M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, elle est effectivement « longue et tortueuse », la marche vers l’indépendance ! (Sourires.)
L’objet de ce texte, comme son titre l’indique, est d’assurer l’indépendance de l’audiovisuel public. C’est une belle ambition, partagée, me semble-t-il, sur l’ensemble des travées de notre assemblée.
Sont visées les modalités de désignation des présidents de l’audiovisuel public, d’une part, et la composition de l’organisme régulateur du secteur, le CSA, d’autre part.
Il y a beaucoup à dire sur la notion d’indépendance. L’audiovisuel public a-t-il jamais été indépendant ? Dans quelle mesure peut-il l’être réellement ? Les présidents des sociétés de l’audiovisuel public ont sans aucun doute conscience de l’exigence de neutralité liée à leur fonction et s’attachent à prendre des décisions en toute indépendance. Cependant, ils ont eux-mêmes, comme tout citoyen, des convictions politiques et, lorsqu’ils sont dans l’isoloir, ils font nécessairement un choix.
La notion d’indépendance est donc sujette à débat. Certes, il faut tendre vers une absence de contrôle politique des nominations des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Mais une telle exigence confine parfois à l’utopie et relève davantage d’une philosophie. Surtout, pour les personnes qui exercent les fonctions qui nous occupent aujourd’hui, il s’agit d’un devoir et d’une responsabilité, dont la consistance repose sur des vertus telles que l’honnêteté intellectuelle, la conscience intime et le respect de valeurs morales.
Madame la ministre, vous avez qualifié la loi de 2009 de « loi funeste ». Elle avait pourtant le mérite de la transparence et s’appuyait sur une disposition de la Constitution, l’article 13 de cette dernière, lequel énonce que certains « emplois et fonctions […], en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation » donnent lieu à une nomination du Président de la République après avis des commissions parlementaires.
Autrement dit, sur le plan constitutionnel, la spécificité de certains secteurs légitime une désignation par le Président de la République. En l’espèce, à la suite d’un recours de l’opposition d’alors, le Conseil constitutionnel avait estimé que tel était bien le cas pour la nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Le dispositif avait donc été validé.
Je tiens d’ailleurs à souligner, car on a tendance à l’oublier, que le CSA devait donner un avis conforme dans le cadre de cette nomination et que le Parlement pouvait s’y opposer par un vote négatif représentant au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions compétentes. Ce dispositif était donc encadré et avait le mérite de la transparence.
Cependant, il faut reconnaître qu’un tel mode de nomination a pu susciter quelques difficultés pour les présidents ainsi désignés. Certains, lors de nos auditions, ont témoigné d’une forme de gêne et d’une suspicion provoquée non pas tant par la procédure elle-même que par le débat frontal et politique qui s’était ensuivi. En tout cas, ils ont ressenti qu’un doute pouvait être exprimé à leur endroit quant à leurs choix stratégiques.
On ne peut donc être opposé à une modification de la loi, de manière à rechercher de meilleures conditions d’indépendance et de transparence.
J’avoue toutefois mon incompréhension à la lecture de ce projet de loi. La nouvelle majorité nous avait annoncé un texte audacieux. Celui-ci ne fait pourtant que revenir à une nomination par le CSA. Outre que le président du Conseil sera lui-même nommé par le Président de la République, le CSA n’est-il pas juge et partie s’il assume à la fois une fonction de régulateur du secteur et un pouvoir de désignation des présidents de l’audiovisuel public ?
De plus, le contrôle parlementaire disparaît purement et simplement, ce qui constitue à mes yeux un vrai recul. Ainsi le Gouvernement est-il prompt à dénoncer le système précédent, mais guère convaincant dès lors qu’il s’agit de proposer un autre projet.
La seule avancée concerne une autre désignation, celle des membres du CSA, qui devra être validé par un vote des commissions parlementaires compétentes représentant les trois cinquièmes des suffrages exprimés, ce qui implique un accord de l’opposition. C’est un beau geste, il faut le saluer. Encore convient-il de relativiser ce progrès (M. David Assouline s’exclame.), car la recherche d’un consensus apparaît bien difficile, et trouvera ses limites lorsqu’il sera impossible de parvenir à un accord, ce qui peut arriver.
Vous avez évoqué tout à l’heure un tel cas de figure, madame la ministre. Or, sur ce point, rien n’a été prévu. Ne prend-on pas ainsi le risque de politiser davantage, contrairement à l’objectif visé, ce type de nomination ?
