée de cotisation – ne laisse présager un changement systémique de nos régimes de retraite, pour basculer dans un régime à la suédoise.
Vos craintes me paraissent donc infondées. C’est pourquoi je comprends mal la nature de votre amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Autant j’ai voté l’amendement précédent, qui visait à accoler l’adjectif « solidaire » au terme « retraite », autant cet amendement peut être interprété de manière différente.
Les gens croient souvent que le système par répartition repose sur une répartition égalitaire. Mais c’est faux : le montant des pensions est basé sur le salaire perçu pendant la période de travail. Si on avait un haut salaire, on a une haute retraite – en plus du patrimoine que l’on s’est constitué –, on fait partie de ceux dont a parlé Jean-Pierre Caffet, qui disposent d’un revenu mensuel dépassant 1 900 euros.
M. Jean-François Husson. C’est faux, la retraite est plafonnée !
M. Jean Desessard. Le système d’attribution des pensions ne prévoit pas une répartition égalitaire. Il est basé sur ce que chacun a cotisé, à la manière d’une assurance. En revanche, il existe une répartition solidaire d’une classe d’âge à l’autre. On détermine la part du PIB qui sera affectée aux pensions. Si la conjoncture économique est très difficile pour l’ensemble des actifs, tout le monde doit faire un effort. Les patrons d'abord, je suis d'accord avec vous ; il n’y a pas de raison que les patrons ne soient pas concernés par cet effort. (M. Jean-François Husson s’exclame.)
M. Jean Desessard. Il en est de même des actionnaires.
Dans une société solidaire, s’il faut fournir un effort collectif à cause d’une conjoncture économique difficile, on ne peut pas maintenir des « prestations définies » pour les retraités, car les actifs ne bénéficient pas d’un tel avantage.
On comprend bien le sens de votre amendement, qui vise à rappeler qu’il faut garantir le mode de vie, le pouvoir d'achat des retraités. Je dirais plutôt qu’il faut garantir le pouvoir d'achat des retraités modestes, car, dans une conjoncture difficile, on pourrait tout de même exiger un effort des retraités qui ont des revenus importants du fait de leur patrimoine et de leur pension de retraite.
M. Jean-François Husson. Vous vous en occupez !
M. Jean Desessard. C'est pourquoi il me semble problématique de prévoir des « prestations définies » pour l’ensemble des retraités.
M. le président. L'amendement n° 31, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Après le mot :
unit
insérer les mots :
entre elles
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. L’article 1er de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites dispose : « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. »
L’ensemble de nos amendements tendent à renforcer cette conquête sociale majeure qu’est la mise en œuvre de la solidarité nationale en matière de retraites et à confirmer ainsi la retraite comme un droit, ce qui suppose que ce droit soit ouvert à soixante ans et que les pensions versées ne puissent être inférieures au SMIC.
Nous voulons aussi garantir, par des mesures précises, la solidarité intergénérationnelle, pour tourner clairement la page de la réforme de 2010, qui avait fait le choix du « chacun pour soi », et plus précisément du « chacun selon ses moyens ». Cet amendement vise ainsi à ajouter, à la fin de l’alinéa 4, les mots « entre elles » après le mot « unit ». Il nous paraît indispensable de préciser ce point, car l’objectif est bien d’assurer la solidarité à la fois entre les générations et au sein de chaque génération.
Le système de retraite par répartition a été instauré en France pour garantir des ressources à tout affilié après la cessation de son activité professionnelle. Ce système s’appuie sur la solidarité intergénérationnelle : les actifs paient des cotisations pour financer les retraites des personnes âgées tout en acquérant des droits qui, à leur tour, seront financés par les générations suivantes d’actifs. En optant pour ce système, le législateur est devenu le garant de sa pérennité sociale.
Parce que le système s’appuie sur la règle de la cotisation sociale, c’est aussi de solidarité horizontale qu’il s’agit. En effet, chacun contribue en fonction de ses ressources. C’est tout l’intérêt du principe de la cotisation, qui implique directement le citoyen dans le partage des richesses : de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.
Ajoutons que le financement des retraites est assis sur la richesse produite. Dans les entreprises, cette richesse double tous les trente ans, c’est-à-dire à un rythme supérieur à celui du nombre de retraités. Nous aurons donc largement les moyens financiers d’assumer nos retraites futures, à condition, évidemment, de répartir équitablement la richesse produite. Voilà pourquoi il me semble important de rappeler ce ferment solidaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement est bien plus précis que le propos de notre collègue. Il s’agit d’insérer des mots dans le projet de loi pour renforcer le lien entre les générations. La commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean Desessard. Vous devriez vous méfier, madame Pasquet ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je suggère que le groupe UMP vote votre amendement, madame Pasquet. En effet, la rédaction actuelle, qui évoque « le pacte social qui unit les générations », comporte une ambiguïté. S’agit-il d’unir chaque génération en son sein ou, comme vous souhaitez le préciser par votre amendement, les générations « entre elles » ? C’est bien ce second objectif qui est le nôtre.
Nous voterons cet amendement avec d’autant plus de bonne volonté que le Gouvernement nous propose exactement le contraire :…
M. Jean-François Husson. Exact !
M. Gérard Longuet. … il nous propose de faire peser sur les générations à venir l’insouciance des générations passées. Cet hommage que le vice rend à la vertu (Sourires sur les travées de l'UMP.) nous convient parfaitement.
Nous sommes favorables à la solidarité des générations. Il faut faire en sorte que les vieux d’aujourd'hui ne chargent pas impunément les jeunes de demain, c'est-à-dire ceux qui, ayant aujourd'hui moins de quarante ans, devront cotiser jusqu’à soixante-six ans en raison d’un report de l’âge minimal de départ à la retraite que vous n’osez pas afficher mais qui s’impose de fait, comme l’a rappelé le Président de la République dans sa communication à Bruxelles le 1er octobre dernier. (Applaudissements et sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Caffet. Qui est-ce qui a commencé ?
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 18, présenté par Mmes Cohen, Gonthier-Maurin et Cukierman, M. Watrin, Mmes David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Après le mot :
pensions
insérer les mots :
au moins
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’article 1er indique, à son alinéa 4, que les pensions des retraités devront être en rapport avec les revenus qu’ils ont tirés de leur activité professionnelle Je veux voir dans cette rédaction la volonté du Gouvernement de s’inscrire dans la continuité des travaux du Conseil national de la Résistance, le CNR, qui ont débouché en 1946 sur les ordonnances instituant la sécurité sociale, aux termes desquelles les revenus tirés du travail servent à alimenter notre système. Je me réjouis que tout le monde soit d'accord, et je souscris pleinement à ce principe, qui impose de prendre des mesures pour que tous les revenus du travail soient soumis à cotisations sociales. Il faut donc mettre fin aux exonérations de cotisations sociales comme aux exemptions d’assiettes.
Notre système de retraite est complexe. Il est fondé sur un socle obligatoire et sur un socle complémentaire. Pour notre part, nous ne pouvons nous résoudre à l’idée que les retraites ne soient assises que sur les revenus perçus par les salariés. En effet, dans un tel système, les salariés qui ont connu des périodes de précarité, marquées par le chômage, le travail à temps partiel ou les emplois particulièrement mal rémunérés – ces difficultés pouvant se cumuler –, sont sanctionnés une seconde fois à l’âge de la retraite.
Depuis le début de nos travaux, nous sommes nombreuses et nombreux à dire que l’objectif de notre système de retraite doit notamment être de garantir à chacun une retraite en bonne santé. Or cette notion de bonne santé ne doit pas être appréhendée seulement sous l’angle médical. Il y a bien évidement un aspect social et financier, car comment espérer avoir une longue espérance de vie en bonne santé si les retraites et les pensions, parce qu’elles sont calquées sur les revenus du travail, ne permettent ni de payer un loyer décent, ni de se nourrir correctement, ni même de se soigner ?
Si, pendant des années, les mesures courageuses prises, je tiens à le souligner, par des gouvernements de gauche, ont permis d’assurer un niveau de vie moyen des retraités équivalant à celui des actifs, les choses commencent clairement à changer et la courbe commence, hélas, à fléchir. Les mesures et réformes mises en œuvre depuis la fin des années 1980, et plus encore des années 1990, qui étaient destinées à rendre plus flexible le marché du travail, ont engendré simultanément une baisse continue du niveau des retraites au moment de leur liquidation et une baisse des salaires.
Ces mécanismes, que nous observons toutes et tous, nous invitent à sortir de cette logique selon laquelle les pensions devraient être en rapport avec les revenus tirés de l’activité professionnelle. Le financement de notre système doit effectivement dépendre du travail, en étant alimenté par les richesses créées par les entreprises, mais les pensions ne doivent pas être limitées à une fraction des salaires perçus, faute de quoi elles marqueraient un net décrochage de pouvoir d’achat par rapport à la période de travail.
Afin d’éviter que certains ne perçoivent des pensions misérables, nous proposons donc que l’alinéa 4 indique que le système de retraite assure aux retraités le versement de pensions « au moins » – j’y insiste – en rapport avec les revenus tirés de l’activité : tout en n’étant pas sans lien avec les revenus, les pensions doivent pouvoir être plus importantes que le salaire de référence si ce dernier est manifestement trop bas.
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par Mmes Cohen, Gonthier-Maurin et Cukierman, M. Watrin, Mmes David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4, seconde phrase
Remplacer les mots :
en rapport avec les
par les mots :
au moins proportionnelles aux
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement prévoit, dans la continuité de l’amendement précédent, de remplacer à l’alinéa 4 les mots « en rapport avec les » par les mots « au moins proportionnelles aux ».
En effet, l’alinéa 4 de l’article 1er, qui constitue en quelque sorte le préambule du projet de loi, indique que la retraite perçue est en rapport avec les revenus tirés de l’activité. Il écorche ainsi un peu plus le pacte social élaboré, comme vient de le rappeler notre collègue, en 1945, selon lequel notre régime de retraite est un régime par répartition. Du reste, ce même article 1er le reconnaît ; je le rappelle compte tenu du débat qui a eu lieu il y a quelques minutes.
Or nous voyons mal comment notre régime pourrait demeurer un régime par répartition si les retraites servies sont seulement en rapport avec les revenus tirés de l’activité. Tout cela génère du doute et tend à assimiler les retraites à un risque assurantiel comme les autres, le montant des pensions dépendant, au final, non pas de critères cumulatifs – durée de cotisation, taux de cotisation, salaire annuel de référence, etc. –, mais d’abord et avant tout du montant des salaires.
Qui plus est, dire que le montant des retraites est fixé en rapport avec les revenus tirés de l’activité nous interroge quant à la capacité de notre système à compenser à l’avenir les inégalités de revenus que connaissent les femmes.
À rebours de la portée solidaire et collective qui a prévalu lors la création de notre système de protection sociale, l’alinéa 4 renvoie à la notion d’individualisation, ignorant ainsi les fondements de notre système, qui repose sur une double solidarité entre les actifs et entre ceux-ci et les retraités.
