M. Jacques Mézard. Nous avons eu, depuis quatorze heures trente, un débat intéressant, mais dans lequel le Gouvernement nous a signifié qu’il n’accepterait aucun amendement, aucune proposition du Sénat de la République, que les choses étaient figées, que M. le Président de la République avait donné un ordre et qu’il convenait de l’exécuter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.-Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est la réalité !
M. Gérard Cornu. Circulez ! Il n’y a rien à voir !
M. Jacques Mézard. Cela peut se comprendre, et toutes les opinions sont respectables, mais, lorsque vous nous dites clairement à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que c’est comme ça, qu’il n’y aura strictement aucune variation dans vos positions (M. le ministre fait un signe d’assentiment.)… Je vous remercie d’opiner, monsieur le ministre, car je n’invente rien.
S'agissant de la proposition, d’ailleurs parfaitement raisonnable, que tout parlementaire, qu’il soit député ou sénateur, puisse exercer un mandat exécutif, et un seul, le Gouvernement a répondu qu’il n’en était pas question et que l’Assemblée nationale maintiendrait cette position, sur proposition du Gouvernement.
M. Bruno Sido. Godillots !
M. François Rebsamen. Et avec Sarkozy ? Nous, nous ne sommes pas convoqués à l’Élysée !
M. Jacques Mézard. En la matière, monsieur Sido, je crois que toutes les majorités ont eu des parlementaires exécutant strictement les ordres de leur exécutif. C’est une conception de la République ; ce n’est pas la mienne, mais je la comprends, ou en tout cas je peux l’entendre.
Dans ces conditions, que nous reste-t-il ? Nous sommes convaincus, et je l’ai exprimé longuement dans la discussion générale, qu’il est indispensable que le Sénat de la République conserve à la fois sa place dans la République et sa spécificité dans la République, parce qu’il en a une, très clairement définie par la Constitution en ses articles 24 – « Il assure la représentation des collectivités territoriales » – et 39 – « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. », ainsi que son mode électoral, fondé sur le vote des grands électeurs issus des collectivités.
L’argument selon lequel le Sénat, petit à petit, deviendrait une chambre qui ne s’occuperait que des collectivités doit être balayé très simplement : c’est totalement faux ! Il détient à la fois une compétence générale, que personne ne lui a jamais déniée, et une compétence particulière, qui lui est dévolue par la Constitution en ce qui concerne les collectivités territoriales. Je ne reprendrai pas mon argumentaire et les citations des plus grands parmi les socialistes : c’est la réalité !
Aujourd'hui, pour des raisons qui ont été largement exposées par M. le ministre, une autre vision prévaut. On en connaît l’origine, je n’y reviens pas. Nous respectons, je le répète, toutes les opinions et toutes les positions. Ce que nous avons déploré, ce sont les méthodes employées. Mme Assassi se plaint à juste titre que la procédure accélérée ait été engagée sur la réforme des retraites, mais elle ne nous a pas suivis pour contester avec nous sa mise en œuvre sur ce texte… Nous avons cependant la même opinion sur l’abus de cette procédure accélérée.
Alors, que reste-t-il au Sénat pour exprimer sa volonté de vivre et d’exister encore ? Car tel est le débat de fond.
M. Philippe Bas. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Mais, sur ce point, je n’ai pas entendu d’explication convaincante sur l’avenir du Sénat, pas un mot contre le Haut Conseil des territoires, cette fadaise dont on attend encore que l’on nous dise qu’il ne verra jamais le jour, pas un mot de l’exécutif de notre assemblée pour dire qu’il n’y aurait pas de réduction du nombre de sénateurs.
Non, mes chers collègues, il n’y a pas eu, mes chers collègues, une seule véritable contestation de cette évolution du Sénat qui deviendrait une « chambre croupion », évolution que nous refusons, pour notre part.
Alors, oui, que nous reste-t-il, mes chers collègues ? Il nous reste la nécessité, l’impérieuse obligation de prévoir, par un amendement, une chose claire, simple, qui n’est aucunement excessive, à savoir que tout sénateur aura la possibilité de conserver un mandat exécutif local – maire, président d’intercommunalité, président d’un exécutif départemental ou régional.
