M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cet instant, à l’instar de nombre de mes collègues, je voudrais manifester ma satisfaction quant à la façon sérieuse, pacifique, marquée par une réelle écoute réciproque dont nous avons débattu de ce texte déterminant pour notre défense.
Je conserve toutefois un regret concernant le déroulement de nos débats, qui ont accordé à la partie normative une grande place, au détriment, peut-être, de la programmation militaire et des orientations de défense.
Nous avons consacré une grande partie de notre temps, à juste titre, au sujet, important et sensible, du renforcement du contrôle parlementaire sur nos services de renseignement. Ces discussions ont été enrichies, je veux le souligner, par la contribution du président de la commission des lois. Elles ont été productives, permettant quelques légères avancées en la matière.
Pour ce qui concerne la programmation proprement dite, le débat et les amendements adoptés ne nous ont pas apporté d’éléments de nature à changer l’appréciation générale que nous portons sur ce texte.
Je me bornerai à rappeler que si nous avons salué ce qui, à nos yeux, en constituait le principal mérite, c'est-à-dire le tour de force budgétaire réalisé pour préserver l’essentiel de notre outil de défense, ce qui n’était pas aisé dans la situation présente, nous avons cependant émis de fortes réserves sur certaines conditions de sa mise en œuvre, notamment la réduction drastique des effectifs militaires et civils.
Nous avons également critiqué la place trop importante accordée à la dissuasion nucléaire, dont nous doutons de la pertinence dans le contexte géostratégique actuel, alors que son existence pose le problème de la prolifération. À ce sujet, je veux remercier notre collègue Jean-Pierre Chevènement qui, à chaque fois que cette thématique surgit, s’inscrit dans le débat et développe des arguments qui nourrissent la discussion. Pour notre part, nous continuons à réclamer l’organisation d’un débat dans notre pays sur cette importante question stratégique.
Toutefois, nous nous félicitons que figurent parmi les grandes orientations de notre politique de défense trois thèmes qui nous tiennent à cœur : la lutte contre la prolifération nucléaire, des actes concrets en faveur d’une politique commune de défense, ou encore la légalité internationale des opérations extérieures.
Au total, l’ensemble de ces éléments nous conduit à adopter une position d’abstention positive sur ce projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi de programmation militaire a été préparé dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. Jamais notre appareil militaire n’a été autant mis à contribution ; jamais une administration publique n’a été autant soumise à pression. Cet enjeu nous concerne tous : il s’agit d’un impératif national.
Si notre groupe critique fortement la politique économique actuelle, l’absence de croissance qui en découle et l’absence de marges budgétaires pour notre défense, il ne semble pas pour autant possible de porter le présent texte à la charge du Gouvernement. Aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que regretter que nous ne parvenions pas à une belle unanimité en faveur de ce dernier.
Je fais partie de ceux, les plus nombreux au sein de mon groupe, qui tiennent que, face à l’intérêt supérieur de la Nation, les intérêts partisans doivent s’effacer, et, en l’espèce, au profit de l’efficacité du texte. Or, depuis leur création, aucune loi de programmation militaire n’a été respectée. Aujourd’hui, l’unanimité aurait constitué, à nos yeux, un moyen de cautionner le travail réalisé tant en commission qu’au ministère, et de faire en sorte que, enfin, la future loi de programmation militaire soit honorée.
Le présent projet de loi exige un véritable effort de notre défense, en termes de moyens, on l’a déjà rappelé – près de 24 000 suppressions de postes pour un budget gelé pendant au moins trois ans –, mais aussi en matière de réforme administrative.
Le « dépyramidage », notamment, doit permettre de faciliter l’application d’une réforme ambitieuse, sans infliger de drames aux carrières personnelles. Nos soldats sont prêts à donner jusqu’à leur vie pour défendre la Nation. Il nous revient, en retour, de protéger notre défense des aléas de nos finances publiques. Si la contrainte budgétaire est la colonne vertébrale du texte que nous examinons, elle n’en est pas pour autant l’âme et la chair.
Ce projet de loi a pu susciter de nombreuses inquiétudes. Quel format pour nos troupes ? Quelle capacité de projection en 2019 ? Quelle ambition pour la France dans cinq ans ? À mon sens, le débat que nous venons de mener en séance publique a permis de répondre à ces interrogations.