Parce que notre système est solidaire, il fonctionne par la répartition, et c’est parce qu’il participe à une mise en commun des cotisations qu’il permet de compenser les inégalités, de sorte que les pensions peuvent être plus importantes qu’elles ne l’auraient été si elles avaient été calculées uniquement en référence aux salaires perçus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. L'amendement n° 18 vise à préciser que la mise en œuvre du principe contributif du système de retraite est complétée par des dispositifs de solidarité. Cette précision n’est pas utile, car la complémentarité entre les prestations contributives et les prestations non contributives du système de retraite ressort déjà de la rédaction de l’article 1er, et en particulier de son alinéa 6, qui prévoit la prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi. La commission émet donc un avis défavorable.
L’amendement n° 19 a pour objet d’introduire un principe de proportionnalité entre les pensions et les revenus professionnels passés de l’assuré. La rédaction actuelle traduit mieux le fait que les niveaux des pensions respectent un certain taux de remplacement. L’avis est également défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’amendement n° 18.
Mme Laurence Cohen. Malgré les éléments de réponse détaillés, dont je remercie Mme la rapporteur, je tiens à maintenir l’amendement n° 18. Comme nous allons le démontrer tout au long de notre débat, nous voulons vraiment insister pour renforcer le lien entre le financement de notre protection sociale et le travail.
Dans ce cadre, il est nécessaire de garantir des niveaux de pension permettant de vivre dignement. En effet, comme certains orateurs l’ont dit, nous vivons plus longtemps, donc nous devrions travailler plus longtemps, ce qui exige que nous vivions en bonne santé et dignement.
Pour le seul régime de base, il faut que le niveau de pension ne soit pas inférieur au SMIC. C’est pour cette raison que nous proposons de renforcer le financement de la sécurité sociale en instaurant une cotisation sociale sur les revenus financiers, en soumettant les revenus du capital au même taux de cotisation que les salaires, ou encore en majorant le taux des cotisations sociales des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale, privant ainsi les femmes de salaires corrects, ou qui généralisent les temps partiels.
À ceux qui se demanderaient quel est le rapport avec notre amendement, je répondrai que je veux démontrer ici la logique qui sous-tend nos prises de position, car celles-ci correspondent non pas à postures, mais bel et bien à notre projet de société. Tout au long du débat, nous allons travailler sur ces questions et défendre des amendements allant dans ce sens.
Ainsi, nous pensons que les ressources qui pourraient résulter de la mise en œuvre de nos propositions permettraient de revaloriser les pensions, et même de porter les plus petites au niveau du SMIC, ce qui aurait pour effet de déconnecter mathématiquement le montant des pensions de celui des salaires réellement perçus.
Personne ne pouvant prétendre qu’une telle mesure serait injuste, nous maintenons notre amendement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je ne souhaite pas revenir en détail sur l’argumentation de nos collègues, mais je m’interroge sur la rédaction de la seconde phrase de l’alinéa 4 telle qu’elle résulterait de l’adoption de l’amendement. À mon sens, la formulation « au moins en rapport » affaiblit beaucoup le lien entre pensions et revenus, et, partant, la portée du texte.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je ne voterai pas cet amendement, car je ne suis pas spécialement favorable à des pensions proportionnelles aux revenus, comme je l’ai dit tout à l’heure.
Je considère que la solidarité doit se traduire par un montant minimal des pensions, complété par un système de lissage.
Est-on obligé d’avoir une pension proportionnelle aux revenus perçus en activité ? Sachant qu’il y a déjà une inégalité importante durant la vie professionnelle, pourquoi devrait-on la reproduire après la retraite ?
M. Jean-François Husson. Elles sont plafonnées !
M. Jean Desessard. Oui, mais l’expression « au moins en rapport » signifie bien qu’il y a proportionnalité !
Pour nous, écologistes, à la différence de certains, ici,…
M. Jean-François Husson. Il y en a encore, des écologistes ?
M. Jean Desessard. J’espère que nous serons plus nombreux à d’autres moments…
M. Jean-Claude Lenoir. Nous ferons tout pour vous contrer ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Desessard. Il est évident que, au train où nous allons vers une importante catastrophe économique, ce ne sont pas nos idées qui sont écoutées… (Oh ! sur les travées de l’UMP.)
M. René-Paul Savary. Ce sont des idées de riches !
M. Jean Desessard. C’est bien dommage ! Nous vivons dans une civilisation qui ne veut pas réfléchir à son avenir, à la pénurie annoncée de ressources naturelles. Nous aurons des problèmes d’énergie, de pollution, et la planète est condamnée si nous continuons de produire autant. Mais les gens n’ont pas envie de l’entendre…
M. Jean-François Husson. Quel est le rapport avec notre débat ?
M. Jean Desessard. Mes chers collègues, avez-vous lu la presse ces derniers jours ? Les centres commerciaux se plaignent, dans certains endroits, de ne plus pouvoir vendre. C’est quand même formidable : dans le passé, on m’a reproché de m’opposer à leur développement – je n’étais pas le seul à les critiquer –, au motif qu’il fallait favoriser la création de ces centres commerciaux pour le bien de l’économie, avant de s’apercevoir qu’ils sont maintenant trop nombreux et qu’on a fait des erreurs en détruisant des espaces naturels. On ne sait plus quoi en faire, car même le commerce est en « surproduction ».
Nous allons de plus en plus assister à une course au travail, à une course à la production, laquelle entraînera une raréfaction des matières premières, une utilisation massive d’énergie alors que nous n’en aurons pas suffisamment. Arrêtons…
M. Jean-François Husson. Revenons aux retraites !
M. Jean Desessard. Nous y arrivons ! (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
Un système des retraites fondé sur l’accumulation fait que les gens vont travailler le plus possible pour avoir la pension de retraite la plus élevée possible à la sortie. Si l’on pousse à la production maximale, tout le monde est incité à travailler davantage, alors que, pour nous, écologistes, c’est le partage du travail et la redistribution qu’il faut encourager aujourd’hui.
M. Jean-François Husson. On a vu où cela menait !
M. Jean Desessard. Arrêtons cette course au travail, ici ou dans d’autres pays, la nuit, le dimanche… Ce qui importe, c’est la coopération internationale et la redistribution, en bref le partage du travail. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mes chers amis, je sais que vous ne partagez pas le même point de vue. Nous ne sommes pas productivistes et c’est ce qui nous différencie. Nous pensons justement que, sur une planète limitée, nous devons limiter notre production et notre consommation…
M. Jean-François Husson. Et notre temps de parole !
M. Jean Desessard. Pour ce faire, il nous faut trouver un projet convivial, qui ne soit pas fondé sur la consommation des biens matériels, mais sur l’échange culturel. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Ce fut un bien beau moment de convivialité…
Sur les deux amendements présentés par le parti communiste, je vais soutenir la commission et le Gouvernement. Je suis d’ailleurs étonné que le parti communiste…
Mme Cécile Cukierman. C’est le groupe CRC qui est présent !
M. Gérard Longuet. … prenne le risque de défendre ces positions. De votre point de vue, il me semble que le système des retraites du régime général devrait avoir une fonction redistributrice. Si vous exigez que les pensions soient proportionnelles aux revenus…
Mme Éliane Assassi. Non, ce n’est pas cela !
M. Gérard Longuet. … ou « au moins en rapport » avec les revenus, vous allez être obligés d’abandonner le caractère redistributeur d’un régime qui permet à des gens qui ont moins travaillé de bénéficier de droits à la retraite plus importants.
C’est notamment le cas des femmes mariées qui ont choisi de travailler à temps partiel – Mme Rossignol pourrait nous en parler – pour concevoir et élever des enfants, condition indispensable pour la survie des régimes par répartition. Dans ce pays, il n’est de richesse que d’hommes !
Si vous renoncez à cette fonction redistributrice en ne versant des retraites que strictement ou « au moins » proportionnelles aux revenus d’activité, vous allez pénaliser les familles ou les salariés qui ont été frappés par des chômages de longue durée en raison de reconversions technologiques. En tout cas, vous allez supprimer une base politique et juridique de ce droit à la retraite. C’est la raison pour laquelle, compte tenu des valeurs que vous revendiquez, vous devriez abandonner ce « au moins ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote sur l’amendement n° 19.
M. Thierry Foucaud. Le débat que nous venons d’avoir sur la manière dont doit être calculé le montant des retraites en rapport ou proportionnellement aux revenus tirés de l’activité professionnelle est plus important qu’il n’y paraît.
Avec l’amendement n° 18, nous entendions renforcer les deux piliers de notre système en conservant son aspect contributif, c’est-à-dire assis sur les cotisations sociales, et ses dimensions redistributive et solidaire.
M. Thierry Foucaud. Permettez-moi de revenir un instant sur l’amendement précédent : ne dites pas que l’expression « au moins en rapport » est réductrice par rapport à la rédaction initiale du projet de loi, alors que tel n’est pas le cas !
J’en reviens à l’amendement n° 19 : un système qui ne serait que contributif, c’est-à-dire dans lequel les pensions dépendraient étroitement de la somme des cotisations versées par le salarié, donc du montant des salaires, aurait immanquablement pour effet de reproduire sur les pensions les inégalités de revenus qui existent entre actifs.
À l’inverse, en faisant intervenir d’autres sources de financement que les salaires, nous serions en mesure de favoriser un système plus redistributif susceptible de gommer les inégalités existantes qui pèsent sur les salariés aux carrières incomplètes ou aux faibles revenus.
Nous connaissons bien la tentation de certains parlementaires de tendre un peu plus vers le « big-bang social » et de faire primer les retraites par points, à savoir un régime dans lequel toute contribution, c’est-à-dire toute cotisation, doit se traduire par l’obtention mécanique de points de retraite qui servent de base de calcul pour les droits à pension, celle-ci étant au final en proportion directe avec les efforts réalisés par les salariés.
Pour toutes ces raisons, nous maintenons l’amendement n° 19.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 40, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
À ce titre, il est progressivement mis fin, dans un délai de deux ans, aux mécanismes individuels ou collectifs, de retraite faisant appel à la capitalisation.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Notre pays a fait de longue date le choix de la retraite solidaire par répartition, ce dont nous nous félicitons, en raison du constat plus que mitigé ayant résulté de l’échec des régimes par capitalisation qui existaient avant la Seconde Guerre mondiale. Le législateur, à la Libération, s’est donc tourné vers la mutualisation.
M. Gérard Longuet. Il y a quand même eu des circonstances historiques particulières, notamment le pacte germano-soviétique ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur Longuet, voulez-vous qu’on vous rappelle votre histoire personnelle dans les années soixante ?
M. le président. Mes chers collègues, seul l’orateur a la parole !
M. Dominique Watrin. Nous parlons vraiment du sujet des retraites ! Vous voudriez sans doute nous voir revenir vers les pensions de retraite du début du siècle dernier, mais nous avons un autre projet de société. Nous souhaitons que notre pays fasse le choix intégral du système par répartition, qui est un gage de solidarité. Vous ne nous détournerez pas de cet objectif par des affirmations complètement hors sujet.
Certes, ce système de répartition ne fait pas que des heureux, et votre réaction en est la preuve.
M. René-Paul Savary. Pas du tout !
M. Dominique Watrin. Dans notre pays, comme dans d’autres, les marchés financiers exercent leur emprise et ils n’abandonnent pas. Bien évidemment, ils lorgnent toujours sur les milliards d’euros qui sont en jeu, au-delà d’ailleurs, de toute autre considération, notamment des prétextes démographiques qui occultent la persistance du chômage dans notre pays. Et c’est bel et bien ce qui fait enrager les libéraux ! Ah, ce serait tellement mieux si, comme au Chili en 1973, tous les salariés étaient soumis à un régime par capitalisation !