On peut d’ailleurs s’interroger sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement ne va pas au bout de sa démarche : pourquoi ne transpose-t-il pas aux nominations des présidents de l’audiovisuel public le dispositif prévu pour les nominations des membres du CSA, à savoir un vote conforme du Parlement aux trois cinquièmes des suffrages exprimés par les commissions compétentes ?
Nous avons déposé un amendement en ce sens. On nous opposera son inconstitutionnalité. Ainsi, l’impossibilité constitutionnelle, pour le Parlement, de prendre position en la matière justifie quelque peu l’ancien système, qui, lui, permettait une telle intervention. À mon sens, il s’agit donc d’un recul quant au rôle joué par le Parlement !
Par ailleurs, vous le comprendrez, nous avons toute légitimité de nous interroger sur la volonté sincère du Gouvernement en matière d’indépendance, après la nomination récente, au CSA et au CNC, de personnalités dont la compétence professionnelle ou la valeur intellectuelle ne font aucun doute, mais dont le parcours politique, si fondé soit-il, n’est pas symbolique de l’indépendance pure et parfaite que vous entendez nous imposer, madame la ministre... Et je passe sous silence les destitutions récentes, au grand dam de la profession, de grands professionnels du théâtre !
Je m’adresse simplement au Gouvernement : quand on veut faire progresser l’indépendance, donner des gages de celle-ci et des leçons de vertu, il faut aussi confirmer son engagement par des actes.
J’en viens maintenant aux autres dispositions du projet de loi. Vous avez souhaité, madame la ministre, à l’occasion de ce texte, étendre les pouvoirs du CSA. Ce fut malheureusement le prétexte, à l’Assemblée nationale mais aussi au Sénat, d’ajouter de nombreuses autres dispositions, sur telle ou telle question liée à la révolution numérique. Ont ainsi été posés des « cataplasmes » concernant des sujets qui n’avaient pas vocation à être traités par le présent projet de loi. Nous les attendions au sein d’une réforme plus vaste, plus réfléchie, plus approfondie, et sûrement pas dans un texte pour lequel la procédure accélérée a été engagée.
Je citerai, par exemple, le passage de chaînes de la TNT payante à la TNT gratuite, qui a été adopté par l’Assemblée nationale et qui a fait grand bruit. Il s’agit de donner au CSA un pouvoir décisionnel particulièrement important et dont les conséquences économiques ne sont pas neutres. En effet, le Conseil pourra permettre à des chaînes payantes d’intégrer le marché des chaînes gratuites sans passer par un appel d’offres, ce qui est impossible aujourd’hui, et sera seul juge de l’opportunité de cette transformation.
On comprend fort bien que l’accès à un autre marché publicitaire peut aider une chaîne payante qui serait en difficulté. Mais encore faut-il que le marché économique des chaînes gratuites soit à même de l’accueillir sans danger. Or ce sujet, introduit en séance, à l’Assemblée nationale, n’a bien sûr fait l’objet d’aucune étude d’impact. Un encadrement était donc nécessaire, auquel notre rapporteur a tenté de procéder.
Selon moi, le dispositif est perfectible, et je présenterai donc tout à l’heure, au nom du groupe UMP, des amendements tendant, d’une part, à éviter l’arrivée soudaine d’un concurrent – à mon sens, les chaînes payantes doivent aller jusqu’au terme de leur engagement –, et, d’autre part, à recueillir l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui me semble incontournable.
D’autres mesures concernant les SMAD, les services de médias audiovisuels à la demande, ont été introduites dans le projet de loi, cette fois par notre rapporteur, au nom de la prise en compte des évolutions technologiques du secteur. Il s’agit de créer une obligation de déclaration et de permettre au CSA de régler les litiges. Je présenterai des amendements visant à supprimer ces dispositions, en rappelant que les distributeurs nationaux subissent la concurrence des grands distributeurs internationaux, qui s’affranchissent des règles nationales.
Je citerai encore, pour illustrer la précipitation ayant présidé aux débats, l’article 6 sexies, qui concerne le passage de chaînes du mode standard à la HD et dont l’ambiguïté a suscité une réécriture par notre commission.
De même, pourquoi un article 6 sexies A vient-il traiter du sujet des radios numériques ? N’est-il pas prématuré de statuer sur une échéance qui ne s’est pas encore présentée ? Pis encore, vous avez très « cavalièrement » envisagé, monsieur le rapporteur, lors des auditions, un passage en force sur le sujet sensible de l’Hadopi, vous posant la question « pragmatique » de « profiter de cette loi ». En ne donnant pas suite à une telle interrogation, vous avez, me semble-t-il, bien fait.
