M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.

M. Dominique Watrin. Incontestablement, nos régimes de retraite, assis sur la solidarité entre les générations et le principe de répartition, connaissent des difficultés financières. Toutefois, ces dernières sont bien moins insurmontables que ne tendent à le faire croire ce projet de loi et les propositions injustes qu’il contient.

Comme l’ensemble de notre système de protection sociale, notre système de retraites connaît une crise financière persistante qui, tout en affaiblissant sa portée et son avenir, tend à semer le doute dans les esprits de nos concitoyens quant à sa pertinence et sa pérennité. En effet, nombreuses et nombreux sont ceux qui pensent que, demain, il leur faudra se constituer personnellement une retraite, c’est-à-dire épargner pour se constituer une retraite privée.

Cette inquiétude légitime, il nous faut la combattre. L’article 1er de ce projet de loi est, à cet égard, de nature à générer l’espoir. Il réaffirme l’attachement de la Nation à un mécanisme de retraites qui continuerait à unir les générations entre elles. Il fait explicitement référence à un régime de retraite par répartition et se fixe pour objectif de garantir aux retraités un niveau de vie satisfaisant. Nous serions tout prêts à souscrire à ces déclarations de principe pour autant qu’elles ne soient pas vides de tout contenu et qu’elles ne constituent pas des vœux pieux.

Comment prétendre en effet vouloir garantir notre système de retraites par répartition sans répondre au mal premier, fondamental, dont souffre notre système de retraites, à savoir son insuffisance de financement ?

Ce dont souffre la sécurité sociale, ce n’est pas d’un excès de dépenses, mais d’une insuffisance chronique de recettes, organisée par des politiques successives et continues d’exonérations de cotisations sociales, lesquelles n’ont jamais eu d’autres effets que l’accroissement des bas salaires, de la précarité et des déficits publics et sociaux.

Force est de constater que, en la matière, contrairement à ce que nous aurions pu attendre, votre gouvernement a fait sienne la logique de la réduction du coût du travail portée par la droite et les libéraux.

Comment prétendre vouloir garantir un haut niveau de retraites quand vous avez non seulement renoncé à interdire les licenciements boursiers mais que vous avez, pire encore, à la demande du MEDEF, contribué à faciliter le licenciement des salariés pour motif économique ? Je renvoie à notre divergence fondamentale sur l’accord national interprofessionnel, l’ANI.

Comment croire que ces salariés, sacrifiés sur l’autel de la finance, pourront, de périodes de chômage indemnisé en période de chômage non rémunéré, de stages en formations, atteindre à soixante-deux ans le nombre d’annuités nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein ?

Comment faire croire que, pour l’avenir, notre système de protection sociale doit reposer sur un financement mettant le capital à contribution quand, tout de suite après avoir annoncé une hausse très modérée de la part patronale de cotisations sociales, vous annoncez une exonération de cotisations sociales sur la branche famille, afin que la hausse décidée soit au final indolore – pour le patronat en tout cas, car l’article 2 de ce projet de loi, qui prévoit l’allongement de la durée de cotisations, impactera fortement le monde du travail ?

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC ne votera pas en faveur de cet article et s’abstiendra.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l'article.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’image de mon collègue, je m’abstiendrai sur cet article, non que les principes avancés dans celui-ci ne me séduisent pas, mais parce que je mesure précisément combien ces principes, rapportés à ce projet de loi, sont au mieux un cap infranchissable, au pire une succession de promesses intenables.

En réalité, en faisant le choix de faire porter l’essentiel du financement de cette réforme des retraites sur les salariés et en allongeant la durée de cotisation, vous poursuivez la logique débutée en 1993 sous M. Balladur, continuée en 2003 par M. Fillon et poursuivie en 2010 par M. Woerth.

L’allongement de la durée de cotisation prévue à l’article 2 rapportera, selon l’étude d’impact associée à ce projet de loi, 5,4 milliards d’euros, une somme importante à laquelle il conviendra également d’ajouter les millions d’euros d’économies qui résulteront des décotes imposées à celles et ceux qui, usés par une vie de travail faite de précarité, de périodes de chômage et de conditions de travail abîmant le corps et réduisant l’espérance de vie en bonne santé, n’auront d’autre choix que de faire valoir leurs droits à la retraite, y compris s’ils ne sont pas parvenus à cumuler tous les trimestres leur permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein.