Je vous propose une brève analyse de ces « pousses » de capitalisation qui existent dans notre système français, c’est vrai. Un certain nombre de produits d’épargne retraite sont proposés : je pense, par exemple, aux PERCO issus de la loi Fillon de 2003. C’est un fait, cette formule, fondée notamment sur l’alimentation du compte des salariés par des versements de l’entreprise, entre en concurrence directe avec le mode de financement de notre système de retraite fondé sur des cotisations mutualisées.
Dix ans après le lancement de cette formule, quel est le bilan ? Selon des sources concordantes, à la fin de 2011, l’encours total des PERCO atteignait environ 5 milliards d’euros, partagés parmi un million de porteurs, soit une moyenne de 5 000 euros par souscripteur ; 5 187 euros par porteur, pour être tout à fait exact ! Il n’y a pas là de quoi faire face, malheureusement, le moment venu, à la modification de la situation financière d’un salarié qui accuserait une baisse de ses revenus au moment de partir à la retraite ! Ce n’est pas donc pas la solution.
Dans ce contexte, il est souhaitable de faire disparaître ces dispositifs d’épargne retraite qui privent le système de répartition des sommes placées dans le système capitalisation.
Selon nous, garantir la pérennité de nos systèmes de retraite par répartition doit passer aussi par l’extinction progressive des mécanismes de capitalisation, qui représentent autant de sommes retirées à notre régime de retraite solidaire.
M. le président. L’amendement n° 246, présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, MM. Savary, Karoutchi et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le système de retraite français est composé des régimes de base obligatoire par répartition, des régimes de retraite complémentaire obligatoire et le cas échéant des régimes par capitalisation à travers notamment l’épargne retraite collective ou individuelle.
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Cet amendement, qui vise à insérer un alinéa après l’alinéa 4, va complètement à l’encontre des thèses défendues par M. Watrin. Il est donc sans rapport aucun avec ce que nous venons d’entendre !
Pour notre part, nous souhaitons rappeler, contrairement à M. Watrin, que le système des retraites repose sur trois piliers.
Le premier pilier est celui de la répartition, que nul ne conteste, et qui est constitué par les régimes obligatoires de base.
Le deuxième pilier est constitué des régimes de retraite complémentaires, collectifs, dédiés à certaines professions ou installés au niveau de l’entreprise.
Enfin, le troisième pilier est celui de l’épargne retraite individuelle qui passe, soit par un plan d’épargne retraite populaire, soit par un contrat d’assurance-vie, soit par une formule de capitalisation comme le PERCO, mis en place dans le cadre d’un plan d’épargne retraite populaire en application de la réforme précédente.
Ces amendements témoignent d’approches fort différentes, qui méritent d’être débattues au sein de cette assemblée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ces deux amendements sont, en effet, très antinomiques, ai-je envie de dire.
Au sujet de l’amendement n° 40, qui prévoit l’extinction progressive de la retraite supplémentaire par capitalisation, je rappelle que la retraite supplémentaire constitue le troisième étage de notre système d’assurance vieillesse. Elle n’a pas vocation à se substituer à la retraite obligatoire de base ni à la retraite complémentaire, auxquelles elle s’ajoute à titre facultatif. J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 246, qui tend à mentionner l’existence des trois étages du système de retraite, les retraites de base, les retraites complémentaires et les retraites supplémentaires, il précise non les objectifs du système de retraite, mais son organisation, qui est un moyen au service de ces objectifs. Pour cette raison, j’émets également, au nom de la commission, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements, dont les objectifs sont radicalement, diamétralement opposés.
Le Gouvernement n’a aucunement l’intention de mettre en place un système de retraite par capitalisation, pas même de façon partielle. L’enjeu du projet de loi qui vous est soumis est bien de consolider notre système fondé sur la répartition, de telle sorte qu’il garantisse à chacun, au regard de sa carrière professionnelle et des mécanismes de solidarité qui interviennent, un niveau de retraite décent et digne.
Dans le même temps, si nos concitoyens souhaitent pouvoir constituer une épargne complémentaire dans la perspective de leur retraite, nous n’avons aucune raison de nous y opposer, dès lors que ces mécanismes de retraite, tels que les PERCO en entreprise, sont souscrits individuellement et ne viennent pas se substituer à la retraite par répartition.
Nous ne voulons pas aller à l’encontre de la liberté contractuelle, de la liberté individuelle de nos concitoyens, qui peuvent constituer une épargne destinée à venir en complément de la retraite qui lui sera servie par notre mécanisme par répartition.
C’est la raison pour laquelle j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote sur l’amendement n° 40.
M. Dominique Watrin. Cela fait déjà quelque temps qu’une certaine partie du patronat, notamment les représentants de la banque et de l’assurance, et quelques idéologues, réunis au sein de l’Institut de l’entreprise ou de l’Institut Montaigne, présentent la capitalisation comme la panacée aux maux rédhibitoires de notre système de retraite par répartition, dont l’avenir serait indéfiniment voué à un déficit grandissant.
Je crois qu’il faut, à un moment donné, revenir aux fondamentaux mêmes de la capitalisation, des fondamentaux exactement inverses de ceux de notre système solidaire de retraite.
En effet, dans le système de la capitalisation, l’intérêt des actifs qui veulent épargner est de disposer de revenus élevés qui leur permettent de soustraire des sommes au-delà de leur consommation. Dans le même temps, l’intérêt des rentiers-retraités est d’obtenir la meilleure rémunération immédiate de leur capital investi.
En clair, le système par capitalisation oppose donc les actifs aux retraités. La persistance des outils de capitalisation conduit à pérenniser non notre système de retraites, mais cet antagonisme entre actifs et retraités.
De plus, la capitalisation dessert l’intérêt général, car sa logique globale tient dans un accroissement continu du capital et dans une progression du rendement du capital. À ce titre, c’est un système qui joue contre la consommation et contre l’emploi. Le prélèvement opéré à un moment donné sur les richesses produites est retiré de la consommation et n’y revient qu’après un circuit long et fortement hasardeux.
Le système par capitalisation est, en effet, plein d’aléas. Les placements opérés aujourd’hui peuvent ne pas se révéler judicieux quelques années plus tard. Il s’agit bel et bien de confier sa retraite à la bourse, ce qui n’est pas très rassurant. Tout le monde peut en juger aujourd’hui au vu des fluctuations, voire des crises boursières.
Ainsi, la capitalisation peut paraître rentable pendant la montée en puissance du système. Tel est le cas, par exemple, quand la demande d’actifs financiers est importante, c’est-à-dire quand les actifs sont nombreux en période d’épargne-capitalisation.
À l’inverse, quand les personnes arrivent à l’âge de la retraite, elles ont tendance à vouloir liquider leur pension. Elles souhaitent, très logiquement, vivre sur leur capital et vont vendre une partie de leurs avoirs, qui sera offerte sur les marchés. Supposons qu’il y ait alors moins de jeunes et de revenus pour acheter ces titres, la tendance du marché sera à la baisse. En conclusion, ces titres vont s’effondrer et ni les retraités ni les actifs ne pourront bénéficier des bienfaits supposés de la capitalisation.
Il ressort donc de ce qui précède que le recours à la capitalisation n’empêche pas les effets du fameux « choc démographique », on y revient, auquel vous vous référez pour l’imposer. La capitalisation n’est efficace ni pour créer de la solidarité, ni pour répondre aux variations démographiques, ni pour engendrer du revenu. Elle n’est efficace que pour organiser sa disparition !
C’est bel et bien pour ces motifs de fond que nous vous proposons l’adoption de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur l’amendement n° 246.
M. Gérard Longuet. Nous arrivons à un rendez-vous important de la réflexion collective sur l’avenir de nos retraites.
Il n’est pas complètement inutile de revenir en arrière. Si les régimes par capitalisation ont connu, dans notre pays, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une image négative, c’est parce que, rappelons-le, deux événements importants ont marqué l’histoire monétaire française : la Première Guerre mondiale, dont l’année prochaine marquera le centenaire du déclenchement, puis, la Seconde Guerre mondiale que j’évoquais à titre incident.
La Première Guerre mondiale a mis fin à un siècle de stabilité monétaire pendant lequel les travailleurs, qu’ils soient salariés, alors minoritaires, ou travailleurs indépendants, dans le monde agricole, mais aussi dans le monde commercial et artisanal, ont pu se constituer des retraites par capitalisation. On les appelait les rentiers et ils étaient d’ailleurs assez nombreux dans notre pays. En plaçant leurs économies en rente d’État, d’une part, et dans l’immobilier, d’autre part, ils accédaient, après une période de vie de labeur, à une certaine indépendance.
Cette retraite par capitalisation, qui n’était pas formalisée, a évidemment été balayée par l’inflation issue de la Première Guerre mondiale et toutes les tentatives de stabilisation ont tué le rentier, qui a disparu sociologiquement de notre pays.
M. Jean-Pierre Caffet. Hélas, non !
M. Gérard Longuet. En 1945, en effet, le CNR a lancé une sorte de nouveau contrat social. La répartition est l’enfant de l’inflation, puisqu’il s’agit de payer immédiatement, sans attendre, des retraites avec les ressources des cotisations – ce qu’a évoqué René-Paul Savary précédemment – et de faire en sorte que les retraites versées correspondent aux cotisations immédiatement versées. À l’époque, en effet, la fuite devant la monnaie, en raison du risque permanent d’inflation, rendait tout système de capitalisation à peu près impossible.
Ce qui n’a d’ailleurs pas empêché un certain nombre de nos compatriotes, qui avaient des revenus suffisants pour dégager une marge ou qui pouvaient accéder au crédit, d’échapper à l’inflation et de se constituer ainsi une retraite par l’accumulation d’actifs – notamment d’actifs immobiliers – qui, eux, étaient des biens réels, protégés de l’inflation. Pendant ce temps, le salarié ou le retraité, lui, courait après l’inflation, faisant dire aux syndicalistes que « les prix prennent l’ascenseur et les salaires prennent l’escalier. »
Aujourd’hui, la situation a complètement changé en France et ce, pour deux raisons.
La première, c’est que nous avons une monnaie nouvelle, l’euro, dont l’objectif est la stabilité – on peut regretter cet objectif ; on peut, au contraire, s’en féliciter. C’est un fait que, depuis la mise en place de l’euro – et la majorité de cette assemblée souhaite maintenir l’appartenance de la France à la zone euro –, nous connaissons la stabilité. Le regard de nos compatriotes face à la sécurité des vieux jours change, parce que change également la relation qu’ils ont avec la monnaie, dans la mesure même où l’inflation a disparu. C’est un premier élément dont vous ne pouvez pas ne pas tenir compte.
La seconde raison extrêmement importante de ce changement – et je suis très surpris, madame le ministre, que vous ne lanciez pas une réflexion publique sur ce thème – est la globalisation.
La globalisation économique mondiale présente des avantages et des inconvénients. Le régime de répartition est nécessairement exclusivement national, puisque l’autorité de la loi ne peut jouer qu’à l’intérieur d’un espace, de l’espace national, qui est l’espace de l’imperium de la loi.