Il est bien évident qu’un Sénat dans lequel ne siégerait plus un seul maire, plus un seul adjoint, plus un seul président ou vice-président, ce ne serait plus le Sénat, ce ne serait plus la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Je vous le dis avec conviction, monsieur le ministre : vous avez semblé douter de ma sincérité devant la commission des lois, mais je ne doute pas que vous ayez toujours la même opinion qu’il y a quelques années.
Cette évolution des institutions de la République est particulièrement grave et déplorable.
M. Jacques-Bernard Magner. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Je crois que cet amendement mérite des explications… (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques-Bernard Magner. Je crois, moi, qu’on a compris !
M. Jacques Mézard. Votre sens de la démocratie…
M. Jacques-Bernard Magner. Nous avons un règlement !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, comme l’immense majorité de nos collègues, vous avez compris l’importance de cet amendement. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Quant à nos collègues socialistes – et je ne m’en étonne guère –, ils ont une bien curieuse conception de la démocratie ! (Protestations sur certaines travées du groupe socialiste – Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Par cet amendement, que nous souhaitons voir adopté très largement par la Haute Assemblée, nous voulons permettre au Sénat d’exprimer non pas un refus catégorique, mais une proposition raisonnable et mesurée, car le Sénat est la chambre du temps de la réflexion. Ainsi l’Assemblée nationale sera-t-elle saisie, nous l’avons rappelé en commission des lois, d’un projet de loi organique comportant une disposition spécifique au Sénat.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, avec beaucoup de conviction et de fermeté, je vous demande de voter cet amendement. Je crois que nous rendrons ainsi service non seulement au Sénat de la République, mais aussi à l’ensemble de nos institutions ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour présenter l’amendement n° 58.
M. Philippe Bas. Le plaidoyer très convaincant du président Mézard me dispensera de longs développements, d’autant que j’ai eu tout à l'heure l’occasion d’exposer dans le détail le contenu de cet amendement dont chacun pourra constater qu’il est identique à ceux qui ont été déposés par les présidents Mézard et Zocchetto au nom de leur groupe respectif.
Je voudrais remercier le ministre d’avoir bien voulu nous livrer sa conception de ce qu’est, selon lui, l’intérêt objectif du Sénat. À son tour, il nous permettra d’affirmer notre propre conception de ce que doit être l’identité du Sénat, au service du Parlement et de la démocratie de notre pays.
Il est, de notre point de vue, essentiel pour notre institution qu’un sénateur puisse continuer à être maire parmi les maires, élu local parmi les élus locaux. Toute coupure de ce lien essentiel aurait pour effet d’éloigner notre institution des territoires et de leurs habitants que nous avons constitutionnellement la charge de représenter. C’est tout le sens de cet amendement que de maintenir ce lien étroit sans lequel notre démocratie serait asséchée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 63.
M. Yves Détraigne. Mes chers collègues, si nous siégeons au Sénat, c’est que nous sommes tous attachés au bicamérisme, lequel n’a de sens que s’il existe une spécificité de la Haute Assemblée par rapport à l’Assemblée nationale.
Or, cela a été dit et redit, cette spécificité figure à l’article 24 de notre Constitution : le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Dès lors, il n’y a rien de choquant, bien au contraire, à prévoir une spécificité pour les sénateurs en raison de cette représentativité particulière.
À partir de là, rien n’empêche de prévoir un régime d’incompatibilités qui serait également propre au Sénat, différent du régime d’incompatibilité totale prévu pour les députés que l’on veut nous imposer. Nous ne sommes pas la copie conforme de l’Assemblée nationale, nous avons un rôle spécifique !
Il ne s’agit pas pour autant d’en rester au statu quo, car il est vrai que certaines limites doivent être posées au cumul. Il faut se montrer digne du mandat que nous confient les électeurs et l’assumer dans sa plénitude. C’est la raison pour laquelle ces amendements identiques tendent à ce que le mandat de sénateur ne puisse se cumuler qu’avec un seul mandat exécutif.
Adopter cet amendement me semble indispensable si l’on veut justifier l’existence du Sénat à côté de l’Assemblée nationale, et justifier ainsi notre fonction constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales de la République.
Je crois que nous sommes très nombreux au sein de cette assemblée à penser la même chose. Si nous n’avons peut-être pas tous la liberté de l’exprimer, en notre for intérieur, nous sommes très majoritaires à penser qu’il est conforme au rôle du Sénat de permettre à un sénateur d’exercer également un unique mandat exécutif local.
Mes chers collègues, si vous êtes ici, c’est que vous êtes attachés au Sénat. Alors, allez au bout de votre conviction et adoptez cet amendement ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Ces trois amendements identiques, présentés par M. Bas, au nom de l’UMP, M. Mézard, au nom du RDSE, et M. Détraigne, au nom du groupe de l’UDI-UC,...
M. Éric Doligé. Cela fait du monde !
M. Simon Sutour, rapporteur. … visent à instaurer un régime d’incompatibilité spécifique propre aux sénateurs, ce qui serait inédit depuis 1958.
Comme j’ai déjà pu le dire à maintes reprises, je suis attaché à ce que les sénateurs soient soumis aux mêmes incompatibilités que les députés, car les deux assemblées ont les mêmes missions constitutionnelles, quasiment les mêmes prérogatives…
M. Bruno Sido. Non !
M. Simon Sutour, rapporteur. … et ont toutes deux une vocation généraliste.
Cependant, la commission des lois, estimant que les dispositions de ces amendements permettaient de parvenir à une solution acceptable, notamment à certaines avancées, en intégrant dans le champ de l’incompatibilité les fonctions de président ou de vice-président au sein d’un EPCI, d’un syndicat mixte ou d’une société d’économie mixte, elle a émis un avis favorable sur ces amendements. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Je rappelle que je m’exprime au nom de la commission, et non à titre personnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre. Tout cela est sans surprise : ces amendements identiques, sauf coup de théâtre ou retrait, seront adoptés tout à l'heure. Il s’agit du droit le plus absolu du Sénat.
S’il n’y a pas de surprise dans cette position de la Haute Assemblée, il n’y en a pas non plus dans celle du Gouvernement, que vous connaissez et que je vous ai dite très clairement, comme il est d’usage dans un débat loyal.
M. André Trillard. Cette position est assez récente !
M. Christian Cambon. M. Ayrault a cumulé pendant des années !
M. Manuel Valls, ministre. Nous avons déjà eu ce débat, et beaucoup ont cumulé. M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, avait lui-même par deux fois – d’ailleurs, sans livrer son opinion personnelle – demandé à l’ancien Premier ministre Édouard Balladur d’étudier cette question. Durant la dernière campagne présidentielle, il avait lui-même avancé sur ce sujet.
On peut donc changer d’avis, on peut évoluer,…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Manuel Valls, ministre. … on peut aussi regarder ce qui se passe dans la société. C’est tout le sens des explications que je vous ai données tout à l'heure sur les choix du Président de la République et, plus modestement, sur les miens.
Une formation politique qui compte a donné son avis à travers ses militants. Une primaire a eu lieu au cours de laquelle 3 millions de personnes ont voté. Les candidats socialistes à cette primaire se sont engagés sur ce sujet-là et le Président de la République, alors candidat, s’est aussi engagé. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Si vous n’êtes certes pas comptables des engagements du Président de la République, permettez que ceux qui l’ont soutenu, qui l’ont accompagné et qui sont membres du Gouvernement portent cet engagement devant les Français, c’est la moindre des choses.
Le Président de la République, comme les membres du Gouvernement, est déterminé. Quelles qu’aient été nos positions par le passé, nous considérons, compte tenu des évolutions constatées, qu’il faut aujourd’hui appliquer le principe du non-cumul.
Le débat ne porte plus sur la question des seuils, ni sur le cumul en général des députés ou des sénateurs, il porte sur la spécificité sénatoriale. J’ai déjà indiqué par avance quelle était ma position, notamment lors de la discussion générale.
Comme vient de le souligner M. le rapporteur, nous ne pouvons pas partir de l’article 24 de la Constitution pour justifier ce cumul. Si le Sénat représente effectivement les collectivités territoriales, les sénateurs peuvent parfaitement remplir ce rôle à travers l’exercice des mandats de conseiller municipal, de conseiller général ou de conseiller régional, ainsi qu’à travers l’élection sénatoriale en elle-même.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Certains sénateurs n’ont aucun autre mandat !
Par ailleurs, aucun d’entre vous n’a évoqué… (Brouhaha persistant sur les travées de l'UMP.) Vous parlez de respect et d’écoute des uns et des autres, mais moi, au banc du Gouvernement, je ne vous ai pas interrompus ! Souffrez donc que j’aille au bout de mon propos ! (Exclamations sur les mêmes travées.) Si le respect n’est pas réciproque, nous aurons des difficultés à échanger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il n’est pas certain que le Conseil constitutionnel admette une telle différence de traitement entre l’Assemblée nationale et le Sénat, alors que l’article 24 de la Constitution, auquel vous faites référence, donne aux deux chambres les mêmes missions : voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques.
J’en viens à un argument que j’ai déjà évoqué. Certes, je ne suis que membre du Gouvernement et n’ai jamais été sénateur, mais… (On le regrette sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela viendra ! (Sourires.)
M. Manuel Valls, ministre. … après un an passé à observer les choses de près ici, je suis convaincu que certains mots que vous employez – j’ai entendu parler de Sénat « croupion » lors de la discussion du texte sur le scrutin binominal instaurant la parité dans tous les départements – ne rendent pas service au Sénat.
Mme Patricia Schillinger. Absolument !
M. Manuel Valls, ministre. Car, pour la plupart, vous savez que ce texte sera in fine adopté. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. C’est un pari ?
M. Manuel Valls, ministre. Non, vous avez raison, à ce stade, c’est un pronostic ! (Sourires.) Je pars simplement du principe que la volonté du Gouvernement est de faire adopter le texte tel qu’il a été présenté.
Ce ne serait pas rendre service aux sénateurs, je le répète, que d’instituer un régime différencié, qui pourrait être interprété par les citoyens comme la reconnaissance d’une valeur inégale entre les deux chambres du pouvoir législatif. Cela ferait, en outre, s’orienter le Sénat dans d’autres directions.
M. Christian Cambon. C’est le seul moyen de se faire entendre !
M. Manuel Valls, ministre. Je ne comprends pas qu’on puisse vouloir cette différenciation ! (M. Gérard Cornu s’exclame.) Vous êtes des parlementaires, vous êtes des législateurs, et votre seul argument, répété à l’envi, c’est qu’un sénateur doit aussi exercer un mandat exécutif local. Cela ne tient pas debout, et n’est pas cohérent du point de vue de la Constitution !
L’objet du projet de loi organique est bien de garantir que les députés et les sénateurs, qui assurent les uns comme les autres la fonction législative, soient pleinement disponibles pour se consacrer à cette mission essentielle.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, sans illusion sur l’issue du vote, émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me voyez contraint de vous le rappeler, le Gouvernement est déterminé : c’est le texte de loi adopté à l’Assemblée nationale qui in fine aboutira, car c’est cette cohérence-là qui s’impose. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Gérard Longuet. On changera de gouvernement, et on changera de texte !
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Mon propos s’adresse aussi bien à M. le ministre qu’au Conseil constitutionnel.
Nous le savons très bien, nous sommes en désaccord avec les députés et le Gouvernement, et nous voterons un texte différent de celui qu’a adopté l’Assemblée nationale.
Si la commission mixte paritaire n’aboutit pas à un accord, il vous sera loisible, monsieur le ministre, de donner le dernier mot aux députés, comme la procédure législative vous y autorise. Pour autant, cela n’y changera rien : le Conseil constitutionnel tranchera. Nous lui demanderons comment interpréter la Constitution.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout0 fait !
M. Hugues Portelli. C’est exact, mais nous serons amenés à lui présenter nos arguments.
Précisément, quels sont ces arguments que nous devons livrer à la réflexion de ceux qui ne partagent pas notre point de vue ?
Un premier argument peut être tiré de la comparaison avec des pays similaires au nôtre, ayant les mêmes strates et le même type de régime démocratique. On constate que les collectivités territoriales européennes participent à des degrés divers à la vie politique du pays, selon trois grandes catégories.
La première catégorie regroupe les pays où il n’y a pas de pouvoir local. C’est le cas de l’Angleterre, par exemple. La Chambre des Lords est l’ancienne chambre aristocratique, où sont désormais nommés les copains du Premier ministre du moment, mais elle ne compte pour rien. La meilleure preuve en est que, pour créer un pouvoir local au Pays de Galles et en Écosse, on a pris exemple sur la deuxième catégorie de pays européens, qui regroupe l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, et la Suisse.
Dans ces pays, en effet, les collectivités régionales ou équivalentes votent la loi. En somme, elles participent elles-mêmes à la fonction législative. Du coup, la question de leur représentation est secondaire, car le pouvoir législatif est partagé entre l’échelon régional et l’échelon national.
Il existe une troisième et dernière catégorie, dans laquelle se trouve la France. La solution française, telle qu’elle existe depuis l’avènement de la République, repose sur la participation des collectivités territoriales à la fonction législative à travers le Sénat. C’est pour cela, mes chers collègues, que le Sénat est formé d’élus locaux !
M. Yves Détraigne. Voilà !
M. Hugues Portelli. Cette solution « à la française » s’explique par le fait que la France est un État unitaire, où le pouvoir n’est ni régional ni fédéral.
Il n’est que de regarder ce qui s’est passé en Belgique. Lorsque ce pays s’est transformé en État fédéral, le pouvoir législatif a été confié aux régions et aux communautés linguistiques. Dans le même temps, une grande partie de ce pouvoir a été retiré au Sénat : il n’était plus nécessaire pour représenter les collectivités, ces dernières, qui se sont vu octroyer par la Constitution belge le pouvoir législatif, s’en chargeaient elles-mêmes !
Voilà notre spécificité : nous exerçons le pouvoir législatif national au même titre que les députés, mais nous représentons, en plus, les collectivités territoriales. Et la meilleure façon de les représenter, mes chers collègues, c’est d’en faire partie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Nous ne pouvons que nous féliciter d’avoir l’occasion de débattre sur la question du cumul des mandats, à l’occasion de l’examen d’un texte dont l’ambition est de redonner du souffle à la démocratie.
Pour ce faire, il convient de se fixer des objectifs qui correspondent le mieux à ce que les Français attendent de nous, et de tâcher de faire en sorte que la plupart des pouvoirs ne se trouvent pas concentrés entre les mains d’un seul.
Il aurait donc fallu que cette réforme puisse porter sur tout l’éventail de ces différents pouvoirs.
En tant qu’élus membres de l’opposition sénatoriale et hostiles au projet du Gouvernement, quel est notre pouvoir aujourd’hui, monsieur le ministre, sinon de vous écouter nous répéter que, quoi que nous disions, quoi que nous fassions, vous ferez comme bon vous semblera et comme vous l’aurez décidé ? Un bien maigre pouvoir, en vérité…
Pourtant, il existe plusieurs formes de cumul.
Quand on exerce une fonction exécutive, on existe, on peut agir ; en somme, on peut véritablement décider. Votre texte, monsieur le ministre, se focalise sur la fonction de parlementaire, comme si ce dernier ne pouvait être titulaire d’un mandat exécutif local ! Certains de mes collègues l’ont dit, les deux sont pourtant complémentaires.