Mais c’est également sans compter sur les effets désastreux de cette mesure sur d’autres branches de notre système de protection sociale – je pense par exemple aux dépenses liées à l’indemnisation accordée aux salariés privés d’emplois. Dans la mesure où les employeurs continuent à exclure les salariés âgés de plus de cinquante-cinq ans du marché du travail, l’adoption de l’article 2 aura mécaniquement pour effet d’accroître les périodes de chômage, et donc une partie des dépenses publiques. Mais je pense également à la branche famille, déjà déficitaire et victime d’une tuyauterie complexe qui l’appauvrit et qui ne poursuit qu’un objectif : satisfaire chaque année un peu plus que la précédente l’exigence du MEDEF de soustraire les entreprises au financement de cette branche.

Au final, avec ces effets secondaires sur l’indemnisation du chômage comme sur la branche famille, le Gouvernement creuse un trou pour en boucher d’autres, plutôt que de sauver notre système de retraites. Celui-ci connaît effectivement une situation de déficit, mais ce dernier est tout relatif. En 2020, le déficit de la branche vieillesse atteindra à peine 1 % de notre produit intérieur, c’est-à-dire, pour parler en chiffres et non en pourcentage, 20 milliards d’euros, exactement la somme que le Gouvernement vient d’offrir sur un plateau au patronat au nom du plan compétitivité.

Il y a bien, d’un côté, une ponction de 5,4 milliards d’euros à la charge des salariés, sur la seule base de l’application de l’article 2 et, de l’autre, un cadeau fiscal de 20 milliards d’euros accordé au patronat. Et ce, alors même que l’article 1er, que vous nous invitez à adopter, prétend vouloir faire financer une partie de nos retraites sur ce même capital que vous épargnez !

Parce que vos actes en la matière sont à l’opposé de vos discours, je ne voterai pas en faveur de cet article.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.

Mme Laurence Cohen. La sénatrice que je suis ne peut naturellement rester insensible à la déclaration de principe figurant dans cet article 1er, qui confère à notre système de retraites, selon les mots mêmes de son alinéa 6, « un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, d’égalité des pensions entre les femmes et les hommes ».

Pourtant, madame la ministre, je dois dire qu’il y a pour le moins une confusion.

Dans la mesure où ce même article prévoit que les pensions perçues sont en rapport avec les revenus du travail, comment voulez-vous que notre régime de retraite puisse garantir une égalité de pensions entre celles versées aux femmes et celles versées aux hommes ?

C’est bien parce que les salaires des femmes sont inférieurs d’un quart en moyenne à ceux qui sont perçus par les hommes que leurs retraites le sont aussi de 42 %.

C’est bien parce que les femmes sont plus exposées que les hommes aux temps partiels, particulièrement aux temps partiels subis, que les carrières des femmes sont plus incomplètes que celles des hommes, et qu’elles subissent mécaniquement – hélas ! – des décotes plus fortes que les hommes.

Or salaire et durée de carrière sont les deux composantes principales du calcul de la pension de retraite.

C’est pourquoi, quand bien même je voudrais croire en cet alinéa 6, je vois mal comment, sans mécanisme de redressement permettant de compenser une précarité plus grande au travail et une sous-rémunération constante, les femmes de notre pays pourraient, demain, prétendre bénéficier d’un niveau de pension égal à celui des hommes.

Certes, il y a bien l’article 13, relatif aux droits familiaux, qui, bien que largement insuffisant, est positif, comme je l’ai souligné dans mon intervention en discussion générale.

Mais son effet demeure limité au point que, comme le précise Christiane Marty, membre du conseil scientifique d’ATTAC et animatrice de sa commission « Genre et mondialisation », les écarts de pensions seraient au mieux, dans les meilleurs des cas, ramenés à 28 % entre les pensions des femmes et des hommes. Or, 28 % d’écart, vous en conviendrez, madame la ministre, ce n’est pas, loin s’en faut, l’égalité de traitement que vous appelez de vos vœux au travers de cet article 1er.

C’est pourquoi, à mon tour, je précise que je ne voterai pas en faveur de cet article 1er, considérant que les actes sont plus importants que les déclarations et que vos actes, particulièrement l’article 2, relatif à l’allongement de la durée de cotisation, et l’article 4, qui repousse de six mois la revalorisation des retraites, affecteront les plus modestes et les plus fragiles économiquement, dont les femmes. Ces dispositions viennent donc en contradiction avec les principes énoncés dans cet article 1er.

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Après le mot :

retraite

insérer le mot :

solidaire

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Les mots ont un sens et il importe de bien choisir, notamment quand il s’agit d’établir la loi.