Pourquoi priver les générations actuelles de Français des bienfaits des performances économiques, du développement et de la croissance que connaissent d’autres parties du monde, et que seul l’investissement français, réalisé à l’extérieur par le biais de la capitalisation, permettrait de rapatrier dans notre pays ?
Après tout, la France vieillit, contrairement à ce que vous pensez. Or, dans le même temps, des pays jeunes deviennent puissants et connaissent une expansion économique. L’intérêt bien compris des jeunes générations françaises serait d’associer leurs économies et leur prévoyance au développement de pays qui ont des perspectives affichées de croissance que nous n’avons pas, puisqu’il est prévu – c’est indiqué dans le rapport – que le taux de croissance de notre pays serait de l’ordre de 1,5 % par an dans les vingt prochaines années. Ce taux est certes extrêmement raisonnable, comme l’a rappelé M. Caffet en commission, mais il est aussi très largement inférieur à la performance économique réalisée ailleurs dans le monde.
Je ne nie pas qu’il y ait dans la démarche de capitalisation la perspective d’un risque, mais il y a également celle d’un succès. Lorsque nous rappelons le principe de la capitalisation, nous ne voulons pas simplement énoncer l’évidence qui est, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre, que chacun d’entre nous a le droit à se constituer une épargne, si possible non taxée, dès lors que l’on a déjà acquitté l’impôt sur le revenu. Nous nous demandons simplement pourquoi on devrait priver la société française de la perspective d’être associée, au travers de placements collectifs judicieux, à la réussite d’autres pays, auxquels nous souhaitons d’ailleurs qu’ils connaissent une forte croissance.
Prolétaires et consommateurs de tous les pays, unissez-vous pour une croissance mondiale harmonieuse et pacifique ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris que je partage l’analyse de Gérard Longuet.
Je veux redire l’importance que j’accorde à ces trois piliers, et ce d’abord pour une raison pratique : les tabourets à trois pieds sont les plus stables ! (Sourires sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pourquoi pas quatre ?
M. Jean-François Husson. Mais restons sérieux...
Le premier de ces piliers auxquels nous sommes attachés est le principe de la répartition.
Le deuxième pilier est formé par les régimes de retraite collectifs réservés à certaines professions, comme la Préfon pour les fonctionnaires.
Or ceux qui ont cotisé à la Préfon, dispositif présenté comme particulièrement vertueux, ont été victimes au cours des dernières années d’erreurs de gestion – et cela fait penser aux préoccupations que soulève le système de retraite par points – qui ont grandement diminué les prestations qu’ils en attendaient, prestations qui étaient donc loin d’être « définies ». Cela ne manque pas de nous interroger.
Les contrats Madelin, en revanche, me semblent répondre parfaitement à l’objectif d’un complément de retraite. Ils s’adressent en effet aux professionnels indépendants, auxquels leurs cotisations dans le cadre du seul régime par répartition ne permettent pas, compte tenu de la pyramide des âges, de s’assurer des pensions décentes globalement proportionnelles à leurs revenus. L’avantage de ces contrats Madelin est de prévoir une sortie obligatoire en rente. Il s’agit donc bien d’un système collectif de retraite complémentaire.
Le troisième pilier auquel nous sommes attachés regroupe divers dispositifs de retraite individuels, parmi lesquels je citerai le plan d’épargne retraite populaire, le PERP, qui permet également des sorties en rente. Dans la mesure où il s’agit de rente et non de sortie en capital, nous parlons bien d’un système de retraite, et non d’un dispositif de capitalisation.
Si l’on regarde dans le rétroviseur, il y avait encore mieux que le PERP voilà quelques années : le PEP, le plan d’épargne populaire. Le PEP était plus intéressant que le PERP car, tout en s’inscrivant dans une même logique, il permettait de récompenser les efforts de ceux qui, tout au long de leur vie, faisaient un effort d’épargne individuelle par le versement d’une rente nette d’impôt.
J’espère, madame la ministre, que vous allez nous rassurer et ne pas remettre en cause la spécificité de ces contrats, à savoir la possibilité d’obtenir une sortie en rente nette d’impôt. Ce serait une mauvaise nouvelle, qui s’ajouterait aux mesures que vous avez annoncées, et qui me paraissent aller dans un très mauvais sens, sur la nouvelle fiscalité applicable à certains contrats d’assurance-vie retraite. À mon humble avis, de telles dispositions ne seraient d’ailleurs pas constitutionnelles.
Il est donc possible que coexistent le régime de retraite par répartition, les régimes de retraite complémentaire qui permettent le versement d’une rente par le biais de l’entreprise – ce sont les deux premiers piliers, qui ressortissent de l’effort collectif et, me semble-t-il, d’une forme de solidarité bien comprise – et les dispositifs de retraites individuels dont bénéficient ceux de nos concitoyens qui ont souhaité se constituer, par leur propre arbitrage et en fonction de leurs capacités contributives, un complément de retraite. Les investissements immobiliers donnent bien droit à des avantages fiscaux !
Quoi qu’il en soit, il me paraît normal, sain et salutaire d’autoriser la capitalisation personnelle, notamment en actions, car ce type de produit offre une meilleure rentabilité dans le temps.
Enfin, dois-je rappeler que la capitalisation contribue au financement de l’économie française, et donc à son bon fonctionnement ?
Je ne doute pas, madame la ministre, mes chers collègues, que vous saurez vous ranger à nos arguments et soutenir notre amendement n° 246.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Avec ces deux amendements, le n° 40, qui a été repoussé, et le n° 246 que nous examinons, nous sommes en plein débat dogmatique et idéologique.
Je n’étais pas favorable à l’amendement n° 40, car je ne vois pas pourquoi ne pourraient pas exister un certain nombre de produits d’épargne faisant appel à la capitalisation.
Cette proposition posait, par ailleurs, un certain nombre de questions. Comment mettre fin aux contrats qui existent déjà ? Fallait-il rembourser, et dans quelles conditions, ceux qui n’avaient plus le droit de cotiser à tel ou tel produit ? Le Gouvernement aurait dû dénouer cette situation compliquée.
Enfin, où aurait-on mis la barre ? Comment définir ce qui ressortit, ou non, à la capitalisation ? L’assurance-vie, par exemple, relève-t-elle de la capitalisation ? Fallait-il mettre fin à l’ensemble des contrats d’assurance-vie, ou à un certain nombre d’entre eux ?
L’amendement n° 40 posait donc des problèmes inextricables.
S’agissant de l’amendement n° 246, j’ai bien entendu le plaidoyer de Gérard Longuet, dont j’ai préféré la fin au début. J’ai cru en effet, à un moment donné, qu’il était nostalgique du rentier d’avant-guerre !
M. Jean-Pierre Caffet. Et même d’avant la guerre de 1914, et non d’avant celle de 1940 ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela dépend pour qui !
M. Jean-Pierre Caffet. Vous avez fait une véritable apologie du rentier avisé de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, avant qu’il ne soit ruiné, dans l’entre-deux-guerres, par la crise des années 1930.
Je ne partage pas votre point de vue, monsieur Longuet, sur les raisons de cette ruine. Elle n’était pas due, selon moi, à l’inflation, mais à la baisse du rendement des actifs. C’est d’ailleurs la limite des régimes par capitalisation : leur problème n’est pas l’érosion de l’épargne par l’inflation, mais précisément le rendement des actifs, car personne n’a réussi à démontrer jusqu’à présent que le rendement des actifs, donc le régime par capitalisation, était supérieur à long terme, sous ce rapport, au régime par répartition.
M. Jean-Pierre Caffet. Je suis d’accord avec Mme la ministre : qu’un certain nombre de produits d’épargne puissent être utilisés pour la retraite ne me gêne absolument pas !
M. Jean-Claude Lenoir. Heureusement !
M. Jean-Pierre Caffet. Ce que je conteste, c’est que le régime par capitalisation ait, comme vous le dites, des performances supérieures, ou tout au moins équivalentes, à celles du régime par répétition. Ce n’est pas vrai ! Sur le long terme, le rendement des actifs est, au mieux, nul.
M. Jean-François Husson. Mais non !
M. Jean-Pierre Caffet. Sur une vie de cotisation, ce que vous pouvez tirer de ces placements tend a priori vers zéro. Regardez le rendement de la Préfon !
M. Jean-François Husson. C’est le mauvais exemple !
M. Jean-Pierre Caffet. Est-ce un régime particulièrement compétitif ? Non ! Or il s’agit bien de capitalisation.
M. Jean-Pierre Caffet. Pas simplement...
Encore une fois, que l’on propose des produits d’épargne pouvant servir à améliorer la retraite d’un certain nombre de nos concitoyens, je n’y vois aucun inconvénient. Mais écrire dans la loi – car il s’agit de cela ! – que la capitalisation est un étage presque obligatoire de notre système de retraite, même si vous prenez la précaution d’ajouter les mots « le cas échéant », c’est un pas que je ne saurais franchir personnellement.
M. Jean-Pierre Caffet. Bien évidemment... Alors laissons-les vivre (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), mais ne l’inscrivons pas dans la loi !
M. Jean-Claude Lenoir. M. Longuet a convaincu les socialistes !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. M. Longuet nous a longuement parlé du régime par capitalisation.
Mme Laurence Cohen. Je tiens à porter une information à votre connaissance : 4,5 % du montant total des cotisations sociales sont détournés vers la capitalisation au détriment de la sécurité sociale, soit la bagatelle de 10 milliards d’euros de pertes...
Poursuivons sur le régime par capitalisation, puisqu’il ne faut pas bouder un débat lorsqu’il est intéressant. Les banques n’ont pas confiance dans la capitalisation, car c’est un système à cotisations définies.
M. Jean-François Husson. C’est ce que vous avez voulu !
Mme Laurence Cohen. Si elles avaient confiance dans ce système, elles proposeraient des systèmes à prestations définies. Or tel n’est pas le cas. Les banques font donc supporter les risques uniquement aux assurés, tandis qu’elles n’en prennent aucun.
M. Jean-François Husson. Pas sur les retraites, c’est faux !
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Je m’étais promis de ne pas intervenir sur ce type d’amendements, car ils n’apportent en général pas grand-chose. Mais, en l’occurrence, je me sens non pas obligé,...
M. Claude Domeizel. ... mais tenu d’apporter mon concours.
Lorsque notre système de retraite par répartition a été créé à la Libération, il était fondé sur deux principes, l’un dépendant de l’autre : la solidarité, qui est le plus important, et l’obligation,...
M. Claude Domeizel. ... principe lié au précédent.
L’alinéa 4 de l’article 1er concerne les systèmes de retraite « obligatoires », un mot que, selon moi, il aurait fallu écrire dans la loi. Cet article dispose toutefois que le choix de la retraite par répartition est « au cœur du pacte social qui unit les générations entre elles », ce qui signifie bien que ce régime est obligatoire.
Les auteurs de ces deux amendements adoptent deux points de vue complètement opposés. Ils ne prennent pas en compte ce caractère obligatoire, et s’éloignent donc du sujet qui nous intéresse dans cet alinéa.