Néanmoins, vous avez auditionné la présidente de la Hadopi et ouvert un débat qui n’était pas lié au projet de loi, celui de la défense des droits d’auteur. Sans la difficulté à rassembler une majorité sur ce sujet, nul doute que nous aurions été appelés à légiférer de façon impromptue.
Tout cela ne paraît pas constituer une bonne méthode législative. Cette petite loi devient une demi-grande loi, avec des sujets qui sont traités en dehors de leur contexte, sans avoir fait l’objet d’un véritable débat global. Qui plus est, elle ne sera pas représentée devant l’Assemblée nationale, ce qui nous paraît vicier certaines dispositions que nous sommes en train d’inscrire dans la loi.
Tout d’abord, parce que nous allons examiner ce texte en procédure accélérée, les modifications votées par la Haute Assemblée ne pourront pas donner lieu à un débat chez nos collègues de l’Assemblée nationale. Ensuite, pour un certain nombre d’amendements examinés en commission ce matin même, des consultations sont en cours, car ces dispositions portent sur des sujets qui mettent en jeu des intérêts économiques dans un contexte de forte concurrence internationale et conditionnent la qualité de notre secteur audiovisuel.
Je regrette que le projet de loi ait été examiné dans la précipitation à l’Assemblée nationale en fin de session extraordinaire. Ici, les débats ont également été menés tambour battant, de sorte que les premières auditions ont eu lieu avant même l’ouverture de la session ordinaire.
On nous annonçait une réforme ambitieuse. Nous attendions une procédure nouvelle garantissant plus sûrement l’indépendance de l’audiovisuel public. Au fond, nous avons le sentiment d’un texte d’affichage.
Madame la ministre, vous nous annonciez une augmentation des pouvoirs du CSA. Certes, ils sont accrus, mais au prix de quelles lourdeurs et de quelles contraintes pour nos entreprises !
Nous réservons donc notre position au sort qui sera donné à nos propositions. Nous serons également très attentifs au grand projet global sur l’audiovisuel qui nous est annoncé maintenant pour la fin de l’année 2014.
Il y a dans cette future loi de grands et beaux sujets à traiter, sur lesquels nous aurions pu déjà travailler au fond si le Gouvernement n’avait pas préféré, comme il le fait depuis un an et demi, livrer un combat politique pour détruire soigneusement ce que la dernière mandature a construit ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré les déclarations tonitruantes du début de mandat, force est de constater aujourd’hui que le texte que nous sommes amenés à examiner est décevant au regard des grands enjeux de l’audiovisuel du XXIe siècle.
D’abord discuté et voté à la va-vite en fin de session extraordinaire par nos collègues de l’Assemblée nationale, le texte que le Gouvernement présente au Sénat y est encore examiné en procédure accélérée, alors qu’il traite pourtant de sujets fondamentaux. Des sujets sur lesquels les parlementaires, hélas, n’ont été que peu amenés à réfléchir et à s’exprimer.
En effet, je veux le rappeler, les parlementaires n’ont pas été conviés aux Assises de l’audiovisuel, une pratique qui va à l’encontre de la tradition républicaine et de la qualité des débats. Ils n’ont pas été davantage associés au groupe de travail chargé de repenser la contribution à l’audiovisuel public. C’est un paradoxe lorsqu’on songe que le principe d’un groupe de travail sur ce sujet avait été acté dans la loi de 2009 ici même au Sénat, via un amendement que notre commission avait porté !
Permettez-moi, madame la ministre, de relever qu’il y a un paradoxe à prétendre depuis des mois avancer sur ces questions sans respecter pour autant le rôle du Parlement !
À cet égard, je rappellerai le court-circuitage par Bercy de la représentation nationale dans l’attribution de la « bande des 700 ». Réaffecter des fréquences vers les opérateurs de télécommunication, pourquoi pas, mais ce projet ne saurait être instauré sans débat préalable avec la représentation nationale, sans réflexion liée, d’ailleurs, au développement de l’audiovisuel.
Une tentative de passage en force a été notée également avec la cacophonie autour de l’éventuel transfert de la riposte graduée de l’Hadopi au CSA par un simple amendement. Finalement, il n’en a rien été.