La reconnaissance d’un droit au travail, à un vrai salaire, est indissociable du droit à la retraite et du choix du système par répartition et de solidarité entre les générations que nous défendons.

« Je n’ai jamais séparé la République des idées de justice sociale dans la vie privée, sans lesquelles elle n’est qu’un mot », a dit Jean Jaurès. Avec cet amendement, nous souhaitons ainsi remettre véritablement le mécanisme de répartition au cœur de notre système de retraites afin qu’il continue d’être juste et solidaire.

Nous ne désirons pas individualiser la retraite en fonction des revenus, ni maintenir les conditions de l’inégalité entre les retraités. Pour nous, en effet, quels que soient sa condition sociale et le déroulement de sa carrière, chacun doit pouvoir disposer d’un revenu qui lui permette de vivre décemment la dernière période de sa vie.

Pour apporter cette garantie, la solidarité et la répartition sont nécessaires dans les faits. Pourtant, entre recul de l’âge de départ à la retraite et accroissement du nombre d’annuités, c’est une autre voie qui est ici confortée. En effet, madame la ministre, la vérité est que le présent texte ne fait que renforcer la réforme Balladur de 1993, celle de M. Fillon en 2003 et, la plus récente, celle de 2010.

L’augmentation de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein, les modalités de détermination du salaire moyen, les conditions de revalorisation des pensions, tout concourt à raboter progressivement le niveau des prestations versées en contrepartie des cotisations prélevées auprès des actifs.

La réforme Balladur de 1993 a, déjà, occasionné un sensible décrochage de la progression des dépenses d’assurance vieillesse : depuis vingt ans, les retraités ont en effet subi de plein fouet un décrochage sensible de leurs pensions au regard de ce qu’elles auraient pu être sans cette prétendue réforme.

Pour l’heure, hélas, la présente réforme ne semble conduire qu’à une nouvelle décote des pensions à moyen et long termes. Nous devons, tout au contraire, affirmer nos valeurs de solidarité, ne serait-ce que pour que le reste de ce texte soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens dans ce domaine.

Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que la retraite par répartition revêt un caractère « solidaire ».

Cette précision ne paraît pas utile, car le principe même de la retraite par répartition repose sur la solidarité entre les générations et sur un principe contributif, ainsi que le précise déjà l’alinéa 6 de l’article 1er. La commission a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Même avis, pour les mêmes raisons.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.

Mme Isabelle Pasquet. Nous avons tenu, à travers cet amendement, à réaffirmer notre attachement au principe de solidarité qui fonde notre système de retraites.

En ce sens, toute réforme doit préserver les valeurs essentielles de justice sociale en maintenant la solidarité. Ce faisant, elle répond à l’exigence de maintien de la cohésion de la société. Remettre en cause ce principe même de solidarité, c’est incontestablement faire reculer significativement notre civilisation.

Il ne faudrait pas oublier que ce principe de solidarité, qui est à la base de notre système de protection sociale, s’est développé au cœur même de la Résistance. De même, n’oublions pas que toutes les avancées sociales de l’après-Seconde Guerre mondiale furent aussi une réponse au libéralisme sauvage des années vingt et à la déflation des années trente.

C’est donc dans une période particulièrement troublée qu’un système de protection sociale aussi novateur a été progressivement élaboré et a pu émerger après la guerre.

Malgré une situation particulièrement difficile, alors qu’il fallait reconstruire et consacrer de grands efforts au redressement économique de notre pays, nous avons su mobiliser les mesures nécessaires à la mise en place d’un régime d’assurance vieillesse permettant à tout un chacun, indépendamment de ses origines sociales et de sa trajectoire de vie, de bénéficier d’une sécurité pour ses vieux jours.

C’est donc avec perplexité que je constate que, sous la pression d’un vieillissement démographique relatif, on développe des discours alarmistes tendant à faire croire que notre système actuel de retraites est condamné ou que sa préservation passe par une réduction permanente et continue du niveau des pensions versées.

Je suis inquiète de voir prospérer de telles idées. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, en réponse à la grande crise des années trente, nous avons cherché à réguler nos économies en réduisant le poids des mécanismes de marché, qui avaient montré toute leur inefficacité sur les plans économique et social.

J’ai l’intime conviction qu’aujourd’hui nous faisons un grand pas en arrière en abandonnant progressivement la régulation de notre économie aux seules forces du marché, car c’est bien ce renoncement qui est à l’œuvre quand on examine, au-delà du présent projet de loi, une bonne partie des choix politiques qui sont actuellement opérés.