En ce qui concerne le choix entre la répartition ou la capitalisation, chacun a raconté son histoire à sa façon. La capitalisation n’est pas un gros mot. Ce système a été employé – je l’ai dit dans mon intervention lors de la discussion générale – avant même le fonctionnement par répartition. Vous seriez surpris de constater qu’à la création du système par répartition, à la Libération, le sujet a été l’objet d’un débat intense et très difficile, parce que la capitalisation comptait des partisans, parmi lesquels la SFIO, la CGT et les mineurs.
Pourquoi les mineurs étaient-ils favorables à un système par capitalisation ? Parce qu’ils disposaient déjà d’un régime de retraite, fonctionnant par capitalisation, auquel ils tenaient. Les mineurs ont accepté le système par répartition et renoncé à la capitalisation, car ils ont obtenu en contrepartie que le régime ne soit pas unique.
M. Claude Domeizel. Je tenais à faire ce rappel, parce que le souvenir de ces débats m’a été transmis au cours de conversations autour de la table familiale.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Nous sommes vraiment dans le vif du sujet et tous les éléments historiques abordés par nos collègues sont tout à fait intéressants. Il résulte de cette discussion qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Par cet amendement, nous vous proposons quelque chose de très simple : « Le système de retraite français est composé des régimes de base obligatoires par répartition, » – c’est une affirmation incontestable, largement partagée sur toutes nos travées –, « des régimes de retraite complémentaire obligatoire » – que l’on ne peut pas remettre en cause – « et, le cas échéant, des régimes par capitalisation à travers notamment l’épargne retraite collective ou individuelle ».
Nos concitoyens ont besoin de transparence et de confiance. Ce n’est pas le signe que vous leur donnez, madame le ministre, d’autant plus que la stabilité fiscale est régulièrement remise en cause par des mesures rétroactives portant sur ces placements. C’est dangereux, et cela effraie nos concitoyens.
Il est important, à travers cet article 1er et les objectifs qui y sont définis, de rappeler les efforts qu’ont faits certains et les garanties qu’ils doivent obtenir pour avoir une retraite décente.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand on entend nos collègues de l’UMP, je réalise que l’on a beau chasser le naturel, il revient au galop. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
J’accepte que l’on m’explique l’histoire des régimes de retraite, mais, en tout cas, la position de la gauche depuis la Libération est constante : nous sommes défavorables à un régime de capitalisation, fût-il marginal. Nous soutenons un régime par répartition, ce qui ne signifie pas que les Français ne placeront pas leurs économies, afin de mettre du beurre dans les épinards au moment de leur retraite. De tels placements ont toujours existé, mais ne correspondent en rien à la mise place d’un régime par capitalisation.
Quand une part de capitalisation vient compléter un régime par répartition, elle finit par le remplacer. Ceux qui doivent contribuer fortement trouvent en effet illégitime de payer pour les autres, puisqu’ils peuvent placer leur argent, ce qui leur apporte un rendement supérieur. Tous les exemples de système mixte ont fini par basculer vers des régimes où la part de capitalisation était majoritaire.
M. Jean-François Husson. Interdisez la capitalisation ! Allez au bout de votre pensée !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La seule chose qui a freiné cette dynamique, et qui vous a amenés à plus de modération, c’est la crise financière. Dans les autres pays, tous ceux qui avaient des retraites par capitalisation se sont effectivement retrouvés dépouillés. Vous êtes d’un seul coup plus nuancés, mais dès que la financiarisation repartira de l’avant, vous serez de nouveau pour la capitalisation.
Lorsque la retraite fonctionne par capitalisation, le système s’oriente fondamentalement vers la recherche d’un rendement élevé du capital, ce que l’on constate avec l’arrivée de fonds de pension en France. Il faut alors légitimer ce rendement maximal du capital au détriment du travail, au nom de la capitalisation. Pour financer les retraites de nos anciens, il faut exploiter les travailleurs d’aujourd’hui, afin que le prélèvement capitalistique soit supérieur au prélèvement sur le travail.
Lorsque le financement des retraites repose sur d’autres critères que la seule capitalisation, le système prélève des fonds sur l’ensemble des richesses produites par la nation, en particulier le travail – qui doit être mieux rémunéré –, pour financer les retraites. Il existe donc, de fait, une solidarité intergénérationnelle entre salariés et retraités. Les travailleurs en activité n’ont pas à subir un prélèvement plus important, afin d’assurer la rémunération du capital qui permet de verser leurs retraites aux anciens salariés.
Ce système est donc fondamental dans notre République depuis la Libération. La gauche et le parti socialiste sont hostiles à toute évolution vers un fonctionnement par capitalisation. Les dispositifs de capitalisation existants ne doivent pas être développés ni bénéficier d’aides fiscales. S’il n’est pas facile de revenir en arrière, il faut se garder de permettre le développement de la capitalisation, qui représente un danger mortel pour la répartition. Je voterai évidemment contre l’amendement proposé par M. Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais m’inscrire dans la continuité de ce que vient de dire Mme Lienemann, à travers deux remarques.
Premièrement, un certain nombre de pays d’Europe centrale, ayant mis en place une part de capitalisation dans leurs retraites, comme vous le suggérez par cet amendement, reviennent sur ces réformes pour une raison simple : lorsque les ressources sont insuffisantes pour financer la part du système fonctionnant par répartition, les déficits publics se creusent au profit des citoyens bénéficiant d’un régime par capitalisation. Par conséquent, la capitalisation aggrave les déficits publics.
Deuxièmement, comment qualifier une société qui, au lieu d’appeler à la solidarité, dirait aux citoyens que le travail de toute une vie ne permet pas d’avoir le droit à une retraite décente ? Comment appeler une société où il faudrait que chacun pense à sa propre retraite en la constituant seul, sans compter sur la solidarité ? Il ne s’agirait plus réellement d’une société.
M. Jean-François Husson. C’est de la caricature !
M. Jean-Yves Leconte. Si vous croyez à la valeur travail et à la solidarité, il faut absolument garder le fonctionnement par répartition, en l’affirmant clairement et précisément. Faire un tel choix témoigne que l’on croit à la valeur travail et que le travail fait progresser la société, pour assurer qu’à la fin d’une vie de travail le système sera capable de verser des retraites. On se refuse alors de dire aux travailleurs qu’ils doivent faire des économies chacun de leur côté, parce que la société ne leur garantit rien.
Quelle société voulez-vous finalement construire ? Une société solidaire ou une société égoïste ? Croyez-vous à la valeur travail ? Si tel est le cas, il faut reconnaître que le travail enrichit la société, permet la solidarité, et qu’il faut donc opter pour le système par répartition ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par Mmes Lienemann et Claireaux et M. Rainaud, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il garantit à chaque génération un âge de départ offrant une durée de retraite au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’aurai l’occasion de le rappeler, je ne suis pas favorable à l’allongement de la durée des cotisations. J’ai déposé des amendements en ce sens, car j’y suis hostile depuis toujours.
Je rappelle à mes collègues que, dans l’opposition, je prends des orientations que j’estime réalisables par la gauche, une fois au pouvoir. Je formule donc toujours les mêmes critiques sur les réformes faites par MM. Balladur, Juppé, Raffarin et Fillon. Elles n’ont pas résolu les problèmes, ont accru les inégalités et affaibli les retraités. Je garde la même analyse.
M. Jean-François Husson. Remettez tout en cause ! Allez jusqu’au bout !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je reste fidèle à ce que j’ai toujours voté, conformément à mon opposition aux allégements de cotisations sociales, surtout dans un contexte de chômage massif des jeunes. Indépendamment de mon hostilité, je crains que cette mesure ne soit mise en place.
À l’instar de ce qu’a proposé mon collègue Jean-Marc Germain à l’Assemblée nationale, je pense qu’il faut prévoir un garde-fou pour le futur. Chaque génération doit avoir un âge de départ offrant une durée de retraite au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
Vous me ferez la même réponse qu’à mon collègue Jean-Marc Germain, madame la ministre, en m’objectant que ce ratio est actuellement respecté en moyenne. Il faut néanmoins l’inscrire dans le texte de l’article 1er du projet de loi, parce que nous y fixons le cadre de notre régime de retraite et que, pour plusieurs raisons, ce qui est vérifié aujourd’hui ne le sera plus nécessairement demain.
Premièrement, en neuf ans, de 2001 à 2010, l’âge moyen de départ en retraite s’est élevé de deux ans. Dans la même période, nous n’avons pas tous gagné deux années d’espérance de vie. Un décalage se creuse donc entre l’allongement de l’espérance de vie et celui de la durée de l’activité professionnelle. Il s’agit d’un risque majeur : les textes proposaient d’affecter les deux tiers de l’allongement de l’espérance de vie à la durée de l’activité professionnelle contre un tiers seulement à la durée de retraite. A minima, il faudrait que 50 % de cette augmentation se traduise dans la durée de retraite.
J’ai l’impression que l’on découvre seulement maintenant une tendance pourtant séculaire. Depuis que l’humanité existe, on vit plus longtemps, et on travaille moins longtemps ! C’est le progrès humain ! Je ne vois pas pourquoi en 2009, 2010, 2011 ou 2014, il faudrait soudainement inverser cette donne, à rebours des positions historiques de la gauche. Cette dernière n’a jamais allongé ni la durée de cotisation ni le temps de travail. Pour résumer, les années de vie gagnées sont essentiellement consacrées au travail. Quel progrès !
Deuxièmement, la durée de vie moyenne diminue dans certains pays. Contrairement à une opinion répandue, plus la durée de l’activité professionnelle est longue, plus l’espérance de vie baisse. De surcroît, il faut prendre en compte que l’on vivra moins longtemps en bonne santé. J’évoquerai le sujet au moment de la discussion de l’article 2.
Comme l’espérance de vie risque de baisser et que la durée de cotisations devrait s’accroître, à long terme, une divergence entre la durée de l’activité professionnelle et la durée de retraite pourrait se faire jour.
Troisièmement, la durée de la vie active des jeunes est menacée. Effectivement, depuis les années 2008-2009, concomitamment à la montée en flèche du travail des seniors, le taux d’activité des autres actifs, et surtout des jeunes, baisse.
En conclusion, puisque nous serons obligés de travailler plus longtemps, le temps passé à la retraite sera proportionnellement grignoté par le temps passé au travail.
Personnellement, je me contenterai de la suppression de l’article 2. Dans la mesure où, selon moi, le projet de loi risque tout de même de conserver les dispositions relatives à l’allongement de la durée de cotisation, il est nécessaire, par précaution, de mettre en place le cliquet évoqué : la durée moyenne de la retraite doit être au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
M. Jean-François Husson. Cela ne veut rien dire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Madame Lienemann, vous proposez de garantir à chaque génération une durée de retraite au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
Je vous signale que la prise en compte de l’espérance de vie est déjà prévue à l’alinéa 6 de l’article 1er du projet de loi. En outre, cette espérance fait partie des paramètres au regard desquels le comité de suivi formulera chaque année des recommandations publiques.
Dans ces conditions, la commission vous demande de retirer votre amendement ; si vous le maintenez, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame Lienemann, j’ai bien entendu vos arguments et les objectifs que vous visez, mais, pour des raisons de cohérence, je sollicite le retrait de votre amendement et, si vous le maintenez, j’y serai défavorable.