M. David Assouline, rapporteur. Grâce à vous !
Mme Catherine Morin-Desailly. Il faut dire que si le projet d’amendement de M. le rapporteur existait bien, cette disposition ne faisait l’unanimité ni auprès des acteurs du secteur ni au sein de votre propre majorité. Sur ces sujets, l’improvisation politique n’a pas sa place, car les enjeux sont considérables. Ils attendent d'ailleurs depuis un an que des réponses crédibles, solides, leur soient apportées.
En effet, le secteur a subi de multiples et très importantes transformations, celles-ci rendant une partie de notre règlementation obsolète. Je citerai l’arrivée de la TNT, la multiplication des nouveaux supports et des modes de diffusion, le développement de la télévision connectée. Autant de nouveaux usages, mais aussi de nouveaux acteurs qu’il faut désormais prendre en compte.
Tout cela pour dire notre déception à la lecture du texte initial du Gouvernement. Notre rapporteur lui-même l’aura fait observer à cette tribune, il est ainsi regrettable que les effets de la convergence numérique, dont on parle depuis un certain nombre d’années, n’aient pas été pleinement pris en compte au travers d’un travail de réflexion abouti sur le rapprochement du CSA et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, l’ARCEP.
On notera aussi que ces évolutions profondes ont bouleversé les modèles économiques traditionnels. Le CSA ne peut donc plus se borner à demeurer un simple régulateur de contenus – un censeur éditorial, diront certains – en parallèle de la poursuite de ses missions originelles.
Parce que le CSA doit continuer à être le garant d’un audiovisuel de qualité, pluriel, diversifié, il lui revient de veiller à ce que soient respectées les conditions d’une concurrence saine et équitable et de veiller, par conséquent, à la régulation économique du secteur.
En ce sens, pour le coup, nous saluons les avancées portées par le projet de loi qui ajoute le critère économique dans la grille d’évaluation du CSA, un point important concernant l’attribution et la gestion des fréquences.
Tout comme vous, mes chers collègues, nous soutenons la nécessité, au travers de cette loi, de progresser dans les modes de nomination. Cependant, nous nous interrogeons, comme notre collègue Jean-Pierre Leleux, sur le côté novateur de ces propositions.
Notons, d’ailleurs, que d’aucuns déplorent l’affaiblissement du contrôle démocratique avec le dessaisissement de la représentation nationale d’un certain nombre de ses prérogatives. En effet, ce texte prive les parlementaires de leur pouvoir de contrôle des nominations des présidents de l’audiovisuel public en confiant au CSA, et à lui seul, cette responsabilité. Il les prive également du droit de regard direct sur l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens. L’audiovisuel public est pourtant un enjeu qui concerne tous nos concitoyens !
Ce contrôle démocratique devrait, d’ailleurs, s’opérer sur les activités de l’ensemble des autorités indépendantes. Compte tenu de l’évolution des missions confiées au CSA et de l’accroissement des compétences de ce dernier, le Parlement devra veiller à instaurer un lien plus régulier et plus exigeant avec le Conseil dans le rendu de ses travaux
Je pense, notamment, au suivi du contrat d’objectifs et de moyens. Ce contrôle démocratique apparaît d’autant plus nécessaire que, remodelés par ce projet de loi, ses pouvoirs s’étendent désormais entre nomination, régulation, contrôle et tutelle. Des pouvoirs aussi considérables nécessitent, vous le mesurez, mes chers collègues, une autorité impartiale, libérée de toute pression politique.
L’indépendance, c’est bien tout l’objet de ce texte. Poursuivre la réflexion sur la nécessaire indépendance s’inscrit dans les logiques institutionnelles et politiques actuelles, impulsées par la réforme constitutionnelle de 2008.
Chacun doit être conscient, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il n’existe pas de système idéal. Ainsi, il apparaît peut-être exagéré, voire présomptueux, d’affirmer, comme vous l’avez fait, que ce texte est bien « la grande loi, parce qu’elle pousse l’indépendance à un degré jamais atteint ».
Il faut bien mesurer que l’indépendance ne se décrète pas ! Il s’agit d’un équilibre subtil. Il y a, bien sûr, le processus de nomination, mais il y a aussi bien d’autres facteurs.
Comme je le relevais dans mon rapport sur les comptes de France Télévisions de juin 2010, pour les sociétés de l’audiovisuel public, l’indépendance, c’est également celle d’un financement pérenne et dynamique. À cet égard, pour nous, centristes, une télévision publique doit reposer sur des financements publics adaptés – un principe déjà affirmé à l’occasion de la loi de 2009.