Mes chers collègues, nous ne croyons pas plus en les vertus méconnues des fonds de pension, des plans d’épargne entreprise ou des plans d’épargne pour la retraite collectifs, les PERCO, qu’en de multiples décisions fiscales et financières censées, en préservant notre compétitivité, sauver notre protection sociale.

Les secousses financières depuis 2008 ont montré que le capitalisme actionnarial n’est nullement capable d’assurer la régulation dont nous avons besoin. La domination des marchés financiers, toujours présente, est une machine à produire des inégalités, à affaiblir notre croissance et à créer du chômage.

On l’aura bien compris, à terme et au-delà du présent texte, c’est l’ensemble de notre système de protection sociale qui sera atteint dans ses fondements mêmes. Or, et je tiens à attirer l’attention sur ce point, croire que le marché et l’individualisme peuvent constituer des facteurs de régulation de nos sociétés, c’est commettre une grave erreur d’appréciation et d’analyse économique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Caffet. Avec ces amendements et les arguments avancés pour les défendre, vous posez les termes du débat entre nous.

Comme vous l’avez rappelé, le système de retraites en vigueur durant l’entre-deux-guerres, et cela d’ailleurs depuis l’instauration du régime des retraites ouvrières et paysannes de 1910, était fondé sur la capitalisation.

M. Dominique Watrin. C’est inexact !

M. Jean-Pierre Caffet. C’est un fait, monsieur Watrin, et il en allait de même des assurances sociales de 1930. C’est aussi un fait que la crise des années trente a ruiné un certain nombre d’épargnants et de retraités qui n’ont jamais pu toucher leurs pensions.

Il a effectivement été à l’honneur de la Libération et du Conseil national de la Résistance de mettre en place un régime de retraite par répartition. Mais c’était il y a soixante ans !

M. Jean-François Husson. Soixante-dix ans !

M. Jean-Pierre Caffet. Il est tout à fait logique qu’un système par répartition, à ses débuts, puisse être extraordinairement généreux, tout simplement parce que le nombre des cotisants est très supérieur à celui des retraités. Mais, au fur et à mesure que le temps passe, du fait des évolutions démographiques de nos pays, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités se dégrade progressivement (M. Jean-François Husson s’exclame.) : il est en effet passé de quatre cotisants pour un retraité dans les années soixante à 2,5 aujourd’hui, et devrait s’établir à 1,5 en 2030.

M. Jean-Pierre Caffet. Voilà le problème auquel nous sommes confrontés. Il faut donc bien tenir compte de l’évolution de ce rapport démographique, qui conditionne l’évolution de nos systèmes de retraites par répartition.

J’ajouterai un autre élément. S’il n’y avait pas eu les précédentes réformes des retraites, celle de 1993, celle de 2003 et celle de 2010, cette dernière ne pesant d’ailleurs que faiblement dans l’évolution de l’équilibre des régimes de retraite – je vous renvoie à la page 27 du rapport de Yannick Moreau –, à l’heure actuelle, en 2013-2014, les régimes de retraite verseraient trois points de PIB de plus en prestations.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans ce cas, il ne fallait pas manifester contre toutes ces réformes !

M. Jean-Pierre Caffet. Trois points de PIB de plus en prestations ! Cela représente quelque 60 milliards d’euros. Imaginons la situation des régimes de retraite en 2013, où ils verseraient 60 milliards d’euros de prestations supplémentaires, sans recettes nouvelles !

Car il y a deux possibilités. Premièrement, dans l’hypothèse où cette évolution aurait été compensée par des recettes supplémentaires, les prélèvements obligatoires seraient supérieurs à leur niveau actuel de trois points de PIB, indépendamment de la manière dont entreprises et ménages se répartiraient l’effort. À supposer, par exemple, que l’effort ait été supporté pour l’essentiel par les ménages par le biais des cotisations salariales, les actifs paieraient aujourd’hui 60 milliards d’euros de plus de cotisations, et les retraités recevraient 60 milliards de plus en prestations.

En revanche, dans l’hypothèse où les recettes n’auraient pas suivi cette évolution, nous ferions face aujourd’hui à un déficit de l’ensemble des régimes de retraite accru de 60 milliards d’euros. Comment ferait-on ? Faudrait-il augmenter de 60 milliards d’euros les prélèvements obligatoires en 2013-2014 ? Il faut donc bien voir la réalité du phénomène.

Du reste, comment peut-on soutenir que la situation des retraités ne s’est pas améliorée depuis la Libération, date de création des régimes par répartition ? Il suffit là encore de lire le rapport Moreau. Force est de constater que, depuis les années cinquante, le niveau de vie des retraités a progressivement rejoint celui des actifs.

M. Gérard Longuet. Exactement ! D’ailleurs, grâce au président Giscard d’Estaing !

M. Jean-Pierre Caffet. Je vais citer des chiffres – je ne parle que de moyennes, parce que ce sont les seuls chiffres dont je dispose, et je reconnais volontiers l’existence de grandes disparités en matière de retraites, qui peuvent être très modestes, comme le minimum vieillesse, ou bien relativement confortables. En 2006, sans tenir compte du patrimoine, le niveau de vie moyen d’un actif s’élevait à 18 700 euros et celui d’un retraité à 15 800 euros.

M. Gérard Longuet. Voilà !

M. Jean-Pierre Caffet. Si maintenant on tient compte du patrimoine, et chacun reconnaîtra que le patrimoine accumulé par un retraité est plus important que celui d’un actif, pour la même année 2006, le revenu moyen s’établissait à 21 600 euros pour un actif et à 21 200 euros pour un retraité.

M. Gérard Longuet. Les vieux ont plus d’argent que les jeunes !

M. Jean-Pierre Caffet. Plus près de nous encore, en 2010, et toujours en moyenne, les actifs disposent d’un revenu mensuel de 2 000 euros et les retraités de 1 900 euros. Je vous renvoie encore une fois au rapport Moreau, page 37.

Voilà où nous en sommes ! Dire que les réformes qui ont été menées ces dernières années et qui, d’une certaine manière, je l’assume, sont poursuivies par la réforme actuelle…

M. Jean-Pierre Caffet. … ont abouti à une dégradation du niveau de vie des retraités,…

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Caffet. … c’est une assertion qui mérite d’être relativisée.

M. Jean-François Husson. Grâce vous soit rendue !

M. Jean Desessard. Il a assumé, M. Caffet !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 26, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Pasquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première et seconde phrases

Après le mot :

répartition

insérer les mots :

à prestations définies

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Alors que cet article 1er réaffirme l’attachement de la Nation à un système de retraite par répartition, l’ensemble des articles qui suivent, et singulièrement l’article 3, conduisent à mettre en œuvre un changement majeur, à peine dissimulé : celui du basculement d’un système à prestations définies vers un système à cotisations définies.

Or les régimes à cotisations définies ne garantissent pas aux salariés un niveau de pensions une fois atteint l’âge de la retraite. Le montant de la pension constitue la première variable d’ajustement qui permet aux responsables publics de les augmenter ou, plus souvent, de les réduire, en général dans le but de diminuer les dépenses publiques.

L’équation est alors claire : quand les retraités deviennent nombreux, vivent plus longtemps et que le montant des retraites représente une part trop grande de la dépense sociale et publique, la réduction de cette dernière passe par une réduction des pensions.

À rebours de cette logique financière, notre système de protection sociale et le régime de base obligatoire de la sécurité sociale se sont constitués sur l’idée qu’il fallait impérativement que les salariés, en débutant leur carrière professionnelle, aient la garantie de pouvoir disposer d’une retraite minimum.

Or l’article 3 du présent projet de loi autorise explicitement le comité de suivi à proposer la réduction des pensions ; il est, d’ailleurs, précisé que celle-ci doit être limitée. Alors que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter d’être privés du droit à bénéficier, comme nous demain et comme nos anciens hier, d’une retraite collective et solidaire, le signal envoyé par cet article 3 est anxiogène.

Qui plus est, si en vertu de cet article 3 les pensions peuvent être réduites, l’augmentation des cotisations sociales notamment celles qui sont supportées par les employeurs, apparaît comme une solution marginale. De toute évidence, ce n’est pas la solution que votre gouvernement privilégie puisque la faible hausse de cotisations patronales est aujourd’hui immédiatement compensée par une baisse significative du financement de la branche famille.

Madame la ministre, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, vous avez, sans réelle explication, donné un avis défavorable à cette proposition d’amendement. Si le député Michel Issindou a, quant à lui, répondu à nos collègues du groupe GDR, sa réponse nous inquiète plus qu’elle ne nous rassure. En effet, selon lui, l’article 3 constitue « un principe de tunnel, qui ne fait pas de notre système un système à cotisations définies, puisque les recommandations du comité de suivi ne s’imposent pas au Gouvernement ni au Parlement ». Pour autant, il n’a pas exclu que les propositions du comité puissent aller dans ce sens, et pour cause !