Le projet de loi comporte, dans son article 1er, la réaffirmation du principe d’un système de retraite par répartition, dont il est rappelé avec la plus grande clarté qu’il repose sur l’équité et sur la solidarité.
En ce qui concerne la durée d’assurance, notre détermination va de pair avec l’attachement à trois principes : la prévisibilité, parce qu’il nous paraît absolument nécessaire que nos concitoyens sachent à quoi s’en tenir, la justice et l’équité. Oui, madame Lienemann, l’article 2 du projet de loi prévoit l’allongement de la durée de cotisation ; mais cet allongement est prévisible, puisqu’il se produira à partir de 2020 et à un rythme fixé par la loi, et il sera modulé selon les caractéristiques de la vie professionnelle.
Par ailleurs, cette hausse la durée de cotisation étant inscrite dans la loi, une éventuelle évolution en la matière, dans un sens ou dans l’autre, devrait être soumise au Parlement. En d’autres termes, si le comité de suivi des retraites instauré par l’article 3 peut formuler des recommandations portant sur cette durée, dans un sens ou dans l’autre – j’insiste sur cette précision –, toute décision supposerait l’adoption d’une loi.
Madame Lienemann, hormis la question de principe de l’allongement de la durée de cotisation, dont nous débattrons à l’article 2, vos objectifs sont satisfaits par le projet de loi : le principe de solidarité est réaffirmé, la lisibilité et la prévisibilité sont assurées, les caractéristiques de la carrière professionnelle seront prises en compte et le contrôle par le pouvoir politique sera garanti avec l’intervention nécessaire du Parlement. Par rapport à ce dispositif, votre amendement ne me semble pas apporter d’éléments nouveaux.
M. Jean-Pierre Caffet. En effet, il est satisfait !
M. le président. Madame Lienemann, l’amendement n° 11 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oui, monsieur le président, car j’estime nécessaire de fixer des garde-fous pour éviter que le pouvoir politique, sous prétexte que l’argent manque, décide d’allonger la période de cotisation d’une durée supérieure à celle de l’allongement de l’espérance de vie. La disposition que je propose représente, à mes yeux, une balise a minima !
Je risque d’être assez seule, car j’imagine que nos collègues hostiles à l’allongement de la durée de cotisation pourraient être tentés de ne pas voter cet amendement. Néanmoins, je pense que je prends date pour l’histoire en défendant une mesure qui me paraît cohérente avec les combats que j’ai menés, et que le parti socialiste a menés, pendant de nombreuses années.
M. Jean-François Husson. Cherchez la cohérence au PS !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. L’amendement n° 246 et l’amendement n° 11 rectifié bis font apparaître le décalage entre le pragmatisme, le réalisme, le bon sens et la rêverie.
L’amendement de bon sens déposé par Gérard Longuet affirmait la nécessité d’un système obligatoire par répartition, d’un système obligatoire de retraite complémentaire et, le cas échéant, d’un régime par capitalisation. Franchement, je suis surpris qu’on ait pu voter contre ; nul doute que ceux qui liront nos débats le seront aussi.
Voilà que, quelques instants plus tard, notre collègue Marie-Noëlle Lienemann, pour qui j’ai le plus grand respect, propose un système de son invention, à la fois audacieux et généreux. Il est audacieux puisqu’il consiste à décréter, par une disposition législative, que chacun doit avoir un temps de retraite au moins égal à son temps de travail.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En moyenne !
M. Jean-Claude Lenoir. Il est évidemment généreux, puisqu’il s’agit de donner une assurance-vie à toute personne à l’issue d’une carrière de 40 ans ou 42 ans, ce qui suppose un pouvoir considérable, que certains jugeront peut-être surnaturel… Pour ma part, ayant cotisé depuis l’âge de 18 ans, je peux envisager, si cet amendement est adopté, de vivre une longue retraite !
M. Jean Desessard. Ça ne fera pas des économies !
M. Jean-Claude Lenoir. Madame Lienemann, croyez-vous vraiment que la loi puisse en décider ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne vise pas des individus, mais des générations !
M. Jean-Claude Lenoir. Soyez un peu réaliste : à tout instant, l’un d’entre nous peut disparaître. De grâce, donc, ne trompez pas l’opinion française en laissant entendre que la loi pourrait assurer à chacun une retraite paisible, d’une durée au moins égale à la moitié de sa vie active !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Madame Lienemann, je ne sais pas si vous prenez date pour l’histoire, mais je ne souscris pas à votre vision optimiste de l’histoire de l’humanité. En effet, je ne crois pas que cette histoire ait été, comme vous l’affirmez, un long mouvement vers la diminution du temps de travail et l’augmentation du temps passé en retraite dans le bonheur.
À la vérité, ma chère collègue, ce phénomène est extrêmement récent : il date du XIXe siècle et résulte des premières lois sociales…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Grâce à la gauche !
M. Jean-Pierre Caffet. … et de la mise en place, par Bismarck, des premières assurances sociales en Europe. Auparavant, on travaillait toute sa vie ou, lorsqu’on arrêtait, on ne bénéficiait d’aucune assurance sociale.
La vision d’une longue marche de l’humanité vers le temps heureux à la retraite ne correspond pas à la réalité ! Il a fallu attendre le XIXe siècle et, en ce qui concerne la France, la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, fondée sur un système de capitalisation, qui a été combattue, si je ne m’abuse, par Jean Jaurès…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, Jaurès était pour ! C’est Jules Guesde qui était contre !
M. Jean-Pierre Caffet. À présent, où en sommes-nous ? Là est la question importante, madame Lienemann ! Pour ma part, j’ai la conviction, même s’il faudrait s’en assurer, que le cliquet que vous proposez existe aujourd’hui dans les faits.
Du reste, je vous fais observer que les dispositions de l’article 2 du projet de loi, relatives à la durée de cotisation, sont plus protectrices que la législation de 2003. Celle-ci, en effet, prévoit le maintien d’un rapport constant entre le temps passé au travail et la durée de la retraite, mais d’une manière indéfinie : c’est un décret qui, pour chaque génération, lorsqu’elle atteint 58 ans, fixe la durée de cotisation.
Le présent projet de loi présente l’avantage de mettre un terme à ce mécanisme, à l’horizon de 2035. Il prévoit qu’à partir de la génération née en 1973, la durée de cotisation ne sera pas supérieure à 43 ans, alors que, dans le système issu de la réforme de 2003, comme Yannick Moreau l’a signalé dans son rapport, la génération née en 1989, par exemple, aurait pu être obligée de cotiser jusqu’à 44 années, sans avoir la certitude que le rapport que Mme Lienemann veut imposer par la loi serait respecté.
Ma chère collègue, le projet de loi va plus loin que la réforme de 2003 en mettant un terme à l’augmentation de la durée de cotisation. Votre amendement est donc satisfait et, en ce qui me concerne, je ne le voterai pas.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je dois dire que nous sommes très intéressés par ce débat interne au parti socialiste.
M. Jean Desessard. Vous avez aussi les vôtres !
M. Gérard Longuet. Nos collègues ont l’immense mérite d’essayer de clarifier les engagements contradictoires pris lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012.
Il faut reconnaître que l’intervention de Mme Lienemann avait quelque chose d’émouvant dans sa sincérité et dans sa fidélité aux engagements de 1982. Ces engagements ont été répétés, puis écartés, ou transmutés dans leurs conséquences, mais il y a un gardien de l’authenticité : c’est Mme Lienemann, et on ne peut pas lui adresser de reproche à cet égard !
En tout cas, son intervention nous montre que le régime de retraite par répartition n’offre pas toutes les sécurités louées par M. Leconte.
Nous sommes tout à fait d’accord pour reconnaître l’impératif de la solidarité.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Surtout celle des plus pauvres envers les plus riches !
M. Gérard Longuet. En effet, pour instaurer une solidarité nationale dans le cadre d’une communauté républicaine, il faut un régime obligatoire de base.
Pour les retraites complémentaires, c’est déjà plus surprenant. Pourquoi diable sont-elles obligatoires ? MM. Caffet et Domeizel pourront peut-être nous en expliquer les raisons historiques. Pour ma part, je suis profondément convaincu que les retraites complémentaires sont nées du développement industriel des Trente Glorieuses : à une époque où la main-d’œuvre était rare, il a fallu la drainer vers des activités nouvelles pour nombre de nos compatriotes. Aussi a-t-on on a mis en place cet effort, généralisé à tous les secteurs, si je me souviens bien, dans les années 1970.
Seulement, le principe d’un régime par répartition, c’est qu’on ne peut payer que ce que l’on gagne. Or pour gagner quelque chose, il faut des cotisants, qui perçoivent des revenus suffisants pour dégager des marges. C’est une vérité que certains, accrochés à l’idée que la répartition garantit tout, ne veulent pas accepter. (Mme Marie-Noëlle Lienemann le conteste.)
Que se passe-t-il si la démographie régresse, ce qui peut se produire ? À ce jour, le renouvellement des générations n’est pas assuré dans notre pays. Sans doute, la France gagne de la population, mais c’est surtout par l’allongement de la durée de la vie ; qu’elle gagne de la population par le solde démographique n’est pas certain.
Sans compter qu’il existe un phénomène extrêmement préoccupant, sous-estimé par nos collègues de la majorité : la France, terre d’immigration, est devenue aussi une terre d’émigration. C’est ainsi que plus de 300 000 Français vivent aujourd’hui à Londres : ils ne sont pas des millionnaires ou des milliardaires, ni de riches rentiers qui fuient l’ISF, mais de jeunes actifs issus des écoles d’ingénieurs et des écoles de gestion, ou qui ont simplement leur enthousiasme pour réussir.
Ces jeunes, dont nous avons financé la formation, ont décidé d’aller tenter leur chance ailleurs ; qui nous prouve que cet exode des talents ne va pas se prolonger durablement, au détriment des forces vives de notre pays ?
Comment pourrez-vous alors assurer la répartition, si vous n’avez pas fait l’effort de réfléchir à des formules complémentaires ? Si vous n’avez pas la volonté d’attirer les capitaux ? Après tout, ce mot n’est pas grossier ! (Mme Cécile Cukierman proteste.)
Je sais que vous n’êtes pas capitaliste, ma chère collègue. Le livre de Marx sur cette notion est d’ailleurs absolument passionnant. Simplement, il faudrait choisir entre le rendement décroissant du capital, que nous servent les sociaux-démocrates, et l’accumulation croissante et indéfinie des capitaux, que nous servent les marxistes de stricte obédience.
Mme Michelle Demessine. Vous êtes vraiment obsédé ! Cela se soigne !
M. Gérard Longuet. La vérité, c’est que les emplois modernes nécessitent des capitaux. Or il n’y pas de capitaux sans épargne et il n’y a pas d’épargne sans incitation à une épargne de retraite par capitalisation.
Madame Lienemann, je le crains, la véritable réponse à votre demande consiste soit en l’abandon des thèses socialistes traditionnelles, soit en l’acceptation d’une nouvelle réalité : le taux de remplacement des revenus, et non plus le montant des cotisations, devient la variable d’ajustement, ce qui permet de préserver, comme vous le souhaitez, le ratio de un à deux.