Ainsi, nous regrettons le refus opposé depuis des années à une évolution de la contribution à l’audiovisuel public, non pas seulement sur son taux, mais sur son assiette, vers plus d’équité.
M. David Assouline, rapporteur. Voilà qui est incroyable à entendre !
Mme Catherine Morin-Desailly. J’ajouterai que, à l’heure où les recettes publicitaires sont devenues incertaines, on a tout fait, sauf garantir l’indépendance de l’audiovisuel public en opérant des coupes brutales l’année dernière et en choisissant de ne pas lui réaffecter entièrement les deux euros d’augmentation de la contribution à l’audiovisuel public. Nous aimerions, d’ailleurs, avoir des nouvelles des 32 millions d’euros actuellement gelés par Bercy.
L’indépendance, c’est aussi les conditions d’exercice du mandat des présidents des sociétés de l’audiovisuel public. Une indépendance que vous avez vous-même mise à mal, madame la ministre, en commentant sur une antenne de radio les choix éditoriaux de France Télévisions. Beaucoup se sont émus de cette sortie abrupte.
Enfin, l’indépendance des sociétés de l’audiovisuel public renvoie aussi à la question des pouvoirs qui incombent à l’Autorité de régulation, donc au profil de ceux qui les exercent, c’est-à-dire les membres qui la composent.
Sur ce sujet, une désignation des membres du CSA avec une majorité positive des trois cinquièmes dans les deux chambres constitue une réelle avancée, que nous saluons. Nous regrettons, toutefois, que le Gouvernement n’ait pas été plus novateur dans le processus de nomination des présidents de l’audiovisuel public.
Cette anomalie est inédite, en France comme en Europe : comment imaginer que l’ARCEP nomme les dirigeants de La Poste ou d’Orange ? Ou que la Commission de régulation de l’énergie nomme le président d’EDF ?
En outre, qui peut croire qu’on renforce l’indépendance de l’audiovisuel public en confiant la responsabilité de nommer ses dirigeants au CSA, dont le président, quelles que soient ses qualités propres, a exercé les fonctions éminemment politiques de directeur de cabinet d’un Premier ministre et qui a été nommé par le Président de la République ?
C’est la raison pour laquelle, sur le modèle de ce qui fut proposé en 2008 par la commission sur la nouvelle télévision publique, nous proposons que les présidents directeurs généraux de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France soient élus par leur conseil d’administration respectif, sur une liste de trois à cinq noms proposés pour chacune des entreprises par le CSA.
Chaque candidat devra être en mesure de défendre un projet de mandat, tant devant le CSA que devant le conseil d’administration intéressé, qui constituera le cadre général de son plan d’action à cinq ans. Ainsi, la désignation aura lieu selon des critères exigeants de compétence et d’expérience.
Par ailleurs, nous estimons que la désignation du président du CSA doit se fonder sur la compétence et l’expérience du candidat. Et afin d’achever le processus d’indépendance du Conseil entamé par ce texte et de réaliser les engagements du Président de la République pris devant les Français quant aux exigences de neutralité et d’équité de l’audiovisuel public, je propose, avec mes collègues du groupe UDI-UC, que le président du Conseil soit élu par les conseillers eux-mêmes au sein du collège, à l’issue de chaque renouvellement.
Cette mesure permettra d’évacuer tout reproche de favoritisme lié à des attaches partisanes avec le pouvoir en place. L’actuelle majorité a suffisamment stigmatisé la nomination de Rémy Pfimlin et de Jean-Luc Hees par Nicolas Sarkozy pour ne pas se regarder dans la glace aujourd’hui !
M. David Assouline, rapporteur. Cette violence est incroyable !
Mme Catherine Morin-Desailly. Compte tenu des bouleversements précédemment évoqués, qui rendent les sujets plus complexes techniquement et juridiquement, compte tenu aussi de la nouvelle donne économique, nous trouvons qu’il aurait été nécessaire de réfléchir un peu plus profondément au profil des conseillers.
Les sénateurs de l’UDI-UC portent l’idée que la composition du CSA doit être radicalement repensée autour de deux piliers : compétence et expérience. Nous avons amendé le texte dans ce sens. Cependant, telle qu’elle est formulée, la présentation des compétences et de l’expérience attendues des membres du CSA reste trop générique.
Or il est indispensable que les conseillers réunissent des personnalités représentant une diversité de compétences, tant techniques qu’économiques ou juridiques d'ailleurs, ainsi qu’une diversité d’expériences, issues des secteurs de la production, de l’édition et du journalisme audiovisuels.