Tout converge vers un possible basculement du système. Pour reprendre l’expression de notre collègue député, le bout du « tunnel » nous inquiète. C’est la raison pour laquelle il nous semble souhaitable que l’article 1er définisse le type de système de retraites par répartition que nous voulons pour notre pays, à savoir un régime à prestations définies.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement vise à préciser dans l’article 1er que le système de retraites par répartition est bien un système à prestations définies. Cependant, les paramètres de calcul des pensions de retraite ne constituent pas un objectif du système de retraite, mais un moyen au service de cet objectif. Ils n’ont donc pas leur place dans l’article 1er.

Par ailleurs, le mécanisme de pilotage prévu à l’article 3, que vous avez évoqué, chère collègue, garantit le principe des prestations définies puisque les recommandations du comité de suivi sont strictement encadrées. Elles doivent notamment respecter un taux de remplacement plancher.

Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. L’avis est défavorable, pour les mêmes raisons.

Il n’est absolument pas question, dans le cadre de cette réforme, d’engager l’évolution de notre système vers un système à cotisations définies – au lieu d’un système à prestations définies. Cette inquiétude n’a pas lieu d’être.

Comme cela vient d’être indiqué par Mme la rapporteur, l’article 3 vise simplement à encadrer les limites dans lesquelles des ajustements pourront intervenir.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je voudrais à nouveau expliquer la nature de nos inquiétudes.

Si nous sommes opposés aux mécanismes de retraites à prestations définies, c’est parce que nous en connaissons les effets, notamment sur le montant des pensions.

L’exemple Suédois est à ce titre éclairant et devrait logiquement nous prémunir de la tentation de passer d’un modèle à prestations définies à un modèle à cotisations définies. En effet, dans un tel système, les cotisations sont définies au début de la carrière professionnelle et sont censées ne pas évoluer durant celle-ci. En conséquence, l’équilibre des caisses de retraites, qu’elles soient publiques ou privées, s’opère mécaniquement par la seule variable d’ajustement possible : le montant de la pension. Cet ajustement se fait soit en augmentant la durée de cotisation et l’âge de départ à la retraite – ce qui provoque des décotes –, soit en agissant sur la valeur des points. L’évolution de ceux-ci dépendant de la croissance, un ralentissement économique ou une crise – comme celle que nous connaissons depuis quelques années – entraîne une importante baisse du taux de conversion, donc une baisse notable des pensions.

Là encore, l’exemple suédois est intéressant. La crise qui a débuté avec l’affaire dite des « subprimes » a conduit à une crise économique mondiale qui s’est traduite par un fort ralentissement de la consommation privée et une contraction massive de la dépense publique. La croissance étant en berne, les retraites ont baissé de 3 % en 2010, cette baisse ayant atteint 7 % en 2011. Sur cinq ans, les retraites des Suédois ont ainsi connu une baisse cumulée de près de 40 %.

Voilà le scénario que nous souhaitons éviter à nos concitoyens, et que nous voulions rappeler ici.

En outre, les régimes de retraite à cotisations définies entraînent une conséquence trop souvent éludée : ils interdisent le débat sur le partage des richesses, auquel nous sommes attachés. En effet, dès lors que les cotisations sont figées, la part de richesses prélevée pour financer les retraites est appelée à ne plus évoluer. Au contraire, la part de richesses créées destinée à la spéculation et à la rémunération des actionnaires profite de l’amélioration de la productivité et des nouvelles technologies qui réduisent les coûts et participent à l’augmentation des marges bénéficiaires.

Cette situation ne peut nous satisfaire dans la mesure où, pour notre part, nous considérons que les actionnaires ne sont pas les seuls propriétaires des richesses créées par le travail. Ainsi, la question de sa répartition constitue un enjeu démocratique et de société et une issue pour la pérennité que nous souhaitons tous.

Enfin et pour conclure sur cette question, je ne partage pas l’analyse selon laquelle cette disposition n’aurait pas sa place dans le présent article, au motif que la question de notre modèle de retraite – à prestations ou à cotisations définies – ne constituerait pas un objectif, mais un moyen. C’est en réalité tout le contraire : l’objectif est bien le maintien d’un système à prestations définies, car seul ce système est protecteur pour les retraités.