Ce n’est pas un cadeau que vous faites aux futurs retraités ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Permettez-moi une remarque, cher collègue Gérard Longuet. Vous parlez du départ des talents. Pour ma part, je dis que nous devons aussi accueillir les talents des autres pays, car nous avons tendance à nous refermer sur nous-mêmes !
Mme Michelle Demessine. Les médecins syriens ont largement le niveau bac+5 !
M. Jean Desessard. Si vous trouvez qu’on accueille bien, aujourd’hui, les étudiants étrangers, vous avez une vision optimiste de la situation ! En réalité, il y a beaucoup à faire.
Mme Laurence Rossignol. Avant la circulaire Guéant, on accueillait et on formait les bacs+5 !
M. Jean Desessard. Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec l’amendement n° 11 rectifié bis, qui vise à mettre en place une prestation définie. Un tel dispositif rejoint celui qui a été proposé par le groupe CRC, lequel souhaite que le temps de retraite corresponde a minima à la moitié du temps travaillé.
Quoi qu’il en soit, nous devons conserver, et je rejoins les auteurs de ces amendements sur ce point, une volonté de progrès social. Car la situation est pour le moins extraordinaire ! Est-il nécessaire de travailler autant qu’il y a un siècle ? Faut-il revenir en arrière ? Travailler le samedi et le dimanche ? Ne plus compter les heures supplémentaires, mais les considérer comme des heures normales ? Travailler plus longtemps ? En avons-nous vraiment besoin ?
On pourrait répondre par l’affirmative, comme le fait d’ailleurs notre collègue Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il a indiqué tout à l’heure quel aurait été le déficit des retraites s’il n’y avait pas eu de réformes. Certes ! Mais n’oublions pas le déficit de l’assurance chômage. Ainsi, pendant qu’on faisait travailler les gens plus longtemps pour, justement, réduire le coût du système des retraites, le coût de l’assurance chômage, quant à lui, a explosé. Il a fallu prévoir des cotisations supplémentaires et une moindre indemnisation des chômeurs, ce qui a amputé leur pouvoir d’achat. Une partie de l’économie en a souffert.
Par conséquent, avons-nous vraiment besoin de travailler autant qu’il y a cinquante ans ? N’y a-t-il pas eu des améliorations permettant aux industries de produire des biens manufacturés avec moins d’heures de travail ? L’informatique ne nous a-t-elle pas dégagés d’un certain nombre de tâches répétitives ? Certes, nous avons besoin de services supplémentaires dans la santé et l’éducation, domaines, où, au contraire, on n’a de cesse de vouloir réduire les effectifs !
Le monde tourne à l’envers ! On a réalisé des gains de productivité dans les services informatiques et dans le monde industriel, mais on ne sait pas les utiliser ! En revanche, là où il faudrait créer des emplois, c’est-à-dire dans l’éducation, la culture ou la santé, on préconise des réductions de personnels, afin de réaliser des économies.
Franchement, la gauche et les écologistes ne peuvent pas se contenter, face à un tel système, qui laisse 10 % des gens au chômage, de dire : il faut travailler plus ! Nous devons prendre à bras-le-corps cette conception de la société. Je n’oublie pas, bien sûr, que nous sommes dans une période de crise. Mais celle-ci est créée par les banques, par un système économique qui nous asphyxie, par un transfert important des ressources vers le capital.
Amis de gauche, un sursaut est nécessaire ! Le progrès social, c’est une notion qui existe encore ! Avons-nous besoin de plus de temps aujourd’hui pour construire des immeubles ? Bien sûr que non ! Conservons donc ces idées de progrès et d’avancées sociales !
Je comprends, chers collègues de l’UMP, que vous ne vous sentiez pas associés à cette discussion. Nous discutons en effet entre personnes partageant un idéal humain, une rêverie, une utopie, je vous l’accorde. C’est cela qui fait avancer l’histoire sociale ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. L’amendement n° 32, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La solidarité intergénérationnelle passe par une politique de l’emploi favorisant notamment l’intégration sociale et professionnelle des jeunes, le remplacement des salariés partant en retraite, la reconnaissance des qualifications initiales et acquises, la prise en compte de la pénibilité des tâches et des métiers.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Par cet amendement, nous souhaitons compléter l’alinéa 4 de l’article 1er, en rappelant que notre système de protection sociale et le régime de retraite qui lui est associé reposent sur une double solidarité.
Il s’agit tout d’abord d’une solidarité intergénérationnelle. L’une des spécificités de notre modèle social est que son financement repose sur des cotisations sociales, prélevées sur la valeur ajoutée, mises en commun au sein d’un organisme n’appartenant pas à l’État, mais aux travailleurs eux-mêmes. Personne n’est donc propriétaire de ces cotisations et les quatre branches qui constituent la sécurité sociale obéissent à des règles assurantielles très différentes de celles qui sont applicables au secteur marchand.
Elles se distinguent notamment des régimes de retraite complémentaire, nous en avons déjà beaucoup discuté, en ce sens que, dans ces derniers, les cotisations alimentent un compte individuel ouvrant des droits exclusivement en fonction des apports personnels en capital.
À l’inverse, notre système de protection sociale repose sur le principe d’une mise en commun, dont le fruit sert à financer les retraites des aînés. De cette sorte, ces derniers peuvent prétendre, lors du passage de l’activité à la retraite, à un bon niveau de vie leur permettant de vivre dignement, et aussi de consommer. Or c’est cette consommation qui permet à l’économie française de fonctionner, en engendrant des commandes et, donc, des emplois.
Ce mécanisme de solidarité intergénérationnelle met ainsi en place une boucle vertueuse que ne permettent pas les retraites par capitalisation, lesquelles, à l’inverse, individualisent à l’extrême, empêchant ainsi toute solidarité.
Ce mécanisme de solidarité entre les générations est d’autant plus important qu’il repose sur un pacte social, nous l’avons rappelé, permettant à toutes et tous de prendre leur place dans la société tout au long de leur vie et de s’y épanouir.
Anne-Marie Guillemard, sociologue, professeur à l’université Paris V René Descartes, membre de l’Institut universitaire de France, décrit ainsi ce pacte : « un temps d’inactivité pensionné a été accordé à la vieillesse sous forme de retraite, en échange de quoi les jeunes adultes et les adultes se réservaient l’emploi de manière stable et durable, après une courte période de formation. »
C’est précisément pourquoi, nous aurons l’occasion d’y revenir et d’en débattre au moment de l’examen de l’article 2, l’allongement de la durée de cotisations constitue à nos yeux une mesure inefficace et injuste, car elle contraint les salariés les plus âgés à travailler plus longtemps et, en même temps, empêche les plus jeunes d’accéder à l’emploi, rompant ainsi ce lien de solidarité intergénérationnelle.
L’argument mathématique que l’on a entendu ce soir, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie rendrait légitime le relèvement de la durée de cotisations, élude en réalité le débat majeur qu’il nous faut avoir, d’un point de vue économique comme sociétal : celui de l’évolution de la répartition des temps de travail et d’inactivité dans le parcours des âges.
Qui plus est, notre système repose également sur une solidarité entre les actifs eux-mêmes, la mutualisation des cotisations sociales permettant de garantir aux salariés les plus précaires et les moins bien rémunérés que, le temps de la retraite venu, ils pourront, grâce à cette mise en commun, bénéficier d’un mécanisme redistributif leur garantissant une pension minimale.
C’est bien ce double système de solidarité que nous voulons préserver et réaffirmer par cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Chère collègue Cécile Cukierman, de manière plus concrète que ce que vous avez dit, cet amendement vise à préciser les caractéristiques que doit revêtir la politique de l’emploi pour servir la solidarité entre les générations.
Il a semblé à la commission qu’il était effectivement important d’apporter une telle précision. Elle a donc émis un avis favorable, sous réserve de l’insertion de cette disposition après l’alinéa 6 plutôt qu’après l’alinéa 4.
M. le président. Madame Cukierman, que pensez-vous de la suggestion de Mme la rapporteur ?
Mme Cécile Cukierman. Je rectifie mon amendement en ce sens, monsieur le président !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 32 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La solidarité intergénérationnelle passe par une politique de l’emploi favorisant notamment l’intégration sociale et professionnelle des jeunes, le remplacement des salariés partant en retraite, la reconnaissance des qualifications initiales et acquises, la prise en compte de la pénibilité des tâches et des métiers.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement ainsi rectifié ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement était plutôt défavorable à cet amendement, car il estimait une telle précision redondante…
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est plus précis !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole sur cet amendement. Toutefois, après avoir écouté sa présentation par notre excellente collègue Cécile Cukierman, j’ai souhaité à la fois réagir sur ce que j’estime être une inexactitude et, puisque notre collègue a évoqué le difficile problème de l’emploi des jeunes, apporter la démonstration que son refus de la capitalisation est un mauvais service qu’elle rend aux jeunes.
Certes, l’étymologie du mot capitalisation renvoie au mot latin caput, capitis, qui signifie la tête. Pourtant, rien n’interdit qu’un système collectif capitalise l’épargne de l’ensemble de ses adhérents. Il n’y a donc pas nécessairement une individualisation. Au contraire, c’est l’absence de régime de capitalisation organisé par la loi – certains existent actuellement, mais sont, de notre point de vue, trop marginaux –, qui aboutit à des efforts strictement individuels. Ceux de nos compatriotes qui veulent consolider leur épargne le font en effet dans un schéma souvent personnel, alors que des systèmes collectifs d’entreprise existent et que des systèmes collectifs plus larges devraient exister.
L’individualisme et l’égoïsme ne constituent pas les compléments nécessaires de la capitalisation. Au contraire, la possibilité de systèmes collectifs existe. Si 40 % des entreprises du CAC 40 sont détenues par des investisseurs étrangers, une bonne partie de ces 40 % appartient à des fonds de retraite de pensionnés. Le plus connu d’entre eux, le fonds de retraite des enseignants californiens, qui n’a rien d’individualiste, est un mouvement collectif faisant en sorte que les retraités californiens bénéficient de la croissance dans le monde, y compris en France, ce qui prouve qu’il ne faut pas être défaitiste sur l’image de nos entreprises ! Il est vrai, celles du CAC 40 travaillent, pour l’essentiel, en dehors de France. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Mais revenons au problème des jeunes, qui nous mobilise à l’occasion de l’examen de cet amendement. Pour créer des emplois, on le sait, il faut des capitaux. Les machines-outils d’aujourd’hui sont non plus le tour, la machine à coudre,…
Mme Cécile Cukierman. Il a fallu des capitaux pour créer des machines à coudre !
M. Gérard Longuet. … ou la débiteuse du scieur, mais des tours numériques à douze têtes qui valent chacun, par emploi créé, de 300 000 euros à 500 000 euros. Si nos entreprises n’ont pas de capitaux, si elles ne peuvent pas s’adresser à des prêteurs de long terme souhaitant leur succès, elles ne pourront pas financer en France les emplois d’avenir.
Je suis, hélas, un parlementaire déjà ancien, seule la confiance des électeurs explique ma longévité. Or je constate que, là où il fallait, voilà trente ans, 20 000 euros pour créer un emploi, il en faut aujourd’hui, entre l’outil de travail et le fonds de roulement, plusieurs centaines de milliers.