Je tiens à saluer, en cet instant, le travail de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que de son président. Nous sommes parvenus, me semble-t-il, à un équilibre raisonné entre les contraintes inhérentes à cet exercice et les exigences du contrôle parlementaire.
Je tiens notamment à mettre en avant les clauses de sauvegarde financière introduites par la commission, notamment celle du retour à bonne fortune – j’espère que ce sera le ministère de la défense qui en profitera en premier lieu, et non d’autres ministères qui font moins d’efforts –, ainsi que les dispositions qui permettront, demain, au Parlement de contrôler enfin sur pièces et sur place l’application de la future loi.
Je salue également votre travail, monsieur le ministre. Vous avez su, au Sénat, donner sa juste place au travail parlementaire et, ce faisant, faire primer l’intérêt national face à toute autre considération.
J’ai entendu votre engagement en matière de relance de la défense européenne, notre vieux mythe. Rendez-vous est donc pris pour le prochain débat préalable au Conseil européen du mois de décembre, au cours duquel nous aurons sans doute l’occasion de poursuivre cette discussion.
C’est donc dans un bel esprit républicain que le groupe de l’UDI-UC votera majoritairement en faveur du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne prolongerai pas les débats, qui ont été nourris et intéressants. Ils ont véritablement permis d’améliorer, si tant est que ce fût nécessaire, ce projet de loi de programmation militaire.
Je tiens à remercier très sincèrement Jean-Pierre Sueur, le président de la commission des lois, de son opiniâtreté, son enthousiasme et de la pertinence de ses arguments. Je me félicite, surtout, de l’état d’esprit qui a présidé à nos travaux en commission.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Je tenais à le souligner, car j’ai cru entendre ici ou là qu’il y aurait eu des divergences fondamentales entre nous. Que les observateurs considèrent le résultat final : l’intérêt général a prévalu !
Je vous remercie, monsieur Krattinger, de vos apports, que nous ne manquerons pas de faire nôtres. Nous considérerons avec une très grande attention la problématique des Rafale, celle de la masse salariale ou d’autres encore et, je vous le promets, nous allons nous y tenir.
Je remercie aussi les administrateurs des différentes commissions de nous avoir, quelquefois, extraordinairement facilité la tâche. Ils nous l’ont parfois compliquée en nous sollicitant en même temps ! À un certain âge, la capacité auditive n’est plus la même, et il va falloir, je le sais, envisager de laisser la place. (Sourires.) Je m’y prépare et je me soigne… (Nouveaux sourires.)
Je remercie également très sincèrement nos interlocuteurs directs du ministère de la défense, de Matignon et même de l’Élysée de la qualité de leur écoute et des arbitrages rendus.
Monsieur le ministre, voilà vingt et un an que je siège dans cette assemblée. (M. le ministre s’étonne.) Rassurez-vous, cela va bientôt prendre fin !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Il est légitime que les Landais soient représentés par des personnes plus allantes, plus jeunes, plus toniques. Nous aspirons à nous réfugier dans nos magnifiques et confortables palombières et à profiter de la langueur avec laquelle le temps s’écoule.
Je tiens, les yeux dans les yeux, à vous remercier, personnellement, très sincèrement, monsieur le ministre : c’est un véritable plaisir de vous auditionner. Vous faites montre de considération pour les parlementaires que nous sommes et vous ne refusez jamais de répondre à nos questions. Je le dis ici publiquement, vous êtes un homme de parole et, pour le Sénat, cela compte vraiment beaucoup.
Cela étant, le présent projet de loi de programmation militaire a été déposé en premier, à votre demande, sur le bureau du Sénat, ce qui ne s’était jamais produit. Mes collègues de la commission ont réalisé un travail absolument remarquable. Ils ont toujours répondu positivement à mes sollicitations ; l’inverse se produit parfois… Il est toutefois beaucoup plus agréable d’avoir trop de candidats pour assumer une tâche que de ne pas en avoir assez ! Le travail de qualité de nos collègues nous a permis d’apporter au Gouvernement, en première lecture, une participation et un éclairage que nous souhaitons toujours un peu plus forts.
Je demanderai à notre collègue Yves Pozzo di Borgo de me pardonner de le paraphraser. Je fais de la politique depuis de nombreuses années. Je suis passionné par la chose publique. J’ai beau être plutôt un peu bagarreur et caractériel – là encore, je me soigne ! (Sourires.) –, je me réjouis de constater que nous avons réussi à faire prévaloir en amont, au-delà des affiliations partisanes, tout en restant fidèles à nous-mêmes, l’intérêt général sur un texte de cette importance. C’est un signe extraordinairement fort au moment même où l’opinion publique doute de la classe politique. J’aimerais qu’il en soit souvent ainsi et que le sens de l’intérêt général et du compromis, qui n’est pas honteux, puisse prendre le pas sur les fausses rixes. Celles-ci mettent en opposition des non-courageux, qui perturbent la vision que peut avoir l’opinion publique de la classe politique. Or cette dernière mérite bien mieux que la manière dont elle est décriée. En tout état de cause, je suis, quant à moi, très fier que le Sénat donne l’exemple ! (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des affaires étrangères et, l'autre, du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 24 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Pour l’adoption | 163 |
Contre | 140 |
Le Sénat a adopté. (Vifs applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce vote, qui manifeste une volonté, une volonté pour notre pays, notre sécurité, notre défense et notre autonomie stratégique.
Ainsi que certains d’entre vous l’ont souligné dans leur explication de vote, nos débats ont été de qualité, ce dont je vous remercie. Ce projet de loi visant à assurer la continuité républicaine, à mettre en avant les valeurs fondamentales de la Nation et devant nous conduire à assurer notre sécurité et nos responsabilités internationales, il était logique que nos discussions aient lieu dans la sérénité, mais il aurait pu en être autrement.
Grâce aux présidents de la commission des affaires étrangères et de la commission des lois, au rapporteur pour avis de la commission des finances et à tous les intervenants, nous avons, me semble-t-il, donné à notre pays une image de responsabilité, de sérénité et de force pour faire en sorte que la France soit, en 2019, la première puissance de défense en Europe. Je pense que cet objectif sera atteint avec la démarche qui a été engagée aujourd'hui. (Applaudissements.)
8
Convention fiscale avec le Canada
Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (projet n° 517 [2012-2013], texte de la commission n° 12, rapport n° 11).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’avenant à la convention fiscale franco-canadienne du 2 mai 1975 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune résulte de négociations engagées en 2004.
Il a été signé le 2 février 2010 à Paris, par Philippe Gomès, président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, pour la partie française, et par Marc Lortie, ambassadeur du Canada en France, pour la partie canadienne. Il répond à deux objectifs : étendre le champ d’application de la convention précitée au territoire de la Nouvelle-Calédonie et mettre à jour les dispositions de cette convention en matière d’échange de renseignements fiscaux.
Permettez-moi, tout d’abord, de vous dire quelques mots sur ce second point.
Il me semble important de préciser que l’accord qui vous est soumis ce soir s’inscrit dans le mouvement continu de mise à jour des conventions bilatérales signées par la France. Qui plus est, il permettra de mettre en conformité notre dispositif avec le dernier standard de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, en la matière. C’est, de ce point de vue, un pas de plus en faveur de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales avec nos partenaires de la communauté internationale.
Je reviens, maintenant, au premier objectif de cet accord.
Par-delà la poursuite de nos efforts dans le domaine de la transparence fiscale, cet avenant à la convention fiscale devrait aussi contribuer à favoriser l’indépendance économique de la Nouvelle-Calédonie. Nous nous plaçons ici dans la lignée des engagements pris par la France lors de la signature de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, et ce de façon dynamique, en facilitant le développement de complexes métallurgiques à capitaux canadiens et néo-calédoniens.
D’importants projets métallurgiques d’exploitation et de transformation sont attendus. Ils seront soutenus par la société Koniambo Nickel SAS, constituée à 49 % par la société canadienne Xstrata Nickel et, majoritairement, à 51%, par une entreprise kanake, la Société minière du Sud Pacifique, la SMSP.
Les investissements devraient permettre d’une part, de financer la construction d’une usine pyro-métallurgique d’une capacité nominale de 60 000 tonnes annuelles de métal contenu dans des ferronickels et, d’autre part, d’aménager une centrale électrique et un port en eaux profondes, ainsi que des installations de désalinisation de l’eau de mer.
Selon les prévisions, l’usine du Nord emploiera directement plus de 800 personnes à terme et contribuera indirectement à l’emploi d’environ 5 000 autres d’ici à 2015. Entre 70 et 90 % de ces emplois devraient être pourvus par des Néo-Calédoniens.
De surcroît, plusieurs zones artisanales, industrielles et commerciales devraient voir le jour à la faveur de ce projet, en particulier dans la province Nord.
C’est dire à quel point les prochaines années seront importantes, eu égard aux enjeux économiques en cause.
Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l’avenant à la convention fiscale de 1975 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE – M. Robert del Picchia applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michèle André, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’avenant à la convention fiscale entre la France et le Canada dont la ratification est soumise à notre examen, à une heure inhabituelle, n’a pas pour objet principal de modifier les dispositions de la convention signée par les deux pays en 1975 ; celle-ci a déjà été actualisée plusieurs fois, et elle est aujourd’hui conforme au standard international de l’OCDE.
En réalité, cet avenant vise à étendre le champ d’application de la convention à la Nouvelle-Calédonie, qui en est jusqu’à présent exclue. Cette extension répond à un besoin bien précis : permettre l’achèvement et la pérennisation du grand projet minier de Koniambo. Une courte explication s’impose.
En 1998, les accords de Bercy portant sur la valorisation du nickel au nord de la Nouvelle-Calédonie ont prévu que le massif de Koniambo serait exploité par un consortium canadien et néo-calédonien. C’est la société canadienne Falconbridge, rachetée depuis par le groupe suisse Xstrata, qui, après avoir été choisie, a réalisé l’essentiel des 4,35 milliards de dollars d’investissement.
Pour que son engagement soit viable, la société Falconbridge ne doit pas se trouver en situation de double imposition, la filiale étant imposée en Nouvelle-Calédonie et la société mère au Canada. En d’autres termes, elle doit pouvoir bénéficier du régime canadien des sociétés mères, ce qui nécessite une disposition conventionnelle en matière fiscale, conformément à la norme en vigueur. L’extension de la convention franco-canadienne à la Nouvelle-Calédonie satisfera cette exigence.
Permettez-moi d’insister sur deux points particuliers.
En premier lieu, le présent avenant ne vise en aucun cas à permettre la création d’un quelconque montage fiscal dérogatoire : il ne s’agit pas d’autoriser une entreprise à échapper par des voies détournées à un impôt légitime que les autres paient. En effet, le régime canadien des sociétés mères est un régime de droit commun, ouvert à toutes les entreprises canadiennes ; du reste, le même existe en France, sous la forme du régime mère-fille. Ce système permet à toutes les entreprises qui détiennent des participations dans une filiale d’éviter une double imposition.
À vrai dire, l’iniquité résidait plutôt dans le fait que les entreprises canadiennes investissant en France métropolitaine pouvaient bénéficier du régime canadien des sociétés mères, contrairement à celles qui investissaient en Nouvelle-Calédonie.
Je signale en outre que ce dispositif n’aura aucune incidence budgétaire pour la France, puisque la réduction d’impôt sera à la charge du Trésor canadien. Le Canada a donné son accord pour cet avenant ; en réalité, c’est même lui qui l’a demandé.
Le développement économique de la Nouvelle-Calédonie est encouragé par d’autres mesures fiscales, qui bénéficient aussi aux autres collectivités d’outre-mer ; mais ces aides financières dépassent largement le cadre de l’avenant qui nous est soumis.
En second lieu, je tiens à rappeler qu’il existe de nombreux garde-fous : une charte environnementale a été signée avec la province Nord et, surtout, le schéma de mise en valeur des richesses minières adopté en 2009 par le Congrès de Nouvelle-Calédonie, en application des accords de Nouméa, conditionne explicitement l’attribution de certaines aides au strict respect des normes environnementales.
Par ailleurs, cet avenant comporte une seconde série de dispositions visant à actualiser la convention pour ce qui concerne l’échange de renseignements fiscaux entre la France et le Canada. Il s’agit de renforcer le dispositif actuel et de le mettre en conformité avec le dernier modèle de l’OCDE, qui date de 2010, en attendant la mise en place prochaine de l’échange automatique d’informations, lorsque le nouveau standard aura été adopté par les membres de cette organisation.