En revanche, personne ne semble choqué de voir regroupés plusieurs mandats exécutifs locaux dans une même main ! Car cette loi, si elle est adoptée, n’empêchera pas d’être tout à la fois président d’une communauté urbaine de 500 000 habitants, maire, président d’un CHU, président de l’EPCI chargé d’un SCOT, et j’en passe. J’ai d’ailleurs connu un élu d’une ville proche de la mienne, en Loire-Atlantique, qui exerçait tous ces mandats, et qui, faute de savoir déléguer, concentrait tous ces pouvoirs entre ses mains… (Exclamations ironiques sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Pourtant, celui qui doit renoncer à tout, c’est visiblement le parlementaire.
Je trouve cette démarche extrêmement injuste, et tout à fait incomplète. Encore une fois, il aurait été souhaitable de faire porter cette réforme sur tout l’éventail des cumuls possibles. En ne s’intéressant qu’à la fonction de parlementaire, le présent texte s’éloigne de l’objectif : permettre aux élus d’exercer leur mission de manière efficace. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Monsieur le ministre, vous êtes tout de même parfaitement contradictoire ! Vous nous expliquez que nous devons être des parlementaires à temps plein, et que nous devons, par conséquent, renoncer à la dispersion des talents au service d’exécutifs municipaux, départementaux et régionaux. Mais, lorsque nous sommes sollicités comme parlementaires, vous nous répondez que cela n’a aucune importance, que le Gouvernement ne tiendra compte que du seul vote de l’Assemblée nationale, se moquant parfaitement de ce que nous pensons.
Vous ne nous incitez pas à nous concentrer sur notre action de législateur, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 46, 58 et 63.
J’ai été saisi de trois demandes de scrutin public émanant, la première, du groupe UMP, la deuxième, du groupe du RDSE, la troisième, du groupe de l’UDI-UC.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 343 :
Nombre de votants | 302 |
Nombre de suffrages exprimés | 294 |
Pour l’adoption | 211 |
Contre | 83 |
Le Sénat a adopté. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
L'amendement n° 21 rectifié bis, présenté par MM. Doligé, Buffet, Cardoux, Fleming et Beaumont, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant maximum des indemnités cumulées que peut percevoir un élu de la République française ne peut être supérieur au montant de l’indemnité attachée à un mandat parlementaire. »
La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Puisse cet amendement rencontrer le même succès que les trois amendements identiques précédents ; continuons sur la même lancée ! (Sourires.) Il devrait d’ailleurs même recueillir un soutien plus large encore, à en juger par les interventions de nos collègues tout à l’heure.
Le dispositif que je vous propose est relativement simple. Vous le savez – cela a été répété au cours du débat –, le cumul entre l’indemnité parlementaire et d’éventuelles indemnités liées à d’autres mandats électifs est aujourd'hui plafonné à une fois et demie le montant de l’indemnité parlementaire ; je ne sais pas quel sera le prochain plafond, mais la règle est actuellement celle que je viens de vous indiquer.
Or nous avons tous constaté que les élus qui ne sont pas parlementaires ne sont pas soumis, ou ne se soumettent pas, à la même règle. Un certain nombre d’entre eux perçoivent ainsi des rémunérations allant parfois jusqu’à deux fois ou deux fois et demie l’indemnité parlementaire.
Mon objectif est clair. Je souhaite mettre tout le monde au même niveau, quelle que soit la situation en termes de cumul des mandats. En effet, il sera toujours possible de cumuler des mandats locaux, y compris dans des fonctions exécutives. Je propose de fixer le plafond à une fois et demie l’indemnité parlementaire, toutes indemnités confondues, ou, plutôt, de nous caler sur le plafond qui sera retenu à l’avenir. Si en effet le présent projet de loi organique est adopté dans le sens souhaité par M. le ministre, les parlementaires n’auront plus que l’indemnité parlementaire ; il faudra alors soumettre les rémunérations de tous les élus de France et de Navarre à un plafond correspondant au montant de cette indemnité.
C’est, me semble-t-il, d’une logique implacable. Nous aurions dû prendre une telle mesure depuis longtemps. Il serait bienvenu de le faire sous l’égide d’un gouvernement de gauche… (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Je pense que mon amendement a de grandes chances d’être largement adopté.