Si vous n’organisez pas au plan national un système de drainage de l’épargne de long terme vers l’emploi industriel, vous jeunes n’auront pas d’emploi en France…
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
M. Gérard Longuet. … et les meilleurs d’entre eux iront les chercher à l’étranger, ce qui affaiblira d’autant le potentiel du système de retraites par répartition, qui n’est pas intangible, mais peut être également menacé.
C’est la raison pour laquelle, ma chère collègue, si vous voulez aider à l’emploi des jeunes, aidez à l’investissement dans les entreprises et à une orientation de l’épargne de long terme vers des investissements productifs, par la capitalisation collective.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Mon cher collègue, je suis tout de même un peu surprise par votre réponse. Tout d’abord, mes collègues du groupe CRC et moi-même ne sommes pas les utopistes que vous décrivez – et personne ne l’est dans cet hémicycle. (M. Gérard Longuet s’exclame.) Nous ne sommes pas complètement irrationnels au point de considérer que, pour créer des emplois, il suffit de claquer des doigts sans qu’il soit nécessaire d’apporter du capital ni de réaliser des investissements. Nous n’avons jamais prétendu cela ! Nous ne vivons pas dans un autre monde ! Écoutons-nous les uns les autres.
Mon cher collègue, les reproches que vous nous faites sont en léger décalage par rapport au contenu de l’amendement et par rapport à la présentation que j’en ai faite. Sur le fond, vous êtes en décalage complet par rapport à nos positions sur l’emploi des jeunes. Bien évidemment, il faut investir, mais il faut aussi s’interroger sur le système de retraite par répartition et par capitalisation. C’est bien sur ce sujet que nous ne sommes pas d’accord. Je dis que le système par capitalisation impose une approche individualisée ; pour autant, je n’ai pas parlé d’égoïsme : c’est vous qui l’interprétez ainsi. Pourquoi ? Parce que l’individualisation entraîne l’égoïsme ? C’est vous qui faites cet amalgame.
En revanche, un jeune qui voudrait bénéficier d’une retraite par capitalisation doit effectivement pouvoir capitaliser. Jusque-là, nous sommes d’accord. Il faut qu’il ait un travail et qu’il perçoive des revenus suffisamment importants à la fois pour satisfaire ses besoins et couvrir ses dépenses, souvent plus importantes au début d’une vie professionnelle qu’à la fin. Soit il peut capitaliser, si sa situation le lui permet, soit il ne peut pas, auquel cas il le paiera toute sa vie. À mesure qu’il avancera dans sa vie professionnelle et qu’il vieillira, le décalage ne fera que s’accroître, rompant ainsi avec le principe de solidarité entre les générations et de solidarité entre les actifs que nous défendons avec cet amendement.
De fait, nous soutenons des projets de société différents. Nous voulons non pas renier, mais préserver et réaffirmer ce principe de solidarité. Comme d’autres ici, mes collègues du groupe CRC et moi-même estimons que le progrès, ce n’est pas de vivre plus longtemps pour travailler plus longtemps, c’est de pouvoir travailler moins longtemps pour vivre plus longtemps, pour le bénéfice de toute la société ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Est-ce qu’on peut naître plus tard ?
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent. Tout est mis en œuvre pour leur garantir l’allongement de leur espérance de vie en bonne santé.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La référence à l’espérance de vie en bonne santé ne nous semble pas pertinente dans cet alinéa. En effet, celui-ci prévoit que « les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension […] ». Or ce traitement équitable doit être la réalité, quelle que soit l’espérance de vie qui reste aux salariés, que celui-ci soit ou non en bonne santé. Maintenir cette disposition reviendrait à dire, a contrario, que le traitement pourrait être inéquitable en fonction de la qualité de l’espérance de vie des salariés.
La volonté du Gouvernement a sans doute été de mettre en lumière son attachement à la notion d’espérance de vie en bonne santé, ce qui est louable. Mais alors, il serait plus juste de dire que l’objectif de notre système de retraite est de garantir à tous un allongement de l’espérance de vie en bonne santé et non pas un traitement équitable en fonction de l’espérance de vie.
Nous serons tous d’accord pour reconnaître que, pour profiter de la retraite, il ne suffit pas d’être vivant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ma chère collègue, votre amendement vise à garantir aux assurés les moyens mis en œuvre pour allonger leur espérance de vie en bonne santé. L’objectif d’un tel allongement n’est pas en soi un objectif du système de retraite, mais plutôt un objectif des politiques de santé publique, à la fois en matière de prévention et de soins. Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je voudrais citer quelques chiffres pour que l’on comprenne bien de quoi nous parlons.
Depuis quelques années, la France connaît un recul de ce qu’on appelle « l’espérance de vie sans incapacité », selon une étude de l’Institut national d’études démographiques d’avril 2012. Cette étude compare les données des 27 pays que comptait alors l’Union européenne. Si l’on se concentre sur le cas de la France, on observe qu’en 2010, les hommes pouvaient espérer vivre en bonne santé 79,1 % de leur espérance de vie totale, soit 78,2 ans, contre 80,6 % en 2008. Les femmes pouvaient espérer vivre en bonne santé 74,4 % de leur existence, contre 76,1 % en 2008. Dit autrement, l’espérance de vie sans incapacité des hommes est de 61,9 ans en 2010 et de 63,5 ans pour les femmes.
Si nous poussons l’examen encore un peu plus loin, nous constatons que les inégalités sociales face à la mort, elles, persistent également. L’écart d’espérance de vie entre les hommes cadres et ouvriers est de 6,3 années. Les hommes cadres de 35 ans peuvent espérer vivre encore 47 ans, soit jusqu’à 82 ans, et les hommes ouvriers 41 ans, soit jusqu’à 76 ans.
L’écart existe de la même manière pour les femmes. L’espérance de vie d’une femme cadre de 35 ans est de 52 ans, soit jusqu’à 87 ans, tandis que celle d’une ouvrière n’est que de 49 ans, soit jusqu’à 84 ans. Si bien que l’espérance de vie des ouvrières d’aujourd’hui correspond à celle des femmes cadres au milieu des années 1980.
II y a trois ans, nous étions unis pour rappeler cette évidence ; nous pourrions l’être encore aujourd’hui. C’est la raison d’être de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Il serait tout de même assez curieux d’introduire dans la loi, par le biais d’un amendement, une disposition selon laquelle tout est mis en œuvre pour garantir à nos concitoyens l’allongement de leur espérance de vie en bonne santé. Encore heureux ! On ne va quand même pas prendre des mesures qui iraient dans le sens contraire ! Véritablement, ce serait un leurre de leur faire croire que, au terme d’un débat parlementaire, on pourrait répondre à cette préoccupation naturelle et légitime qu’est l’accroissement de l’espérance de vie en bonne santé. Faisons preuve d’une grande humilité dans notre approche de cette question.
Effectivement, des facteurs de risque ont été relevés, responsables d’une diminution de la longévité. On pense bien sûr au cholestérol, même si des efforts considérables ont été faits pour réduire l’artériosclérose, on pense à la lutte contre l’hypertension artérielle, contre le tabagisme, contre l’alcoolisme, autant de facteurs sur lesquels la société peut agir par des mesures de prévention, par l’éducation de nos concitoyens de façon qu’ils n’altèrent pas leur espérance de vie. L’hygiène de vie contribue à allonger la durée de vie.
Il existe néanmoins d’autres facteurs de risque, incontournables, en particulier l’âge, bien évidemment. De fait, il faut combattre un certain nombre de préjugés.
Je le répète, l’espérance de vie de nos concitoyens est aussi liée à leur hygiène de vie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et les conditions de travail ?
M. René-Paul Savary. Cette espérance de vie ne peut pas être la même pour tous. A contrario, il ne faut pas stigmatiser une catégorie socioprofessionnelle comme celle des ouvriers. Pourtant, c’est que fait cet amendement. On a tous vu des ouvriers qui ont vécu longtemps, malgré des conditions de travail difficiles au cours de leur vie professionnelle. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) On ne peut pas considérer que le travail influe particulièrement sur l’espérance de vie plus que d’autres facteurs, en particulier ceux que j’ai cités.
C’est la raison pour laquelle nous ne soutenons pas cet amendement qui, par le débat qu’il suscite, loin d’informer nos concitoyens en toute transparence, entretient en réalité ce fantasme selon lequel il serait possible d’agir, d’un coup, sur l’espérance de vie de nos concitoyens. (Mouvements de désapprobation sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je vais contredire notre collègue.
Il faut distinguer deux sujets : l’espérance de vie, qui est un enjeu de santé publique, c’est incontestable, et l’espérance de vie en bonne santé, qui soulève la question de la pénibilité des conditions de travail.
Dominique Watrin ne me contredira pas : les conditions de travail des mineurs de fond qui sont morts à cinquante ans des suites d’une silicose ou d’une anthracose ont eu une influence sur leur espérance de vie. La très grande majorité d’entre eux n’ont pas bénéficié du tout de leur retraite.
La rédaction de l’amendement de nos collègues, qui introduit la notion de la pénibilité dans les conditions de travail, me paraît plus explicite que celle de l’alinéa 5. C’est pourquoi je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Mon cher collègue Savary, vos propos me surprennent. Vous dites que l’espérance de vie dépend de l’hygiène de vie. Cela signifie donc, selon vous, que les cadres ont une meilleure hygiène de vie que les ouvriers, si l’on en juge par les statistiques qui viennent d’être citées.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est bien connu : les ouvriers sont tous des pochtrons !
M. Jean Desessard. On le voit bien en réalité : les conditions de travail ont une incidence sur l’espérance de vie.
Voilà bien la différence entre la droite et la gauche. Moi, monsieur Longuet, je suis marxiste, car je ne crois pas simplement à la volonté individuelle.
M. Jean Desessard. Mais si ! Vous dites qu’on vit plus longtemps si l’on a une bonne hygiène de vie. Sauf que l’espérance de vie des ouvriers est inférieure de dix ans à celle du reste de la population ! Comment l’expliquez-vous ? Ce n’est pas simplement parce que leur hygiène de vie est moins bonne, c’est parce que leurs conditions de travail sont plus pénibles,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Parce qu’ils ont de bas salaires !
M. Jean Desessard. … parce qu’ils touchent de bas salaires, en effet, parce que leurs conditions sociales sont mauvaises. Vous, vous donnez une explication individuelle ; quant à nous, à gauche, par tradition, nous mettons en avant des explications sociales et sociologiques.
C’est bizarre, les enfants d’ouvriers fréquentent moins l’université que les enfants de cadres ! Sans doute une question d’hygiène culturelle… (Rires sur les travées du groupe CRC.)
Bien sûr, tous les ouvriers et tous les cadres ne sont pas logés à la même enseigne, mais les pesanteurs sociales sont une réalité. C’est ce que dénoncent les auteurs de cet amendement.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. Jean Desessard. On pense enfin à notre hygiène de vie !
3
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 29 octobre 2013 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales
(Le texte des questions figure en annexe.)
À quatorze heures trente et le soir :
2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (n° 71, 2013-2014) ;
Rapport de Mme Christiane Demontès, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 95, 2013-2014) ;
Rapport d’information de Mme Laurence Rossignol, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (n° 90, 2013-2014) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 96, 2013-2014) ;
Avis de M. Jean-Pierre Caffet, fait au nom de la commission des finances (n° 76, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 29 octobre 2013, à zéro heure quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART