Mme Michelle Demessine. Vous êtes vraiment obsédé ! Cela se soigne !
M. Gérard Longuet. La vérité, c’est que les emplois modernes nécessitent des capitaux. Or il n’y pas de capitaux sans épargne et il n’y a pas d’épargne sans incitation à une épargne de retraite par capitalisation.
Madame Lienemann, je le crains, la véritable réponse à votre demande consiste soit en l’abandon des thèses socialistes traditionnelles, soit en l’acceptation d’une nouvelle réalité : le taux de remplacement des revenus, et non plus le montant des cotisations, devient la variable d’ajustement, ce qui permet de préserver, comme vous le souhaitez, le ratio de un à deux.
Ce n’est pas un cadeau que vous faites aux futurs retraités ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Permettez-moi une remarque, cher collègue Gérard Longuet. Vous parlez du départ des talents. Pour ma part, je dis que nous devons aussi accueillir les talents des autres pays, car nous avons tendance à nous refermer sur nous-mêmes !
Mme Michelle Demessine. Les médecins syriens ont largement le niveau bac+5 !
M. Jean Desessard. Si vous trouvez qu’on accueille bien, aujourd’hui, les étudiants étrangers, vous avez une vision optimiste de la situation ! En réalité, il y a beaucoup à faire.
Mme Laurence Rossignol. Avant la circulaire Guéant, on accueillait et on formait les bacs+5 !
M. Jean Desessard. Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec l’amendement n° 11 rectifié bis, qui vise à mettre en place une prestation définie. Un tel dispositif rejoint celui qui a été proposé par le groupe CRC, lequel souhaite que le temps de retraite corresponde a minima à la moitié du temps travaillé.
Quoi qu’il en soit, nous devons conserver, et je rejoins les auteurs de ces amendements sur ce point, une volonté de progrès social. Car la situation est pour le moins extraordinaire ! Est-il nécessaire de travailler autant qu’il y a un siècle ? Faut-il revenir en arrière ? Travailler le samedi et le dimanche ? Ne plus compter les heures supplémentaires, mais les considérer comme des heures normales ? Travailler plus longtemps ? En avons-nous vraiment besoin ?
On pourrait répondre par l’affirmative, comme le fait d’ailleurs notre collègue Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il a indiqué tout à l’heure quel aurait été le déficit des retraites s’il n’y avait pas eu de réformes. Certes ! Mais n’oublions pas le déficit de l’assurance chômage. Ainsi, pendant qu’on faisait travailler les gens plus longtemps pour, justement, réduire le coût du système des retraites, le coût de l’assurance chômage, quant à lui, a explosé. Il a fallu prévoir des cotisations supplémentaires et une moindre indemnisation des chômeurs, ce qui a amputé leur pouvoir d’achat. Une partie de l’économie en a souffert.
Par conséquent, avons-nous vraiment besoin de travailler autant qu’il y a cinquante ans ? N’y a-t-il pas eu des améliorations permettant aux industries de produire des biens manufacturés avec moins d’heures de travail ? L’informatique ne nous a-t-elle pas dégagés d’un certain nombre de tâches répétitives ? Certes, nous avons besoin de services supplémentaires dans la santé et l’éducation, domaines, où, au contraire, on n’a de cesse de vouloir réduire les effectifs !
Le monde tourne à l’envers ! On a réalisé des gains de productivité dans les services informatiques et dans le monde industriel, mais on ne sait pas les utiliser ! En revanche, là où il faudrait créer des emplois, c’est-à-dire dans l’éducation, la culture ou la santé, on préconise des réductions de personnels, afin de réaliser des économies.
Franchement, la gauche et les écologistes ne peuvent pas se contenter, face à un tel système, qui laisse 10 % des gens au chômage, de dire : il faut travailler plus ! Nous devons prendre à bras-le-corps cette conception de la société. Je n’oublie pas, bien sûr, que nous sommes dans une période de crise. Mais celle-ci est créée par les banques, par un système économique qui nous asphyxie, par un transfert important des ressources vers le capital.
Amis de gauche, un sursaut est nécessaire ! Le progrès social, c’est une notion qui existe encore ! Avons-nous besoin de plus de temps aujourd’hui pour construire des immeubles ? Bien sûr que non ! Conservons donc ces idées de progrès et d’avancées sociales !
Je comprends, chers collègues de l’UMP, que vous ne vous sentiez pas associés à cette discussion. Nous discutons en effet entre personnes partageant un idéal humain, une rêverie, une utopie, je vous l’accorde. C’est cela qui fait avancer l’histoire sociale ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. L’amendement n° 32, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La solidarité intergénérationnelle passe par une politique de l’emploi favorisant notamment l’intégration sociale et professionnelle des jeunes, le remplacement des salariés partant en retraite, la reconnaissance des qualifications initiales et acquises, la prise en compte de la pénibilité des tâches et des métiers.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Par cet amendement, nous souhaitons compléter l’alinéa 4 de l’article 1er, en rappelant que notre système de protection sociale et le régime de retraite qui lui est associé reposent sur une double solidarité.
Il s’agit tout d’abord d’une solidarité intergénérationnelle. L’une des spécificités de notre modèle social est que son financement repose sur des cotisations sociales, prélevées sur la valeur ajoutée, mises en commun au sein d’un organisme n’appartenant pas à l’État, mais aux travailleurs eux-mêmes. Personne n’est donc propriétaire de ces cotisations et les quatre branches qui constituent la sécurité sociale obéissent à des règles assurantielles très différentes de celles qui sont applicables au secteur marchand.
Elles se distinguent notamment des régimes de retraite complémentaire, nous en avons déjà beaucoup discuté, en ce sens que, dans ces derniers, les cotisations alimentent un compte individuel ouvrant des droits exclusivement en fonction des apports personnels en capital.
À l’inverse, notre système de protection sociale repose sur le principe d’une mise en commun, dont le fruit sert à financer les retraites des aînés. De cette sorte, ces derniers peuvent prétendre, lors du passage de l’activité à la retraite, à un bon niveau de vie leur permettant de vivre dignement, et aussi de consommer. Or c’est cette consommation qui permet à l’économie française de fonctionner, en engendrant des commandes et, donc, des emplois.
Ce mécanisme de solidarité intergénérationnelle met ainsi en place une boucle vertueuse que ne permettent pas les retraites par capitalisation, lesquelles, à l’inverse, individualisent à l’extrême, empêchant ainsi toute solidarité.
Ce mécanisme de solidarité entre les générations est d’autant plus important qu’il repose sur un pacte social, nous l’avons rappelé, permettant à toutes et tous de prendre leur place dans la société tout au long de leur vie et de s’y épanouir.
Anne-Marie Guillemard, sociologue, professeur à l’université Paris V René Descartes, membre de l’Institut universitaire de France, décrit ainsi ce pacte : « un temps d’inactivité pensionné a été accordé à la vieillesse sous forme de retraite, en échange de quoi les jeunes adultes et les adultes se réservaient l’emploi de manière stable et durable, après une courte période de formation. »
C’est précisément pourquoi, nous aurons l’occasion d’y revenir et d’en débattre au moment de l’examen de l’article 2, l’allongement de la durée de cotisations constitue à nos yeux une mesure inefficace et injuste, car elle contraint les salariés les plus âgés à travailler plus longtemps et, en même temps, empêche les plus jeunes d’accéder à l’emploi, rompant ainsi ce lien de solidarité intergénérationnelle.
L’argument mathématique que l’on a entendu ce soir, selon lequel l’allongement de l’espérance de vie rendrait légitime le relèvement de la durée de cotisations, élude en réalité le débat majeur qu’il nous faut avoir, d’un point de vue économique comme sociétal : celui de l’évolution de la répartition des temps de travail et d’inactivité dans le parcours des âges.
Qui plus est, notre système repose également sur une solidarité entre les actifs eux-mêmes, la mutualisation des cotisations sociales permettant de garantir aux salariés les plus précaires et les moins bien rémunérés que, le temps de la retraite venu, ils pourront, grâce à cette mise en commun, bénéficier d’un mécanisme redistributif leur garantissant une pension minimale.
C’est bien ce double système de solidarité que nous voulons préserver et réaffirmer par cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Chère collègue Cécile Cukierman, de manière plus concrète que ce que vous avez dit, cet amendement vise à préciser les caractéristiques que doit revêtir la politique de l’emploi pour servir la solidarité entre les générations.
Il a semblé à la commission qu’il était effectivement important d’apporter une telle précision. Elle a donc émis un avis favorable, sous réserve de l’insertion de cette disposition après l’alinéa 6 plutôt qu’après l’alinéa 4.
M. le président. Madame Cukierman, que pensez-vous de la suggestion de Mme la rapporteur ?
Mme Cécile Cukierman. Je rectifie mon amendement en ce sens, monsieur le président !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 32 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La solidarité intergénérationnelle passe par une politique de l’emploi favorisant notamment l’intégration sociale et professionnelle des jeunes, le remplacement des salariés partant en retraite, la reconnaissance des qualifications initiales et acquises, la prise en compte de la pénibilité des tâches et des métiers.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement ainsi rectifié ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement était plutôt défavorable à cet amendement, car il estimait une telle précision redondante…
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est plus précis !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole sur cet amendement. Toutefois, après avoir écouté sa présentation par notre excellente collègue Cécile Cukierman, j’ai souhaité à la fois réagir sur ce que j’estime être une inexactitude et, puisque notre collègue a évoqué le difficile problème de l’emploi des jeunes, apporter la démonstration que son refus de la capitalisation est un mauvais service qu’elle rend aux jeunes.
Certes, l’étymologie du mot capitalisation renvoie au mot latin caput, capitis, qui signifie la tête. Pourtant, rien n’interdit qu’un système collectif capitalise l’épargne de l’ensemble de ses adhérents. Il n’y a donc pas nécessairement une individualisation. Au contraire, c’est l’absence de régime de capitalisation organisé par la loi – certains existent actuellement, mais sont, de notre point de vue, trop marginaux –, qui aboutit à des efforts strictement individuels. Ceux de nos compatriotes qui veulent consolider leur épargne le font en effet dans un schéma souvent personnel, alors que des systèmes collectifs d’entreprise existent et que des systèmes collectifs plus larges devraient exister.
L’individualisme et l’égoïsme ne constituent pas les compléments nécessaires de la capitalisation. Au contraire, la possibilité de systèmes collectifs existe. Si 40 % des entreprises du CAC 40 sont détenues par des investisseurs étrangers, une bonne partie de ces 40 % appartient à des fonds de retraite de pensionnés. Le plus connu d’entre eux, le fonds de retraite des enseignants californiens, qui n’a rien d’individualiste, est un mouvement collectif faisant en sorte que les retraités californiens bénéficient de la croissance dans le monde, y compris en France, ce qui prouve qu’il ne faut pas être défaitiste sur l’image de nos entreprises ! Il est vrai, celles du CAC 40 travaillent, pour l’essentiel, en dehors de France. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Mais revenons au problème des jeunes, qui nous mobilise à l’occasion de l’examen de cet amendement. Pour créer des emplois, on le sait, il faut des capitaux. Les machines-outils d’aujourd’hui sont non plus le tour, la machine à coudre,…
Mme Cécile Cukierman. Il a fallu des capitaux pour créer des machines à coudre !
M. Gérard Longuet. … ou la débiteuse du scieur, mais des tours numériques à douze têtes qui valent chacun, par emploi créé, de 300 000 euros à 500 000 euros. Si nos entreprises n’ont pas de capitaux, si elles ne peuvent pas s’adresser à des prêteurs de long terme souhaitant leur succès, elles ne pourront pas financer en France les emplois d’avenir.
Je suis, hélas, un parlementaire déjà ancien, seule la confiance des électeurs explique ma longévité. Or je constate que, là où il fallait, voilà trente ans, 20 000 euros pour créer un emploi, il en faut aujourd’hui, entre l’outil de travail et le fonds de roulement, plusieurs centaines de milliers.
Si vous n’organisez pas au plan national un système de drainage de l’épargne de long terme vers l’emploi industriel, vous jeunes n’auront pas d’emploi en France…
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
M. Gérard Longuet. … et les meilleurs d’entre eux iront les chercher à l’étranger, ce qui affaiblira d’autant le potentiel du système de retraites par répartition, qui n’est pas intangible, mais peut être également menacé.
C’est la raison pour laquelle, ma chère collègue, si vous voulez aider à l’emploi des jeunes, aidez à l’investissement dans les entreprises et à une orientation de l’épargne de long terme vers des investissements productifs, par la capitalisation collective.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Mon cher collègue, je suis tout de même un peu surprise par votre réponse. Tout d’abord, mes collègues du groupe CRC et moi-même ne sommes pas les utopistes que vous décrivez – et personne ne l’est dans cet hémicycle. (M. Gérard Longuet s’exclame.) Nous ne sommes pas complètement irrationnels au point de considérer que, pour créer des emplois, il suffit de claquer des doigts sans qu’il soit nécessaire d’apporter du capital ni de réaliser des investissements. Nous n’avons jamais prétendu cela ! Nous ne vivons pas dans un autre monde ! Écoutons-nous les uns les autres.
Mon cher collègue, les reproches que vous nous faites sont en léger décalage par rapport au contenu de l’amendement et par rapport à la présentation que j’en ai faite. Sur le fond, vous êtes en décalage complet par rapport à nos positions sur l’emploi des jeunes. Bien évidemment, il faut investir, mais il faut aussi s’interroger sur le système de retraite par répartition et par capitalisation. C’est bien sur ce sujet que nous ne sommes pas d’accord. Je dis que le système par capitalisation impose une approche individualisée ; pour autant, je n’ai pas parlé d’égoïsme : c’est vous qui l’interprétez ainsi. Pourquoi ? Parce que l’individualisation entraîne l’égoïsme ? C’est vous qui faites cet amalgame.
En revanche, un jeune qui voudrait bénéficier d’une retraite par capitalisation doit effectivement pouvoir capitaliser. Jusque-là, nous sommes d’accord. Il faut qu’il ait un travail et qu’il perçoive des revenus suffisamment importants à la fois pour satisfaire ses besoins et couvrir ses dépenses, souvent plus importantes au début d’une vie professionnelle qu’à la fin. Soit il peut capitaliser, si sa situation le lui permet, soit il ne peut pas, auquel cas il le paiera toute sa vie. À mesure qu’il avancera dans sa vie professionnelle et qu’il vieillira, le décalage ne fera que s’accroître, rompant ainsi avec le principe de solidarité entre les générations et de solidarité entre les actifs que nous défendons avec cet amendement.
De fait, nous soutenons des projets de société différents. Nous voulons non pas renier, mais préserver et réaffirmer ce principe de solidarité. Comme d’autres ici, mes collègues du groupe CRC et moi-même estimons que le progrès, ce n’est pas de vivre plus longtemps pour travailler plus longtemps, c’est de pouvoir travailler moins longtemps pour vivre plus longtemps, pour le bénéfice de toute la société ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Est-ce qu’on peut naître plus tard ?
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent. Tout est mis en œuvre pour leur garantir l’allongement de leur espérance de vie en bonne santé.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La référence à l’espérance de vie en bonne santé ne nous semble pas pertinente dans cet alinéa. En effet, celui-ci prévoit que « les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension […] ». Or ce traitement équitable doit être la réalité, quelle que soit l’espérance de vie qui reste aux salariés, que celui-ci soit ou non en bonne santé. Maintenir cette disposition reviendrait à dire, a contrario, que le traitement pourrait être inéquitable en fonction de la qualité de l’espérance de vie des salariés.
La volonté du Gouvernement a sans doute été de mettre en lumière son attachement à la notion d’espérance de vie en bonne santé, ce qui est louable. Mais alors, il serait plus juste de dire que l’objectif de notre système de retraite est de garantir à tous un allongement de l’espérance de vie en bonne santé et non pas un traitement équitable en fonction de l’espérance de vie.
Nous serons tous d’accord pour reconnaître que, pour profiter de la retraite, il ne suffit pas d’être vivant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ma chère collègue, votre amendement vise à garantir aux assurés les moyens mis en œuvre pour allonger leur espérance de vie en bonne santé. L’objectif d’un tel allongement n’est pas en soi un objectif du système de retraite, mais plutôt un objectif des politiques de santé publique, à la fois en matière de prévention et de soins. Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je voudrais citer quelques chiffres pour que l’on comprenne bien de quoi nous parlons.
Depuis quelques années, la France connaît un recul de ce qu’on appelle « l’espérance de vie sans incapacité », selon une étude de l’Institut national d’études démographiques d’avril 2012. Cette étude compare les données des 27 pays que comptait alors l’Union européenne. Si l’on se concentre sur le cas de la France, on observe qu’en 2010, les hommes pouvaient espérer vivre en bonne santé 79,1 % de leur espérance de vie totale, soit 78,2 ans, contre 80,6 % en 2008. Les femmes pouvaient espérer vivre en bonne santé 74,4 % de leur existence, contre 76,1 % en 2008. Dit autrement, l’espérance de vie sans incapacité des hommes est de 61,9 ans en 2010 et de 63,5 ans pour les femmes.
Si nous poussons l’examen encore un peu plus loin, nous constatons que les inégalités sociales face à la mort, elles, persistent également. L’écart d’espérance de vie entre les hommes cadres et ouvriers est de 6,3 années. Les hommes cadres de 35 ans peuvent espérer vivre encore 47 ans, soit jusqu’à 82 ans, et les hommes ouvriers 41 ans, soit jusqu’à 76 ans.
L’écart existe de la même manière pour les femmes. L’espérance de vie d’une femme cadre de 35 ans est de 52 ans, soit jusqu’à 87 ans, tandis que celle d’une ouvrière n’est que de 49 ans, soit jusqu’à 84 ans. Si bien que l’espérance de vie des ouvrières d’aujourd’hui correspond à celle des femmes cadres au milieu des années 1980.
II y a trois ans, nous étions unis pour rappeler cette évidence ; nous pourrions l’être encore aujourd’hui. C’est la raison d’être de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Il serait tout de même assez curieux d’introduire dans la loi, par le biais d’un amendement, une disposition selon laquelle tout est mis en œuvre pour garantir à nos concitoyens l’allongement de leur espérance de vie en bonne santé. Encore heureux ! On ne va quand même pas prendre des mesures qui iraient dans le sens contraire ! Véritablement, ce serait un leurre de leur faire croire que, au terme d’un débat parlementaire, on pourrait répondre à cette préoccupation naturelle et légitime qu’est l’accroissement de l’espérance de vie en bonne santé. Faisons preuve d’une grande humilité dans notre approche de cette question.
Effectivement, des facteurs de risque ont été relevés, responsables d’une diminution de la longévité. On pense bien sûr au cholestérol, même si des efforts considérables ont été faits pour réduire l’artériosclérose, on pense à la lutte contre l’hypertension artérielle, contre le tabagisme, contre l’alcoolisme, autant de facteurs sur lesquels la société peut agir par des mesures de prévention, par l’éducation de nos concitoyens de façon qu’ils n’altèrent pas leur espérance de vie. L’hygiène de vie contribue à allonger la durée de vie.
Il existe néanmoins d’autres facteurs de risque, incontournables, en particulier l’âge, bien évidemment. De fait, il faut combattre un certain nombre de préjugés.
Je le répète, l’espérance de vie de nos concitoyens est aussi liée à leur hygiène de vie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et les conditions de travail ?
M. René-Paul Savary. Cette espérance de vie ne peut pas être la même pour tous. A contrario, il ne faut pas stigmatiser une catégorie socioprofessionnelle comme celle des ouvriers. Pourtant, c’est que fait cet amendement. On a tous vu des ouvriers qui ont vécu longtemps, malgré des conditions de travail difficiles au cours de leur vie professionnelle. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) On ne peut pas considérer que le travail influe particulièrement sur l’espérance de vie plus que d’autres facteurs, en particulier ceux que j’ai cités.
C’est la raison pour laquelle nous ne soutenons pas cet amendement qui, par le débat qu’il suscite, loin d’informer nos concitoyens en toute transparence, entretient en réalité ce fantasme selon lequel il serait possible d’agir, d’un coup, sur l’espérance de vie de nos concitoyens. (Mouvements de désapprobation sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je vais contredire notre collègue.
Il faut distinguer deux sujets : l’espérance de vie, qui est un enjeu de santé publique, c’est incontestable, et l’espérance de vie en bonne santé, qui soulève la question de la pénibilité des conditions de travail.
Dominique Watrin ne me contredira pas : les conditions de travail des mineurs de fond qui sont morts à cinquante ans des suites d’une silicose ou d’une anthracose ont eu une influence sur leur espérance de vie. La très grande majorité d’entre eux n’ont pas bénéficié du tout de leur retraite.
La rédaction de l’amendement de nos collègues, qui introduit la notion de la pénibilité dans les conditions de travail, me paraît plus explicite que celle de l’alinéa 5. C’est pourquoi je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Mon cher collègue Savary, vos propos me surprennent. Vous dites que l’espérance de vie dépend de l’hygiène de vie. Cela signifie donc, selon vous, que les cadres ont une meilleure hygiène de vie que les ouvriers, si l’on en juge par les statistiques qui viennent d’être citées.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est bien connu : les ouvriers sont tous des pochtrons !
M. Jean Desessard. On le voit bien en réalité : les conditions de travail ont une incidence sur l’espérance de vie.
Voilà bien la différence entre la droite et la gauche. Moi, monsieur Longuet, je suis marxiste, car je ne crois pas simplement à la volonté individuelle.
M. Jean Desessard. Mais si ! Vous dites qu’on vit plus longtemps si l’on a une bonne hygiène de vie. Sauf que l’espérance de vie des ouvriers est inférieure de dix ans à celle du reste de la population ! Comment l’expliquez-vous ? Ce n’est pas simplement parce que leur hygiène de vie est moins bonne, c’est parce que leurs conditions de travail sont plus pénibles,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Parce qu’ils ont de bas salaires !
M. Jean Desessard. … parce qu’ils touchent de bas salaires, en effet, parce que leurs conditions sociales sont mauvaises. Vous, vous donnez une explication individuelle ; quant à nous, à gauche, par tradition, nous mettons en avant des explications sociales et sociologiques.
C’est bizarre, les enfants d’ouvriers fréquentent moins l’université que les enfants de cadres ! Sans doute une question d’hygiène culturelle… (Rires sur les travées du groupe CRC.)
Bien sûr, tous les ouvriers et tous les cadres ne sont pas logés à la même enseigne, mais les pesanteurs sociales sont une réalité. C’est ce que dénoncent les auteurs de cet amendement.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. Jean Desessard. On pense enfin à notre hygiène de vie !