Aujourd’hui, on le constate, le journalisme est surreprésenté au détriment de la production. Il conviendrait aussi de veiller à la diversité des origines, afin que l’on puisse retrouver au sein du Conseil des chefs d’entreprise et pas seulement des fonctionnaires, issus, qui plus est, du même corps d’État. Cette dernière remarque devrait également s’appliquer aux candidats à la présidence des chaînes de l’audiovisuel public.
Les décisions que le CSA rendra n’en auront que plus de force et de légitimité au moment où le secteur s’est développé et considérablement complexifié.
Autre point que je voudrais souligner, l’autorité indépendante sera d’autant plus respectée si elle parvient à tenir ce rôle de régulateur qui, certes, sévit parfois, mais qui le plus souvent se tient au-dessus de la mêlée, cherchant à arbitrer les différends relatifs à la circulation des œuvres entre professionnels du secteur, afin d’éviter qu’un litige long et coûteux n’apparaisse.
C’est la raison pour laquelle je défends l’institutionnalisation de la fonction de médiateur, instituée à titre expérimental en 2011 et qui a montré toute son utilité. Cette idée avait déjà émise au printemps 2013 par notre collègue Jean-Pierre Plancade.
Certes, l’amendement n° 26 de M. le rapporteur, adopté par notre commission le 17 septembre dernier, constitue une avancée significative sur la question difficile de la circulation des œuvres.
Confier cette mission aux services du CSA pose toutefois un réel problème de compatibilité avec les préconisations de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle impose une stricte séparation entre la fonction d’instruction et celle de sanction. Nous avons donc déposé un amendement sur ce sujet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au regard de tous ces éléments, il est patent qu’un véritable travail de fond reste à réaliser sur la régulation d’un audiovisuel profondément bouleversé par la convergence numérique, et que l’on peut progresser vers toujours plus d’indépendance.
Enfin, si l’on souhaite la poursuite des grandes missions du CSA, notamment sociétales, et pérenniser un système de financement de la création audiovisuelle, on ne peut plus traiter du contenu, d’un côté, et des contenants, de l’autre.
Une importante réflexion de fond est toujours à mener. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !
Notre rapporteur n’a cessé de nous renvoyer à un second texte de loi, dont on ne sait quand nous pourrons l’examiner. Nous savons, en revanche, qu’un véritable travail de fond – j’y insiste – associant le Gouvernement et le Parlement est nécessaire, qu’il faudra étudier en profondeur les propositions du rapport Lescure et réfléchir, puisque tout est lié, à l’ensemble des complémentarités ou articulations à effectuer, non seulement entre le CSA et l’ARCEP, mais aussi dans un cadre plus large prenant en compte les missions de la CNIL et de l’Hadopi.
Sur ce sujet, notre groupe d’études « Médias et nouvelles technologies », rattaché à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et qui regroupe des sénateurs issus de plusieurs commissions intéressées, notamment celles des affaires économiques et des lois, pourrait réaliser un travail intéressant, lequel devra converger au niveau européen.
L’Europe et l’harmonisation des législations et des pratiques : voilà ce dont le secteur de l’audiovisuel a besoin, aussi, aujourd’hui. Pour cette raison, je me réjouis que mon amendement visant à établir un bilan des coopérations et des convergences obtenues entre les instances de régulation audiovisuelles nationales des pays de l’Union européenne ait été adopté par notre commission.
Face à l’évolution des usages et des technologies, les aménagements législatifs nécessaires sont nombreux. J’y insiste à nouveau, ceux-ci méritent du sérieux.
L’épisode de l’Hadopi, que l’on défende ou non le principe de cette instance, est à cet égard consternant. Annoncer sa mort dès la campagne présidentielle sans avoir méthodiquement procédé à son évaluation, à la fois indépendante et nécessaire, puis se dire, juste après la remise des conclusions de la mission Lescure, qu’il y a urgence à sauver le bébé parce que le piratage a repris, et donc se dépêcher de confier au CSA les missions de l’autorité, en l’occurrence la riposte graduée, tout cela relève d’une impréparation et d’une improvisation politique dont nous ne voulons pas.
J’ajoute, en conclusion, que nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à améliorer le texte. Nous tenterons ainsi, modestement, d’apporter notre pierre à l’édifice.
C’est donc à l’issue des débats et en fonction du sort qui sera réservé à ces amendements que nous déciderons de notre vote final. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.