Mes chers collègues, je suis sûre que nous souscrirons tous à cet objectif : la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales constitue aujourd’hui une impérieuse nécessité, car les efforts des Français n’ont de sens que s’ils sont partagés par tous, sans exception.
Le passage à l’échange automatique d’informations fiscales est devenu incontournable après l’adoption du dispositif FATCA par les États-Unis. Il figure à l’ordre du jour du G8, du G20 et de l’Union européenne. Un consensus national et international se fait jour à son sujet et vous avez été nombreux, dans tous les groupes politiques, à vous exprimer en faveur de son principe lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
En définitive, mes chers collègues, le projet minier de Koniambo, vital pour le développement de la Nouvelle-Calédonie, ne requiert rien de plus que l’application du droit commun en matière de prévention de la double imposition. Par ailleurs, cet avenant nous permet de renforcer la coopération fiscale entre la France et le Canada.
Pour finir, je désire insister sur l’importance cruciale du projet de Koniambo pour le développement économique et social de la province Nord. Ce ne sont pas des mots, mais des réalités : l’usine pourrait créer, directement et indirectement, près de 5 200 emplois, pourvus en quasi-totalité par des Néo-Calédoniens, et porter à 15 % la part de la Nouvelle-Calédonie dans la production mondiale de nickel.
Il suffit d’observer, à proximité de la mine, le développement de la région de Koné, qui voit l’installation de zones artisanales, commerciales et industrielles, la construction de logements et d’infrastructures et la mise en place de services publics, pour se rendre compte des bénéfices concrets du projet.
L’usine est maintenant presque achevée, et une première coulée de nickel a pu avoir lieu au mois d’avril dernier, peu de temps avant la visite du Premier ministre ; c’est une bonne nouvelle pour tout le monde.
Les Néo-Calédoniens eux-mêmes ne s’y sont pas trompés : le Congrès a donné son approbation à cet avenant le 20 septembre 2012. Paul Néaoutyine, le président de la province Nord issu du Front de libération nationale kanak et socialiste, le FLNKS, est un fervent soutien de ce projet, et par conséquent du présent avenant.
Mes chers collègues, ce projet permettra un rééquilibrage entre la province Nord et la province Sud. La première, moins peuplée et longtemps laissée en marge du développement économique et social, a trouvé, avec lui, une formidable opportunité, comme l’ont déjà constaté nos collègues Roland du Luart, Henri Torre et, plus récemment, Éric Doligé.
Certains d’entre vous ont pu exprimer des craintes au sujet des possibles conséquences environnementales du projet de Koniambo. Bien entendu, il conviendra d’être extrêmement vigilant pour prévenir ces risques, à vrai dire inhérents à tout projet de cette envergure.
Mes chers collègues, la commission des finances a approuvé cet avenant, et je crois que le Sénat ne peut qu’y être favorable à son tour ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Robert del Picchia applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen autorise l’approbation de l’avenant à la convention fiscale conclue entre la France et le Canada en 1975 et modifiée à deux reprises.
Cet avenant a pour objet non pas de changer les dispositions de la convention, mais d’en étendre le champ d’application à la Nouvelle-Calédonie, qui en est jusqu’à maintenant exclue. Comme Mme la rapporteur l’a signalé, cette extension répond à un besoin précis : permettre l’achèvement et la pérennisation du grand projet minier de Koniambo, dans la province Nord de l’île.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’économie calédonienne repose largement sur l’exploitation des ressources minières, notamment du nickel, dont l’île posséderait plus du quart des réserves mondiales.
Une usine de traitement du nickel existe depuis longtemps à Nouméa, au sud de l’île. L’idée d’en construire une seconde au nord est ancienne, mais elle s’est longtemps heurtée aux réticences de l’exploitant français. La province Nord étant majoritairement peuplée de Kanaks, ces derniers ont vu dans ces réticences une manœuvre politique néocolonialiste visant à les déposséder de la richesse de leurs terres. Ils ont donc posé comme préalable aux accords de Nouméa, signés en 1998, la réalisation de l’usine du nord.
La société Koniambo Nickel SAS est un consortium détenu à 51 % par la société minière kanake la SMSP, et à 49 % par une entreprise canadienne spécialisée dans l’extraction du nickel, Falconbridge, rachetée en 2006 par le groupe suisse Xstrata.
Après que, la même année, le projet d’exploitation eut été finalisé, l’usine a été mise en route au mois d’avril dernier, en tout cas pour une première coulée. Les Kanaks espèrent en tirer une rente, qui pourrait s’élever à 125 millions d’euros dès 2014, leur permettant de s’affranchir progressivement des transferts de l’État français et, ainsi, de rendre viable le projet d’indépendance de l’île, qui devrait être soumis à référendum avant 2018.
À terme, l’usine devrait employer de nombreuses personnes, notamment des Néo-Calédoniens, et porter à 15 % la part de l’île dans la production mondiale de nickel.
Seulement, pour que son engagement soit rentable, la société Falconbridge doit pouvoir rapatrier ses dividendes au Canada en franchise d’impôt, grâce au régime canadien des sociétés mères.
Ce régime, bien que critiquable, n’est en aucun cas dérogatoire au droit international. De plus, le dispositif n’aura aucune incidence budgétaire pour la France, puisque la réduction d’impôt sera à la seule charge du Trésor canadien.
Mes chers collègues, les écologistes sont par nature très vigilants à l’égard d’un modèle économique reposant quasi exclusivement sur une forme de mono-activité, en particulier lorsqu’il s’agit de l’exploitation de ressources minières, par essence épuisables. En l’espèce, ils sont d’autant plus portés à la vigilance que l’exploitation intensive du nickel est susceptible de provoquer des dégradations environnementales graves, notamment en matière de biodiversité.
Par ailleurs, le nickel est un minerai dont la valeur repose sur une économie extrêmement spéculative, fondée sur le court terme. Il faut aussi rappeler que les sociétés minières internationales sont évidemment tout sauf des enfants de chœur !
De ce point de vue, nous comprenons assez bien les réticences du groupe CRC à l’égard des multinationales minières en général, et vis-à-vis des canadiennes en particulier, qui bénéficient, de la part des autorités de ce pays, d’avantages fiscaux et en quelque sorte politiques qui dépassent parfois l’entendement.
De fait, si nous l’approuvons, cet avenant aura pour effet de permettre à la société canado-suisse Falconbridge de bénéficier des facilités propres à la Bourse de Toronto, où elle est cotée, et de jouir d’une forme de paradis judiciaire et réglementaire, qui se développe malheureusement au Canada.
Les écologistes, soucieux de la préservation de l’environnement et de l’instauration d’un contrôle accru des activités des sociétés minières, ne cachent pas leur préoccupation au sujet des éventuelles conséquences négatives de cet avenant.
Néanmoins, nous sommes également très attachés à l’idée de donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de se développer pour s’émanciper du système colonial qui l’a longtemps gouvernée, de même que nous sommes très attachés au droit à l’autodétermination de tous les peuples de la planète.
Nous le savons, l’exploitation du nickel par les Kanaks a été l’une des conditions majeures de la ratification des accords de Nouméa par les indépendantistes, qui y ont vu le moyen de sortir la province Nord de l’atrophie économique dans laquelle l’État français l’avait maintenue pendant des décennies.
Le projet a été développé en pleine concertation avec les populations et les tribus du Nord, et les bénéfices dégagés par la province seront pleinement réinvestis dans le développement et dans la diversification de l’économie locale. De plus, l’activité d’extraction s’accompagnera d’une activité de transformation sur place, rendant le produit fini moins sensible aux aléas des cours du nickel.
Naturellement, étant donné l’exceptionnelle richesse de la biodiversité terrestre et marine de l’archipel, la protection de l’environnement devra faire l’objet de toujours plus d’attention et de précaution, mais aussi de transparence et de concertation avec la société civile, qui doit être considérée, notamment sur les questions environnementales, comme un partenaire à part entière.
C’est sur le fondement de cet arbitrage, toujours délicat pour nous, écologistes, entre le respect de l’environnement et le droit des peuples à l’auto-détermination et au développement durable que nous approuverons cet avenant, tout en conservant notre vigilance critique.